Déclaration du Gouvernement sur la politique énergétique de la France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la politique énergétique de la France.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - L'énergie est au coeur de notre quotidien, et chaque transition énergétique a porté avec elle des changements majeurs. Nous en vivons une, que nous devons mener avec détermination, rapidité et  justice : faisons-en une opportunité pour nos vies, notre économie et notre planète.

Cette transition est impérative. Dès 2018, le Président de la République chargeait RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, d'étudier les scénarios devant nous. À Belfort, en février dernier, il présentait une stratégie énergétique pour notre pays.

M. Jean-François Husson.  - Et depuis, plus rien !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Puis la Russie a agressé l'Ukraine, déclarant la guerre à nos valeurs. Le Kremlin est prêt à toutes les exactions, toutes les menaces, tous les chantages. Parmi eux, l'arrêt quasi-total des livraisons de gaz russe, qui nous fait risquer une pénurie et provoque une explosion des prix de l'énergie.

S'ajoutent les tensions sur le pétrole, conséquences de la guerre en Ukraine et du refus de l'Opep d'augmenter la production ; et sur notre production d'électricité, une part de notre parc nucléaire étant à l'arrêt pour maintenance. Sans oublier la sécheresse, qui limite notre production d'hydroélectricité.

D'où la nécessité d'accélérer notre transition énergétique, de sortir des énergies fossiles, de décarboner nos modes de vie et de conquérir notre indépendance. La responsabilité est collective.

Face à cette situation critique, notre premier devoir est de répondre à l'urgence, pour traverser l'hiver sans difficulté.

Dès cet été, nous avons porté nos stocks de gaz à 100 %. Nous avons diversifié nos approvisionnements en nous tournant vers la Norvège, l'Algérie et les États-Unis. Nous avons augmenté la capacité de nos terminaux méthaniers, dont un est en construction au Havre, faisant de notre pays une des principales portes d'entrée du gaz en Europe. Nous pourrons ainsi exporter du gaz vers l'Allemagne, et nos voisins nous fourniront en retour l'électricité dont nous aurons besoin.

M. Cédric Perrin.  - De l'électricité carbonée !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Malheureusement, une part importante de notre parc nucléaire est indisponible,...

M. François Bonhomme.  - Quelle surprise !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - ... du fait du rattrapage de maintenances non effectuées pendant la crise sanitaire, et d'un problème de corrosion sous contrainte qui conduit à fermer douze réacteurs. Les réacteurs redémarreront d'ici février. Je fais confiance à EDF pour respecter ce calendrier.

Grâce à notre action, à la solidarité européenne et à la sobriété, nous éviterons les pénuries.

Les factures d'énergie explosent partout en Europe. Nous avons agi très tôt, avec le bouclier tarifaire qui a bloqué les prix du gaz et limité la hausse de l'électricité. Nous le prolongeons, avec une limitation à 15 % de la hausse du gaz pour les ménages, les très petites entreprises et les plus petites communes. Sans bouclier, les prix auraient doublé.

À ces mesures, les plus protectrices d'Europe, s'ajoute le chèque énergie exceptionnel pour les 40 % de Français les plus modestes.

Nous avons demandé la transparence aux fournisseurs d'énergie. Nous voulons garantir qu'aucune collectivité, aucune entreprise ne se retrouve sans fournisseur. Nous voulons les protéger contre les offres abusives, grâce aux indicateurs de prix publiés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Nous améliorerons aussi les aides aux entreprises les plus consommatrices.

Pour les collectivités territoriales les plus en difficulté, le filet de sécurité voté par le Parlement pour 2022 sera mis en place au plus vite et les acomptes versés d'ici la fin de l'année ; je souhaite qu'il soit prolongé en 2023 et étendu à toutes les collectivités.

Avec le ministre de la cohésion des territoires, j'ai décidé de porter la hausse de la DGF de 210 à 320 millions d'euros. Avec cette hausse, la première en treize ans, 95 % des communes verront leur DGF se maintenir ou augmenter. Je le dis clairement : aucune collectivité territoriale, aucune entreprise ne sera laissée dans l'impasse.

Au-delà de ces mesures, nous sommes au front pour faire baisser les prix de l'énergie, dont le niveau est déraisonnable au regard des coûts de production ; ils sont tirés vers le haut par des craintes excessives de pénurie et la spéculation. Nous voulons les ramener à la raison.

Nous y travaillons d'abord en Européens. L'obligation de remplissage à 80 % des stocks de gaz à l'échelon européen a été dépassée, et des règles de solidarité entre États s'appliqueront en cas de pénurie de gaz.

Le conseil des ministres de l'énergie a adopté un règlement autorisant chaque État membre à demander une contribution de solidarité aux entreprises du secteur fossile et à taxer les bénéfices exceptionnels des producteurs d'électricité.

Il faut aussi agir sur les prix. Le Président de la République a participé vendredi dernier au Conseil européen de Prague, largement consacré à l'énergie. La Commission européenne doit nous proposer des réponses lors du Conseil européen des 20 et 21 octobre.

Il faut faire bloc face à la Russie, mettre en place des achats groupés, permettre aux États et aux entreprises d'agir de concert.

Nous étudions deux pistes pour ramener les prix du gaz à un niveau raisonnable : un prix plafond pour tout le gaz consommé, ou un élargissement du dispositif qui a permis de diviser par trois le prix de l'électricité en Espagne, en plafonnant le prix du gaz servant à produire de l'électricité.

Plus largement, la crise nous incite à réformer profondément le marché européen de l'électricité. Les années à venir seront difficiles, notamment pour l'approvisionnement en gaz. Ne soyons pas naïfs.

Toutes ces mesures sont essentielles pour nous permettre d'affronter la situation dans la durée.

Au-delà de l'urgence, il faut préparer l'avenir. Les énergies fossiles sont néfastes pour la planète, nous exposent à des fluctuations de prix majeures et sont une source de fragilité pour notre souveraineté : nous devons sortir de la dépendance, nous en émanciper. C'est le cap fixé par le Président de la République à Belfort début février. C'est une question de souveraineté, de maîtrise des prix également.

C'est aussi un impératif climatique : sortir des énergies fossiles est le meilleur moyen d'atteindre la neutralité carbone en 2050. C'est enfin une protection pour les ménages, les collectivités et les entreprises.

Pour cela il faut un plan, des moyens et des rendez-vous. Il faut que tous se mobilisent. C'est le sens de la planification écologique dont j'ai la charge.

Notre stratégie repose sur trois piliers : sobriété, production d'électricité décarbonée assise sur le renouvelable et le nucléaire et développement de nouvelles sources d'énergie, comme l'hydrogène.

La sobriété, d'abord. Ce n'est pas la décroissance, mais baisser un peu la température, décaler ses usages et éviter les consommations inutiles. C'est aussi la décarbonation de l'industrie ou la rénovation énergétique des bâtiments. La sobriété, c'est une source d'économies pour tous. Chacun doit en prendre sa part.

Sous l'égide de la ministre de la transition énergétique, les sources d'économie ont été identifiées secteur par secteur, et nous avons pu présenter un plan de sobriété complet et ambitieux qui réduira notre consommation énergétique de 10 % d'ici deux ans.

Il ne comporte pas de mesures coercitives, car la responsabilité collective est le meilleur chemin pour réussir. C'est ainsi que chacun identifiera les actions les plus efficaces, et que nous emporterons l'adhésion.

La sobriété ne s'arrêtera pas à la fin de l'hiver. Nous visons une baisse de 40 % de notre consommation d'énergie d'ici 2050. La sobriété doit s'inscrire dans la durée, et ce plan n'est qu'un point de départ.

Deuxième axe, le développement du nucléaire et du renouvelable. Le rapport présenté par RTE nous présente différents scénarios. Il nous faut produire plus d'électricité pour répondre aux nouveaux usages -  60 % de plus qu'aujourd'hui en 2050.

Certains ne jurent que par le nucléaire, d'autres veulent fermer les centrales. Nous choisissons de suivre les experts, pas les idéologues. Nous cherchons ce qui est efficace pour notre production d'énergie, bon pour notre économie et protecteur pour la planète. (Ironie à droite)

La crise actuelle révèle que dans les moments de tension, même les apports qui semblent faibles sont parfois décisifs. Il faut donc avancer sur deux jambes : nucléaire et renouvelable.

Développer massivement les énergies renouvelables est un choix pragmatique, car il faut quinze ans pour construire un réacteur.

M. Jean-François Husson.  - Vous avez perdu du temps !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - C'est un choix écologique car décarboné, économiquement rationnel car la production d'électricité renouvelable dégage désormais des recettes pour l'État : après avoir coûté 6 milliards d'euros de subventions en 2021, elle a rapporté 10 milliards d'euros en 2022, intégralement redistribués au consommateur. C'est un choix de souveraineté car nos parcs éoliens en mer, comme à Saint-Nazaire, sont la marque du développement d'une véritable filière.

M. François Bonhomme.  - Merci qui ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Il faut que la production et l'assemblage des panneaux solaires reviennent en Europe. Notre objectif est de doubler la production d'électricité renouvelable d'ici à 2030. Nous accélérons donc le rythme. Vous examinerez très prochainement un texte sur les énergies renouvelables qui vise à lever les obstacles administratifs. Nous miserons surtout sur le photovoltaïque et l'éolien en mer, mais nous aurons aussi besoin de l'éolien terrestre, qu'il s'agit de mieux intégrer dans les paysages en évitant l'implantation anarchique des parcs.

Enfin, nous allons promouvoir l'hydroélectricité, avec un texte pour relancer rapidement les investissements dans nos barrages sans passer par une mise en concurrence. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

En parallèle, nous modernisons notre parc nucléaire.

M. Jean-François Husson.  - Fessenheim !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Nous prolongerons tous les réacteurs nucléaires répondant à nos standards de sécurité. Conformément aux engagements du Président de la République, nous lançons un ambitieux programme de nouveaux réacteurs. Premier volet, la construction de six EPR2, dont le premier est attendu pour 2035. Nous allons alléger certaines procédures administratives grâce à un projet de loi sur le nucléaire qui sera présenté début novembre. Je sais pouvoir compter sur les salariés de la filière.

Seconde étape du programme nucléaire, étudier la construction de huit réacteurs supplémentaires. Le secteur a besoin de visibilité pour embaucher les chercheurs et techniciens de demain.

Le troisième volet, c'est l'innovation pour bâtir les réacteurs de nouvelle génération.

M. François Bonhomme.  - Astrid par exemple !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Nous avons inscrit 1 milliard d'euros pour le nucléaire du futur dans le plan France 2030, notamment pour construire un prototype de SMR.

Pour assurer un pilotage et un suivi rigoureux, nous reprenons le contrôle à 100 % d'EDF ; nous installons une délégation interministérielle pour le nouveau nucléaire, qui sera dirigée par Joël Barre, ancien délégué général pour l'armement ; nous soutenons l'acquisition par EDF des activités nucléaires de General Electric.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il ne fallait pas vendre !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Troisième axe de notre stratégie, l'investissement dans l'hydrogène, qui allie transition énergétique et industrielle et constitue un outil de décarbonation massive de notre économie, y compris dans la sidérurgie. Cette nouvelle filière, avec 100 000 à 150 000 emplois durables à la clé, sera un outil précieux pour notre souveraineté énergétique.

Avec France Relance et France 2030, nous injectons 9 milliards d'euros pour constituer une filière complète ; j'ai annoncé dernièrement 2,1 milliards d'euros pour bâtir les dix premières gigafactories françaises.

La décarbonation passera également par la biomasse, la géothermie, le biogaz et les biocarburants. Pour les industries qui ne peuvent tout électrifier, le biogaz est un levier précieux : nos agriculteurs y trouveront une source de revenus complémentaires en valorisant leurs déchets. Pour nos territoires, ce sont des emplois locaux et non délocalisables.

En matière de méthanisation, nos objectifs sont ambitieux. Nous les soutiendrons par des mesures législatives et réglementaires.

L'agrivoltaïsme ne bénéficie pas, à ce jour, de cadre réglementaire, d'où une concurrence entre agriculture et production d'énergie, et certains abus. Or le développement du photovoltaïsme sur le foncier agricole et forestier peut être un moyen de faire baisser les dépenses des agriculteurs. Je sais qu'une proposition de loi sur ce sujet est en cours de discussion dans votre assemblée ; faisons converger nos efforts pour élaborer un cadre adapté.

Notre transition énergétique, pour réussir, doit être pensée en Européens. Nos économies sont interdépendantes, nos réseaux connectés, nous partageons des défis et des valeurs. Notre souveraineté énergétique doit être européenne.

À Versailles, sous la présidence française du Conseil, nous avons franchi un grand pas : les Vingt-Sept se sont mis d'accord pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures russes et aux énergies fossiles. C'est ainsi que nous réduirons plus massivement notre empreinte carbone, que nous résisterons aux chocs énergétiques.

Voilà le cap fixé par le Président de la République à Belfort ; un cap vers la neutralité carbone et la souveraineté, qui repose sur la mobilisation et la responsabilité de tous.

Notre débat sera suivi de l'examen de deux projets de loi, sur les énergies renouvelables et le nucléaire. Nous vous présenterons ensuite la loi de programmation Énergie-Climat, cadre de notre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Cette transition énergétique sera radicale et rapide : elle impose de transformer nos manières de penser, de consommer et de produire.

Elle sera synonyme d'un meilleur niveau de vie ; sobriété et électrification changeront notre quotidien pour le mieux. Elle nous protégera des chocs énergétiques et fera baisser les factures. En consommant moins, nous dépenserons moins. Je veillerai à ce qu'elle soit une transition juste.

Enfin, elle sera un levier de croissance et d'emplois durables. Elle appuiera notre réindustrialisation, avec de nouvelles filières, comme pour le stockage de l'énergie.

La transition énergétique est une nécessité et une opportunité qu'il faut saisir, en Français et en Européens. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE ; MM. Pierre Louault et Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un débat sur la politique énergétique, mais sans vote et à une heure tardive, est-il à la hauteur des enjeux, alors que tout a été fait à l'envers depuis cet été ?

En juillet, on nous a demandé de délibérer sur le principe d'un terminal méthanier qui importera du gaz de schiste américain et sur la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold. Nous allons débattre d'un texte sur les énergies renouvelables, puis, en fin d'année, d'un projet de loi sur le nucléaire, et enfin seulement, de la stratégie globale, avec la programmation pluriannuelle de l'énergie. Tout aura été fait à l'envers, à la découpe, dans le brouillard.

Ce débat pourrait éclairer les Français, peut-être, mais c'est déjà trop tard pour cet hiver. Il y a deux ans, j'ai écrit un livre intitulé Aurons-nous encore de la lumière en hiver ? Si nous subissons des coupures de courant cet hiver, ce ne sera pas imputable au covid ou au tsar rouge, mais bien aux décisions du Président de la République et du Gouvernement.

Point de remède sans diagnostic. Or le constat est, plus qu'un constat d'échec, celui d'un Waterloo énergétique. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)

Comment un grand pays comme la France, grand exportateur d'énergie, en vient-il à manquer d'électricité ? Si les Français paient cher leur énergie, malgré le bouclier, c'est parce qu'elle est rare. Notre production actuelle est retombée à son niveau de 1990, alors que les nouveaux usages feront de plus en plus appel à l'électricité.

EDF, ce fleuron national, est très fragilisé. Son endettement va bientôt atteindre les 60 milliards d'euros. L'Arenh dont, certes, le Gouvernement n'est pas responsable, aura conduit à subventionner des concurrents qui ne produisent pas un électron.

Cette nationalisation est en réalité une étatisation. Il aurait mieux valu recapitaliser EDF en injectant de l'argent frais.

Flamanville est une blessure à la fierté nationale, à notre ambition. Prévue pour 2012, la centrale n'a toujours pas ouvert. Son coût final sera quatre fois supérieur aux estimations initiales, il faudra faire venir des ouvriers américains pour la soudure.

S'y ajoute une injustice pour les Français, qui devront payer les conséquences des inconséquences de votre politique. Et la politique de la doudoune ne pourra vous dédouaner.

Ce n'est pas le président d'EDF qui a décidé de fermer quatorze réacteurs nucléaires en 2017, c'est le Président de la République. Pas plus qu'il n'a signé le décret d'avril 2020 : c'était vous ! Il faut dire qui est responsable des décisions prises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ces décisions ont été motivées non par une vraie stratégie, mais par la politique politicienne. Emmanuel Macron a été l'exécuteur testamentaire d'un accord passé entre Mme Duflot et Mme Aubry visant à placer François Hollande au pouvoir. Il a aussi voulu avoir Nicolas Hulot comme ministre, qui a continué sur cette lancée...

Madame la Première ministre, vous avez beaucoup évoqué l'Europe. J'ai été scandalisé lorsque M. Macron a justifié la fermeture de Fessenheim par sa proximité géographique avec l'Allemagne, qui avait choisi de fermer les réacteurs et les centrales nucléaires. Je peux produire le verbatim... C'est inacceptable !

Quand on n'a pas de stratégie, on adopte celle des autres - celle de Bruxelles, et derrière, celle de l'Allemagne.

Croyez-vous vraiment que l'Allemagne fasse montre de solidarité sur le plan énergétique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Et je ne parle même pas des 200 milliards du bouclier énergétique.

M. Pierre Louault.  - Vous êtes anti-européen.

M. Bruno Retailleau.  - Je suis européen ! Contrairement à la France, l'Allemagne a toujours défendu ses intérêts : elle s'est mise dans la main de la Russie en achetant peu cher le gaz russe pour favoriser son industrie, pour exporter ses voitures. Elle a handicapé l'Europe, et nous avons suivi, par solidarité... J'aimerais croire au couple franco-allemand, mais j'attends des garanties de nos amis allemands.

Le Président de la République n'est pas le Chancelier : on attend de lui qu'il défende avant tout les intérêts de la France et des Français.

La politique énergétique doit être constante et cohérente. Elle ne peut s'accorder avec le « en même temps » qui est tout sauf un cap ou une boussole.

Il faut jouer sur l'ensemble des leviers : la production, c'est-à-dire l'offre ; la demande, c'est-à-dire la sobriété ; la tarification.

La tarification, d'abord. En juillet dernier, Madame la Première ministre, après votre discours de politique générale, je vous demandai pourquoi vous ne faisiez pas comme l'Espagne et le Portugal. Vous le proposez aujourd'hui : on a perdu trois mois. La tarification européenne est stupide, elle a avantagé l'Allemagne et desservi la France.

J'ai écouté le Président de la République à la télévision : il vient d'expliquer qu'il fallait décorréler le prix du gaz et de l'électricité. Bien sûr ! Nous aurions pu le faire avant. En étant dans la solidarité sans réciprocité, on est dans la naïveté. (M. Max Brisson approuve.)

Il faut aller plus loin. Mettez fin à la suspension des tarifs réglementés, qui s'achèvent au 30 juin prochain. Le bouclier, ce n'est pas seulement déverser de l'argent public : il faut un cadre.

EDF, une fois le pic tarifaire passé, devra être encouragé à signer des contrats de long terme, malgré les freins européens. Nous avons été handicapés par dix ans de politiques libérales. Que de problèmes au nom de la concurrence pure et parfaite ! (On jubile sur les travées du groupe CRCE.) Je veux bien la solidarité européenne, mais à la condition que cette solidarité ne mène pas dans le mur. Je ne suis pas naïf.

La demande, ensuite, c'est-à-dire la sobriété. Le col roulé, le tancarville et le télétravail sont des leviers, mais ne constituent pas une politique. Comment avons-nous pu autant régresser en vingt sur l'effacement ? Tempo, cela ne fonctionne pas ! Il faut un grand dispositif d'effacement volontaire, rémunéré et moderne.

Il faut produire une énergie abondante, décarbonée, pilotable et bon marché. On ne réindustrialisera pas la France sans une énergie compétitive.

Il faut revoir la PPE, déplafonner la part du nucléaire dans le mix électrique, prolonger nos réacteurs nucléaires et donner de la visibilité à EDF. L'unité d'EDF doit être préservée : engagez-vous à cela, madame la Première ministre. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

Reprenez les conclusions du rapport de Daniel Gremillet : ce ne sont pas six, mais quatorze réacteurs dont nous avons besoin !

Les énergies renouvelables ont un rôle à jouer, mais c'est un rôle d'appoint. L'Allemagne a montré que lorsque l'on investit jusqu'à 40 % dans le renouvelable, il faut aussi investir dans le fossile. Nous, nous voulons de l'énergie décarbonée.

En 2017, le slogan d'Emmanuel Macron était « pensez printemps ». Voilà qu'il découvre l'hiver !

Madame la Première ministre, reconstruisez notre souveraineté énergétique pour le pouvoir d'achat des Français et pour la réindustrialisation de notre pays. (Les sénateurs du GEST indiquent que le temps de parole est écoulé ; vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Fabien Gay applaudit également.) La politique énergétique nationale nécessite cohérence, constance et résolution. Les gouvernements successifs n'ont pas eu cette exigence. Je ne reviendrai pas sur les atermoiements du Président de la République sur le nucléaire.

Vous nous présentez un projet de loi technique sur les procédures. Pourquoi un tel saucissonnage ? Les Français ont besoin de lisibilité.

Nous devons collectivement réussir une transition de civilisation, dans la justice sociale et l'équité.

Cet impératif de long cours doit être conjugué avec des réponses immédiates et financièrement accessibles. Les Français doivent être davantage soutenus et ne comprennent pas que leur pays ne les aide pas, comme l'Allemagne s'apprête à le faire avec un plan de 200 milliards d'euros.

Nous devons nous appuyer sur les dernières connaissances scientifiques ; les préconisations du groupe SER sont assises sur les scénarios du Giec et de RTE.

Le rôle d'EDF doit être réaffirmé. Quel est votre projet pour cette entreprise ? Sur quelles hypothèses le Gouvernement s'appuie-t-il pour construire notre futur énergétique ?

La future loi Énergie-climat prévoit l'extinction des sources d'énergie carbonée pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans la stratégie nationale bas-carbone, l'électricité représenterait 55 % de l'énergie finale consommée, contre 25 % aujourd'hui. Allez-vous réviser cet objectif ?

RTE propose six scénarios. L'électrification des filières et des usages existants est un critère déterminant de la production électrique nécessaire. Qu'allez-vous proposer dans la prochaine PPE ?

Les scénarios de RTE recouvrent des choix très différents, du 50 % nucléaire au 100 % renouvelable.

Le Président de la République a décidé de commander six EPR2 et de lancer les études pour huit EPR2 et des SMR. EDF a lancé le grand carénage. Faut-il comprendre que le Gouvernement se lance dans un mix électrique, 50 % renouvelables et 50 % nucléaire ? Quelles raisons président à ce choix ?

Le mix énergétique doit être pragmatique et prendre en compte les incertitudes et les risques. Difficile de démultiplier les projets de renouvelable, au regard des difficultés rencontrées sur de nombreux territoires. Pour atteindre 100 % d'énergies renouvelables, il faudrait multiplier par vingt-et-un la puissance installée en photovoltaïque et par quatre la puissance installée en éolien terrestre : en sommes-nous seulement capables ?

L'affaiblissement de la filière nucléaire depuis des années interroge notre capacité à prolonger la durée de vie des réacteurs existants et à construire de nouveaux réacteurs dans les temps.

Il faut intégrer les coûts et l'impact environnemental des installations de production, notamment sur les sols, dans un contexte de zéro artificialisation nette, les émissions de gaz à effet de serre, l'impact sur l'emploi local.

Indépendamment des conséquences de la guerre en Ukraine, le Gouvernement doit pousser tous les curseurs pour développer les énergies décarbonées.

Dans un contexte incertain, nous devons aussi nous donner des marges en matière de puissance installée.

Les procédures de réalisation des projets, de la concertation publique à la mise en oeuvre, doivent être industrialisées. De l'État aux collectivités territoriales en passant par les comités locaux, comment alignerez-vous les acteurs ? Sur quels principes repose la planification ?

À ce stade, le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables n'est pas à la hauteur des enjeux et des difficultés rencontrées sur les territoires. Sans renier la fonction nourricière première de l'agriculture, l'agrivoltaïsme doit être développé.

Sur l'avenir du groupe EDF, le Président de la République est muet. Jamais EDF n'a été autant affaiblie, par manque de pilotage politique. À se demander si ce n'est pas voulu ! Depuis dix ans, EDF a été la vache à lait de l'État, dit l'ancien président de la CRE - aujourd'hui ministre. La responsabilité est exclusivement politique.

Madame la Première ministre, quelles sont les conséquences de l'OPA que vous avez lancée ? EDF deviendra-t-elle un Épic ? Quel rôle l'État-actionnaire jouera-t-il ? Quel est donc votre projet industriel social et environnemental ? Avez-vous renoncé au découpage de l'entreprise ? Comment financez-vous les investissements d'EDF dans le grand carénage, le renouvelable et les réseaux ? Financerez-vous le nouveau nucléaire demandé par le Président de la République dans le périmètre d'EDF ou en-dehors ? Quelle place pour l'hydraulique et comment préserver dans la durée son caractère public ?

Le mix est une prérogative nationale, mais le marché de l'énergie est sous la responsabilité de l'Union européenne. Cette contradiction explique en grande partie les difficultés des consommateurs français et européens. Quelle position la France défendra-t-elle auprès de la Commission européenne pour que les prix reflètent les coûts complets à long terme des mix nationaux ?

Nous souhaitons que les tarifs régulés de l'électricité et du gaz perdurent. Le petit consommateur doit bénéficier de tarifs stables dans le temps et l'entrepreneur de prévisibilité à moyen et long termes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Denise Saint-Pé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Qu'attendons-nous d'un système énergétique ? D'abord, de la sécurité, à commencer par l'approvisionnement, afin d'éviter délestage, rationnement et black-out. Ensuite, de la souveraineté, pour dépendre le moins possible de puissances étrangères. Enfin, il faut tendre vers la neutralité carbone.

Or sur ces trois tableaux, nous avons des lacunes. La plus visible concerne l'insécurité, avec le spectre d'une pénurie d'énergie. Cela tient, pour l'électricité, au vieillissement des centrales nucléaires. Quant au gaz, il fait défaut aux Européens en raison de la guerre en Ukraine - même si la France en souffre moins que d'autres. Nous devenons dépendants de l'étranger, de l'Allemagne pour l'électricité, de la Norvège et du Qatar pour le gaz. Enfin, notre mix énergétique n'est pas assez décarboné : plus de 60 % de nos besoins énergétiques sont satisfaits par le gaz ou le pétrole, loin des objectifs de l'Accord de Paris. Il faut refondre notre système énergétique.

Le Gouvernement a saisi les enjeux à court terme : il fallait sécuriser l'approvisionnement en gaz en trouvant de nouveaux fournisseurs et nos stocks sont remplis. Mais il faut aussi encourager la méthanisation sur le territoire national.

Il fallait aussi organiser la sobriété, comme le prévoit le plan dévoilé jeudi dernier, avec un effort qui porte autant sur l'État et les entreprises que sur les particuliers et les collectivités.

Je salue la mobilisation du Gouvernement auprès de la Commission européenne pour qu'elle propose des solutions collectives : c'est à l'Union européenne de régler le problème central de la formation du prix de l'électricité qui correspond au coût du dernier kilowatt produit par le dernier opérateur. Or c'est, actuellement, un kilowatt issu du gaz qui tire les prix vers le haut.

Il faut une décorrélation des prix de l'électricité et du gaz. Pour cela, deux voies sont possibles : par le haut, en créant un grand service européen de l'énergie, public et monopolistique, mais c'est utopique ; ou par le bas, en renationalisant le système, comme l'ont fait l'Espagne et le Portugal qui ont obtenu le droit de déconnecter pendant un an les prix du gaz et de l'électricité. Cela fonctionne : fin août, le prix du mégawattheure y était de 240 euros, contre 660 euros en France et en Allemagne. Cette dérogation a été accordée pour deux raisons : une faible interconnexion avec le reste de l'Europe et une électricité très décarbonée.

Il faut donc envisager la solution ibérique pour les pays dont l'électricité est largement décarbonée, comme la France. Une fois nos centrales remises en marche, faudra-t-il faire cavalier seul ?

L'ouverture du marché de l'énergie n'a pas donné satisfaction. L'Arenh a été une absurdité et une aubaine pour des opérateurs qui se sont comportés en négociants, sur le dos du contribuable. Arrêtons de considérer l'énergie comme une marchandise : c'est un bien public de première nécessité. Interrogeons-nous sur un retour au tarif réglementé pour l'électricité et même le gaz.

Nous avons besoin à long terme d'une vision stratégique, telle que présentée par le Président de la République dans son discours de Belfort, qui repose sur le triptyque sobriété, nucléaire et renouvelable.

On ne peut qu'y souscrire, mais le diable est dans les détails. Les projections sur la sobriété sont irréalistes : comment réduire les besoins énergétiques de 40 % d'ici 2040, alors que nous serons plus nombreux et 20 % plus riches ? Qui peut y croire ? C'est pourtant le fondement des scénarios de RTE. Ce serait déjà une bonne performance que de contenir nos besoins d'ici à 2040. Mais alors, il faudra produire le double ou le triple d'électricité...

Dans ces conditions, les décisions sur le nucléaire sont insuffisantes. À Belfort, le Président de la République a déclaré qu'aucun réacteur en état de produire ne devait être fermé. Le plan de fermeture de douze réacteurs d'ici à 2035 sera-t-il enfin abandonné ? Le nombre d'EPR à construire en dépend. De plus, aucun plan de développement de SMR n'a été annoncé, alors que le petit nucléaire est prometteur. La recherche est relancée, mais il faut un plan et des objectifs.

Sur le renouvelable, sans anticiper les débats sur le projet de loi, je puis dire que l'UC plaidera pour l'agrivoltaïsme, la géothermie et la biomasse. Sur ces trois volets, il faut former dès maintenant de vrais professionnels du nucléaire, des réseaux intelligents, de l'isolation des bâtiments et des énergies renouvelables. Avons-nous un plan de formation digne de ce nom ?

Il nous faut un big-bang énergétique. Montrons-nous à la hauteur du rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP, du RDPI et du groupe Les Républicains)

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) L'énergie occupe une place sans précédent dans le débat public, avec la guerre en Ukraine, l'inflation, le dérèglement climatique... L'énergie à bas prix et abondante n'existe plus. À court terme, il faut sauver notre approvisionnement, à long terme assurer la souveraineté énergétique de la France et sa neutralité carbone.

Dans un contexte d'inflation, Poutine utilise l'énergie pour faire la guerre. Le Gouvernement fait le choix d'une nouvelle solidarité européenne, pour s'entraider et éviter les coupures. En matière de gaz, nous avons réussi à remplir les stocks à 99 %. Le projet de terminal flottant au large du Havre a été accéléré, grâce au vote du Parlement. Grâce à cela, nous passerons le prochain hiver avec moins de difficultés.

Mais les économies d'énergie restent indispensables, à tous les niveaux. C'est l'esprit du plan de sobriété présenté jeudi 6 octobre, qui prône l'incitation et la responsabilité collective grâce à des gestes de bon sens, du quotidien, que nos aïeux réalisaient déjà.

Sobriété n'est pas synonyme de décroissance. C'est une opportunité contre le gaspillage énergétique et la surconsommation. Le groupe RDPI soutient totalement cette stratégie. (Mme Nicole Duranton applaudit.)

Les acteurs les plus en difficulté doivent être soutenus. Le bouclier tarifaire sera reconduit en 2023 et 430 millions d'euros seront alloués à une part significative du bloc communal. Grâce au Gouvernement, les Français restent protégés face à l'inflation.

Le pays n'en est pas moins confronté au double défi de la souveraineté énergétique et de la neutralité carbone. Une fois l'hiver passé, ces défis resteront au coeur du débat politique.

Pour renforcer notre souveraineté, nous devons investir dans notre mix énergétique. L'éolien en mer, le photovoltaïque, l'agrivoltaïque et l'hydraulique doivent être développés en concertation avec les élus locaux.

Mais renforcer notre souveraineté, c'est accepter la part du nucléaire -  70 % de notre production électrique. Il serait déraisonnable de s'en passer : voyez l'Allemagne, dépendante du gaz. Notre nucléaire est une force historique à conforter. On ne peut se satisfaire que 26 réacteurs sur 56 soient indisponibles ; nous payons les mauvais arbitrages passés.

La renationalisation d'EDF, à cet égard, est un mal nécessaire. Un projet de loi sera présenté dans les prochains mois pour simplifier les procédures et faciliter la création de nouveaux EPR. Le tout nucléaire ne fonctionnera pas plus que le tout énergies renouvelables. Il faudra réduire les délais administratifs, raccourcir les procédures, libérer du foncier, encourager le partage territorial de la valeur. Mon groupe sera au rendez-vous de ce travail sur le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables.

N'oublions pas la réindustrialisation, avec France 2030 qui consacre 2 milliards d'euros à l'innovation dans les énergies renouvelables et le nucléaire. La France peut se donner les moyens de construire le premier avion bas carbone. L'hydrogène, le biogaz sont des pistes prometteuses. En Isère, neuf sites injectent déjà du biométhane dans les réseaux.

Notre souveraineté requiert enfin une solidarité européenne. Ne confondons pas souveraineté et protectionnisme ; il faut penser européen. L'ancêtre de l'Union européenne est la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). Il faut décorréler les prix de l'électricité et du gaz. Le Gouvernement met toute son énergie à convaincre nos voisins. Nietzsche disait que l'Europe ne pourrait se faire qu'au bord du tombeau... Le moment est peut-être venu d'une nouvelle Union européenne énergétique.

L'énergie la plus propre est celle que l'on ne consomme pas. Notre boussole doit être le collectif - pour les choix énergétiques, pour la sobriété. Si tout le monde s'y met, nous nous donnerons les moyens d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Fabien Gay .  - Nous vivons une période critique, décisive, charnière. L'urgence est là. La crise énergétique est un défi qui s'inscrit dans la durée. La situation nous oblige. Il faut étudier, comparer, proposer et débattre, et surtout dessiner une vision d'ensemble.

Nous ne saurions résoudre la crise énergétique segment par segment, comme vous nous le proposez -  avec une succession de textes et, au passage, la ré-étatisation d'EDF par amendement.

L'envolée des prix et la menace du blackout sont dues à l'obsolescence d'un système énergétique tout entier qui s'écroule. Il y a certes des causes conjoncturelles avec la guerre en Ukraine et un été digne d'un cataclysme climatique : sécheresses record, pénuries d'eau... Le niveau historiquement bas des barrages et l'arrêt de la moitié du parc nucléaire se conjuguent pour créer une crise.

Mais la décision politique nous appartient. Nous ne voulons pas d'un État actionnaire comme un acteur privé, mais d'un État volontariste et stratège. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

La crise est le résultat de vingt ans de libéralisation du secteur ; le prix payé par le consommateur ne reflète en rien le mix électrique national ; il est spéculatif et artificiel, c'est le coût de l'Europe libérale et des traders. Les usagers paient le même prix, que leur pays ait investi dans le nucléaire, le renouvelable ou les énergies fossiles. Ainsi, 7,7 % de notre production électrique dépend du gaz. Sortons temporairement du marché européen, emboîtons le pas à nos voisins espagnols et portugais. (Plusieurs membres du groupe Les Républicains approuvent.) Si vous êtes d'accord, dites-le à votre Secrétaire d'État pour l'Europe qui a déclaré le contraire au Sénat hier.

Nous avons réduit nos importations de gaz et notre dépendance aux énergies fossiles : nous sommes légitimes pour porter cette demande. Si vous décidez d'engager cette bataille, nous la mènerons à vos côtés. Il ne s'agit pas de supprimer l'interconnexion, mais de réformer un système injuste.

Les dégâts sont déjà là pour nos collectivités territoriales. (M. Max Brisson approuve.) Leurs factures explosent, la hausse allant jusqu'à 150 % pour certaines. Noisy-le-Sec, Neuilly-sur-Marne, dans mon département sont particulièrement touchées. Le surcoût s'élève à 30 millions d'euros pour le département de la Seine-Saint-Denis. Faudra-t-il augmenter les impôts locaux ? Il faut surtout un bouclier tarifaire pour toutes les collectivités territoriales avec des tarifs réglementés et une baisse de la TVA à 5,5 % pour tous les usagers.

Il faut aussi empêcher coûte que coûte l'extinction du tarif réglementé du gaz, notamment pour les entreprises électro-intensives. Autrement, l'emploi sera la variable d'ajustement : des fermetures sont déjà envisagées, comme chez Duralex. Quel sera le coût du chômage partiel ? Les tarifs réglementés de vente (TRV) sont toujours préférables au bilan social à craindre. Nous allons traverser deux ans de crise et les prix ne redescendront jamais.

Douze millions de personnes souffrent de précarité énergétique ; combien de plus ? Il faut interdire les coupures et garantir une puissance minimale à 3 kW contre 1 kW aujourd'hui.

Je salue l'organisation de ce débat, mais regrette que le Parlement ne soit pas associé à une question aussi essentielle que la ré-étatisation d'EDF.

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Fabien Gay.  - Mais une ré-étatisation pour faire quoi ? Si c'est pour ouvrir des activités aux capitaux privés, c'est non !

Sans attendre 2025, il faut sortir de l'Arenh, qui n'a fait qu'enrichir les opérateurs alternatifs.

Le secteur privé est inapte sur la question de l'électricité ; c'est pourquoi nous préconisons l'instauration d'un grand service public de l'énergie, avec monopole public. À l'avenir, nous devrons investir des milliards d'euros pour sortir des énergies fossiles.

Il faut aussi impérativement sortir de la Charte européenne de l'énergie.

Nous défendons enfin des investissements dans le nucléaire nouvelle génération et les énergies renouvelables, que nous n'opposons pas. Pour cela, il faut sortir l'énergie du secteur marchand, pour en faire un bien commun de toute l'humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe UC)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Entre le printemps 2020 et le 1er septembre 2022, les prix de marché ont été multipliés par 3 pour le gaz, par 5 pour le pétrole et par 40 pour l'électricité. Comment en sommes-nous arrivés là ? La reprise économique post-pandémie a engendré de l'inflation. Le 24 février, en envahissant l'Ukraine, Poutine a déclenché un conflit entraînant entre autres une flambée des prix de l'énergie.

L'Europe, dépendant des hydrocarbures russes, est en situation délicate. La France, structurellement moins dépendante que l'Allemagne du gaz russe, devrait, en théorie, être moins mal lotie. Mais la moitié de nos 56 réacteurs est à l'arrêt pour maintenance.

Cette année, nous serons pour la première fois importateurs d'électricité - faute d'avoir suffisamment entretenu notre parc. RTE a importé plus de 7 000 mégawatts sur le marché Spot, soit 15 % de la consommation d'énergie nationale.

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) En septembre 2021, déjà, 12 millions de Français ne pouvaient pas se chauffer comme ils le souhaitaient.

Un an après, cette crise économique et géopolitique montre les lacunes systémiques de nos sociétés. Elle valide, ne vous en déplaise, le projet que les écologistes défendent depuis des années.

M. Bruno Retailleau.  - C'est l'inverse !

M. Daniel Salmon.  - Sortir des énergies fossiles, atteindre la neutralité carbone en 2050 et ainsi respecter les accords de Paris est plus que jamais nécessaire.

L'abondance énergétique a une fin, nous le savons depuis des décennies. L'extractivisme se heurte à la finitude de la planète.

Différentes options sont sur la table. Réaffirmons qu'il n'y a pas de production d'énergie parfaitement propre, hormis celle que l'on ne consomme pas. Pour la production d'énergie, nous défendons le déploiement massif des énergies renouvelables qui atteindraient 100 % en 2050 et, en parallèle, la sortie du nucléaire. C'est techniquement possible. RTE l'envisage dans l'un de ses scénarios. Les énergies renouvelables sont les plus résilientes et les moins chères ; vous l'avez dit, elles sont compétitives et rentables.

Le retard de la France et l'absence d'anticipation sont particulièrement graves. Que de temps perdu ! Les énergies renouvelables, ce sont les énergies des territoires. Les habitants et les élus souhaitent prendre leurs responsabilités face aux crises. C'est pourquoi les politiques publiques doivent renforcer la concertation, l'implication et l'investissement. La dynamique citoyenne est essentielle, à condition de changer de braquet. Il faut plus de moyens pour les collectivités - bien plus que les 2 milliards d'euros du fonds Climat. Rappelons que les intercommunalités et les régions se sont vu octroyer des compétences en la matière sans aucun transfert de ressources.

Il faut développer l'ingénierie dans les territoires, en faveur de la planification énergétique. C'est tout le sens du service public des énergies renouvelables que nous défendons depuis longtemps.

La planification de la sobriété est également essentielle. C'est le seul moyen de réguler notre consommation tout en respectant la planète. Il ne s'agit pas de passer l'hiver, mais de respecter les accords de Paris et, incidemment, de sauver l'espèce humaine.

Deux ans après avoir raillé le « modèle amish », le Président de la République et le Gouvernement s'y mettent, à travers des mesures, certes, de bon sens, mais laissées à la volonté de chacun.

Madame la Première ministre, vous n'avez même pas rendu obligatoire l'indexation de la rémunération des dirigeants des grandes entreprises sur le respect de leurs objectifs environnementaux - contrairement à la promesse de campagne du Président de la République et à votre propre déclaration de politique générale.

Il faut remettre en cause les privilèges de certains. Que les pratiques des riches ne soient pas régulées est scandaleux.

Tant que Bernard Arnault pourra émettre avec son jet privé 176 tonnes de CO2 en un mois, soit l'équivalent de dix-sept ans de consommation d'un Français moyen, il y aura un problème.

Le plan du Gouvernement manque sa cible.

Face aux 5 millions de passoires thermiques, MaPrimeRénov' augmente seulement de 4 %, soit 100 millions d'euros - moins que l'inflation ! C'est bien trop peu.

Le Gouvernement reste aveugle à la nécessité d'un changement de paramètres, il ignore le contenu subversif de la notion de sobriété. Pourtant, une sobriété juste ne réduit pas le confort, mais accroît le bien-être.

Nous le devons aux générations futures et au vivant sur la terre. Il faut que chacun ait accès à une énergie abordable qui ne nuise ni aux écosystèmes ni à la santé. Réduire et partager, produire l'indispensable, voilà la philosophie des écologistes.

Madame la Première ministre, vous vous êtes engagée à reconstruire une filière photovoltaïque. Dépêchez-vous, car Photowatt est en train de mourir. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) Il faut reconstituer une filière ; après le fiasco du nucléaire, nous ne pouvons que faire mieux. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Stéphane Ravier .  - Le meilleur pour la fin ! Madame la Première ministre, vous vous êtes exprimée dans cette assemblée comme si vous étiez encore en mesure de décider quoi que ce soit. En réalité, depuis le traité européiste de Lisbonne, la politique énergétique est une compétence partagée avec la Commission européenne.

Notre pays, chef de file historique sur le nucléaire, aurait dû imposer ses vues, mais, par naïveté, il a cédé à trois forces : l'Allemagne, qui a fait le choix de la dépendance au gaz russe ; l'écologie punitive et médiatique pilotée par les grands lobbies américains (on se gausse sur les travées du GEST) ; le dogme de la concurrence libre et non faussée, qui a servi à sabrer EDF.

Vous voulez nous imposer des énergies renouvelables contre la démocratie locale, en demandant aux préfets de casser les plans locaux d'urbanisme (PLU) qui interdiraient l'implantation d'éoliennes. Vous avez limogé le P-DG d'EDF qui pointait votre responsabilité dans la situation actuelle - le limogeage semble devenir une méthode de gouvernement ! C'est pourtant EDF qui a racheté au printemps dernier les turbines nucléaires d'Alstom vendues en 2014 à l'américain General Electric par un certain Emmanuel Macron. Ce n'est pourtant pas Jean-Bernard Lévy qui a fermé Fessenheim ; c'est vous et vous en étiez fière.

En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées : la sobriété et le col roulé ! En voulant sortir des énergies fossiles, vous avez rouvert la centrale à charbon de Saint-Avold, vieille de 71 ans.

En voulant sanctionner Poutine, votre Europe s'est déshonorée en signant un accord de livraison de gaz avec l'Azerbaïdjan, soutenant ainsi la guerre contre l'Arménie.

Le nucléaire est notre force, contrairement à l'éolien qui saccage nos paysages pour une production dérisoire et intermittente. Les EPR sont victimes du sous-investissement chronique. Il ne faut pas oublier de protéger notre filière hydraulique, menacée de libéralisation.

La France n'est responsable que de 1 % des émissions de gaz à effet de serre à l'origine du réchauffement climatique. Je vous invite à vous dépolluer l'esprit des prêches des talibans verdoyants, et à supporter les conséquences de vos erreurs plutôt que de les faire endosser aux Français !

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie .  - Merci pour ce débat qui a traité de l'essentiel, c'est-à-dire de l'avenir.

J'ai entendu quelques critiques.

M. Fabien Gay.  - Légitimes !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Je voudrais revenir à la réalité de l'état actuel des centrales nucléaires en France. Pour faire durer les centrales nucléaires, il faut les entretenir.

Le désinvestissement massif dans les centrales nucléaires a commencé dans les années 2000 -  sous les quinquennats de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. (Protestations à droite)

M. Stéphane Piednoir.  - C'était en 1997 !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - C'est la Cour des comptes qui le dit : la disponibilité des centrales s'est effondrée entre 2005 et 2009. (Applaudissements sur les travées du RDPI).

Il y a aussi eu le choc de Fukushima, qui a conduit le Japon, la Belgique et l'Allemagne à renoncer au nucléaire.

M. Max Brisson.  - C'est toujours la faute des autres !

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Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 13 octobre 2022

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : M. Alain Richard, vice-président, Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

Secrétaires : M. Loïc Hervé, Mme Jacqueline Eustache-Brinio

. Suite du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (procédure accélérée) (texte de la commission, n°20, 2022-2023)