Rapport annuel de la Cour des comptes

M. Gérard Larcher, président du Sénat.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes, ainsi que Mme la rapporteure générale près la Cour des comptes.

(M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, prend place au banc du Gouvernement, ainsi que Mme Carine Camby, rapporteure générale près la Cour des comptes.)

Même dans ces circonstances, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, c'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons ce matin à l'occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour. Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie pour votre présence.

Cet exercice constitue un moment d'échange privilégié et très attendu. Comme vous le savez, le Sénat attache une grande importance à la mission d'assistance du Parlement que notre Constitution confie à la Cour des comptes.

Pour la troisième année consécutive, comme nous y autorise la loi organique relative aux lois de finances, le dépôt de votre rapport donnera lieu à un débat au cours duquel tous les groupes politiques pourront s'exprimer. J'insiste sur ce point car c'est bien ainsi que notre contrôle démocratique doit s'exercer, dans le respect du pluralisme.

Cette année, votre rapport est consacré à la gestion de la crise sanitaire et aux actions mises en oeuvre pour lutter contre ses conséquences économiques et sociales.

Nous sommes, vous le dites vous-même, à un moment charnière pour nos finances publiques et notre modèle de croissance économique. Après le très fort recul de 2020, notre économie a rebondi en 2021 et a retrouvé à la fin de l'année dernière un niveau comparable à celui d'avant la crise. Il nous faut maintenant reprendre un chemin de croissance dynamique.

Mais cette crise et l'ampleur inédite des moyens déployés pour y faire face laisseront une empreinte profonde et durable sur le déficit et la dette publics. Cette situation appelle des efforts importants de redressement afin d'assurer la soutenabilité de nos finances publiques.

La pandémie a montré la grande réactivité et l'extraordinaire capacité de mobilisation de nos services publics ainsi que d'un grand nombre de secteurs d'activité. Mais elle a aussi révélé des vulnérabilités et des risques de dépendance forte vis-à-vis de l'extérieur, par exemple concernant notre capacité à fabriquer - et même à concevoir - des produits de santé. Enfin, elle a mis en lumière certaines faiblesses structurelles de notre modèle socio-économique.

Nous sommes impatients de vous entendre présenter vos analyses sur l'ensemble de ces sujets et vos propositions pour les temps à venir. Vos éclairages nous seront précieux.

Monsieur le président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes .  - Permettez-moi d'abord de m'associer à l'émotion unanime du Sénat devant la guerre qui frappe notre continent, et d'exprimer ma préoccupation concernant l'unité de l'Union européenne, à laquelle j'ai consacré une large partie de ma vie. L'unité, c'est aussi celle des institutions ; or la Cour est une institution de la République qui contrôle aussi les ministères régaliens. Nous sommes pleinement impliqués dans ce moment.

Merci pour l'accueil réservé à la Cour ; vous savez mon attachement aux liens qui l'unissent au Sénat. J'étais hier devant votre commission des affaires sociales pour une passionnante audition sur les Ehpad.

Ce rapport public annuel est le fruit d'un travail collectif accompli pendant une année charnière dans la lutte contre la pandémie. Dix-neuf chapitres thématiques le composent, précédés d'un chapitre introductif relatif aux finances publiques. Il ne s'agit pas seulement d'analyser nos comportements dans l'urgence, mais d'apprécier en profondeur notre résilience, notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées.

Face à la pandémie, les moyens publics déployés ont été d'une ampleur inédite. Si cette action était nécessaire pour préserver l'activité et nourrir la croissance à venir, elle pèsera durablement sur le déficit et la dette publics. Le nécessaire redressement des finances publiques exigera des efforts sans précédent de maîtrise de nos dépenses.

La reprise forte en 2021 s'accompagne d'un déficit élevé : 8,2 points de PIB, 7 points selon les dernières déclarations du Gouvernement, soit le double de son niveau d'avant crise. Quant à la dette publique, à 113 points de PIB, elle dépasse de 16 points son niveau de 2019.

Les dépenses publiques, 59,8% du PIB en 2021, en représenteront 55,7 % en 2022, soit deux points de plus qu'en 2019. Nous constatons depuis le début du siècle un effet de cliquet : les dépenses baissent après chaque crise, mais sans jamais revenir à leur niveau antérieur. Autant que les mesures de soutien, de nouvelles dépenses pérennes viennent dégrader nos comptes.

La hausse des recettes, portée par le rebond de l'activité en 2021, a été freinée par d'importantes baisses d'impôts en 2021 et 2022. Les prélèvements obligatoires augmentent respectivement de 5,1 et 4,6 %, soit moins que l'activité économique ; le taux de prélèvement obligatoire passe de 44,5 % du PIB en 2020 à 43,8 % en 2021 et 43,4 % en 2022.

Nous assisterons à un retour à la normale de la croissance, après le rattrapage de 2021. Elle sera encore de 4 % en 2022 mais devrait tomber à 1,6 % en 2023. Un ralentissement risquerait de fragiliser la confiance des investisseurs en aggravant la dette. Celle-ci est parfaitement soutenable, notre signature est forte, mais nos efforts pour la réduire seront observés : c'est une question de souveraineté.

Quelles pistes proposons-nous face à ce défi ? Le « quoi qu'il en coûte » était nécessaire dans une situation exceptionnelle, mais il faut maintenant traiter ses conséquences et nous réformer profondément.

La loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et la loi relative au Haut Conseil des finances publiques parachèvent notre constitution financière, je m'en réjouis.

Mais le travail n'est pas fini ; des réformes d'envergure doivent être entreprises : retraite, assurance maladie, politique de l'emploi, minima sociaux, politique du logement. Au niveau européen, le cadre de gouvernance des finances publiques doit être réformé avant la levée de la clause dérogatoire prévue en 2023. Il faudra rétablir des règles - pas les mêmes sans doute ; privilégier une approche pragmatique, par exemple en déterminant un taux d'endettement en fonction de la situation macroéconomique de chaque pays. Mais nous ne serons pas pour autant dispensés d'efforts.

Ce constat rapide posé, nous avons choisi de traiter de sujets sectoriels importants.

En dépit d'une anticipation insuffisante, nos services publics ont été globalement réactifs pour préserver le tissu économique. Ce rapport est aussi un coup de chapeau donné au secteur public. Malgré les contraintes, les acteurs publics ont su se mobiliser rapidement et moderniser leur fonctionnement.

La direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ont su gérer le travail à distance et numériser leurs procédures. Et ce, alors que seuls 27 % des agents de la DGDDI et 17 % des agents de la DGFiP étaient équipés d'ordinateurs portables en mars 2020. Entre cette date et juin 2021, ce taux a été porté à 81 %.

L'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse ont aussi été particulièrement réactives, alors qu'elles étaient peu préparées. La continuité du service a été assurée au prix d'une adaptation du fonctionnement, en milieu ouvert comme en milieu fermé. Nous émettons toutefois une importante réserve concernant la vaccination des détenus et du personnel pénitentiaire, qui n'a pas été considérée, à tort, comme prioritaire par le Gouvernement.

L'État a joué un rôle clé dans le soutien aux secteurs les plus affectés par la crise. Avec les prêts garantis par l'État (PGE), la France a mis en place des ponts de liquidité pour les entreprises à hauteur de 120,8 milliards d'euros. Le bon calibrage des PGE a été favorisé par une collaboration étroite entre les entreprises, l'administration et Bpifrance.

L'État est intervenu directement dans des secteurs spécifiques comme le secteur sportif, à hauteur de 20 milliards d'euros.

Des mesures fiscales exceptionnelles ont été mises en place pour soutenir la trésorerie des entreprises.

L'État a su assurer la fourniture de biens et services de première nécessité, tels que l'électricité et les transports. Saluons la belle coopération entre acteurs publics et privés sur l'électricité : prolongation de la trêve hivernale et soutien à EDF à hauteur de 960 millions d'euros.

Autre secteur clé : les transports. L'enquête de la Cour sur les transports collectifs en Île-de-France a montré que l'offre a été maintenue largement au-dessus de la fréquentation pour assurer le transport des salariés de première ligne dans le respect de la distanciation physique. Les très grosses pertes subies par la SNCF et la RATP ont été opportunément compensées par l'État.

C'est cette présence positive de l'État qui a permis de faire face à l'épidémie. L'État ne peut pas tout, mais dans des périodes dramatiques, il peut beaucoup.

En miroir de ces réussites, le rapport public annuel revient sur des dysfonctionnements. Tout n'a pas été parfait, nous le savons. Le ciblage a souvent été insuffisant, avec pour conséquence une moindre efficacité.

Le plan « Un jeune, une solution » s'est ainsi traduit par une expansion des moyens sur tout le territoire, y compris là où l'emploi des jeunes ne semblait guère dégradé.

Il y a des lacunes dans le pilotage de la politique du travail, avec une multiplication des opérations et une dissémination des financements.

Un mauvais calibrage peut aussi être dû à un manque de connaissance du terrain. Le soutien à la vie étudiante a été tardif, faute de données sur la population étudiante. Les politiques ont été fléchées vers les publics connus tels que les boursiers, laissant dans l'ombre de nombreux étudiants dont nous avons découvert la précarité.

Les chambres régionales des comptes mettent en lumière la difficile articulation des interventions des acteurs publics nationaux et locaux. L'exemple de l'Occitanie est de ce point de vue éclairant. Sur le terrain, l'effort de rationalisation est largement resté lettre morte. Dans les Hauts-de-France, la délégation de service public a dysfonctionné, les autorités accédant trop souvent aux demandes des délégataires sans contrôler leur bien-fondé.

Nous déplorons en outre que les aides accordées n'aient pas été assorties de précautions suffisantes pour éviter les effets d'aubaine et les fraudes. (Mme Catherine Di Folco renchérit.)

Mme Nathalie Goulet.  - Bravo !

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes.  - S'agissant des PGE, les risques d'optimisation doivent être contrés et le pilotage amélioré.

Les aides au monde sportif n'ont fait l'objet d'aucun contrôle. Il faut un véritable contrôle de gestion et d'audit au sein des fédérations.

L'État a agi avec volontarisme pendant la crise, parfois avec brio, parfois moins. Churchill disait : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Retenons cette leçon !

Enfin, notre système productif et notre modèle social souffrent de faiblesses structurelles que la crise a renforcées.

Les chaînes d'approvisionnement en produits de santé ont été mises à mal par la hausse brutale des besoins en médicaments et en masques. Les pénuries de médicaments ont exposé au grand jour notre dépendance aux importations. Il y va de notre souveraineté économique.

Il n'y a pas eu de pénurie alimentaire, malgré quelques paniques, mais les circuits de proximité sont insuffisamment développés : nous importons 53 % des fruits que nous consommons !

Notre modèle social, éprouvé, a résisté, mais il doit être consolidé. J'ai une pensée pour les 600 000 résidents de nos Ehpad. La pandémie y a causé 34 000 décès, soit 36 % des décès dus au Covid.

La Cour s'est penchée sur les problèmes de ces établissements, sur lesquels votre assemblée a beaucoup travaillé. Nous continuerons à apporter un éclairage spécifique sur l'évolution nécessaire de ce modèle. Il faudra aussi s'interroger sur la part respective des établissements et des familles : il n'y a que 100 000 résidents en Ehpad en Italie, contre 600 000 en France.

La transition écologique ne doit pas être oubliée. Un exemple : le modèle économique des stations de moyenne montagne des Pyrénées-Atlantiques n'est pas soutenable : d'ici vingt ans, il n'y en aura plus qu'une à bénéficier d'un enneigement naturel acceptable. Il faut agir dès maintenant pour faire de la France un territoire durable et résilient.

Nous devons aller vers des énergies davantage décarbonées.

Le rapport public annuel illustre les difficultés et les réalités du terrain.

Lorsqu'on aborde la crise sanitaire, il n'y a pas de petit sujet. Ce rapport dresse un tableau objectif de la France en sortie de crise, avec ses atouts et ses lacunes.

Nous espérons que 2022 marquera la fin du Covid-19. Nous devons nous adapter. C'est la nature de l'homme d'affronter les changements et les difficultés.

Jaurès disait : « il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, une confiance inébranlable dans l'avenir. » N'y voyez aucune nostalgie politique (M. Bernard Jomier ironise) mais un hommage à un grand penseur. Faisons advenir l'avenir !

J'aurai plaisir à vous revoir tout au long de l'année. Vous pouvez toujours compter sur la Cour et sur moi-même.

Monsieur le président, en application de l'article L. 143-6 du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de vous remettre le rapport. (M. le Premier président de la Cour des comptes remet un exemplaire du rapport à M. le Président du Sénat ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, applaudit également.) La remise du rapport public annuel est un moment important, symbolisant l'assistance de la Cour des comptes au Parlement - laquelle prend bien d'autres formes. Chaque année, la commission des finances mène des contrôles budgétaires dont certains s'appuient sur les travaux de la Cour. Hier encore, la commission a entendu les magistrats de la Cour sur les mesures de soutien à l'industrie aéronautique. La qualité de leur enquête, qui incluait des cahiers territoriaux, a été saluée.

Nous entendrons à nouveau la Cour début mars sur le plan de relance, puis avant l'été sur les dépenses de l'État outre-mer. Nous attendons en septembre 2022 les résultats de l'enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

Ce rapport public annuel dépeint une situation des finances publiques bien connue. Si nous sommes dans cette situation, c'est pour partie en raison de la crise sanitaire. Le fonds de solidarité et les mesures de soutien et de relance, pour 60 milliards d'euros en 2020 et 90 milliards d'euros en 2021, étaient nécessaires. Pour autant, nos finances publiques subissent également les conséquences des allégements de fiscalité, la perte durable de recettes dépassant 50 milliards d'euros. C'est exactement la somme que nous demande la commission Arthuis pour ramener le déficit à 3 % du PIB.

Sans cette érosion des recettes, notre dette aurait été inférieure de 6 points de PIB - soit 160 milliards d'euros, tout de même.

Les effets prétendument positifs de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), du prélèvement forfaitaire unique (PFU) ou de la suppression des impôts de production ne sont pas ou peu documentés.

J'entends la petite musique qui appelle à la maîtrise des dépenses publiques. Certains souhaitent même baisser encore les prélèvements obligatoires par des réformes structurelles dont on peine à saisir les contours.

Je suis attentif aux risques qui pèsent sur la soutenabilité de notre dette, mais notre principal objectif doit être de soutenir la croissance, le pouvoir d'achat des ménages et l'investissement. Une baisse des dépenses publiques aurait un effet très négatif sur notre économie.

Le rapport public annuel comporte des insertions thématiques qui font souvent écho aux observations des rapporteurs spéciaux.

Comme Vanina Paoli-Gagin, la Cour souligne que la pandémie a révélé une précarité ignorée des étudiants, notamment des non boursiers. Les mesures d'urgence ont été mal ciblées : le repas à un euro initialement réservé aux boursiers n'a été généralisé que fin janvier 2021. L'État doit améliorer sa connaissance pour être plus efficace.

La Cour évoque aussi les dysfonctionnements du plan « Un jeune, une solution », qui a certes substitué des CDI ou des contrats longs à des contrats courts, mais a eu un faible impact sur le taux d'emploi des jeunes. Une profusion de mesures ont été déployées, mais de façon insuffisamment coordonnée. Comme l'ont souligné Jean-François Husson et les rapporteurs spéciaux Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian, le contrat d'engagement qui remplace la garantie jeunes contribue à rationaliser cette politique, mais son introduction par voie d'amendement, sans étude d'impact ni débat parlementaire, reste entourée de fortes incertitudes.

S'agissant des grands aéroports français, la Cour pointe les limites d'un modèle reposant sur des prévisions de forte croissance du trafic. Cela rejoint le diagnostic de Vincent Capo-Canellas, qui relève l'impasse du modèle actuel des missions de sécurité et de sûreté aéroportuaire, assis sur une taxe affectée dont le faible rendement peut menacer l'équilibre financier des aéroports. Les avances remboursables ne font que repousser le problème. L'État devrait assumer les missions régaliennes sous forme de subventions.

Selon la Cour des comptes, les PGE sont un outil « simple, souple, rapide et massif ». Leur coût final est incertain et dépendra de la situation financière des entreprises.

Notre commission a commandé à l'Institut des politiques publiques une étude qui a mis en évidence le risque d'optimisation inhérent aux PGE. J'espérais que la Cour présenterait des éléments nouveaux.

Dans un titre spécifique, la Cour souligne la complexité du suivi des reports fiscaux et aménagements dits de bienveillance. Les reports d'échéance fiscale ont fait l'objet de faibles conditionnalités : absence de filiales dans un paradis fiscal, non-versement de dividendes. Mais il faudrait contrôler que ces conditions ont bel et bien été remplies. (Applaudissements sur plusieurs travées)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Victoire Jasmin applaudit également.) Dans le contexte actuel, les préconisations de la Cour prennent un relief particulier.

Malgré le fort rebond de l'économie française, notre pays était entré dans la crise avec un des plus forts déficits et n'en sortira pas en meilleure posture.

Les comptes de la sécurité sociale n'étaient pas revenus à l'équilibre lorsque la pandémie a éclaté et les perspectives sont inquiétantes.

Le 26 janvier dernier, Olivier Véran a estimé que les déficits cumulés des comptes sociaux pourraient dépasser les 300 milliards d'euros sur la décennie 2020-2030, soit 30 milliards par an. Cela dépasserait de 200 milliards d'euros le plafond du transfert à la Cades post - 2019. On comprend mieux le refus obstiné du Gouvernement d'inclure une règle d'or des comptes sociaux dans notre ordre juridique... Nous en reparlerons le 15 mars avec le ministre des comptes publics.

Vous avez rappelé les tensions importantes ces dernières années sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Nous avons tous en tête la pénurie de masques et les craintes sur le curare et le paracétamol. Le Sénat avait alerté en 2018 sur la recrudescence des ruptures de stock de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, qui risquent de déstabiliser notre système de soin et révèlent une perte de souveraineté sanitaire préoccupante.

Les obligations accrues des industriels dans ce domaine et la modification de la procédure de détermination des prix pour inciter au maintien de la production de médicaments anciens sont utiles mais insuffisantes. La Cour préconise de donner un rôle plus actif à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le Sénat y souscrit, mais il est aussi impératif de soutenir la relocalisation en France et en Europe.

Le rapport consacre également des développements aux personnes hébergées en Ehpad. Impossible de ne pas s'y arrêter, après l'émotion légitime suscitée par l'ouvrage de Victor Castanet. Notre commission a créé une mission d'information dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête sur ce sujet. Elle a reçu hier une étude de la Cour qui pointe le lourd bilan humain de la pandémie en Ehpad. Ce bilan n'est pas imputable à leur seule vulnérabilité, mais aussi au taux d'encadrement.

Nous travaillons de façon approfondie sur l'autonomie; et avons demandé à la Cour deux études sur ce sujet.

Les Ehpad les plus touchés sont ceux dont le taux d'encadrement infirmier et médical est le plus bas.

Les Ehpad privés commerciaux ont été significativement plus touchés que les autres structures lors de la deuxième vague de l'épidémie. Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur tout un secteur, mais de souligner la convergence des analyses : la question du taux d'encadrement et du personnel est cruciale.

Les cycles de travail et la formation doivent aussi être revus. Nous serons attentifs à la mise en place de solutions nouvelles.

La Cour souligne que le plan « Un jeune, une solution », initialement doté de 6,5 milliards d'euros, aura coûté plus de 10 milliards d'euros, dont 6 milliards pour les seules aides à l'embauche. L'emploi des jeunes a été préservé, leur taux de chômage a baissé tout comme la part de jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation.

Toutefois, le rapport est très réservé sur l'impact du plan « Un jeune, une solution ». Il montre qu'un changement d'échelle de la garantie jeunes fait perdre de sa substance au dispositif, déjà fragile en temps normal : moins de 20 % de sorties en emploi.

Cela doit nous inciter à la vigilance. Le nouveau contrat d'engagement jeune, qui cible 400 000 jeunes, ne devra pas être dilué dans une forme de RSA jeune. Il faut s'interroger sur la pertinence de ces outils comme réponse conjoncturelle à la crise et évaluer leur valeur ajoutée en termes d'insertion.

Merci au Premier président de la Cour des comptes pour la qualité de ses travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le rapport public annuel tire le bilan de la crise et de ses conséquences budgétaires, économiques et sociales. J'en partage les constats, pas forcément les préconisations. Depuis des décennies, on rabote, on rabote, tandis que le déficit public et la balance commerciale ne cessent de se dégrader.

Je déplore la brièveté du délai entre la remise du rapport et ce débat.

Notre déficit s'est considérablement aggravé, mais le chômage baisse, l'économie repart, le plan de relance a irrigué l'économie et la maintient à flot. Malgré des fermetures prolongées, les aides ont assuré la pérennité des entreprises. Mais, selon la Cour, elles n'ont pas été assorties de précautions suffisantes. Les contreparties n'existent pas réellement ; 33 % des bénéficiaires avaient peu ou pas mobilisé leur PGE et 24 % n'en ont dépensé qu'une faible part. Le Gouvernement doit éviter que cet argent ne se perde !

Le rapport s'attarde sur les collectivités territoriales d'Occitanie en soulignant le manque d'efficacité du soutien aux entreprises de la région et des départements, du fait de l'aide nationale. La multiplication des dispositifs a été peu propice à l'efficience, mais il ne faut pas oublier le caractère inédit de la situation. On ne peut blâmer la région des erreurs qui ont été commises. Ainsi, le soutien à l'aéronautique était nécessaire car ce secteur emploie 75 000 personnes en Occitanie. L'inaction aurait été une faute de la part de nos élus.

Une solution serait d'aller plus loin dans la décentralisation afin que nos collectivités territoriales puissent mieux soutenir les entreprises.

Le plan de relance a aussi considérablement alourdi l'endettement, ce qui ne laisse pas de m'inquiéter. La Cour des comptes préconise d'augmenter le prix de certains services aux particuliers ; mais il faut aussi s'attaquer à la réduction des déficits.

Il ne faut pas dépenser moins, mais mieux : un euro dépensé doit être un euro utile. À l'image des fuites dans les canalisations, les dépenses publiques se perdent en frais généraux. C'est pourquoi je préconise une règle d'or. Dépenser mieux signifie utiliser l'argent public pour atteindre le but recherché - soigner, instruire - et non financer une myriade de structures administratives.

La Cour chiffrera-t-elle un jour toutes ces dépenses paperassières qui nous paralysent ? Il nous faut moderniser nos administrations, décentraliser encore et encore, réindustrialiser la France pour améliorer notre balance commerciale. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le rapport public de la Cour présente des éléments sectoriels très intéressants. Je centrerai mon propos sur l'approche générale des finances publiques. Je partage l'avis de la Cour : la persistance d'un déficit structurel n'est pas viable, même si un redressement trop brutal des finances publiques après le « quoi qu'il en coûte » n'est pas souhaitable - c'est l'une des leçons de 2008.

Les hypothèses du Gouvernement se sont avérées si pessimistes qu'un déficit élevé, mais moins pire que prévu, est présenté comme une bonne nouvelle. Ce procédé est trompeur pour les citoyens comme pour le Parlement.

Il faut dépenser mieux ; mais est-ce toujours possible en dépensant moins comme le préconise la Cour ? Pour l'école, l'hôpital, les grands services publics, il est permis d'en douter.

L'érosion des recettes publiques inquiète. La question budgétaire ne peut faire abstraction de la capacité contributive des entreprises et des plus riches de nos concitoyens quand on voit l'aggravation des inégalités, l'explosion des profits et la baisse des impôts de production sans aucune conditionnalité. Il faut mesurer l'utilité de chaque niche fiscale qui grève nos comptes publics. À titre d'exemple, la réforme en profondeur du crédit d'impôt recherche s'impose.

La question des droits de succession revient sur le devant de la scène, c'est heureux : il s'agit d'endiguer la reproduction des inégalités de patrimoine.

Pendant cinq ans, le Gouvernement s'est entêté dans une politique de l'offre. Ajoutée à la pandémie, le résultat est là : déficit de cinq points du PIB et dette de 113,5 %. La pandémie y est pour beaucoup, mais la situation était déjà très dégradée avant la crise, le ruissellement étant resté un mythe. Il faut en finir avec le « en même temps » budgétaire qui reporte l'effort sur les générations futures. Les choix courageux ne doivent pas se limiter aux dépenses. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Didier Rambaud .  - Depuis 190 ans, la Cour des comptes remet chaque année son rapport public annuel, rendez-vous incontournable de notre vie démocratique et vigie financière de l'état de nos administrations. La Cour n'hésite pas à pointer les faiblesses de l'action publique, afin d'orienter l'État et les gouvernements qui se succèdent vers une meilleure efficacité des politiques publiques. Je rappelais l'an dernier les deux axes du travail de la Cour, qui saluait la réactivité inédite de nombreuses administrations publiques mais qui rappelait aussi de nombreux manquements. Cette année, son rapport présente des constats sans appel.

Il s'agit non seulement d'évaluer notre action dans l'urgence, mais d'apprécier notre résilience et notre capacité à remédier aux faiblesses structurelles que la crise a révélées ou accentuées.

Chaque crise crée un effet de cliquet sur les dépenses publiques ; à l'issue de la crise, les dépenses structurelles s'établissent à un niveau plus élevé qu'avant. C'était déjà le cas sous la présidence Sarkozy. Cela appelle une réponse structurelle : nous devons réformer l'État pour libérer pendant les phases de croissance des marges de manoeuvre budgétaires à utiliser en temps de crise, le tout sans menacer l'équilibre du système. Bruno Le Maire l'a rappelé devant notre commission des finances il y a quelques jours : retraite, assurance maladie, politique de l'emploi, il nous faut agir dans divers domaines comme nous y invite la Cour.

Les problèmes structurels dont nous souffrons trouvent leur origine dans des décennies d'incuries. Nous ne pouvions régler ces questions pendant la crise.

J'évoquerai les aides au secteur sportif et aux stations de moyenne montagne, qui me tiennent particulièrement à coeur.

Le secteur sportif souffre de longue date de son éclatement et de la multiplication des interlocuteurs institutionnels. Dans ce domaine, il nous faudra construire des outils de suivi au plus près l'action publique, pour plus de lisibilité. Le contrôle et l'évaluation des politiques publiques font partie de notre mission de parlementaires.

Quant aux stations de moyenne montagne, la crise a agi comme un révélateur de leur fragilité grandissante. Nous devons réinventer leur modèle économique et accompagner leur transformation. C'est toute l'ambition du plan Avenir montagne.

Un mot sur la gestion de crise dans les Ehpad : faiblesse de l'encadrement, vétusté des équipements, les lacunes sont nombreuses. Avec 14,3 milliards d'euros pour les personnes âgées cette année, l'effort de l'État est considérable, mais insuffisant. Il faut mieux piloter ce secteur laissé trop longtemps loin du contrôle de l'État, comme l'atteste le scandale Orpéa. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Aujourd'hui, nos regards sont tournés vers l'Ukraine et le Mali. Nous en oublierions presque qu'une pandémie bouleverse le monde depuis deux ans ; ce rapport public annuel rappelle douloureusement son impact sur nos finances publiques.

Tous les indicateurs ont été lourdement éprouvés par la crise. Le déficit, à 130 milliards d'euros, est deux fois plus élevé qu'en 2019, le taux d'endettement se stabilise à plus de 15 points au-dessus du niveau de 2019. Notre pays demeure le champion des prélèvements obligatoires et de la dépense publique. La France mettra des décennies à effacer de ses comptes les séquelles de la pandémie : nous paierons longtemps les mesures d'urgence. Le désendettement de l'État doit donc devenir une priorité politique ; il y va de notre souveraineté.

Hausse des dépenses, baisse des recettes ; ce scénario se répète à l'envi.

Les aéroports ont été fragilisés avec le coup d'arrêt brutal du trafic aérien. Leurs recettes se sont effondrées, et avec elles, les marges d'exploitation. Le soutien de l'État a été total, mais des plans d'économie ont été nécessaires. Le rapport met en évidence les limites du financement par la taxe d'aéroport des missions de sécurité et de sûreté. C'est d'autant plus grave que la santé financière des aéroports révèle le dynamisme de certains territoires : à La Réunion, l'aéroport Roland-Garros est un poumon économique. Notre île pourra-t-elle renouer des liens économiques et sociaux que la crise sanitaire a menacé de délier ? Notre groupe est convaincu qu'il faut revenir à la bonne gestion financière d'avant crise, mais pas au détriment de la croissance économique.

M. Vincent Segouin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie la Cour pour ce rapport éclairant. Si l'activité économique de la France a dépassé son niveau d'avant crise, le déficit structurel est sans précédent et la dette publique s'élève à 113,5 % du PIB, conséquence de la baisse des recettes et de la hausse des dépenses. Au sein de la zone euro, nous faisons figure de mauvais élève. L'Allemagne, elle, affiche une dette à 80 % de son PIB et un déficit structurel à 3 %.

Le Gouvernement a pour objectif de ramener le déficit sous la barre des 3 % de PIB, mais seulement en 2027. Trois voies existent pour conserver notre crédibilité : augmenter les prélèvements obligatoires, réduire les dépenses publiques, augmenter la croissance via la création de richesse. C'est là notre planche de salut ; le meilleur indicateur est la balance commerciale, dont votre rapport ne dit mot.

La France doit faire du mérite et du travail une priorité et cesser la politique mortifère de la désindustrialisation. Le déficit de la balance commerciale est un point noir ; Bruno Le Maire l'a corrélé au prix de l'énergie sans évoquer la politique énergétique désastreuse du Gouvernement, illustrée par la fermeture de Fessenheim. (M. André Reichardt s'en désole.) Nous avons cessé d'investir ; que de temps et d'argent perdus ! Cette politique à court terme ne sert pas les Français mais des intérêts électoraux.

Le pouvoir d'achat est défendu au détriment du travail et du mérite : 17 % des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études. Ils oublient qu'il faut travailler pour produire. (Mme Monique Lubin s'exclame.) Je m'inquiète pour notre avenir. Nos entreprises délocalisent ou se font racheter pour produire à bas coût à l'étranger. Nous continuons à les handicaper par un excès de normes et de surtranspositions.

Le Gouvernement répète qu'il a baissé les prélèvements obligatoires dans des proportions inédites depuis le début de la Ve République. Mais cette baisse n'a de sens que si les dépenses publiques sont réduites en même temps. Or cela n'a jamais été le cas, bien au contraire : 560 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, dont 165 milliards seulement sont liés au Covid !

La Cour préconise de réduire les dépenses publiques de 9 milliards supplémentaires par an. Pour cela, il faut réformer, mais ce n'est pas le fort de ce Gouvernement ; souvenez-vous des retraites ! Le Gouvernement ne pense qu'à court terme et renvoie les mesures impopulaires à ses successeurs.

Quant à la croissance, elle reste inférieure à la décroissance provoquée par le Covid. Et nous ignorons encore les effets de l'influence de l'Allemagne au sein de la BCE sur la hausse des taux d'intérêt, qui fera augmenter la dépense publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Au nom du GEST, nous voulons témoigner notre plein soutien et notre solidarité avec le peuple ukrainien victime de l'invasion russe.

Merci pour ce rapport public annuel. Nous ne méconnaissons pas l'importance de la question des finances publiques au lendemain de la crise.

Mais, comme l'a dit Claude Raynal, la situation serait bien différente si nous n'avions pas réduit les recettes fiscales au cours de ce quinquennat de 50 milliards d'euros !

Alors que la France affiche un taux de pauvreté inédit depuis 1979, selon l'Insee, je ne comprends pas les cinq priorités de redressement proposées par la Cour - assurance maladie, retraites, minima sociaux, politique de l'emploi, politique du logement - qui ne visent que les travailleurs, les pauvres et les demandeurs d'emploi. N'y a-t-il pas d'autres marges de manoeuvre ? Il faut en effet lutter contre le changement climatique en veillant toujours à la justice sociale.

Ces cinq dernières années, le Gouvernement a réduit les impôts des 1 % les plus riches et appauvri les plus pauvres de nos concitoyens. On a donné carte blanche aux plus « climaticides ». Oui, il y a d'autres options que de réduire les dépenses sociales : à quand une grande réforme fiscale avec un impôt climatique sur la fortune, une réforme de l'impôt sur le revenu favorable aux ménages modestes et qui demanderait davantage aux 10 % des ménages les plus aisés ?

Nous devrions être plus vigilants sur les dizaines de milliards d'euros hors crise -  on parle de 140 milliards d'euros annuels  - donnés aux entreprises sans que leur efficacité sur l'emploi ou sur le réchauffement climatique ne soit démontrée. Des subventions, des aides de décarbonation existent, mais combien de milliards donnés sans aucune exigence sociale ou environnementale ?

Le Gouvernement arrose le sable alors que nous devrions songer aux transitions à mener. Ces cinq pistes de redressement interrogent car nous devrions tout faire pour raffermir la cohésion par la justice sociale.

Lors de l'audition de Bruno Le Maire, je lui ai demandé où se feraient les coupes budgétaires ; il a répondu par la dématérialisation des services publics (Mme Monique Lubin le déplore). Or, l'illectronisme ne fait qu'accroître la fracture sociale. Il s'agit de fausses économies ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Éric Bocquet .  - Je me concentrerai sur la dette publique, devenue la clé de voûte de l'architecture budgétaire de la France ; gare à ceux qui s'affranchiraient des contraintes qu'elle génère ! Le 12 avril 2020, le FMI avait trouvé naturel que les gouvernements adoptent la stratégie du « quoi qu'il en coûte », à condition de bien conserver les factures...

Ce relâchement budgétaire fut une parenthèse. Les financiers estiment que la dette doit retrouver sa fonction de contrôle des peuples impécunieux et des États dispendieux.

En novembre 2019, lors du débat budgétaire, le ministre nous rappelait qu'avec un ratio de dette de 98,4 %, nous étions au bord de l'apocalypse. Six mois plus tard, nous avions atteint les 117 %. En 2004, François Bayrou disait : « S'il s'agissait d'une entreprise, la France serait au bord du dépôt de bilan ». La dette atteignait alors 66 % du PIB ... En 2007, Ségolène Royal jugeait elle aussi la dette publique insoutenable - elle était de 64,6 %. Nous en sommes à 115 %. Toutes les règles ont explosé ces deux dernières années.

Les marchés financiers qui nous prêtent devraient s'inquiéter, mais il n'en est rien. La France a emprunté 260 milliards d'euros en 2020, autant en 2021 et devrait en faire de même cette année. On nous expliquait pourtant il y a deux ans qu'il n'y avait pas d'argent magique...

France Trésor, le 21 février 2022, rappelait que le taux était de - 0,68 % pour les bons du Trésor à trois mois et de - 0,30 % pour les obligations à terme (OAT).

Quel étrange paradoxe entre l'inquiétude orchestrée et la quiétude des marchés financiers. Ces derniers sont-ils fous, incompétents, ou devenus philanthropes ? Sont-ils touchés par la grâce ? Je ne retiendrai aucune de ces trois options.

Le 20 janvier 2021, Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor, disait : « la France a un très bon crédit auprès des investisseurs. La dette française est une valeur refuge, un coffre-fort qu'elle fait payer. Un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités. Le coffre-fort, c'est la signature de l'État ».

La Cour des comptes estime qu'il faudrait plus de 9 milliards d'euros d'économies supplémentaires par an pour tenir la trajectoire du Gouvernement.

La Grèce, en 2010, a subi une purge budgétaire insupportable ; aujourd'hui, son ratio de dette est passé de 147,5 à 206,3 % du PIB. Cela fait réfléchir...

Jean-Pierre Raffarin, le 16 juillet 2011 estimait que, l'élection présidentielle ne dépend plus seulement des électeurs, mais aussi des prêteurs. Le sujet de la dette publique est bien une question éminemment politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le Premier président, je vous donne acte de votre constance. En juin 2021, vous aviez estimé que la soutenabilité de la dette publique constituerait un enjeu de souveraineté. Vous allez plus loin aujourd'hui, à juste titre. La dette publique s'est accrue de 560 milliards d'euros et son poids s'alourdit de 16 points.

La dégradation des finances publiques nous préoccupe. Vous livrez un chiffre : 9 milliards d'euros d'économies annuelles pour parvenir seulement à respecter l'objectif du Gouvernement. Encore s'agit-il d'une économie rapportée à la croissance des dépenses avant la crise...

La Cour estime qu'il faudra réviser la trajectoire des finances publiques en prenant en compte la crise sanitaire mais aussi les règles européennes, qui sont en cours d'évolution. Cette incertitude doit nous garder de tout laxisme.

Je vous invite à rappeler dès le début du prochain quinquennat les priorités à respecter.

Le groupe UC ne remet pas en cause le « quoi qu'il en coûte » mais il pèsera lourdement sur la dette et présente désormais un caractère structurel.

L'argent magique n'existe pas et les fonds devront être remboursés. La France doit assurer la soutenabilité de sa dette pour garantir sa souveraineté et sa crédibilité. La crise a mis en lumière la fragilité structurelle de son système productif et de son modèle social.

Le groupe UC s'associe aux recommandations de la Cour.

La Cour s'est penchée plus spécifiquement sur le financement des aéroports. Elle estime que la pandémie a mis fin à cinquante ans de croissance du trafic ; que l'État a tardé à prendre en compte ces difficultés financières ; que le modèle économique et les systèmes de régulation doivent être repensés. Nous sommes d'accord avec le président Raynal sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Alain Richard applaudissent également.)

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce rendez-vous, s'il est traditionnel, n'en est pas moins essentiel. C'est l'occasion de dresser un premier bilan des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire et d'ouvrir des perspectives à la veille d'une échéance électorale majeure.

L'augmentation des dépenses pèse naturellement sur les finances publiques. Le redressement des comptes ne saurait toutefois s'entendre sous le seul prisme de la réduction de la dépense. Toutes les dépenses ne se valent pas. Certaines sont indispensables pour préserver le tissu économique et social et préparer l'avenir.

Impossible de ne pas évoquer les recettes, fort allégées par les baisses d'impôts en cette fin de quinquennat.

Si le « quoi qu'il en coûte » a porté ses fruits à court terme, le Gouvernement a manqué de célérité et d'ambition sur la jeunesse. Le plan « Un jeune, une solution », qui devait être doté de 6,5 milliards mais dont le coût avoisinera les 10 milliards, n'a pas eu d'équivalent dans les pays comparables à la France. Pour autant, la Cour regrette le manque d'efficacité au regard des moyens mobilisés. Les mesures les plus coûteuses sont celles qui ont eu le moins de portée, comme les trois primes à l'embauche, qui représentent 70 % des montants engagés.

La Cour souligne un manque d'adéquation aux besoins des jeunes concernés et aux réalités territoriales. Le ciblage des dispositifs a été contre-productif pour les publics les plus éloignés des structures d'insertion. L'allocation jeunesse que nous proposions en janvier 2021 aurait été plus pertinente...

La crise sanitaire a affecté le quotidien des étudiants. Les files d'attente devant les banques alimentaires symbolisent crûment la précarité de nos jeunes. La Cour juge sévèrement la politique de soutien à la vie étudiante, pointant la méconnaissance de la situation de la part du ministère.

Nos voisins européens, plus réactifs, ont versé des aides aux étudiants les plus vulnérables dès le début de l'été 2020. En France, il a fallu attendre six mois de plus. Certains dispositifs n'ont pas atteint leur cible, comme l'aide à la perte d'emploi de 200 euros, qui n'a bénéficié qu'à 23 500 jeunes sur les 500 000 potentiellement concernés, en raison de critères trop restrictifs.

Nous ne partageons pas toutes les recommandations de la Cour, notamment sur les réformes structurelles, mais celles sur la jeunesse méritent toute notre attention. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, MM. Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comme chaque année, la présentation de ce rapport est un moment important de notre démocratie. Personne ou presque ne s'inquiète de la situation de nos finances publiques. Pourtant, le rapport de la Cour des comptes illustre le déclassement de la France, devenue un facteur de risque pour la cohésion de la zone euro.

La Cour prône une grande rigueur pour ramener le PIB sous les 3 %. Mais ce n'est pas l'orientation du Gouvernement, qui refuse une règle d'or budgétaire.

On ne peut plus répondre à un problème ou à l'inflation par des chèques. Ce rapport lance un avertissement à tous les candidats à l'Élysée. Il faudrait 9 milliards d'euros d'économies supplémentaires par rapport à la trajectoire d'avant-crise pour redresser les comptes.

Or si l'Allemagne a rappelé son attachement au pacte de stabilité, la France n'enverra sa copie qu'après les élections... L'écart persistant avec nos partenaires impliquera plus d'efforts de redressement à partir 2023 -  le mur de la dette approche, avec une hausse inéluctable des taux. Nous sommes ce matin des lanceurs d'alerte. Hélas, le « quoi qu'il en coûte » et les bruits des bottes nous rendent inaudibles...

Cette année, le niveau de dépense publique s'établit à 55,7 % du PIB ; les dépenses hors crise augmentent de 11 milliards d'euros en 2021 et de 8 milliards en 2022, ce qui place la France parmi les cancres de la zone euro, de ceux dont le ratio de dette et le déficit structurel sont le plus élevés.

La France est en plein déclassement. Malgré le dopage à la dépense publique, nos politiques publiques sont trop souvent erratiques et inefficaces, même sur des sujets prévisibles comme le vieillissement de la population, comme en témoigne le traitement réservé aux Ehpad.

Déclassement, dépassement, redressement sont des mots trop peu présents dans le débat public.

La crise a pourtant montré qu'en sortant des carcans, nos services publics savent répondre aux besoins.

À nous de réformer un modèle aujourd'hui dépassé et inefficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Le rapport public annuel est excellent. (Sourires et marques d'approbation) Il dresse un constat juste et accablant pour le Gouvernement. Il alerte sur le grand déclassement de notre pays, encore aggravé par la gestion de la crise sanitaire. Les dépenses, y compris pérennes, ont continué d'augmenter fortement. La baisse de recettes n'a pas été compensée par de la création de richesse mais financée à crédit.

Notre pays fait clairement partie du Club Med des pays du sud de l'Europe à la situation budgétaire catastrophique. Nous sommes très loin du club des pays sérieux, où, curieusement, la croissance est plus forte, le chômage moindre, le commerce extérieur en bien meilleure santé. Il n'y a pas de secret...

Le rapport pointe la vulnérabilité de notre pays dans la production de produits de santé. Nous avons reculé à la sixième place, quand nos voisins progressaient, Allemagne, Suisse, Italie, Irlande. Nous n'avons pas été capables de produire un vaccin contre le coronavirus.

Là comme ailleurs, le diagnostic et les solutions sont connus mais nous ne les mettons pas en oeuvre.

Toute l'économie française décline. Le déficit commercial est de 85 milliards d'euros. On annonce 100 milliards d'euros pour 2022.

Hors luxe, beaucoup de nos fleurons industriels sont en difficulté : l'automobile -  la France n'a jamais produit aussi peu de voitures...

M. Éric Bocquet.  - Elles sont produites en Chine !

M. Vincent Delahaye.  - ... mais aussi l'agroalimentaire, le nucléaire, dans lequel nous n'avons pas assez investi (Mme Brigitte Devésa approuve), au point que nous importons de l'électricité issue du charbon.

M. Gérard Longuet.  - Exact !

M. Vincent Delahaye.  - La réindustrialisation ne doit plus être un slogan mais une réalité. Il faut cesser de distribuer des chèques aux électeurs, sans création de richesse, et rendre le travail, la création et l'innovation plus attractifs. Toute baisse d'impôt doit être gagée sur une diminution de la dépense.

Je suis en désaccord sur un point avec la Cour : il ne faut plus parler de « maîtrise » de la dépense mais bien de « réduction ». Nous avons de la marge !

M. Éric Bocquet.  - Où ça ?

M. Vincent Delahaye.  - Félicitations, monsieur le Premier président, pour vos recommandations sur la lutte contre la fraude.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Vincent Delahaye.  - Inflation, hausse des taux d'intérêt, facture énergétique : les prévisions du Gouvernement devraient intégrer les dangers pointés par la Cour des comptes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2017, le candidat Macron promettait d'investir dans l'avenir en facilitant la vie des étudiants et en réformant des bourses. Cinq ans plus tard, la crise a révélé la précarité de certaines catégories d'étudiants, les non-boursiers notamment. Les mesures de soutien ont perdu en efficacité car le ministère manque de données pour les définir correctement.

La Cour des comptes regrette que la refonte des bourses qu'elle préconisait en 2015 n'ait pas eu lieu et formule de nombreuses critiques.

Selon un syndicat étudiant, rien n'a été fait sur le sujet depuis cinq ans alors que le Gouvernement ne cesse d'en parler. Frédérique Vidal a osé dire que le Gouvernement était « prêt conceptuellement » à revoir le système d'attribution mais que rien ne serait prêt avant la fin du quinquennat. Nous revoilà en 2017 !

Quant au plan « Un jeune, une solution », il coûtera 10 milliards d'euros. En juillet dernier, Élisabeth Borne en fêtait le premier anniversaire, estimant qu'il avait porté ses fruits. Or selon la Cour des comptes, ses mesures n'ont pas eu d'impact réel sur l'emploi des jeunes ; la forte progression des contrats l'apprentissage a essentiellement profité aux étudiants les plus diplômés qui n'ont pas de difficultés à s'insérer et la hausse des CDI et CDD a été compensée par la baisse de l'intérim : il n'y a pas eu création d'emplois nouveaux.

Les dispositifs consacrés aux publics les plus fragiles, les NEET, ainsi que les parcours emploi compétences, n'ont pas atteint leur cible.

Notons que la garantie jeunes a été supprimée avant même d'être évaluée.

Sans transition, j'en viens aux personnes âgées. La Cour des comptes regrette que les réformes structurelles nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale en Ehpad n'aient pas été engagées, malgré un soutien financier considérable. Il eût fallu agir sur les conditions de travail des personnels, mieux articuler Ehpad et filières de soins, fixer un cadre national précis pour conditionner l'attribution de concours financiers à la réalisation d'investissement dans les Ehpad.

On lit en filigrane dans le rapport la critique du renoncement du Gouvernement à présenter une loi sur le grand âge et l'autonomie, annoncée en 2018, qualifiée par Édouard Philippe de « marqueur social », et pourtant définitivement enterrée en 2021. Des apports financiers, même importants, ne créent pas un projet de société.

Ce rapport ouvre des perspectives de meilleure efficacité de la dépense publique : soyez-en remercié, monsieur le Premier président. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes .  - Je vous remercie pour votre participation à ce débat. Que le Sénat organise un tel débat plutôt que de réagir à chaud permet d'aller au fond des sujets. La diversité des points de vue exprimés reflète vos convictions et engagements politiques.

S'agissant des finances publiques, la position de la Cour ne doit pas être caricaturée. Nous sortons d'une crise économique de grande ampleur, liée à la crise sanitaire, avec des finances publiques très dégradées. Elles l'étaient déjà avant la crise. C'est un sujet avec lequel nous avons rendez-vous.

La Cour ne fait pas de la dette un totem ou un tabou, ne prône ni l'austérité, ni le retour à l'ordre ancien, ni un ordre nouveau. Elle souligne des problèmes objectifs qui justifient une stratégie de finances publiques qui marche sur ses deux pieds. Il faut davantage de croissance, et partant, des investissements car nous avons des retards à combler, une place à tenir, une compétitivité à consolider. Hier, devant votre commission des affaires sociales, je soulignais qu'il y aurait des dépenses à réaliser dans les Ehpad.

Mais il faut traiter aussi la pente de notre dette, ce qui passe par une maîtrise de la dépense publique. Il y a des secteurs sur lesquels nous dépensons beaucoup plus que nos partenaires européens pour une performance inférieure : on peut dépenser mieux et dépenser moins.

Les marchés regarderont la façon dont nous traiterons cette question : la dette publique ne sera pas annulée, mais elle peut être bien gérée.

Je salue l'excellence de notre coopération avec le Sénat. Des rapports nous ont été demandés par la commission des finances sur divers sujets, tels que le financement des collectivités territoriales ou l'adaptation du parc nucléaire, et par la commission des affaires sociales, sur Santé publique France ou le 100 % Santé. La présentation, en juin, du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques sera l'occasion de faire le point en nous projetant dans une nouvelle mandature.

Nous travaillerons à l'avenir sur beaucoup de questions qui intéressent la Haute Assemblée. Le thème de notre rapport public annuel pour 2023 a été arrêté : il portera sur l'organisation territoriale.

Je me réjouis de l'accord en CMP sur la loi 3DS, qui permettra aux chambres régionales des comptes de procéder à l'évaluation des politiques publiques locales. C'est un véritable changement de culture.

J'aurai plaisir à revenir souvent devant vous pour éclairer le débat public par des éléments chiffrés, objectifs, des analyses, réfutables bien sûr, mais qui visent à mieux gérer la dépense publique, ce qui demeure un impératif catégorique. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE et du GEST)

M. le président.  - Merci. Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

La séance est suspendue à 12 h 40.

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.