Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Fidèles à nos traditions, nous nous retrouvons pour échanger sur les principaux sujets qui seront traités lors du prochain Conseil européen.

La guerre en Ukraine demeure le sujet le plus brûlant, avec la crise énergétique et la situation économique. Je l'ai dit ici le 17 novembre, lors du débat sur le prélèvement sur recettes au profit de l'UE, et votre commission a entendu le même jour M. Joly sur le cadre financier pluriannuel au défi de la guerre.

La situation est mouvante, et les positions sont encore susceptibles d'évoluer. La Russie poursuit sa stratégie de frappes brutales contre les infrastructures civiles et énergétiques, pour affaiblir l'Ukraine par le froid et la faim. Nous devons soutenir les Ukrainiens pour qu'ils passent l'hiver. C'est pourquoi le Président de la République et le président Zelensky organisent une conférence sur la résilience de l'Ukraine le 13 décembre à Paris, afin de répondre aux besoins de court terme.

Afin de structurer notre aide financière à l'Ukraine à long terme, la Commission européenne propose un prêt de 18 milliards d'euros en 2023. Nous espérons parvenir à un accord avec nos partenaires avant la fin de l'année, afin que les premiers versements aient lieu dès janvier. Il y va de la crédibilité de l'Union.

La situation énergétique est préoccupante. Je salue les travaux du Sénat, dont la table ronde de haute tenue organisée le 16 novembre sur les chocs économiques actuels.

Nous devons tout faire pour réduire notre dépendance à l'égard de la Russie et des énergies fossiles. La Commission européenne a fait trois propositions, pour agir partiellement sur le prix du gaz, pour mettre en place une plateforme d'achats conjoints de gaz et pour renforcer notre solidarité énergétique. Saluons l'accord politique trouvé lors du conseil énergie extraordinaire du 24 novembre.

L'ensemble de ces mesures ne répond toutefois pas à l'urgence. La proposition du 22 novembre sur un mécanisme correctif sur le marché du gaz propose certes un plafonnement, mais dans des conditions trop restrictives. Il faut gagner en pertinence et en crédibilité, pour envoyer un signal fort au marché. Nous devons aller plus loin, pour faire baisser les prix à court et moyen termes par une réforme du marché de l'électricité.

Il nous faut également apporter des réponses budgétaires coordonnées contre l'inflation, tout en préservant la croissance. Nous attendons les propositions de la Commission européenne sur les mécanismes européens de solidarité financière.

J'en viens aux enjeux de sécurité et de défense. Le renforcement de l'industrie de défense européenne est une priorité, dans la continuité des engagements du sommet de Versailles. Lundi dernier, la Commission européenne a annoncé le déblocage de 1,2 milliard d'euros du Fonds européen de la défense (FED), doté de 7,9 milliards d'euros sur la période 2021-2027, pour fournir des capacités de pointe à nos forces armées.

Il faut désormais avancer sur le règlement créant un instrument d'urgence pour faciliter l'acquisition conjointe de matériel militaire, ainsi que sur la construction d'un instrument pérenne pour structurer la demande et donner de la visibilité à nos industriels.

Nous devons aussi réduire nos dépendances aux technologies et chaînes d'approvisionnement extra-européennes.

La résilience et la cybersécurité des entités critiques européennes seront aussi à l'ordre du jour, car le numérique est une des clés de notre souveraineté. La coopération doit être plus que jamais un levier de notre stratégie en matière de cybersécurité et de résilience.

Ce Conseil européen sera l'occasion d'assurer la soutenabilité de la facilité européenne de paix (FEP), mobilisée massivement à des fins nouvelles pour soutenir l'Ukraine. Nous saluons la capacité d'adaptation de l'Union, qui, grâce à la FEP, est devenue un acteur majeur du conflit, avec 3 milliards d'euros engagés. Le Conseil européen doit acter le réabondement de l'instrument, pour assurer sa pérennité.

Nous aborderons également les relations avec le voisinage Sud de l'Union européenne, en préparation du sommet prévu au second semestre 2023. Ces discussions sont essentielles pour lutter contre le narratif russe dans la région et y soutenir la prospérité et la stabilité. Le 24 novembre dernier, à Barcelone, les pays de l'Union et du voisinage Sud ont échangé sur les pistes de coopération pour répondre aux défis de la sécurité alimentaire et de l'énergie, alors que nous devons diversifier nos approvisionnements. Nous maintenons la dynamique en faveur d'une politique méditerranéenne ambitieuse et positive.

Le Conseil européen sera précédé par un sommet entre l'Union européenne et l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est), le premier au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Il s'agit de poursuivre l'engagement européen dans l'Indo-Pacifique et de mettre en oeuvre le partenariat stratégique UE-Asean, notamment dans le cadre de l'initiative européenne Global Gateways.

Le Conseil européen reviendra sur nos relations avec les États-Unis, dans un contexte marqué par l'adoption de l'Inflation Reduction Act. Le Président de la République revient des États-Unis, où il a porté un message clair sur les enjeux énergétiques et commerciaux. La troisième réunion du conseil commerce et technologie UE-États-Unis a permis à l'Union européenne d'approfondir ces messages.

Les mesures prises dans le cadre de l'Inflation Reduction Act sont contraires à l'esprit de coopération transatlantique, et nous devons identifier des solutions qui préservent les intérêts européens. Ce sera le rôle de la task force de la Commission ; nous serons très attentifs à ses résultats.

L'Union européenne doit néanmoins se préparer à un refus de prise en compte des demandes européennes, pour envoyer, si nécessaire, des signaux efficaces aux entreprises, par exemple en créant un fonds de souveraineté européen et en appliquant les instruments antisubventions mis en place pendant la PFUE.

Enfin, les Balkans occidentaux seront aussi à l'ordre du jour. La France est résolument en faveur du processus d'adhésion : en témoignent nos efforts en faveur de la résolution du différend bulgaro-macédonien, qui a permis les premières conférences intergouvernementales d'adhésion, en juillet, avec l'Albanie et la Macédoine du Nord - où je me suis rendue récemment. Le sommet de Tirana, aujourd'hui même, marque notre solidarité et notre soutien dans le contexte actuel.

Nos actions dans la région doivent être poursuivies et amplifiées, afin que les Balkans occidentaux voient les effets concrets de leurs efforts : paquet de soutien énergétique de 1 milliard d'euros, plan économique et d'investissement, initiatives dans le domaine cyber, réductions de frais d'itinérance téléphonique, entre autres.

En Bosnie-Herzégovine, nous espérons la formation rapide des gouvernements à la suite des dernières élections. Le Conseil européen prendra la semaine prochaine une décision sur l'octroi du statut de pays candidat, en tenant compte du contexte géopolitique et des progrès dans la mise en oeuvre des réformes. La poursuite du chemin européen dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants bosniens.

Ce programme est chargé, il témoigne de l'énergie de l'Union européenne pour répondre à l'urgence comme pour agir à long terme. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères .  - Le Conseil européen du 15 décembre sera le premier depuis la libération de Kherson. Le succès de la contre-offensive ukrainienne ne saurait masquer les incertitudes qui perdurent, alors que le conflit dure depuis neuf mois. Le risque est réel qu'il s'installe dans la durée.

L'engagement des Européens en faveur de la liberté du peuple ukrainien se traduit sur le théâtre d'opérations. L'Union européenne a fait la preuve de sa capacité à s'unir et à se mobiliser ; les livraisons d'armes dépassent les 8 milliards d'euros, c'est une contribution substantielle et décisive à l'effort de guerre de l'Ukraine.

Les Ukrainiens gardent des forces morales intactes, il est de notre devoir de continuer à les soutenir à la hauteur de leur héroïsme.

À l'échelle de l'Union européenne, les instruments imaginés pour une période de paix ne sont plus adaptés. La FEP a démontré sa souplesse, mais le montant de 5,7 milliards d'euros est en deçà des besoins. À une situation exceptionnelle, il faut des réponses exceptionnelles. La sixième enveloppe avalisée lors du sommet de Prague portera à plus de 3 milliards d'euros le financement de l'aide aux armées ukrainiennes porté par la FEP. Il est donc urgent de refinancer cet instrument, qui doit rester solide pour être efficace.

La coopération européenne de défense doit répondre aussi à des enjeux de long terme. La boussole stratégique européenne a fixé des objectifs ambitieux en matière de coopération industrielle, et les pays européens augmentent leurs budgets de défense - au risque, toutefois, de favoriser l'industrie de l'armement américaine. Nous devons promouvoir un renforcement de nos dépenses en commun, tant pour la recherche et innovation que pour l'achat d'équipements. Les acquisitions communes de matériel militaire ne s'élèvent qu'à 18 % en 2021, deux fois moins que l'objectif de 35 %.

La défense collective de l'Europe ne pourra être assurée qu'en répondant à l'ensemble de ces défis. Nous serons attentifs à ce que la France soutienne les solutions qui permettront à l'Europe de se doter de l'autonomie stratégique que les circonstances exigent. (MM. Guillaume Chevrollier, André Gattolin et Jacques Fernique applaudissent.)

M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances .  - Le Conseil pour les affaires économiques et financières s'est tenu ce matin même. Quelles en sont les conclusions, notamment sur les nouvelles ressources propres pour l'Union, qui conditionnent les modalités de remboursement du plan de relance européen ?

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pose encore problème : échéance, périmètre, suppression des quotas gratuits, quels sont les arbitrages ? Quelles ressources sont attendues ? Leur affectation est-elle stabilisée ?

La commission des finances est préoccupée par les liens entre la crise énergétique et notre économie. La hausse du cours du gaz, considérable, se répercute sur les consommateurs et les entreprises. C'est pourquoi nous avons proposé d'adopter sans modification l'article 12 quater du projet de loi de finances, pour prolonger le bouclier tarifaire pour le gaz et l'électricité, sans quoi les prix seraient devenus insupportables pour les acteurs économiques.

Quelles sont les perspectives d'accord sur le plafonnement du prix du gaz ? Qu'en est-il de la réforme à venir du marché de l'électricité ? Quel sera l'impact du plafonnement du prix du pétrole russe ?

Pendant trente ans, nous avons vécu dans l'idée que l'inflation resterait faible. Elle dépasse aujourd'hui 10 % dans l'Union européenne et atteint 20 % dans les États baltes. Les montants fixés dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience, même actualisés en juin dernier, sont-ils encore valables ? Ne craignez-vous pas que certains membres aient du mal à assurer leur contribution au budget européen ? Si les recettes de TVA augmentent avec l'inflation, les perspectives de récession inquiètent.

Tout cela va-t-il se traduire par une accélération de la mise en chantier de la révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - Le Conseil du 15 décembre abordera des sujets majeurs : énergie, relations transatlantiques, conséquences de la guerre en Ukraine.

Comme depuis neuf mois, cette prochaine réunion sera dominée par la guerre en Ukraine, où la Russie accentue la pression sur les civils, en violation du droit international. Nous comptons sur le Conseil européen pour renouveler le soutien de l'Union européenne à l'Ukraine, aux plans financier, diplomatique, militaire et humanitaire. La Russie doit assumer la responsabilité pleine et entière de ses crimes.

Nous venons de recevoir une délégation de parlementaires ukrainiens, menée par Maria Mezentseva, qui plaide pour la création d'un tribunal spécial chargé de juger le crime d'agression commis par la Russie. Examinons rapidement la meilleure solution pour que justice soit rendue, sans quoi aucune paix durable ne sera possible.

Le soutien d'Ursula von der Leyen à ce tribunal spécial interroge. Le Conseil ne serait-il pas plus légitime, sur cette question juridiquement complexe et politiquement sensible ?

Deuxième sujet, la crise énergétique. L'objectif à court terme est de cesser d'alimenter la Russie par nos achats d'énergie et d'amortir le choc économique et social que provoque la hausse des prix de l'énergie.

Sur le long terme, l'Europe a besoin d'une énergie abondante, bon marché et décarbonée, ce qui suppose une réforme du marché de l'électricité européen. À cet égard, l'impulsion du Conseil européen des 20 et 21 octobre derniers reste inaboutie. Les États sont divisés et avancent en ordre dispersé, avec un risque de distorsion de concurrence, entre mécanisme ibérique et aides d'État allemandes. Dans quelle mesure le mécanisme temporaire de correction des prix du gaz peut-il sauver la compétitivité de nos entreprises ?

Avec l'Inflation Reduction Act, les États-Unis se sont dotés d'un instrument législatif puissant pour stimuler leur économie au prétexte de la transition verte. Le Président de la République a déploré le déséquilibre concurrentiel qui en résulte. L'Union européenne doit réagir et privilégier les achats européens ; le fonds européen de souveraineté évoqué par Thierry Breton sera-t-il évoqué au Conseil européen ? Outre-Rhin, certains plaident pour un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. André Gattolin applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis le début de l'année, l'Ukraine occupe une grande partie de l'ordre du jour des Conseils européens. Nous aurions aimé qu'il en soit autrement, alors que la poursuite de l'agression russe repousse l'espoir d'un retour à la paix.

Cette situation dramatique nous conduit à rester au chevet des Ukrainiens : la lassitude ne doit pas l'emporter sur notre engagement en faveur de leur liberté, qui est aussi la nôtre. Vladimir Poutine a clairement déclaré la guerre aux valeurs démocratiques de l'Occident. Quel qu'en soit le coût, le RDSE soutient toutes les initiatives pour sanctionner la Russie et aider Kiev, via l'assistance macrofinancière de 9 milliards d'euros, l'aide d'urgence humanitaire ou la mobilisation de la FEP.

En tant que présidente du groupe d'amitié France-Moldavie, je me réjouis de l'attention portée à ce pays : le Président de la République a rappelé que lutter pour la Moldavie, c'est participer à l'effort de guerre en Ukraine. Pour le moment, la déroute des troupes russes épargne la Transnistrie, mais le soutien à Chisinau ne doit pas faiblir. Quel est le montant cumulé des aides à la Moldavie, madame la ministre ?

Espérons que l'embargo sur le pétrole russe tarira le financement de la guerre. Certes, le plafonnement du prix du baril pour ceux qui continueront à importer du pétrole russe est une brèche, mais il ne fallait pas déstabiliser le marché mondial, ni alourdir outre mesure le choc énergétique qui fragilise nos économies.

Le projet de compromis relatif au mécanisme de correction du prix du gaz avancé par la présidence tchèque est-il soutenu par la France ? Il est urgent de mettre en oeuvre un nouvel indice de référence qui reflète mieux les conditions du marché.

Il est fondamental de protéger les plus vulnérables de l'inflation, via le bouclier tarifaire, mais jusqu'à quand pourrons-nous le faire ? Un chapitre social cohérent reste à ouvrir en Europe...

La sobriété risque de durer, en raison du réchauffement climatique. Nous attendons une réponse globale et stratégique, en portant à 40 % la part des énergies renouvelables dans l'Union d'ici 2030, soit huit points de plus que la cible. Notre pays accuse un retard en la matière.

Sans renier les règles de l'OMC, l'Union européenne doit s'affirmer par rapport à certaines initiatives, comme l'Inflation Reduction Act de Joe Biden. Ce plan de 420 milliards d'euros entraînera-t-il un exode de nos industries vers les États-Unis ? Nous ne voulons pas appeler au conflit commercial, mais quelles réponses systémiques Bruxelles compte-t-elle apporter aux entreprises européennes ? À tout le moins, facilitons la délivrance des agréments pour les projets d'intérêt européen et revoyons le cadre des appels d'offres publics.

Où en est le paquet pour l'Union européenne de la santé ? La Commission devait remettre sa proposition de législation sur le médicament en début d'année. Nous serons particulièrement attentifs aux questions d'accès au médicament ainsi qu'aux leviers pour une industrie pharmaceutique innovante. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. André Gattolin et Claude Kern applaudissent également.)

M. Pascal Allizard .  - L'année 2022 aura marqué le retour de la guerre sur le continent européen, une guerre totale. Pour l'instant, les desseins du président russe ont été mis en échec. L'invasion de l'Ukraine a forcé l'Union européenne à réagir, dans l'unité : mise en oeuvre du fonds européen de défense, boussole stratégique, accroissement de l'effort de défense et mutualisation des achats militaires, tout cela va dans le bon sens.

Cependant, nous restons fragiles face à la dégradation du système multilatéral et à l'affirmation de puissances désinhibées. Les sanctions n'ont pas affaibli l'économie russe autant qu'espéré. Les exportations d'hydrocarbures vers la Chine compensent - or une Russie exsangue et dépendante de la Chine n'est pas une bonne nouvelle pour l'Europe.

Le bannissement des énergies russes a mis en lumière certaines de nos légèretés. Par ricochet, la filière nucléaire revient en grâce, après avoir été longtemps dénigrée - mais les coupures de courant menacent. Les alternatives - gaz de schiste américain, production du Golfe ou de la mer Caspienne - ne créeront-elles pas de nouvelles dépendances ? Le projet REPowerEu est-il une opportunité pour la France ? Ne risque-t-on pas de revenir au business as usual, au détriment d'une vision stratégique globale ?

L'intérêt nouveau des Européens pour la défense profite surtout à l'Otan et à l'achat d'équipements militaires américains. La base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne doit être privilégiée, les coopérations recherchées.

Les mesures protectionnistes américaines nous inquiètent - l'Inflation Reduction Act prévoit 420 milliards de dollars d'aides à la relocalisation d'industries d'avenir. C'est une menace directe pour l'Europe. Je partage les inquiétudes exprimées par les autres orateurs. Qu'en est-il du fonds de souveraineté souhaité par Thierry Breton ?

Malgré une prise de conscience des risques encourus en matière de propriété intellectuelle ou des différences de normes environnementales ou sociales, les projets de cession d'infrastructures européennes à des entreprises chinoises demeurent. N'aurions-nous pas retenu la leçon du Pirée ? Le Royaume-Uni vient d'exclure un actionnaire chinois de son principal fabricant de semi-conducteurs et d'interdire des caméras chinoises pour la vidéosurveillance de sites sensibles. (M. André Gattolin acquiesce.) Où en est le Global Gateway, qui se voulait une alternative à la nouvelle route de la soie chinoise ?

Sur les côtes de la Manche, la pression migratoire s'est accentuée en 2022. Le Royaume-Uni augmente ses versements à la France pour enrayer ces flux, mais l'effet d'attraction demeure. La question migratoire n'est pas résolue et l'Italie est laissée bien seule face à cette situation, ce qui explique l'arrivée au pouvoir d'une majorité populiste. Cela pourrait arriver ailleurs.

J'attire votre attention sur l'exécution de onze jeunes étudiants birmans par la junte, prévue demain. Où sont les protestations françaises et européennes ? Le Conseil européen devrait s'intéresser à ce sujet dramatique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. André Gattolin et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)

M. Pierre Médevielle .  - Compte tenu du contexte international et de l'urgence climatique, le prochain Conseil européen devra proposer des solutions pour faire baisser le prix de l'énergie, renforcer la défense européenne et approfondir les relations avec nos voisins des Balkans.

L'Union européenne, dépendante des hydrocarbures russes, est en difficulté. Alors que l'électricité est corrélée au prix du gaz, difficile de trouver une solution collective étant donné la situation différente des pays membres.

Nos désaccords sont profonds, à l'image du rendez-vous manqué sur le plafonnement du prix du gaz. Quels sont vos espoirs et vos lignes rouges en la matière, madame la ministre ?

Les coopérations militaires avec l'Allemagne sont longues et difficiles. Le système de combat aérien du futur (Scaf) peine à avancer depuis 2017 : cela dessert la préparation de nos armées à la guerre aérienne du futur. Dassault et Airbus poursuivent leur collaboration. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'état d'avancement de la phase 1B du démonstrateur annoncée par le gouvernement allemand le 18 novembre ?

Notre stratégie implique l'achat de produits européens. Nous déplorons l'achat de F-35 américains par l'Allemagne. À quand un Buy European Act ?

Je salue le vote de la proposition de la résolution reconnaissant la Russie comme État soutenant le terrorisme. Ce soutien multiforme à l'Ukraine nous honore.

Quelle est la position de la France sur le mécanisme mondial de sanctions contre la corruption ?

Et sur l'adhésion des Balkans à l'Union européenne ? Le sommet de Tirana de ce jour a été l'occasion de réaffirmer notre engagement et d'appeler à l'accélération des négociations. En octobre dernier, la Commission européenne a recommandé d'octroyer le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine. Qu'en pensez-vous ?

La guerre aux portes de l'Union nous oblige à accélérer nos décisions à 27, or différents dossiers restent dans l'impasse. Le Conseil européen, au-delà du défi énergétique, doit être l'occasion de repenser notre mode de vie et de consommation. Soyez assurée de notre soutien, madame la ministre. Certes, nous ne retournerons pas à la bougie, mais nous devons nous adapter grâce à l'intelligence collective. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La guerre d'invasion russe a conduit l'Union européenne à manifester une détermination commune sans précédent. C'est une guerre contre nos valeurs, mais aussi contre le multilatéralisme. C'est aussi le défi climatique qui se joue en Ukraine.

Des décisions impossibles il y a encore quelques mois ont été prises en quelques semaines, signe que c'est ensemble que les États membres doivent agir face à la crise énergétique. La solidarité européenne est essentielle, et ce Conseil européen doit avancer vers une réponse commune aboutie, crédible, cohérente avec nos objectifs climatiques, en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles. Le recours aux ressources de l'Azerbaïdjan ne va pas dans ce sens...

Face aux milliards décarbonés de l'Inflation Reduction Act américain, notre Green Deal européen fait pâle figure. La fragmentation des économies européennes est un péril imminent. Le fonds souverain européen pour l'industrie doit être l'amplification industrielle du Green Deal, et suppose un nouvel emprunt commun. Il faut, pour cela, hâter l'ajustement carbone aux frontières. Ce protectionnisme vert européen équilibrera nos relations avec les États-Unis.

Jeudi dernier, le Conseil a adopté sa position sur la directive Devoir de vigilance. La France a affaibli l'ambition de la directive en en retirant le secteur financier, entraînant avec elle l'Espagne et l'Italie. Or les banques françaises ont investi plus de 743 millions d'euros dans la déforestation du Brésil, elles ne sauraient être exemptées de responsabilité. Les banques doivent être mieux encadrées : pas d'action sans obligation. BNP Paribas est le premier financeur d'énergies fossiles en Europe. Pourtant, le devoir de vigilance était inscrit dans notre droit dès 2017. Les lobbies ont du talent, et les intérêts sont ailleurs...

Le climat a également été exclu du texte final. Les dommages environnementaux doivent être identifiés, mais sans mesure coercitive. Aurons-nous une « loi d'apparence », pour reprendre les mots de Dominique Potier ? Espérons que le Parlement européen imposera aux entreprises un devoir de vigilance sur leurs activités. Nous agirons sur les 16 % de la déforestation mondiale dont l'Europe est responsable. Le caoutchouc, le charbon et les dérivés d'huile de palme ont été maintenus dans la directive. Le secteur financier a été exclu, grâce à ses lobbies, mais nous y reviendrons dans deux ans.

Le fonds social pour le climat doit éviter la casse sociale de la transition écologique. Nous voulons sortir de la dépendance sur les énergies fossiles, ne pas renoncer à la vigilance sur les entreprises ni sur le climat, autant d'ambitions pour l'Union européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Claude Kern et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. André Gattolin .  - En octobre dernier, j'avais souligné que l'ordre du jour d'un Conseil européen n'avait jamais autant porté sur les questions internationales. J'y voyais les prémisses d'un réveil géopolitique de l'Union européenne. Je me répète : jamais dans l'Histoire un regroupement volontaire d'États démocratiques ne s'est constitué autrement qu'à la suite d'une confrontation militaire majeure.

L'Union européenne est-elle une divine exception ? Pourtant, les préoccupations géopolitiques ont été au coeur de la construction de l'Europe, avec le Conseil de l'Europe en 1949 et la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca), en 1951. Mais patatras, en 1954 avec l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) et le repli contraint des pères de l'Europe sur une dimension plus économique.

L'infâme agression russe contre l'Ukraine et ses multiples conséquences remettent l'enjeu géopolitique au centre du village Europe. En témoigne l'ordre du jour prévisionnel du prochain Conseil européen. Poser les bonnes questions, c'est commencer à y répondre.

Ainsi, jamais l'Union n'aura autant avancé que depuis février dernier. Cependant, le verre à moitié rempli ne sera pas nécessairement plein un jour. Pour Jean Monnet, l'Europe se ferait dans les crises et serait la somme des solutions apportées à ces crises. Cependant, toutes n'ont pas reçu une réponse adéquate.

Depuis les années 1960, les crises étaient essentiellement économiques et financières, ce qui a renforcé la nature économique et financière de l'Union. Les moments géopolitiques n'ont que rarement reçu de réponses à la hauteur : chute du Mur, effondrement de l'URSS. Certes, l'Union européenne s'est élargie, mais elle a renoncé à une gouvernance politique renforcée et à un système de défense propre.

Je m'agace aussi, quand j'entends que la guerre en Ukraine marque le retour de la guerre en Europe après 70 ans de paix. C'est faire peu de cas des conflits dans les Balkans occidentaux, de leurs 140 000 morts. La réponse européenne n'était pas non plus à la hauteur : les États-Unis et l'Otan ont été les maîtres d'oeuvre de la fin du conflit.

Oui, dans cette guerre, nous franchissons un pas significatif, mais moindre que celui des États-Unis. Notre engagement eut-il été le même sans Washington ? Pour paraphraser Jean Monnet, c'est la somme des réponses aux crises géopolitique qui révélera si l'Union européenne aura franchi une étape décisive ou si elle se laissera glisser à nouveau vers le business as usual.

Gardons à l'esprit le courage des Ukrainiens, pour ne pas céder la lâcheté. La liberté n'est pas une option, mais un combat.

Ceux qui jouent la carte Xi Jinping pour arrêter la guerre connaissent mal la Chine et la Russie. Et ceux qui se positionnent face à Poutine sont loin de le faire face à l'expansionnisme de Xi Jinping. Il y a une vraie frilosité. Bis repetita pour le Conseil à venir : aucun point ne mentionnant explicitement la Chine, au lendemain d'un sommet commun avec l'Asean et des soulèvements en Chine contre la stratégie zéro covid...

C'est en nommant les choses que l'Union européenne affirmera son virage géopolitique, indispensable à sa survie. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC ; M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

M. Didier Marie .  - Ce Conseil européen clôt une année qui a bouleversé l'Europe. L'Union européenne s'est montrée unie comme jamais, mais a vu ses faiblesses mises à nu.

Elle s'est montrée solidaire, en débloquant 18 milliards d'euros pour l'Ukraine, dont 3 milliards d'euros pour la FEP, ce qui a permis de livrer des armes. Sa solidarité est également humanitaire avec la protection temporaire étendue à des millions de réfugiés, dont 100 000 en France. L'Europe est aussi restée solidaire dans sa condamnation de la Russie.

Madame la ministre, je m'étonne d'entendre le Président de la République vouloir donner des « garanties de sécurité » à Vladimir Poutine alors que celui-ci veut faire de l'hiver une arme contre les civils ukrainiens. (M. Patrick Kanner acquiesce.)

L'Union européenne n'est pas protégée, elle délègue sa sécurité au parapluie militaire américain. Son économie, qui reposait sur l'énergie bon marché, est ébranlée face à la crise énergétique et à l'inflation. La démocratie vacille face aux ingérences étrangères et au populisme. Nous devons faire front sans céder à la fragmentation.

Il faut réduire notre dépendance, dans l'urgence. Les divergences entre États font perdre un temps précieux. Il faut des achats communs de gaz, découpler le prix de l'électricité. J'espère que le rapprochement avec l'Allemagne évitera la délocalisation de notre industrie.

Ensuite, il faudra investir dans les énergies renouvelables, pour ne pas dépendre du coûteux gaz de schiste américain ou de l'Azerbaïdjan. L'uranium est importé de pays peu sûrs et recyclé en Russie.

L'inflation, qui atteint 11,5 % en Europe, fait craindre une récession. Le relèvement des taux de la Banque centrale européenne (BCE) est porteur d'inquiétudes, notamment pour le pacte de stabilité.

Face à ces enjeux, l'Europe doit investir. Que pense le Gouvernement d'un grand emprunt communautaire, que le ministre allemand des finances ne soutient pas ?

Dans ce contexte d'affaiblissement, nous devons renforcer notre politique industrielle, rester solidaires et porter nos valeurs. Les déplacements d'Olaf Scholz et de Charles Michel à Pékin, et d'Emmanuel Macron à Washington, illustrent cette volonté de faire entendre la voix économique et commerciale de l'Europe. Mais les objectifs de l'Allemagne sont-ils compatibles avec les nôtres ? Madame la ministre, quelles sont les divergences ? Prévoyez-vous un nouveau conseil des ministres franco-allemand après l'annulation du précédent ?

L'Inflation Reduction Act américain ne nous épargnera pas. Il faut négocier, mais aussi nous protéger. À quand le Buy European Act demandé par le Parlement européen depuis des années ?

Enfin, l'élargissement revient sur le devant de la scène. Il faut une méthodologie clarifiée pour répondre à l'envie d'Europe et freiner les puissances étrangères. Le sommet Union européenne-Balkans est bienvenu, mais il faudra des gages supplémentaires.

Sous présidence française et tchèque, l'année 2022 a permis des avancées, mais il faut passer de la parole aux actes. La France doit être moteur : avec le Président de la République, faites preuve de fermeté lors du prochain Conseil européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Claude Kern applaudit également.)

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Le Conseil européen se tient dans un contexte d'aggravation de la crise. Une partie de la zone euro est menacée de récession, et, selon la Commission européenne, 1,25 % du PIB de la zone européenne, soit 200 milliards d'euros, va au soutien à l'énergie.

En France, les prix atteignent 500 ou 600 euros le mégawattheure, dix à vingt fois le prix d'avant crise. On a même atteint 1 000 euros l'été dernier. La guerre en Ukraine n'est pas seule responsable. Dès juillet 2021, les tarifs réglementés de l'électricité s'envolaient en raison d'un emballement des prix sur le marché de gros. Le prix du gaz a augmenté de 150 % entre avril et octobre 2021, la facture moyenne passant de 977 à 1 492 euros.

Ainsi, le prix de l'électricité, corrélé au gaz, a triplé en un an. L'électricité nucléaire voit une décorrélation de ses coûts de production et de la valeur de marché. La sécheresse a nui à l'hydroélectrique, mais nos coûts de production sont restés inférieurs au marché.

La guerre en Ukraine n'explique pas la spirale haussière. La crise énergétique est structurelle, liée à l'organisation du marché européen de l'énergie - de l'électricité, notamment.

C'est la part de l'énergie échangée sur le marché de gros qui alimente la spirale inflationniste. Cette fragilité du marché unique de l'énergie est largement documentée. La France répète à qui veut l'entendre qu'il faut sortir du mécanisme de la dernière centrale appelée, mais, devant les oppositions catégoriques, de l'Allemagne notamment, on se borne à constater les dégâts.

Le plafonnement de la rente inframarginale à 180 euros le mégawattheure continue de tirer les prix à la hausse en France ; les producteurs réalisent des profits colossaux aux dépens des consommateurs et des contribuables. Les mécanismes proposés, très complexes, sont aux mieux inefficaces, au pire contre-productifs. Quant aux Power Purchase Agreements censés favoriser les investissements de long terme, ils reviennent à confier les moyens de production à des grands groupes privés.

La décentralisation des moyens de production et l'éclatement du réseau portent en germes les risques d'une remise en cause de la péréquation tarifaire et de l'égalité territoriale. Malgré cela, les solutions consistant à se défaire du prix de marché sont écartées d'office, car contraires au dogme de la concurrence.

Madame la ministre, la France doit défendre une réforme en profondeur du marché européen de l'énergie. De façon immédiate, nous devons étendre les tarifs régulés ; nous le proposerons demain, dans le cadre de notre espace réservé, s'agissant des collectivités territoriales. Il nous faut aussi négocier des dérogations pour rapprocher les prix de nos coûts de production, compte tenu de la spécificité nucléaire de notre mix.

C'est d'autant plus urgent que la compensation des folies du marché coûte cher : 45 milliards d'euros pour le bouclier tarifaire...

S'agissant de la proposition de directive sur le devoir de vigilance des grandes entreprises, la récente position commune adoptée par le Conseil a été considérablement appauvrie, semble-t-il sous la pression de la France. La notion de chaîne de valeur a été remplacée par celle de chaîne d'activité et le champ du devoir de vigilance n'inclut ni les activités des clients des entreprises de services, ni les exportations d'armes.

Comme le soulignent différentes ONG, de nombreux services financiers sont exclus, et les banques sont exemptées de leurs obligations de vigilance à l'égard des activités des sous-traitants des entreprises qu'elles financent. Pourtant, dans les secteurs textile et pétrolier par exemple, les violations concernent surtout la sous-traitance.

Madame la ministre, vous avez démenti avoir milité pour sortir les banques du champ de la directive. (Mmla ministre le confirme.) Comment donc en est-on arrivé là ? Quelle est la position de la France ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. Claude Kern .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Une étape cruciale vient d'être franchie dans les sanctions occidentales contre la Russie : plus aucun navire ne pourra décharger de pétrole russe en Union européenne, aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Japon et en Australie. Au terme de négociations difficiles, notamment avec la Hongrie, un compromis a été trouvé.

À cette mesure s'ajoute la décision récente de plafonner le baril russe à 60 dollars, ce que durcit son maintien à 5 % en dessous du prix du marché. Il faut s'en féliciter, mais les pays de l'Union européenne sont dans des situations très diverses en matière d'approvisionnement et de diversification. Quelle est l'efficacité réelle de ce dispositif, alors que le baril russe se négocie autour de 65 dollars ?

La présidence tchèque, dans un premier projet de compromis, suggère la décorrélation du prix du gaz. La proposition de la Commission européenne prévoit un plafonnement automatique du prix du gaz, à deux conditions : le prix des instruments Taxe sur les transactions financières (TTF) doit dépasser 275 euros pendant deux semaines consécutives et l'indice TTF European Gas Spot doit avoir été supérieur de 58 euros au prix de référence du gaz naturel liquéfié au cours des dix derniers jours précédant la fin de cette même période de deux semaines.

Ces conditions sont trop exigeantes pour certains ; à l'inverse, pour l'Allemagne et les Pays-Bas estiment que la proposition va trop loin. Prague propose de baisser le seuil à 264 euros et de diminuer la durée des prix, tout en étendant le mécanisme aux dérivés TTF de un à trois mois. Prague suggère aussi de supprimer la notification des mesures prises en cas d'activation du mécanisme. Quelle sera la position française ?

Alors que les températures baissent, il faut agir vite. À l'instar de la pandémie, la guerre en Ukraine agit comme un accélérateur de tendances. Il faut poursuivre la démarche de la PFUE vers une Europe plus souveraine et capable d'agir en matière de sécurité et de défense.

De ce point de vue, nous nous félicitons de l'investissement de 1,2 milliard d'euros dans la recherche et développement de défense, avec 61 projets collaboratifs. Ceux-ci sont nécessaires pour nos fondamentaux industriels et notre sécurité commune.

Nous saluons aussi l'accord intervenu sur la phase B1 du Scaf, l'avion du futur : une excellente nouvelle pour une industrie européenne de la défense qui a du mal à prendre son envol. Nous appelons de nos voeux des négociations plus apaisées lors des phases ultérieures. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin applaudit également.)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La crise énergétique freine la réindustrialisation, et les collectivités territoriales sont au bord du gouffre. Nos citoyens devront, un jour, payer le prix du bouclier tarifaire.

La guerre en Ukraine et les sanctions contre le gaz russe mettent en lumière nos mauvaises décisions sur le nucléaire et les lacunes du marché européen de l'énergie. Le prix de l'électricité atteint des niveaux inédits en raison du calcul fondé sur le coût de la dernière unité de production.

Le marché européen de l'électricité doit être réformé en profondeur et décorrélé du prix du gaz. Pourtant, la Commission européenne ne devrait pas proposer de réforme à court terme, alors que l'hiver est la période la plus risquée, avec un risque de délestage - du jamais vu, même si le Président de la République a tenté de nous rassurer à ce propos.

Le mix énergétique de chaque pays est différent, mais la crise sanitaire montre que l'Union européenne peut agir vite. Madame la ministre, devons-nous nous résigner à attendre ? Quel est l'avis du Gouvernement sur le système grec, qui distingue les énergies à forte proportion de coûts fixes -  énergies renouvelables et nucléaire  - et les énergies fossiles ?

Une étape intermédiaire pourrait être l'adoption du système ibérique : cela éviterait au moins les situations les plus catastrophiques. Mais des désaccords importants persistent. Certains pays, comme la France, estiment que le plafond de 275 euros du mégawattheure est trop haut, alors que l'Allemagne et les Pays-Bas sont opposés à toute baisse.

Le plafonnement serait accompagné d'un accord de solidarité entre États membres et d'un accord de réduction de la consommation de 15 %. La Norvège et l'Algérie, dignes de confiance, peuvent prendre le relais. Madame la ministre, pouvons-nous espérer un abaissement du plafond ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

Mme Gisèle Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.) Si, au Sénat, nous avions parlé voilà quelques années de la création d'un fonds de défense européen, des personnes éminentes nous auraient ri au nez. Si l'on nous avait dit que la guerre serait si proche de nous, qu'elle imposerait une forme de solidarité, nous aurions été surpris. Tous les pays n'ont pas les mêmes objectifs : notre réactivité est faite de diversité.

La défense européenne n'était qu'un fantasme, et on se reposait sur l'Otan : voici que l'Europe fait siennes les notions d'autonomie et de boussole stratégique. Notre aide militaire est inédite et nous avons adopté le premier livre blanc de la défense européenne. Toutefois, restons vigilants : en matière d'acquisition de matériels, nous sommes loin d'atteindre l'objectif de la boussole stratégique.

L'Union européenne va prochainement se doter, enfin, d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) autonome, fondement technique de son indépendance. Désormais, il s'agit de mettre en oeuvre la feuille de route de la boussole stratégique : lecture partagée des menaces, renforcement de notre capacité d'action rapide et de la coopération dans les domaines stratégiques, investissements communs, établissement de partenariats stratégiques.

Nous devons aussi clarifier un point : la défense vise-t-elle la coopération ou l'intégration ? C'est essentiel pour comprendre ce que l'Union européenne doit faire et ne pas faire et pour distinguer son rôle de celui de l'Otan.

Le retour de la guerre n'est plus une hypothèse d'école : nous ne serons crédibles que si nous accomplissons les efforts techniques et stratégiques nécessaires.

La politique de voisinage de l'Union européenne est dans une phase inédite. Comment valoriser les efforts réalisés par l'Ukraine et la Moldavie dans le cadre du partenariat oriental ? Ces pays doivent-ils repartir de zéro comme candidats à l'adhésion ? Quid de la Géorgie ?

La première réunion de la CPE, voulue par le président Macron, a eu lieu en octobre. Je m'interroge : dans un périmètre identique à celui du Conseil de l'Europe, n'y a-t-il pas doublon ? Alors que nous avons du mal à trouver des positions à 27, y parviendrons-nous à 44 ?

Le succès de la nouvelle phase d'élargissement reposera sur le pragmatisme de l'Union européenne. La CPE est un élément intermédiaire, qui permet d'arrimer rapidement les pays aspirants à l'Union européenne.

Enfin, il faut relancer le partenariat oriental : ne l'abandonnons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le conflit russo-ukrainien reste le plus grand défi pour l'Union. Nous devons nous tenir aux côtés du peuple et du gouvernement ukrainiens, alors que les sinistres milices Wagner, l'armée de l'ombre de Poutine, continuent de sévir, comme à Bakhmout.

Ce conflit, avec la construction de tranchées sur la ligne de front, nous rappelle la Première et la Seconde Guerres mondiales. Puisons dans les leçons du passé pour préparer l'avenir : pour paraphraser la devise de l'Union européenne, nous avons l'impérieuse nécessité de rester unis dans la diversité. Grâce aux sanctions européennes, le PIB de la Russie a baissé de 4 % en 2022.

Je pense à nos soldats, en particulier au quatrième régiment de chasseurs alpins basé dans mon département, à Gap, actuellement stationné en Roumanie. Notre rôle est de faire triompher la raison sur les passions, l'humanité sur la brutalité.

Nos erreurs collectives doivent nous apporter des enseignements. Notre autonomie militaire est insuffisante ; si la France a toujours été proactive sur la question, nombre de nos partenaires ont souvent repoussé les discussions aux calendes grecques. L'autonomie stratégique européenne est une assurance vie, mais autonomie n'est pas isolationnisme. Le Président de la République a appelé, au cours de sa récente visite aux États-Unis, au renforcement de notre intimité stratégique ; je suis d'accord avec lui.

Pour assurer notre autonomie énergétique, nous devons développer les énergies renouvelables à l'échelle européenne et prendre en compte la diversité des situations énergétiques des pays. L'autonomie française est relative : seule l'usine du groupe Rosatom à Seversk, en Sibérie, est capable de recycler notre uranium...

L'Inflation Reduction Act américain contient un volet climat, pour 400 milliards de dollars sur dix ans. Il s'agit de privilégier les Tesla américaines sur les BMW allemandes ou les voitures françaises. Ces mesures manifestement protectionnistes, contraires aux principes de l'OMC, mettent en danger notre industrie et risquent d'entraîner une vague de délocalisations. Nous, Européens, devons réagir en négociant des dérogations ou en instaurant des dispositifs similaires. Madame la ministre, nous attendons des précisions sur ce sujet.

Pilier de la construction européenne, la PAC vise l'autosuffisance alimentaire. La nouvelle PAC sera dotée de 387 milliards d'euros d'ici 2027. Ses objectifs s'inscrivent dans le Pacte vert européen qui vise à favoriser la transition écologique. Mais nous craignons des réductions de production de 5 à 20 % selon les filières. Il ne faut pas moins produire, mais mieux produire. Sinon, nous aurons recours aux importations dont l'empreinte écologique est supérieure.

La nouvelle PAC prévoit que les États définiront les priorités et les critères des aides. Certes, les États doivent avoir une marge d'adaptation, mais on risque d'assister à une renationalisation de cette politique. L'État doit protéger nos agriculteurs et notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Claude Anglars applaudit également.)

M. André Reichardt .  - Outre l'Ukraine, le Conseil européen débattra de nos relations avec notre voisinage méridional. Les fiascos de l'Ocean Viking et de Mellila, en juin dernier, nous rappellent combien la question migratoire est prégnante. L'Union européenne reste engluée dans ses contradictions, sans réussir à élaborer une réponse commune.

En 2016, un premier paquet de réformes a été proposé par la commission Juncker, mais il s'est heurté au mur des dissensions au sujet des demandeurs d'asile. Mme von der Leyen a repris le flambeau, mais ses propositions sont bloquées depuis deux ans. La présidence tchèque ne ménage pas ses efforts, comme avant elle la présidence française. Certes, nous notons quelques progrès, notamment sur Eurodac et le règlement filtrage, mais l'équilibre global reste hors de portée.

Le Conseil, malgré ses divisions, se retrouve sur la protection des frontières, le renforcement de la politique de retour ou l'attention portée aux modus operandi de certaines ONG. Mais cette approche est loin d'être partagée au Parlement et à la Commission : un nouveau droit à la migration semble se faire jour. Pourtant, nul ne devrait pouvoir s'installer sur le sol européen sans y avoir été autorisé !

Entre ces deux positions, l'Europe n'arrive pas à trancher. Les injonctions politiques sont contradictoires et Frontex en fait les frais. Or 281 000 passages illégaux de nos frontières ont été enregistrés cette année, en augmentation de 77 % par rapport à l'an dernier.

Ces ambiguïtés entretiennent la fragilité de l'Union et provoquent des psychodrames, tel que la récente crise franco-italienne.

Le plan d'urgence en vingt points présenté en novembre dernier par la Commission ne propose rien de concret ni de nouveau. Les demandes d'asile explosent et la politique de retour a des résultats médiocres. Nous visons un accord en 2024 ; ce calendrier politique ne sera, à coup sûr, pas tenu. Il y a pourtant urgence à régler ce dossier qui sape chaque jour un peu plus la crédibilité de l'Union.

Avec la crise de 2015, les fondations de l'espace Schengen ont vacillé, menaçant même le principe de libre circulation. La réforme engagée - bien loin de la remise à plat souhaitée par le Président de la République  - reste utile, mais elle est trop lente.

Et alors qu'elle n'a pas encore été menée à bien, la Commission et le Parlement européens viennent de donner leur aval à l'adhésion de la Croatie, tout en préconisant l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie...

Madame la ministre, quelle sera la position de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Conseil européen traitera aussi des tensions commerciales entre l'Europe et les États-Unis.

Le Président de la République, en se rendant aux États-Unis, espérait convaincre Joe Biden de renoncer à son Inflation Reduction Act. Mais il s'est heurté à la posture hyperprotectionniste des Américains, comme lors de l'annulation du contrat du siècle par l'Australie en 2021. Les priorités de Joe Biden sont claires : politique intérieure, Chine et, loin derrière, l'Europe, ce qui nous renvoie à nos faiblesses. Nous devons agir pour ne pas devenir invisibles sur la scène internationale.

Face à l'ampleur des plans protectionnistes américains, l'Europe doit elle aussi soutenir son industrie et appliquer la préférence pour les productions européennes. Mais quid des moyens ? Dans l'Union européenne, ce sont 5 milliards d'euros pour l'hydrogène vert, contre 100 milliards de dollars aux États-Unis...

L'Europe connaît des ruptures d'approvisionnement de nombreux médicaments, notamment la cortisone et les antibiotiques. La Commission européenne tarde à revoir la réglementation pharmaceutique et à lancer un plan d'action à l'échelle de l'Union pour lutter contre ces pénuries. Qu'en est-il ? Que peut faire la France ?

La Commission a fait une proposition de règlement pour un espace européen des données de santé. Le Sénat s'en saisira, car s'il est un enjeu pour la recherche médicale, il faut aussi continuer à préserver la confidentialité, pour protéger nos libertés. C'est un sujet qui m'intéresse tout particulièrement, ainsi que Mme Harribey. Les cyberattaques récurrentes contre nos hôpitaux par des hackers sans scrupules montrent l'importance de la question. Quelle est la position du Gouvernement au niveau européen ?

La Commission européenne a présenté une proposition de règlement sur les travailleurs des plateformes. Ces dernières modifient en effet les relations salarié-employeur classiques. Notre vigilance est nécessaire pour protéger les travailleurs. C'est aussi un sujet qui m'intéresse tout particulièrement, ainsi que Mme Harribey. Où en sont les négociations ? Les technologies numériques sont souvent développées à l'étranger, véritable défi pour l'Europe.

Comme on le voit sur tous ces sujets, la question de la sécurité et celle de la souveraineté européennes sont indissociables. Elles doivent donc être au coeur des discussions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Laurence Harribey applaudit également.)

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

M. Alain Cadec .  - Le prochain Conseil européen abordera les questions de politique étrangère, de sécurité et de défense, notamment la guerre en Ukraine et nos relations avec notre voisinage méridional. Les questions économiques liées à l'énergie seront également évoquées. Toutes ces questions sont interdépendantes ; elles sont lourdes et urgentes, aussi.

Nos concitoyens attendent de la fermeté dans la défense de nos intérêts et de l'efficacité dans la prise de décision.

Notre solidarité envers les Ukrainiens doit sans cesse être réaffirmée, nous ne pouvons nous montrer faibles face aux Russes. Maintenons l'unité du bloc européen tant qu'une issue satisfaisante n'aura pas été trouvée dans des termes acceptables pour l'Ukraine.

Le Président de la République dit vouloir maintenir un dialogue direct avec le dirigeant russe, mais cela doit se faire avec le soutien de nos partenaires européens et des autres alliés de l'Ukraine. L'exercice est délicat, pour ne pas ajouter de la confusion à la confusion. Le narcissisme n'y a aucune place.

Nous nous apprêtons à adopter un neuvième paquet de sanctions contre la Russie. Mais toute sanction soulève deux questions : quelle est son efficacité pour amener le pays cible à la résipiscence ? Quelles en sont les éventuelles répercussions négatives sur les pays qui les adoptent ? À cet égard, la pertinence des huit premiers paquets n'a pas été totalement démontrée... Un bilan réaliste doit être conduit.

Le tarissement de nos approvisionnements en gaz et en pétrole de Russie a surtout mis en lumière les mauvais choix faits depuis de nombreuses décennies, de la dépendance allemande au gaz russe à l'abandon progressif injustifiable de la filière nucléaire française.

L'inflation est galopante et touche entreprises et familles : enrayer ce processus infernal devrait être une priorité des dirigeants européens, même si nos intérêts divergent parfois. Nous attendons de ce Conseil des solutions fortes et cohérentes, avec des effets rapides sur le marché des produits énergétiques.

Toute discussion de l'Union européenne avec son voisinage méridional devra porter sur les flux migratoires. Cette question est urticante pour nos débats politiques internes -  et profite aux extrêmes des deux bords  - , mais aussi pour les relations diplomatiques entre États membres. La coopération des pays d'origine est indispensable, mais n'est pas à la hauteur. Les accords de réadmission et une coopération judiciaire et policière étroite devraient être un préalable à la signature d'accords de commerce ou à l'octroi d'aides au développement économique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Je vous remercie pour vos interventions et vos questions.

Nombre d'entre vous ont évoqué la guerre en Ukraine. La France continuera de soutenir l'Ukraine sur les plans humanitaire, militaire et financier, cités par Didier Marie. L'Europe est le seul continent à accueillir deux millions de réfugiés. Nous soutiendrons le pays dans la durée, car la guerre risque d'être longue, comme l'ont souligné M. Allizard et Mme Guillotin. Monsieur Allizard, nous prêtons une attention particulière à la priorité européenne en matière d'achats militaires.

Monsieur Cadec, la paix sera conclue aux conditions de l'Ukraine, et quand elle le souhaitera. Le Président de la République l'a rappelé.

L'Union européenne travaille avec tous ses alliés pour plafonner le prix du pétrole russe, à 60 dollars, comme vous le rappeliez, Monsieur Kern, afin de réduire la capacité de la Russie à mener sa guerre. Monsieur de Montgolfier, les prix du brut ont baissé et ont atteint un niveau minimum record.

L'Union européenne travaille à de nouvelles mesures, après huit paquets de sanctions. Nous prévoyons une restriction supplémentaire des exportations et de nouvelles sanctions contre des responsables russes. Nous visons l'affaiblissement de la Russie à moyen terme, comme l'ont rappelé MM. Allizard et Arnaud.

Monsieur Rapin, la lutte contre l'impunité des crimes russes est une priorité de la France, en lien avec la justice ukrainienne et la Cour pénale internationale (CPI). Sur la proposition de constituer un tribunal spécial, nous travaillons avec nos partenaires européens et ukrainiens, en vue d'obtenir un consensus très large.

J'en viens aux enjeux énergétiques, au coeur de nos priorités communes. Il importe de préserver un cadre de concurrence équitable, comme l'a rappelé M. Médevielle, mais aussi solidaire, comme l'a dit M. Fernique.

Monsieur Rapin, madame Guillotin, nous sommes d'accord : le mécanisme de plafonnement du prix du gaz ne va pas assez loin malgré la révision de l'indice. Nous allons poursuivre nos efforts pour diminuer les prix du gaz. La plateforme d'achat conjoint, les discussions avec les partenaires stables tels que la Norvège et les États-Unis et l'accélération des énergies renouvelables contribueront à améliorer la situation, Didier Marie l'a rappelé.

Messieurs Rapin, Laurent et Pellevat, vous m'avez interrogée sur la réforme du marché de l'électricité. Celle-ci est essentielle, car elle permettra de découpler le prix de l'électricité de celui des énergies fossiles. La Commission européenne a établi un calendrier précis, une proposition législative sera faite au mois de mars après consultation et étude d'impact. Cela prendra du temps : ce nouveau dispositif devrait s'appliquer à l'hiver 2024-2025. Nous devons donc travailler en vue de l'hiver 2023-2024 : pourquoi ne pas prolonger la captation de la rente des énergéticiens décidée cet hiver ?

L'inflation est source d'inquiétude. Le cadre financier pluriannuel a été modifié à la marge pour préserver nos priorités, mais nous restons attentifs.

Monsieur Allizard, la transition énergétique assurera notre autonomie et notre sécurité. Il n'y aura pas de retour au business as usual.

Madame Guillotin, la Moldavie a le statut de pays candidat depuis le Conseil européen des 23 et 24 juin derniers. Elle doit désormais mettre en oeuvre les neuf mesures de convergence. Cela peut sembler beaucoup, mais l'État de droit doit être préservé. Nous soutiendrons la Moldavie dans ses efforts.

Madame Jourda, vous m'avez interrogée sur les liens de la CPE avec le partenariat oriental et le Conseil de l'Europe - vous auriez pu y ajouter l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La CPE n'est pas une organisation multilatérale concurrente de ces organisations. Nous privilégions un format souple, comme le G20, qui n'a pas de secrétariat permanent. Distinguons les objectifs du Conseil de l'Europe - État de droit -, de ceux de l'OSCE -  sécurité - et de ceux de la CPE - espace politique. C'est un espace de discussion qui porte des projets concrets. L'Ukraine ou la Moldavie peuvent bénéficier de notre voisinage grâce à la CPE.

Messieurs Rapin, Allizard, Fernique et Arnaud, Mesdames Guillotin et Gruny, vous avez mentionné l'Inflation Reduction Act, qui renforce le différentiel de compétitivité.

M. Jean-François Rapin, président de la commission.  - Le sujet fait l'unanimité !

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Il existe quelques marges de manoeuvre, certes réduites, dans les décrets d'application de la loi américaine. Mais nous disposons aussi des outils antisubventions de l'Union européenne. Veillons toutefois à ne pas lancer une guerre commerciale.

Le fonds souverain recueille l'assentiment de plusieurs États membres. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) doivent être renforcés et accélérés. Ces projets sont destinés à la transition écologique, notamment dans l'hydrogène et les batteries. Je me réjouis du soutien du Parlement européen en matière de lutte contre la déforestation, notamment grâce au député Canfin.

Messieurs Gattolin et Allizard, vous connaissez le triptyque coopération, concurrence et rivalité systémique. Lors du dernier Conseil européen, le Président de la République a parlé de rivalité systématique s'agissant de la Chine. Concrètement, nous voulons renforcer les clauses miroir et la réglementation dans l'accès à nos marchés publics. Nous pourrions aussi renforcer le contrôle des exportations ou filtrer davantage les investissements à l'avenir.

Messieurs Marie et Médevielle, la semaine passée a montré que les relations franco-allemandes donnent lieu à d'intenses discussions au niveau ministériel. Le prochain conseil des ministres franco-allemand montrera aussi l'intensification des travaux dans de nombreux domaines, de la défense au spatial en passant par la culture.

M. Jean-François Rapin, président de la commission.  - Bonne nouvelle !

M. André Gattolin.  - Comme le traité du Quirinal, en somme.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Mieux encore !

M. Marie m'a interrogée sur le pacte de stabilité et de croissance. Nous sommes attachés à la croissance, à l'investissement et à la soutenabilité. Bien sûr, le diable est dans les détails : nous les attendons encore.

S'agissant des sujets ne faisant pas partie du prochain Conseil européen, messieurs Laurent et Fernique, réjouissons-nous de l'accord intervenu jeudi dernier sur le devoir de vigilance des entreprises. En 2017, la France a été le premier pays au monde à adopter de telles règles. Monsieur Laurent, je ne souscris pas à votre pessimisme - parlez-en avec le député Dominique Potier et son groupe de travail transpartisan.

La France a fortement soutenu ce projet de directive européenne, en plaidant pour un cadre ambitieux et opérationnel. Certes, nous aurions pu faire mieux sur la santé et la sécurité des travailleurs, sur les sociétés mères des grands groupes ou encore sur la responsabilité civile des entreprises. Mais l'Union européenne suppose des compromis. L'équilibre du Conseil ne permettait pas d'atteindre ces objectifs. Nous comptons sur le Parlement européen pour améliorer le texte. La France n'a jamais demandé l'exclusion du secteur financier de ce texte, mais, au contraire, qu'il soit traité comme les autres.

M. Pierre Laurent.  - Qui donc l'a demandée ?

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Jeudi prochain, les ministres de la justice se réuniront à Bruxelles en vue de mieux gérer les routes migratoires. Pour les bateaux, un groupe de contact a été créé en vue d'associer les ONG, monsieur Cadec.

Depuis deux ans, monsieur Reichardt, nous avançons sur le pacte Asile et migration, après dix ans de blocage. (M. André Reichardt renchérit.) La solidarité entre pays européens est essentielle ; elle parachève notre triptyque, avec la responsabilité et l'humanité.

Les nombreuses évaluations démontrent que la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie appliquent correctement les règles de l'espace Schengen. Le Conseil décidera de leur intégration à l'unanimité, mais celle-ci n'est pas encore réunie.

Mesdames Gruny et Guillotin, vous m'avez interrogée sur l'Europe de la santé. C'est un enjeu important pour la France. La révision de la législation pharmaceutique sera présentée à l'automne prochain. Pour le stockage des données de santé, le travail est en cours. Selon le contrôleur européen de la protection des données et le comité européen de la protection des données, les données doivent être hébergées sur le territoire de l'Union européenne.

Messieurs Marie et Gattolin, jamais l'Union européenne n'aura autant avancé ces derniers mois en matière de défense, d'union sur les marchés de l'énergie et de lutte contre les ingérences étrangères.

Comme le disait le Président de la République en 2017 dans son discours de la Sorbonne, l'enjeu principal est la souveraineté, terme désormais repris par nos partenaires. C'est dire l'ampleur du changement de paradigme opéré depuis quelque temps. Oui, l'Europe est complexe et n'avance pas aussi vite que nous le voudrions, mais nous sommes 27, comme vous l'avez souligné, madame Jourda. C'est l'honneur de la France d'être aux avant-postes de ces changements. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - Je vous remercie d'avoir répondu aussi précisément et nominativement, madame la ministre. Les sujets sont importants, même s'ils donnent l'impression d'être redondants, car ils sont rythmés par la guerre en Ukraine.

La justice devra sanctionner les crimes perpétrés par les Russes. Au-delà des crimes physiques, le crime de déportation de familles entières nous a été relaté par les députés ukrainiens qui nous ont rendu visite ; l'Union européenne doit porter une attention particulière à cette situation dramatique.

Ensuite, la pénurie de médicaments est une question essentielle. J'ai reçu de nombreuses alertes de patients et de médecin et j'ai posé plusieurs questions d'actualité. C'est un problème récurrent et cyclique, pour des produits différents -  hypertenseurs, corticoïdes, désormais les antibiotiques. Ne recréons pas les conditions d'une deuxième crise sanitaire...

Au départ, je pensais que la CPE était un gadget, mais, au fil des rencontres avec mes collègues, je me rends compte qu'elle peut être un outil intéressant. Les pays extérieurs à l'Union européenne doivent la faire vivre, sans tout attendre de celle-ci -  je pense à la Serbie, par exemple. La CPE est un outil, et non un nouveau paradis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que du RDPI et du RDSE)

Prochaine séance demain, mercredi 7 décembre 2022, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 25.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 7 décembre 2022

Séance publique

À 15 h et de 16 h 30 à 20 h 30

Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

Secrétaires : M. Loïc Hervé - Mme Jacqueline Eustache-Brinio

1. Questions d'actualité au Gouvernement

2. Proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l'énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l'énergie, présentée par M. Fabien Gay, Mmes Céline Brulin, Cécile Cukierman et plusieurs de leurs collègues (n°66, 2022-2023)

3. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour le développement du transport ferroviaire, présentée par M. Gérard Lahellec, Mme Marie-Claude Varaillas et plusieurs de leurs collègues (n°144, 2022-2023)