« Commerce extérieur : l'urgence d'une stratégie publique pour nos entreprises »

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « Commerce extérieur : l'urgence d'une stratégie publique pour nos entreprises » à la demande de la délégation aux entreprises.

M. Vincent Segouin, rapporteur de la délégation sénatoriale aux entreprises .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat sur le commerce extérieur est essentiel pour ne pas répéter l'erreur de la désindustrialisation. Personne n'avait anticipé les conséquences de ce choix (Mme Marie-Noëlle Lienemann le conteste) qui est à l'origine de notre déficit : 164 milliards d'euros en 2022. Nous croyions avoir touché le fond, mais les dernières crises et notamment la hausse du déficit énergétique ont encore aggravé une tendance structurelle : impuissants, nous n'avons plus de réserves, alors que l'Allemagne, notre premier partenaire commercial, affiche un excédent de 178,4 milliards d'euros. Nous n'avons pas tiré les leçons de choix économiques qui ont placé nos deux pays sur des trajectoires opposées depuis les années 1990 et nous retrouvons au dernier rang en Europe, après l'Espagne, la Roumanie ou la Grèce.

La Team France Export constitue un immense progrès, mais ne change pas la donne. Il y a une carence de vision globale.

Réfléchir sur la relocalisation implique de penser notre souveraineté. Les Français ont découvert les conséquences de la désindustrialisation avec le manque de masques pendant le covid, mais craignent aujourd'hui de manquer de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur - 300 sont en forte tension. Il faut une loi d'orientation de l'économie pour déterminer les dépendances qui portent atteinte à notre souveraineté.

Impossible de nous voiler la face : il faut une stratégie fiscale adéquate. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ne peuvent se développer en France en raison de la fiscalité sur les transmissions, beaucoup plus lourde qu'en Allemagne. Résultat, nous ne comptons que 5 400 ETI, contre 12 500 outre-Rhin. Nos entreprises créent des filiales à l'étranger au lieu d'exporter... Il faut mettre un terme à cette spirale infernale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure de la délégation sénatoriale aux entreprises .  - Nos travaux ont montré que la stratégie publique était défaillante. Le commerce extérieur est un écosystème, qui réclame des objectifs ambitieux, notamment en matière de compétences. Elles sont incontournables pour accompagner nos entreprises à l'international, mais aussi au coeur de toute stratégie de relocalisation ou de maintien industriel.

Le déficit du secteur des services a augmenté de 14 milliards d'euros en un an, pour atteindre 50 milliards d'euros en 2022. Intrinsèquement liés à la production industrielle, ils sont exposés au risque de télémigration. La fuite des talents serait un revers fatal. Les travaux de la délégation montrent que les entreprises s'organisent pour créer leurs propres écoles et pallier les carences de la formation initiale.

L'indisponibilité de travailleurs qualifiés est une entrave à l'investissement. Monsieur le ministre, il est temps que la stratégie publique s'en soucie. Quelle coordination avec le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle ?

Coordination aussi dans nos échanges avec l'Union européenne. Les surtranspositions françaises des directives sont un handicap compétitif pour nos entreprises, mais il faut aussi prendre en compte les surtranspositions européennes d'accords internationaux : le taux de recours aux instruments de défense commerciale (IDC) est dérisoire en Europe. Les difficultés liées à l'absence de réciprocité des normes implantées en dehors de l'Union européenne ont été soulignées. Monsieur le ministre, où en sont les clauses miroir ?

L'enjeu du commerce extérieur dépasse le soutien des entreprises à l'export : les objectifs de compétitivité doivent être déclinés dans toutes les politiques publiques. Espérons que nos travaux trouveront un écho : il faut rapidement changer de logiciel et fixer un cap pour les vingt prochaines années. (M. Vincent Segouin applaudit.)

M. Thierry Cozic .  - La France subit depuis le début des années 2000 un déficit commercial écrasant. Aggravé par la crise énergétique, il s'établit à plus de 160 milliards d'euros.

Il faut pallier la défaillance du marché européen de l'énergie. L'électricité française est l'une des plus compétitives en Europe, mais nos entreprises ne peuvent en profiter. Si les prix augmentaient encore, nous pourrions subir une nouvelle vague de délocalisations.

Face à l'Inflation Reduction Act (IRA), l'Union européenne hésite toujours à protéger son industrie ; or sans un grand plan d'aide à la décarbonation, nous peinerons à atteindre nos objectifs environnementaux, nous plaçant sous la dépendance des hautes technologies sino-américaines...

Mais le repli sur soi n'est bien sûr pas la solution. Notre dépendance aux importations chinoises augmente, notamment pour les produits de haute technologie ; les États-Unis, eux, n'ont pas hésité à dénoncer devant l'OMC l'utilisation par la Chine du statut de pays en voie de développement pour aider ses entreprises.... Les nations qui tirent le mieux leur épingle du jeu sont celles qui ont su protéger leurs industries contre le libre-échange.

Nous n'allons pas résoudre le déficit commercial en réduisant le coût du travail. Les effets de bord d'un capitalisme incontrôlé ont aggravé la situation des plus modestes, sapant ainsi la confiance envers les décideurs publics et privés.

Monsieur le ministre, je m'interroge : le pacte vert européen sera-t-il suffisant pour remettre sur pied une véritable politique industrielle ? Rien n'est moins sûr. Le Gouvernement devra rapidement répondre à ces questions, tant elles conditionnent le retour à l'équilibre de notre commerce extérieur. (Mme Florence Blatrix Contat applaudit.)

M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger.  - Je souscris au constat de l'aggravation de notre déficit sur la balance des biens, qui a plus que doublé depuis 2021 - principalement en raison de la hausse des prix de l'énergie. Une grande partie de notre parc nucléaire était indisponible, avec le rattrapage de maintenance rendu nécessaire par les deux années de covid. Nous avons également subi la hausse des prix du pétrole et du gaz : ceux du pétrole ont plus que doublé en 2022, ceux du gaz ont augmenté de 248 %.

Nous restons cependant confiants : le parc nucléaire est disponible à plus de 75 %, et nous sommes de nouveau exportateurs d'électricité. Nous travaillons également à ce que le prix du gaz soit « capé » au niveau européen, et que les prix de l'électricité soient recalculés selon une formule plus acceptable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - La chute de la balance commerciale de la France, déjà abyssale, se poursuit malgré les discours martiaux du Président de la République qui prétend que la réindustrialisation du pays est en marche.

Ne nous berçons pas d'illusions : il faut changer de cap. La part de la production manufacturière dans le PIB ne cesse de chuter : 13 % en 2019, 9 % en 2021.

Notre pays est au dernier rang de l'Union européenne, à égalité avec la Grèce.

La désindustrialisation est la principale cause de cette situation. Certes, il y a les prix de l'énergie, mais si notre balance énergétique est déficitaire, c'est à cause de choix gouvernementaux calamiteux depuis dix ans.

Or l'horizon est loin de s'éclaircir : 42 % des industriels pensent que leur facture d'énergie doublera en 2023, avec pour corollaire une baisse de 1,5 % de la production industrielle. Il est urgent de s'exonérer d'un marché européen de l'énergie absurde et dangereux.

Nous souscrivons à la proposition d'une stratégie globale de long terme. Mais elle doit partir d'un bilan lucide : l'inefficacité des politiques du Président de la République, soutenu par le Medef. La politique de l'offre - baisse du coût du travail et des impôts - est à l'oeuvre depuis dix ans, et la balance commerciale a plongé. Y a-t-il eu une remise en cause ? Au contraire, ce n'est jamais assez. Errare humanum est, sed perseverare diabolicum... Chaque année, 150 milliards d'euros d'allègements de cotisations et d'impôts sont consentis aux entreprises, sans ciblage et sans contrepartie.

Stoppons ce gâchis d'argent public et réorientons ces crédits vers les secteurs qui en ont besoin.

Une mobilisation générale s'impose, en commençant par créer un véritable ministère de l'industrie, indépendant de Bercy et doté d'une administration propre.

Il faut des plans par filière, sans négliger aucun secteur : la réindustrialisation commencera par la diversité.

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Je souscris à l'un de vos constats : depuis le début des années 1990 jusqu'en 2010, notre pays a fait beaucoup d'efforts pour se désindustrialiser - avec succès ! Nous avons cru au mirage de la Chine, avec ses produits moins chers et plus compétitifs. Résultat : nous subissons l'effet ciseau, puisque nous n'exportons plus nos produits tout en étant contraints à importer.

Aujourd'hui, le mouvement s'est inversé (Mme Marie-Noëlle Lienemann le conteste) : depuis trois ans, nous créons plus d'emplois industriels que nous n'en détruisons, nous construisons plus d'usines que nous n'en fermons. Le plan France 2030 est un outil efficace : les usines sortent de terre, comme à Crolles avec les semi-conducteurs, à Grenoble avec le paracétamol ou dans l'Allier et le Bas-Rhin avec le lithium. Oui, la réindustrialisation est en marche, nous la mettons en oeuvre, mais elle prendra une décennie.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je ne nie pas que certaines usines aient été rouvertes. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt : la reconquête du médicament ne passera pas par le seul paracétamol. (M. le ministre en convient.)

Non, tout le monde n'était pas béat devant la désindustrialisation. Aujourd'hui, il est temps de rompre avec les politiques européennes fondées sur le libre-échange généralisé.

M. Fabien Gay.  - Très bien !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Car l'essentiel du déficit commercial français est au bénéfice des autres pays européens.

Mme Daphné Ract-Madoux .  - Face au retour en force du protectionnisme, il est nécessaire de bâtir une stratégie commerciale. Je salue le travail prospectif de Jean Hingray, Florence Blatrix Contat et Vincent Segouin.

Le déficit de la balance commerciale est passé de 82 à 164 milliards d'euros en 2022. Notre dépendance aux importations est problématique. Hors énergie, le déficit structurel s'est creusé. La balance excédentaire de l'aéronautique s'est réduite de 31 à 20 milliards d'euros en trois ans.

S'y ajoute une concurrence internationale acharnée : Pékin mise sur sa main-d'oeuvre peu chère et ses industries ultra-compétitives, tandis que les États-Unis ont adopté l'IRA : 370 milliards de dollars pour soutenir les projets éoliens, solaires et les véhicules électriques.

Nous devons agir rapidement avec nos partenaires. À cet égard, je salue l'action du Gouvernement en faveur du pacte vert européen, qui est un signal fort.

Nous devons mieux accompagner nos entreprises à l'international. Pour cela, la stratégie Team France Export est un outil efficace : plus de 10 500 entreprises ont été accompagnées.

Mais il reste beaucoup à faire. Investissons dans la formation pour doter nos entreprises de professionnels agiles, à l'aise à l'étranger, identifions nos risques d'approvisionnement. Définissons une vision stratégique pour 2035 en nous appuyant sur une meilleure synergie entre les dispositifs existants et en votant des objectifs précis de réduction du déficit dans une loi de programmation.

Le chantier est immense. (Applaudissements au banc des commissions)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Je souscris à vos constats. Hors énergie, notre déficit structurel s'explique par la désindustrialisation et la faiblesse de nos PME à l'exportation.

En France, nos chefs d'entreprise ne se tournent pas instinctivement vers l'international. S'agissant de l'aéronautique, le phénomène est conjoncturel, lié à la crise du covid, suivie de difficultés d'approvisionnement en semi-conducteurs. Nous rattraperons ce retard en 2023 : 7 200 avions figurent dans nos carnets de commandes.

Mme Guylène Pantel .  - Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître... (Sourires) La France est restée exportatrice de biens jusqu'au début des années 2000, à l'époque du gouvernement Jospin. Nous étions encore une grande puissance commerciale. Depuis, la situation s'est dégradée et le déficit culmine à 150 milliards d'euros.

Au sein de l'Union, la France est à la remorque de l'Italie et surtout de l'Allemagne, même si la structure économique de ce pays interroge, avec une consommation intérieure atone et des exportations massives au détriment de ses partenaires.

Le Brexit a renforcé ces difficultés, car c'est avec le Royaume-Uni que nous avions le plus gros excédent commercial. Certes, l'énergie pèse, mais l'affaiblissement touche aussi l'industrie et le secteur agroalimentaire. Le rapport pointe le risque de télémigration, mais en mesure-t-on encore l'ampleur ?

La France reste toutefois excédentaire pour les services ; la balance des paiements, elle, n'est déficitaire que de 2 milliards d'euros.

Les faiblesses de nos PME ne sont pas nouvelles. Certains ont incriminé la monnaie unique, la zone euro n'étant pas une zone monétaire optimale, mais l'exemple du Royaume-Uni, qui n'a pas adopté l'euro, montre que la question est plus complexe. Alors que faire ?

Il est impératif d'améliorer la qualité de notre production, qui repose trop sur des produits de moyenne gamme. Il faut aussi un cadre réglementaire et fiscal : un amendement du RDSE au projet de loi de finances visait ainsi à préserver l'indépendance des entreprises du secteur numérique.

Il faut enfin lutter contre la tendance à la surtransposition.

La réindustrialisation doit être le levier de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - La situation du secteur de l'énergie est conjoncturelle, et nous ne sommes pas les seuls touchés : les excédents commerciaux de l'Allemagne fondront de 100 milliards d'euros en 2023, celui de l'Italie se changera en déficit.

Notre secteur agroalimentaire est excédentaire de plus de 10 milliards d'euros, en hausse de 2 milliards en 2022, grâce au dynamisme des secteurs de l'élevage et des céréales.

En revanche, le tissu des PME et des PMI est plus faible que chez nos voisins. Trop peu d'entre elles se tournent vers l'exportation : tel est le défi de la Team France Export.

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le lent déclin de notre balance commerciale illustre les maux de l'économie : fiscalité écrasante sur la transmission, difficulté à trouver un maillon entre petites et grandes entreprises, lourdeur et complexité administratives, etc.

Je salue le travail et les propositions des rapporteurs. La France n'exporte pas assez : le déficit commercial est passé de 84 milliards d'euros en 2021 à 160 milliards en 2022. Avant le covid, il stagnait autour de 60 milliards, avec un creux de 15 milliards supplémentaires entre 2016 et 2017.

La faible part de l'industrie dans le PIB explique cette situation : 13,5 % contre 15 % pour la moyenne européenne, 25,2 % pour l'Allemagne, 19,6 % pour l'Italie.

Sous l'influence de certaines théories économiques, nous pensions que les services supplanteraient l'industrie. Chacun connaît la suite... Notre industrie a perdu dix points de part de PIB.

Comment expliquer que les constructeurs automobiles français pèsent si peu dans les exportations nationales ? Notre industrie automobile s'est délocalisée depuis vingt ans, tandis que l'industrie automobile allemande s'adosse aux pays de l'Est de l'Europe et finit l'assemblage en Allemagne. Cet exemple interpelle. Certains de nos constructeurs sont devenus importateurs sur le marché national...

Nous importons des produits du bout du monde, dans des emballages du bout du monde. Autant dire, nous importons les déchets de demain, qui n'auront créé chez nous ni emplois, ni richesse, ni savoir-faire. Je plaide pour la création d'une grande filière industrielle française de traitement de déchets, compétitive et innovante.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Très juste !

Mme Marta de Cidrac.  - Valoriser les déchets, c'est améliorer notre maîtrise sur les ressources ; développer une filière du recyclage et du réemploi, c'est créer des emplois.

Notre pays a de nombreux atouts. Nos politiques publiques doivent en tenir compte. Sortons de la mondialisation heureuse et redécouvrons les mérites d'un État stratège. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Je partage votre constat sur la désindustrialisation et votre préoccupation sur le traitement et la valorisation des déchets. Le plan France 2030 comprend ainsi des actions en faveur de l'économie circulaire.

Sur l'automobile, les chiffres sont encourageants. En dépit de la pénurie de semi-conducteurs, nous avons retrouvé notre niveau d'avant-covid.

Mme Marta de Cidrac.  - J'insiste : nous importons beaucoup et n'exportons pas assez. Soutenons les talents et savoir-faire typiquement français, y compris dans les PME ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann acquiesce.)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Notre déficit commercial, désormais structurel, se creuse. Il devient urgent de redresser la barre. Les mauvais choix des trente dernières années se payent. Les alertes se sont pourtant multipliées, à l'image du rapport Decool de 2018 sur la pénurie de médicaments, toujours d'actualité...

La crise covid a braqué un projecteur sur notre décrochage industriel, sur le vieillissement de notre appareil productif, sur la fuite des talents et l'inadéquation de notre positionnement en milieu de gamme.

Le constat est partagé ; il est temps d'agir, vite.

Oublier Lisbonne et mourir... C'est ce que nous avons fait, monsieur le ministre ! Nous devions consacrer 3 % du PIB à la recherche et développement, or nous sommes loin du compte ! Pourtant, les PME actives en R&D exportent bien plus que les autres.

J'attends beaucoup du plan France 2030, qui met l'accent sur la formation et la recherche dans des domaines stratégiques tels que le spatial ou la santé. La stratégie française en faveur de la recherche est un enjeu de souveraineté. La France est bien positionnée dans certains domaines, comme le luxe ou l'agroalimentaire, mais aussi le secteur du jouet et du jeu de société, comme en témoigne la bonne santé de la société Ferriot Cric à Mussy-sur-Seine ou encore le salon de Cannes. Il est d'autant plus urgent de rapatrier la production de composants, magnétiques ou électroniques.

Dans notre rapport sur l'innovation, nous regrettions le saupoudrage d'aides publiques et les délais d'autorisation de mise sur le marché : pour les biocontrôles, il faut 36 mois, et encore, en passant par la Belgique, car l'Anses est saturée ! Résultat, nos entreprises perdent leur avance compétitive. Espérons que l'IRA européen stoppera l'hémorragie. (Applaudissements au banc des commissions et sur quelques travées du groupe UC)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Oui, il faut agir et vite. C'est ce que nous faisons avec France 2030 en matière d'innovation, afin de relocaliser des secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs, les médicaments essentiels, les batteries et leurs matières premières ; mais nous n'allons pas tout relocaliser. On trouvera toujours, en Asie et demain en Afrique, des pays qui produiront à coût bien moindre. Privilégions les produits innovants, qui feront la croissance de demain : les énergies du futur, les biotechnologies, les mobilités de demain. Comptez sur le Gouvernement !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Vos paroles sont douces à mes oreilles, mais nos réglementations et nos délais d'homologation sont un caillou dans la chaussure pour nos innovateurs ; ils partent aux États-Unis et au Canada, où on leur déroule le tapis rouge !

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre pays affiche 150 milliards d'euros de déficit, pour les raisons qui sont connues. Le ralentissement de la demande mondiale et la dépréciation de l'euro ont accéléré le plongeon, mais c'est l'envolée de la facture énergétique qui pèse le plus lourd.

En France, les deux tiers de notre consommation énergétique dépendent encore des énergies fossiles, dont une partie est toujours importée de Russie. L'objectif du plan REPowerEU de la Commission est nécessaire, mais le réveil est bien tardif.

Pour notre souveraineté énergétique, mais aussi pour la bonne santé de notre balance commerciale, nous devons développer les énergies renouvelables. Nous importons l'électricité, mais aussi les moyens de production, et exportons très peu. Sur l'éolien, aucun producteur français ne figure parmi les dix premiers. Sur le photovoltaïque, la Chine domine toute la chaîne de production, et pratique éhontément le dumping environnemental et social. Sa part de marché dépasse les 80 %.

La Chine domine les chaînes d'approvisionnement des technologies de transition, y compris pour les véhicules électriques et le stockage.

La France et l'Europe accumulent un retard inquiétant, tandis que l'IRA américain prévoit une enveloppe de 369 milliards d'euros pour relocaliser une capacité intégrée de 50 gigawatts par an d'ici 2030.

Comment la France compte-t-elle relocaliser la chaîne de valeur dans ces filières qui, hélas, n'ont jamais été soutenues ? Si l'Europe veut être moins dépendante de la Russie et ne pas être distancée par les États-Unis et la Chine, elle doit reconstruire une base industrielle tournée vers la transition écologique, et instaurer une taxe carbone à ses frontières.

Les industriels de la transition ont besoin de visibilité pour investir. Vous annoncez un projet de loi pour une industrie verte, mais ne soumettez les aides publiques à aucune conditionnalité. Sans changement de paradigme, le voeu restera pieux. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Nous n'importons plus de pétrole brut russe en France ; il n'y a plus de soutien public aux énergies fossiles.

Il n'y aura pas de réindustrialisation sans énergie abondante et bon marché ; cela implique un mix avec des énergies renouvelables et des énergies bas-carbone, pour répondre à une demande en hausse.

Le plan France 2030 soutiendra l'éolien offshore, mais aussi les petits réacteurs modulaires.

L'IRA européen ne peut fonctionner que si la concurrence américaine est loyale. Nous sommes donc en discussion avec les États-Unis. Le sujet sera au menu du prochain Conseil européen.

M. Daniel Salmon.  - Monsieur le ministre, nous avons un désaccord de fond sur le nucléaire.

Président du groupe d'amitié France-Népal, je me suis rendu dans ce pays, qui a un potentiel hydroélectrique de 50 gigawatts et cherche des partenaires. Or le projet de barrage d'EDF patine depuis des années.

Idem pour l'installation d'un téléphérique, alors que l'entreprise iséroise Poma se propose. Il faut être offensifs et débloquer ces projets ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Monsieur le ministre, c'est votre journée ! La publication des chiffres du déficit commercial est un marronnier, et le record à nouveau battu : 163 milliards d'euros.

Mais ne perdons pas espoir car ce chiffre cache des surprises. Ainsi, la dégradation en 2022 est due à 80 % au renchérissement de la facture énergétique. Imaginez le monde de demain avec une France autonome en énergie ! La Banque de France le disait : hors énergie, le déficit des biens est stable à 24 milliards d'euros.

Nous ne devons pas nous laisser doubler par les États-Unis, d'où le rôle de l'IRA à l'européenne.

Nous avons lancé en 2018 la Team France Export : pari tenu, avec 21 000 entreprises exportatrices en plus, et une hausse des exportations de 18 %. Pour inscrire cette évolution dans la durée, le volontariat international en entreprise (VIE) est une véritable école d'application de l'export. La Team France Export, les régions, Business France, les CCI à l'international, les ambassadeurs sont entrés dans une dynamique positive. Mais il faudra faire plus, car les exportations mondiales augmentent plus vite que les nôtres.

Nous devons être exigeants vis-à-vis de nos partenaires. Réciprocité n'est plus un gros mot à Bruxelles, et tant mieux ! En 2022, les ministres de l'agriculture sont tombés d'accord sur les clauses miroir. Mais il faut être plus volontariste pour que nos normes s'imposent au niveau mondial.

Il faut relocaliser les activités industrielles grâce à la planification que permet France 2030. Je pense aux microprocesseurs et aux membranes d'électrolyseurs, entre autres. Il faut renforcer l'attractivité du site France, tout en filtrant les investissements stratégiques, sans naïveté.

En ce contexte de re-régionalisation des échanges, le made in France doit être complété par le made by France, car nos entrepreneurs français à l'étranger sont des atouts.

Saluons enfin l'excédent de la balance des services, grâce au tourisme, et le solde des transactions courantes.

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Je rends hommage à votre action au Gouvernement, avec le lancement de la Team France Export, qui rassemble tous les acteurs concernés et les fait travailler en équipe plutôt qu'en compétition. La Team France Export, ça marche !

Les VIE sont effectivement un vrai succès. Après le creux pendant la crise sanitaire, les affaires ont repris, avec mille départs par mois ! Cela augure de succès futurs.

Je partage votre ambition du made by France, afin de reconnaître des entreprises françaises de l'étranger qui participent au rayonnement de la marque France. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Confortons le rôle de la Team France Export, mais aussi des salons, en France et hors de France : aidons nos entreprises à s'y rendre et faisons venir les acheteurs internationaux.

Je soutiens le beau projet de vitrine à Roissy que portent Évelyne Renaud-Garabedian et Jean-Pierre Bansard. Ayons un état d'esprit conquérant. L'année 2022 est peut-être une bataille perdue, mais nous gagnerons la guerre économique !

Mme Florence Blatrix Contat .  - La balance commerciale connaît un déficit chronique depuis 2002, devenu abyssal. Notre pays se classe en queue du peloton européen.

La délégation aux entreprises a tenté d'y voir plus clair sur ce sujet important.

La dégradation de notre performance est le fruit de la désindustrialisation de notre pays : la part de l'industrie est évaluée à 9 %, dans les tréfonds du classement européen.

Dans l'automobile, le déficit atteint 18 milliards d'euros ; pour les autres biens industriels, 66 milliards d'euros et l'aéronautique n'a pas retrouvé sa dynamique. Seul le secteur du luxe semble préservé. Certes, le secteur des services est excédentaire, mais on peut craindre pour l'avenir à cet égard.

Face à cette dégradation continue, il nous faut réagir à partir d'une analyse sérieuse de nos choix de spécialisation et de nos avantages comparatifs. Nos collègues de la commission des affaires économiques ont déterminé cinq plans pour reconstruire notre souveraineté ; il convient de les étudier avec attention.

La compétitivité prix ne doit pas être négligée mais l'innovation et le capital humain sont des éléments clés. Les transitions écologique et numérique auront un impact sur les échanges économiques et sont des leviers pour améliorer notre compétitivité. C'est dans ce nouveau contexte qu'il nous faut penser le commerce extérieur.

Le Gouvernement prépare-t-il une feuille de route géographique et sectorielle, pour anticiper les échanges de demain ? Comment construire de nouveaux avantages comparatifs, sachant que tous les pays favorisent les circuits courts et les relocalisations ? Un récent rapport de la Cour des comptes montre les limites de la stratégie de Business France : quelles réponses entendez-vous y apporter ? Quelle place pour nos ETI dans le commerce mondial ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Nous avons de grands secteurs exportateurs, comme l'aéronautique, la pharmacie, l'agroalimentaire, les cosmétiques ou la construction navale, qui connaissent des excédents importants. Derrière les grands groupes qui réalisent, avec les ETI, 87 % des exportations, les PME-PMI n'en représentent que 13 %. Nous avons là des marges de manoeuvre.

La feuille de route sectorielle est portée par le plan France 2030, qui vise les grands secteurs d'avenir.

Je ne souhaite pas restreindre les entreprises dans leur choix géographique : elles doivent avoir le monde pour horizon.

Mme Florence Blatrix Contat.  - Certes, mais nos entreprises ne sont pas suffisamment accompagnées vers les pays les plus stratégiques. Ne délaissons pas les secteurs porteurs comme l'intelligence artificielle ou le cloud de confiance : ayons des ambitions.

M. Michel Canévet .  - Le groupe UC salue le travail de la délégation sur cette question essentielle.

Monsieur le ministre, la situation n'est pas très bonne, avec un déficit de la balance commerciale de 164 milliards d'euros en 2022, soit un doublement en un an. La facture énergétique n'explique pas tout.

Toutefois, ce n'est pas une fatalité. Il faut prendre le sujet à bras-le-corps. Une loi d'orientation serait utile : la feuille de route doit être tracée avec le Parlement ; tous les acteurs, économiques et politiques, doivent aller dans le même sens.

Durant la pandémie, des opérateurs français se sont mobilisés pour produire des masques, mais se retrouvent dans la difficulté : nous avons repris nos mauvaises habitudes en retenant les offres les moins chères...

Renforçons la compétitivité de nos entreprises : beaucoup a été fait par le Gouvernement, mais il faut continuer. Non, il ne faut pas arrêter la baisse des charges sociales. Au contraire ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann se récrie.)

Menons également un travail approfondi avec les opérateurs régionaux. L'action de Bretagne Commerce international doit s'inscrire dans une stratégie nationale. (Applaudissements au banc des commissions et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Je ne sais pas si une loi de programmation est nécessaire, car les choses évoluent rapidement, comme en témoigne l'IRA. En revanche, j'estime que la stabilité des dispositifs et des mécanismes est une condition essentielle du succès.

M. Michel Canévet.  - La loi de programmation a une grande vertu : mobiliser tous les acteurs autour d'objectifs communs. La baisse des charges doit se poursuivre.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) Les chiffres du commerce extérieur sont catastrophiques. Les rapports parlementaires et les plans successifs n'ont pas inversé la tendance : nous dépendons des mouvements internationaux et nous n'avons pas la culture de l'export, vous l'avez dit.

Nous avons de grandes entreprises françaises qui exportent, sans aide de l'État ; elles se font leur propre réseau. Depuis vingt ans, nous n'avons jamais compté autant d'exportateurs français : 140 000 ! Les locomotives, Airbus ou LVMH, représentent 0,5 % des exportateurs, mais pèsent pour 52 % de la valeur.

Nombre d'entreprises françaises n'exportent que ponctuellement : elles ne sont pas anglophones, ne se déplacent pas et n'ont pas de stratégie à l'export. Ce sont pourtant les vitrines de la France ! Nous devons soutenir nos PME-PMI en développant une culture de l'export, dès la formation des futurs chefs d'entreprise. Les PME doivent considérer l'international comme une clé de leur développement. Il faut promouvoir les outils d'accompagnement à l'export et la coordination entre les opérateurs, qui ne doivent pas être en concurrence entre eux.

Surtout, il faut s'appuyer davantage sur une diplomatie parallèle : les entrepreneurs français installés à l'étranger. Ils sont présents dans tous les pays du monde, ils connaissent l'économie locale comme personne. Chef d'entreprise et sénateur des Français de l'étranger, je suis à leur contact de manière permanente. Ils participent au rayonnement de la France, en facilitant l'export des entreprises et en important des produits et services français dans leur pays de résidence. Pour eux, la France est une marque, ce que les géants du luxe ont bien compris !

Le label Made by France vise à valoriser l'excellence française, dans la fabrication ou la conception. Ces entrepreneurs constituent le réseau des 120 chambres de commerce France-international, présentes dans 94 pays. Le réseau est la base de tout projet entrepreneurial.

Je soutiens les propositions de la délégation. D'autres pays valorisent bien plus que nous le potentiel économique de leur diaspora - je pense à la Chine. Je présenterai prochainement une proposition de loi visant à valoriser nos entrepreneurs français. La bataille de l'export se gagne d'abord à l'étranger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Olivier Becht, ministre délégué.  - Je partage votre engagement. Nous avons effectivement besoin des entrepreneurs français à l'étranger pour le rayonnement de notre pays, et pour doper nos exportations.

Les chambres de commerce françaises à l'étranger doivent jouer un rôle central. Nous les avons incluses au sein de Team France Export. Je les réunis tous les deux mois.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian.  - Les entrepreneurs français seront ravis de votre réaction. Pourrait-on réfléchir ensemble à un dispositif d'aide en leur faveur ?

M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger .  - Je rends hommage à la qualité du travail du Sénat. Je souscris à l'analyse et à la plupart des propositions. Le député Charles Rodwell a rendu la semaine dernière un rapport sur le même sujet.

Le déficit de 164 milliards d'euros est celui de la balance des biens. Or la balance commerciale englobe la balance des revenus et la balance des services, excédentaire de 50 milliards, en raison de la reprise du tourisme et du dynamisme de la place financière de Paris - nous avons détrôné la City. Parfois, il faut savoir entendre la forêt pousser, et pas seulement l'arbre tomber ! Quelque 30 milliards d'euros de revenus ont été rapatriés en France, c'est un record.

Bien sûr, on ne peut se satisfaire de la situation de la balance des biens. Nous faisons face à un problème conjoncturel, lié au coût de l'énergie, mais aussi un problème structurel, lié à la désindustrialisation et à la faiblesse de nos PME-PMI à l'export.

Nous agissons pour réindustrialiser : avec France 2030, nous mettons 54 milliards d'euros sur la table au profit de secteurs stratégiques, tels que les semi-conducteurs, le paracétamol ou le lithium. Des usines se construisent, des emplois industriels se créent, dans l'Allier ou encore dans le Bas-Rhin.

Monsieur Lemoyne l'a rappelé : nous comptons 144 400 entreprises exportatrices. Toutefois, nous devons encore progresser pour rattraper nos grands voisins, inculquer une culture de l'export. C'est le combat que mène la Team France Export. Nous gagnerons ce combat, ensemble ! (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

Mme le président.  - Merci, monsieur le ministre, d'avoir joué le jeu du débat interactif.

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Merci à tous les intervenants.

Le Sénat alerte depuis des années sur notre dépendance aux importations, notamment d'Asie. Dès 2018, la commission des affaires économiques rappelait que l'approvisionnement de la France en ingrédients pharmaceutiques actifs provient à 80 % de Chine et d'Inde. Même chose pour les semi-conducteurs.

Les études du Trésor ou du Conseil d'analyse économique minimisent la situation, en ne tenant pas compte de l'origine des composants. Des importations d'Allemagne dont tous les composants viennent de Chine sont ainsi considérées comme non risquées. (Mme Marie-Noëlle Lienemann le confirme.)

Il y a un décalage entre la perception de l'administration et celle des entreprises sur le terrain. La complexité des normes plombe notre compétitivité. Les ETI sont un atout de l'Allemagne et de l'Italie ; en France, elles doivent absorber 700 nouvelles normes par an, en sus des 400 000 normes existantes, pour un coût de 28 milliards d'euros ! La simplification est un enjeu central pour le commerce extérieur.

Les grandes entreprises devront apprendre à chasser en meute avec les PME ; les acheteurs publics, à ne pas toujours choisir le moins disant. Bref, chacun a un rôle à jouer.

La désindustrialisation a entraîné un cercle vicieux : chômage endémique, affaiblissement de nos compétences et de l'innovation, etc. Il nous faut nous doter d'une structure capable de piloter la stratégie - ce que nous proposons avec la rénovation du conseil stratégique de l'export. Le Gouvernement doit entendre la demande du Parlement de disposer d'études d'impact prenant en compte tous les effets des politiques publiques, y compris sur les normes.

Il est temps d'offrir enfin aux entreprises un écosystème favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

La séance est suspendue à 20 h 35.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 22 h 05.