Combattre le harcèlement scolaire (Nouvelle lecture - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Chaque année, 700 000 élèves sont victimes de harcèlement scolaire, 10 % des élèves y seront confrontés au cours de leur scolarité. C'est un fléau, aux conséquences parfois terribles et définitives. Ces drames nous obligent.

La proposition de loi d'Erwan Balanant consacre le droit à une scolarité sans harcèlement et crée un nouveau délit de harcèlement scolaire, assorti d'un panel de sanctions très élevées.

C'est un point de désaccord entre les deux chambres. En effet, notre Haute Assemblée a préféré intégrer le harcèlement scolaire comme circonstance aggravante du harcèlement moral. Nous avons aussi estimé le quantum de peine prévu par l'Assemblée nationale beaucoup trop élevé pour des mineurs, qui agissent de surcroît souvent en groupe, ce qui le rendrait inapplicable.

Je comprends que les députés veuillent attirer l'attention sur le sujet, mais la solution réside plutôt dans la sensibilisation et la formation des acteurs concernés et dans la prévention.

Les médecins et infirmières scolaires pourraient être la vigie qui nous manque. Mais avec un médecin pour 14 000 élèves et une infirmière pour 1 600 élèves, la médecine scolaire est délabrée.

Autres points de désaccord, l'Assemblée nationale refuse la reconnaissance claire du cyberharcèlement, tandis que le Sénat refuse l'information du tissu associatif, l'implication des Crous et les stages de sensibilisation...

La suppression par le Sénat du délit de harcèlement scolaire a suscité l'incompréhension des associations de victimes ; un nouveau débat aurait permis de lever les ambiguïtés, mais votre rapporteur a préféré déposer une question préalable. Nous le regrettons, et voterons donc contre la motion.

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe Les Républicains est évidemment favorable à toute mesure visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire, trop souvent caché, et dont les conséquences sont destructrices.

Fort des travaux la mission d'information sur le sujet, le Sénat avait adopté des mesures concrètes et opérationnelles. Mais l'Assemblée nationale les a rejetées, préférant adopter un texte purement symbolique.

La CMP a achoppé sur la création d'un délit spécifique de harcèlement scolaire, visant aussi bien les élèves que les adultes. Or nous estimons que ces derniers ne devraient pas être ciblés, en accord d'ailleurs avec les propos de M. le ministre lors de l'examen de la loi pour une École de la confiance. Un abus par un adulte sur un élève n'est pas la même chose qu'un harcèlement entre mineurs, et de tels actes sont déjà réprimés pénalement et administrativement.

En outre, on envoie un mauvais message aux enseignants dont l'autorité est toujours plus remise en question, notamment par les parents d'élèves. À partir de combien de mauvaises notes, de punitions pour devoirs non faits, criera-t-on au harcèlement ? Je crains que ce nouveau délit ne donne lieu à bien des dérives.

La loi consacre déjà le droit à une scolarité sans harcèlement. Pourquoi une telle surenchère ? Ce texte est avant tout politique, à l'approche d'échéances électorales...

Le maintien de l'enfant dans son milieu scolaire doit être privilégié, mais il peut s'avérer indispensable de le mettre à l'abri au plus vite. C'est pourquoi je proposais de faciliter le recours à l'instruction à domicile ou à l'enseignement à distance en cours d'année. Hélas, ces dispositions ont été rejetées par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, comme celle visant à mieux prendre en compte la parole de l'enfant.

Ce texte comporte néanmoins plusieurs avancées dues au Sénat, comme le dépistage du harcèlement par des visites médicales obligatoires et la reconnaissance du travail des assistants d'éducation.

Les députés ont en revanche supprimé la plupart de nos apports en matière de cyberharcèlement, qui constitue pourtant une part importante du harcèlement scolaire

Notre désaccord sur la mise en cause des enseignants et sur la création d'un délit spécifique justifie notre soutien à la question préalable.

La lutte contre le harcèlement repose moins sur la loi que sur des actions de terrain, qui requièrent des moyens, notamment en matière de médecine scolaire. C'est la première réponse à apporter !

Nous avons donc un sentiment d'inachevé, malgré la qualité du travail de nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Question préalable

M. Olivier Paccaud, rapporteur .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous souhaitons tous mieux lutter contre le harcèlement scolaire, avec des mesures efficaces et acceptables par les élèves. Or ce texte rate sa cible.

À l'article premier, l'Assemblée nationale a rétabli sa définition du harcèlement en incluant les actes commis par un adulte sur un élève. Or de tels actes sont déjà sanctionnés, administrativement et pénalement. Dans le climat de défiance actuel envers l'institution scolaire, cette mesure est malvenue. Alors que les enseignants doutent et se plaignent d'un manque de soutien de leur hiérarchie, quel message leur envoyons-nous ? On fait peser une suspicion généralisée sur le personnel de l'Éducation nationale.

Monsieur le ministre, vous appeliez vous-même, lors des débats sur la loi pour une École de la confiance, à distinguer les faits commis entre mineurs de ceux commis par des majeurs sur des mineurs. Vous parliez d'or ! Mais il y a quinze jours, Mme Moreno appelait à protéger les élèves contre le harcèlement, « quelle que soit la personne qui en est la cause », élève ou adulte. Comment expliquer un tel revirement à 180 degrés ? Il n'y a pourtant pas eu d'aggravation des cas en la matière, comme l'ont montré les auditions que j'ai menées. Je crains qu'en affaiblissant l'autorité du professeur, vous n'ouvriez la boîte de Pandore.

Le deuxième point majeur de désaccord avec l'Assemblée nationale concerne la création d'un délit spécifique de harcèlement scolaire. Celui-ci aurait, selon Erwan Balanant, un objectif à la fois pédagogique, en affirmant un interdit clair, et statistique, en facilitant le suivi des plaintes. Le Sénat partage ces objectifs, que nos propositions permettaient de remplir. La Chancellerie nous a communiqué le nombre de plaintes pour harcèlement sur mineurs de moins de 15 ans : 35 en 2018. Elle est donc tout à fait capable de fournir des chiffres.

L'article 4 rétabli par l'Assemblée nationale durcit les peines applicables pour des faits de harcèlement scolaire. Nous proposions deux à trois ans d'emprisonnement et 30 000 à 45 000 euros d'amende ; l'Assemblée nationale, trois à dix ans et jusqu'à 150 000 euros. Or les harceleurs sont le plus souvent mineurs : les tribunaux n'appliqueront pas un quantum de peine aussi disproportionné. Quel message cela enverra-t-il aux victimes ? C'est un tigre de papier !

En outre, il pourrait y avoir rupture d'égalité, des faits aux conséquences similaires étant moins sévèrement punis s'ils sont commis par des jeunes du club de sport ou de l'établissement voisin... Sur le cyberharcèlement, l'incohérence est la même. Quel message envoyons-nous sur l'interdit sociétal ?

Le Sénat était ouvert à un compromis en CMP. Malheureusement, l'Assemblée nationale ne l'était pas.

Nous voulions que cyberharcèlement soit spécifiquement mentionné dans le texte. L'Assemblée nationale en a supprimé toute mention, hormis lors d'une sensibilisation annuelle des élèves et des parents. Ce serait une source de confusion, nous dit-on. Notre mission d'information a abouti à la conclusion contraire, et montré qu'il est urgent de s'attaquer à ce problème. Vous avez commencé à le faire, monsieur le ministre, avec le lancement d'une application. Souvent, ce harcèlement est à connotation sexuelle ou physique ; il vise d'abord les jeunes filles. Il se diffuse même à l'école primaire, avec l'abaissement de l'âge d'inscription sur les réseaux sociaux. Cela ne relève pas que de la sphère privée, l'institution scolaire est concernée au premier chef !

Il est nécessaire de développer le savoir-être plutôt que le savoir-faire, vite obsolète, de former et sensibiliser les personnels de l'Éducation nationale, les parents et les élèves.

Hasard du calendrier, vous avez annoncé le lancement de cette application dans le cadre du Safer Internet Day - alors même que l'Assemblée nationale rejetait ces dispositions.

Nous voulions faire figurer le mot de cyberharcèlement dans l'intitulé même du texte.

Vu les désaccords persistants, notre commission a jugé qu'un nouvel examen ne permettrait pas de rapprocher les points de vue. Nous vous proposons donc d'adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Kern applaudit également.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Avis défavorable.

Mme Toine Bourrat.  - Cette motion n'exprime pas une obstruction, mais une ambition déçue après l'échec de la CMP. Le Sénat avait enrichi le texte dans un souci d'efficacité. Le seul apport conservé concerne les assistants d'éducation, qui se verront proposer un CDI après six ans.

Le texte de l'Assemblée nationale ne prend nullement en compte le cyberharcèlement, alors que ce phénomène se développe : plus de 9 000 dossiers sont en cours d'instruction.

Pire encore, la définition du harcèlement scolaire retenue peut s'avérer dévastatrice pour l'autorité du maître et du professeur. C'est ouvrir une brèche, alors que l'autorité de l'institution scolaire s'effrite chaque jour davantage. Les abus prévisibles noieront les voix des vraies victimes dans un ballet de dénonciations hasardeuses.

Il nous fallait faire montre de responsabilité plutôt que de prolonger des débats. Dont acte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Colette Mélot.  - J'ai rappelé, en discussion générale, l'importance cruciale, à mes yeux, de la reconnaissance du cyberharcèlement, qui prolonge le harcèlement subi à l'école jusqu'au domicile de l'enfant, via sa tablette ou son smartphone. Il est grave que l'Assemblée nationale ait refusé de mentionner ce fléau.

En outre, la création d'un délit spécifique va à rebours des conclusions de la mission d'information sénatoriale, qui mettait l'accent sur le triptyque prévenir-détecter-traiter.

En dépit de ces réserves, nous voterons contre la question préalable. Nous sommes opposés de manière générale à ces motions qui interdisent le débat : le sujet méritait que l'on avance.

Mme Céline Brulin.  - Notre groupe votera cette motion. Je m'interroge sur les raisons véritables de l'échec de la CMP. Votre refus de justifier votre avis défavorable, monsieur le ministre, me laisse encore plus perplexe quant à vos motivations profondes, d'autant que ce n'est pas dans vos habitudes.

Personne n'ignore le fléau du harcèlement, en particulier à l'ère des réseaux sociaux : les jeunes n'ont plus un instant de répit ! Cela conduit à des drames.

Alors, comment lutter efficacement contre ce phénomène aux causes multiples ? Rien ne s'opposait à ce qu'on avance dans ce texte. Des propositions constructives ont été faites dans chacune des chambres, un consensus aurait pu être trouvé. Nous aurions gagné à montrer un front uni sur ce sujet.

M. Max Brisson, vice-président de la commission de la culture.  - La commission a travaillé dans le prolongement de la mission d'information ; nos positions étaient très bien étayées. Nous nous sommes aussi inspirés des positions exprimées par M. le ministre lors des débats sur la loi sur l'École de la confiance.

Nous regrettons l'impossibilité d'ouvrir le dialogue avec l'Assemblée nationale. Semble-t-il, le texte adopté par les députés était à prendre ou à laisser. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Paccaud, rapporteur.  - Je regrette également l'issue de ce débat, mais remercie ceux qui y ont pris part pour la sincérité de leur engagement.

Je déplore que le ministre n'ait pas exprimé sa position sur le sujet. Quelque chose me dit qu'elle n'a guère changé depuis 2019. Cette absence de réponse est regrettable. Le million de personnes qui travaillent pour l'Éducation nationale est mis en cause par l'article premier et vous restez silencieux. Nous connaissons pourtant votre engagement à défendre les professeurs... Je pense que vous devez être malheureux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains) Je vous répondrai donc. On ne peut pas toujours s'exprimer, mais je ne voudrais pas vous décevoir.

Je comprends les débats qui se sont tenus sur ce sujet. On peut regretter l'absence de consensus en CMP, mais il y avait des arguments valables de part et d'autre.

L'article premier vise à lutter contre le harcèlement dans tous les cas de figure : certains faits divers passés en illustrent hélas la pertinence.

J'entends également vos craintes quant à d'éventuels effets pervers, dans un contexte de judiciarisation excessive de la vie scolaire - contre laquelle je mets en garde.

Un terrain d'entente aurait sans doute pu être trouvé sur la distinction entre harcèlement et cyberharcèlement, même si ce dernier est bien évidemment pris en compte dans l'action du ministère.

Il existe des dispositions protectrices des enseignants, notamment à l'article premier de la loi pour une École de la confiance, contre les dénonciations calomnieuses. Tout ne peut être qualifié de harcèlement.

Je ne dévie pas d'un centimètre sur la protection due à nos professeurs et au personnel de l'Éducation nationale, qu'il n'est pas question de fragiliser. Nous comptons sur le corpus législatif, sur les dispositions réglementaires, sur la sagesse des acteurs et du juge pour assurer une bonne application.

Les effets pervers que vous redoutez pourront être contenus d'une autre manière.

À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°105 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 214
Contre 128

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi est considérée comme rejetée.

La séance est suspendue quelques instants.