Établir une paix durable entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, déposée en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à appliquer des sanctions à l'encontre de l'Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l'accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 et à favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays, présentée par MM. Bruno Retailleau et Christian Cambon, Mme Éliane Assassi et MM. Patrick Kanner, Hervé Marseille et Gilbert-Luc Devinaz.

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jocelyne Guidez et M. Alain Cazabonne applaudissent également). Cette nouvelle résolution fait écho à celle adoptée par notre assemblée voilà deux ans. À l'époque, nous plaidions pour condamner l'agression de l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabagh, avec le soutien de la Turquie. Il s'agissait, déjà, d'une démarche transpartisane. Je salue les présidents de groupe qui ont cosigné la présente motion, signée aussi par Christian Cambon et Gilbert-Luc Devinaz, président du groupe d'amitié France-Arménie.

L'enjeu dépasse les clivages habituels. Il s'agit de nos intérêts, mais aussi de nos principes et de nos valeurs.

La France et l'Arménie sont unies par une amitié multiséculaire. Nos liens culturels sont nombreux : c'est d'ailleurs à Erevan que s'est tenu l'un des derniers sommets de la Francophonie, en 2018.

Nous ne faisions pas confiance à l'accord de paix du 10 novembre 2020 : les faits nous ont donné raison. Aujourd'hui, l'Azerbaïdjan attaque l'Arménie sur son sol même. Les chancelleries protestent mollement, pour la forme, et malgré les crimes de guerre documentés, aucune sanction n'est prise.

Monsieur Becht, je n'ai rien contre vous, mais quelle signification le Gouvernement attache-t-il à la cause de l'Arménie en dépêchant au Sénat le ministre du commerce extérieur ? Je regrette cette désinvolture, et je ne suis pas le seul. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE)

Une mission d'observation a été envoyée sur place. Mais le temps n'est plus d'observer ou de protester : il faut sanctionner, et c'est l'objet de cette résolution.

Ne laissons pas l'Arménie seule à son malheur !

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Bruno Retailleau.  - Si nous le faisions, nous ressentirions la honte et la peur.

La Russie, qui viole la souveraineté de l'Ukraine, est condamnée : pourquoi ne condamne-t-on pas l'Azerbaïdjan et la Turquie, qui violent celle de l'Arménie ? Des crimes de guerre sont commis en Ukraine, d'autres le sont en Arménie. Ce deux poids, deux mesures est une honte. La souveraineté de l'Arménie vaut-elle moins que celle de l'Ukraine ? Les vies arméniennes valent-elles moins que les vies ukrainiennes ?

Quand la présidente de la Commission européenne s'est rendue à Bakou pour signer un accord gazier, où étaient les belles âmes et les grandes consciences ? Ce silence scandaleux témoigne du cynisme et du relativisme d'une Europe oublieuse de ses principes et de ses racines.

Si la honte ne nous envahissait pas, nous devrions être saisis par la crainte. Car l'équilibre géopolitique européen, ébranlé par l'impérialisme russe à l'est, pourrait l'être demain au sud par l'impérialisme turc. La Turquie veut reconstituer un ensemble néo-ottoman panturc - Erdogan le répète à l'envi.

Erdogan déroule son plan : d'abord, effacer du Haut-Karabagh toute trace d'arménité ; ensuite, transpercer de part en part l'Arménie via la création d'un couloir reliant la Turquie et l'Azerbaïdjan ; enfin, effacer de la carte l'Arménie elle-même.

Le peuple arménien porte à jamais la marque, indélébile, du génocide. Le choix funeste de l'inaction nous conduirait au déshonneur et à la défaite. Non seulement nous ne serions pas à la hauteur de notre histoire et de nos principes, mais la Turquie menacerait alors la Grèce.

Emprunteons plutôt le chemin du courage, en affirmant notre solidarité avec l'Arménie et notre fermeté à l'égard de ses agresseurs. Cette réaction passe par des sanctions - gel d'avoirs de dirigeants, embargo sur le pétrole et le gaz -, mais aussi par une action diplomatique résolue.

Nous devons exiger le rapatriement des prisonniers arméniens sur leur sol. Ensuite, il faut saisir le conseil de sécurité des Nations unies et la Cour pénale internationale, pour que les crimes de guerre ne restent pas impunis. Une force non plus d'observation - expression en elle-même antinomique -, mais d'interposition doit être dépêchée sur place. Enfin, la France doit fournir des armes défensives aux Arméniens pour les aider à se défendre.

Grâce à Jacques Chirac, la France fut, il y a vingt ans, le premier pays à reconnaître le génocide arménien. En 2020, monsieur le président, le Sénat fut la première assemblée parlementaire au monde à envoyer, à la quasi-unanimité, un message de soutien au peuple arménien.

Voici que l'Arménie nous appelle de nouveau à son aide. Soyons fidèles à nos principes et à l'amitié qui nous lie à ce grand peuple, sentinelle d'une belle civilisation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER, INDEP et CRCE ; M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Éliane Assassi applaudit également.) Cette proposition de résolution a une première vertu : marquer notre attachement à une paix durable et notre soutien sans faille au peuple arménien, qui souffre sous le joug de la guerre et du nationalisme. Nous n'exprimerons jamais assez notre soutien à l'Arménie, constamment affirmé par le groupe SER.

Depuis 2020, le conflit a fait plus de 6 500 morts. Je salue l'action inlassable de Gilbert-Luc Devinaz, président du groupe d'amitié France-Arménie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur de nombreuses travées des groupes CRCE, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains)

Ce peuple qui a tant souffert doit voir revenir ses fils dans leur foyer. Les forces azéries doivent se retirer d'Arménie et respecter l'intégrité territoriale du pays.

À l'évidence, le cadre actuel n'offre à l'Arménie qu'un faux-semblant de sécurité. L'Azerbaïdjan s'efforce de maximiser ses gains territoriaux.

Nous, parlementaires, avons un rôle à jouer pour contribuer à réduire les tensions. C'est ce qu'a montré notre première résolution, suivie de notre déplacement en Arménie avec vous, monsieur le président ; je vous remercie de nous avoir invités à vous accompagner.

Notre précédente résolution, très appréciée par les autorités et le peuple arméniens, portait sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. Il semble que notre détermination ait eu quelques effets, y compris pour sensibiliser le Président de la République.

Il y a quelques jours, les deux parties se sont réunies à Sotchi. Mais restons attentifs : le médiateur russe n'est plus en mesure de stabiliser la situation à moyen et à long terme. La France doit jouer son rôle, et le Président de la République bouger davantage qu'il ne l'a fait jusqu'ici.

L'Union européenne doit conditionner ses achats de gaz à l'Azerbaïdjan au respect du droit international. Le Gouvernement doit agir au plus haut niveau pour que les frontières reconnues de l'Arménie soient respectées, avec une force de l'interposition de l'ONU et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il faut aussi soutenir l'initiative arménienne d'une zone démilitarisée dans le Haut-Karabagh.

En adoptant cette proposition de résolution, nous manifestons notre soutien à un règlement pacifique du conflit et à l'État de droit dans ces deux États membres du Conseil de l'Europe. Tout doit être fait pour que l'Azerbaïdjan s'engage plus avant dans la voie de la négociation. Il est temps de retrouver le dialogue et de satisfaire les Arméniens dans leur volonté de paix durable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur de nombreuses travées des groupes CRCE, INDEP, UC, Les Républicains et du RDSE.)

M. Pierre Ouzoulias .  - En septembre dernier, une délégation du Sénat s'est rendue à Erevan. Vladimir Vardanyan, président du groupe d'amitié Arménie-France, nous a confié, les larmes aux yeux, sa terreur de ne pas pouvoir éviter à son peuple un nouveau génocide.

En octobre 2019, nous étions tous les deux au mont Valérien, là où Missak Manouchian fut fusillé par les Allemands en?février 1944. Missak Manouchian a donné sa vie pour la liberté de la France. Que sommes-nous prêts à donner à l'Arménie pour sa liberté ?

En 2020, la République d'Artsakh a subi l'invasion militaire de l'Azerbaïdjan, aidé par la Turquie et des groupes djihadistes. La Turquie a participé, au moins indirectement, à un conflit de haute intensité selon une doctrine et des processus appris au sein de l'Otan. Les drones turcs engagés par l'Ukraine sont aussi ceux utilisés par l'Azerbaïdjan. Israël fournit aussi des drones aux deux armées.

La République d'Artsakh et l'Arménie ont été totalement dépassées : elles n'ont dû leur survie qu'à la mansuétude de la Russie. Mais le désastre de l'armée russe en Ukraine conduit l'Azerbaïdjan à pousser son avantage. Son objectif est connu : établir une continuité territoriale avec sa république autonome exclavée du Nakhitchevan en annexant un corridor le long de la frontière entre l'Arménie et l'Iran. Cette ambition s'inscrit dans le projet panturquiste d'un espace unifié d'Istanbul à Bichkek.

Le Président de la République a condamné les violations des frontières arméniennes. Mais la présidente de la Commission européenne s'est rendue à Bakou pour sceller un partenariat stratégique avec l'Azerbaïdjan, qualifié de partenaire de confiance.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Scandaleux !

M. Pierre Ouzoulias.  - L'Azerbaïdjan vend plus de pétrole qu'il n'en produit, exportant sans doute du pétrole reçu de la Russie. Par ailleurs, le principal champ gazier d'Azerbaïdjan est exploité en partie par la compagnie russe Lukoil. Ainsi, nous sommes prêts à oublier tous nos principes pour assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l'Europe, singulièrement de l'Allemagne.

Depuis plus d'un siècle, l'Arménie est le miroir de nos lâchetés et de nos trahisons.

M. Bruno Belin.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias.  - Nous sommes très favorables à cette résolution demandant au Gouvernement d'agir.

De nombreux Arméniens pensent trouver leur salut dans la Russie - le Catholicos de l'Église apostolique arménienne vient de recevoir de Vladimir Poutine les insignes de l'Ordre de l'Honneur. Mais le soutien russe a déjà été défaillant dans le passé, et la Russie a intérêt à prolonger le conflit pour maintenir l'Arménie dans un état de subordination.

Pour aider durablement l'Arménie, nous devons poser les bases d'un nouveau multilatéralisme à l'échelle du continent européen et de son environnement proche, sans éluder les problèmes posés par nos relations avec la Turquie. Son appartenance à l'Otan ne justifie pas l'abdication collective de l'Europe face à l'agression de l'Arménie, mais aussi face aux manoeuvres turques contre la Grèce.

Mme Valérie Boyer.  - Absolument !

M. Pierre Ouzoulias.  - Avant d'être fusillé, Missak Manouchian écrivait à sa femme : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement ». Le peuple arménien nous demande de rester fidèles à notre combat pour la liberté et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. (Applaudissements)

M. Jacques Le Nay .  - En 2020, plusieurs semaines de combats ont déchiré l'Arménie et l'Azerbaïdjan, causant la mort de 6 500 personnes. Puis les armes se sont tues, à la suite du cessez-le-feu du 10 novembre 2020.

Dans la nuit du 12 au 13 septembre dernier, ce cessez-le-feu a été rompu par l'Azerbaïdjan. Bilan : 286 morts. Ces affrontements ne sont pas des actes isolés. Les deux pays s'accusent mutuellement de bombardements frontaliers.

Le recours à la force ne peut être le moyen de régler les conflits entre ces deux pays membres du Conseil de l'Europe, du partenariat oriental de l'Union européenne et de la nouvelle Communauté politique européenne.

Afin de trouver le chemin de la paix, l'intégrité territoriale de l'Arménie doit être respectée : l'Azerbaïdjan doit se retirer, conformément à la déclaration d'Alma-Ata de 1991.

Le 6 octobre dernier à Prague, lors du premier sommet de la Communauté politique européenne, un premier pas a été franchi avec l'envoi d'une mission civile le long de la frontière entre les deux pays. Quelles en sont les premières conclusions ?

L'Union européenne veut jouer un rôle de médiateur mais elle est soumise à de fortes influences géopolitiques, notamment en matière énergétique, conséquences directes de la guerre en Ukraine. La Russie a renforcé cet été ses relations avec l'Azerbaïdjan. Comment l'Union européenne peut-elle agir sans pression ?

Le patrimoine du Haut-Karabagh est en péril. Dans notre rapport de septembre 2021, nous alertions déjà sur le risque de destruction du petit patrimoine, qui témoigne de l'empreinte arménienne dans la région.

Le Sénat se tient aux côtés de l'Arménie depuis toujours. Le groupe UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE)

présidence de M. Alain Richard, vice-président

M. Jean Louis Masson .  - Face à la scandaleuse agression de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie, l'inaction des États-Unis, de l'Union européenne et de la France est lamentable. Cette proposition de résolution est bienvenue, mais mettre en cause le dictateur Ilham Aliev ne suffit pas : c'est surtout le Turc Erdogan qui sème la zizanie partout, s'en prenant aux Grecs, aux Kurdes, occupant une partie de la Syrie.

Il n'a jamais reconnu le génocide de 1915 ni ne l'a désavoué : on peut même dire qu'il l'a approuvé. Il ne serait sans doute pas mécontent d'en commettre un second contre les Arméniens, voire un troisième contre les Kurdes.

Notre attitude est discriminatoire contre l'Arménie si on la compare aux réactions face au conflit en Ukraine : contrairement à la Russie, l'Azerbaïdjan et la Turquie n'ont pas été exclus du Conseil de l'Europe. Pire, ils sont inclus dans la communauté politique européenne ! Nous cautionnons ces crimes de guerre ! Pourquoi le Turc Erdogan et son complice azéri se gêneraient-ils ?

Le comble est le doublement des achats de gaz naturel à l'Azerbaïdjan, ainsi remercié d'avoir commis des crimes de guerre.

L'Union européenne est en dessous de tout, et le Gouvernement français aussi : les belles paroles sont là, mais il ne fait rien, surtout en comparaison de ce que nous faisons pour l'Ukraine. La France et l'Union européenne cautionnent ! On rend même visite au dictateur azéri... C'est honteux.

Il y a une responsabilité morale de nos dirigeants, y compris français.

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 9 novembre dernier, à Toulon, le Président de la République déclarait, en présentant la nouvelle revue nationale stratégique : « L'agression contre l'Ukraine risque de préfigurer de plus vastes rivalités géopolitiques à l'avenir que nous n'avons nulle raison d'accepter avec fatalisme et que nous n'entendons pas subir avec passivité. » La proposition de résolution présentée aujourd'hui nous invite ainsi à ne pas accepter la fatalité du conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, illustration des jeux d'influence entre la Russie et la Turquie qui ont toutes deux des aspirations dans le Caucase.

L'Arménie a une dimension européenne, entretenue par sa proximité culturelle avec la France. De la première guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, remportée en 1994 par les Arméniens, à celle dite de 44 jours de 2020, le bilan est tragique et les exactions des soldats azéris nous renvoient au génocide de 1915.

Les crimes de Bakou ne doivent pas rester impunis : c'est ce que demande la Commission européenne après la diffusion d'une vidéo montrant des soldats arméniens violentés et assassinés.

L'Azerbaïdjan a de nouveau attaqué en septembre, malgré l'accord tripartite signé sous l'égide de la Russie : a-t-il profité des difficultés de la Russie en Ukraine ? Fort du soutien turc et de drones israéliens, le Président Aliev a poussé son avantage, et se prévaut des quatre résolutions onusiennes de 1993 rappelant l'inviolabilité des frontières.

La rencontre de Prague, le 6 octobre, a échoué sur ce point. Mais ne renonçons pas : tout doit être mis en oeuvre pour faire respecter le cessez-le-feu de novembre 2020. Le couloir de Latchine, en particulier, doit être sécurisé.

Gardons-nous d'insister sur les ressorts religieux : ce conflit ne procède pas d'une croisade islamiste, mais d'une logique d'expansion territoriale. Il est issu d'un découpage incomplet opéré par les Britanniques en 1919, et exploité par les Soviétiques par la suite.

La communauté internationale ne doit pas se décourager, d'autant que l'Arménie avance des propositions, comme celle d'une zone démilitarisée. Le RDSE soutient le Gouvernement et le chef de l'État dans la recherche d'une issue diplomatique, avec l'appui de l'ONU et de l'Union européenne. Il est aussi sensible à la situation de l'Artsakh : nous avons le même devoir moral envers les Ukrainiens et les Arméniens. L'essentiel du groupe votera la résolution, certains s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Valérie Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est à nouveau avec émotion, inquiétude et colère que je m'exprime. Onze ans après la reconnaissance du génocide arménien, l'Assemblée nationale votait, à mon initiative, la pénalisation du négationnisme sur ce sujet. En 1915, les Arméniens furent massacrés de manière industrielle, tout un peuple fut anéanti, alors que le monde restait passif. Cela aurait dû nous obliger à plus de vigilance.

Je salue la diplomatie parlementaire : en 2020, sous l'égide du président Larcher, du président Retailleau et de tous les présidents de groupe, nous avons voté la reconnaissance de l'Artsakh alors que les Arméniens comptaient leurs morts sous les bombes au phosphore et à fragmentation.

Malgré nos alertes, malgré les votes des deux assemblées, le Gouvernement a choisi la neutralité. Mais à quoi sert de déclarer une journée nationale le 24 avril ? La ministre des affaires étrangères semble indifférente. Le 10 décembre 2020, Erdogan, lui, rendait hommage à Enver Pacha, le général architecte du génocide en 1915...

Soutenu par la Turquie, l'Azerbaïdjan, après l'Artsakh, s'attaque à la République souveraine d'Arménie. Les militaires azéris exhibent fièrement leurs crimes de guerre sur la toile. L'histoire est un recommencement, mais elle ne doit pas être un renoncement. Il faut punir ces crimes de guerre, ceux de cette nouvelle guerre de conquête aux portes de l'Europe.

L'Artsakh est sous la menace permanente du nettoyage ethnique, mais c'est le territoire arménien même qui est aujourd'hui attaqué par l'autocrate Aliev. L'institut Lemkin pour la prévention des génocides a lancé une troisième alerte, relevant une logique génocidaire à l'oeuvre. Le racisme d'État et la xénophobie de l'Azerbaïdjan, soutenus par la Turquie, n'épargnent pas l'Europe : la Grèce est menacée et la moitié de Chypre toujours occupée.

Le dictateur Aliev parle des « chiens d'Arméniens » ; Erdogan, lui, les qualifie de « restes de l'épée » de 1915. Leurs vies valent-elles moins que celles des Ukrainiens alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, voit en l'Azerbaïdjan un « partenaire fiable » ? Quelle indécence que de signer ce contrat gazier en juillet qui double les importations européennes de gaz azéri ! Qu'elle se rende, comme nous, sur les tombes des enfants arméniens massacrés.

Comment inviter Aliev, à la tête d'une véritable « caviar connection », qui emprisonne des journalistes, à la table de la communauté politique européenne ? Comment a-t-on pu abandonner cette terre emblématique des chrétiens d'Orient ? Il faut sauver l'Arménie. Notre tradition l'exige : je vous invite à voter cette proposition de résolution.

Saint-Luc écrivait : « S'ils se taisent, les pierres crieront ». Ces églises détruites, ces traces effacées de l'Arménie nous obligent à ne pas laisser ce peuple dans sa solitude. Soyons au rendez-vous de l'Histoire, il sera trop tard ensuite pour verser des larmes de crocodile. Préservons nos liens multiséculaires, votons pour la sécurité des Arméniens. Nous n'avons que trop tardé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Gilbert-Luc Devinaz et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)

M. Joël Guerriau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis un mois seulement, les canons se sont arrêtés. La rivalité entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie a plus d'un siècle. En 1992, le groupe de Minsk était constitué pour trouver une solution politique. Or, trente ans après, le conflit continue. Le cessez-le-feu de 1994 a démontré qu'une paix trompeuse nuit davantage qu'une guerre ouverte.

Comment parvenir à une paix durable ? Le multilatéralisme est incontournable. La France, membre permanent de l'ONU et de l'OSCE, peut-elle agir unilatéralement ? Il faut oeuvrer pour une reconnaissance mutuelle de l'inviolabilité des frontières de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie. C'est l'objet de la réunion quadripartite de Prague, le 6 octobre dernier, à l'initiative du Président Macron. Celui-ci a obtenu le déploiement d'une mission civile de l'Union européenne à la frontière arméno-azérie. Elle a commencé ses travaux il y a une semaine. Il est prématuré d'agir sans attendre ses conclusions.

La France doit conserver son impartialité, comme elle l'a fait dans les discussions entre Israël et le Liban, qui ont signé un accord historique sur leurs frontières il y a quelques semaines.

En revanche, le soutien turc à l'Azerbaïdjan ne fait que compliquer le conflit. Il est indispensable que les retours de population et de prisonniers de guerre se fassent en toute sécurité. Les soldats de l'ONU doivent être déployés aux frontières, en remplacement des forces russes, qui ont échoué dans leur mission.

La France et l'Europe doivent faire pression pour que les auteurs de crimes de guerre soient jugés. Ni l'Arménie, ni l'Azerbaïdjan ne reconnaissent la juridiction du Tribunal pénal international, ce qui empêche la création d'un tribunal spécial.

La culture arménienne est l'une des plus anciennes au monde ; la société azérie est multiethnique. Il faut respecter l'identité des peuples et ne pas alimenter les haines. En éloignant la France de sa position de médiation, il n'est pas sûr que cette résolution serve les intérêts de l'Arménie.

M. Bruno Retailleau.  - J'en suis certain !

M. Joël Guerriau.  - Nous ne sommes pas d'accord sur ce point. Il y va de notre crédibilité et de notre légitimité, d'autant que le Premier ministre arménien Nikol Pachinian fait face à des manifestations qui pourraient l'inciter à reprendre les hostilités.

Notre groupe n'a pas défini de position unanime : chacun de ses membres votera selon sa conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. François Patriat applaudit également.)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La proposition de résolution du président Retailleau réagit à la rupture par l'Azerbaïdjan du cessez-le-feu de novembre 2020. Nous condamnons les affrontements initiés par les militaires azéris, qui ont fait 286 victimes. L'Azerbaïdjan devra répondre de ses crimes de guerre contre des soldats arméniens : il faut diligenter sans délai une enquête internationale.

Nous réitérons notre soutien inconditionnel au peuple arménien, qui a le droit de vivre en paix et en sécurité. Le Président de la République a eu des mots forts pour rappeler que la France ne lâcherait jamais l'Arménie.

La reprise du conflit est une nouvelle conséquence de l'invasion russe en Ukraine. Azerbaïdjan et Turquie tentent, comme d'habitude, d'utiliser la situation à leur avantage. Ainsi de l'accord du 18 juillet entre Bruxelles et Bakou pour doubler nos importations de gaz, qui a été dénoncé par des parlementaires français de tous bords. Nous reportons nos importations d'une dictature impérialiste à l'autre. Tant que nous dépendrons des hydrocarbures, l'autonomie stratégique européenne restera une chimère.

La Russie ne peut plus être la seule garante de la paix ; le groupe de Minsk est dévitalisé : il faut donc déployer une force onusienne d'interposition. Toutefois, aucune intervention ne peut être envisagée sans composer avec la Russie. C'est en effet lors d'un sommet tripartite organisé par celle-ci que les deux parties se sont engagées à ne pas reprendre le conflit, avant que les États-Unis ne reprennent la main le 7 novembre.

Il faut encourager, par tous les moyens, la pacification de la région ; c'est vital pour l'Arménie, qui ne pourrait soutenir une nouvelle confrontation. Le GEST partage de nombreux éléments de la proposition de résolution, mais ne juge pas opportun d'appeler la France à renforcer les capacités de défense de l'Arménie : c'est paradoxal lorsqu'on recherche une paix durable, et de la part d'une puissance médiatrice.

Si la France veut être le moteur de la paix au Sud-Caucase, elle ne peut jouer une autre partition que celle de la diplomatie. Le Gouvernement doit reconnaître la République d'Artsakh pour se donner un levier de négociation : c'est le sens de notre vote de la proposition de résolution de 2020. Pour cette même raison, nous nous abstiendrons sur celle-ci. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MMJoël Guerriau, Jean-Pierre Corbisez et Joël Bigot applaudissent également.)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan s'inscrit dans la durée, avec plusieurs épisodes de violence depuis la proclamation de l'indépendance du Haut-Karabagh en 1991.

La proposition de résolution appelle le Gouvernement à agir pour le respect du cessez-le-feu de 2020 et, plus largement, à être plus ferme avec l'Azerbaïdjan. Enfin, elle réaffirme la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh, demande le rapatriement des prisonniers et l'élimination des discriminations raciales - bien au-delà, donc, de la simple exigence de retrait des troupes azéries.

Le Président de la République a eu samedi un échange téléphonique avec son homologue azéri, à l'issue duquel les deux dirigeants se sont engagés à maintenir leur coordination. Il s'entretiendra aussi avec le Premier ministre arménien à Djerba, le 19 novembre. La voie du dialogue est le seul moyen d'obtenir des avancées concrètes entre les deux parties.

Celles-ci ont tenu, le 7 novembre, des discussions à Washington, quelques heures après de nouveaux bombardements meurtriers. La France poursuit son action dans le sillage du sommet de Prague du 6 octobre, qui avait déjà réuni les dirigeants Aliev et Pachinian. L'envoi d'une mission civile de l'Union européenne y avait été décidé, et le Président de la République avait réaffirmé la détermination de la France à oeuvrer pour la normalisation et la recherche d'une solution politique.

Certes, l'Azerbaïdjan a rompu à deux reprises le cessez-le-feu, préférant la force à la voie diplomatique. La France n'est pas demeurée inactive, demandant une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, notamment pour préserver le couloir de Latchine.

Le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a appelé à la retenue pour ne pas mettre en échec les négociations de paix de Bruxelles. Nous importons beaucoup de gaz d'Azerbaïdjan, mais les intérêts financiers ne peuvent seuls déterminer nos choix. La France, pays des droits de l'homme, a toujours su prendre des positions courageuses.

Pour autant, une résolution est-elle plus efficace que la diplomatie ? Le RDPI a choisi de ne pas s'associer à ce texte, même si nous sommes très préoccupés par la situation du Haut-Karabagh et condamnons les graves incidents qui se sont produits dans le couloir de Latchine.

Cette proposition de résolution souligne la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. Mais cela remettrait en cause le rôle de médiation de la France. Bien sûr, le groupe RDPI appelle au cessez-le-feu et au respect de l'intégrité des frontières arméniennes.

La majorité des membres du groupe ont opté pour une abstention constructive. D'autres voteront en faveur de cette résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE ; Mmes Valérie Boyer et Muriel Jourda applaudissent également.) La diplomatie parlementaire est précieuse : elle permet d'échanger sur nos doutes et angoisses. Le groupe France-Arménie, que j'ai l'honneur de présider, entretient ainsi avec son homologue de l'Assemblée nationale arménienne une relation suivie et fraternelle.

Nos amis arméniens, en toute confiance, nous livrent avec franchise leur analyse de la situation. En 2019, ils nous avaient alertés sur les risques d'une intervention militaire. Mais leurs craintes, que nous avions relayées, n'ont pas été entendues.

Lors de notre dernière rencontre à Erevan en septembre dernier, avec mes collègues Étienne Blanc, Brigitte Devésa et Pierre Ouzoulias, nous avons été bouleversés par leur désespoir : se sentant abandonnés par la Russie et l'Europe, meurtris par la visite de la présidente de la Commission européenne à Bakou, l'Arménie leur semblait perdue.

Trois demandes sont ressorties de nos échanges : imposer à l'Azerbaïdjan de réintégrer ses positions du 9 novembre, sécuriser la frontière arménienne en créant une force d'interposition et donner les moyens à l'Arménie d'assurer cette sécurisation.

Cette proposition de résolution n'est pas un pamphlet contre l'Azerbaïdjan ni un éloge de l'Arménie, mais un appel à défendre la paix et nos valeurs démocratiques.

Avec une certaine solennité, je tiens à m'adresser à vous tous et au Gouvernement : l'Arménie a besoin de nous, de notre soutien. Même dans le plus petit village de l'Arménie, notre résolution a été reçue avec espoir. En décembre 2020, nous avions été accueillis dans les restes d'une petite maison, en Artsakh, chez un homme qui, après nous avoir offert du pain et des pommes, me disait : « La France pense encore à nous, nous vivons encore ».

Jamais une résolution parlementaire ne consolera les Arméniens d'avoir vu leurs cimetières ruinés, leurs vergers ravagés, leurs compatriotes chassés des terres de leurs ancêtres ; jamais elle ne ramènera les jeunes soldats qui ont donné leur vie pour que vive la démocratie.

Mais cette proposition de résolution est attendue comme un message d'espoir par un peuple meurtri et qui aspire à vivre en paix et sur ses terres. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du GEST)

M. Alain Cazabonne .  - Je remercie les présidents Retailleau, Cambon et Marseille pour cette initiative, occasion de témoigner notre fort attachement à l'Arménie.

Le Sénat a toujours été au rendez-vous pour défendre les Arméniens, en témoigne le vote quasi unanime de la résolution de 2020 reconnaissant le Haut-Karabagh.

Deux ans après, le conflit n'est toujours pas résolu et la situation reste tendue, alors que les regards du monde sont tournés vers l'Ukraine.

Dans la nuit du 12 au 13 septembre, une nouvelle agression azérie a tué 286 Arméniens. Malheureusement, l'action internationale est mal coordonnée : le 31 octobre, Vladimir Poutine réunissait le président Aliev et le Premier ministre Pachinian à Sotchi ; à Washington, la semaine dernière, c'était Antony Blinken qui accueillait les deux ministres des affaires étrangères. Une mission d'observation européenne a conclu que la rupture du cessez-le-feu était le résultat d'une attaque agressive de l'Azerbaïdjan.

Les puissances cherchent à se poser en médiatrices, mais dans une logique de concurrence. Il est urgent que la communauté internationale prenne ses responsabilités pour que la paix puisse revenir dans le Caucase.

Alors que le Kremlin a fermé le robinet du gaz, nous nous sommes tournés vers l'Azerbaïdjan. Je salue d'ailleurs le président Retailleau, qui alertait dans un ouvrage récent sur le risque de pénurie d'énergie cet hiver.

Mais pourquoi un tel deux poids, deux mesures ? Allons-nous créer une nouvelle jurisprudence avec l'Arménie ? Plus qu'un crime, ce serait une faute, comme disait Talleyrand. Ce qui vaut pour la Russie ne vaut-il pas pour l'Azerbaïdjan ? La sobriété énergétique ne s'applique-t-elle pas au gaz azéri ?

Allons-nous laisser le conflit s'enliser ? La France a toujours été aux côtés des Arméniens, pris en tenaille entre Turquie et Azerbaïdjan. Si nous n'agissons pas, nous serons coupables. Il faut tout mettre en oeuvre pour un processus démocratique et une paix durable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Étienne Blanc .  - Par cette proposition de résolution, le Sénat honore un engagement ancien de la France en faveur des communautés chrétiennes du monde. Les rapports entre la France et l'Arménie s'inscrivent dans cette longue histoire, qui illustre ce propos du général de Gaulle : « Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »

Protéger l'Arménie, pourquoi ? D'abord parce que c'est une goutte de démocratie dans un océan de dictatures -  Turquie, Azerbaïdjan, Iran. Épuration ethnique, instrumentalisation de la justice, violences : c'est leur exercice quotidien du pouvoir. Rien de cela en Arménie ; c'est pourquoi il faut protéger cette si petite démocratie.

Ensuite parce qu'il faut protéger la victime, et pour cela désigner son agresseur. Or l'Azerbaïdjan ne fait pas dans la demi-mesure : massacres, exécutions sommaires, viols, tortures, démembrement de cadavres... Voilà les méthodes des dictateurs.

L'armée et la population arméniennes n'ont pas été protégées par les lois de la guerre inscrites dans la convention de Genève. Le président Aliev a été jusqu'à exposer les trophées sanglants -  casques, vêtements  - des soldats arméniens dans un parc de Bakou. L'armée azérie n'est victorieuse que grâce aux drones, à l'artillerie et aux armes modernes fournis par les Turcs. On peut être simple supplétif et se prendre pour un héros...

Il faut également protéger l'Arménie parce qu'elle est le jouet d'une rivalité géopolitique entre la Turquie, qui la considère comme une menace contre son panturquisme assumé, et la Russie, qui souhaite conserver dans cette ex-république soviétique une influence qui s'évanouit.

Protéger l'Arménie, c'est aussi nous protéger nous-mêmes, face à un islam politique total qui élimine l'altérité. La France, elle, est du côté de cette altérité, de la liberté de penser, de croire et, simplement, de vivre. Ce que vit l'Arménie, c'est ce que nous connaîtrons demain si nous ne défendons pas ces valeurs universelles.

Cette proposition de résolution est un désaveu de la Commission européenne qui a signé un accord indigne, honteux avec l'Azerbaïdjan pour des livraisons de gaz et de pétrole. La France ne peut accepter que la liberté du peuple arménien soit sacrifiée pour son seul confort hivernal. La proposition d'embargo sur le gaz et le pétrole est une réponse à la hauteur des crimes azéris.

Ce texte exhorte aussi le Gouvernement à renforcer les capacités défensives de l'Arménie. Passons de la parole aux actes pour protéger ce territoire fragile.

Enfin, relayant une demande pressante de l'Arménie, ce texte demande que la France profite de la présidence française du Conseil de sécurité des Nations unies pour mettre en place une force d'interposition sur le territoire arménien et protéger les Arméniens du Haut-Karabagh, que le gouvernement français serait inspiré de reconnaître.

La France s'honorerait de la protection du peuple arménien, qui n'attend de vous qu'une oeuvre de paix. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La dignité d'un peuple réside dans sa souveraineté et l'intangibilité de ses frontières. Le peuple arménien en est la parfaite illustration, ce peuple courageux qui se bat seul, isolé du monde, contre une coalition turco-azérie et ses mercenaires djihadistes qui massacrent des civils.

Oui, l'Arménie est en danger de mort. Il est de notre responsabilité première de la secourir. Notre inaction est inacceptable et suicidaire.

L'histoire des hommes, c'est avant tout celle des civilisations. Celles-ci, par essence, peuvent être mortelles. Or l'Arménie, premier État chrétien du monde, appartient à notre civilisation, à nos racines judéo-chrétiennes.

Mais nous avons la désagréable impression d'un deux poids, deux mesures, dans la politique étrangère de l'Europe, mais aussi de la France. Nous avons infligé d'énormes sanctions à la Russie après son agression contre l'Ukraine, mais qu'avons-nous fait pour nos amis Arméniens ? Pas grand-chose, hormis des communiqués de protestation, des badges à la boutonnière... Or les agresseurs sont dans la logique d'épuration ethnique entamée en 1915.

Pis encore, Mme von der Leyen s'est rendue en personne à Bakou pour célébrer un nouvel accord gazier qui double les importations de gaz de l'Union européenne. C'est immoral et abject. Y aurait-il une hiérarchie entre les conflits ? Le sang et les larmes des Arméniens valent-ils moins que ceux des Ukrainiens ? Il ne peut y avoir de géométrie variable dans notre politique étrangère.

Choisir l'Azerbaïdjan comme fournisseur de gaz est un manquement à nos valeurs et une faute géopolitique : cet accord renforce le régime dictatorial d'Aliev et alimente les ambitions impérialistes d'Erdogan, qui multiplie les déstabilisations internationales.

L'Europe, la France sont-elles prêtes à accepter à leurs portes un nouvel empire ottoman, plus islamiste que jamais, un nouveau tyran qui, du Caucase à la Méditerranée, imposerait son nouvel ordre ?

Pour quelques mégawatts-heures, est-on prêt à la disparition d'un peuple qui nous supplie à genoux ? Envoyons un message clair et répondons avec la plus grande fermeté en défendant l'identité et la souveraineté d'un État. Il y va de notre civilisation, de notre culture et de nos racines. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Alain Cazabonne, Pierre Ouzoulias et Patrick Kanner et Mmes Cécile Cukierman et Victoire Jasmin applaudissent également.)

M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger .  - Permettez-moi d'excuser la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui accompagne le Président de la République au G20.

Cette proposition de résolution porte sur un enjeu important pour la France et l'Europe, enjeu qui prend une acuité particulière après l'agression russe en Ukraine. Je signale à cet égard que l'Ukraine subit en ce moment même une vague de bombardements massifs et sans précédent touchant les infrastructures énergétiques de plusieurs villes.

Cette agression russe n'est pas sans conséquences sur le Caucase. L'Arménie en subit le contrecoup face à une Russie guerrière. Il faut donc redoubler d'efforts pour ouvrir des solutions de paix durable dans la région.

Première condition à cette stabilité : le strict respect du cessez-le-feu et le renoncement au recours à la force. Lors des affrontements des 13 et 14 septembre 2022, la France s'est immédiatement mobilisée. Le Président de la République a appelé le Premier ministre Pachinian et le Président Aliev à l'arrêt des combats, au respect de l'intégrité territoriale arménienne et au retrait des troupes azéries.

Nous avons réitéré ces exigences à deux reprises les 15 et 16 septembre à l'occasion de la présidence française du Conseil de sécurité des Nations unies. Une mission d'évaluation de l'OSCE a par ailleurs été envoyée côté arménien.

L'intégrité territoriale de l'Arménie doit être défendue, dans le respect du droit international.

À Prague, le Président de la République, en réunissant MM. Aliev et Pachinian, avait pour objectif que les deux pays confirment leur attachement à la charte des Nations unies et à la déclaration d'Alma-Ata de 1991 par laquelle ils reconnaissaient leur intégrité territoriale et leur souveraineté mutuelles.

Autre résultat majeur de la réunion de Prague, l'envoi d'une mission civile de l'Union européenne à la frontière, pour deux mois. Elle devra rétablir la confiance et participer aux commissions de délimitation des frontières. Elle a déjà permis une désescalade des tensions. Saluons la célérité de l'Union européenne sur le sujet.

Toujours à Prague, la rencontre historique entre MM. Pachinian et Erdogan a pu avoir lieu grâce au Président Macron. La France n'a pas ménagé ses efforts pour faire libérer les prisonniers de guerre : trois libérations collectives ont déjà eu lieu cette année, mais il faut que tous les prisonniers soient remis en liberté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

La France est pleinement mobilisée, aux côtés de l'Union européenne et des États-Unis, pour parvenir à des solutions négociées.

Le 7 novembre 2022, une première session de négociations s'est tenue à Washington sur un projet de traité de paix. Nous encourageons la poursuite des négociations sur la délimitation de la frontière.

Nous voulons faciliter ces pourparlers et contribuer à un climat de confiance, plutôt que de prendre des mesures de rétorsion contre une partie. Saisissons cette opportunité pour la paix.

L'Arménie nous demande de continuer à être un médiateur actif de la paix. C'est le message que le ministre des affaires étrangères arménien m'a donné la semaine dernière, et qui guide notre action.

La France continuera d'oeuvrer au règlement de la situation du Haut-Karabagh. Je vous invite à écouter l'Arménie, pour qui il ne s'agit pas d'une question de territoire, mais de droits. Le Premier ministre Pachinian dit placer désormais les garanties de sécurité et les droits à la base ; de là découlera le statut. De fait, c'est au gouvernement arménien de dire ce qui est dans l'intérêt de l'Arménie. Il nous appartient, avec nos partenaires, de contribuer à ce qu'émergent des solutions qui assurent la sécurité et les droits de la population arménienne du Haut-Karabagh. C'est ainsi que nous serons utiles et solidaires de l'Arménie.

Aucun pays ne fait autant que la France pour soutenir l'Arménie.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est vrai !

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Nous le faisons par fidélité, pour nos valeurs et pour l'amitié qui nous lie au peuple arménien. C'est notre fierté, c'est notre combat. Nous poursuivrons nos efforts de médiation jusqu'à l'instauration d'une paix durable. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe UC, et sur quelques travées du RDSE et du groupe INDEP)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°52 :

Nombre de votants 332
Nombre de suffrages exprimés 296
Pour l'adoption 295
Contre     1

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et du RDPI ; MMJoël Bigot, Rémi Féraud et Franck Menonville applaudissent également.)

La séance est suspendue quelques instants.