SÉANCE

du lundi 5 décembre 2022

36e séance de la session ordinaire 2022-2023

présidence de M. Alain Richard, vice-président

Secrétaires : M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Projet de loi de finances pour 2023 (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Discussion des articles de la seconde partie (Suite)

Défense

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances .  - Les crédits de la mission s'élèvent à 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 53,1 milliards en crédits de paiement, sans tenir compte des pensions ; ils progressent de 3 milliards d'euros et s'élèvent à 44 milliards. D'un strict point de vue budgétaire, la loi de programmation militaire (LPM) est respectée chaque année depuis 2019 ; mais elle ne l'est pas d'un point de vue capacitaire.

D'abord, le prélèvement de 24 Rafale sur la dotation de l'armée de l'air au profit de la Grèce et de la Croatie remet en cause l'objectif de 2025 ; cela affecte durablement la formation des pilotes de chasse, dont le nombre annuel d'heures de vol passera de 162 à 147. La fourniture de 18 canons Caesar à l'Ukraine ampute l'armée d'un quart de son parc.

De plus, le calendrier de plusieurs programmes est remis en cause, pour 3 milliards d'euros selon l'estimation de la commission des finances, et plus de 8 milliards d'euros selon celle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas l'épaisseur du trait ! Les commandes de recomplètement de notre flotte de Rafale prélèveront plus de 2 milliards d'euros sur les crédits, et 80 millions pour les canons Caesar. Cela affectera l'exécution de la LPM, dans l'attente de la prochaine loi de programmation annoncée par la Première ministre pour l'année prochaine.

Nos armées ont été mobilisées pour des missions de réassurance sur le flanc Est de l'Europe ; la France est nation cadre de la mission Aigle en Roumanie, pour un surcoût de 700 millions d'euros en 2022 et 250 millions estimés en 2023.

Comme les années précédentes, les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex), notamment à la réarticulation de Barkhane, ont été financés par des redéploiements de crédits internes.

L'inflation a un impact d'1 milliard d'euros sur le budget des armées ; le Gouvernement le finance par report de charges sur 2024, privilégiant l'affichage à un reflet fidèle des besoins des armées. J'y vois une forme d'insincérité. Alors que le Gouvernement parle d'économie de guerre et attend une réactivité accrue des industriels, il est malvenu de laisser entrevoir un paiement différé des livraisons.

Des efforts importants ont été consentis en matière de maintien en condition opérationnelle, avec de larges contrats verticalisés ; mais la disponibilité technique opérationnelle (DTO) de nos trois armées reste très en deçà des objectifs, notamment pour les hélicoptères.

Ensuite, le soutien à l'Ukraine et le retrait du Sahel laissent augurer une baisse des Opex.

Enfin, 2023 sera l'heure de vérité pour nos armées et notre souveraineté nationale : je songe, bien sûr, au système de combat aérien du futur (Scaf), lancé en 2017, pour lequel chaque jour de retard est un jour perdu pour nos armées. Le projet consiste à connecter des moyens de combat autour d'un avion de chasse polyvalent, qui devra aussi assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et être navalisable.

Or les négociations ont pris du retard, même si l'accord préalable a été enfin signé. Ce n'est qu'une première étape dans un chemin semé d'embûches : il ne faut plus écarter la possibilité d'une alternative nationale, et nous avons déposé un amendement pour entendre le Gouvernement sur ce point. (MM. Marc Laménie et Bruno Sido applaudissent.)

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - En 2023, les crédits du programme 144 s'élèvent à près de 2 milliards d'euros en crédits de paiement. En matière d'innovation, l'enveloppe des études amont atteint le milliard, conformément aux engagements. Les études pour le Scaf et les chars Leclerc, la lutte antidrones, l'hypervélocité et le quantique seront ainsi financées.

Mais l'Agence de l'innovation de défense (AID) n'a plus de directeur de plein exercice depuis six mois ; le message n'est pas bon.

Concernant le Scaf, l'accord sur le démarrage de la phase 1B confirmé la semaine dernière est bienvenu, mais nous vous appelons à la vigilance et à la transparence.

Il faudra accélérer la montée en maturité des technologies : le rôle des démonstrateurs doit être renforcé.

De plus, le conflit ukrainien confirme la nécessité de retrouver de la masse, par exemple en envisageant deux versions d'une même technologie, la seconde moins sophistiquée mais pouvant être produite plus massivement.

Le passage à une économie de guerre est plus que jamais une nécessité. Il subsiste pourtant des cas de refus de financement dus à l'appartenance au secteur de la défense. En outre, les projets de taxonomie ou encore de montée en puissance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) constituent autant de risques pour nos entreprises ; nos alertes répétées ont permis de sensibiliser jusqu'au sommet de l'État sur cette problématique.

Sous le bénéfice de ces observations, et de celles que je vais présenter au nom de M. Vaugrenard, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144. (MM. Marc Laménie, Olivier Cigolotti et André Gattolin applaudissent.)

M. Pascal Allizard, en remplacement de M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - Je prends donc la parole au nom de mon co-rapporteur, qui salue également la concordance globale des crédits avec la ligne de la LPM. Cependant, il y a des problèmes non budgétaires, notamment le financement des PME et ETI de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Pour la Loire-Atlantique, la construction du porte-avions de nouvelle génération se prépare dès maintenant, même si la livraison n'est prévue qu'en 2038. Je pourrais en dire autant pour le sous-marin de nouvelle génération en Normandie. Il faudra prendre en compte ces nouvelles priorités dans la prochaine LPM.

Les crédits de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de défense (DRSD) sont abondés pour financer d'importants programmes immobiliers, notamment l'installation de la DGSE à Vincennes.

Le budget des deux agences augmentera de 16,5 %. Au total, le renseignement bénéficie de plus d'1,1 milliard d'euros. C'est justifié par l'intensification des menaces, notamment hybrides.

Il faudra suivre le recrutement de spécialistes cyber, denrée rare et chère. Les services utilisent désormais les réseaux sociaux pour recruter ; c'est bienvenu.

Ensuite, les deux directions opèrent un déploiement opérationnel sur le flanc Est, et il faudra chiffrer l'impact budgétaire de l'action en Ukraine.

Enfin, dans le champ de la guerre informationnelle et d'influence, le renseignement aura une nouvelle fonction stratégique à prendre en compte dans la nouvelle LPM, conformément au discours du Président de la République le 9 novembre 2022 à Toulon. Avec mon co-rapporteur, nous piloterons un groupe de travail sur le thème de l'innovation.

Yannick Vaugrenard vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits du programme 144. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin applaudit également.)

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - Les crédits du programme 178 augmentent de 1,2 milliard d'euros, surtout pour l'entretien programmé du matériel.

Pourtant, près de 71 % des indicateurs sont en stagnation ou en diminution. Pour l'armée de terre, les hélicoptères, les chars Leclerc, les véhicules blindés de reconnaissance et de combat (VBRC) et les Caesar voient leur disponibilité régresser. Pour la Marine nationale, c'est le cas de la chasse et des hélicoptères à cause du passage au standard F4 du Rafale et de la corrosion des Caïman. Pour l'armée de l'air, les difficultés tiennent à l'exportation des Rafale.

Les crédits pour 2023 s'élèvent à 5,5 milliards d'euros. Ce montant ne rattrape pas les retards, mais finance 500 millions supplémentaires liés aux munitions ; autrement dit, des besoins non prévus par la LPM, au détriment des besoins initialement retenus. Nous devrons être attentifs à l'entretien programmé du matériel (EPM), car ces besoins sont sous-dotés, notamment pour le démantèlement des flottes d'aéronefs et de navires : le stockage n'est pas une solution.

Il faudra aussi prendre en compte l'adaptation du service interarmées des munitions (SIMu), en recrutant 80 agents, et en mettant en place de nouveaux modes d'acheminement, notamment ferroviaires. Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous faciliterez notre travail sur ces thématiques dans le cadre de la préparation de la LPM. (M. le ministre opine du chef.)

Sous réserve de ces observations, la commission a recommandé l'adoption des crédits du programme 178. (M. Olivier Cadic applaudit, ainsi que plusieurs membres du groupe Les Républicains)

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères .  - La hausse des crédits du programme 178 ne permet pas la remontée de l'activité opérationnelle des forces. La situation se détériore pour les trois quarts des indicateurs d'activité. Depuis 2017, la préparation opérationnelle de l'armée de terre stagne ; elle doit remonter à 82 jours mais sera affectée par la mission de réassurance en Roumanie. Pour la Marine nationale, le retard pris par le programme des frégates de défense et d'intervention explique la baisse de la capacité à honorer le contrat opérationnel à 70 %. Pour l'armée de l'air et de l'espace, l'impact des exportations de Rafale est désormais tangible : la capacité à honorer les contrats opérationnels chute à 65 % en 2023 et ne devrait pas remonter en 2024.

Il faudra tenir les objectifs de remontée de la préparation opérationnelle, en évitant qu'elle ne devienne une variable d'ajustement inavouée. Même chose pour les services de soutien, indispensables dans l'hypothèse d'un engagement majeur. Les colonnes de chars russes immobilisées faute de ravitaillement en témoignent...

Le service de santé des armées (SSA) est fragilisé, alors que le service public de la santé est lui-même en crise et qu'il faut se préparer à des attaques radiologiques, biologiques et chimiques. En 2021, 125 médecins de premier recours manquaient ; pour 2022, le chiffre n'a pas été communiqué.

Les besoins du commissariat des armées pour faire face à l'inflation s'élèvent au moins à 250 millions d'euros. Monsieur le ministre, votre cabinet doit nous aider à organiser dans les meilleurs délais les auditions dans le cadre de la préparation de la prochaine LPM.

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - Le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » rassemble les crédits dédiés aux dépenses de personnel, qui s'élèvent à 22,4 milliards d'euros.

Nos travaux ont porté sur la réserve opérationnelle. Celle de premier niveau est constituée de citoyens volontaires s'engageant pour une période comprise entre un et cinq ans renouvelable. Ils servent sous statut militaire, et jouent un rôle essentiel dans nos différentes forces - notamment dans le cadre de l'opération Sentinelle depuis 2015.

Lors des déploiements du groupe aéronaval du Charles-de-Gaulle, l'état-major embarqué a été renforcé de 10 à 20 % de réservistes.

Le total de réservistes atteint 40 000, conformément à la LPM. Ils étaient moins de 28 000 il y a à peine dix ans. Le Président de la République a annoncé un objectif de doublement, ce qui implique de renforcer le rythme de recrutement - de 4 700 à plus de 9 000 par an. Il faudra prévoir les crédits nécessaires dans le programme 212.

M. Joël Guerriau, en remplacement de Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères .  - Avec ma co-rapporteure, Mme Carlotti, nous avons également travaillé sur la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). La réforme, qui se voulait d'ampleur, restera partielle car concentrée sur la part indemnitaire.

La rémunération se compose de deux parties : la solde de base - la part indiciaire - et la part indemnitaire, qui représente environ 30 % de la rémunération pour les militaires de rang et 44 % pour les officiers généraux. La composante indemnitaire, composée de 174 primes différentes, était parfaitement illisible. On n'y comprenait rien ! (Rires) Désormais, le ministère ne versera plus que huit primes. Les primes obsolètes ont été supprimées, les critères d'attribution harmonisés, les primes ouvertes aux célibataires et à toutes les formes d'union.

Y aura-t-il des perdants ? Difficile à dire, même si la direction des ressources humaines s'en défend. L'absence de revalorisation automatique risque de tasser les salaires, notamment ceux des officiers. Idem pour la fiscalisation de certaines primes.

La NPRM est appuyée sur une enveloppe de 70 millions d'euros - soit moins de 2 % des rémunérations d'activité versées par le ministère en 2022.

Nous regrettons aussi que les instances de concertation n'aient pas été plus étroitement associées.

Nous recommandons un avis favorable à l'adoption des crédits, mais resterons vigilants sur la condition militaire dans la prochaine LPM. (MM. Marc Laménie et André Gattolin applaudissent.)

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - Les crédits d'équipement des forces augmentent de 900 millions d'euros, conformément à la LPM. Mais le monde a changé, d'abord avec le covid, ensuite avec la guerre en Ukraine. On annonce vouloir bâtir une économie de guerre, mais aucune commande nouvelle de munitions n'a été passée depuis le 24 février... (M. le ministre le conteste.)

Le recours aux reports de charges, pour 15 % des crédits en 2023, permet de boucler le budget par un tour de passe-passe. Une indexation sur l'inflation est pourtant nécessaire, comme un rehaussement pour les Opex et les missions intérieures (Missint).

Les mises en réserve atteignent 321 millions d'euros pour le programme 146. Or il faut compléter notre modèle d'armée face à l'hypothèse désormais avérée d'une guerre de haute intensité en Europe. Une mission d'information commencera ses travaux cette semaine à cet égard. Nous sommes déjà inquiets d'arbitrages défavorables sur de grands programmes en cours.

Au vu du contexte international et des efforts de nos alliés, nous nous attendions à des efforts. Nous n'atteindrons pas les objectifs de 2025 pour le Rafale et les frégates, en raison de l'export, sans parler de l'eurodrone, qui a six ans de retard.

La commission a émis un avis favorable sur ce budget, mais la prochaine LPM sera un moment de vérité. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères .  - Ce budget est conforme à la LPM votée en 2018, mais la guerre en Ukraine nous oblige à porter un nouveau regard. La guerre traditionnelle à haute intensité est de retour sur le continent européen ; le 24 février 2022 a été un tournant majeur. Cela nous conduit à analyser nos forces et nos faiblesses. Notre armée est aguerrie et repose sur une BITD robuste. Les armes livrées à l'Ukraine, comme le canon Caesar, font la différence sur le terrain, mais nous avons cédé près du quart de notre stock.

Cela révèle nos faiblesses en termes de volume, sans compter la vétusté de certains équipements comme le véhicule de l'avant blindé (VAB) qui a plus de 40 ans, mais demeure néanmoins en service dans l'attente de son remplacement par le Griffon, prévu pour 2030. Nos lacunes sont encore plus criantes en matière de drones de défense sol-air. Nos armées sont en effet formatées pour mener des opérations sur des théâtres extérieurs. La nouvelle revue stratégique en a-t-elle pris la mesure ? Où est le cadrage global de la prochaine LPM ?

La dissuasion est la pierre angulaire de notre modèle de défense. Or le chantage nucléaire de la Russie et la possible utilisation d'une arme nucléaire en Europe changent la donne. Faut-il revoir la doctrine ?

Les différentes composantes de la dissuasion devaient monter en puissance, mais cela n'apparaît pas dans ce budget. Est-ce repoussé ? Il faut davantage de transparence.

Votre ministère devrait être au coeur des réflexions sur la construction d'une économie de guerre. La solidarité interministérielle sera-t-elle activée pour la contribution à la facilité européenne de la paix (FEP), comme elle l'a été pour les surcoûts liés à l'Ukraine ?

L'accès au financement doit être facilité et les métiers du secteur davantage connus et valorisés. Dans l'attente de vos réponses, nous voterons les crédits.

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Le 24 février dernier, les armées russes envahissent l'Ukraine. Cette agression sur notre continent est une révolution. Longtemps, nous nous contentions de percevoir les dividendes de la paix ; longtemps, certains ne voulaient pas croire à la brutalité des rapports de force.

Seuls quelques États européens ont refusé de baisser la garde, dont la France. Le budget de la défense s'élève à 44 milliards d'euros, conformément à la trajectoire prévue par la LPM. Je salue l'action du Gouvernement en la matière.

Nous devons moderniser nos équipements, notamment notre capacité nucléaire, d'autant que depuis le Brexit, nous sommes la seule puissance nucléaire de l'Union européenne.

Nous devons renforcer nos effectifs : 1 500 ETP viendront grossir les rangs de notre armée. La guerre ne se limite plus au champ de bataille ; cette diversification implique de nouveaux regroupements, notamment dans le cyber ou en vue d'une guerre de haute intensité.

Nous aidons l'Ukraine : cela nous honore, mais a des conséquences sur le budget de la défense.

Plus largement, la nouvelle conjoncture pose la question du changement d'échelle de notre défense. La haute intensité demande de se préparer : les industries doivent être prêtes. Cela prendra du temps, mais il faut aller vite.

La défense européenne est plus que jamais nécessaire. La France plaide depuis cinq ans pour que les pays de l'Union construisent une force armée solide, mais ni la présidence Trump ni la guerre en Ukraine n'ont convaincu nos partenaires.

Le pilier européen reste la base. Les difficultés du Scaf et du char du futur sont incompréhensibles. Nous devons veiller à la proportionnalité des fonds par rapport aux missions confiées à nos armées. Le groupe INDEP votera les crédits proposés.

M. Guillaume Gontard .  - Ce budget devrait être le dernier de l'actuelle LPM, puisque le vote d'une nouvelle programmation a été avancé d'un an.

Pour éviter l'absorption des crédits par l'inflation, le report de charges était judicieux.

Notre soutien à la résistance ukrainienne nous honore, mais impacte le budget. Les écologistes plaident pour la poursuite de ce soutien et la fourniture de systèmes et de chars d'assaut à nos alliés de l'Est, afin qu'ils puissent, à leur tour, fournir leurs anciens matériels soviétiques à l'Ukraine. Le combat pour la démocratie justifie l'effort financier considérable réalisé par les deux dernières LPM.

Alors que le Président de la République a présenté la revue nationale stratégique (RNS), je ne suis pas convaincu que la future LPM doive se fixer comme objectif la capacité à mener une guerre de haute intensité. À moins d'envisager une improbable guerre avec nos voisins directs, c'est dans le cadre européen et atlantique que l'effort doit être réalisé.

Il faut penser à l'attractivité de nos armées, au statut des militaires, aux conditions de vie de nos soldates et de nos soldats, toujours plus sollicités tant par les tâches extérieures que par les tâches intérieures, pour sécuriser les conséquences des catastrophes climatiques par exemple.

La ministre précédente voulait agir à hauteur d'homme. Je salue l'ambition Logement, qui représente un saut qualitatif important. La qualité de vie de nos soldats doit s'améliorer. Cela passera par la rénovation énergétique des logements militaires ; l'objectif d'éradiquer les chaudières au fioul en 2031 est trop éloigné. La sobriété du bâti doit être au coeur de la prochaine LPM, ainsi que la conception de véhicules plus économes en énergie.

La dissuasion nucléaire représente un investissement lourd ; alors que la menace d'un conflit nucléaire pèse sur le monde, la France doit s'interroger sur la nécessité d'étoffer encore ses capacités propres. Nous pensons au contraire qu'elle devrait envisager une réduction des arsenaux, et nous redemanderons que la France adhère en qualité de membre observateur au traité d'interdiction des armes nucléaires.

Les écologistes voteront les crédits, en attendant avec exigence le futur cadre pluriannuel.

Mme Nicole Duranton .  - L'année 2023 est une année charnière entre l'actuelle LPM et la future programmation 2024-2030. Le contexte géopolitique est instable, en raison du retour de la guerre et de l'inflation. Le budget suit la trajectoire de la LPM.

Ces 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 53 milliards d'euros en crédits de paiement vont permettre d'aller vers un modèle ambitieux pour que la France reste une grande puissance militaire autonome.

C'est 300 millions d'euros de plus pour la dissuasion, 68 millions pour le renseignement, 500 millions au titre des programmes à effet majeur, 600 millions pour l'entretien programmé des matériels. Parce que le moral de nos soldats est crucial, 200 millions d'euros seront investis pour le logement militaire. Cette nouvelle politique poursuit les efforts de fidélisation du personnel. La revalorisation du salaire, en particulier pour les catégories B, se confirme. Les femmes et les hommes sont remis au coeur du projet, avec la montée en puissance du plan Famille, avec la construction de logements, l'amélioration des conditions de vie. Le lien entre l'actif et les réserves sera consolidé.

L'armée de terre poursuit la modernisation de la force opérationnelle terrestre avec la livraison de véhicules du programme Scorpion et de 18 chars Leclerc rénovés. La marine recevra son deuxième sous-marin Barracuda. L'armée de l'air et de l'espace recevra 13 Rafale et 13 Mirage 2000D, ainsi que des missiles Scalp.

Les stocks de munition seront renforcés pour 2 milliards d'euros : 200 missiles antichars, 100 missiles sol-air et 100 missiles air-air. De petits équipements à hauteur d'homme seront achetés pour 1,7 milliard.

Le renseignement, l'espace et le cyber bénéficient aussi d'abondements importants.

La mise en place du programme Système de lutte anti-mines du futur (Slamf) sera déterminante pour la marine.

Avec la guerre en Ukraine, nos armées doivent se préparer à un engagement de haute intensité. Ce budget est un point de jonction entre deux LPM.

Le Président de la République a annoncé la revue nationale stratégique pour préparer la nouvelle LPM. À Toulon, le 9 novembre, il a plaidé en faveur d'une révolution copernicienne, une nouvelle architecture pour répondre aux nouveaux conflits. Vous souhaitez construire cette LPM avec les parlementaires, je m'en réjouis. Cette loi devra dépeindre une France unie et souveraine. Ce qui se joue, c'est notre capacité à tenir notre engagement, pour être bons partout et en même temps. Le groupe RDPI est favorable à ces crédits. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Jean-Claude Requier, Yves Détraigne et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

M. Rachid Temal .  - Je salue l'engagement des femmes et des hommes composant nos armées.

Ce budget s'inscrit dans un contexte international particulier. Le doux mythe de la fin de l'Histoire s'est envolé : la guerre entre les États redevient une option, en témoigne celle menée par Poutine. Avec son lot de drames, la guerre est aux portes de l'Union européenne. Les anciens empires contrariés, Russie, Chine et Turquie, veulent réécrire l'histoire et imposer une vision du monde différente de celles des Occidentaux.

Les votes au Conseil de sécurité des Nations unies en témoignent. Comment ne pas entendre les propos du président chinois, qui assume vouloir intégrer Taïwan dans le giron chinois ? La volonté chinoise pèse dans le concert des nations et structure durablement l'Indo-Pacifique - la France est directement touchée.

Ce budget est le premier après la fin de Barkhane et le départ du Mali. Mais la présence accrue des forces terroristes et la nouvelle implantation du groupe Wagner sur le continent africain nous font nous interroger sur notre stratégie 3D - développement, diplomatie et défense.

Chacun jugera les propos du Président de la République, qui proclamait l'Otan en état de mort cérébrale, quand on voit son rôle essentiel face à l'agression russe. L'entrée de la Finlande dans l'Alliance atlantique crée 1 300 km de frontière commune avec la Russie.

Le groupe SER regrette que la clause de revoyure prévue par la LPM n'ait pas été activée, sinon par un simple débat. Après les promesses de nouvelle gouvernance après les législatives, nous nous attendions à une autre méthode. Le Gouvernement a rédigé seul la nouvelle revue stratégique. Vous vous privez des compétences du Parlement, je le regrette. Nous avons décidé, sous l'autorité du président Cambon, de lancer des travaux préparatoires à la future LPM, notamment sur les retours d'expérience au Sahel et en Ukraine ou sur la construction des armées du futur.

Le projet de budget 2023 s'inscrit en apparence dans la trajectoire de la LPM, mais il faut tenir compte de l'inflation - 7 % en 2022, 4 % en 2023 - et du renchérissement des coûts des fluides et des matériaux, qui grèveront cette hausse d'environ 3 milliards d'euros.

Nous approuvons le transfert d'armes vers l'Ukraine, mais nous devons recomposer nos stocks. Plusieurs questions se posent. Quelles sont les nouvelles menaces et comment protéger le territoire ? Quels rapports entre l'armée et la Nation ? Quel rôle pour l'Otan ? Quelle politique de ressources humaines ?

La prochaine LPM devra être un texte d'anticipation comme de réalisation.

Je salue l'accord entre Dassault et l'industrie allemande pour le Scaf, mais il faudra veiller au respect de l'industrie française, dont la qualité n'est plus à démontrer. Le Brexit est passé par là, et la relation franco-allemande inquiète. Quid du char du futur, du bouclier antimissile et des actions dans le domaine spatial ?

Parler d'économie de guerre suppose de revoir nos chantiers. Monsieur le ministre, c'est en responsabilité et pour soutenir nos armées que le groupe SER votera ce budget. Mais nous aurons une vision ambitieuse pour la prochaine LPM. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDPI et du RDSE ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

Mme Michelle Gréaume .  - Nous examinons les crédits de la mission « Défense » alors que la guerre fait son retour en Europe et que la puissance de l'Otan s'affirme de nouveau.

En Ukraine, nous sommes doublement engagés, par les livraisons d'armes prélevées sur l'équipement de nos forces, et par le déploiement renforcé sur le flanc Est de l'Otan. Au Sahel, nous nous tirons péniblement d'une opération extérieure coûteuse et aux résultats politiques catastrophiques. L'addition est lourde.

Dans ce contexte géopolitique inquiétant, le budget 2023 respecte la trajectoire de la LPM, qui visait la remise à niveau capacitaire, mais dont nous déplorions la logique de projection interventionniste.

Préparer nos armées à la haute intensité est une chose, multiplier les champs d'action extérieure en est une autre.

Les programmes doivent être recentrés sur des objectifs de défense nationale ; s'ils sont européens, nous devons en conserver l'usage souverain. Le porte-avions est un cas d'école : des ruptures capacitaires sont à craindre, et pourtant on préfère investir 5 milliards d'euros dans le prochain porte-avions. Or en cas de conflit de haute intensité, cet équipement serait très vulnérable, voire rapidement obsolète et inopérant...

Une seconde LPM à 430 milliards d'euros est prévue, car les états-majors pointent nos lacunes capacitaires en cas de conflit de haute intensité. Nous ne tiendrions pas un conflit sur plus de 80 km ou de plus de huit jours...

Quel sens accorder à la dissuasion nucléaire si nous redimensionnons nos forces pour nous préparer à un conflit sur notre sol ? En vérité, la défense du territoire semble seconde dans les conflits de haute intensité. Il est moins question de défendre l'intégrité de la nation que de renforcer notre capacité en matière de haute intensité, dans le cadre d'une doctrine interventionniste. C'est pourtant ce qui nous a conduits à bien des échecs : Afghanistan, Barkhane, Libye.

Nous persistons dans des logiques de projection archaïques. La récente revue nationale stratégique est ambitieuse : pour quels objectifs, au service de quelles alliances ? La France entend jouer un rôle de puissance d'équilibre, mais nous sommes plus que jamais alignés sur l'Otan et les États-Unis, dans l'espoir de maintenir un rang fantasmé dans le camp atlantiste.

Aucune initiative de désarmement multilatéral ou de grande coalition pour la paix n'est formulée. Pourtant, cela contribuerait au rayonnement de la France.

L'autonomie industrielle de la défense européenne vole en éclats avec le retour en force de l'Otan. Les crédits de la LPM renforceront-ils vraiment nos capacités souveraines de défense ? Nous regrettons une répartition des crédits qui renforce les capacités de projection au détriment d'une stricte défense de notre territoire. Cela nuit à la capacité de la France à assumer son rôle au service de la paix. Nous voterons contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Joël Guerriau applaudit également.) Le 24 février dernier, la Russie envahissait l'Ukraine. Dans le même temps, la Chine poursuit la modernisation de son appareil militaire, notamment dans le cadre de sa stratégie dans l'Indo-Pacifique. La convergence stratégique de ces deux pays est orientée contre les intérêts occidentaux.

Avec une hausse de 5 % entre 2019 et 2023, les crédits de la défense respectent la LPM et atteignent, en 2023, 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 53 milliards en crédits de paiement. La marche de 3 milliards pour l'année 2023 est respectée ; c'est 8 milliards de plus qu'en 2019.

Les équipements arrivent dans les armées : pour l'armée de l'air et de l'espace, 13 Rafale et 3 avions ravitailleurs ; pour la marine nationale, un bâtiment ravitailleur et un sous-marin nucléaire d'attaque (SMNA) Barracuda ; pour l'armée de terre, 123 Griffon, 119 Serval et 22 Jaguar.

Les crédits dédiés à l'entretien respectent aussi la LPM. Les baisses de personnel de soutien ont enfin cessé et 1 500 postes seront créés, conformément à la LPM, dont 48 % pour la cyberdéfense, le renseignement et l'action dans l'espace numérique. La nouvelle politique de rémunération des militaires simplifie les primes.

L'enveloppe consacrée aux études atteindra le milliard d'euros, en vue du MGCS (Main Ground Combat System) et du Scaf. Monsieur le ministre, où en est-on ? La lutte antidrones, l'hypervélocité, le quantique et l'énergie bénéficient également d'un effort spécifique.

Toutefois, le respect de la LPM n'est pas total, en raison de l'inflation qui représente 200 millions d'euros en 2022 et 1 milliard d'euros en 2023. Et voilà le retour des reports de charges que nous avions tant combattus... Veillons à une bonne indexation sur l'inflation. De plus, la provision pour les Opex et les Missint demeure insuffisante, au regard du renforcement du flanc oriental de l'Otan. Tout cela finit par représenter une partie non négligeable des 3 milliards d'euros supplémentaires de ce budget.

Le cyber, le renseignement, l'espace sont des nouvelles priorités qui emportent notre adhésion, mais elles sont financées à enveloppe constante, au détriment d'autres dépenses.

Les livraisons prennent du retard, l'entretien programmé des matériels (EPM) aussi. Les améliorations ne sont pas au niveau espéré et le Parlement n'a pas été clairement informé : près d'un milliard d'euros manqueraient pour l'EPM depuis le début de la programmation en cours. Et la fin de Barkhane n'améliorera rien : le rapatriement des équipements coûtera aussi cher, si ce n'est plus, que la poursuite de la mission. Notre commission a prévu un rapport sur Barkhane.

Compte tenu de ces nuances, que reste-t-il de la marche des 3 milliards ? Sommes-nous bien à la hauteur des ambitions de la LPM, qui était une LPM de restauration ? Nous le saurions mieux si son actualisation avait été un peu plus législative. La prochaine LPM devra faire face aux défis actuels et préparer les confrontations de demain.

Nous vous donnons acte, monsieur le ministre, de ces crédits, mais restons attentifs. Le prochain budget, premier de la nouvelle LPM, devra apaiser nos inquiétudes sur la haute intensité et l'engagement majeur, car à l'avenir, nous ne choisirons plus nos champs de bataille. Parfois, nous avons le sentiment d'avoir perdu un an depuis le début de la guerre en Ukraine ; les commandes ne sont toujours pas passées.

Les États-Unis, eux, ont une vision moins théorique de l'économie de guerre. Mettons-nous au travail et donnons de la visibilité à nos industriels et de la lisibilité à nos militaires, pour qu'ils sachent que nous sommes avec eux.

Le groupe UC votera les crédits de ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MMJoël Guerriau et Marc Laménie applaudissent également.)

M. Stéphane Ravier .  - Nous validons une hausse des crédits en apparence inédite. Mais au fond, rien d'extraordinaire : nous validons la trajectoire de la LPM et atténuons les effets de l'inflation.

La LPM était prévue pour temps de paix : ces 3 milliards d'euros de crédits supplémentaires semblent bien peu face aux 100 milliards d'euros supplémentaires qu'apporte l'Allemagne ou à l'augmentation de 150 % en Russie.

Le Président de la République dit vouloir préparer une économie de guerre, l'utopie du couple franco-allemand s'est officiellement effondrée : alors, pourquoi ne pas avoir avancé d'un an la prochaine LPM ?

Quel est le rôle de la France et de quels moyens se dote-t-elle ? Nous ne sommes pas une nation majeure. Pendant le covid, nous avons mis sur la table des centaines de milliards d'euros, puis des dizaines de milliards pour les boucliers énergétiques. À situation exceptionnelle, le budget de la défense devrait être lui aussi exceptionnel. Face au retour de la guerre à haute intensité et des empires hostiles, ces 3 milliards d'euros ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.

Je voterai les crédits cyber, ceux du renseignement et ceux en faveur de la création de nouvelles brigades de gendarmerie. Mais cela ne rattrapera pas la suppression de 20 % des effectifs entre 2018 et 2015 : notre armée est désormais échantillonnaire.

La récente défaite française sur l'appel d'offres de cinq vaisseaux multimissions passé par l'Arabie saoudite, après l'annulation du contrat de sous-marins avec l'Australie, alerte sur la crédibilité de notre industrie de défense. Le programme Scaf est un fiasco : l'Allemagne a jeté son dévolu sur le F-35 américain.

Le « en même temps » n'est pas compatible avec la gravité des temps. Nos soldats en Roumanie ont froid et faim, alors qu'ils ne sont pas sur la ligne de front : c'est inacceptable. Préparons la guerre si nous voulons la paix.

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette mission s'inscrit dans un contexte géopolitique complexe. Nous sommes passés à une phase de confrontations directes entre puissances et de provocations - dernière en date, les essais de missiles balistiques nord-coréens, à la barbe du Japon. La Russie conteste un ordre international dont la première règle est la souveraineté des États et le respect de leurs frontières. Ce faisant, le Kremlin piétine le droit international humanitaire garanti par la convention de Genève.

Comme l'indique la RNS, notre défense doit s'adapter aux conflits de haute intensité. Avec 3 milliards d'euros de crédits de paiement supplémentaires, le budget porte-t-il la promesse d'une sécurité collective ? Il s'inscrit dans la trajectoire de la LPM qui prévoyait 44 milliards d'euros, nous y sommes. Mais cette évolution sera à renégocier dans la prochaine LPM ; le RDSE y sera attentif.

Les nouveaux moyens permettront de déployer 1 500 emplois supplémentaires pour le renseignement et la sécurité, d'assurer l'entretien des matériels et de poursuivre les grands programmes - Scorpion, Syracuse, ravitailleurs, hélicoptères de nouvelle génération - et de reconstituer les stocks de munitions. Le PLF prévoit aussi 6 milliards d'euros d'autorisations d'engagement pour le Rafale.

Je m'inquiète du taux de disponibilité technique opérationnelle des matériels de la marine, en deçà des prévisions. Mais je me réjouis de la livraison du second SMNA Barracuda, ainsi que du lancement du premier ravitailleur, du premier patrouilleur d'outre-mer et du premier module contre-mines par drone, le fameux Slamf.

Ces avancées concrètes ne me rendent pas sourd aux observations des rapporteurs. L'inflation relativise l'augmentation budgétaire. La provision Opex est sous-dimensionnée, car nous n'en avons pas fini avec le djihadisme au Sahel. Le flanc est de l'Europe appellera un engagement de nos forces. Nous continuerons les cessions de matériel à l'Ukraine.

Je m'inquiète pour le Scaf, même s'il semble relancé selon Dassault. L'Allemagne doit privilégier la coopération industrielle européenne. Je partage l'irritation française sur le bouclier antimissile européen qui ferait intervenir le système américain Patriot et le dôme de fer israélien, plutôt que le système franco-italien Mamba. C'est inconfortable, mais cela peut nous inciter à renforcer encore nos moyens pour faire la preuve de notre excellence.

Le groupe RDSE votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; MMAndré Gattolin et Michel Canévet applaudissent également.)

M. Christian Cambon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis vingt ans, les nations européennes, accrochées à la chimère de la fin de l'histoire, ont cultivé un dangereux paradoxe : la fonte des moyens de leurs forces armées alors que la menace internationale ne cessait de croître. Cette illusion de la paix et de la sécurité a volé en éclats le 24 février dernier.

Certes, la France s'est réveillée un peu plus tôt que ses partenaires. Dès 2019, nous avons mis fin à l'hémorragie du budget militaire. Le budget 2023 est un budget de transition, avec une première marche de 3 milliards d'euros vers les 50 milliards en 2025. Il est aussi le dernier de la LPM votée en 2018.

La montée en puissance est entamée : nous le voyons sur le terrain. Je rends hommage à l'engagement et au professionnalisme de nos soldats, tant en France qu'à l'international. Nous intervenons en soutien de nos alliés, notamment sur le flanc est de l'Otan.

Toutefois, nous devons aussi nous demander si les directions prises sont les bonnes et si le rythme de progression est suffisant. Malgré les craintes initiales, nous vous donnons acte, monsieur le ministre, des efforts engagés : livraison de 13 Rafale et commande de 42 autres, d'un second SMNA de classe Suffren, modernisation de l'armée de terre avec le programme Scorpion.

Nos commissions des finances et des affaires étrangères ont émis un avis favorable à l'adoption des crédits. Le groupe Les Républicains y souscrit.

Toutefois, des points de vigilance demeurent : l'inflation en fait partie, qui efface un tiers de l'effort budgétaire de 3 milliards. Les reports de charges ne sont pas la solution ; cela risque de réenclencher l'effet boule de neige.

Nous attendons des précisions sur la répartition des crédits supplémentaires entre les différentes enveloppes, notamment sur le renouvellement de la dissuasion.

Un dialogue s'est engagé avec la BITD pour accélérer la production et anticiper les livraisons. Des lettres d'intention sont promises aux industriels, mais où sont les commandes supplémentaires, notamment en matière de missiles complexes ? Aucune commande n'a été finalisée. Comment l'expliquer ? Comment l'admettre ?

Les crédits de la défense augmentent, mais de manière insuffisante : la guerre en Ukraine constitue un tournant stratégique, de même que la fin de l'opération Barkhane. Mais la RNS ne fait que les effleurer. Nous avons besoin d'une réflexion d'ensemble sur le modèle d'armée à développer pour faire face à la haute intensité.

Nos armées ne pourraient couvrir qu'un front très réduit, selon certains. Certes, nos forces ont vocation à être engagées en coalition et nous avons la dissuasion, mais nous mesurons tout juste l'ampleur de l'effort à accomplir. Des enseignements doivent être tirés, mais nous préparons la guerre de demain avec les enjeux d'aujourd'hui. Évitons d'avoir une guerre de retard.

Percevons les leçons stratégiques de la guerre actuelle autant que les leçons militaires, soyons attentifs aux signaux faibles. Identification des risques, évaluation des besoins, détermination des moyens : tel est l'objectif de la future LPM.

Monsieur le ministre, nous voulons être pleinement informés, notamment sur la définition des besoins. Notre effort de défense doit être compris pour être accepté. Il s'inscrit dans le temps long, au prix d'importants efforts budgétaires. Il doit être expliqué aux Français. S'il est une leçon de la guerre en Ukraine, c'est que la force d'une Nation tient d'abord à son moral et à sa cohésion.

Ainsi les dispositifs de la réserve opérationnelle et du service national universel (SNU) doivent être mieux détaillés. Il faut associer les parlementaires, si l'on veut associer la population. L'espace, le cyber sont les nouvelles lignes de front menaçant les Français. Les sénateurs et les élus locaux jouent un rôle en la matière.

Ce budget est une rampe de lancement vers l'avenir. Le Sénat entend y apporter sa contribution, mais il doit le faire en toute connaissance de cause, sans être court-circuité par la presse. La programmation ne financera pas une liste sans fin de priorités : discutons franchement des choix.

La LPM peut être un succès si le Gouvernement respecte le travail du Sénat. Le législateur n'est pas une simple partie prenante ni un lobby, c'est pourquoi nous avons refusé le principe des groupes de travail pluriels. Nous formons nos propres groupes, pour élaborer des propositions constructives.

Le Sénat vous tend la main, monsieur le ministre, car sa volonté constante est de servir la France. Nous attendons beaucoup de la prochaine LPM. Il y va de la sécurité des Français et de la place de la France en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. André Guiol applaudit également.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Merci pour vos propos. Plutôt que de lire un discours, je vais répondre directement à vos interpellations.

Ce budget est au rendez-vous de la LPM. En valeur absolue, c'est le budget le plus important pour nos armées depuis la Seconde Guerre mondiale. L'effort budgétaire est là, en rupture avec le passé : il y a eu des diminutions justifiées par l'évolution des formats d'armées - notamment lorsque la France est devenue une puissance nucléaire, lorsque nous avons laissé derrière nous les guerres coloniales, lorsque la guerre froide a pris fin - mais il est apparu qu'il fallait réarmer. Il y a aussi eu, dans les années 2000, des réductions d'effectifs à l'aveugle que nous commençons enfin à réparer : la revue générale des politiques publiques (RGPP) a laissé des traces.

La rupture avec le passé prend du temps, voyez les programmes navals. En la matière, les années 2023 à 2025 seront précieuses, car on y percevra le résultat des décisions prises depuis 2017. La dissuasion nucléaire était le résultat de dix années de programmation.

L'inflation ne doit pas faire mentir l'effet recherché. Nous proposons des reports de charge, documentés et proposés au Parlement. C'est un risque, certes, mais pas une insincérité budgétaire. Car bien malin qui peut dire combien de temps durera cette inflation... Nous discutons avec les industriels, qui ne pratiquent pas d'agios, et les décalages correspondent parfois à leurs propres retards. Lorsque le coût des facteurs était favorable aux armées, personne ne posait la question ! Ce sont des décisions à assumer démocratiquement et en transparence.

Je regrette que les orateurs aient enjambé les évolutions historiques votées en LFR : plus d'un milliard d'euros supplémentaires, notamment pour l'Ukraine et la mission Aigle ! Pour 2022, nous ne sommes déjà pas loin des 3 milliards d'euros de crédits supplémentaires. Avant 2021, les LFR n'ouvraient pas de nouveaux crédits de défense ; en 2021 déjà, nous avions ouvert 150 millions supplémentaires en LFR.

J'ignore qui a mal informé la commission des affaires étrangères sur l'absence de commandes de munitions ces derniers mois...

M. Christian Cambon, président de la commission.  - Complexes !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Complexes, oui : en novembre, 200 missiles balistiques de moyenne portée ont été commandés ; en août, 5 000 obus de 155 millimètres et 8 000 charges modulaires ; 35 millions de cartouches cet été... Sans oublier 100 Mistral. (M. Cédric Perrin le conteste.) Je vous confirme que tout cela est fait.

Il est vrai que certaines commandes prennent du temps, en raison de négociations parfois minutieuses. Nous allons, avec l'Italie, commander des missiles Aster. Nous avons rapidement tiré les conclusions, pour ce qui est des munitions, du conflit ukrainien.

Une loi de programmation n'est pas une loi de crédits : attention à ce qu'elle ne devienne pas un facteur de rigidité stratégique. Les crédits sont ouverts chaque année par le Parlement, mais la LPM donne un cadre et une visibilité sur plusieurs années. C'est la dissuasion nucléaire qui a introduit les LPM dans les années 1960.

L'année 2023 sera celle du tuilage, dans la perspective de la prochaine LPM qui sera une loi de transformation et d'adaptation.

Dis-moi quels sont tes dangers, je te dirai ce que doit être ton armée, selon l'adage. J'ai entendu des orateurs dire que la dissuasion nucléaire défendait nos intérêts vitaux, pour déplorer quelques minutes plus tard que nos armées ne puissent pas tenir un front de 80 km... Georges Pompidou ou Pierre Messmer ont déjà tranché la question.

Madame Conway-Mouret, merci d'avoir évoqué la dissuasion. Je pense au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et au programme Rafale. La modernisation des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), notamment du SNLE 3G constituera un effort important de la prochaine LPM.

Les menaces s'accumulent, y compris les attaques hybrides comme celle qui a frappé un hôpital. Dès lors que l'on a la voûte nucléaire, quelles menaces touchent un pays doté ? La réponse, c'est l'hybridité, notamment assumée par la milice paramilitaire Wagner.

Nous n'avons pas assez débattu ce matin des missions qui attendent nos armées. Ce sont nos alliances qui carènent nos capacités. Ces alliances, au demeurant, n'obèrent aucunement notre autonomie stratégique. Ne considérons pas seulement le pourcentage de mobilisation des lignes budgétaires ; dézoomons la réflexion.

Chacun doit prendre ses responsabilités en cette période. Concernant les exportations de Rafale et de frégates, je ne souhaite pas que les stocks des armées servent de tampon. Mais les mêmes qui déplorent les exportations de Rafale étaient ceux qui déploraient il y a quelques années nos échecs commerciaux ! En quelque sorte, nous avons subi le succès. Mais l'exportation de 18 canons Caesar ne met pas en danger l'armée française ; les propos de Mme Le Pen à ce sujet étaient stupéfiants. Il est absurde d'inquiéter ainsi les Français !

Sur nos alliances, chacun devra clarifier ses positions. Je songe aux déclarations stupéfiantes il y a quelques mois d'un candidat à la présidentielle, alors que nous venons d'élargir l'Otan à deux pays.

L'un d'entre vous est revenu sur notre soi-disant échec en Afrique. Barkhane a été un succès, nos forces ont combattu le terrorisme avec courage. Si l'État malien ne prend pas ses responsabilités, cela ne remet pas en cause le travail de l'armée française. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDPI ; Mme Hélène Conway-Mouret applaudit également.) L'Ukraine ne doit pas écraser l'enjeu sécuritaire qu'est le Sahel.

Enfin, monsieur Cambon, vous dites avec raison qu'il faut emmener les Français avec nous sur les questions de défense. Nous avons un devoir de soudure en la matière. La question militaire n'a pas toujours été consensuelle : souvenons-nous, la première LPM portée par Pierre Messmer a fait l'objet de quatre 49.3 et autant de motions de censure ; le Sénat avait refusé de la discuter... Je suis à la disposition du Sénat pour travailler de manière consensuelle ; peu importent les moyens, seuls les résultats comptent. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes UC et INDEP)

Examen des crédits de la mission et de l'article rattaché

Article 27 - État B

M. le président.  - Amendement n°II-1266, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

Préparation et emploi des forces

Soutien de la politique de la défense dont titre 2

Équipement des forces

214 638 063

214 638 063

TOTAL

0

214 638 063

0

214 638 063

SOLDE

-214 638 063

-214 638 063

M. Pierre Laurent.  - Nous nous interrogeons sur le futur porte-avions et sa compatibilité avec les nouvelles orientations en matière de conflits de haute intensité. S'agit-il d'élever le niveau de notre interventionnisme ?

En outre, ce système d'armes est très vulnérable, et sa sécurisation requiert des moyens considérables. Compte tenu du coût prévisible, les 5 milliards d'euros annoncés ne sont probablement qu'un début.

Il y a aussi des enjeux de souveraineté. Souvenons-nous que, après l'opposition française à la guerre en Irak, nous avons dû attendre deux ans la levée de l'embargo américain sur certaines pièces détachées, dont celles nécessaires au catapultage sur le Charles-de-Gaulle.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Avis défavorable. Sans ces crédits, les questions que vous posez ne pourraient trouver de réponse. Les délais risqueraient d'être allongés, fragilisant l'aéronavale, l'un de nos fleurons.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Avis défavorable. Nous avons besoin de ces études, pour le porte-avions et, plus généralement, pour la propulsion nucléaire : elles serviront aussi pour les SNLE 3G et les Barracuda. Nous devons maintenir notre savoir-faire et notre autonomie dans ce domaine.

Nous actons la nécessité d'un nouveau porte-avions. Je suis très favorable au maintien d'un groupe aéronaval, indispensable pour compter dans l'Indo-Pacifique et y nouer des partenariats, par exemple avec l'Inde, mais aussi pour assurer la défense de nos outre-mer.

Reste que je ne balaie pas vos arguments d'un revers de la main, s'agissant notamment de la vulnérabilité en cas d'engagement majeur. L'état-major de la marine se tient à la disposition des parlementaires, en particulier pour préciser les missions du porte-avions de demain.

L'amendement n°II-1266 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1263, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

80 000 000

80 000 000

Préparation et emploi des forces

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

Équipement des forces

80 000 000

80 000 000

TOTAL

80 000 000

80 000 000

80 000 000

80 000 000

SOLDE

0

0

M. Pierre Laurent.  - Cet amendement reprend une proposition des trois députés de Polynésie français, tous membres du groupe GDR.

La France possède le deuxième territoire maritime au monde, mais de nombreuses lacunes capacitaires nous empêchent d'assurer notre souveraineté, notamment sur la zone économique exclusive (ZEE) polynésienne. Des thoniers étrangers y font régulièrement intrusion, réduisant les ressources disponibles pour le peuple polynésien et altérant la biodiversité marine.

L'acquisition de deux nouveaux patrouilleurs renforcera nos moyens de surveillance, mais cela n'est pas suffisant pour protéger plus de 5 millions de km2. Nous proposons deux autres patrouilleurs supplémentaires pour nous donner les moyens de surveiller cette zone.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Je remercie M. Laurent pour son analyse, qui rejoint celle que j'ai exposée devant la commission des finances. Toutefois, cette question relève d'une réflexion plus générale sur notre dispositif de souveraineté nationale, qui sera menée dans la prochaine LPM. Retrait ?

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - En effet, ce sujet relève de la LPM ; je souhaite d'ailleurs que le texte comporte un titre spécifiquement consacré à la sécurisation des outre-mer. En outre, l'amendement est partiellement satisfait par l'arrivée d'un nouveau patrouilleur prévue pour 2023. J'ajoute qu'il peut être plus pertinent de déployer d'autres moyens de surveillance, comme des patrouilleurs aériens ou des drones. Pour ces raisons, avis défavorable. Sur la forme, monsieur Laurent, je ne parlerais pas de peuple polynésien, car il n'y a qu'un seul peuple français - mais je sais que vous l'avez dit sans malice.

M. le président.  - La Constitution, en effet, en dispose ainsi.

M. Rachid Temal.  - Nous devons renforcer notre présence dans l'Indo-Pacifique, mais il est exact que ce sujet relève de la LPM. Le groupe SER s'abstiendra.

L'amendement n°II-1263 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°II-1257 rectifié ter, présenté par MM. Guerriau et Patriat, Mme N. Delattre, MM. Chasseing, Médevielle, Henno et Bonnecarrère, Mme Belrhiti, MM. Haye, Mizzon, Decool, Wattebled et Capus, Mme Paoli-Gagin, M. Lagourgue, Mme Mélot et MM. Grand, Menonville, Houpert et Longeot.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

 

 

 

 

Préparation et emploi des forces

30 800 000

 

20 400 000

 

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

43 200 000

 

2 800 000

 

Équipement des forces

 

74 000 000

 

23 200 000

TOTAL

74 000 000

74 000 000

23 200 000

23 200 000

SOLDE

0

0

M. Joël Guerriau.  - L'armée nourrit des convives aux profils variés et dispose pour cela d'infrastructures : quelque 197 restaurants fonctionnent en régie, les autres ayant été confiés à l'économat des armées.

La situation dans les restaurants militaires est de plus en plus tendue. Mme Parly, en 2019, avait reconnu un besoin d'investissement important. Il est indispensable d'accélérer les rénovations, car nous devons à nos militaires une restauration de qualité et de bonnes conditions d'hygiène.

Le service du commissariat des armées (SCA) a perdu 30 % de ses effectifs, soit 9 000 postes, et souffre d'une sous-capitalisation chronique. Le soutien est trop souvent délaissé au profit de l'opérationnel.

Cet amendement est gagé sur le programme 146, dont les moyens ont crû de 50 % en cinq ans et qui pèse plus d'un tiers de l'ensemble de la mission. Quelques marges de manoeuvre peuvent raisonnablement y être trouvées.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Sur ce sujet sensible, et qui n'est pas nouveau, je ferai deux observations.

D'abord, sommes-nous certains de pouvoir dépenser 23 millions d'euros supplémentaires l'année prochaine ?

Ensuite, nous reprochons régulièrement au Gouvernement de pomper les crédits d'équipement pour financer des dépenses de fonctionnement ou des investissements de moindre importance...

Sagesse - mais si le Gouvernement donnait un avis favorable, il faudrait revoir le montant des crédits alloués. Je partage la volonté d'envoyer ce signal, mais prenons garde : les crédits assurant la pérennité de nos armées ne sauraient être une variable d'ajustement. (M. Christian Cambon, président de la commission, renchérit.)

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Ne rien faire, ce serait dire à nos forces que tout va bien... Or la constitution des bases de défense a abîmé certaines fonctions de soutien.

Paradoxalement, contrairement à ce que M. Ravier a prétendu, relayant de fausses informations de Mediapart, la nourriture est de bonne qualité en Opex ; c'est dans nos garnisons qu'il y a des difficultés.

Aider le SCA est une bonne idée. Avis favorable, donc. Peut-être pourrons-nous corriger le montant en gestion, en accord avec les parlementaires. Il y a bien une petite marge de manoeuvre sur la ligne des capacités.

M. Cédric Perrin.  - On ne peut pas ponctionner le programme 146 au profit du fonctionnement et se plaindre ensuite à la tribune de l'insuffisance des crédits d'équipement... Oui, il faut travailler sur la restauration dans les armées - la LPM à hauteur d'hommes, c'est aussi cela. Mais pas en sacrifiant l'équipement du combattant ! Je laisse au Gouvernement le soin de trouver les moyens nécessaires.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Cet amendement est en phase avec l'idée d'une LPM à hauteur d'hommes et de femmes, mais je m'interroge sur l'opportunité de le gager sur le programme 146. Monsieur le ministre, si l'amélioration de la restauration est une priorité, pourquoi ne pas avoir prévu les moyens nécessaires ? Si l'on demande à nos militaires de choisir entre leur nourriture et leur sécurité, je ne crois pas qu'ils privilégient la première...

M. Joël Guerriau.  - Je remercie nos collègues de reconnaître l'urgence d'une modernisation de la restauration militaire. S'agissant du financement de cet effort, nous sommes face à un dilemme. Le programme 146 est très sollicité, mais il a beaucoup augmenté ces dernières années.

M. Christian Cambon, président de la commission.  - C'est heureux !

M. Joël Guerriau.  - Les 23 millions d'euros dont je propose le redéploiement sont bien peu sur un total de 15,4 milliards d'euros.

L'amendement n°II-1257 rectifié ter n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°II-10, présenté par M. de Legge, au nom de la commission des finances.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

10 000 000

 

10 000 000

 

Préparation et emploi des forces

 

 

 

 

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

 

10 000 000

 

10 000 000

Équipement des forces

 

 

 

TOTAL

10 000 000

10 000 000

10 000 000

10 000 000

SOLDE

0

0

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - J'ai hésité à maintenir cet amendement, déposé avant l'accord intervenu entre industriels sur le Scaf. Cet accord ne signifie pas que nous sommes au bout de nos peines. Il porte sur un cahier des charges pour la construction d'un démonstrateur en 2029. L'avion du futur ne volera pas avant 2040, et de nombreux aléas peuvent survenir d'ici là.

L'accord entre industriels est une chose, mais, ce qui importe, c'est l'accord politique. Nous avons besoin de vous entendre, monsieur le ministre. Les intérêts français et allemands ont partie liée, mais pas totalement, les Allemands recourant en partie à des équipements américains. En particulier, la question de l'appontage sur le successeur du Charles-de-Gaulle ne concerne que nous.

Quel est le calendrier prévu, et quelles seraient les conséquences s'il n'était pas respecté ?

Plus largement, quel est l'état de nos relations avec l'Allemagne et avec l'Otan, dont le Président de la République a déclaré il y a deux ans qu'elle était en état de mort cérébrale  - avant qu'elle ne ressuscite...

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Ce sont des sujets de thèse ! (Sourires)

C'est la guerre déclenchée par la Russie qui a ressuscité l'Otan ; il y a deux ans, c'était une alliance diplomatique plus que militaire.

La France est un pays fondateur de l'Otan. Nous sommes alliés mais non alignés, selon la formule du général de Gaulle. Nous disposons d'une grande autonomie stratégique au sein de l'Alliance, et nos militaires y occupent des places importantes.

Sur le Scaf, un accord vient d'être conclu par les industriels des trois pays - n'oublions pas nos partenaires espagnols. Si nous ne voulons pas acheter nos avions aux États-Unis, à la Chine ou à la Russie, nous devons garantir l'autonomie européenne. Notre collaboration industrielle avec l'Allemagne date de quarante ans, au cours desquels elle a connu des hauts et des bas.

Nous avons raison d'avancer sur la phase 1B. Il nous faut réfléchir à l'ère post-Rafale, à l'horizon 2040 ; il s'agit de définir le cadre capacitaire de l'armée de l'air dont hériteront nos successeurs. Et, j'y insiste, ces études nous seront utiles quoi qu'il arrive. Le Scaf n'est pas qu'un avion : c'est aussi un club de combat et un environnement collaboratif, notamment en matière de drones.

Une revoyure est prévue dans deux ou trois ans : une décision, industrielle et politique, sera prise à ce moment-là sur la mise en production.

Le chancelier Scholz a redit au Président de la République son attachement à ce projet. Nous aussi y sommes attachés, sous réserve que notre autonomie stratégique soit préservée. L'avion du futur doit porter la bombe française, cela n'est pas négociable. Nous devons également rester maîtres de nos exportations : nous n'entendons pas sceller notre doctrine en ce domaine à des intérêts stratégiques trop partagés, au risque de mettre notre souveraineté en danger.

L'amendement n°II-10 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1264, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

Préparation et emploi des forces

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

5 000 000

5 000 000

Équipement des forces

5 000 000

5 000 000

TOTAL

5 000 000

5 000 000

5 000 000

5 000 000

SOLDE

0

0

Mme Michelle Gréaume.  - En mai dernier, Le Canard enchaî a révélé que le ministère des armées avait lancé un appel d'offres de 50 millions d'euros pour des prestations de conseil. Un seul lot a été attribué, pour un montant de l'ordre de 3,4 millions d'euros.

Cette pratique est particulièrement contestable au sein de ce ministère régalien, traitant de nombreux éléments classifiés. Donnons au secrétariat général des armées les moyens de recruter les personnels nécessaires pour exécuter en interne ces missions de conseil.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Le récent rapport de Mme Assassi et M. Bazin, qui a fait quelque bruit, souligne précisément les pratiques vertueuses du ministère de la défense en la matière. (M. le ministre acquiesce.) Je suggère le retrait de l'amendement, pour ne pas mettre Mme Assassi en difficulté... (Sourires à droite)

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Retrait ou avis défavorable. En 2022, l'enveloppe allouée à ces prestations a diminué de 40 %, et la baisse se poursuivra. Nous réinternalisons des missions et je fonde de grandes espérances sur la réserve d'expertise. Nous ne recourons à des services externes qu'en cas de nécessité, et dans le cadre d'habilitations assurées par la Direction générale de l'armement ou la DRSD - nous ne transigeons pas sur ce point.

M. Pierre Laurent.  - Cet amendement n'est pas contradictoire avec la démarche de Mme Assassi et de M. Bazin. La proposition de loi issue de leur rapport a été adoptée par le Sénat, il serait de bon aloi que le Gouvernement l'inscrive à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

M. Arnaud Bazin.  - Il n'est pas indispensable d'adopter cet amendement, mais il est vrai que nous attendons avec impatience l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale de la proposition de loi votée à l'unanimité par le Sénat.

J'invite nos collègues à voter plutôt, dans le cadre de l'examen des articles non rattachés, l'amendement visant à la publication d'un « jaune » budgétaire assurant la transparence des prestations réalisées et de leurs montants.

Mme Michelle Gréaume.  - Il va de soi que je ne souhaitais pas mettre en difficulté Mme Assassi. Rappelons que c'est le groupe CRCE qui est à l'origine de cette commission d'enquête.

L'amendement n°II-1264 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1220, présenté par Mme Conway-Mouret et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Créer le programme :

Transition énergétique et écologique

II.  -  En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

 

1 300 000

 

1 300 000

Préparation et emploi des forces

 

 

 

 

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

 

 

 

 

Équipement des forces

 

 

 

 

Transition énergétique et écologique

1 300 000

 

1 300 000

 

TOTAL

1 300 000

1 300 000

1 300 000

1 300 000

SOLDE

0

0

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous proposons la création d'un programme budgétaire spécifique pour la transition énergétique et écologique du ministère des armées. Le service des essences est devenu le service des énergies opérationnelles, en vue d'une nécessaire diversification énergétique. Prenons exemple sur la Royal Air Force, qui vise la neutralité carbone en 2040 et vient de faire voler un A330 avec des carburants alternatifs.

Au vu du contexte international et de notre dépendance aux produits énergétiques, il faut accélérer cette transition. D'autant que les carburants représentent les trois quarts de la consommation énergétique du ministère. Le programme proposé pourrait financer une étude sur la dépendance carbone et la rénovation thermique du parc immobilier.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Ne modifions pas la maquette budgétaire pour 1,3 million d'euros de crédits... Sur le fond, le ministère a engagé sa transition : 126 millions d'euros sont consacrés à la rénovation des chaufferies, à l'entretien des réseaux d'eau ou encore à la protection de la biodiversité. Il a déjà coché la case écologique. Le sujet pourra être reposé dans le cadre de la LPM. Retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Même avis. Nous faisons des efforts importants en matière de rénovation thermique des bâtiments. L'armée est propriétaire de foncier, en particulier en zone Natura 2000 : j'ai donné pour instruction que le ministère soit irréprochable dans la gestion de ces zones.

M. Guillaume Gontard.  - Je voterai cet amendement. Des efforts ont été faits, mais il faut aller plus loin, notamment en accélérant le remplacement des chaudières et la rénovation thermique des bâtiments. Y consacrer un programme spécifique me semble intéressant.

L'armée dispose d'un foncier important. L'installation d'éoliennes a été évoquée lors de l'examen de la loi d'accélération des énergies renouvelables. Monsieur le ministre, quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Nous sommes au courant des efforts colossaux qui ont été entrepris, mais les actions sont disparates. Notre amendement visait simplement à les regrouper.

L'amendement n°II-1220 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1265, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

900 000

900 000

Préparation et emploi des forces

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

Équipement des forces

900 000

900 000

TOTAL

900 000

900 000

900 000

900 000

SOLDE

0

0

Mme Michelle Gréaume.  - Les sabotages récents en mer Baltique montrent que les câbles sous-marins sont devenus des cibles. La France est le pays d'Europe le plus connecté : huit câbles passent par Marseille, et il y en aura trois supplémentaires en 2025. Leur surveillance est assurée par des entreprises privées spécialisées et par la marine nationale. Compte tenu des récents événements, nous proposons de renforcer les capacités matérielles et humaines de surveillance.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Ce sujet figure dans la revue nationale stratégique et relève de la LPM. Retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°II-1265 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1267, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

Préparation et emploi des forces

250 000

250 000

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

Équipement des forces

250 000

250 000

TOTAL

250 000

250 000

250 000

250 000

SOLDE

0

0

Mme Michelle Gréaume.  - Les personnels du Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) et de l'Institut de recherche biomédicale des armées (Irba) n'ont pas vu la couleur du Ségur de la santé, alors que leurs collègues contractuels en ont bénéficié. Ces établissements sont pourtant essentiels : le CTSA est le seul producteur de plasma lyophilisé. Revalorisons ces personnels pour assurer une égalité réelle.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Je vous remercie, madame Gréaume, pour votre engagement en faveur du SSA. Cet amendement est satisfait, sur deux exercices : 700 000 euros ont bénéficié à 1 365 agents cette année et 500 000 euros bénéficieront à 1 517 agents en 2023.

L'amendement n°II-1267 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°II-1281, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

Préparation et emploi des forces

1

1

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

Équipement des forces

1

1

TOTAL

1

1

1

1

SOLDE

0

0

Mme Michelle Gréaume.  - Sous la précédente LPM, le SSA a perdu 1 600 personnels, soit 8 % de ses effectifs. Cent médecins manquent à l'appel, et les tensions sont particulièrement vives dans les spécialités pour lesquelles la concurrence avec le secteur civil est forte. Les personnels quittent l'armée en quête de meilleures rémunérations. Résultat : ceux qui restent sont sursollicités et épuisés, ce qui aggrave la désaffection. Pour les équipes chirurgicales, le taux de projection atteint 200 %. Nous devons ouvrir la réflexion sur une revalorisation du personnel soignant militaire.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial.  - Demande de retrait de cet amendement d'appel. Je laisse le ministre répondre sur le fond.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - En 2023, 39 millions d'euros supplémentaires seront alloués au SSA. La prochaine LPM lui consacrera des moyens beaucoup plus importants. Il faudra aussi réfléchir aux missions de ce service : le soutien des forces doit rester le coeur de son activité. Nous devons également accroître le nombre de réservistes.

Nous avons besoin d'un SSA en bonne santé, y compris en matière de recherche sur les pathologies du combattant ; avec les Américains et les Israéliens, nous sommes à la pointe dans ce domaine, y compris pour les troubles psychologiques, et devons le rester.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Monsieur le ministre, dès votre première audition devant notre commission, vous avez évoqué le renforcement du SSA : ce doit être une priorité de la prochaine LPM.

Mme Michelle Gréaume.  - Je retire cet amendement d'appel, mais nous sommes particulièrement attachés à cette priorité.

L'amendement n°II-1281 est retiré.

Les crédits de la mission « Défense » sont adoptés.

L'article 42 est adopté.