Situation et perspectives des collectivités territoriales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation et les perspectives des collectivités territoriales, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Je souhaite accompagner, encourager les initiatives, supprimer les verrous encore trop nombreux qui contraignent les territoires dans leur souhait de s'organiser mieux, en vue d'une action publique plus efficace. Cette liberté sera laissée aux élus locaux, en lien avec les représentants de l'État, pour expérimenter de nouvelles politiques publiques, de nouvelles organisations des services publics, mais aussi pour innover en matière d'aménagement du territoire, d'urbanisme et pour définir notre territoire de demain. » Tels étaient les propos tenus par le Président de la République au Sénat, lors de la Conférence nationale des territoires, il y a cinq ans.

Puis vinrent les premiers contrats de Cahors et la fin de la Conférence nationale, fruit de l'ire des élus locaux.

Le bilan, ce sont deux textes : la loi Engagement et proximité, qui visait, selon le ministre Lecornu, à corriger les irritants de la loi NOTRe, et la loi 3DS dont l'ambition décentralisatrice reste très modeste. Le vent de liberté qu'ils ont fait souffler n'a pas de quoi nous décoiffer. (Mme Nathalie Goulet approuve.)

Le Sénat, dans son ensemble, est resté force de propositions. Citons les cinquante propositions du président Larcher ou le vote du texte Eau et assainissement. Nous vous avons alerté sur la situation budgétaire des collectivités territoriales et sensibilisé, lors de l'examen de la loi Climat et résilience, sur les contraintes que vous faisiez peser sur elles.

Et maintenant ? Ce début de quinquennat nous laissait espérer des lendemains heureux : le Président de la République a réaffirmé sa volonté décentralisatrice, la Première ministre a dit souhaiter que les élus locaux soient mieux entendus. Ces déclarations sont restées lettre morte et les lendemains ne chantent guère.

Alors que nous rendons hommage aux 35 000 maires de France, qui sont restés à la barre pendant la crise sanitaire et auxquels nous devons tant, la Première ministre déclare vouloir renforcer le lien entre les préfets et les présidents d'intercommunalité. C'est faire offense à ces maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Gouvernement reste sourd -  et muet  - sur le récent rapport de la Cour des comptes proposant de verser la dotation globale de fonctionnement (DGF) aux intercommunalités. Madame la ministre, allez-vous répondre à nos inquiétudes ?

Nous ne sommes pas rassurés par le projet de loi de finances, par le filet de sécurité, dans lequel les maires se prennent les pieds, ou les amortisseurs sur l'énergie... Ces dispositifs sont trop complexes et ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les territoires sont en urgence absolue. Leur situation financière devient une inquiétude majeure, d'autant que sans la commande publique, 2023 et les années suivantes seront douloureuses.

Ce n'est pas la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), les aides limitées et encore moins le retour des contrats de Cahors qui sont de nature à nous rassurer.

Le Sénat sera au rendez-vous et fera des propositions. Nous devons entendre nos élus, si nous voulons éviter le pire. Nous prendrons nos responsabilités dans le PLF pour que le filet de sécurité et les amortisseurs sur l'énergie soient efficaces, mais nous attendons que le Gouvernement, lui aussi, prenne ses responsabilités.

Ce processus est appelé à se poursuivre lors de l'examen du PLF. Il est temps d'aborder enfin les questions de décentralisation, de déconcentration et de différenciation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Yves Détraigne, Franck Menonville et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales .  - Je ne vous apprends rien : les collectivités territoriales traversent un moment déterminant. D'abord parce que se dessine notre politique à destination des territoires pour ce nouveau mandat, ensuite parce que l'inflation - à hauteur de 5,5 % - et la hausse du coût de l'énergie représentent des défis majeurs.

Le Gouvernement a agi sans tarder pour les aider et pour maintenir leurs capacités d'investissement, notamment en faveur de la transition écologique. Nous avons travaillé avec les associations d'élus, et l'État est au rendez-vous, en termes de moyens comme de méthode.

Sur le plan financier, le PLF pour 2023 porte trois volets de mesures. L'aide concrète face à l'inflation passe par un filet de sécurité de 1,5 milliard d'euros, auquel il faut ajouter 1 milliard d'euros au titre du bouclier tarifaire et de l'amortisseur électrique.

La DGF connaît une hausse, inédite depuis treize ans, de 320 millions d'euros, dont 200 millions au titre de la dotation de solidarité rurale (DSR) ; pour 95 % des communes, les dotations sont maintenues ou augmentées. Les dotations d'investissement sont pérennisées, pour près de 2 milliards d'euros. Enfin, un fonds vert de 2 milliards d'euros est dédié aux projets de transition portés par les élus.

Nul doute que vous améliorerez encore ces dispositifs : notre volonté de dialogue est sincère.

Les programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain visent à revitaliser les centres-villes, avec 6 milliards d'euros déjà engagés. J'ai réuni les partenaires financiers, Action logement, la Banque des territoires et l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui seront au rendez-vous pour la suite des programmes. Les montants de la phase 2, qui débute, seront aussi importants qu'en phase 1.

Pour Petites Villes de demain, j'ai missionné l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour enrichir la feuille de route et l'orienter vers la transition éco-énergétique.

Nous poursuivons la dynamique de l'Agenda rural, notamment grâce aux espaces France Services, dont le nombre passera de 2 400 à 2 600 d'ici la fin de l'année. Avec Stanislas Guerini, nous avons annoncé l'ouverture de 140 nouveaux espaces France Services en 2023, et le Président a annoncé la réouverture de six sous-préfectures.

Notre action s'inscrit dans la continuité. L'État est accompagnateur, et non prescripteur, au service des projets portés par les élus, avec le souci d'une plus grande efficacité, au service de nos concitoyens.

Fins connaisseurs des territoires, les élus locaux sont les premiers acteurs des politiques publiques. Nous facilitons leur action, avec un plan d'urgence de 20 millions d'euros pour la délivrance des titres sécurisés. La part forfaitaire passera de 8 500 à 9 000 euros pour inciter à l'installation de nouveaux dispositifs de recueil, et une part variable, pouvant atteindre 12 000 euros, incitera à la performance.

Nous mettons en place le remboursement forfaitisé des frais de garde des élus. Plus largement, nous mettons en oeuvre la loi 3DS avec la décentralisation de 10 000 km de routes nationales aux départements, aux métropoles et aux régions.

Enfin, je salue la proposition de loi de Mme Delattre qui renforcera la protection des élus locaux et assurera l'exercice serein de leur mandat.

Vous le voyez, le Gouvernement s'engage avec force aux côtés des élus locaux et des collectivités.

Mme Cécile Cukierman .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Vous avez rejeté les contrats de Cahors ? Vous en aurez encore ! Par le 49.3, vous imposez, sans discussion préalable, l'encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités. Ces nouveaux contrats de Cahors seront encore plus contraignants, et cibleront encore plus de collectivités. C'est une véritable atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.

Cet été pourtant, à la quasi-unanimité, le Sénat avait rejeté ce rétablissement, qualifié par Céline Brulin de « pacte de défiance » imposé aux élus locaux. À quand un véritable dialogue ?

M. Michel Savin.  - Très bien !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Le Gouvernement a réintroduit ce pacte de confiance dans le PLF sous la forme d'un rapport, mais il n'est en rien comparable au pacte de Cahors, auquel je m'étais moi-même opposée.

Le dispositif vise les groupes de collectivités par strates, en jouant la confiance. Si quelques collectivités dérapent, le préfet appellera leur attention sur les dépassements. Les collectivités ne sont pas engagées nominativement.

Pourquoi ce choix ? Les acteurs publics, État comme collectivités territoriales, doivent participer à l'effort collectif de rétablissement des comptes. Il y va de la crédibilité de notre pays vis-à-vis de l'Union européenne et de ceux qui achètent la dette française.

C'est le sens des trajectoires budgétaires inscrites dans la loi de programmation des finances publiques.

Le pacte de confiance est plus responsabilisant que les mécanismes précédents. Je rappelle que sous le mandat de François Hollande, l'État avait autoritairement baissé la DGF de plus de 11 milliards d'euros en guise de trajectoire.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Eh oui !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Cela dit, il peut être amélioré. Je suis ouverte au dialogue et je compte sur la sagesse du Sénat pour faire des propositions.

Mme Cécile Cukierman.  - Personne ne connaît les conditions de la fin d'examen du PLF. Nous avons besoin d'un pacte de confiance, et certainement pas d'un 49.3 des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Pascal Martin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La feuille de route du ministre des collectivités territoriales le charge de « repenser et simplifier le millefeuille territorial par la mise en place du conseiller territorial ».

On se souvient de la loi de réforme des collectivités territoriales françaises, dite loi RCT, en 2010. Le conseiller territorial de 2022 sera-t-il le même qu'en 2010 ? Entretemps est intervenue la réforme de la carte régionale, que l'on appréciera diversement, selon qu'on est alsacien ou normand...

Mme Nathalie Goulet.  - Certainement !

M. Pascal Martin.  - Les conseillers territoriaux ont vocation à siéger dans les conseils départementaux et les conseils régionaux. Or la région Normandie compte 262 élus départementaux, quand le conseil régional n'a que 102 membres... Quid des effectifs ? Du mode de scrutin ? Du calendrier ? Le conseil territorial annonce-t-il la disparition à terme d'un niveau de collectivité ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, et sur quelques travées des groupes RDSE et INDEP).

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - J'avais participé au projet de création du conseiller territorial souhaité par Nicolas Sarkozy.

Le Président de la République y voit un levier pour une meilleure organisation territoriale et une meilleure lisibilité pour nos concitoyens.

En effet, les évolutions territoriales depuis 2014 ont modifié le paysage institutionnel. Si nous conservons un conseiller unique, nous devrons réévaluer sa place à l'aune de cette nouvelle donne. Ce sera l'objet de la concertation qui sera menée en 2023 ; format et calendrier seront précisés.

Le conseiller territorial ne marquera pas la fin des départements. Au contraire, il vise à offrir un meilleur service public et à renforcer les liens avec les citoyens. Le projet fera l'objet de réflexions et d'échanges. Je sais que le Sénat aura à coeur d'y participer.

M. Stéphane Ravier .  - Pour les collectivités territoriales, la crise n'est pas une surprise. Elles subissent les erreurs du Gouvernement et sa soumission aux diktats de Bruxelles : arrêt programmé des centrales nucléaire, sanctions contre la Russie... À la roulette de l'idéologie, le Gouvernement joue et les collectivités territoriales perdent !

Les maires, qui ne veulent pas augmenter les impôts, jouent au sauve-qui-peut en gelant les investissements. Dans les Bouches-du-Rhône, on ferme les piscines, les serres et les musées, et on éteint l'éclairage public la nuit : c'est le blackout communal ! À Sénas, où crèches, cantines et espaces verts sont en régie municipale, on envisage de réduire le personnel.

Les communes ne peuvent plus compter sur les aides de la région, la facture de chauffage des lycées étant passée de 17 à 100 millions d'euros.

La solution passera par une décentralisation de la fiscalité et un retour du consentement à l'impôt par la démocratie de proximité.

Cette crise est révélatrice des difficultés des collectivités. Je n'ai rien entendu dans vos propos, madame le ministre, pour me rassurer - ni retour à la souveraineté nationale, ni baisse des dépenses de l'État. Quelle est votre stratégie à moyen terme pour favoriser l'autonomie fiscale des collectivités et sauver les services de proximité ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Certes, les difficultés sont réelles, mais le Gouvernement a apporté des réponses : la DGF a augmenté de 320 millions d'euros - du jamais vu depuis treize ans (murmures sur quelques travées du groupe Les Républicains) ; face à l'inflation, le mécanisme de compensation de la CVAE a été renforcé, de même que la dotation pour la protection de la biodiversité.

Toutes les collectivités seront éligibles à l'amortisseur électricité, soit 1 milliard d'euros. Les plus fragiles seront éligibles au filet de sécurité, soit 1,5 milliard d'euros, qui s'ajoutent aux 430 millions d'euros de 2022. Les marges préservées leur permettront d'investir, grâce aux 2 milliards d'euros de dotations d'investissement et aux 2 milliards du fonds vert.

Quant au nouvel acte de décentralisation, le Président de la République a fixé un cap : allier compétences, moyens et responsabilités. Le calendrier de la concertation sera prochainement précisé. Ces échanges s'inscriront dans le cadre du CNR et de la commission transpartisane sur les institutions annoncée par le Président.

M. Jean-Yves Roux .  - Là où l'on trouve un grand pouvoir, on trouve une grande responsabilité, dit l'adage. L'inverse est-il vrai ? Sécuriser les populations face au changement climatique est un défi majeur pour nos collectivités.

Depuis le 1er janvier 2018, les intercommunalités exercent la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations). Les plus petites d'entre elles n'ont pas la surface financière pour assurer les investissements nécessaires. D'autant que la taxe Gemapi repose sur elles seules, alors que toutes les collectivités du bassin bénéficient de l'entretien des cours d'eau.

L'entretien des ouvrages et la sécurisation des personnes et des biens passent au second plan, faute de capacité d'investissement. Or l'article 54 de la loi Maptam prévoit le transfert dès 2024 de l'entretien des ouvrages de prévention des inondations aux autorités gémapiennes. La Cour des comptes, dans un rapport du 26 octobre, appelle au renforcement de la péréquation horizontale. La loi 3DS a ouvert le champ de la différenciation territoriale ; il est temps de penser à la solidarité. Allez-vous repousser le transfert de responsabilité ? (Applaudissements sur quelques travées du RDSE)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Les EPCI à fiscalité propre sont titulaires de la compétence Gemapi et doivent à ce titre gérer les ouvrages de protection contre les inondations. Pendant une période transitoire, l'État gère certains ouvrages jusqu'en 2024.

Plusieurs outils sont déployés pour accompagner les collectivités territoriales : le fonds de prévention des risques naturels majeurs, les études et travaux sur les anciennes digues de l'État jusqu'en 2027, la taxe Gemapi, jusqu'à 40 euros par habitant, 2 milliards d'euros au titre du financement des agences de l'eau, le dispositif Aqua Prêt. La loi 3DS permet d'associer les établissements publics territoriaux de bassin. Enfin, les EPCI peuvent se regrouper dans des structures dédiées. L'État est donc au rendez-vous : les moyens sont là, tout comme les leviers de gouvernance.

M. Rémy Pointereau .  - Conformément à l'article 24 de la Constitution, nous sommes les représentants des collectivités territoriales. Je me fais l'écho de certaines de leurs revendications.

Ne pourrait-on repousser la date limite de candidature pour la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) après le vote du budget primitif, pour laisser aux communes et intercommunalités le temps d'échanger avec les services de l'État ?

Concernant la DSIL, ne pourrait-on instaurer une commission d'élus, comme pour la DETR ?

Je ne veux pas tirer sur le pianiste, mais le fonctionnement du fonds vert interpelle. L'enveloppe de 1,5 milliard d'euros sera-t-elle attribuée sur plusieurs années ou est-ce un montant annuel ? Sera-t-elle fléchée vers les projets liés à l'eau et l'assainissement ?

Pour le calcul de la DSR, on tenait compte naguère du nombre de kilomètres de voirie. Pourquoi n'est-ce plus le cas ? (M. Franck Menonville applaudit.)

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Je suis défavorable à une commission DSIL sur le modèle de la DETR : décentraliser la gouvernance de cette dotation conduirait à diluer la cohérence d'une politique nationale. Depuis 2018, le Gouvernement a renforcé la transparence et le contrôle parlementaire.

Le calendrier de dépôt des dossiers DETR relève du niveau local - les préfets en l'occurrence, en lien avec les commissions DETR.

Le fonds vert bénéficiera d'une gestion souple, proche des territoires : pas d'appels à projets ou à manifestation d'intérêt. Les enveloppes seront fongibles et déléguées aux préfets. Le fonds financera notamment la rénovation énergétique et l'éclairage public.

M. Franck Menonville .  - La flambée des prix de l'énergie inquiète les élus locaux, qui peinent à gérer leur budget et à assurer le bon fonctionnement des services publics. Les élus rivalisent d'ingéniosité pour éviter d'augmenter les impôts et maintenir les investissements. Certains ont réduit l'éclairage public et les plages d'ouverture des bâtiments communaux, d'autres immobilisent leur flotte de véhicules.

Pourtant, les solutions finissent par manquer. Le déblocage de 2,5 milliards d'euros au profit des collectivités a été annoncé. Mais comment l'articuler avec les dispositifs existants ? À Verdun, le prix du mégawattheure passerait de 49 à 400 euros, ce qui portera la facture à 3 millions d'euros. Pour Bar-le-Duc, c'est plus de 2 millions d'euros !

Alors que les collectivités représentent plus de 70 % des investissements publics, cette capacité est menacée. Pouvez-vous nous rassurer, madame la ministre ? Quel accompagnement pour les collectivités exclues du bouclier tarifaire ? Les dispositifs devront être simples.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Les communes relevant du tarif réglementé de vente -  budget inférieur à 2 millions d'euros et moins de dix agents  - voient la hausse de leurs tarifs plafonnée à 15 % maximum. Pour les autres, le PLF prévoit un amortisseur électrique : la moitié des factures sera prise en charge par l'État lorsque le tarif hors Arenh dépassera 325 euros par mégawattheure, jusqu'à 800 euros.

Pour les communes fragilisées, le filet de sécurité sera reconduit en 2023. Si l'épargne brute de la collectivité territoriale se dégrade et que les ressources fiscales sont insuffisantes, l'État versera une compensation. L'amortisseur et le filet sont estimés à 2,5 milliards d'euros. Enfin, je le redis, la DGF est en hausse ou maintenue pour 95 % des communes.

M. Guy Benarroche .  - Depuis mon élection, j'ai pris la mesure du rôle du Sénat dans la défense des territoires.

Qu'en est-il pour votre Gouvernement ? Vous parlez souvent de concertation et de co-construction. La loi 3DS est si peu novatrice que le Gouvernement nous annonce une réforme territoriale - une vraie ! - pour l'année prochaine.

Nous demandons que les compétences soient exercées au plus près du terrain. Les maires, édiles préférés des Français, aspirent à plus de liberté ; ils veulent pouvoir financer leurs compétences sans attendre les tours de table des autres collectivités.

La règle « qui commande, paie » se heurte à la redondance administrative, à la politisation des moyens, à l'inadéquation des dotations et à la baisse des ressources fiscales locales. Dans l'organisation administrative à venir, va-t-on enfin renforcer l'autonomie de financement des collectivités dans leur domaine de compétences ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Vous m'interrogez sur la pérennité des financements des nouvelles compétences exercées des collectivités. Tout transfert de compétences de l'État vers les collectivités s'accompagne de ressources pérennes équivalentes : c'est une obligation constitutionnelle. L'État opte souvent pour le transfert de ressources fiscales dynamiques, TICPE, taxe foncière ou TVA.

Nous voulons préserver les marges et l'autonomie financière des collectivités. Faut-il revoir en profondeur le financement des collectivités territoriales ? Le rapport de la Cour des comptes propose plusieurs scénarios : pousser au maximum le financement par subventions, ou l'inverse. J'attends les propositions du Sénat.

M. Guy Benarroche.  - Dans le PLF, la disparité est flagrante entre compétences transférées et compensation prévue !

Mme Patricia Schillinger .  - Face aux crises successives, les Français ont pu compter sur leurs élus locaux. Mais les circonstances extrêmes ont aussi mis en lumière la complexité de notre millefeuille administratif. L'enchevêtrement des compétences nuit à la bonne compréhension et à l'efficacité de l'action publique.

La création des grandes régions a éloigné la prise de décision des territoires, en contradiction avec le besoin de proximité.

La Première ministre entend donner plus de poids aux élus locaux et plus de cohérence dans leur action. L'instauration du conseiller territorial est une piste. En Alsace, cela aurait du sens.

Cette région, laboratoire de l'innovation territoriale, a fait figure de précurseur de la différenciation en créant la collectivité européenne d'Alsace. Une expérimentation du conseiller territorial serait-elle envisageable en Alsace ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Le conseiller territorial peut conduire à davantage de proximité et de complémentarité entre les départements et les régions. Explorons cette piste pour gagner en lisibilité, en efficacité et en visibilité.

Des concertations auront lieu en 2023 avec les parties. Le Gouvernement entend y associer les territoires, selon un calendrier à préciser. Nous visons une réflexion d'ensemble et ne prévoyons pas d'expérimentation. J'étudierai toutefois votre proposition.

M. Éric Kerrouche .  - La formation des élus est une condition du bon exercice de leur mandat et de la démocratisation des fonctions électives. Elle a connu des réformes parfois guidées par la maîtrise des coûts, avec l'obligation de passer par Mon Compte Élu, une plateforme créée en 2022, mais pas toujours efficace.

Depuis le 25 octobre, l'exercice s'est encore durci avec une authentification renforcée via FranceConnect+, afin de lutter contre la fraude dans le cadre de la réforme du compte personnel de formation (CPF). C'est un parcours du combattant numérique, conduisant à l'abandon de formations. Le basculement s'est fait sans préavis ni information préalable et alimente la défiance entre l'État et les collectivités territoriales.

La plateformisation du droit individuel à la formation (DIF) aggrave les conséquences de l'illectronisme. Le non-recours risque de devenir la règle. Le système de formation est en crise malgré un enjeu de massification. Selon la Caisse des dépôts, alors que 32 000 formations avaient été financées en 2021, on n'en compte que 4 029 entre janvier et août 2022.

Quelles améliorations allez-vous apporter à la formation des élus ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Il y a un an, la réforme du régime de formation des élus a permis un rétablissement financier et une modernisation, même si un bilan reste à dresser.

La plateforme Mon Compte Élu améliore l'information et dématérialise les procédures. Les mécanismes d'identification ont été renforcés afin d'éviter la fraude à l'identité.

Mon ambition est que ces mesures ne ralentissent pas les efforts de formation. C'est pourquoi nous avons mis en place des téléconseillers, ainsi qu'un accompagnement en bureau de poste, dans les maisons France services ou à domicile.

Nous sommes en contact régulier avec les associations d'élus et les acteurs de la formation pour entendre leurs difficultés et y répondre.

M. Bernard Delcros .  - Depuis quarante ans, une succession de lois a modifié l'organisation des collectivités territoriales et leurs relations avec l'État, avec des réussites et des erreurs.

La loi NOTRe de 2014 a donné la prépondérance aux intercommunalités et aux régions. Cependant, la crise sanitaire a rappelé le rôle de pilier de la commune et du département pour répondre aux besoins des populations.

Le Président de la République a annoncé un nouveau chapitre de la décentralisation, dans lequel tout transfert de compétence sera désormais accompagné des financements et du pouvoir normatif.

Quelle est la vision du Gouvernement ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Il faut d'abord que la concertation ait lieu. Notre premier principe directeur est un meilleur service public, plus efficace sur l'ensemble du territoire. Nous sommes aussi guidés par le cap fixé le 10 octobre par le Président de la République, qui allie responsabilité, pouvoir normatif et dynamique des financements. Ne restons pas au milieu du gué. Le travail sera collectif : c'est le sens de la future commission transpartisane, où vous prendrez votre part. C'est aussi le sens du CNR et de ses déclinaisons territoriales et thématiques. Les élus et leurs associations seront pleinement associés. La concertation est notre fil conducteur.

M. Bernard Delcros.  - Les élus n'attendent pas un big bang territorial, mais que l'on réponde à leurs préoccupations : davantage de souplesse entre niveaux de collectivités, davantage de différenciation, notamment dans les normes, et un renforcement des échelons de proximité, avec les moyens adéquats.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - En tant qu'élue locale, je ne peux que partager votre analyse. Donnons tout son sens à la loi 3DS : il ne se passe pas la même chose dans les Bouches-du-Rhône et dans le Nord ou le Pas-de-Calais !

M. Arnaud Bazin .  - La soutenabilité des finances des départements a été assurée par des efforts de gestion. Les recettes post-covid ont été dynamiques, mais c'est conjoncturel. Alors que votre gouvernement décide de nouvelles dépenses pour les départements - RSA, point d'indice, prime de feu, etc. - et que le contexte économique se dégrade, une menace pèse sur les départements, notamment avec le retournement du marché de l'immobilier et son impact sur les droits de mutation.

Se profile le redoutable effet ciseau, alors que les départements n'ont pas de levier fiscal. Pourtant, leur rôle de cohésion est de première importance et ils contribuent au dynamisme de l'investissement public.

L'article 23 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP), supprimé par le Sénat, imposait un système de surveillance et de sanction en cas de hausse des dépenses de fonctionnement.

Comment comptez-vous sécuriser les finances départementales ? Êtes-vous favorable à une loi de finances dédiée aux finances locales ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Je salue la bonne gestion financière des conseils départementaux, dont la situation au début de l'année 2022 est globalement positive : leur capacité moyenne de désendettement est de trois ans - en comptant les 21 ans de Paris... Les recettes de DMTO continuent d'augmenter, tout comme celles de TVA.

Les réformes structurelles du précédent quinquennat ont amélioré la situation sur le marché du travail et fait baisser le nombre d'allocataires du RSA.

L'État a beaucoup fait pour les départements : la loi de finances rectificative (LFR) du 16 août 2022 leur a versé 120 millions d'euros pour compenser la revalorisation du RSA ; en 2023, ils seront éligibles aux mesures d'amortissement pour leurs factures d'électricité et le filet de sécurité leur a été étendu ; 160 millions d'euros sont prévus au budget 2023 pour financer les Sdis. Les départements ne sont pas laissés pour compte !

Mme Victoire Jasmin .  - Les collectivités jouent un rôle essentiel auprès de nos concitoyens. Mais la crise internationale et son corollaire, l'inflation, ont un impact considérable sur leurs budgets, dans l'Hexagone et en outre-mer. Le rapport du Sénat de juillet 2022 l'a bien montré.

L'association des petites villes de France estime que leurs dépenses d'énergie vont augmenter de 50 %. Intercommunalités de France considère que la facture énergétique va doubler, voire quadrupler, pour les trois quarts des intercommunalités. Il faut prendre ces hausses en compte et valoriser le potentiel du mix énergétique en outre-mer.

Le rapport du Sénat préconise un bouclier énergétique avec une revalorisation de la DGF indexée sur l'inflation, le retour des tarifs réglementés pour toutes les collectivités territoriales et le relèvement du plafond de l'Arenh.

Comment allez-vous aider les collectivités territoriales à affronter la crise énergétique et financière ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Face à la hausse des dépenses d'énergie, nous proposons plusieurs outils, applicables également en outre-mer : le filet de sécurité, le bouclier tarifaire - les communes ultramarines sont toutes au tarif réglementé, la hausse de la DGF, renforcée en outre-mer par rapport à l'Hexagone grâce à la dotation d'aménagement des communes d'outre-mer (Dacom). L'année 2023 sera la dernière année de rattrapage, avec 62 millions d'euros, en hausse de 26 millions d'euros, dont 16 au titre du rattrapage et 10 millions d'euros au titre de la progression automatique des dotations.

M. Jean-Marc Boyer .  - Les communes et les intercommunalités font face à une situation sans précédent : l'inflation est au plus haut depuis 1985, à 5,5 % ; la hausse du point d'indice de 3,5 % leur coûte 2,3 millions d'euros ; la DGF est gelée depuis 2017 ; les dotations ont baissé de 46 milliards d'euros depuis 2014, entraînant une baisse de l'investissement ; s'y ajoutent la suppression de la CVAE et le « pacte de confiance ».

Il faut garantir la stabilité, en euros constants, des ressources locales. Avec une croissance en 2023 à 1 %, l'investissement public local doit être soutenu.

Je partage les demandes de l'association des maires de France (AMF) : indexer la DGF 2023 sur l'inflation pour éviter une dégradation de 800 millions d'euros pour le bloc communal ; revenir sur la suppression de la CVAE ; renoncer à l'encadrement de l'action locale qui priverait les collectivités de 15 milliards d'euros ; réintégrer les opérations d'aménagement dans l'assiette du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) ; et réformer la procédure d'attribution de la DETR et de la DSIL... Il faut plus d'efficacité, de lisibilité et de confiance.

Comment assurerez-vous l'autonomie fiscale et la libre administration des collectivités territoriales ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Il n'y a pas de gel de la DGF : une hausse de 320 millions d'euros est inscrite au PLF. La DGF n'a jamais baissé depuis 2017, contrairement à ce qui s'était produit sous François Hollande.

Nous avons étalé la suppression de la CVAE sur deux ans, à la demande des associations d'élus, et elle sera compensée au bloc communal et aux départements. Les échanges ont été constructifs : la part dynamique de TVA convient aux associations d'élus.

Nous prévoyons une compensation à l'euro près sur une période suffisamment large pour lisser la volatilité de la CVAE, 2023 compris. L'État ne conservera pas un euro de la CVAE qui aurait dû être reversée en 2023, et il n'y aura pas d'année blanche pour les collectivités territoriales. La compensation sera territorialisée pour les communes et forfaitisée pour les départements, à la demande de l'Assemblée des départements de France (ADF). Le principe est simple : une commune qui accueillera plus d'entreprises recevra plus de TVA.

Cela ne réduit pas l'autonomie des collectivités territoriales : nous passons d'une CVAE nationale, sans pouvoir de modification de taux, à un autre impôt national, plutôt qu'une dotation. C'est une compensation juste et équilibrée.

M. Jean-Claude Tissot .  - Les perspectives des collectivités territoriales sont sombres. Pourtant l'État a besoin de collectivités fortes et réactives. Les élus locaux ont été en première ligne durant la crise du covid, puis pour la relance de l'économie. Face à la crise écologique, les collectivités territoriales prévoient 12 milliards d'euros d'investissements par an en faveur du climat d'ici 2030. Et elles jouent un rôle irremplaçable dans la cohésion nationale.

Or, leurs budgets sont toujours plus contraints, avec l'augmentation des prix des matières premières, de l'énergie et de l'alimentation - 648 millions d'euros de surcoût pour la seule restauration scolaire... Des suppressions de services et d'emplois se profilent.

Il faut que l'État protège les collectivités comme il l'a fait pour les entreprises pendant le covid. Or vous poursuivez leur désarmement fiscal avec la CVAE, privant le pays d'une recette de 8 milliards d'euros. Vous vous félicitez de votre méthode de coconstruction, mais ne tenez pas compte des attentes des élus qui ont besoin d'une relation de confiance avec l'État. Il faut préserver l'autonomie financière des collectivités territoriales, mais le PLF y tourne le dos.

Qu'avez-vous retenu de cette concertation ? Pourquoi passer outre ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Vous avez rappelé notre méthode, la concertation. J'ai plusieurs fois fait état de nos échanges avec les associations d'élus, et des inflexions qu'ils ont entraînés sur la CVAE, la taxe d'aménagement ou la taxe sur les locaux commerciaux.

Mais vous comprendrez que nous ne renoncerons pas aux engagements de campagne du Président de la République, comme la suppression de la CVAE.

Je me suis rendue à dix congrès d'associations d'élus et le Gouvernement assistera au Congrès des maires la semaine prochaine. Il n'y a pas de transfert de compétence sans dialogue ni sans compensation financière : l'État a toujours respecté l'autonomie financière des collectivités territoriales. Avec Christophe Béchu et Gabriel Attal, nous avons maintes fois reçu les associations d'élus et pris en compte nombre de leurs demandes, jusqu'au stade de l'examen parlementaire du PLF.

M. Fabien Genet .  Pas d'amour sans preuve d'amour, dit-on. Madame la ministre, donnez-nous-en la preuve avec les ordures ménagères (sourires) qui coûtent chaque année 20 milliards d'euros aux collectivités et pèsent sur le pouvoir d'achat des Français.

La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), dont la trajectoire a été calculée pour désinciter à l'enfouissement et à l'incinération, pèse de plus en plus lourd. Or Mme Couillard reconnaissait, devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, que la nouvelle filière REP des déchets du bâtiment ne serait mise en place que dans un an ou deux. Dans l'attente, les déchets restent taxés, mais ce n'est ni de la faute des collectivités territoriales ni de celle des usagers.

Êtes-vous prête à défendre un gel de la TGAP pour 2023 ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Sans vouloir me défausser, ce dossier est suivi par Bérengère Couillard. Je connais le poids de la TGAP dans les finances des collectivités territoriales. Sa hausse visait à mettre l'épée dans les reins des collectivités pour qu'elles évitent tant la mise en décharge que l'incinération. La trajectoire de progression a été annoncée dès 2018 et jusqu'en 2025 afin de permettre aux acteurs de s'organiser.

L'État soutient, à hauteur de 80 millions d'euros en 2021, les projets de valorisation des déchets ; la TVA sur la valorisation des déchets a été réduite ; le fonds économie circulaire de l'Ademe sera abondé de 45 millions d'euros supplémentaires en 2023 ; le fonds vert sera ouvert aux collectivités territoriales pour la collecte des biodéchets.

Bérengère Couillard négocie avec les associations d'élus une solution consensuelle. Je veillerai à un dialogue constructif, pour éventuellement envisager un gel ponctuel de la TGAP.

M. Fabien Genet.  - Je prends cette ouverture comme un signe d'espoir. Ce ne sont ni les collectivités ni les usagers qui sont en retard. Les élus locaux sont convaincus qu'il faut trouver des solutions pour moins incinérer et moins enfouir.

M. Cédric Vial .  - Nos concitoyens ont perdu confiance dans le pouvoir national. Si demain ils perdent confiance dans leurs élus locaux, c'est tout notre système démocratique qui vacillera.

Or l'environnement institutionnel des collectivités territoriales devient hostile : perte de l'autonomie fiscale, perte de l'autonomie d'action - entre contractualisations et financements fléchés -, multiplication des structures de contrôle, injonctions complexes et contradictoires, comme sur le ZAN, perte de confiance... Les Français ne comprennent pas que les maires n'ont plus les moyens d'agir. Dans le même temps, les communautés de communes concentrent les pouvoirs, sans contrepartie démocratique.

À côté du couple maire-préfet, parlons aussi du couple maire-habitants. Les maires ont été choisis par le peuple, mais ils ne décideront bientôt plus de rien.

Madame la ministre, êtes-vous prête à donner plus de moyens aux maires ? C'est à ce prix que nous réconcilierons les Français avec l'action publique.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Il faut de la complémentarité : n'opposons pas l'exercice intercommunautaire à la légitimité communale. L'intercommunalité permet le partenariat et la mutualisation des moyens. Cette approche, indispensable pour faire face aux défis d'échelle, n'est pas encore totalement comprise par les Français, qui considèrent que le maire est responsable de tout.

Dans ma feuille de route, je tiendrai toujours compte de l'échelon communal, de proximité. Le maire est l'interlocuteur élu. Maire pendant vingt-et-un ans, je mesure combien il faut conforter sa responsabilité, et lui donner les moyens d'agir en faveur des services publics de proximité et de l'aménagement du territoire.

En tant que présidente de l'ANCT, j'ai valorisé des programmes d'appui comme Coeur de ville ou Petites villes de demain : le maire était au coeur de ces dispositifs.

Certes, en raison du manque de moyens de certaines petites communes, il faut une coopération renforcée avec l'intercommunalité. Mais je souhaite conforter les élus locaux et les maires.

M. Bruno Rojouan .  - Depuis plusieurs années, les charges s'accumulent sur les collectivités territoriales, en raison bien souvent de facteurs externes qu'elles ne maîtrisent pas. Ces derniers mois, la revalorisation du point d'indice, l'inflation et l'explosion du coût de l'énergie ont fait flamber les dépenses des communes.

Peu de collectivités réussissent à dégager des moyens suffisants pour leurs programmes d'investissement. Bien souvent, les seuls projets qui aboutissent sont ceux cofinancés par l'État, via notamment la DETR, à la main du préfet : difficile pour un maire de mettre en oeuvre un projet pour sa commune sans l'aval de l'État...

Cela interroge sur le respect de l'article 72 de la Constitution qui garantit la libre administration des collectivités territoriales. Cette mise sous tutelle déguisée est très mal vécue. Les élus locaux perdent progressivement leur pouvoir décisionnaire, dans une recentralisation qui ne dit pas son nom.

Desserrez cet étau en indexant la DGF. Irez-vous jusqu'à une décentralisation accrue en redonnant aux collectivités leur pouvoir ?

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.  - Je le répète : le Gouvernement respectera la trajectoire fixée en matière de DGF.

En vingt ans, le taux d'autonomie financière des communes a augmenté de dix points ; entre 2003 et 2020, il est passé de 59 à 75 % pour les départements et de 41 à 74 % pour les régions. Les recettes fiscales perdues ont été remplacées par d'autres ressources de même nature et de même montant. Le Gouvernement préserve les recettes des collectivités territoriales. C'est pour cela que des boucliers et autres amortisseurs sont mis en place ; que la DGF a augmenté de 320 millions d'euros, pour la première fois depuis treize ans ; que le fonds vert va permettre de doubler les investissements. Il n'y aura pas d'appel à projets ni à manifestations d'intérêt : aux collectivités territoriales de proposer aux préfets les projets qu'elles souhaiteront.

M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains) Quelles sont les attentes des élus locaux ? Accéder à un pacte de responsabilité et de confiance pour trancher le noeud gordien et boucler leur budget.

Cela passe par une nouvelle approche territoriale, une grande démarche décentralisatrice, bâtie sur les principes de subsidiarité, de liberté et de responsabilité : chaque niveau décide de ce qu'il fait, librement, dans le cadre d'une réelle autonomie financière.

Le niveau de la dépense publique locale française est inférieur aux autres pays européens : 19 % chez nous contre 40 % ailleurs. La gestion des collectivités territoriales obéit à la règle d'or budgétaire et vise à répondre aux attentes du quotidien dans une démarche d'amélioration continue.

L'inquiétude et le découragement gagnent face à la bureaucratie, au manque d'écoute et à l'explosion des dépenses, mais ils conservent l'envie de s'engager au service des autres.

Beaucoup se sentent dépossédés. Ils ne se sentent pas en situation de faire, car leurs moyens sont comptés, ni en situation de décider face à l'intercommunalité et à l'État. La décentralisation est plus administrative que politique : on a confié des tâches aux élus, sans les moyens juridiques et financiers.

Quelles sont les attentes ? D'abord, faire preuve de bon sens et confier aux collectivités territoriales ce qui relève de la vie quotidienne. Ensuite, préserver et développer les biens communs, par un investissement massif dans les infrastructures, dans le respect de l'environnement. Puis assurer le bien-être, avec des services publics de proximité comme la sécurité, la santé, et l'éducation. Enfin, donner à tous les justes moyens d'agir.

Il faut limiter l'administration administrante. Nous devons conserver un pays équipé, poursuivre une grande politique du digital, de l'énergie et de l'eau, investir massivement dans les infrastructures, routes et voies ferrées, le très haut débit et la téléphonie mobile. Cela passe par une véritable capacité d'autofinancement des collectivités territoriales. Cela suppose du courage, et de garantir la traçabilité de l'argent public. La réforme de la procédure des marchés publics, inflationniste, serait un signe pour garantir l'investissement.

Une réforme constitutionnelle donnerait une liberté normative aux collectivités territoriales, dans le prolongement de l'article 73 sur les collectivités d'outre-mer. Cela ouvrirait enfin la voie à une véritable différenciation.

La subsidiarité doit primer en matière de finances locales. Ouvrons ce chantier sans tabou, pour garantir l'autonomie et la lisibilité.

Le Sénat a déjà beaucoup travaillé sur ces sujets. À l'initiative de Gérard Larcher, un groupe de travail réfléchit à des propositions institutionnelles et territoriales, avec comme pilier la commune. Le groupe Les Républicains sera force de propositions, c'est une urgence démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.