Choix du nom issu de la filiation (Nouvelle lecture - Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Catherine Di Folco .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous légiférons sur une matière grave, intime et complexe. Toucher au nom, c'est toucher à un marqueur essentiel de l'identification d'une personne, de son histoire et de sa descendance.

Le nom évolue, reflétant les évolutions de nos vies - naissances, mariages, ruptures, décès. Le droit des personnes ne doit être modifié que prudemment, quelles que soient les douleurs vécues - des douleurs que nous comprenons, monsieur Bourgi.

Il convient d'assouplir notre droit dans certaines circonstances. Mais on ne peut changer nos règles communes sur de tels sujets dans la précipitation ou l'émotion. À cet égard, je regrette les conditions d'examen de ce texte.

Nous avons recherché un équilibre entre la stabilité du nom et les libertés individuelles, avec pour seul guide l'intérêt supérieur de l'enfant. Je salue le travail mené par notre rapporteur.

Nous avons suivi le Gouvernement s'agissant de l'adjonction unilatérale du nom, mais aussi à l'article 2, sous réserve de ne pas banaliser la procédure, car changer de nom n'est pas anodin.

La procédure actuelle est certes dysfonctionnelle et lourde. Mais nous regrettons que le texte transfère cette responsabilité aux mairies. Nous aurions préféré un arrêté ministériel.

Les divergences profondes avec le Gouvernement et Assemblée nationale sur la situation des mineurs et la décentralisation de la procédure ont conduit à l'échec de la CMP. Nous regrettons, monsieur le ministre, qu'aucun pas n'ait été fait en direction du Sénat. Vous souhaitiez un texte consensuel et progressiste : il n'y a eu de consensus qu'avec votre majorité et, au bout du compte, le texte a été bien peu enrichi.

Constatant qu'il n'y a plus lieu de poursuivre le débat, le groupe Les Républicains votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - Il me paraît impossible de monter à cette tribune sans condamner l'agression insoutenable de la Russie contre l'Ukraine. La France et l'Europe doivent agir vite et fermement contre Vladimir Poutine.

Je salue le travail de notre rapporteur sur ce texte, qui, comme ma collègue Mélanie Vogel l'a souligné en première lecture, s'inscrit dans le combat féministe contre des dominations qui, on le sait, ne s'estompent pas d'elles-mêmes.

Il était une occasion de rendre la loi plus juste. Contraindre les femmes à renoncer à leur nom revient à les invisibiliser. Changer de nom devrait être une simple formalité.

Hélas, la majorité sénatoriale refuse la substitution du nom d'usage, l'adjonction unilatérale du nom de l'autre parent, la procédure simplifiée en mairie.

Décentraliser la procédure désorganiserait les services municipaux ? Il y a près de 35 000 communes, et seulement 4 000 personnes ont demandé à changer de nom en 2020... On est loin d'une submersion !

Les mères célibataires doivent sans cesse prouver que leur enfant est le leur, pour l'inscrire au judo ou prendre l'avion. Là encore, la majorité sénatoriale refuse d'examiner le problème de fond : l'invisibilisation des femmes.

Favorables à ce texte, nous voterons contre la motion.

Mme Éliane Assassi .  - Les divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat ont conduit à l'échec de la CMP. Les jugeant insolubles, la commission a déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Nous voterons contre cette motion, car nous étions favorables au texte initial.

Nous déplorons l'absence d'étude d'impact sur ce texte, mais les revendications des 40 000 signataires de la pétition dont ce texte est issu doivent être entendues.

Un nom, en effet, ce n'est pas rien - je vous fais grâce de mon histoire personnelle, car ce n'est pas le lieu. Notre nom nous caractérise comme personne, membre d'une famille, d'une généalogie, d'une histoire. On peut en être fier ou en rougir. Parfois, il relève d'un traumatisme : certains noms sont comme une ombre sur le quotidien.

Le changement de nom est possible, sur justification. Il convient de simplifier la procédure.

Le texte prend en compte l'intérêt supérieur de l'enfant en facilitant le double nom et en évitant que des combats judiciaires soient engagés.

L'argument de la charge supplémentaire pour les mairies ne tient pas, car c'est de toute manière l'officier d'état civil qui porte les changements sur les actes dont disposent les mairies.

Les souffrances à l'origine d'une telle démarche s'inscrivent souvent dans un contexte d'inégalité entre les femmes et les hommes. Les mères ne transmettent pas leur nom à ceux à qui elles donnent la vie. Quant aux pères, nombre d'entre eux restent, parfois bien malgré eux, ancrés dans des archétypes patriarcaux. Cette forme d'invisibilisation des femmes devrait être révolue !

Nous avons bon espoir que l'Assemblée nationale adopte dans sa version initiale ce texte de liberté, dont le caractère progressiste est évident.

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.) Cette proposition de loi est attendue par nombre de nos concitoyens, désireux de changer de nom, pour de multiples raisons.

Il faut, en effet, simplifier la procédure, mais nous ne sommes pas d'accord sur la méthode proposée par les députés, s'agissant notamment de la substitution du nom d'usage pour les mineurs.

La position du Sénat est plus mesurée que celle de l'Assemblée nationale sur le changement de nom de famille. Par ailleurs, les députés veulent transférer la charge de la procédure sur les communes. Un accompagnement financier est-il prévu ?

L'informatisation du traitement des dossiers n'est toujours pas d'actualité au ministère ; en 2018, la Défenseure des droits le déplorait déjà.

Je ne puis que regretter une occasion manquée au regard du travail de notre rapporteur et du peu de différences de fond entre nos positions respectives. Mais pour qu'une négociation ait lieu, il faut que les deux parties y soient ouvertes...

Le groupe UC votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Guylène Pantel .  - Derrière un nom se noue l'intimité des familles, souvent heureuse mais parfois dramatique. On pense à ceux qui sont obligés de porter le nom d'un parent absent ou maltraitant.

Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut changer de nom de famille, mais la procédure est longue et complexe. Les règles sont plus souples pour le nom d'usage.

Je ne vois aucune raison de ne pas assouplir le droit en vigueur en supprimant l'obligation d'intérêt légitime. Nous soulagerions ainsi bien des souffrances.

Ce texte défend les enfants et nous regrettons sur ce sujet la position de la majorité sénatoriale, pourtant prompte à invoquer l'intérêt supérieur de l'enfant. Oui, il faut garantir aux mineurs un cadre stable, mais ce texte ne retire rien à personne, comme mon collègue Henri Cabanel l'a souligné en première lecture.

Nous ne voterons donc pas la motion déposée par la commission, d'autant que, par principe, nous sommes attachés à ce que les débats puissent se tenir.

La discussion générale close.

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°1, présentée par Mme M. Mercier, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi n°529 (2021-2022), adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au choix du nom issu de la filiation.

Mme Marie Mercier, rapporteur .  - J'ai largement expliqué les raisons qui ont motivé le dépôt de cette motion. Il s'agit de prendre acte de la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons, malgré les avancées obtenues par le Sénat.

Je regrette les conditions d'examen de ce texte et l'échec de la CMP. Nous n'irons pas au bal, faute de jolie robe, et vous danserez sans nous... (Sourires)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je suis défavorable à cette motion et fort marri d'avoir à danser seul, hypothèse à laquelle je n'aurais jamais songé... (Nouveaux sourires)

M. Philippe Bas.  - Nous avons avec l'Assemblée nationale un désaccord de méthode, qui ne justifie aucun anathème - mais vous vous êtes rattrapé à la fin de votre propos, monsieur le garde des Sceaux, ce dont je vous remercie.

Si la Chancellerie y mettait les moyens, elle pourrait simplifier et accélérer les changements de nom. Mais l'habitude déplorable a été prise, notamment au ministère de la Justice, de vouloir modifier la loi quand l'administration n'est plus capable d'assurer correctement un service public.

Je ne partage pas le postulat étrange selon lequel un changement de nom pourrait effacer un traumatisme profond. Dans la plupart des cas, l'effet placebo ne tiendra pas lieu de thérapie.

Au surplus, ce type de proposition de loi ne prend en compte qu'une partie des personnes qu'il convient de protéger. Je pense aux enfants, pour lesquels un changement de nom peut être perturbant. La convenance des mères est une chose ; mais il y a aussi la protection des plus vulnérables, et c'est de ce côté que je me tiens.

La modernité n'est pas plus une vertu que la fidélité à des principes fondamentaux. Monsieur le garde des Sceaux, vous avez agi trop vite et de manière trop simpliste ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'heure n'est pas à la polémique.

M. Philippe Bas.  - Alors, pourquoi me répondez-vous ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'ai souvent eu l'honneur de vous répondre sans polémiquer. Il m'est même arrivé de vous complimenter - sans doute pas de manière assez appuyée, puisque vous l'avez oublié...

La procédure actuelle est longue et coûteuse. Il faut prendre un avocat et se justifier auprès de l'administration. D'où cette loi de simplification et de liberté. Par les temps qui courent, on a rarement affaire à un tel texte.

Vous dites que je me suis rattrapé. En réalité, je n'ai pas eu à me forcer pour dire l'affection que j'ai pour le Sénat.

Il y a ceux qui souhaitent avancer sur ce texte et ceux qui auront freiné des quatre fers. Il y a les forces vives, qui s'adaptent à la famille moderne et ceux qui ont une conception traditionnelle, et même traditionaliste, de la famille.

Je maintiens que nous avons manqué une occasion de faire oeuvre utile - ce n'est pas une bien grande polémique.

À la demande de la commission des lois, la motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°116 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 203
Contre 130

Le Sénat a adopté.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - J'ai cru comprendre que le bal allait bientôt s'arrêter. Je redis que sur le fond nous sommes d'accord sur l'objet du texte ; nous avons simplement un désaccord de méthode. Dont acte.

Merci au garde des Sceaux pour la qualité du dialogue entre la commission des lois du Sénat et la Chancellerie. Le dialogue est permanent et de qualité; je pense à l'initiative d'Annick Billon, qui a abouti à une avancée réelle, ou au texte sur la dignité en prison. Quand on fait preuve d'un peu de bonne volonté, on obtient des résultats ! (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.