Traité de coopération entre la France et l'Italie (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.

Discussion générale

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Ce projet de loi vise à ratifier le traité dit du Quirinal, signé à Rome le 26 novembre 2021. Il a été adopté par l'Assemblée nationale le 28 juillet dernier.

Il s'agit du premier traité de cette ampleur conclu avec l'Italie. Le choix du palais présidentiel italien pour sa signature témoigne de son caractère historique. Il déterminera les relations entre nos deux pays pour les décennies à venir.

Entre-temps, le 22 octobre, un nouveau gouvernement a été nommé en Italie. Le Président de la République s'est entretenu avec la nouvelle présidente du Conseil, Mme Giorgia Meloni, dimanche dernier.

Une nouvelle phase s'ouvre : certes, des divergences existeront peut-être, mais n'oublions pas l'immense potentiel des relations entre nos deux nations. Le traité s'appuie sur l'amitié de longue date qui nous lie.

Un cadre institutionnel formalisé permettra de structurer davantage nos échanges et nos coopérations. Depuis la signature du traité, les échanges se sont déjà renforcés au niveau national, mais aussi au niveau des collectivités territoriales, de la société civile et des acteurs économiques. Nous allons ainsi approfondir notre coopération sur des sujets d'intérêt commun et stabiliser dans la durée une relation qui a connu des hauts et des bas.

Le traité du Quirinal est profondément européen dans ses valeurs et ses objectifs. La relation franco-italienne est l'un des ciments de la construction européenne, et l'Italie est un partenaire indispensable pour promouvoir l'agenda de souveraineté et d'autonomie stratégique de l'Union européenne, préserver l'unité européenne et développer une réponse commune face à la guerre en Ukraine. C'est pourquoi les coopérations bilatérales prévues par le traité ont elles aussi une dimension européenne ; elles doivent contribuer à renforcer l'Union, y compris à travers une meilleure intégration de nos territoires.

Le traité fixe d'abord l'objectif d'un approfondissement de nos coopérations en matière de défense. Il rappelle la solidarité entre nos deux pays en cas d'agression : cette disposition est conforme à la charte de l'Otan et aux traités européens. C'est toutefois un symbole fort dans un contexte international dégradé.

Ensuite, le traité fait de la Méditerranée un espace de coopération privilégié, notamment en matière de politique de voisinage, de développement, d'économie bleue, de sécurité, d'environnement et dans la gestion de notre frontière maritime commune.

Le traité prévoit également que nos deux pays favoriseront le rapprochement entre acteurs économiques, en particulier pour favoriser le développement de nos industries dans le numérique, la transition écologique et l'industrie spatiale, entre autres secteurs.

Le développement d'une coopération transfrontalière transversale permettra de réaliser des projets concrets, notamment en matière de mobilité, de secours, de développement économique et de protection de l'environnement. Un comité de coopération transfrontalier sera créé, à l'instar de ce qui existe déjà entre la France et l'Allemagne.

Enfin, un point du traité est consacré au rapprochement de nos jeunesses : un service civique franco-italien sera créé, avec l'objectif de 150 volontaires qui effectueront des mobilités croisées. Je pense aussi à la mobilité des élèves, des étudiants et des apprentis.

Ce traité, au contenu extrêmement riche, sera structurant pour la relation de long terme entre la France et l'Italie. Je m'attacherai à sa pleine mise en oeuvre.

J'en viens à l'aspect central de la diplomatie parlementaire : nos parlements doivent être impliqués dans les relations bilatérales. Je connais l'engagement des présidents Rapin et Marseille en ce sens, et suis convaincue que les échanges anciens entre groupes parlementaires d'amitié seront à nouveau très utiles sous cette législature. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et INDEP, ainsi que sur le banc des commissions)

M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Je salue la présence en tribune de Mme l'ambassadrice d'Italie en France.

Ce projet de loi a été signé au palais du Quirinal le 26 novembre 2021 par le président Emmanuel Macron et le président du Conseil Mario Draghi, en présence du président de la République, Sergio Mattarella.

Le GEST a souhaité le retour à la procédure normale pour l'examen de ce traité, adopté par notre commission des affaires étrangères le 27 septembre. Je rappelle que nous ne pouvons pas amender ce texte, qui sera donc soit adopté, soit rejeté.

Notre histoire commune a connu des hauts et des bas. Au printemps 2018, l'arrivée au pouvoir de l'alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles a fait prospérer un discours anti-élites et anti-européen, voire anti-français. Le summum de la crise est atteint lorsque, en janvier 2019, le vice-président du Conseil apporte son appui au mouvement des gilets jaunes : le 7 février 2019, l'ambassadeur français est rappelé, fait inédit depuis 1940 et la déclaration de guerre de Mussolini à la France...

Le 29 juin 2022, la Cour d'appel de Paris a donné un avis défavorable à l'extradition de dix anciens militants italiens d'extrême gauche, soulevant une forte émotion en Italie, apaisée seulement par les propos du Président de la République française et le pourvoi en cassation du Parquet.

À l'été 2019, une nouvelle coalition, puis l'arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil en février 2021, ont permis de relancer le processus du traité du Quirinal. Les excellentes collaborations bilatérales ont favorisé son aboutissement.

Ce traité prévoit des domaines de coopération étendus : affaires étrangères, sécurité et défense, affaires européennes, politiques migratoires, justice et affaires intérieures, coopération économique, industrielle et numérique, droits sociaux, développement durable, espace, enseignement et recherche, culture et jeunesse et coopération transfrontalière. Les objectifs de coopération sont déclinés dans une feuille de route, qui sera examinée chaque année ; sa première version a été signée en même temps que le traité.

Celui-ci favorisera l'émergence d'un réflexe franco-italien. Des formats de consultation réguliers seront créés, de même qu'un comité stratégique paritaire. Des échanges administratifs sont prévus, notamment des réunions ministérielles bilatérales. Chaque trimestre, un ministre prendra part au conseil des ministres de l'autre État. Des échanges de fonctionnaires sont également programmés. Le texte prévoit enfin la création d'un conseil franco-italien de la jeunesse et d'un service civique commun.

Aux termes de l'article 3, nos deux pays adopteront des positions communes au niveau européen, notamment en matière d'extension de la majorité qualifiée ou de révision du pacte de stabilité. Le sujet de la réforme de la politique migratoire a fait l'objet de négociations plus soutenues ; un compromis a été trouvé par la référence à une « réforme en profondeur ».

Le traité reconnaît la vitalité des échanges entre les parlements. L'Assemblée nationale et la Chambre des députés ont déjà conclu un protocole de coopération le 29 novembre 2021. La commission des affaires étrangères du Sénat s'est déplacée en Italie en décembre 2021 ; un accord avec le Sénat italien a été évoqué.

Le traité du Quirinal est le second traité de ce type signé par la France au niveau européen, après le traité de l'Élysée entre la France et l'Allemagne.

En Italie, il a été ratifié à une très large majorité ; seuls les membres de Fratelli d'Italia et quelques dissidents anti-européens du Mouvement 5 étoiles ont voté contre. En France, l'Assemblée nationale l'a adopté à l'unanimité. Le Sénat est donc la dernière chambre à l'examiner.

Mais nous nous interrogeons sur la volonté de Giorgia Meloni de le mettre en oeuvre, puisque ce sont des parlementaires de son parti qui s'y étaient opposés, considérant que le traité servait avant tout les intérêts français. Toutefois, je constate que Mme Meloni a, depuis, mis de l'eau dans son vin : elle est désormais disposée à respecter les engagements internationaux de son pays. Par ailleurs, elle a soutenu sans ambiguïté le plan Draghi d'envoi d'armes à l'Ukraine.

Sergio Berlusconi a choqué en évoquant sa proximité avec Poutine. Mais il ne pèse pas autant au sein de la coalition qu'il veut bien le laisser croire.

Capitalisons sur ce qui nous rapproche. La mise en oeuvre du traité, notamment dans les secteurs de l'armement et de l'espace, fera figure de test.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères et de la défense.  - Bien sûr !

M. Gilbert Bouchet, rapporteur.  - La visite du Président de la République à Rome le week-end dernier témoigne de notre volonté de maintenir le dialogue et de respecter le choix démocratique des Italiens. Je préconise l'adoption de ce texte, loin de toute démagogie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)

M. Hervé Marseille .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.) Je salue son excellence Mme Emanuela d'Alessandro, ambassadrice d'Italie en France, à la tribune présidentielle. (Applaudissements ; plusieurs sénatrices et sénateurs se lèvent.)

Le traité du Quirinal a fait l'objet de nombreuses et longues négociations. Après une crise diplomatique, puis une crise sanitaire, il a été conclu le 26 novembre 2021, scellant ainsi une longue tradition d'amitié entre nos deux pays, membres fondateurs de la Ceca et de la CEE.

Nos échanges sont anciens, et des sommets bilatéraux sont régulièrement organisés. Toutefois, le manque de cadre exposait notre relation bilatérale aux changements de majorité dans nos deux pays. Désormais, nos positions seront mieux coordonnées et plus influentes au niveau européen, comme l'a permis le traité de l'Élysée pour le couple franco-allemand.

Les enjeux sont multiples le long des 515 kilomètres de notre frontière commune ; nous partageons des bassins de vie, des espaces naturels et des infrastructures.

Le traité du Quirinal a un objectif simple : organiser la relation bilatérale en lui donnant un cadre et des orientations stratégiques qui permettront de l'inscrire dans la durée. Il promeut une politique étrangère visant à stabiliser la Méditerranée ; une politique de défense avec une assistance mutuelle en cas d'agression ; une politique de sécurité tournée vers la lutte contre les réseaux d'immigration clandestine, la criminalité, la corruption et la fraude -  souvent, l'Italie a été abandonnée dans ce domaine ; une politique agricole qui protège la qualité des produits. Un service civique commun sera créé. Enfin, le traité évoque la coopération entre nos parlements.

Le 25 septembre dernier, les Italiens ont choisi de placer Mme Meloni à la tête de leur pays. Celle-ci considérait que ce traité n'était pas démocratique, et qu'il servait avant tout les intérêts français - parlant même d'impérialisme français. Son parti, Fratelli d'Italia, a voté contre sa ratification. Gageons qu'il ne s'agissait que de péripéties de campagne... Depuis, des signes encourageants ont été envoyés : Giorgia Meloni a rappelé que l'Italie faisait pleinement partie de l'Europe. J'espère que vous pourrez nous apporter des précisions sur les échanges de dimanche dernier entre le Président de la République et la présidente du Conseil.

Le groupe UC appelle à voter ce texte : il est plus que nécessaire de sceller une coopération historique et des ambitions communes. Grâce à MM. Draghi et Mattarella, le traité a pu aboutir. Ne ruinons pas ces efforts. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Voilà quelques mois, cette ratification n'aurait pas suscité beaucoup de commentaires, au vu de l'embellie de nos relations diplomatiques avec l'Italie. Le traité du Quirinal avait été signé le 26 novembre 2021 dans ce contexte.

Seulement voilà : les élections législatives ont porté au pouvoir Mme Meloni. Le parti d'extrême droite de la Présidente du Conseil, Fratelli d'Italia, et son admiration pour Mussolini interrogent - sans compter les propos propoutiniens ou ultraconservateurs de ses partenaires.

Pour autant, le traité, un engagement de long terme, doit être dissocié de la nouvelle donne politique, par nature conjoncturelle. Les dirigeants passent, les traités durent. Cet accord n'est-il pas un moyen de maintenir l'Italie dans les clous de la démocratie ?

L'article 9 place la jeunesse au coeur de la relation bilatérale ; le traité prévoit aussi un approfondissement des coopérations de défense, spatiales et industrielles.

Nous avons en partage une culture latine et une vision commune européenne : l'article 3 du traité évoque ainsi le développement de l'autonomie stratégique européenne.

Mme Meloni a rappelé hier devant les députés que l'Italie faisait pleinement partie de l'Europe et de l'Otan. Elle sera jugée sur les actes, comme l'a dit l'Élysée. Vu la dépendance de l'Italie au plan de relance européen, pour 200 milliards d'euros, elle n'aura guère intérêt à s'éloigner de l'Europe.

Il est de la responsabilité de l'Union de mieux appréhender les défis qui mettent à l'épreuve la cohésion européenne, dont la question migratoire, que les pays méditerranéens doivent gérer en première ligne. Il est bon que le traité mentionne ce sujet.

Le traité laisse entrevoir un approfondissement de la coopération. Il est vrai que ceux qui dirigent aujourd'hui l'Italie ne l'ont pas voté, et qu'il nous faudra donc être vigilant ; mais il convient de tirer vers le haut et de ratifier ce traité. Enfin, conservons notre confiance au peuple italien, et souvenons-nous d'où vient le chant « Bella ciao »... Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Isabelle Raimond-Pavero .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a peu de nations dans le monde dont la France peut dire sans emphase excessive qu'elles sont des nations soeurs ; l'Italie en fait partie.

Au fil du temps, nos relations ont pu être tumultueuses - comment en serait-il autrement en vingt siècles d'histoire partagée, marqués par tant d'influences réciproques ? La profondeur de ces liens se reflète jusqu'au palais dans lequel nous siégeons, conçu dans un style italien pour une princesse italienne devenue reine de France.

M. André Gattolin.  - Tout à fait !

Mme Isabelle Raimond-Pavero.  - La culture nous a toujours rapprochés, terreau d'une relation fondée sur une géographie commune et des liens économiques profonds. Nous avons en commun plus de 500 kilomètres de frontière alpine et une partie de la Méditerranée, ce qui détermine des enjeux migratoires, stratégiques et environnementaux communs. Avec 84 milliards d'euros d'échanges en 2019, nous sommes des partenaires commerciaux évidents.

Pourtant, nous n'avions signé jusqu'ici aucun traité d'amitié ou de coopération globale.

Ce texte concrétise cette relation en la sanctuarisant, en la structurant, en la valorisant. Nos deux pays, fondateurs de l'Union européenne, ont tout à y gagner.

Les élections du 25 septembre ont vu la victoire d'une coalition qui interroge et inquiète ; mais le peuple italien s'est exprimé souverainement, son choix doit être respecté. Gardons-nous de lui adresser un message, a fortiori une sanction.

D'autant que ce texte réaffirme des valeurs essentielles et ne crée pas d'obligations réciproques. Il propose une matrice, pour développer notre compréhension réciproque.

Aux gouvernements, aux administrations, aux collectivités et aux sociétés civiles de faire vivre ce cadre, qui couvre l'ensemble des domaines de la coopération : migration, économie, enseignement, culture, etc.

Je songe en particulier à la sécurité et à la défense, un champ fondamental, sinon existentiel. Face aux nombreux défis, aux nouvelles crises dans le bassin méditerranéen, il est nécessaire de renforcer la coopération pour la sécurité de l'Europe.

Nous avons de réelles convergences, notamment le souci constant de la sécurité et de la stabilité de la Méditerranée. Cette question figure d'ailleurs en bonne place dans le traité.

Toutefois, nos visions stratégiques ne sont pas toujours synchrones. Si la réflexion sur l'autonomie stratégique progresse en Italie, l'expression n'y a pas le même sens qu'en France...

Je me réjouis donc que le traité institutionnalise un dialogue stratégique soutenu, avec un accent mis sur les synergies et les alliances à développer entre nos industries de défense.

Saluons la volonté d'avancer dans le secteur spatial ; il faudra apprendre à mieux unir nos forces pour faire face à une concurrence internationale grandissante.

Sur l'immigration, les divergences ont conduit à une brouille diplomatique. La question n'est pas éludée, mais traitée succinctement. Un mécanisme de concertation renforcée est créé au niveau ministériel, qui s'appuiera sur une unité opérationnelle conjointe. Il n'y aura pas de solution efficace qui ne soit concertée. Le groupe Les Républicains restera attentif à l'évolution de la situation migratoire sur le terrain, mais ce nouveau dispositif est un progrès.

Un mot sur la jeunesse, enfin. Nous savons le rôle qu'a joué l'Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) dans le resserrement des liens franco-allemands : dix millions de jeunes en soixante ans ont participé à des programmes d'échanges. La création d'un conseil franco-italien de la jeunesse et d'un service civique franco-italien amplifiera les contacts noués par ceux qui feront l'avenir. C'est peut-être là le meilleur gage de succès du traité, car c'est bien le lien profond entre nos deux peuples qui fera que ce texte résistera à l'épreuve du temps.

Voici l'occasion de consolider l'amitié profonde entre nos deux peuples. Le groupe Les Républicains la saisira en votant la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)

Mme Colette Mélot .  - La France et l'Italie ont une très longue relation, qui tient à notre proximité et notre histoire commune, laquelle remonte aux Gaulois et aux Romains. Nous avons ensemble connu la Renaissance, dont ce palais est exemplaire.

Ensemble, nous avons fait l'Europe, dont nous sommes membres fondateurs.

La victoire de Mme Meloni le 25 septembre dernier peut paraître inquiétante dans le berceau du fascisme, mais l'Italie n'est pas un cas isolé en Europe. En France, les extrêmes sont arrivés en tête du premier tour de la présidentielle. Partout en Europe souffle un vent de radicalité.

Le peuple italien a voté, respectons le résultat, ce qui ne nous empêchera pas de lutter contre les idées de Mme Meloni. Le groupe Les Indépendants a toujours rejeté l'extrémisme et soutient les initiatives qui renforcent la coopération entre les États.

Ce traité resserre la coopération dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, de la justice, des politiques migratoires. L'économie et le développement durable, deux des priorités de nos pays et de nos peuples, ne sont pas ignorés. C'est par le travail que nous améliorerons la situation de nos citoyens et de nos entreprises.

La convention prépare aussi l'avenir : sur l'espace ou le numérique, nous nous donnons les moyens de bâtir un avenir meilleur.

La vigilance s'impose -  la nouvelle donne en Italie ne correspond pas à nos valeurs  - , mais cela ne doit pas nous détourner de la coopération. Nos pays ont besoin l'un de l'autre. En travaillant ensemble, nous ferons rayonner nos idées et nos valeurs.

Notre groupe votera ce texte conforme à nos valeurs de coopération européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Julien Bargeton.  - Très bien !

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le GEST a demandé le retour à la procédure normale pour deux raisons.

Ce traité n'est que le deuxième de cette nature signé entre la France et un pays européen, le premier étant le traité de l'Élysée de 1963, qui a jeté les bases du couple franco-allemand. C'est donc un acte politique extrêmement fort.

Mais le Sénat se prononce alors que l'Italie est à un tournant politique de son histoire -  vous en avez peu parlé, Mme la ministre : la victoire d'une coalition d'extrême droite et de droite qui a abouti à la désignation de la dirigeante fasciste Giorgia Meloni à la présidence du Conseil.

Cette victoire de l'extrême droite dans un pays fondateur de l'Union européenne est d'une gravité extrême. Elle signe l'échec de la politique communautaire, l'échec des politiques d'austérité qui ont appauvri les pays du sud de l'Europe, l'échec de notre politique migratoire -  Dublin I, II et III qui forcent l'enregistrement de la demande d'asile dans le premier pays européen visité.

Sans exonérer les dirigeants italiens, à commencer par le triste sire Berlusconi, reconnaissons la responsabilité de la France et de l'Union européenne.

Si nous avions conclu ce traité il y a vingt ans, nous aurions sans doute évité à l'Italie de sombrer dans l'abîme fasciste. Ses dispositions, et notamment la construction d'un réflexe franco-italien, sont de nature à permettre à Rome de sortir de son isolement.

Nous ne rejetons pas ce traité, mais, alors que les héritiers de Mussolini sont au pouvoir, il faut être d'une intransigeance absolue sur le respect des droits fondamentaux, du droit des femmes et des minorités. La France suspendra-t-elle l'exécution du traité quand ces droits seront bafoués ? Refusera-t-elle d'extrader des militants antifascistes qui se réfugieraient sur son sol ? Ou veut-elle poursuivre la normalisation de l'extrême droite que le Président de la République semble avoir entamée dimanche ?

Nous avons besoin de garanties fermes du Gouvernement pour nous prononcer en faveur de la ratification. À défaut, le GEST sera contraint de s'abstenir. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. André Gattolin .  - Ce n'est pas sans émotion que j'exprime la totale adhésion de mon groupe à ce traité, déjà ratifié par les deux chambres italiennes et par l'Assemblée nationale. Une émotion personnelle, partagée par nombre d'entre nous qui avons des ascendances transalpines. Mes deux grands-pères ont quitté l'Italie pour fuir le fascisme ; ils ont pris épouse en France et choisi de ne pas apprendre la langue de Dante à leurs enfants. Lorsque j'ai voulu apprendre l'italien au collège, ma mère m'a imposé l'allemand, la langue des bons élèves. C'est en adulte que j'ai découvert le pays de mes aïeux, allant jusqu'à adhérer à cet ovni politique qu'est le Partito Radicale de feu Marco Pannella.

C'est par ce biculturalisme que j'ai véritablement saisi l'enjeu de la construction européenne.

J'ai compris que l'Union européenne ne pouvait tout, que les leviers essentiels d'un vivre-ensemble européen -  la culture, l'éducation, l'agir politique  - demeuraient compétence nationale. Les dépenses en faveur de l'enseignement et de la culture, 5 % de nos PIB nationaux, représentent à peine 1,4 % du budget de l'Union.

Se vivre Européen ne se décrète pas. On peut vivre sous le même toit et ne pas s'aimer. C'est le cas quand nous ne voyons pas ce que l'autre tient de nous en lui et ce que nous tenons de lui en nous.

Au-delà des guerres et rivalités, il faut retrouver le fil long de notre histoire et de notre culture communes. La réconciliation franco-allemande, défi impensable en 1945, s'est réalisée. Jamais, sans elle, la réunification franco-allemande n'eût été possible. Le traité de l'Élysée a joué un rôle majeur dans ce rapprochement.

Nous n'avons que trop attendu pour avoir une relation similaire avec l'Italie, notre deuxième partenaire économique, le pays avec lequel notre filiation culturelle est la plus ancienne et la plus intense. Il est impératif aujourd'hui d'apaiser nos querelles de voisinage et de cousinage, de raviver les liens qui nous rassemblent. Ce traité est plus ambitieux que celui de l'Élysée.

Oui, l'Italie s'est dotée d'un Gouvernement dominé par le seul parti qui se soit opposé à sa ratification. Mais c'est une chose d'avoir des postures quand on est dans l'opposition, une autre que d'être en responsabilité... (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. André Vallini .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'ai été touché par les paroles de M. Gattolin, avec qui je partage des origines italiennes, à défaut du même lyrisme. Ce moment est important pour la très nombreuse communauté française d'origine italienne.

Tout a été dit sur le contenu du traité : je me concentrerai sur la question de son devenir. Il peut rester un parchemin, ou au contraire servir de tremplin à une coopération approfondie entre nos deux pays.

La France est la deuxième destination des étudiants italiens à l'étranger ; elle est le deuxième pays d'origine des étudiants en mobilité en Italie. Le Medef et son équivalent italien ont des liens très étroits. Nos relations culturelles et universitaires sont intenses.

La droite italienne, qui est l'équivalent de notre extrême droite, a gagné les élections et ne s'est guère montrée francophile jusqu'ici. Fratelli d'Italia et la Lega ont voté contre le traité, considérant qu'il servait d'abord les intérêts français. Pas moins de 40 % des Italiens disent avoir de l'antipathie pour la France ; ils nous reprochent notre arrogance -  un sentiment partagé par d'autres peuples européens. Voyez le traitement médiatique réservé à ce traité : on en a beaucoup parlé en Italie, à peine en France.

Qualifier le nouveau gouvernement de fasciste, comme l'a fait Guillaume Gontard, est un peu rapide. Certes, Mme Meloni s'inscrit dans l'histoire du mouvement néo-fasciste, le MSI ; Ignazio Benito La Russa, président du Sénat italien, se réclame ouvertement de Mussolini. Mais Mme Meloni ne propose pas une nouvelle marche sur Rome ! Au fond, elle a réussi une synthèse entre le cadre géopolitique de l'Alliance atlantique, le cadre économique de l'Union européenne et des valeurs très conservatrices sur le plan sociétal.

Elle a réussi une opération compliquée pour se recentrer et rassurer les milieux économiques comme les alliés de l'Italie. « L'Italie est pleinement et la tête haute dans l'Union européenne et l'Otan », a-t-elle déclaré. Hier, elle a abjuré le fascisme et les lois raciales de 1938.

Va-t-elle réaffirmer la prééminence des nations et de leur souveraineté, voire emprunter la voie polonaise ou hongroise au regard des valeurs européennes ? Ce sera à la Commission et au Parlement européen de le constater et d'y répondre.

À ce jour, les nominations auxquelles elle a procédé situent son gouvernement dans une forme de continuité européenne : Antonio Tajani aux affaires étrangères, Giancarlo Giorgetti, déjà en poste sous Draghi, à l'économie.

J'ajoute que la solidité de son gouvernement dans la durée n'est pas évidente. Évitons des jugements hâtifs pour ne pas être taxés d'arrogance. Vous avez eu il y a quelques jours, madame la ministre, une formule maladroite.

Saisissons l'occasion de donner à notre relation avec l'Italie l'importance qu'elle mérite. Le groupe SER votera ce texte ; pour ma part, ce sera avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDPI, et sur le banc des commissions)

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Parfait, c'est ce qu'il faut dire.

Mme Éliane Assassi .  - Ce traité de coopération renforcée entre notre pays et l'Italie contient plusieurs mesures qui recueillent notre approbation. Mais il y a le texte et le contexte. Nous ne pouvons ignorer le résultat des élections italiennes.

La belle devise de l'Europe, « unie dans la diversité », est menacée par la victoire de la coalition emmenée par Fratelli d'Italia, un parti non de droite mais bien d'extrême droite, issu de la mouvance postfasciste. La nomination de Mme Meloni n'augure rien de bon : ce n'est pas qu'un mauvais moment à passer !

Parmi les mesures de ce traité figure un durcissement de la politique migratoire. Or Mme Meloni entend fermer les ports où les navires d'ONG débarquent les migrants et multiplier les centres de surveillance et les expulsions. En août 2019, d'une rigidité glaciale, elle proposait un blocus naval qui empêcherait l'embarquement des migrants depuis la Lybie ou la Tunisie.

Ce traité appréhende la coopération en matière migratoire sous un prisme répressif et non solidaire. Il n'envisage aucune opération commune de sauvetage, alors que la Méditerranée est devenue un véritable cimetière pour les migrants : 2 836 décès depuis 2021 selon l'ONU !

Nous craignons que les positions de la nouvelle présidente du Conseil n'aggravent cette situation. Elles ne rendent pas justice à l'histoire, à la richesse et la diversité de la culture de l'Italie.

Comment ignorer l'épée de Damoclès qui plane au-dessus des réfugiés ? Mme Meloni ne tend pas la main. Elle n'incarne pas « la main ouverte, les yeux attentifs, la vie à se partager » que chante Paul Eluard.

Nous ne voterons pas contre ce texte, mais nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST)

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Ramenons ce débat à sa juste mesure. Les traités sont signés entre les peuples, entre les pays. Celui-ci a été négocié par le gouvernement Draghi. La couleur politique du gouvernement italien - qui ne l'a d'ailleurs pas dénoncé - n'entre pas en ligne de compte. Laissons sa chance à un gouvernement démocratiquement élu.

Nous devons renforcer nos liens avec l'Italie, tout particulièrement sur les sujets de défense. Donnons sa chance à ce traité !

Nos liens avec ce grand pays sont nombreux. Je souhaite une réponse franche du Sénat pour renforcer notre amitié. Que Mme l'ambassadrice ne soit pas déçue par le vote des sénateurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP, ainsi que du RDPI et du RDSE)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - De nombreuses manifestations d'amitié envers le peuple italien s'expriment au Sénat. Monsieur Gontard, je vous laisse la responsabilité de vos propos. Mme Meloni s'est exprimée sur son histoire : lors de son discours de politique générale, elle a dit que le fascisme avait constitué le point le plus bas de cette histoire.

Mme Éliane Assassi.  - Elle n'a pas dit cela.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Nous ne partageons pas sa ligne politique, et nous défendrons une toute autre offre politique dans la perspective des élections européennes de 2024. C'est un combat légitime qu'il faudra avoir de manière respectueuse devant les électeurs.

Mme Éliane Assassi.  - Il faut dire la vérité, madame la ministre ! (Protestation sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin proteste également.)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Ce traité est une matrice. Il sera ce que nos deux peuples en feront. Les opportunités économiques sont nombreuses, dans l'automobile avec Stellantis, ou dans le domaine des microprocesseurs avec STMicroelectronics, qui va ouvrir une usine à Crolles.

Nous avons des intérêts de défense conjoints, des synergies opérationnelles avec Irini, des coopérations spatiales en cours au sein de l'Agence spatiale européenne. Je pense surtout au rapprochement entre les jeunes Français et les jeunes Italiens, notamment via le service civique ou le renforcement de la mobilité.

Enfin, dans le cadre de la présidence française, nous avons avancé sur le pacte asile et migration, autour des notions de responsabilité et de solidarité : responsabilité des pays d'entrée dans l'accueil des migrants, solidarité des pays de flux secondaires vis-à-vis des premiers.

Je vous remercie pour ce riche débat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes INDEP et UC ; M. Sébastien Meurant applaudit également.)

Discussion de l'article unique

M. Philippe Tabarot .  - Je souhaite que la France ne rompe pas ses liens avec son voisin. Nos relations doivent se poursuivre. La coopération transfrontalière occupe dans ce texte une place renforcée, notamment en matière ferroviaire : le chantier Lyon-Turin, mais aussi la ligne Coni-Vintimille et le tunnel routier de Tende. Ces infrastructures, touchées par la tempête Alex, doivent être modernisées.

Ce traité consacre des instances de dialogue politique bilatérales existantes comme les conférences intergouvernementales, qui n'ont pas donné encore de réponses satisfaisantes. Je pense à la révision de la convention d'exploitation de la ligne de 1970.

Vitaminé par le traité du Quirinal, j'accorde à ce traité un satisfecit, mais à la condition qu'il porte ses fruits sur la question des transports, qui m'est chère. En éternel optimiste, j'y crois ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Très bien !

Mme Mélanie Vogel .  - Il s'agit d'un vote compliqué pour le GEST. Les écologistes sont profondément européens, fédéralistes, et le renforcement des liens entre les peuples nous est cher.

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Prouvez-le !

Mme Mélanie Vogel.  - Espérons que ce traité durera plus longtemps que le gouvernement italien actuel. N'en déplaise à M. Vallini, je considère que ce gouvernement est bien d'extrême droite, et je n'hésite pas à qualifier Mme Meloni de néofasciste.

Son gouvernement porte des valeurs qui sont à l'opposé des nôtres et de celles de l'Union européenne. Que fera le Gouvernement français le jour où les libertés fondamentales seront violées en Italie ? En l'absence de réponse claire de la part de Mme la ministre, nous nous abstiendrons.

M. Hervé Marseille .  - Président du groupe d'amitié France-Italie, je fais miens les propos du président Cambon. Nous n'avons pas à nous immiscer dans les choix des autres pays (applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et sur le banc des commissions), autrement nous ne parlerons plus avec les Polonais, les Hongrois, les Autrichiens... Il faudrait rétrécir les salles de réunion européennes.

Nous pouvons avoir des opinions et des sensibilités, mais les traités sont faits pour durer. Il s'agit ici des relations entre la France et l'Italie, et non pas des relations entre deux gouvernements.

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Tout à fait !

M. Hervé Marseille.  - Nous ne sommes pas nous-mêmes irréprochables... Gardons-nous de donner des leçons. Marquons ce qui fait le lien très fort entre la France et l'Italie. Le travail parlementaire a permis de maintenir le lien entre nos deux pays pendant les crises. J'appelle évidemment à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que sur le banc des commissions)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Vous connaissez nos valeurs et je crois que vous les partagez. Vous connaissez les valeurs de l'Union européenne, son cadre légal et réglementaire. Je ne spéculerai pas sur les actions du gouvernement italien. Ce traité sera ce que nous en ferons.

L'article unique est adopté et le projet de loi est définitivement adopté.

(Applaudissements sur toutes les travées à l'exception de celles du groupe CRCE et du GEST)

La séance est suspendue à 17 h 55.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 21 h 30.