Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Moyens de la justice

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Réforme des retraites

M. David Assouline

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion

Sécheresse (I)

Mme Maryse Carrère

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Soutien à l'agriculture biologique (I)

M. Joël Labbé

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Plan Écophyto 2030

M. Pierre Médevielle

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Carte scolaire

M. Max Brisson

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Soutien à l'agriculture biologique (II)

M. Jean-Michel Arnaud

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Financiarisation des terres agricoles

M. Éric Bocquet

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Situation du monde agricole (I)

M. Laurent Somon

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Situation du monde agricole (II)

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Sécheresse (II)

M. Jean Sol

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Retenues collinaires

M. Alain Duffourg

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Réserves de gaz en Lorraine

Mme Catherine Belrhiti

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

Abus de l'intérim médical

Mme Annie Le Houerou

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

Production d'hydroélectricité

M. Jean-Claude Anglars

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

Hausse des prix de l'énergie pour les stations de ski

M. Cyril Pellevat

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

CMP (Nominations)

Commission (Nomination)

Commission d'enquête (Nominations)

« Les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français »

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Claude Requier

M. Serge Babary

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Paul Toussaint Parigi

Mme Nadège Havet

Mme Viviane Artigalas

M. Éric Bocquet

M. Vincent Capo-Canellas

M. Patrick Kanner

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Mise au point au sujet d'un vote

Lutte contre les violences pornographiques

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution

Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution

Mme Véronique Guillotin

Mme Laure Darcos

M. Pierre Médevielle

Mme Monique de Marco

Mme Samantha Cazebonne

Mme Angèle Préville

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Loïc Hervé

Mme Esther Benbassa

Mme Valérie Boyer

M. Serge Mérillou

Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Marie Mercier

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances

Élus locaux au sein du service public de l'assainissement francilien

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Mme Marta de Cidrac

M. Franck Menonville

M. Daniel Breuiller

M. Alain Richard

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Laurence Cohen

M. Laurent Lafon

M. Jean-Yves Roux

Modification de l'ordre du jour

Mixité sociale à l'école

Mme Sylvie Robert, pour le groupe SER

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Thomas Dossus

Mme Samantha Cazebonne

M. Yan Chantrel

Mme Céline Brulin

M. Claude Kern

M. Bernard Fialaire

M. Max Brisson

Mme Marie-Pierre Monier

Mme Annick Billon

M. Olivier Paccaud

M. Jean-Jacques Lozach

Mme Toine Bourrat

M. Jacques Grosperrin

Mme Corinne Imbert

Mme Béatrice Gosselin

Mme Sylvie Robert, pour le groupe SER

Ordre du jour du jeudi 2 mars 2023




SÉANCE

du mercredi 1er mars 2023

59e séance de la session ordinaire 2022-2023

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Moyens de la justice

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le budget de la justice a augmenté de 40 % en cinq ans, signe que le Gouvernement a pris la mesure des enjeux. Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait de la justice de proximité une de vos priorités ; le groupe RDPI s'en réjouit. (On ironise à gauche.)

Il faut apporter une réponse judiciaire concrète et rapide à la petite délinquance, qui nourrit le sentiment d'insécurité et entame la confiance dans l'institution judiciaire.

Ce besoin de réassurance suppose des moyens supplémentaires. Financiers d'abord, avec un budget en hausse de 8 % pour la troisième année consécutive. Humains, également, avec le lancement d'un vaste plan d'embauche.

Grâce aux 2 000 contractuels venus renforcer les magistrats depuis 2020, le nombre des affaires en attente de jugement a significativement baissé. La CDIsation de ces contractuels, annoncée à Reims, est une bonne nouvelle. Vous avez également annoncé le recrutement de 300 juristes assistants supplémentaires et la création de la fonction d'attaché de justice. Pourriez-vous nous en préciser les contours, ainsi que le calendrier du déploiement du plan d'action pour la justice ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Grâce au budget que le Sénat a voté à chaque fois depuis trois ans, les 2 000 contractuels, dont 900 juristes assistants, que nous avons recrutés ont apporté une aide précieuse et permis un déstockage des dossiers en attente, en matière civile, de 30 %.

M. François Patriat.  - Bravo !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'ai annoncé lundi le recrutement de 300 juristes assistants supplémentaires cette année. Leur statut actuel est précaire et insatisfaisant. C'est pourquoi j'ai décidé de créer une fonction d'attaché de justice, ouverte aux fonctionnaires et contractuels ; leurs missions seront définies, ils prêteront serment et recevront une formation donnée par l'École nationale de la magistrature (ENM). Ils formeront un vivier pour le recrutement à venir de 1 500 magistrats, avec une passerelle pour l'accès à l'ENM. Enfin, tous les contractuels justice de proximité seront CDIsés.

Fin mai, je présenterai au Sénat la nouvelle loi de programmation de la justice. Je rends hommage à votre commission des lois et à son président, François-Noël Buffet, pour l'action menée en commun. (« Ah ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jérôme Bascher s'amuse.) Nous agissons pour renforcer les moyens de notre justice. (Applaudissements sur les travées du RDPI) 

Réforme des retraites

M. David Assouline .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le débat qui va commencer au Sénat suscite une immense attente, d'autant que l'Assemblée nationale a offert un spectacle parfois désolant.

M. Marc-Philippe Daubresse.  - La faute à qui ?

M. David Assouline.  - Quand il a eu lieu, le débat a été éclairant : sur les femmes, premières victimes de votre projet, ou sur la retraite minimale à 1 200 euros, qui ne concernera en réalité que 10 000 à 20 000 personnes, loin des 1,8 million annoncés.

Au Sénat, la gauche va poursuivre ce travail de vérité. Nous serons en écho avec la grande majorité des Français et avec les syndicats, unis contre la régression sociale.

Nous débattrons de l'article 7, cet impôt sur la vie des plus modestes. Chacun devra prendre ses responsabilités par son vote : pour ou contre deux ans de plus pour ceux qui ont travaillé dur toute leur vie. (Protestations à droite)

Nous sommes attachés au débat de fond, qui demande du temps, de l'écoute, de l'argumentation. Le droit d'amendement et d'explication de vote est sacré. Allez-vous brutaliser ce débat en le menaçant d'interruption ? Cette limitation fait-elle partie de l'accord des droites que vous avez dépensé tant d'énergie à négocier avec la majorité sénatoriale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - Le Gouvernement espère que le débat qui s'ouvre demain au Sénat permettra de discuter de chacune des dispositions du projet de loi. Le débat à l'Assemblée nationale n'a pas pu aller à son terme, mais ce n'est pas au Gouvernement qu'il faut en faire le reproche : c'est à vos alliés de La France insoumise ! (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP, du RDSE, des groupes UC et Les Républicains)

Je vous confirme un chiffre : sur les 17 millions de retraités, 1,8 million bénéficieront d'une revalorisation, de 70 à 100 euros pour la moitié d'entre eux. (Exclamations à gauche) Si vous jugez cela dérisoire, c'est que vous êtes déconnecté de la réalité des petites pensions...

Cette réforme améliorera les pensions pour un retraité sur quatre, avec pour objectif une retraite à 85 % du Smic pour une carrière complète.

M. David Assouline.  - Vous êtes d'accord avec Les Républicains !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Oui, chacun devra prendre ses responsabilités. Nous travaillons avec tous les groupes qui le souhaitent. Si nous pouvons avancer sur les droits familiaux avec la majorité sénatoriale, tant mieux. (On ironise à gauche.) Olivier Faure défend la retraite à 60 ans avec 43 annuités : c'est une machine à décote, à pauvreté et à petites pensions. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE et du groupe Les Républicains)

Sécheresse (I)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La France a subi une sécheresse préoccupante : 31 jours consécutifs sans pluie. Samedi, au Salon de l'agriculture, le Président de la République invitait les agriculteurs à la sobriété dans leur consommation d'eau.

Les Hautes-Pyrénées ont longtemps joué le rôle d'un véritable château d'eau, assurant l'irrigation jusque dans les Landes. Mais jusqu'à quand ? Le niveau des nappes phréatiques ne cesse de baisser et l'eau vient à manquer même dans des villages de montagne !

Nos agriculteurs attendent des réponses : on ne peut leur imposer des restrictions sans les accompagner dans la nécessaire adaptation face à la sécheresse. Allez-vous faciliter la création de nouvelles réserves, essentielles tant pour couvrir nos besoins en eau potable que pour la préservation de notre agriculture, garante de notre souveraineté alimentaire ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Veuillez excuser Christophe Béchu, actuellement au Gabon pour le One Forest Summit.

La sécheresse météorologique est préoccupante. Cinq départements font déjà l'objet d'arrêtés de restriction ; d'autres suivront. La situation à l'été doit être anticipée. L'État suit avec attention les projections, et les autorités chargées du suivi hydrologique sont mobilisées pour prendre dès maintenant, si nécessaire, des décisions de partage de l'eau.

Le mot d'ordre est la sobriété des usages. Sans eau, pas d'agriculture, pas de nourriture. Il faut trouver des compromis, ensemble.

Nous sommes pleinement mobilisés. Les préfets qui coordonnent les sept grands bassins ont été réunis le 27 février pour planifier les solutions, et le seront à nouveau le 6 mars. À la demande de la Première ministre, une cellule interministérielle de crise va être mise en place.

Le plan sur l'eau sera prochainement présenté. Il traitera de la sobriété et de la répartition des usages, notamment pour l'agriculture.

Mme Maryse Carrère.  - La sobriété ne suffira pas, tant les déficits sont importants dans les bassins hydrographiques. Nous avons besoin d'une stratégie. Où en sont les propositions du Varenne de l'eau ? Nous voulons de la simplification, de l'accompagnement pour de nouvelles réserves. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Louault applaudit également.)

Soutien à l'agriculture biologique (I)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) L'agriculture biologique traverse une mauvaise passe : les ventes ont chuté de 4 %, après des années de croissance à deux chiffres. Mme la Première ministre a évoqué un soutien de 10 millions d'euros : c'est 166 euros en moyenne par ferme, le prix d'une paire de bottes !

Selon le ministre, la bio souffre d'un problème de demande. En 2022, la crise de la demande dans la filière porc conventionnelle a donné lieu à un plan de sauvegarde de 270 millions d'euros, et 15 000 euros d'aides à la trésorerie des exploitations.

Soutenir la demande, c'est aussi financer la communication. Pour les produits laitiers conventionnels, 20 millions d'euros ; pour l'Agence Bio, 750 000 euros...

L'État doit aussi faire respecter le 20 % de bio dans la restauration collective. Quant au chèque alimentation durable, on n'en parle plus...

Allez-vous enfin mettre en oeuvre un vrai plan de soutien à l'agriculture biologique, comme le demande la profession ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Mon collègue Marc Fesneau étant au Salon de l'agriculture, il m'a chargé de le représenter.

La filière bio traverse une crise, notamment de la demande. C'est sur ce levier que nous devons agir. Nous avons soutenu la production avec l'écorégime, le crédit d'impôt, le financement de la campagne #BioRéflexe à hauteur de 750 000 euros, les 3 millions d'euros via France 2030.

Nous avons abondé de 15 millions d'euros le fonds Avenir Bio, au lieu des 8 millions initialement prévus, dont 2 millions d'euros pour la filière porc bio. Lors des Assises de la bio, le ministre a demandé à l'Agence Bio d'engager un travail de structuration de la filière. La consommation en restauration collective sera stimulée grâce à la campagne de communication financée par le programme de promotion européen.

Les régions qui le souhaitent pourront verser des crédits Feader non utilisés. Le futur programme Ambition bio accompagnera la structuration de la filière.

Face aux difficultés conjoncturelles, la Première ministre a annoncé un fonds d'urgence de 10 millions d'euros pour soutenir les exploitations. L'État versera une aide à la trésorerie. Nous encouragerons tous les acteurs, notamment la grande distribution et les collectivités territoriales, à faire la promotion du bio.

M. Joël Labbé.  - C'est très insatisfaisant. L'agriculture biologique répond à des enjeux considérables : préserver la qualité mais aussi la quantité d'eau, la qualité du sol, de l'air, de la biodiversité, des pollinisateurs, de la santé humaine. Il faut lui donner de véritables moyens ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Plan Écophyto 2030

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) « En matière de produits phytosanitaires, nous respecterons désormais le cadre européen, rien que le cadre européen » : ces mots de la Première ministre, lundi au Salon de l'agriculture, ont été salués par la profession.

Nos agriculteurs demandent un cadre européen commun, cohérent et réaliste. Stop aux technocrates qui veulent laver plus vert que vert, aux surtranspositions made in France mortifères.

Il y a eu des progrès, mais nous devons rester vigilants, car l'agriculture est à la croisée des chemins. Moins d'eau, plus d'aléas climatiques, moins de phyto, maintien de la production : l'équation est délicate. Nous devons miser sur la recherche, l'innovation et la formation. Il faut optimiser la ressource en eau, utiliser des plantes de nouvelle génération, accélérer la mise sur le marché de molécules prometteuses.

La profession se réjouit du nouveau plan Écophyto 2030, qui assurera plus de cohérence au niveau européen. Comment l'État accompagnera-t-il la profession dans ce virage historique ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - La réduction du nombre de substances actives au niveau européen - mouvement qui se poursuit - est un enjeu de souveraineté alimentaire et de transition écologique. Nous entendons concilier ces deux impératifs via le plan d'action stratégique annoncé par la Première ministre pour renforcer le pilotage et l'adaptation des techniques de protection des cultures.

Nous devons développer les alternatives, y compris non chimiques. Cela passe par plus d'agronomie, par le renouvellement des pratiques agricoles et des systèmes de production, par davantage de moyens pour accompagner les agriculteurs et massifier les solutions.

Le ministre travaille dans cet esprit de planification, pour anticiper et non plus réagir au coup par coup. Nous voulons avancer avec les professionnels et les instituts techniques et de recherche, afin que ce qui peut sembler une impasse devienne une opportunité.

Notre approche doit être globale. Il faut aussi optimiser l'usage des produits phytosanitaires, grâce à l'innovation. Nous nous appuierons sur le travail fait, notamment dans la filière fruits et légumes. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. Pierre Médevielle.  - Sur la planification, nous sommes d'accord. Nos agriculteurs ont besoin de lisibilité, d'égalité entre agriculteurs européens et de confiance. Arrêtons avec les tabous sur l'agriculture productiviste ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Carte scolaire

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre de l'éducation nationale, mercredi dernier, vous avez partagé l'émotion des élèves et professeurs du lycée Saint-Thomas d'Aquin de Saint-Jean-de-Luz. Ce drame absolu n'a pas grand-chose à voir avec la violence à l'école, ou la détection de la détresse des adolescents - sujets dont nous reparlerons.

Je veux vous parler d'un inspecteur d'académie venu dans un village calculer le nombre d'élèves attendus pour la prochaine rentrée. Par la fenêtre, on voit se construire un lotissement qui accueillera bientôt de nouvelles familles. Mais M. l'inspecteur n'en a cure. À la rentrée, l'école perd trois élèves : c'est une classe qui ferme

Tel est le rituel immuable de la carte scolaire, fleurant bon la IVe République, qui conduit chaque année les inspecteurs à sortir leur règle à calcul pour compter les effectifs. Pourtant, dans les Sraddet, Scot, PLUi, on impose aux élus de voir loin. Jusqu'à quand, monsieur le ministre, resterez-vous le seul de vos collègues à adapter les postes au nombre d'usagers à l'unité près ?

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Max Brisson.  - À quand une carte scolaire pluriannuelle, adaptée à notre époque ? Au ministère de l'éducation nationale, à quand l'entrée dans la modernité ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Je m'associe à l'hommage que vous venez de rendre à Agnès Lassalle, assassinée dans l'exercice de ses fonctions. Elle consacrait sa vie à ses élèves : mes pensées vont à eux, à ses collègues, à sa famille. Toute atteinte à un professeur porte atteinte à la République.

La carte scolaire tient compte de la baisse des effectifs, très importante l'année prochaine. Ici nous fermons des classes, là nous en ouvrons. Dans les Pyrénées-Atlantiques, il y aura 450 élèves de moins. Nous veillons à ce que le taux d'encadrement continue de s'améliorer, en particulier dans les régions rurales. Des ajustements auront lieu d'ici le mois de juin sur quelques points sensibles, en donnant la priorité aux regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI).

Notre regard pluriannuel s'appuie sur les statistiques fournies par le ministère et les rectorats, mais il faut également tenir compte des déménagements et construire une carte scolaire annuelle. (M. François Patriat applaudit.)

M. Max Brisson.  - Je vous ai parlé de la procédure de la carte scolaire. Les maires n'en peuvent plus de cette vision comptable à courte vue : il est temps d'adopter une démarche pluriannuelle ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur de nombreuses travées des groupes INDEP, SER, CRCE, du RDSE et du GEST)

Soutien à l'agriculture biologique (II)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Longtemps favorisée par les pouvoirs publics, l'agriculture biologique a cessé d'être une priorité gouvernementale. L'aide au maintien est supprimée et l'Agence Bio sous-financée, les modes de production sobres en énergie et respectueux de la biodiversité sont peu reconnus et les ventes baissent.

Envolée des coûts de production, ralentissement des exportations, signature de traités de libre-échange synonymes de concurrence déloyale, comme le Mercosur : les causes sont multiples. Le marché bio est en situation de surproduction avec une demande freinée par l'inflation. Le ver est dans la pomme. Que compte faire le Gouvernement face à cette situation extrêmement difficile ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du GEST)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - On aime le bio ! Nous avons besoin de nourrir les Français et de développer la filière bio, pour la consommation nationale comme pour l'export.

La loi Égalim prévoit 50 % de produits de qualité et durables dans la restauration collective, dont 20 % de bio : c'est un levier majeur. Depuis 2018, les vents ont été contraires : crise du covid, puis contexte d'inflation...

Les gestionnaires de restaurants collectifs doivent renseigner leurs résultats sur la plateforme « Ma cantine », nous aurons donc bientôt des données plus détaillées. Il faut accompagner la filière dans la lutte contre le gaspillage, la réflexion sur les quantités servies ou les recettes.

La circulaire de la Première ministre du 29 septembre 2022 aide les établissements publics à renégocier leurs contrats et acheter au juste prix. Une réflexion est en cours avec les ministres concernés sur chaque volet de la restauration collective. L'atteinte de l'objectif Égalim représentera un potentiel d'augmentation de 10 % du chiffre d'affaires de la filière bio, ce qui fera plus que compenser la baisse des ventes en 2022. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean-Michel Arnaud.  - Il faut promouvoir la filière bio, clarifier les labels, inclure systématiquement le bio dans les projets alimentaires territoriaux.

La souveraineté alimentaire suppose aussi de rendre le métier d'agriculteur plus attractif. Nos arboriculteurs en particulier ne s'en sortent pas. Alors que nombre de traitements sont homologués au niveau européen, l'Anses maintient une interdiction générale, y compris pour des traitements bio. J'ai souvent entendu, dans les couloirs du Salon de l'agriculture : « Nous avons le droit de manger ce que nous n'avons pas le droit de produire. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Financiarisation des terres agricoles

M. Éric Bocquet .  - Selon le rapport de l'association Terre de Liens, publié hier, seulement 35 % des terres cultivées en France appartiennent aux agriculteurs. On voit se développer des sociétés agricoles financiarisées, qui possèdent aujourd'hui 14 % de la surface, contre 7 % il y a vingt ans ; Auchan, Chanel ou L'Oréal achètent des terres. Nous connaissions la finance des villes, voici la finance des champs, qui possède 640 000 hectares et fait flamber les prix à l'hectare, favorisant les exploitations de grande taille.

Depuis trente ans, le ministère ne recueille presque plus aucune donnée. N'est-il pas temps de procéder à un audit complet et de renforcer la régulation foncière agricole, à l'occasion de la future loi d'orientation agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Vous avez raison de soulever cette question. La préservation des terres agricoles est une priorité pour le Gouvernement (on en doute à gauche), car c'est un enjeu de souveraineté. Grâce aux outils de régulation mis en oeuvre dans l'après-guerre - contrôle des structures, Safer, statut du fermage - le prix du foncier en France est parmi les moins chers d'Europe et nous avons maintenu une diversité des modèles. (M. François Patriat le confirme.)

Plus récemment, il y a eu l'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN), sur lequel le Sénat est très engagé (exclamations à droite et au centre), et la loi Sempastous qui impose une autorisation administrative préalable en cas de cession au-delà d'un certain seuil d'agrandissement.

Enfin, nous avons lancé une vaste consultation sur la loi d'orientation et d'avenir agricole. Les questions foncières y seront abordées. Nous travaillons avec les élus locaux.

M. Éric Bocquet.  - Il y a urgence : une ferme sur dix est une société financiarisée. Terre de Liens le dit : « le jour où nos ancêtres ont fait de la terre une marchandise est un jour noir pour l'humanité ». (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Situation du monde agricole (I)

M. Laurent Somon .  - On achète des oeufs venus de l'étranger, des cerises de l'étranger parce que nous avons arraché nos cerisiers -  et bientôt nos pommiers, nos noisetiers. On achète le poisson débarqué de bateaux étrangers alors que nous avons le deuxième domaine maritime mondial. Le sucre et les lentilles sont importés de pays où l'on utilise des traitements interdits en France.

Les règlements, les contrôles, les injonctions contradictoires, les incertitudes sur les revenus rendent les choses difficiles pour les agriculteurs. Ils ont bien du mal à croire au conte de fées de la compétitivité de la Ferme France, qui s'expose en grand cette semaine...

Or les agriculteurs n'ont pas attendu les déclarations du Président de la République sur la fin de l'abondance pour s'engager dans les économies d'énergie. Ils ont réduit leur utilisation de produits phytosanitaires et leur consommation d'eau. Dans la Somme, la société Cristal Union réutilise l'eau des betteraves pour ne pas puiser dans la nappe phréatique.

Allez-vous vous résigner à une agriculture in vitro ? La Ferme France a besoin d'un cap. Quels sont les moyens alloués, quelle est l'ambition du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Je souscris à votre constat : les agriculteurs n'ont pas attendu le Gouvernement. J'ai visité l'usine Cristal Union que vous évoquez et j'ai pu constater qu'elle avait réduit sa consommation énergétique et presque arrêté de consommer de l'eau.

Nous devons colliger ces bonnes pratiques et les diffuser dans toutes les entreprises françaises et sur tout le territoire : c'est cela, restaurer la compétitivité de notre agriculture. Nous apprenons de ce qui fonctionne sur le terrain, de celles et ceux qui aiment profondément cultiver et nourrir les Français.

Un récent rapport du Sénat montre combien la compétitivité de la Ferme France s'est effritée depuis 1990. Mais, depuis 2017, nous avons agi : je pense à la loi Égalim 2, qui a mis le revenu agricole au coeur de l'action publique. Vous avez aussi voté le prolongement du SRP+10.

Nous avons organisé le Varenne de l'eau, afin d'identifier les besoins et les solutions, réformé l'assurance récolte. Les agriculteurs savent que souveraineté alimentaire et adaptation au changement climatique relèvent du même combat, porté à bras-le-corps par le ministre de l'agriculture et la Première ministre. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

M. Laurent Somon.  - Notre industrie décline : nous importons des voitures, des médicaments, et même de l'électricité, alors que nous les produisions. Demain, ce sera le tour des agriculteurs ! Redonnez confiance à nos agriculteurs, pour éviter que ce qu'écrivait Fénelon à Louis XIV en 1694 ne devienne réalité : « La France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provision. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.)

Situation du monde agricole (II)

M. Christian Redon-Sarrazy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE) Hier deuxième puissance agricole, la France est passée au cinquième rang en vingt ans. Les importations représentent désormais la moitié des produits consommés : nous ne sommes plus le grenier de l'Europe. Le taux de déconversion chez les agriculteurs bio est inquiétant.

La situation des agriculteurs ne s'est pas améliorée depuis 2017 : ils présentent le plus fort taux de suicide de toutes les catégories socioprofessionnelles. Dans dix ans, 50 % des chefs d'exploitation partiront à la retraite.

La proposition de loi pour lutter contre l'accaparement du foncier agricole, votée avant la dernière élection présidentielle, n'a rien changé. L'État manque d'ambition.

L'été 2022 a mis en évidence notre fragilité. La France subit une sécheresse depuis un mois. Pour préserver notre indépendance, il faut défendre un modèle humain, pérenne, familial, respectueux des sols. C'est une question de survie.

Les accords de l'Union européenne avec le Mercosur, le Canada et la Nouvelle-Zélande sont autant de portes ouvertes à la concurrence déloyale. Le temps presse. Quand proposerez-vous une véritable politique agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe CRCE)

M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - On ne peut que partager vos constats. Oui, il faut entrer dans une logique d'accompagnement des transitions, en tirant parti du renouvellement des générations comme ce fut le cas dans les années 1960.

Il faut répondre à la demande des jeunes agriculteurs qui aiment profondément la terre, veulent être propriétaires de leur exploitation et vivre décemment de leur travail. La question du revenu est centrale.

Les lois Égalim 1 et 2 ont mis fin à la spirale déflationniste et à la destruction de valeur. Il faut maintenant veiller à leur pleine application.

Nous voulons une alimentation saine, sûre, durable et respectueuse de l'environnement et de la biodiversité ; tout cela a un prix. Nous voulons ne plus dépendre des importations : la souveraineté alimentaire aussi a un prix. C'est pourquoi lors de notre présidence du Conseil de l'Union européenne nous avons mis la question de la réciprocité des normes au coeur du débat.

Concernant les retraites agricoles, il faut mentionner les lois Chassaigne 1 et 2, ainsi que la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles sur les 25 années d'assurance les plus avantageuses, récemment adoptée par le Sénat. Enfin, avec la réforme des retraites que vous allez examiner, 350 000 petites retraites seront revalorisées de 100 euros en moyenne. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Sécheresse (II)

M. Jean Sol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le réchauffement climatique soulève la question de la gestion de l'eau, nous l'avons constaté l'été dernier.

Notre législation vise à équilibrer les usages, grâce à un ensemble d'outils dont le débit réservé : il est interdit d'opérer des prélèvements qui feraient passer le débit d'un cours d'eau en dessous d'un certain seuil. Le principe est vertueux, mais son application source de dérives. Ainsi, pour la Têt dans les Pyrénées-Orientales, le juge administratif, s'appuyant sur des études contestées, a fixé un débit réservé bien trop important, au risque de condamner les activités maraîchères locales et de faire disparaître le système des canaux.

De telles interprétations maximalistes peuvent même menacer une centrale hydroélectrique comme à Sallanches, en Haute-Savoie. Allez-vous modifier les modalités d'application de ce débit réservé ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - En 2022, pas moins de 93 départements ont dû adopter des restrictions d'eau, 75 se sont trouvés en situation de crise. En 2023, cinq départements déjà sont concernés. La situation est globalement dégradée par rapport à l'année dernière. Le niveau de précipitations ces prochains mois sera crucial.

Nous devons anticiper et encourager la sobriété : c'est le travail que je poursuis avec M. Béchu. Dès le mois de décembre, nous avons demandé aux préfets d'identifier les collectivités fragiles. Les agences de l'eau pourront mobiliser 100 millions d'euros d'aides supplémentaires en 2023. Une première réunion des préfets coordonnateurs de bassin a eu lieu le 27 février. Un plan sur l'eau sera présenté dans les prochaines semaines dans le cadre de la planification écologique voulue par la Première ministre. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean Sol.  - Les acteurs de terrain ne veulent plus de réponses dilatoires. Il faut modifier la législation. Emparez-vous des propositions du rapport de notre délégation à la prospective, intitulé « Éviter la panne sèche » ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Retenues collinaires

M. Alain Duffourg .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La sécheresse de 2022 semble devoir se reproduire cette année. Au Salon de l'agriculture, le Président de la République s'est déclaré favorable à la mise en place de retenues collinaires. J'avais déposé une proposition de loi facilitant l'installation, dans la limite de 150 000 mètres cubes, de ces petits équipements qui ne sont pas contraires à l'écologie.

Madame la ministre, soutiendrez-vous ce dossier ? C'est une solution pertinente, car les agriculteurs et les vignerons de ce pays attendent des réponses précises et efficaces. Ils veulent être rassurés ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Sur les retenues collinaires, point de dogmatisme, mais une appréciation au cas par cas. Le stockage hivernal, quand il s'inscrit dans un projet concerté, peut être une solution parmi d'autres. Mais ce n'est pas la seule. Dans nombre de territoires, elle est impossible à mettre en oeuvre. Nous serons vigilants sur le taux de remplissage des retenues. (M. François Patriat applaudit.)

M. Alain Duffourg.  - Les Français attendent des résultats tangibles. Ne soyez pas dans l'incantation, mais dans l'action ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Réserves de gaz en Lorraine

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise actuelle a mis en évidence la dépendance énergétique de la France et le besoin de consolider nos filières de production d'énergie.

Or en Moselle, trois forages de recherche ont mis au jour un volume de 190 milliards de mètres cubes de gaz, soit cinq années de consommation. Son extraction ne nécessiterait pas de recourir à la fracturation hydraulique, ce qui réduirait l'empreinte carbone.

Une entreprise française se tient prête à investir 20 millions d'euros pour l'exploiter. Il serait même possible d'enfouir du CO2 dans les cavités libérées par l'extraction. La concession d'exploitation est attendue depuis trois ans : le temps de l'action est venu. Ne manque que l'accord du Gouvernement. Madame la ministre, peut-on compter sur votre soutien ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique .  - La politique de réduction de notre dépendance énergétique que je mène repose sur trois piliers.

D'abord, l'efficacité et la sobriété, avec un objectif de réduction de 40 % de notre consommation à l'horizon 2050. Avec le plan de sobriété présenté en octobre 2022, nous avons réussi en trois mois à réduire de 10 % notre consommation énergétique globale, ce que nous n'avions pas su faire en trente ans.

Ensuite, la production massive d'énergies renouvelables, à laquelle contribuera le projet de loi que vous venez d'adopter ; enfin, une relance historique de la filière nucléaire, objet d'un autre texte que vous avez également adopté.

Nous devons privilégier les énergies les moins carbonées. Le projet d'exploitation des gaz de couche que vous évoquez a donné lieu à une enquête publique ; 500 observations ont été recueillies, la plupart défavorables ; les associations locales de défense de l'environnement ont manifesté leur opposition. L'instruction est en voie de s'achever, et je me prononcerai dans quelques semaines. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

M. Bruno Retailleau.  - Pendant ce temps, on importe du gaz de schiste !

Mme Catherine Belrhiti.  - Plutôt que d'importer du gaz de schiste américain, ne vaut-il pas mieux exploiter le gaz mosellan ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Abus de l'intérim médical

Mme Annie Le Houerou .  - Malgré le Ségur de la santé et ses promesses d'attractivité, l'hôpital public continue de souffrir d'un absentéisme important. L'intérim médical est donc nécessaire, mais l'usage en est abusif. Vous avez vous-même dénoncé, monsieur le ministre de la santé, un intérim « cannibale » qui « rémunère injustement le nomadisme professionnel, détruit la cohésion des équipes et enferme dans un cercle vicieux les établissements qui y ont recours ».

Certains professionnels sont en effet devenus de véritables mercenaires qui font monter les enchères jusqu'à 3 000 euros la journée, alors qu'un jeune praticien touche, pour son engagement sans limite, 4 500 euros par mois.

Une loi de 2021 fixe un tarif plafond de 1 070 euros bruts pour 24 heures. Son application, prévue pour octobre 2021, a été décalée au 1er avril 2023. À un mois de cette échéance, les praticiens hospitaliers des urgences signalent que, faute d'intérimaires, ils auront du mal à boucler leurs plannings. Allez-vous réquisitionner ceux qui profitent du système au mépris du serment d'Hippocrate ? Comment éviter un nouveau recul dans le respect des patients et du temps médical ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur plusieurs travées du groupe CRCE)

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention .  - La régulation de l'intérim est une préoccupation constante du législateur depuis deux mandatures ; en témoigne notamment la loi Rist de 2021. Je sais combien le Sénat est attentif à l'application des lois. En l'espèce, je me suis engagé à prendre les décrets d'application dès début avril.

Nous ne visons pas l'intérim en tant que tel mais ses dérives, minoritaires. Au-delà de la question éthique, le coût pour les hôpitaux a atteint 359 millions d'euros en 2021. Le tarif journalier peut même atteindre 5 000 euros... C'est en effet un outil à détruire la cohésion des équipes et l'engagement des médecins, lorsqu'un membre de l'équipe est payé quatre ou cinq fois plus qu'un autre.

J'ai demandé aux agences régionales de santé (ARS) d'animer des concertations locales avec les préfets et les élus pour affiner les diagnostics par établissement. Nous construisons des solutions avec les professionnels du territoire. J'en appelle aussi aux cliniques privées, qui se sont engagées à une rémunération raisonnée de l'intérim médical. Aucun territoire ne restera sans solution.

Mme Annie Le Houerou.  - Entendez le cri d'alarme des professionnels. Je crains que le plafonnement ne soit impossible à mettre en oeuvre. Ce serait une preuve supplémentaire de l'échec de votre politique de santé, un poisson d'avril au mépris de ceux qui servent l'intérêt général, sans reconnaissance. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE)

Production d'hydroélectricité

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France dispose du parc hydroélectrique le plus important de l'Union européenne ; il contribue pour 12 % à notre production d'électricité.

Or l'hydroélectricité est aujourd'hui fragilisée par des années d'indécision, qui se traduit par l'absence de renouvellement des concessions de service public échues. C'est le cas pour de nombreux ouvrages dans les vallées aveyronnaises de la Truyère et du Lot.

Le parc hydroélectrique nécessite une action urgente et déterminée. Après le projet Hercule de privatisation et de démantèlement d'EDF, sur lequel je vous avais interpellée, le Gouvernement est resté dans l'expectative. La Cour des comptes vous a adressé une mise en garde le 6 février dernier : il faut sortir au plus vite de cette situation.

L'hydroélectricité n'a pas été abordée dans le projet de loi Énergies renouvelables. Madame la ministre, que pensez-vous du constat de la Cour des comptes sur l'inaction du Gouvernement ? Quelles sont vos difficultés ? Nous pouvons vous aider ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique .  - Le Gouvernement est très attentif au développement de l'énergie hydroélectrique, essentielle à la sécurisation de notre approvisionnement, mais aussi à la bonne gestion de notre ressource en eau.

On dénombre 2 600 installations en France, qui représentent 11 % de la production électrique. Le secteur contribue à l'emploi local dans les vallées de la Truyère et du Lot, en Dordogne ou dans les Pyrénées.

La Commission européenne a engagé un précontentieux contre la France sur les concessions échues. En réponse à la Cour des comptes, le Gouvernement explore plusieurs scénarios, à l'aune de plusieurs objectifs : relancer rapidement les projets bloqués par le contentieux européen, garder la pleine maîtrise de notre parc, favoriser les synergies, faire en sorte que les bénéfices profitent à la collectivité, privilégier des contrats souples, adaptables à l'évolution des besoins.

Cela vous a sans doute échappé, mais le projet de loi Énergies renouvelables permet de réaliser les investissements de pérennisation des concessions échues. Le Gouvernement veillera à la bonne santé du parc hydroélectrique et à son ancrage territorial. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Hausse des prix de l'énergie pour les stations de ski

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'associe à ma question les membres du groupe d'études « Développement économique de la montagne ».

L'envol des coûts de l'énergie menace d'asphyxie les stations de ski, en particulier les plus petites. Les domaines skiables subissent une double peine : une discrimination tarifaire liée au mode d'attribution de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), et, malgré les aides, un dispositif d'écrêtement qui pénalise les petites structures.

Plus de 40 % des domaines ont dû renouveler leurs contrats de concession d'électricité, à des coûts parfois multipliés par dix. La faillite menace si le Gouvernement n'agit pas. Pour les collectivités support, cela signifierait une mise sous tutelle de la chambre régionale des comptes.

Il y a urgence.  Comment faire, quand le coût de l'énergie passe parfois de 3 à 20 % du chiffre d'affaires ? Comment éviter que l'écrêtement n'annule le bénéfice des aides ? Comment prendre en compte les spécificités des stations dans la réforme de l'Arenh ? Comment renégocier les contrats, maintenant que les prix se stabilisent ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Le Gouvernement a mis en place un certain nombre d'aides. Très tôt, les sénateurs et députés élus de la montagne ont été associés à la réflexion. Les régies de montagne sont couvertes par l'amortisseur électricité en tant qu'entreprises de moins de 250 salariés.

Comme ministre en charge des PME et du tourisme, je suis proche des élus de la montagne et je veille à l'accompagnement des collectivités concernées. À ce stade, je n'ai pas eu de remontées inquiétantes sur les régies. N'hésitez pas à me signaler des difficultés éventuelles.

Le tableau assez noir que vous brossez ne doit pas occulter les résultats remarquables du tourisme de montagne : 42 % de nos compatriotes ont l'intention d'aller au ski l'hiver prochain. En janvier 2023, le taux d'occupation était supérieur de 17 % à son niveau de 2022. Les perspectives sont bonnes ! (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

La séance est suspendue à 16 h 15.

Présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 16 h 30.

CMP (Nominations)

M. le président.  - Des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Commission (Nomination)

M. le président.  - Une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Commission d'enquête (Nominations)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence.

En application de l'article 8 ter, alinéa 5 de notre Règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

« Les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français ».

M. Stéphane Ravier .  - Depuis janvier 2021, la France subit une hausse des prix généralisée et inédite depuis quarante ans, due aux restrictions d'activités liées au covid et à une forte dépendance aux produits manufacturés de l'étranger. La guerre en Ukraine n'a fait que renforcer l'inflation.

L'affaiblissement de l'État stratège conduit à l'appauvrissement actuel.

Selon l'Insee, la hausse des prix a été de 14,5 % pour l'alimentation et de 14 % pour l'énergie. Un kilo de pommes noisettes surgelées coûte 2,19 euros, contre 1,05 en février 2022, soit une hausse de 108 %. La crème fraîche a augmenté de 40 % ; l'emmental râpé, de 33 %.

La demande aux Restos du Coeur a augmenté de 12 %. Dans la sixième puissance économique mondiale, des millions de personnes ne se chauffent plus, ne mangent plus à leur faim, ne se soignent plus : c'est le grand effondrement des classes populaires et l'affaissement des classes moyennes.

La fiscalité pose problème, 60 % du prix de l'essence étant constitué de taxes alimentant les caisses percées de l'État.

Même après avoir éteint la lumière, coupé le chauffage, sacrifié une partie du contenu de leur frigo et du renouvellement de leur garde-robe, les ménages ne voient toujours pas le bout du tunnel. Vos prévisions se sont révélées fausses : le Fonds monétaire international (FMI) annonce la très bonne santé économique de la Russie, alors que le ministre de l'économie avait prédit son effondrement !

Madame la ministre, qu'attendez-vous pour sortir du marché européen de l'électricité et de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), relocaliser et baisser les cotisations patronales sur les salaires ?

M. Jean-Claude Requier .  - (M. Jean-Yves Roux applaudit.) À entendre nos concitoyens ou nos agriculteurs, ce débat serait encore plus d'actualité que celui sur les retraites. Nous sommes à un tournant majeur de l'après-covid : si le choc de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie a eu un effet indéniable sur les prix de l'énergie, la remontée des prix a en réalité commencé dès 2021 après les confinements, notamment en raison de la hausse des coûts des matières premières et du fret. Nous payons le prix de la désindustrialisation et de la perte de souveraineté économique.

Le décalage entre l'indice synthétique des prix à la consommation et l'inflation ressentie est sensible. D'autres éléments pèsent sur le budget des ménages, comme le logement : les prix des actifs, mobiliers ou immobiliers, ont beaucoup augmenté ces dernières années. L'injection de liquidités par les banques centrales a entraîné une forte inflation des valeurs mobilières, sans impact sur les prix à la consommation. L'inflation était un souvenir remontant aux années 1980 ; aujourd'hui, elle touche l'ensemble des pays développés, sauf peut-être le Japon, entraînant baisse du pouvoir d'achat et érosion de l'épargne.

Dans les années 1970, on considérait l'inflation comme une drogue douce profitant aux emprunteurs. La poursuite d'une inflation forte couplée à une croissance faible ou nulle signifierait le retour de la stagflation.

Après l'indice Big Mac et l'indice jambon-beurre, voilà l'indice coq au vin, créé par l'agence Bloomberg. Sur un an, il a augmenté de 15 % ! Les produits alimentaires sont en forte hausse depuis 2022. Dans ce contexte, les négociations entre fournisseurs et distributeurs devraient bientôt aboutir, après la proposition de loi adoptée par le Sénat il y a deux semaines.

Le Gouvernement prévoit-il des mesures supplémentaires pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages ? Envisage-t-il de mettre à contribution les entreprises, en particulier celles qui ont largement bénéficié des aides publiques ces dernières années ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Vanina Paoli-Gagin et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme.  - Je n'ai pas grand-chose à ajouter à vos propos sur l'inflation ressentie, boussole la plus importante à suivre.

L'inflation est de 6,2 % sur un an, avec une accélération sur l'alimentaire : 13 % en janvier, 14,5 % en février. Mais l'Insee constate que la croissance a été positive au quatrième trimestre, et que le pouvoir d'achat des ménages n'a pas sombré car les prélèvements obligatoires continuent à baisser, avec la suppression de la redevance télévisuelle et de la troisième tranche de la taxe d'habitation. Citons aussi le versement de la prime de partage de la valeur, de plus d'un milliard d'euros, soit, en moyenne, 1 000 euros par salarié.

Le Gouvernement a beaucoup fait ; il continue à faire en sorte que les efforts soient partagés. Le Président de la République et le Gouvernement demandent aux fournisseurs de contribuer à l'effort, en prenant sur leurs marges pour limiter l'inflation alimentaire.

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) La guerre en Ukraine, depuis le 24 février 2022, a servi de catalyseur à de profonds bouleversements économiques conduisant au retour de l'inflation, qui avait disparu depuis vingt ans. La crise du covid avait déjà touché le système commercial mondial. Le retour de l'inflation à des niveaux inédits depuis cinquante ans a surpris tous les spécialistes.

Alors qu'auparavant, l'inflation demeurait sous la barre des 2 %, la sortie de la crise sanitaire a conduit à une demande soutenue et à la hausse des prix, due à la désorganisation et à l'insuffisance de la production. La guerre en Ukraine, surtout, a perturbé l'acheminement de matières premières. La Russie a réduit ses exportations de gaz. Il en a résulté une forte hausse des cours du pétrole et du gaz et une flambée de l'inflation, donc une baisse de la consommation.

Paradoxalement, l'inflation a dopé le chiffre d'affaires des groupes du CAC 40. Les ETI et les PME ne peuvent pas en dire autant : la fermeture de nombreuses boulangeries le montre. Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir supprimé le critère de puissance installée pour bénéficier des tarifs réglementés de l'électricité ?

Où en est la réforme du marché européen de l'énergie annoncée pour la fin 2022 ? A-t-on obtenu le découplage des prix du gaz et de l'électricité ?

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Serge Babary.  - L'inflation s'établit à 6,2 %. À cela s'ajoute une crise sociale, voire sociétale : 2,4 millions de personnes dépendent d'une aide alimentaire, dont un tiers de nouveaux bénéficiaires. Dès juillet 2022, Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, vous enjoignait de cesser la politique dispendieuse du chèque et d'engager des politiques de long terme, avec notamment la défiscalisation des heures supplémentaires. La loi sur le pouvoir d'achat n'a eu qu'un effet pansement, en dépit d'un coût élevé pour les finances publiques.

Le prix des produits alimentaires a bondi de 14,5 % sur un an. La confiance des ménages est dégradée. Le taux d'épargne s'établit à 16,6 % du revenu brut. Les personnes âgées éloignées des centres-villes sont particulièrement touchées.

On nous annonce un mars rouge. Hier, Bruno Le Maire a affirmé aux députés que des mesures étaient à l'étude. Mais la Fédération du commerce et de la distribution évoque une augmentation à venir de 10 %, et la présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) accuse une partie des distributeurs de refuser de payer l'intégralité de la part des agriculteurs.

Il faut des mesures ciblées. Comment le Gouvernement aidera-t-il les Français à traverser cette crise ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Monsieur le sénateur, vous parlez de la nécessité de cibler les aides. Vous comme moi, nous veillons à ne pas augmenter indûment la dépense publique. Si nous avions supprimé le critère des 36 kVA, nous aurions aidé des entreprises n'en ayant pas besoin et multiplié les milliards de dépenses inutiles. Installer des compteurs ne se fait pas du jour au lendemain. Il y aurait eu des difficultés logistiques.

L'amortisseur et le guichet sont des dispositifs facilement compréhensibles.

Vous parlez d'un pansement de 110 milliards d'euros tout de même, versés entre octobre 2021 et décembre 2022 ! Il ne faut pas oublier, entre autres, la prime de rentrée exceptionnelle et la prime de partage de la valeur : 300 000 entreprises ont versé plus de 1 milliard d'euros à leurs salariés face à cette poussée inflationniste.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Avec les conséquences de la pandémie, la sécheresse et le dérèglement climatique, 2021 présentait un terrain favorable à l'inflation. La situation a encore empiré avec la guerre en Ukraine, alors que nous craignions la fin du « quoi qu'il en coûte ». En 2022, les prix ont augmenté de 6,22 % en France : ce n'est finalement pas si mal ! L'inflation s'élève à 95 % en Argentine, 11 % au Royaume-Uni, 7 % aux États-Unis. Dans l'Union européenne, elle est, en moyenne, de 10 %. Avec une guerre à nos portes, l'envolée du prix des hydrocarbures et nos centrales à l'arrêt, nous nous en sortons bien.

Mais si quand on se compare, on se console, quand on se regarde, on se désole quand même... L'inflation frappe plus fortement les plus démunis. Les prix de l'alimentaire ont bondi de 14,5 % et pèsent lourd dans les budgets. Après avoir atteint un pic à 700 euros, le mégawattheure est heureusement redescendu, mais la facture énergétique a augmenté de 15 %. Tous les Français sont touchés, en particulier en milieu rural. Face à ces augmentations, la tentation de recourir à l'argent public est grande. Notre dette publique s'est envolée : 3 000 milliards d'euros aujourd'hui, contre 2 300 milliards en 2019. Avec la remontée des taux d'intérêt, il est urgent de la réduire !

Quelles solutions pour améliorer le pouvoir d'achat ? La première, c'est la sobriété. En 2022, la consommation énergétique de notre pays a baissé, grâce aux efforts de nos entreprises et aux écogestes. Les prix délirants de l'énergie rendent plus rentables les travaux d'isolation.

Deuxième solution : le travail. Les aides gouvernementales sont prélevées par l'impôt ou la dette. Saluons l'effort du Gouvernement pour réduire le poids des contributions de nos entreprises et de nos concitoyens. Il faut poursuivre, favoriser les investissements dans l'appareil productif.

La crise peut être l'accélérateur du changement. En Chine, on désigne par un même mot la crise et l'opportunité. À défaut de pétrole, nous devons avoir de bonnes idées !

M. Paul Toussaint Parigi .  - Les chiffres sont historiques : 6,2 % d'augmentation des prix à la consommation en un an, et un tiers de personnes en plus accueillies par les banques alimentaires. L'écart entre les Français se creuse : les conséquences de la crise marginalisent une grande partie de nos concitoyens à une vitesse accrue. Une étude de l'OFCE et de France Stratégie montre que les personnes pauvres, âgées, éloignées des centres-villes sont les plus touchées. L'inflation a été de 8,5 % pour les ménages les plus exposés, contre 3,4 % pour les moins exposés : l'écart est de cinq points. Je le constate en Corse, où 18 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté - contre 15 % pour la moyenne nationale. S'y ajoute le surcoût de l'importation.

Les mesures du Gouvernement sont insuffisantes face à une précarisation structurelle. Réforme de l'assurance chômage, baisse des aides personnalisées au logement (APL), revalorisation anticipée des minima sociaux en dessous de l'inflation sont autant de régressions. Pire, le Gouvernement se vante de mesurettes relevant du moulinet en temps de canicule : ainsi de la création d'un panier d'une cinquantaine de produits, basée sur le volontariat.

Selon une étude de l'Insee de 2021, 64 % des personnes ont honte de recourir à l'aide alimentaire. Une prime alimentaire aurait limité la stigmatisation.

Le GEST a formulé plusieurs propositions : dès juillet, nous voulions limiter la hausse des loyers à 1 %, augmenter les salaires, porter le Smic à 1 500 euros nets. Nous plaidons aujourd'hui pour augmenter les minima sociaux et instaurer un revenu minimum garanti, malheureusement sans être entendus.

Certes, l'inflation a des origines conjoncturelles, mais n'oublions pas un facteur structurel : la raréfaction des ressources. Nombre d'études montrent que le réchauffement climatique entraîne une baisse de la production agricole, avec, pour conséquence, une hausse inexorable des prix. L'inflation de fond touchera plus durement les plus modestes.

Donnons à la France les moyens de réussir la transition écologique. Mais nous constatons avec regret que le Gouvernement n'apporte aucune solution durable à ce défi de grande ampleur. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je ne peux accepter le terme de « mesurettes » !

La France s'en sort mieux que ses voisins européens : c'est le fruit, non du hasard, mais de notre politique économique de réduction des impôts et de hausse du pouvoir d'achat.

Une mesurette, les 110 milliards d'euros alloués à nos concitoyens via le bouclier énergétique ? C'est à comparer aux 86 milliards d'euros payés par les Français au titre de l'impôt sur le revenu.

Nous avons augmenté les minima sociaux. Ainsi, l'allocation de rentrée scolaire va de 377 à 416 euros. Avec l'augmentation du point d'indice, une secrétaire de mairie avec quinze ans d'ancienneté reçoit 687 euros ; un agent d'accueil en début de carrière, 543 euros nets annuels.

Mme Nadège Havet .  - Pendant trente ans, la hausse durable des prix a été contenue en France. La rupture de l'été 2021 fut soudaine, engendrant de nombreuses conséquences pour les Français, surtout les plus modestes : le renchérissement du coût de la vie touche avant tout les prix de l'alimentaire et de l'énergie, fondamentaux de notre quotidien.

Les causes de ce phénomène sont multiples, à la fois conjoncturelles et structurelles : c'est un effet cocktail. Après la pandémie, la demande a augmenté plus fortement que l'offre. La guerre en Ukraine et la baisse de l'euro expliquent aussi cette situation, de même que la hausse des prix de l'énergie.

En outre, les ressources fossiles s'épuisent. Nous devons mener la bataille de la transition écologique.

L'inflation s'élève, en France, à 6,2 % sur un an, soit en dessous de la moyenne de la zone euro ; le pic devrait être atteint cette année. Cela s'explique par l'action du Gouvernement, que nous soutenons. De nombreuses mesures ont été adoptées, telles que la revalorisation des minima sociaux ou celle des pensions de retraite de base. Quelque 12 millions de ménages modestes ont reçu un chèque de 100 voire 200 euros. Un chèque exceptionnel a été versé pour ceux se chauffant au bois. Je pense aussi à la prime de partage de la valeur, qui a bénéficié à 5,5 millions de salariés, soit une hausse de 50 % par rapport à 2021, pour un total de 4,4 milliards d'euros. Cela a contribué au pouvoir d'achat des ménages.

Je salue l'accord intersyndical visant à généraliser des dispositifs comme l'intéressement, la participation ou la prime de partage de la valeur pour les entreprises de plus de 11 salariés.

Continuons à avancer à l'occasion du texte sur le plein emploi.

Les négociations annuelles entre distributeurs et producteurs s'achèvent : les prix pourraient encore grimper. Soyons donc vigilants contre cette inflation de l'assiette. Le Président de la République s'est exprimé en faveur des pêcheurs et a appelé les distributeurs à faire un effort sur leurs marges.

Le Gouvernement a créé une indemnité de 100 euros pour les conducteurs les plus modestes, mais plusieurs millions d'entre eux ne se sont pas manifestés ; le délai de dépôt de demande a été prolongé jusqu'à la fin mars : à nous de le faire savoir.

Enfin, le ministre Jean-François Carenco a présenté un plan de défense du pouvoir d'achat de nos concitoyens outre-mer, où la vie chère est un problème structurel : où en est-on ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je répondrai par écrit à la question sur l'outre-mer.

Lors du Salon de l'agriculture, le Président de la République a formulé plusieurs annonces contre la poussée inflationniste, qui frappe surtout nos concitoyens les plus fragiles.

L'État a pris sa part, grâce au bouclier tarifaire. Quelque 46 milliards d'euros ont été distribués aux Français -  soit plus que le budget du ministère de la défense.

Le Président de la République et le ministre de l'économie ont demandé aux distributeurs de réduire leurs marges. Nous voulons une solution collective, juste et rapide.

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Bruno Le Maire ne croit pas à un mois de mars rouge avec plus 10 % d'inflation alimentaire : il a dit que ce n'était pas la réalité.

La réalité, la voilà : les prix à la consommation ont augmenté de 6 % ; le nombre de bénéficiaires de l'aide alimentaire, de 10 % ; les prix de l'énergie, de 16 %. (Mme la ministre le conteste.) Dans les outre-mer, la situation est plus grave, en raison de la forte dépendance aux importations, renforçant le sentiment d'une vie encore plus chère.

Cette hausse globale des dépenses contraintes empêche les plus modestes de se loger : le nombre de ménages ayant un retard de paiement de leur loyer de plus de trois mois a augmenté de 10 % en deux ans. Quelque 5,6 millions de Français souffrent de précarité énergétique, et 37 % des passoires thermiques sont occupées par des ménages sous le seuil de pauvreté : faute d'accompagnement adéquat, comment éradiquer les logements énergivores d'ici 2028 ?

Avec Rémy Cardon, nous avons déposé une proposition de loi visant à éradiquer les passoires thermiques et à instaurer un reste à charge zéro pour les plus précaires, sur tous les territoires.

Vos mesures contiennent certes l'inflation, mais elles ne sont ni pérennes ni structurelles. En outre, elles ne ciblent pas les plus faibles.

Il y aura un mars rouge, car les Français sont déjà dans le rouge ! Il faut de la cohérence et de la justice sociale. Le chèque énergie doit être mieux ciblé : les copropriétaires, les locataires sociaux ou les personnes chauffées en collectif ne peuvent y recourir pour le moment. Idem pour les personnes en résidence sociale. Pourtant ces personnes sont éligibles. Comment expliquer cette inégalité ?

Comment voulez-vous que les 5,6 millions de ménages victimes de précarité énergétique puissent agir en faveur de l'environnement ? Ce sont les premiers à payer la facture ! Il en faut peu pour que le sentiment d'injustice qu'ils éprouvent se transforme en colère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Éric Bocquet .  - Dès décembre 2020, les prix de l'énergie augmentaient massivement : de 41 % pour le gaz, de 21 % pour le carburant et de 4 % pour l'électricité. En 2022, cette tendance se confirmait, nous entraînant dans une spirale inflationniste.

En janvier 2023, les prix de l'énergie ont crû de 16,3 %, ceux de l'alimentation de 13,3 %. Pour les ménages, cela représente 20 % pour les pâtes, 34 % pour les légumes frais, 120 % pour l'huile de tournesol !

Beaucoup doivent choisir, entre manger, se chauffer ou se déplacer. Plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont un enfant sur cinq ; sept millions doivent recourir à l'aide alimentaire. La fréquentation des Restos du Coeur a bondi de 12 % en six mois ; c'est inédit.

Six mois avant le conflit russo-ukrainien, Les Échos titraient sur ces « traders pris dans la folie spéculative du prix du gaz ». Et pour cause : la spéculation sur les matières premières a augmenté de 158 % ! Des entreprises ont augmenté leurs marges. Voilà trois ans que nous vous alertons sur la paupérisation d'une partie de la population. Dans l'agroalimentaire, le coût des matières premières agricoles a bondi de 29 %, celui des emballages de 26 % et celui de l'énergie de 57 %.

Ce débat d'actualité n'en est pas vraiment un : c'est plutôt le bilan accablant de l'action du Gouvernement. Où est le chèque alimentaire ? Pourquoi 50 % des personnes éligibles ne demandent-elles pas le chèque carburant ? Pourquoi les personnes ayant un compteur de plus de 36 kVA ne sont-elles pas concernées par les aides ?

L'amortisseur énergie est lui aussi insuffisant et la complexité des dispositifs ne permet pas aux bénéficiaires de s'en saisir.

De nombreux États ont favorisé une revalorisation des salaires, mais vous leur préférez des mesures ponctuelles au bénéfice du capital, au détriment du travail.

Selon l'OCDE, la France est le pays ayant subi la plus forte baisse des revenus réels au deuxième trimestre 2022. Alors que les dividendes explosent, les Français se paupérisent. Manger à sa faim, se chauffer, devraient être des droits fondamentaux et des priorités politiques. Il faut combattre la pauvreté, grâce à une augmentation des salaires et des minima sociaux, à un tarif réglementé du gaz et de l'électricité pour tous, et à la sortie du marché européen de l'énergie. Autant de mesures que nous défendons avec constance ici au Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Le taux de chômage est de 7,2 %, celui des jeunes est au plus bas, une réindustrialisation est en cours et nous recensons 1 725 décisions d'investissements étrangers favorisant 58 000 emplois industriels. La solution, c'est le travail. Nous nous battons pour qu'il paie mieux. La baisse des cotisations a entraîné une hausse des salaires en 2018.

En outre, pas moins de 60 millions d'euros ont été votés dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022 en faveur des associations, sans oublier les 27 appels à projets du plan de relance et l'aide à la banque alimentaire.

Oui, le Gouvernement se bat pour que le travail paie mieux et oui, nous aidons les plus modestes.

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce débat tombe à point, à quelques heures de la fin des négociations entre les distributeurs et les producteurs. Les acteurs se renvoient la balle sur l'augmentation des prix des produits alimentaires, mais les chiffres filtrent : 25 % pour le Nesquik, 17 % pour le Coca-Cola...

Bien sûr, une inflation à 6,2 %, c'est mieux que la plupart de nos voisins européens. Mais l'inflation alimentaire représente 14,5 % ! Le prix des denrées augmente plus fortement. Les acteurs évoquent une hausse à venir de 10 %, voire pis.

Le face-à-face annuel des acteurs de l'alimentaire, ou plutôt le bras de fer, nous interroge. Le Gouvernement demande à la grande distribution de diminuer ses marges, évoque un panier de produits de base, mais, madame la ministre, où en sommes-nous réellement ? On peine à expliquer cette situation. Les prix de l'énergie, des matières premières, du transport sont moindres en 2023. L'inflation des prix de production s'élèverait à 17 %.

Le pouvoir d'achat a été préservé jusqu'en 2021, a diminué de 0,2 % en 2022, mais nous pourrions perdre cet acquis. Les salaires augmentent de 4,2 % contre 6 % pour l'inflation : la consommation est affectée. Comment construire l'avenir ?

Nous devons être vigilants sur le recours à la dépense publique, qui doit rester soutenable : c'est la quadrature du cercle. La croissance et la maîtrise de l'inflation apparaissent comme des priorités.

L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié une étude portant sur les mesures budgétaires du Gouvernement : en 2023, le pouvoir d'achat pourrait revenir au niveau d'avant la crise sanitaire. Sans les mesures mises en oeuvre, il aurait subi une baisse de 5 % : cela montre leur efficacité.

L'inflation touche les Français de manière inégale : selon l'OFCE, les ménages ruraux et modestes sont les plus touchés. Nous devrions réfléchir à des mesures différenciées face à une inflation qui ne touche pas tout le monde de la même façon.

Le nombre de personnes bénéficiant de l'aide alimentaire a triplé en dix ans. Je ne nie pas l'effort sur l'emploi et sur le soutien aux plus pauvres, mais les difficultés demeurent.

Je n'oublie pas non plus les difficultés d'accès au logement, notamment pour les primoaccédants en raison de l'envolée des taux d'intérêt : c'est un signal d'alarme. La prorogation du prêt à taux zéro ou le développement du bail réel solidaire sont des pistes.

Une réflexion devrait aussi être conduite pour des loyers du parc social plus adaptés.

Nous avons conscience des difficultés et des contraintes budgétaires, mais il s'agit là de vie quotidienne, voire d'urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Merci pour la précision de vos chiffres. Ce débat tombe à point nommé. Je ne me suis pas cachée derrière des données macroéconomiques, car je sais qu'il y a une inflation ressentie, notamment alimentaire. C'est à cette aune que je raisonne.

L'Insee a indiqué qu'en 2022, le pouvoir d'achat a été globalement préservé : avec nos mesures, il progresserait même de 1,2 %. Le taux de marge de nos entreprises - 32 % en 2022 - augmente de 0,5 point par rapport à 2018.

À la demande du Président de la République, nous travaillons d'arrache-pied avec Bruno Le Maire et la grande distribution pour trouver une solution juste. Ma proposition n'est pas parfaite, mais elle a le mérite d'exister : il y aura des contrepropositions. L'objectif est de payer moins cher à la caisse.

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce matin, une chaîne de télévision d'information continue parlait de mars comme le mois de tous les dangers. Je vous ai aussi entendue sur une chaîne d'information publique...

Bruno Le Maire avait promis une baisse des prix fin 2022. Nous sommes en 2023, et l'inflation pourrait ne se stabiliser qu'en 2025. La sagesse invite à relativiser les estimations, car les chocs économiques se multiplient.

Malgré le courrier que la Première ministre m'a adressé, je reste persuadé que les Français sont en grande difficulté, et mobilisé avec mon groupe contre la précarisation et les trappes à pauvreté que le Gouvernement refuse de voir. Nous sommes les porte-voix des plus modestes.

Je me réjouis donc que le Président Larcher ait accepté d'inscrire ce débat à notre ordre du jour dans le cadre des nouveaux débats d'actualité.

Aucune prime, aucun chèque ne remplacera une hausse juste et durable des revenus pour, seulement, maintenir le pouvoir d'achat. Vos aides ne suffiront pas face à la déflagration économique.

Votre dogmatisme du moins d'impôt n'est pas adapté au contexte. Ce qui ruisselle avec vous, c'est la pauvreté...Vos coupes budgétaires, comme la baisse de cinq euros des APL, pèsent sur le pouvoir d'achat des Français.

Ce qu'il faut aux Français, ce ne sont pas des chèques, mais une augmentation des salaires et la fin du désarmement fiscal. Mon groupe demande ainsi un Grenelle des salaires. Nous vous avons proposé, soutenus par des millions de Français et par certains parlementaires du centre, de taxer les superprofits. Tout le monde doit faire des efforts, y compris ceux qui ont tant profité du bouclier fiscal.

Ce qu'il faut aux Français, ce ne sont pas des aides ponctuelles, mais une vraie redistribution. Prenons garde : le désespoir est source de toutes les colères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Décembre noir, juillet vert, mars rouge... Un membre du Gouvernement n'a pas à choisir le Pantone des mois qui sont devant nous.

Oui, l'inflation est et restera soutenue. Nous faisons face à un choc inflationniste dont je ne sais pas prévoir la fin.

Vous vous dites porte-voix des plus modestes ; nous sommes des porte-actions, avec la revalorisation des minima sociaux, du point d'indice et de la prime d'activité.

Vous souhaitez une conférence sur les salaires... Jusqu'à preuve du contraire, l'État ne fixe pas les salaires et c'est très bien ainsi !

M. le président.  - Il vous revient de conclure le débat.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - Merci pour ce débat qui, malgré nos divergences, pointe un sujet d'inquiétude de nos concitoyens. Nous menons une action résolue depuis six ans pour protéger le pouvoir d'achat et revaloriser le travail.

J'entends avec humilité que nos actions paraissent insuffisantes à certains. Certes, le ressenti est majeur, mais n'oublions pas que nous sommes très en deçà de l'inflation que subissent nos voisins européens. Ce n'est peut-être pas un hasard, mais plutôt le fruit de la politique économique que nous menons depuis six ans.

Toutefois, en faisons-nous assez ? Non, nous n'en ferons jamais assez, notamment contre l'inflation alimentaire qui frappe les plus fragiles.

Attention, Monsieur Kanner, à ne pas alimenter la spirale inflationniste en indexant les salaires sur inflation, comme en Belgique où il n'y a pas de bouclier tarifaire. Cela peut avoir des conséquences sur la crédibilité de la signature du pays.

Avec la loi pour le pouvoir d'achat, nous avons amélioré le pouvoir de choisir de nos compatriotes, par exemple pour résilier un abonnement ou un contrat d'assurance ou de mutuelle. Cela peut permettre aux Français de retrouver un peu d'air.

Ministre de l'économie sociale et solidaire pendant deux ans, je puis vous assurer que nous avons été aux côtés des banques alimentaires. Mon collègue Jean-Christophe Combe a annoncé hier 60 millions d'euros en leur faveur. La Première ministre n'hésitera pas à faire plus si besoin.

C'est quand on se résigne que tout est perdu, disait Michelet... Je ne suis pas près de me résigner ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC)

Mise au point au sujet d'un vote

M. Vincent Capo-Canellas.  - Au scrutin public n°134, M. Hervé Maurey souhaitait voter pour.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Lutte contre les violences pornographiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe UC.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements) Pornographie, l'enfer du décor, ou comment résumer en cinq mots l'horreur décrite par notre rapport. L'industrie pornographique prospère en irriguant la toile de contenus illicites.

Avec mes trois collègues, nous avons pour la première fois dans l'histoire parlementaire enquêté sur la réalité de l'industrie pornographique. Nous avons entendu notamment, à huis clos, les victimes de l'affaire dite French Bukkake, qui a brisé la vie de dizaines de femmes.

Nous avons analysé les principaux contenus, disponibles gratuitement et sans aucun contrôle.

Il faut sortir de toute vision datée, édulcorée du porno. Aujourd'hui, c'est dégradant, violent, humiliant. Les scènes où un ou plusieurs hommes font subir des violences sexuelles à une femme sont la norme. Le porno, ce n'est pas du cinéma. Dans ces violences, il n'y a pas d'effets spéciaux, tout est vrai.

Notre rapport a eu un écho important en France et à l'international, suscitant une onde de choc dans l'opinion.

Le nombre record de cosignataires, 255, montre à quel point le rapport contribue à une prise de conscience collective. Nos propositions sont sur la table, le Gouvernement doit s'en saisir. (Applaudissements)

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'évoquerai la dimension industrielle du porno. Il s'agit en effet d'une industrie mondialisée, dont nous avons examiné toute la chaîne : recrutement, tournage, diffusion, puis influence sur la société.

La production est de plus en plus violente et volumineuse, notamment sur internet, plus du quart du trafic vidéo mondial. Une recherche sur huit sur un ordinateur, une sur cinq sur un mobile ! La France est l'un des pays les plus consommateurs.

Le porno est générateur de violence systémique envers les femmes. Nous parlons d'actes sexuels non simulés. Or 90 % des scènes contiennent des violences, bien réelles. Les passerelles sont nombreuses avec la prostitution, avec des méthodes de recrutement similaires. Ce sont souvent les mêmes femmes fragiles qu'on exploite.

Enfin, pour la première fois en France, des violences dans le cadre d'un tournage sont poursuivies pour viol, viol aggravé, actes de torture et de barbarie, traite d'êtres humains et proxénétisme.

La lutte contre ces violences doit devenir une priorité de politique publique. L'omerta doit cesser. Il est temps de mettre fin au déni et à la complaisance. Nous avons besoin de votre engagement, madame la ministre et attendons beaucoup du Gouvernement.

Le porno est toxique non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les hommes adultes qui ne sont plus en état d'avoir une sexualité normale. (Applaudissements)

Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Pornographie, l'enfer du décor : un jeu de mots pour arrêter de jouer avec les plus fragiles. Jusqu'où ira la surenchère malsaine ?

Deux tiers des moins de quinze ans et un tiers des moins de deux ans ont déjà eu accès à des images pornographiques : triste réalité, car cette situation est illégale.

Depuis la loi du 30 juillet 2020, grâce à Marie Mercier, les sites ont la responsabilité de s'assurer de l'âge de ceux qui les consultent, mais ils restent accessibles sans aucune vérification. Pire, les réseaux sociaux banalisent des pratiques violentes considérées comme la norme. Il y a un effort à fournir en matière de prévention envers les enfants et les parents. Le porno peut aussi avoir un impact sur les adultes et sur leur représentation des femmes et de la sexualité. Nous avons proposé un dispositif d'attestation de la majorité reposant sur le double anonymat.

Les témoignages sont glaçants, non seulement ceux des victimes, mais aussi d'enfants d'un collège à quelques encablures d'ici, qui croient que le corps peut être une monnaie d'échange.

Il est temps d'ouvrir les yeux : ne soyons pas complices de cette triste réalité. (Applaudissements)

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements) Le Sénat peut être fier de ce rapport, véritable pavé dans la mare qui met les pratiques de l'industrie pornographique à l'agenda du Gouvernement. L'opinion a été sensibilisée : notre rapport pionnier est une réussite.

Nous attendons des suites concrètes à nos 23 recommandations. Nous proposons de faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité des politiques publiques et pénales, de faciliter la suppression des contenus illicites et le droit à l'oubli, de bloquer l'accès des mineurs avec un système de vérification d'âge et de renforcer l'éducation des jeunes à la sexualité et la sensibilisation des parents, éducateurs et professionnels de santé. Il faut un plan interministériel avec des mesures fortes dans ces quatre domaines.

Des moyens adaptés et nouveaux sont nécessaires, notamment des enquêteurs et des magistrats. Il faut également explorer toutes les mesures fiscales permettant de taxer l'industrie pornographique dont les profits se comptent en milliards d'euros chaque année.

Nous revendiquons un pouvoir de nuisance à l'égard de cette industrie : les violences systémiques qu'elle induit doivent cesser ! Nous sommes tous et toutes concernés. (Applaudissements)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC) La pornographie est un business lucratif. Difficile d'avoir des statistiques précises, mais les volumes d'affaires se chiffrent en milliards d'euros. Quelques plateformes concentrent l'activité, avec des sièges sociaux souvent situés dans des paradis fiscaux.

La consommation de ces contenus est massive, représentant le quart de la bande passante d'internet. Ces sites sont parmi les plus consultés. Hélas, la France occupe la quatrième place mondiale pour la consommation.

La massification et la banalisation de la pornographie poussent à des pratiques de plus en plus extrêmes, sans consentement réel des personnes. Les productions doivent être encadrées par des règles, notamment avec des médiateurs du consentement.

M. Loïc Hervé.  - C'est ça le sujet !

Mme Véronique Guillotin.  - Les abus touchent particulièrement l'industrie amateur, sans aucune garantie pour les jeunes femmes. La pornographie professionnelle n'est pas non plus exempte de critiques. Les actrices demandent à être reconnues, avec agence et syndicat professionnel.

Compte tenu de ses effets, la pornographie n'est pas un produit de consommation comme les autres. L'accès à la pornographie est interdit pour les mineurs, mais le contrôle de l'âge est une difficulté réelle. Un dispositif de certification est en cours d'élaboration. La loi du 2 mars 2022 sur le contrôle parental a-t-elle produit des effets ?

Pour les adultes, les effets de la pornographie ne sont pas à négliger : ils déforment la vision de la sexualité.

Il faut agir contre les dérives de cette industrie. Le RDSE votera la proposition de résolution. (Applaudissements)

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte, dont je salue les quatre auteures, est important, car la pornographie est trop accessible et trop peu régulée.

L'univers des vidéos pornographiques est sordide. Elles sont souvent tournées dans des conditions ignorantes de la dignité humaine. La femme est réduite à de la chair à canon pour des pornocrates sans scrupule.

Certains considèrent la pornographie comme la version modernisée de la sexualité, mais la pornographie n'est pas la sexualité, découverte partagée de l'intimité complice. Or ces vidéos influencent le comportement des jeunes et véhiculent une culture du viol. Les traumatismes psychologiques et physiques qui résultent sont graves. Les réseaux sociaux y contribuent en banalisant l'image des corps dénudés et le revenge porn.

Il faut éduquer et réguler, mais aussi mieux réprimer ce fléau. Le rôle des parents est décisif, tout comme celui de la communauté éducative et des associations. La prévention nécessite plus de détermination et de moyens humains.

Il faut aussi une politique coercitive plus forte contre les auteurs de contenus illicites. La loi du 30 juillet 2020 sur les violences conjugales a constitué une étape importante et je salue l'engagement de Marie Mercier pour la protection de l'enfance.

C'est à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qu'incombe la responsabilité de faire respecter l'interdiction de l'accès des mineurs aux sites pornographiques, le blocage et le déréférencement de certains sites. Mais les responsables de ces sites se sont lancés dans une bataille juridique acharnée, où l'indécence n'a pas de limite. Les pouvoirs de l'Arcom dans la constatation des infractions doivent être renforcés, avec des sanctions administratives dissuasives.

Le dispositif de vérification de l'âge de l'internaute annoncé par le Gouvernement répond aux recommandations de notre délégation.

L'éducation à la vie sexuelle et affective doit être renforcée, avec plus de professionnels formés dans les établissements scolaires.

C'est ainsi que nous pourrons faire échec aux violences pornographiques et permettrons à nos enfants de vivre sereinement leur passage à l'âge adulte.

Je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements)

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.) Quel parent ne s'est jamais interrogé sur les contenus auxquels ses enfants sont exposés ? Les contenus pornographiques, bien trop accessibles, inquiètent particulièrement.

Les conditions de tournage de ces vidéos interrogent moins. Pourtant elles sont souvent extrêmement violentes, comme le montre le rapport bouleversant de nos collègues, qui ont mis en évidence un système d'abus de faiblesse et d'exploitation barbare des femmes.

La pornographie est un genre de cinéma très particulier : les actes sont non pas feints, mais accomplis, parfois sans consentement. Dans bien des cas, on ne peut plus parler de cinéma. Il faut condamner fermement toute forme de violence commise contre les acteurs.

Le secteur amateur se développe considérablement à la faveur des réseaux sociaux, des messageries privées et des plateformes gratuites dédiées. Les tournages se déroulent parfois dans des conditions inhumaines. Certains producteurs tentent de mettre en place des pratiques respectueuses, mais ils sont très minoritaires.

Nous devons renforcer la protection des mineurs face à ces contenus, pour lesquels une simple déclaration de majorité suffit. Aujourd'hui, 62 % des jeunes ont déjà vu des images pornographiques avant 15 ans, 31 % avant 12 ans, et un enfant de primaire sur deux y a déjà été exposé... Il faut un véritable contrôle de l'âge.

La piste envisagée s'appuie sur des tiers de confiance, dont la validité aura été vérifiée de manière indépendante. Mais aucun système n'est parfait. Choisissons la moins mauvaise solution, dans le cadre d'un débat démocratique.

Enfin, il faut renforcer les moyens de lutte contre la pédopornographie. Il est inconcevable que de tels contenus soient encore librement accessibles. L'arsenal pénal doit être renforcé.

Nous espérons que ce texte sera suivi de mesures concrètes. Le groupe INDEP le votera. (Applaudissements sur quelques travées des groupes CRCE et SER)

Mme Monique de Marco .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER) À quoi bon éduquer au consentement si les contenus pornos ne le respectent pas ? Des plaintes pour viol, violences aggravées et actes de torture ont été déposées dès 2020 et sont en cours d'instruction.

Je salue l'initiative des quatre auteures de ce rapport.

De jeunes productions offrent des contenus moins marqués par des rapports de domination et destinés à un public plus large, notamment féminin, mais la protection n'est pas satisfaisante pour les personnes engagées. Il est urgent de faire appliquer le droit existant, compte tenu de l'influence de ces contenus sur les mineurs.

Même s'il n'est pas le seul à véhiculer des rapports de domination, le secteur doit prendre sa part de responsabilité. On assiste à un net retour des conceptions sexistes chez les jeunes : 23 % des jeunes de 25 à 35 ans considèrent qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter en tant qu'homme, alors que seule la moitié d'entre eux estime que l'image des femmes véhiculée par la pornographie est problématique.

L'Arcom dispose de trop faibles moyens d'action. À ma proposition d'écran noir en cas d'absence de vérification de la majorité de l'utilisateur, le président de l'Arcom, entendu en commission, a répondu en rappelant les campagnes de communication menées, pourtant insuffisantes.

Notre réflexion législative doit se poursuivre. Il faut s'assurer que les contenus sont produits dans des conditions respectueuses de la dignité humaine : les manquements doivent être sanctionnés, les victimes accompagnées et les productions plus respectueuses soutenues. Il faut garantir que les contenus pour adultes sont réservés aux adultes, en adaptant les outils de contrôle dans le respect de la protection des données personnelles. J'espère que le dispositif envisagé par le Gouvernement sera efficace. Enfin, il faut renforcer l'éducation à la sexualité par l'Éducation nationale.

La consommation de porno n'est qu'un aspect de la liberté sexuelle. Il existe des sexualités heureuses sans porno. Dans Totem et Tabou, Freud écrivait que le besoin sexuel, loin d'unir les hommes, les divise. Dépassons ces divisions en respectant toutes les sexualités et toutes les dignités. (Applaudissements)

Mme Samantha Cazebonne .  - Selon le rapport annuel sur l'état des lieux du sexisme en France de 2023, seuls 48 % des hommes de 15 à 34 ans considèrent que l'image des femmes véhiculée par les contenus pornographiques est problématique ; ce chiffre monte à 79 % chez les hommes de 65 ans et plus.

Ce constat est alarmant, d'autant que 90 % des scènes pornographiques sont violentes. Comment se fait-il que des images de violence choquent moins les jeunes ? Comment agir contre le sexisme ? Comment mieux protéger les femmes ?

La délégation aux droits des femmes a réalisé un travail inédit. Pour endiguer cette industrie qui représente 25 % du trafic web mondial, il faut en comprendre les enjeux. Ce travail parlementaire nous offre une vision plus claire des mesures à prendre pour protéger les femmes et les mineurs.

La régulation est difficile. La loi de 2022 sur le contrôle parental rend obligatoire la préinstallation d'un tel dispositif, activé gratuitement dès la première mise en service. Le Gouvernement a lancé une campagne de communication il y a quelques semaines. La plateforme de prévention et d'information jeprotègemonenfant.gouv.fr propose outils et conseils aux parents. Le rapport sur l'éducation à la sexualité de 2021 dresse un état des lieux de cette politique publique. Il préconise notamment d'introduire des notions liées à la sexualité dans l'enseignement de plusieurs disciplines.

Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel mènent un travail interministériel sur la vérification d'âge : une expérimentation fondée sur le double anonymat est en cours, à la suite d'un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Protéger avec justesse, c'est l'objet de cette proposition de résolution. Une prise de conscience collective s'impose. Mieux informer, protéger les victimes, former les différents intervenants est essentiel. Il faut aussi créer une catégorie « violences sexuelles » sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Il convient aussi de bloquer tout site ou réseau proposant des contenus pornographiques sans contrôle d'âge et de mettre en oeuvre les trois séances annuelles d'éducation à la vie sexuelle et affective prévues à l'école.

Ce texte vise à aller au-delà d'un mot connu de nous : la pornographie. Nous voterons ce texte important. (Applaudissements)

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Perversion partout, respect nulle part : l'industrie pornographique organise un monde parallèle où la violence et les sévices sont la norme, installant une vision sordide de la sexualité. C'est une machine à cash générant des milliards d'euros chaque année dans le monde, et exposant massivement les jeunes à ces contenus. Les chiffres donnent le vertige : un tiers des garçons et un quart des filles de moins de treize ans, mais aussi la quasi-totalité des garçons - 95 % - et une large majorité des filles - 86 % - de moins de 18 ans ont vu de tels contenus, alors que la loi interdit l'accès des mineurs aux contenus pornographiques.

Nous connaissons leurs effets dévastateurs tels que la multiplication des attouchements, des visionnages subis, souvent par les filles, dans l'ignorance quasi totale des parents.

Chez les adolescents, la rencontre avec la brutalité du porno précède la construction de l'imaginaire sexuel. Ce sont tous les possibles des rapports amoureux qui sont balayés par cette blessure aux conséquences délétères, comme un apprentissage au non-consentement.

Il ne semble pas y avoir de limites : apologie du viol, addictions à des contenus érigeant la domination masculine en modèle. Quelque 90 % des scènes peuvent être qualifiées d'acte de torture et de traite d'êtres humains : des femmes sont piégées, sans avoir aucune idée de la violence des actes qu'elles allaient subir.

La rapide évolution de l'industrie pornographique grâce à l'essor d'internet a créé des opportunités pour des acteurs sans scrupule voulant faire fortune, aidés par des pouvoirs publics aveugles et sourds. Des empires sont créés faute de cadre légal ou de surveillance. L'esclavage sexuel se développe dans ce monde parallèle qui prospère, sans que les victimes ne puissent obtenir justice. Pas moins de 19 millions de visiteurs par mois, dont 2 millions d'adolescents : ce marché colossal provoque l'arrivée de nouveaux acteurs, entraînant une passerelle avec une forme de proxénétisme particulier, celle du viol sur commande d'une femme pensant participer au tournage d'une vidéo pornographique.

Quelle société résultera demain de notre inaction ? Il faut agir sans tarder, avec volontarisme, élargir les prérogatives de l'Arcom, élargir la plateforme Pharos aux violences sexuelles. La lutte contre la marchandisation du corps des femmes doit être une priorité publique absolue. Inquiétons-nous du rôle joué par la consommation massive de pornographie et saluons le travail nécessaire et courageux de la délégation aux droits des femmes : le groupe SER votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Annick Billon, M. Jean-Michel Arnaud et Mme Alexandra Borchio-Fontimp applaudissent également.)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Un principe de réalité s'impose : la pornographie est omniprésente et contribue à la culture du viol et à la normalisation de la violence sexuelle. Les images dégradantes qui sont diffusées ont un impact sur la manière dont hommes et femmes se perçoivent. Une industrie opaque et mondialisée exploite et objective les corps des femmes et des minorités de genre. Le porno se nourrit des discriminations de genre pour générer des milliards d'euros de profits. Les femmes et les minorités sont souvent reléguées à des rôles stéréotypés et dégradants, alors que le mythe de la performance masculine est surreprésenté.

Pointons du doigt cette industrie sans scrupule, dans laquelle des actrices sont victimes d'exploitation, de harcèlement et de violences, dont les répercussions sont néfastes tant pour les acteurs que pour les spectateurs : infections sexuellement transmissibles (IST), stress post-traumatique pour les actrices, troubles de la personnalité, problèmes de santé mentale pour les spectateurs, entre autres. Prenons la mesure de ces effets nocifs, fournissons des ressources pour éduquer sur les dangers de la pornographie et sur les moyens d'y résister. Promouvons une éducation sexuelle mettant en avant la diversité des identités de genre, la dignité et l'autonomie de chacun, et lutte contre les stéréotypes sexistes et homophobes.

Deux tiers des moins de 15 ans ont déjà visionné des images pornographiques, et 2,3 millions de jeunes de moins de 18 ans en visionneraient tous les mois.

Luttons contre l'exploitation des actrices, en créant des espaces sûrs et égalitaires : les violences systémiques doivent cesser.

En France, la justice commence à ouvrir les yeux : l'affaire French Bukkake a permis de poursuivre, pour la première fois, des acteurs pour viol. Les actrices pornographiques ne sont pas des citoyennes de seconde zone, et il faut mieux former les policiers au recueil de leurs plaintes. Le droit à l'oubli doit être respecté, alors que certaines ont dû débourser 5 000 euros pour le retrait de vidéos en ligne. Madame la ministre, que comptez-vous faire ? La violence est un problème de société qui demande des réponses collectives. Adoptons cette résolution pour que la lutte contre la pornographie soit érigée en priorité des politiques publiques. Nous devons tous partager cette responsabilité : le CRCE, dont l'ensemble des membres est signataire de cette proposition de résolution, la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Jean-Yves Roux et Mme Alexandra Borchio-Fontimp applaudissent également.)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comme tous mes collègues, je salue le travail exceptionnel de la délégation aux droits des femmes, en particulier celui des auteurs du rapport d'information Porno : l'enfer du décor, dont émane cette proposition de résolution. Ce travail était pionnier, aussi incroyable que cela paraisse.

La représentation nationale ouvre enfin les yeux contre les préjugés les plus répandus, et c'est à l'honneur de notre Haute Assemblée : il était temps ! Je soutiens chaque considérant de cette proposition de résolution dont je suis cosignataire.

Une loi suivra sans doute notre travail : des mesures pragmatiques et efficaces devront être prises. L'interdiction de la pornographie sera peut-être proposée par certains collègues, mais la prohibition provoquerait la bascule vers la contrebande et la mafia, avec des maux pires qu'actuellement.

Existe-t-il une pornographie éthique ou morale ? Est-ce notre rôle de répondre à cette question ? Je préconiserai un chemin de crête, de conviction : tout reste à faire pour encadrer la pornographie.

La seule pornographie qui peut exister doit respecter la loi comme les personnes humaines, et en particulier les femmes. Aucune tolérance contre les viols, les abus de faiblesse, la prostitution, le proxénétisme. Dans une décision du 18 mai 2022, la Cour de cassation a refusé d'étendre la notion jurisprudentielle de prostitution à l'activité de caming qui propose, contre rémunération, la diffusion de vidéos à contenu sexuel.

Pour séparer le bon grain de l'ivraie, un cadre doit être créé. Deux types de problèmes existent : ceux liés aux personnes qui font la pornographie, et ceux liés aux spectateurs. La protection sur les tournages et l'amélioration des conditions de travail sont la seule solution pour se prémunir des crimes qui sont à l'origine de la prise de conscience.

Le problème de l'accès de nos enfants à ces contenus soulève celui du contrôle de l'âge par les plateformes. La Cnil a formulé des propositions comme la régulation des messageries instantanées, qui sont également un champ important. Le groupe UC votera la proposition de résolution sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

Mme Esther Benbassa .  - Le ministre en charge du numérique, Jean-Noël Barrot, déclarait que 2023 marquerait la fin de l'accès aux sites pornographiques pour les enfants. À 12 ans, un tiers des enfants a été exposé à ce type de contenu. L'interdiction d'accès des sites aux mineurs manque sa cible, quand il suffit de cliquer que l'on est majeur. Conscient de cette faille, le Gouvernement prévoit une phase de test pour bloquer toute consultation de site pornographique par les mineurs.

La jeunesse est trop souvent confrontée à des contenus violents, qui font la promotion de l'acte sexuel forcé, alors que plus d'un tiers des femmes subissent des violences lors de leurs rapports sexuels. Comment agir ?

La corrélation entre violence sexuelle et pornographie s'observe déjà dans les conditions de travail des actrices. Nous avons échoué à dissiper les flous juridiques : comment protéger les actrices ? Il s'agit non d'interdire le porno, mais d'exiger le consentement, de garantir la dignité des actrices, et de sanctionner les producteurs encourageant la violence. Le problème n'est pas français, mais international, et l'Europe devrait s'en saisir. Encadrer et punir ne suffit pas. Comme le suggère Amia Srinivasan, professeure d'Oxford, le sexe peut « devenir quelque chose de plus joyeux, de plus égalitaire, de plus libre ». (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Valérie Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pendant six mois, la délégation aux droits des femmes a travaillé sur l'industrie de la pornographie. Je remercie sa présidente et les rapporteures pour ce travail de fond. Votre travail fait avancer les mentalités, mais aussi le droit : avec plus de 250 cosignataires, dont sept présidents de groupes, le Sénat a pleinement conscience de l'importance du sujet.

Cette industrie réalise un hold-up sur l'intimité et le développement des plus jeunes. Dès 2018, j'avais entendu à l'Assemblée nationale Robin d'Angelo, auteur de Judy, Lola, Sofia et moi qui, pendant un an, s'était infiltré dans le milieu du porno amateur, incarné par Jacquie & Michel, et qui a dénoncé l'absence récurrente de consentement, le non-respect du droit du travail, des pratiques contraires à la dignité humaine, et « une forme de normalisation de la violence » qui conduit à des abus. Ces actes éclatèrent au grand jour en 2020, avec l'ouverture d'une information judiciaire contre la plateforme French Bukkake : les viols répétés, l'intimidation, l'utilisation de drogues, les tests VIH falsifiés, le racket pour retirer les vidéos ont été documentés par le Parquet. Une deuxième information judiciaire a été ouverte contre Jacquie & Michel, pour complicité de viol et traite d'êtres humains en bande organisée.

La police et la justice portent désormais une plus grande attention aux victimes, alors que près de 220 000 vidéos sont vues chaque minute sur ces plateformes. Ayons le courage de dire que les méthodes de cette industrie prospère relèvent de la traite d'êtres humains, comme en témoignent la soumission par le viol, le chantage exercé et l'inversion de la culpabilité. Les actes d'agression voire de torture doivent être lourdement condamnés. Nous ne pouvons fermer les yeux et tolérer ce qui se passe dans cette industrie. Le Sénat propose notamment de faire des violences sexuelles dans un cadre pornographique un délit d'incitation à une infraction pénale ; de favoriser l'émergence des plaintes des victimes et d'améliorer leur accueil par les forces de l'ordre, notamment en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique ; d'augmenter les effectifs et les moyens matériels des enquêteurs et des magistrats ; et de s'attaquer aux plateformes de diffusion.

N'oublions pas que ces femmes doivent se reconstruire. Portons ce message aux victimes exploitées, pour plus de liberté et surtout de fraternité. Protégeons la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

M. Serge Mérillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dans l'enfer des films pornos, le non n'existe pas, le oui est la norme. La réalité semble dépasser la fiction : ce rapport au non-consentement s'immisce dans le cerveau des consommateurs, diffusant une sexualité filmée par des hommes pour des hommes, vision violente et brutale où les femmes sont des objets dont on peut disposer sans limites, où les coups remplacent les caresses. C'est à cette conception particulière de la sexualité que nos enfants sont exposés : c'est le triste constat tiré par les auteurs de cette proposition de résolution. Deux tiers des enfants de moins de quinze ans et un tiers des moins de douze ans ont eu accès à de tels contenus. Avec le numérique, chaque adolescent peut être exposé, car l'accès n'est conditionné qu'à un clic, rempart en carton facilement franchissable par quiconque sachant se servir d'une souris.

Mais cela n'est pas sans conséquences pour le développement de cerveaux en plein développement : avec la pornographie, la première approche de la sexualité est parfois celle d'un viol en réunion ou autre expérience hardcore. L'impact sur les enfants de la représentation de la sexualité est indéniable et destructeur : traumatismes, troubles du sommeil, vision déformée de la sexualité basée sur les rapports de domination entre les individus, véhiculant des préjugés racistes, homophobes et transphobes que nous devons combattre.

Lutter contre ces pratiques n'est pas simple, d'autant plus que les parents pensent être au courant, alors que les jeunes sont exposés de toutes parts, par Snapchat ou les réseaux sociaux.

L'exposition d'un mineur à un contenu pornographique est un délit : durcissons les conditions d'accès aux plateformes. Il faut améliorer la sensibilisation des enfants et l'information des parents. Le seul modèle ne doit pas être la pornographie, et l'État a un rôle à jouer. Le groupe SER votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, du GEST et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La lutte contre le porno pour les jeunes est une priorité publique, comme le montre le rapport de la délégation aux droits des femmes. Ces contenus à disposition sur tout ordinateur ou téléphone diffusent des images dégradantes, pour le plus grand bénéfice d'une industrie prospère.

Le groupe UC votera cette proposition de résolution afin de protéger notre jeunesse.

La plateforme Pharos est un outil unique en Europe. Elle dispose de moyens adaptés pour limiter l'accès à de tels contenus, sous le contrôle d'une personnalité qualifiée. Le travail de ses agents est exemplaire, mais les moyens de Pharos doivent être renforcés : le travail de la personnalité qualifiée est très éprouvant, il faudrait plutôt une structure collégiale.

Le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) a récemment été voté par l'Union européenne : les autorités peuvent demander aux fournisseurs d'agir contre les contenus illicites. Toutefois, je regrette que les progrès soient encore limités dans ce domaine. Comme nous l'a dit la lanceuse d'alerte Frances Haugen, Facebook privilégiera toujours le profit par rapport à la sécurité des enfants.

Le 15 février dernier, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants. Nous proposions, avec Ludovic Haye et André Reichardt, de renforcer les sanctions de la Commission européenne, dans une logique de name and shame.

Je remercie les auteurs de la proposition pour leurs suggestions notamment l'instauration d'un contrôle parental par défaut : elle complète notre travail.

La lutte contre la pédopornographie doit être renforcée : en 2021, Europol a démantelé le réseau Boystown qui comptait 400 000 utilisateurs sur le darkweb. L'Union européenne détient le triste record d'être le premier hébergeur de contenus pédopornographiques dans le monde. Sur 150 000 contenus litigieux visionnés par Maître Pécaut-Rivolier, personnalité qualifiée de Pharos, 70 % étaient à caractère pédopornographique.

Mme le président.  - Veuillez conclure...

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Il y a urgence à agir ! La France doit être le fer de lance de cette action. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées des groupes CRCE et SER)

Mme Marie Mercier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En quelques clics, les petits Marceau, Lou, Noé peuvent consulter des contenus pornographiques même s'ils contiennent des images violentes. Les conséquences sur leur développement affectif et sexuel sont innombrables. Ils ne peuvent pas consulter les sites payants, mais les sites gratuits !

En 2020, le Sénat était saisi d'une proposition de loi visant à lutter contre les violences conjugales. En tant que rapporteure, j'avais proposé au Sénat d'instituer une nouvelle procédure visant à obliger les éditeurs de sites pornographiques à contrôler l'âge de leurs clients. Mon amendement a été voté le 10 juin 2020 à l'unanimité et donne à l'Arcom de nouvelles prérogatives.

Quel bilan en tirer ? Le décret d'application n'a été publié que le 7 octobre 2021. Cinq sites pornos sont sommés de se plier à la loi, mais les mises en demeure sont restées sans effet malgré plus de 500 constats d'huissier. En septembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Paris est saisi d'une demande de blocage des sites et enjoint à l'Arcom de rencontrer un médiateur ! Le 5 janvier 2023, la Cour de cassation rejette les arguments des industriels qui ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité. L'Arcom, confrontée aux manoeuvres dilatoires des sites, a mis fin à cette médiation inutile.

Le ministre Barrot a annoncé l'expérimentation d'un système de vérification d'âge. Cela laisse perplexe : jusqu'à quand allons-nous tester ? En attendant, que fera la justice ? Pendant ce temps, les mineurs peuvent continuer à regarder la pornographie gratuite. Or mon amendement obligeait les éditeurs à vérifier l'âge.

Mme Annick Billon.  - Bravo !

Mme Marie Mercier.  - Après une intervention, les pompiers évaluent le sauvé. Depuis l'adoption de cette loi, quel est le sauvé ? La loi n'est pas appliquée ! Le sauvé, c'est zéro, madame la ministre ! Je vous laisse juge ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SER)

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances .  - Je tiens à remercier les sénatrices Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol pour la qualité de leur travail. Vos travaux contribuent à faire évoluer les mentalités : le Parlement se saisit pour la première fois de ce sujet.

Vous avez fait preuve d'une grande force en écoutant l'effroyable récit des victimes. « Sexe brutal », « ado amateur », « ado vierge »... autant de termes les plus fréquemment recherchés sur internet. Ce sont non pas des fantasmes, mais bien des crimes punissables de la réclusion criminelle à perpétuité !

Des milliers de femmes sont abusées : elles sont condamnées à vivre un cauchemar chaque fois qu'un utilisateur appuie sur play. Nous devons agir pour ces victimes de la violence de l'industrie pornographique, qui répond à la demande de certains consommateurs.

Or la réponse pénale ne suffit pas : sensibilisons les plus jeunes aux dérives de la pornographie. Sur 19 millions de visiteurs de site pornographique chaque jour, il y a 1 million d'adolescents entre 15 et 18 ans et 1,2 million d'enfants de moins de 15 ans !

L'accès à ces sites est le premier aperçu de la sexualité pour ces jeunes, qui peinent à construire leur future sexualité. Croyez-en la magistrate que je suis : c'est un terreau favorable pour les violences faites aux femmes.

L'école de la République doit être le lieu de l'éducation à la sexualité : la loi prévoit trois séances annuelles. Avec Pap Ndiaye, nous avons fait de l'application de cette loi l'une de nos priorités et pris le problème à bras-le-corps. Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche de 2021 et un vade-mecum sur l'éducation à la sexualité ont été publiés ; depuis quelques semaines, un groupe de travail interministériel actualise le contenu des formations et les ressources pédagogiques.

Notre message éducatif doit être suffisamment puissant pour mettre un terme à l'idéologie patriarcale diffusée non seulement par les sites, mais aussi sur les plateformes Twitter, Meta, TikTok ou Snapchat.

Avec cette proposition de résolution, nous exprimons une position claire. Sur mon initiative, des discussions sont en cours pour définir des mesures fortes contre les diffuseurs, qui ne pourront plus se cacher derrière un prétendu vide juridique.

Un contrôle efficace de l'âge de l'internaute doit enfin être instauré, grâce à l'engagement de mes collègues du Gouvernement. Le décret prévoyant le contrôle parental sur tous les terminaux sera publié prochainement.

En outre, le site jeprotègemonenfant.gouv.fr fournit des informations utiles aux parents.

Renforçons également les prérogatives de l'Arcom, notamment en facilitant le retrait des images publiées à l'insu des personnes.

La collaboration internationale est essentielle : j'étais hier en Suède et nous allons approfondir notre coopération.

En votant cette proposition de résolution, vous soutiendrez l'action du Gouvernement et vous aiderez les victimes à ne plus se sentir seules face à cette industrie violente.

Faisons face ensemble à cette responsabilité qui est la nôtre ! (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes CRCE et SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements)

Mme Laurence Cohen.  - À l'unanimité !

Élus locaux au sein du service public de l'assainissement francilien

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à renforcer la voix des élus locaux au sein du service public de l'assainissement francilien, présentée par Mme Marta de Cidrac et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) La proposition de loi de Marta de Cidrac répond à un problème de fonctionnement réel du syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap), notamment dans ses relations avec les communes hébergeant une de ses installations ou se trouvant à proximité.

Cette lacune est apparue lors de différents incidents survenus au sein de l'usine Seine Aval ou lors de la fuite de quatre tonnes de biogaz en octobre 2022.

Des élus des Yvelines et du Val-d'Oise pointent à juste titre un manque d'information. En matière d'assainissement, la région parisienne est dotée d'une organisation spécifique, dont les membres statutaires sont le département de Paris et les départements de la petite couronne.

La conférence d'information annuelle de l'assainissement de l'agglomération parisienne n'est pas suffisante pour répondre aux attentes des élus locaux : elle ne se réunit qu'une fois par an et elle ne traite pas des sites sensibles tels que les stations d'épuration.

Faisons évoluer cette situation, car les élus locaux sont toujours en première ligne devant nos concitoyens en cas de problème. Certes, le président du Siaap a reconnu un manque d'information, mais ses actions ne sauraient suffire.

La proposition de loi a emporté la complète adhésion de la commission des lois, qui a toutefois amélioré son caractère opérationnel.

Son effectivité juridique a été renforcée en précisant son champ d'application : les communes de l'Essonne, de la Seine-et-Marne, du Val-d'Oise et des Yvelines ne bénéficient pas des mêmes pouvoirs que les collectivités territoriales membres du Siaap. Liées au syndicat par des conventions, elles ne siègent pas aux organes de gouvernance.

La commission a choisi de préserver la gouvernance du Siaap, qui remplit correctement ses missions. Plutôt que d'octroyer une voix délibérative aux collectivités territoriales siégeant au conseil d'administration de l'organisme, tel que prévu par la proposition de loi initiale, elle a préféré leur attribuer une voix consultative, ce qui répondra aux attentes des élus tout en maintenant les équilibres existants.

Le texte améliore l'information de tous les conseillers municipaux des communes concernées grâce à deux mécanismes distincts : ils sont destinataires de la convocation, des documents annexes et de la liste des délibérations, et bénéficient d'un droit à l'information sur les affaires du Siaap ayant une incidence directe ou indirecte sur des installations de leur territoire.

J'ai mené mon travail en parfaite coopération avec Marta de Cidrac, que je remercie chaleureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Le Siaap, créé en 1970, est chargé du traitement des eaux usées de 287 communes rassemblant plus de 9 millions d'habitants. Le Siaap est un établissement public administratif et son conseil d'administration est constitué de 33 représentants : 12 pour Paris et 7 pour chacun des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Ce texte prévoit la présence des élus des communes accueillant un équipement géré par le Siaap au sein du conseil d'administration avec voix consultative.

À la suite d'une mission conduite par le préfet Gaudin, une conférence de l'assainissement a été créée en vue de renforcer l'information. Les commissions de suivi de site sont aussi des lieux d'échange et d'information.

Initialement, le texte comportait des fragilités, corrigées par un amendement de la rapporteure qui impose une double condition pour le droit à l'information : que la commune appartienne à un département non membre du Siaap et qu'elle accueille une station gérée par le Siaap. Cette évolution limitera les problèmes, même si une révision des statuts, plutôt qu'une modification de la loi, semblait préférable au Gouvernement. Toutefois, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Ce texte vise à renforcer la voix des élus locaux au sein du Siaap qui gère l'assainissement pour quatre départements de la petite couronne.

Depuis sa création en 1970, son champ d'action s'est étendu grâce à des conventions avec 187 communes. Toutefois, celles-ci ne participent pas à la gouvernance du Siaap. Cette situation est inacceptable pour les élus locaux concernés, car ils ne peuvent exercer leur mandat ni être un relais auprès des habitants, surtout lorsque des incidents majeurs se produisent, comme dans la station Seine Aval.

Je tiens à remercier les cosignataires de ce texte qui rassurera les élus et améliorera leurs relations avec le Siaap, ainsi que le président de la commission des lois et la rapporteure Catherine Belrhiti, dont je salue l'écoute. La rédaction adoptée par la commission est une première réponse aux demandes des élus locaux, en leur assurant une voix consultative au conseil d'administration. Rien de plus normal.

Un regret, toutefois : le sous-amendement de Jacqueline Eustache-Brinio n'a pas été adopté en commission, malgré l'avis favorable de la rapporteure. Il ouvrait aux communes sans station d'épuration les droits ouverts par le texte, en substituant le critère de risque au critère géographique.

La rédaction équilibrée qui a été trouvée, tenant compte des réserves exprimées au cours des débats en commission, me convient. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - Depuis 1970, le Siaap transporte et dépollue les eaux usées, pluviales et industrielles de plus de neuf millions d'usagers. Les risques liés aux stations d'épuration pour la santé des populations avoisinantes ne sont pas négligeables : en témoigne l'incendie de juillet 2019 dans la station d'Achères, qui a occasionné une grave pollution de la Seine. Les photos de poissons asphyxiés ont marqué l'opinion publique. D'autres incidents se sont produits récemment : ainsi, en octobre dernier, les élus ont dû attendre plusieurs jours pour apprendre la fuite de quatre tonnes de méthane dans les Yvelines.

Il convient donc de rétablir la confiance avec les élus et la population. Pour cela, ce texte facilite la transmission d'informations et implique davantage les élus, la conférence d'information annuelle de l'assainissement étant insuffisante.

Catherine Belrhiti a renforcé l'encadrement juridique du texte - je pense à la voix consultative pour les élus, qui préserve à la fois l'esprit initial du texte et l'équilibre institutionnel.

La rapporteure a aussi amélioré l'information des conseils municipaux, grâce à la transmission en amont des documents relatifs aux délibérations. Le groupe INDEP accueille favorablement cette proposition de loi qui, en associant davantage les élus à la gouvernance, est dans l'ADN du Sénat et de notre groupe. (Mme Marta de Cidrac applaudit.)

M. Daniel Breuiller .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte résulte d'une série d'incidents sur le site de Seine Aval, le dernier en date étant la fuite de 4 millions de tonnes de biogaz, qui ont révélé un vrai dysfonctionnement dans la gouvernance du Siaap.

Bien que la réponse apportée soit discutable, la proposition de loi est légitime. Les clarifications proposées par la rapporteure étaient également nécessaires. Il est normal que les élus, qui sont en première ligne en cas d'incident, aient une voix délibérative. Mais s'en tenir à la gouvernance, c'est un peu court : on pouvait dire bien des choses en somme, comme dirait Cyrano...

Car le vrai sujet est la gestion des risques. L'usine d'Achères est classée Seveso seuil haut, ce qui implique des contrôles réguliers de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports.

Or la semaine dernière, une barge du Siaap a heurté la pile d'un pont, laissant s'échapper 70 à 80 mètres cubes de nitrate de calcium dans la Seine. La communication s'améliore : les élus ont été informés via la presse locale, le maire a assuré qu'il n'y avait pas à s'inquiéter, même si ce n'est pas bon pour les poissons...

Je le confirme : à Achères en 2019, trois tonnes de poissons morts sont remontées à la surface, occupant un bras entier de la Seine et dégageant une odeur pestilentielle.

De plus, l'installation fonctionne depuis en mode dégradé, avec des écoulements d'eaux non traitées en cas de forte pluie.

Mentionnons aussi les boues résiduaires de la station d'épuration d'Achères, épandues sur les terres agricoles du parc naturel du Vexin... La France n'a pas la culture du risque, a déclaré le sous-préfet au comité de suivi du 8 mai 2021. En effet, mais elle a la culture du silence... Santé publique France a relevé des taux en plomb des terres agricoles bien au-delà des seuils réglementaires. On ne peut pas exclure un effet sanitaire sur les enfants de moins de six ans.

Qui est responsable ? L'ARS, qui doit imposer un dépistage du saturnisme dans les plaines des Yvelines et du Val-d'Oise. L'État, qui collecte des informations auprès du Siaap, mais sans garantie de résultats. Le Siaap lui-même, qui doit mieux assumer les conséquences de ses activités et mieux informer.

Les élus concernés doivent avoir voix au chapitre. Malgré des interrogations profondes, le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Alain Richard .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Un point d'histoire : au début du XXe siècle, seule la Ville de Paris avait les ressources et le savoir-faire pour créer un système d'assainissement, mais, jusqu'en 1975, son statut lui interdisait d'entrer dans un syndicat de communes. Elle s'est donc mise d'accord avec les petites communes qui l'environnaient pour se doter d'un outil commun, via le département de la Seine.

Si le premier projet de l'usine d'Achères remonte à 1929, l'agglomération n'a mis fin au rejet des eaux usées dans la Seine que dans les années 1990. Je rends hommage au Siaap, à ses ingénieurs et aux élus qui en avaient la responsabilité, qui ont su développer des technologies qui lui permettent de remplir sa mission - même si cela n'exclut pas des incidents et problèmes de voisinage.

Le texte précise à bon droit les informations que doivent recevoir les élus, mais présente deux défauts significatifs.

Autant une deuxième assemblée, consultative, aurait été logique, autant réunir au sein de la même assemblée délibérative des élus directement responsables et des élus n'appartenant pas à la structure est problématique.

De surcroît, la liste des bénéficiaires est trop réduite : trois communes des Yvelines, alors que beaucoup d'autres seraient intéressées.

Servons-nous plutôt de l'accord conclu il y a quelques années, avec un comité d'information dont le tour de table est plus cohérent, et n'a d'ailleurs pas été contesté. Cette liste devrait figurer dans la loi, et il conviendrait de prévoir une instance voisine du conseil d'administration - ne mélangeons pas membres consultatifs et responsables.

J'utiliserai donc le peu de sagesse qu'il me reste pour m'abstenir ! (Sourires ; applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci aux collègues non franciliens de bien vouloir assister à ce débat...

M. Loïc Hervé.  - Paris, c'est la France !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - La question est particulièrement importante pour nous, élus franciliens, car le Siaap représente neuf millions d'habitants et un budget de 1,3 milliard d'euros.

Ce texte est une mauvaise réponse, en tout cas pas entièrement satisfaisante, à une question pertinente.

Chacun le reconnaît : les élus sont insuffisamment informés en cas d'incident. L'installation d'épuration des Yvelines est à cheval sur trois communes. Classée Seveso, elle inquiète légitimement habitants et élus. 

Insuffisamment associés à la gouvernance du Siaap, les élus des Yvelines et du Val-d'Oise potentiellement concernés ont manifesté leur mauvaise humeur, demandant à entrer au conseil d'administration. Mais les faire entrer tous aurait trop élargi le conseil d'administration pour permettre un travail sérieux.

La commission des lois a donc restreint le champ des communes bénéficiaires - nous légiférons pour trois communes ! - et ne leur a donné qu'une voix consultative.

Alain Richard a bien souligné le caractère hybride de la nouvelle entité. De plus, il n'est pas certain que cela améliore l'information, car le conseil d'administration, s'il se réunit tous les mois, ne le fait pas forcément au lendemain d'un incident.

L'enjeu réside davantage dans l'amélioration de la gouvernance du Siaap. Le préfet Gaudin avait proposé une conférence annuelle d'information de l'assainissement réunissant toutes les communes concernées. C'est sans doute insuffisant, mais mon groupe politique avait proposé une conférence instituée par la loi, avec des réunions plus fréquentes. Cela nous semble toujours la solution la plus intéressante pour les élus.

Au nom de mon groupe, et comme Alain Richard, je ferai preuve de sagesse en m'abstenant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Laurence Cohen .  - Cette proposition de loi répond à une question légitime : nous nous souvenons tous de la fuite récente de plusieurs tonnes de biogaz, et du manque d'information qui avait suivi. L'information doit être transmise directement aux élus en cas d'incident, afin qu'ils puissent gérer la crise et communiquer si nécessaire.

Mais faut-il pour cela modifier la gouvernance ? Améliorer le circuit de l'information pourrait suffire. Par exemple, la conférence d'information pourrait se réunir une fois par trimestre et non plus annuellement.

Ce texte crée une rupture d'égalité entre élus. Alors que ce sont les conseillers départementaux de la petite couronne qui y siègent, on fait entrer au conseil d'administration des conseillers municipaux - mais triés sur le volet, puisqu'il s'agirait seulement de ceux de la grande couronne, l'Essonne, la Seine-et-Marne et le Val-d'Oise n'ayant pas de station d'épuration. Ce système déséquilibrerait la gouvernance du Siaap.

Il est plus cohérent et plus respectueux des équilibres de donner aux élus concernés une voix consultative et non pas délibérative. Mais cela ne suffit pas : il convient de les associer de manière responsable. Les élus municipaux, de grande ou de petite couronne, ont besoin de savoir et d'anticiper.

Il y a sans doute des améliorations à apporter à la gouvernance du Siaap, mais faire entrer quelques élus supplémentaires y suffira-t-il ? Je ne le crois pas. Cette proposition de loi servira les intérêts de quelques-uns, sans prendre en compte les intérêts de chaque commune.

Comme d'autres collègues, nous nous abstiendrons, tout en rappelant que la dépollution des eaux usées de neuf millions d'usagers, des eaux industrielles de plus de quatre cents entités est un enjeu politique qui méritait mieux... (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)

M. Laurent Lafon .  - Le Siaap est une vieille machine, robuste, bien rodée, mais qui a besoin d'huile dans ses rouages pour éviter l'encrassement.

Nous avons tous en mémoire les incidents fâcheux récemment survenus à Seine Aval, première station d'épuration d'Europe. Le syndicat a tardé à plusieurs reprises à informer les communes. Ce défaut de communication répété est un raté incontestable.

Je remercie Mme de Cidrac d'avoir soulevé cette question importante, et je salue le travail de la rapporteure. Cependant, pour le groupe Union Centriste, la solution n'est pas de changer la machine ; or c'est ce que fait ce texte, en créant un objet juridique non identifié au risque d'établir un précédent hasardeux.

Intégrer des représentants des conseils municipaux au conseil d'administration du Siaap avec voix consultative ne résoudra pas le problème de communication face à l'urgence. Au vu de la situation problématique de Seine Aval, il faut que le département des Yvelines adhère au Siaap, mais nul besoin d'une loi pour cela : ne nous trompons pas de véhicule.

L'Essonne, la Seine-et-Marne et le Val-d'Oise n'ont pas vocation à rejoindre le Siaap à court terme.

Améliorer la communication de crise est nécessaire, de même qu'un élargissement ciblé aux Yvelines. Ce n'est pas ce que fait le texte : par conséquent, la majorité du groupe UC s'abstiendra.

Espérons néanmoins que cette proposition de loi sera un électrochoc salutaire pour les responsables du Siaap, qui doivent comprendre la nécessité de s'ouvrir davantage.

M. Jean-Yves Roux .  - Le RDSE a l'habitude de défendre la cause de la ruralité, menacée de décrochage à l'ère de la métropolisation. Avec ce texte, je constate, sans m'en réjouir, que même les territoires les plus urbains connaissent des difficultés en matière de concertation dans la prise de décision...

Les incidents de 2019 et 2022 à Achères ont provoqué inquiétude et colère dans la population et parmi les élus. Ils sont d'une importance majeure dans une des plus grandes usines d'Europe. En 2019, de nombreux poissons ont été retrouvés morts dans la Seine, ce qui ne contribue pas à rassurer nos concitoyens...

Il est inquiétant que les élus locaux n'aient pas été dûment informés, ou avec retard. Mme de Cidrac a raison de le déplorer, car cela alimente l'inquiétude.

Nous sommes favorables à une meilleure association des communes au syndicat. L'actuelle gouvernance n'a pas permis une information adaptée. Nous saluons donc l'initiative de notre collègue et le travail de la rapporteure, guidé par un souci d'opérationnalité.

Le texte permettra de résoudre le déséquilibre de gouvernance. La crainte a été exprimée que la voix délibérative des nouveaux membres, prévue dans le texte initial ne soit source d'imprévus, voire d'instabilité. Le travail de la commission des lois adoucit nettement le dispositif initial tout en atteignant le but visé.

Le RDSE votera ce texte qui apporte plus de transparence à la vie publique et administrative. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme le président.  - Voici le résultat du scrutin n°136 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 184
Pour l'adoption 184
Contre    0

La proposition de loi est adoptée.

Modification de l'ordre du jour

Mme le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mardi 21 mars après-midi, sous réserve de leur dépôt, des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique et sur la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

Il demande également l'inscription, à l'ordre du jour du mercredi 22 mars après-midi et, éventuellement, le soir, de la suite éventuelle de la proposition de loi portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d'emballages ménagers et des producteurs de papier et amplification des encarts publicitaires destinés à informer le public sur la transition écologique.

La séance est suspendue à 20 h 10.

Présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 21 h 40.

Mixité sociale à l'école

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la mixité sociale à l'école, à la demande du groupe SER.

Mme Sylvie Robert, pour le groupe SER .  - Les établissements français sont touchés par la ségrégation sociale, véritable « bombe à retardement », selon Nathalie Mons, ancienne présidente du Conseil national de l'évaluation du système scolaire (Cnesco).

Depuis vingt ans, les études se succèdent et les indicateurs montrent que la situation se dégrade, à l'instar de l'étude Pisa de 2018. Le retour à une société de classes figée ne peut être un projet politique d'avenir.

Lorsque l'on observe les indices de position sociale (IPS), sur les 100 premiers lycées, 82 sont privés : c'est une saignée pour le secteur public. Les sociologues parlent de tri social. Ces inégalités sont aussi territoriales, d'où l'importance des politiques d'aménagement du territoire et de logement.

Voulons-nous encourager une vraie mixité sociale, ou pensons-nous que c'est une fatalité ? Monsieur le ministre, vous optez, par vos mots, pour la première option, et nous nous en réjouissons.

L'absence de mixité n'est ni acceptable ni soutenable. C'est l'ensemble de notre édifice social et démocratique qu'elle menace.

La mixité sociale est un objectif de service public de l'éducation depuis 2013, mais comment combler l'écart entre la loi et la réalité ?

Le gouvernement socialiste a apporté une première réponse en 2016, avec dix-sept expérimentations, comme en Haute-Garonne où les résultats sont remarquables : la mixité améliore la réussite des élèves défavorisés, sans faire baisser le niveau, dans une logique gagnant-gagnant. (Mme Émilienne Poumirol le confirme.) Quels sont les ingrédients d'une telle réussite ? Concertation avec les parents, co-construction avec la communauté éducative, moyens budgétaires et appui du ministère de l'Éducation nationale. Allez-vous soutenir ces expérimentations, monsieur le ministre ? Allez-vous dégager les moyens nécessaires pour accompagner les collectivités territoriales volontaires ?

Rémunération des professeurs, école du futur, vos chantiers sont nombreux : de quels budgets disposez-vous pour accroître la mixité sociale ? Sans ressources budgétaires suffisantes, point de plan ambitieux.

La participation du privé sous contrat à l'objectif de mixité sociale : voilà une autre question fondamentale ! La liberté de recrutement du privé est-elle négociable aujourd'hui ? Aucune liberté n'est absolue. L'efficacité et la crédibilité de notre politique publique éducative sont en jeu. En soutenant à hauteur de 73 % le privé, sans contrepartie en matière de mixité sociale, l'État ne fragilise-t-il pas l'école publique ? Êtes-vous favorable à une conditionnalité des aides au privé, pour que ce dernier concoure à cet objectif de mixité sociale et scolaire ?

Avez-vous engagé un travail sur le logement et l'aménagement du territoire avec les autres ministères, ainsi qu'avec les collectivités ? Si oui, avec quels résultats ?

Le combat pour l'égalité des chances reste entier. La promesse méritocratique doit être rehaussée. Passer de la partialité des chances à une réelle égalité des chances impose une véritable volonté politique de briser les ghettos : nous risquons, sinon, de sombrer dans l'endogamie, voire dans un véritable gouffre démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Je vous remercie pour ce débat, qui porte sur une priorité de mon ministère, et qui concerne au premier chef les collectivités locales. La mixité sociale est une condition de réussite des élèves : le mélange des origines et des cultures est une force pour nos écoles.

L'école doit permettre à chaque enfant d'étendre ses ambitions au-delà des contraintes de son environnement personnel. Or la France est l'un des pays de l'OCDE où les déterminismes sociaux pèsent le plus sur la réussite scolaire : cela nous prive de talents, bride les ambitions et favorise le repli identitaire.

À la rentrée 2021, 37,4 % d'élèves issus de milieux défavorisés étaient inscrits au collège, mais ils étaient 61 % dans les 10 % de collèges les plus défavorisés et seulement 14,6 % dans les 10 % les plus favorisés. En miroir, les 23,9 % d'élèves issus de milieux très favorisés sont présents à 45 % dans les collèges les plus favorisés et à seulement 6,6 % dans les collèges les moins favorisés.

La différenciation sociale est très marquée entre le public et le privé et l'écart se creuse depuis le début des années 2000 : les élèves défavorisés représentent 42 % des élèves dans le public, contre 18 % dans le privé.

J'ai entamé un cycle de concertation avec les acteurs concernés -  organisations syndicales, ministères partenaires, collectivités locales. Cette démarche collective doit être pragmatique. Il n'existe pas de modèle clefs en main. Mon rôle est de proposer des leviers d'action, dont les acteurs doivent s'emparer.

Il y a tout d'abord la question de la sectorisation par la carte scolaire et la politique de l'habitat. En Haute-Garonne, la destruction d'établissements enclavés a produit des effets positifs.

Nous travaillons aussi sur la fusion ou le jumelage d'établissements : 200 binômes potentiels ont été identifiés.

L'offre de formations attractives joue également un rôle : les sections internationales permettent d'augmenter le score IPS de 3 à 8 points dans les établissements ; 43 d'entre elles ont été créées en 2022, 16 autres le seront en 2023.

En milieu rural, nous devons rapprocher les établissements isolés par des échanges pédagogiques ou des projets communs.

Il est aussi normal que le secteur privé s'engage dans une démarche contractualisée, comme le recommandait le rapport de MM. Lafon et Roux. Nous sommes en discussion avec l'enseignement catholique et j'espère la signature prochaine d'un protocole d'engagement. Je mène aussi ce travail avec les établissements d'autres confessions et les établissements privés laïcs.

La mixité sociale ne fait pas baisser le niveau des élèves. Mais nous devons aussi entendre le souhait des parents de donner le meilleur à leurs enfants et renforcer l'attractivité des établissements publics.

Faire de la mixité sociale, ce n'est pas faire gagner un camp contre un autre, mais enrichir chaque élève, assurer un socle commun pour tous, continuer à faire de la France une nation et faire vivre la belle devise de notre République. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du GEST et du groupe SER)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - La mixité permet de se confronter à la différence et de former les citoyens. Je viens d'une commune rurale dans l'Aisne. S'il y a des problèmes de décrochage partout, dans les grandes villes, l'accès à la culture est plus aisé, grâce aux transports métropolitains : en ville, tout est plus accessible. Mais, en milieu rural, comment faire quand les parents n'ont pas le permis de conduire ? Cette absence de mobilité n'est pas prise en compte dans les politiques publiques.

Donner les mêmes chances à chacun, telle est la vocation de l'école républicaine. Quelle est votre action en faveur de la mixité dans les territoires ruraux, monsieur le ministre ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Vous avez raison, monsieur le sénateur : la question de la mixité sociale se pose non seulement dans les territoires urbains, mais aussi ruraux. Dans ces derniers, les résultats scolaires sont corrects, voire bons -  c'est le cas en Mayenne.

Cependant, nous y constatons un manque d'ambition dans les études post-bac qui supposent un éloignement géographique. J'ai donc proposé d'organiser des rapprochements entre établissements. En outre, quelque 168 000 élèves bénéficient des cordées de la réussite, avec de bons résultats, notamment en matière d'ambition scolaire. De plus, la refonte de la carte de l'éducation prioritaire, en septembre 2024, concernera aussi les territoires ruraux.

M. Thomas Dossus .  - Je remercie mes collègues du groupe SER pour ce débat essentiel. La France est l'un des pays de l'OCDE où l'origine sociale pèse le plus sur le destin scolaire. Le manque de mixité sociale à l'école aggrave les inégalités. Nous avons une école à deux vitesses.

Les établissements privés sont devenus l'un des moyens d'évitement de la carte scolaire : 40,1 % des collégiens y étaient issus de milieux très favorisés, contre 19,5 % dans le public. Le taux de boursiers dans les établissements privés est inférieur à 10 %, alors que l'État finance ces établissements à hauteur de 73 %.

Monsieur le ministre, vous avez fait de cette question une priorité, contrairement à votre prédécesseur. Quels seront les termes du futur accord ? Conditionnerez-vous les aides au privé à un ratio d'élèves boursiers ?

Cessez de financer la ségrégation sociale sur deniers publics. (Applaudissements sur des travées du groupe SER)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - L'enseignement privé sous contrat participera à l'effort de mixité : sans cela, notre politique de mixité sera vouée à l'échec.

L'État finance les établissements privés sous contrat aux trois quarts. Nous dialoguons avec le secrétariat général de l'enseignement catholique et je me réjouis de la qualité de nos échanges.

Évitons plusieurs écueils : premièrement, ne rien demander à ces établissements. À l'inverse, il serait inutile de les faire passer sous les fourches caudines du public. Un espace de négociation existe entre ces deux extrêmes : nous pourrions moduler la part variable des subventions au privé sous contrat, comme l'ont fait le département de la Haute-Garonne et la ville de Paris.

Mme Samantha Cazebonne .  - La mixité sociale est un prérequis indispensable du vivre-ensemble. L'école est le lieu privilégié de cet apprentissage, mais elle doit faire davantage. L'expérimentation menée dans six collèges à Paris va dans le bon sens.

Pour autant, tout ne dépend pas de l'école : je pense à la carte scolaire. Les conseils municipaux et départementaux ont aussi leur mot à dire. En outre, les politiques de l'habitat et de l'urbanisme ont un rôle à jouer.

Monsieur le ministre, quel rôle de coordination de l'ensemble des acteurs pourrait jouer votre ministère ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Le lien entre l'Éducation nationale et d'autres ministères, comme celui de la ville et du logement, est essentiel. Nous travaillons avec Olivier Klein à redéfinir la carte de l'éducation prioritaire, dont les données datent de 2011. Si les zones REP+ ont peu bougé, les zones REP, situées dans des quartiers intermédiaires, sont plus mouvantes. De plus, en 2015, certains secteurs avaient été oubliés.

En dépit des pesanteurs sociales et urbaines, des initiatives visant à s'affranchir des frontières sociales sont prises, comme à Toulouse où les élèves du Mirail ont été inscrits dans des établissements du centre-ville.

M. Yan Chantrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'enseignement privé sous contrat est subventionné à hauteur de 10 milliards d'euros par an, qui sortent des caisses de l'État alors que l'école publique souffre d'un manque chronique de financement. Le secteur privé profite aussi d'effets d'aubaine, comme avec la loi Carle de 2009 et la loi Blanquer de 2019, sans contrepartie. (M. Max Brisson le conteste.)

M. Jacques Grosperrin.  - Il faut arrêter !

M. Yan Chantrel.  - Le privé échappe à la carte scolaire et son recrutement est opaque : il pratique l'exclusion sociale de fait. Tout le monde finance le privé, mais tout le monde n'y a pas accès. Le privé s'embourgeoise : à Paris, il n'accueille que 3 % d'élèves défavorisés, contre 24 % dans le public. Le voilà, le véritable séparatisme ! Certains établissements privés pratiquent aussi une sélection ethnique, comme l'ont montré des études.

Monsieur le ministre, nous connaissons vos convictions et nous sommes prêts à vous soutenir. Comptez-vous introduire un dispositif de bonus-malus similaire à celui qui a été mis en place en Haute-Garonne ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Jacques Grosperrin.  - Quel vieux combat !

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je privilégie la concertation avec les établissements du secteur privé pour aboutir à un protocole d'accord portant sur des objectifs précis. Je note les bonnes dispositions de nos interlocuteurs : la publication des IPS a joué un grand rôle.

Les collectivités territoriales aussi peuvent prendre des initiatives, comme à Paris ou en Haute-Garonne.

Enfin, les moyens alloués peuvent représenter un moyen de pression pour que les établissements s'engagent en faveur de la mixité sociale et scolaire. Fixer un pourcentage d'élèves boursiers ne doit pas aboutir à ce que les établissements privés aillent chercher les meilleurs élèves du public. D'autres facteurs doivent être pris en compte, comme le taux d'élèves en situation de handicap. Un protocole pourrait être signé autour du 20 mars prochain.

Mme Céline Brulin .  - L'école française est l'une des plus inégalitaires de l'OCDE. Nous avons besoin de mesures structurelles, pas cosmétiques. Au Havre, le lycée Claude-Monet a perdu huit postes alors qu'il accueille 35 élèves de plus. L'IPS y est de 92,9, contre 138 pour le lycée privé voisin, Saint-Joseph, situé à 150 mètres !

Pour inciter les parents à inscrire leurs enfants dans le public, monsieur le ministre, il faudra plus qu'un énième artifice. Donnez des moyens à l'école publique ! Or ce n'est pas ce qui s'annonce dans les discussions en cours sur les dotations horaires globales ou la carte scolaire pour l'école primaire. Abandonnerez-vous une gestion comptable pour rééquilibrer la situation en faveur du public ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je regarderai plus précisément la situation du lycée que vous avez évoqué.

Mme Céline Brulin.  - C'est ce que je vous ai décrit !

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Pour répondre à votre interrogation, plusieurs leviers peuvent être actionnés : les moyens d'enseignement, notamment, mais aussi la capacité des établissements publics à garder des élèves. Des expériences très intéressantes ont été menées : des formations d'excellence, telles qu'une préparation à Sciences Po ou des sections internationales, sont utiles.

Les moyens d'enseignement sont dépendants des effectifs scolaires, mais nous veillons à ce que le taux d'encadrement s'améliore - c'est le cas en Seine-Maritime.

Mme Céline Brulin.  - L'allocation des moyens est quasiment exclusivement liée aux effectifs. Or il faut aussi prendre en compte la situation sociale pour renforcer les moyens des établissements !

Dans la palette des solutions pour encourager la mixité, vous mettez beaucoup à contribution les collectivités territoriales, dont les finances ne sont pas bonnes. Enfin, je m'inquiète du regroupement des écoles dans les centres-bourgs : la présence d'écoles en milieu rural est essentielle pour la vitalité des territoires.

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Les moyens ne dépendent pas que des effectifs : l'IPS et l'éloignement sont aussi pris en compte. Dans le secondaire, il n'y a pas de lien entre la taille des établissements et les bons résultats scolaires : ce ne sont pas toujours les établissements de petite taille qui réussissent. Une masse critique est nécessaire.

Mme Céline Brulin.  - J'attends que vous preniez en compte les IPS pour l'allocation de moyens.

Mais j'insiste : le maillage scolaire en milieu rural favorise la réussite des élèves. Par exemple, autour des écoles se créent des viviers d'associations, qui encouragent la mixité.

M. Claude Kern .  - L'article 1er du code de l'éducation rend la mixité obligatoire dans l'enseignement primaire et secondaire. Mais force est de constater que cet objectif n'est pas atteint cinquante ans plus tard. Selon un rapport de la Cour des comptes de décembre 2021, la possibilité pour chaque enfant d'accéder, quelles que soient ses origines, aux mêmes conditions de scolarisation n'est pas garantie. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour traduire concrètement cette disposition du code ?

Quels efforts comptez-vous demander aux établissements privés sous contrat, auxquels la loi reconnaît un caractère propre ?

Quel bilan tirez-vous de la loi de refondation pour l'école ou de l'assouplissement de la carte scolaire décidé en 2007 ?

Impulser de tels changements suppose du courage politique et un message clair : que ferez-vous pour que l'enseignement obligatoire puisse pleinement jouer son rôle intégrateur ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - En matière de mixité scolaire, il existe non pas un levier, mais une palette de leviers, que les recteurs appliqueront différemment selon les territoires. J'ai mentionné notamment la négociation actuellement menée avec l'enseignement privé sous contrat avec comme moyens d'action notamment l'allocation des postes ou un éventuel bonus-malus via le programme 139, entre autres.

La sectorisation a fait l'objet d'une réflexion nourrie depuis quinze ans. À Paris, Affelnet a donné des résultats très probants avec l'augmentation du nombre de boursiers dans des établissements prestigieux, et un rééquilibrage dans les autres établissements scolaires. Grâce aux travaux des chercheurs et à l'amélioration des statistiques, nous avons une connaissance beaucoup plus fine de la carte scolaire.

M. Bernard Fialaire .  - « La principale injustice qui mine notre pays demeure le déterminisme familial, la trop faible mobilité sociale. Et la réponse se trouve dans l'école. » Tels étaient les termes du Président de la République lors de ses voeux aux Français début 2023. Or le secteur privé compte 40 % d'élèves très aisés, contre 20 % dans le public ; 42 % des élèves du public sont issus de milieux défavorisés, contre 18 % dans le privé.

Ces écarts se creusent à un rythme accéléré depuis 2010. Monsieur le ministre, vous souhaitez impliquer l'enseignement privé sous contrat. Or actuellement, ces établissements comptent moins de 10 % de boursiers, taux trop faible selon vous.

L'inclusion des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV dans Affelnet a été bénéfique. Des quotas d'élèves boursiers sont désormais prévus. Parmi les secondes, la part des élèves de catégories moyennes et défavorisées est passée de 13 à 29 % à Louis-le-Grand et de 12 à 22 % à Henri-IV. L'entrée des deux lycées dans Affelnet semble avoir des effets incitatifs, avec une hausse des candidatures de 29 %. Jacques Attali a recommandé un taux allant de 20 à 30 % d'élèves issus de familles défavorisées dans tous les établissements. Êtes-vous prêt à imposer de tels taux partout, y compris dans les établissements privés ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Le taux de boursiers est de 10 % dans le privé, contre 29 % dans le public. Il faut réduire cet écart : j'espère qu'un protocole allant dans ce sens sera signé prochainement, avec des engagements précis.

Les organisations représentatives ont réitéré leurs engagements, mais des points restent à régler, notamment la restauration scolaire.

Vous avez mentionné les lycées Louis-le-Grand et Henri-IV. Par exemple, des élèves fréquentant ces établissements peuvent venir de quartiers éloignés, grâce au RER B notamment. C'est moins la proximité géographique que le temps de transport qui prime. À Paris, l'offre de transport est importante.

La carte issue des travaux préalables à Affelnet peut sembler baroque, mais elle prend en compte finement les réalités sociales de l'agglomération parisienne.

M. Max Brisson .  - La France enregistre de bien mauvais résultats pour l'ensemble des élèves, ceux issus du privé comme du public. Il faut répondre à la question de la réussite de tous : nous parlons d'égalité des chances, vous de mixité sociale, ce qui provoque l'incompréhension des parents et des stratégies d'évitement. Il faudrait par exemple des enseignants beaucoup plus expérimentés dans les établissements les plus difficiles, plutôt que d'affecter des enseignants tout juste sortis des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé). Plus de souplesse et d'autonomie sont aussi nécessaires. Il faudrait un service public du soutien scolaire, épaulé par une réserve éducative.

M. Jacques Grosperrin.  - Très bien !

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je ne vois pas de contradiction entre la mixité sociale et l'égalité des chances. Nous n'avons pas de baguette magique. Dans les départements où l'on crée de la mixité, les élèves les plus défavorisés voient leurs résultats augmenter, tandis que les élèves issus de milieux favorisés ne voient pas leurs résultats baisser. Ce qui est sûr, c'est que les élèves issus de milieux défavorisés ont des ambitions post-bac décuplées. De plus, les configurations sociales et amicales sont entièrement remodelées. La mixité sociale ne vient en rien embarrasser la réussite des élèves.

Oui, nous avons besoin d'enseignants mieux formés : en France, la formation académique est longue, mais celle au métier est trop courte.

M. Max Brisson.  - Ce n'est pas en permettant à quelques élèves de milieux défavorisés d'aller à Pierre-de-Fermat ou à Louis-le-Grand, par une sectorisation rigide ou des quotas, que nous réglerons le problème. Il faut une différenciation territoriale des politiques éducatives et une contractualisation. (Marques de désapprobation ironique sur les travées du groupe SER)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Il ne s'agit pas de quelques élèves, comme vous le soutenez : à Toulouse, des centaines d'élèves du quartier du Mirail ont été inscrits dans les lycées du centre-ville ou du pourtour.

Nous devons revaloriser les établissements scolaires défavorisés avec des filières d'excellence ou la rénovation du bâti scolaire notamment.

M. Max Brisson.  - Ce n'est que de la cosmétique. Quand arrêterons-nous d'affecter les enseignants les moins expérimentés ou les vacataires dans les quartiers difficiles ? Il nous faut une nouvelle politique de ressources humaines pour l'éducation nationale.

Mme Marie-Pierre Monier .  - La mixité scolaire n'est pas la même entre les agglomérations et les territoires ruraux. Dans ces derniers, les établissements sont plus éloignés, limitant la ségrégation et les stratégies d'évitement. Il existe un vivre ensemble de fait dans les communes rurales. Cependant, celles-ci voient la montée des établissements privés, notamment hors contrat. Nous payons cela par la suppression de postes dans les établissements publics prévue dans la loi de finances initiale 2023. Quarante classes ont fermé dans la Drôme. Les lycées ruraux perdent aussi en attractivité, à la suite de vos réformes en raison de leur dotation globale limitée, ils doivent faire des choix entre certaines spécialités et options, ce qui incite les élèves à partir.

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Les écoles rurales sont en réalité mieux dotées que les écoles urbaines. À la rentrée 2023, la baisse des moyens correspond à la baisse démographique des élèves, sans que ce soit à due proportion, si bien que le taux d'encadrement augmente : 18 % des élèves sont dans les territoires ruraux, et cela concerne 35 % des écoles. Nous allons procéder à des ajustements d'ici à juin 2023.

La réforme des lycées n'a pas restreint les choix des élèves. (Mme Marie-Pierre Monier le conteste.) Sur les douze spécialités, 93 % des lycées ruraux en proposent au moins sept. L'offre est variée. Nous voulons augmenter le nombre de spécialités « numérique et sciences informatiques » ouvertes pour favoriser l'orientation vers les technologies. Le choix est plus large qu'auparavant.

Mme Marie-Pierre Monier.  - J'ai bien l'impression que les fermetures sont proportionnelles au nombre d'élèves.

En France, il y a en moyenne 21,9 élèves par classe, contre 19,4 en Europe. Mais après des fermetures de classes, nos classes rurales en comptent parfois jusqu'à 26. Cela rompt l'égalité.

Vous prétendez que les directions académiques négocient avec les élus, mais à Grenoble, il y a 0 poste, et la Drôme a dû rendre 11 postes.

Vous parlez de trajets raisonnables... on doit les déterminer en temps, non en kilomètres !

Mme Annick Billon .  - Je remercie Sylvie Robert et le groupe SER pour ce débat.

J'ai une pensée pour les élèves, les collègues et la famille d'Agnès Lassalle, sauvagement assassinée.

Quarante-trois sections internationales devaient être créées à la rentrée 2022 dans les collèges les plus défavorisés, pour améliorer la mixité sociale. Mercredi dernier, vous avez dit vouloir multiplier ces sections. Or pour assurer les six heures supplémentaires, il faut des enseignants, alors qu'ils démissionnent en masse : 3,5 % des effectifs actuellement, contre 0,05 % en 2008, sans compter les démissions de vacataires recrutés à la rentrée 2022 pour pallier les 4 000 postes vacants de professeurs titulaires.

Face à la crise d'attractivité du métier d'enseignant, comment allez-vous faire pour sécuriser ces sections internationales ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - L'ouverture de sections internationales donne de bons résultats, avec une hausse des IPS notamment. Nous n'ouvrirons ces sections que dans les établissements défavorisés.

En matière de moyens, l'ouverture d'une section internationale se fait progressivement, en commençant par la sixième : les moyens sont donc répartis d'année en année, sur quatre ans. Ainsi, nous pourrons composer avec les difficultés de recrutement.

Dans le secondaire, les difficultés de recrutement dépendent des matières - elles sont importantes en lettres modernes ou en allemand, un peu moindres en mathématiques ou physique-chimie par exemple. Nous ouvrirons seize sections internationales supplémentaires à la rentrée 2023. J'aimerais faire plus.

La démission des contractuels est un sujet de préoccupation. Nous avons un programme de formation sur le long terme. À la rentrée 2022, 87 % d'entre eux avaient déjà enseigné l'année précédente, et beaucoup ont une expérience de plusieurs années.

Mme Annick Billon.  - Nous attendrons les retours sur les investissements budgétaires et humains : je reste sceptique à ce stade.

M. Olivier Paccaud .  - « Il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais homme, il n'y a que de mauvais cultivateurs », écrivait Victor Hugo, avant que Jules Ferry n'édifie l'école républicaine. Pour moissonner le bonheur public, il faut d'abord en semer les germes dans la jeunesse.

En rendant l'école laïque, gratuite et obligatoire pour tous, la IIIe République voulait construire des citoyens éclairés. Pendant des décennies, la République a fait de l'école sa pierre angulaire : autrefois, l'école cimentait la Nation, aujourd'hui, elle s'y lézarde. A contrario, le privé ne s'est jamais aussi bien porté ! Les parents y cherchent l'ancienne école publique - travail, discipline, autorité. Le niveau des élèves s'effondre. Au temps des hussards noirs a succédé celui des contractuels recrutés en job dating. L'enjeu de la mixité sociale est essentiel pour empêcher l'avènement d'une société archipel, mosaïque de groupes antagonistes refusant de faire Nation ensemble. La non-mixité sociale couve les séparatismes de demain.

La première pierre de la mixité sociale ne réside-t-elle pas dans le retour à des fondamentaux pédagogiques : travail, discipline, respect des enseignants ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Monsieur le sénateur, je ne dévaluerai pas les bienfaits de l'effort et du mérite. J'ai ainsi réintroduit les mathématiques dans la filière générale en classe de première. Nous voulons faire du cours moyen et de la sixième des moments essentiels.

Quant à la nostalgie de l'école de jadis, permettez-moi, en tant qu'historien, d'être sceptique. Elle peut avoir du charme, mais pour les couches populaires, l'école s'arrêtait au certificat d'études. En 1960, seuls 10 % des élèves avaient le bac. Je ne regrette pas ce temps. Le XXe siècle a connu la massification. Le XXIe doit répondre au défi de la démocratisation. Cette question est centrale. Nous devons réussir en relevant le niveau général, ce qui demande d'insister sur le français et les mathématiques, mais aussi en encourageant la mixité sociale et scolaire.

M. Jean-Jacques Lozach .  - Notre système scolaire est profondément ségrégué. La corrélation entre le milieu socio-économique et la performance scolaire est l'une des plus fortes des pays de l'OCDE. La situation s'aggrave et encourage le fatalisme. Les effets sont durables, ils fracturent notre modèle républicain. Tout élève devrait avoir accès à un socle commun de connaissances et de valeurs.

La loi fixe l'objectif de réussite de tous. Comment lutter contre le séparatisme et contre l'évitement des cartes scolaires ? Comment développer une culture de l'hétérogénéité dans les établissements ?

Enfin, comment contrer le manque d'enseignants, notamment en milieu rural ? Vous fermez des classes pour créer des postes de remplaçants, comme dans la Creuse. Le projet de loi de finances prévoit la suppression de 1 117 postes.

De plus, les élèves qui ont des besoins particuliers restent mal pris en charge. La structuration des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) est difficile, avec des zones blanches.

Enfin, que pensez-vous des dispositifs mis en oeuvre dans l'hyper ruralité pour réduire les inégalités ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Les établissements très favorisés doivent s'ouvrir aux élèves plus modestes.

L'attractivité du métier d'enseignant est une question grave. Le rendement des concours est très faible : 83 % - pour 100 postes ouverts au concours, nous recrutons 83 enseignants. Avant d'augmenter le nombre de postes, il faut savoir si l'on aura suffisamment de candidats...

Nos professeurs ne sont pas assez rémunérés. Nous travaillons à des propositions (Mme Marie-Pierre Monier le conteste) : une part d'augmentation non conditionnelle, et une part conditionnée à de nouvelles missions, qui peut être substantielle. Entrée dans le métier, affectations et mutations sont autant de thématiques supplémentaires à prendre en compte.

Mme Toine Bourrat .  - La mixité sociale est pour l'école publique ce que les droits de l'Homme sont à la France. Le droit à l'instruction est fondamental : l'école publique n'est plus en mesure de l'assurer. Le privé, c'est le moyen d'éviter les failles du public : dégradation du climat scolaire avec le #Pasdevague, étiolement de l'autorité, manque d'attractivité du statut... tel est le cocktail explosif conduisant à terme à un déport vers le privé.

Il faut relever le niveau général. Vous proposez de colmater un bateau par le charcutage de la carte scolaire indigne des enjeux, alors qu'il faut redresser le gouvernail.

Jean-Pierre Terrail rappelait en 2006 que tous les élèves, quel que soit leur milieu, peuvent mener la même scolarité, si les enseignements sont identiques.

Jules Ferry le disait : « avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits ».

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Loin de moi l'idée de mettre en accusation qui que ce soit.

En matière de mixité, nous avons deux chantiers devant nous. Le premier est de redresser l'école publique. Nous poursuivons le dédoublement des classes de grande section, de CP et de CE1 dans les zones d'éducation prioritaire, ainsi que l'heure supplémentaire de mathématiques, la création de clubs de mathématiques, sous l'égide de notre médaille Fields Hugo Duminil-Copin, la réintroduction de l'heure de maths en première, les modules de renforcement en seconde.

Le second chantier est la sectorisation. Madame la sénatrice, la sectorisation n'est pas le charcutage. Cela se fait depuis toujours. Obtenir les meilleurs résultats possibles consiste à tirer vers le haut les enfants les plus défavorisés et à maintenir le niveau des bons élèves. L'enseignement privé sous contrat doit aussi y participer. Nous faisons feu de tout bois pour améliorer les résultats de tous nos élèves.

M. Jacques Grosperrin .  - L'école doit transmettre les valeurs de la République. La mixité sociale doit bien sûr y concourir, mais comment mettre en oeuvre cet objectif ?

Il existe une tension majeure entre l'origine sociale et familiale et la composition sociale de l'établissement fréquenté. L'objectif de mixité se heurte donc à des résistances. Il est illusoire d'évaluer l'impact d'une seule variable dans ce processus complexe.

Intégrer toutes les composantes de la Nation est un devoir : sectorisation scolaire et ségrégation spatiale sont des outils essentiels, quitte à entrer parfois en conflit avec le souhait des familles, auxquelles on ne peut reprocher de vouloir donner les meilleures chances à leurs enfants.

Tout est question d'équilibre. L'éducation prioritaire a eu le mérite de pointer du doigt les inégalités sociales et culturelles ; à cet égard, il convient d'homogénéiser les qualités sociales des élèves dans certains établissements. Un courage quotidien sera nécessaire sur la laïcité.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser votre pensée lorsque vous affirmez que chacun devra contribuer aux efforts ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Monsieur le sénateur, je souscris à votre point de vue : les inégalités de naissance sont insuffisamment corrigées par l'école.

Dans les pays qui réussissent, notamment en Europe du Nord, les écarts entre élèves sont réduits. Ce sont des sociétés moins inégalitaires que la nôtre.

Notre méthode est la concertation avec les collectivités ; il n'y a pas de recette unique. Nous nous fixons des objectifs chiffrés, qui concernent aussi l'enseignement privé sous contrat même si nous avons davantage la main sur les établissements publics favorisés.

Nous n'entendons pas procéder de manière violente sur la question de la sectorisation, mais dans la concertation ; toutefois, nous devons progresser en vue de résultats significatifs pour la rentrée 2024.

M. Jacques Grosperrin.  - En 2007, un rapport de McKinsey montrait que les résultats des meilleurs systèmes scolaires reposent sur l'amélioration de l'enseignement, ce qui pose la question de la formation. Il faudra s'interroger sur ce qui se passe réellement dans les classes, et avoir le courage de l'évaluer.

M. Pap Ndiaye, ministre.  - La formation des enseignants est une question décisive : la formation au métier est trop courte. C'est pourquoi j'ai proposé de recruter les professeurs des écoles à bac +3 avec une formation professionnalisante de deux ans.

Mme Émilienne Poumirol.  - Vous voulez recréer l'École normale !

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Elle avait ses mérites, en remplissant la fonction d'ascenseur social. L'accès à bac +3 est moins inégalitaire.

M. Pierre Ouzoulias.  - On vote !

M. Jacques Grosperrin.  - Vous serez sensible aux encouragements de Max Brisson... Tant d'argent a été consacré à l'école, or nos mauvais élèves ne progressent pas, les meilleurs restent les meilleurs.

Au-delà de votre annonce positive, il faudra peut-être aussi s'interroger sur l'évaluation des enseignants. Les agrégés ne sont pas ceux qui travaillent le plus. (Mme Sylvie Robert s'en amuse.)

Encourageons ceux qui travaillent plus que les autres.

Mme Corinne Imbert .  - L'absence de mixité sociale nuit à l'unité de la Nation. Les réponses à ce problème sont complexes. Ce sujet appelle la question du mérite. L'école républicaine permet à ses meilleurs éléments de s'élever. Or l'universalisme républicain est menacé par l'importation de débats d'outre-Atlantique : place au wokisme et à l'assignation perpétuelle, à la distinction entre oppresseur et oppressé en fonction du genre, de la couleur de peau, de l'orientation sexuelle.

Monsieur le ministre, à quoi bon louer la mixité quand on ferme les yeux sur des mouvements essentialistes et racialistes qui enferment des individus dans des stéréotypes et mettent à mal notre pacte républicain ? (M. Laurent Somon acquiesce.)

M. Pap Ndiaye, ministre.  - Je souscris entièrement à la notion de mérite. Mais l'école d'hier n'était pas celle du mérite pour tous : elle était très inégalitaire. L'école de Ferry conduisait les enfants du peuple au certificat d'études, pas plus. Au début du XXe siècle, seulement 1 % des élèves avaient le bac, et le parcours éducatif était très lié à la position sociale des familles. Les lycées étaient réservés à une minorité bourgeoise.

Les instituteurs n'avaient pas le baccalauréat, ils rentraient à l'École normale, voie spéciale, conçue pour élever les enfants du peuple. Je n'ai pas de nostalgie pour cette époque.

Quant au wokisme, je ne suis pas sûr de vous suivre. Considérez les programmes d'histoire-géographie, de SVT, de lettres : je n'y retrouve pas le tableau que vous tracez.

M. Jean-Jacques Lozach.  - Très bien !

Mme Corinne Imbert.  - Je n'ai pas le regret de l'école d'autrefois ; mais les personnes qu'elle amenait au certificat n'en étaient pas moins intelligentes, les instituteurs qu'elle formait, même sans baccalauréat, pas moins dignes et éduqués.

En évoquant le wokisme, je voulais dire qu'il est facteur de fractures sociales. Il est contradictoire de prôner, comme vous avez pu le faire, des réunions non mixtes tout en prétendant encourager la mixité sociale.

Mme Béatrice Gosselin .  - La France est l'un des pays où le milieu social de l'élève conditionne le plus sa réussite.

Le sort de l'élève se joue avant le collège. Selon les données de l'Institut national d'études démographiques (Ined), seuls 42 % des élèves inscrits en REP+ ont une bonne compréhension de la langue au début du CP, contre 75 % hors REP+.

L'Observatoire des inégalités souligne la maîtrise inégale des élèves de maternelle ; or c'est dans les premières années que les élèves ont les meilleures capacités cognitives d'acquisition du langage. Il faut donc intervenir le plus tôt possible. Monsieur le ministre, vous avez annoncé un plan pour les maternelles, sans préciser les mesures concrètes. Beaucoup de classes sont en sureffectif. Quels sont vos projets ?

M. Pap Ndiaye, ministre.  - La question de la mixité sociale se pose davantage au collège et au lycée, mais il faut aussi s'intéresser au problème dans les écoles maternelles et primaires.

Les résultats des premiers élèves ayant profité du dédoublement des classes, aujourd'hui en sixième, sont encourageants. Toutefois, le confinement, dont nous n'avons pas fini de payer les conséquences, a entravé leur progression.

Nous achevons le dédoublement : nous sommes à 75 %, avec un objectif de 100 % pour la rentrée 2024. En REP, nous sommes favorables à l'ouverture de très petites sections pour les élèves de moins de trois ans - j'en ai récemment visité dans le Sud-Ouest.

Le plan maternelle comporte un volet sur la formation des enseignants : de la petite section au CM2, tous sont formés de la même manière. Il serait utile d'apporter des compléments spécifiques aux enseignants de maternelle.

Mme Béatrice Gosselin.  - Certes, le covid a fait des dégâts, mais, dans mon département, la Manche, on a fermé 9 classes l'an dernier pour 380 élèves en moins ; cette année, on en ferme 29 pour 550 élèves en moins. Nous sommes inquiets.

Mme Sylvie Robert, pour le groupe SER .  - Je remercie mes collègues et monsieur le ministre pour ses réponses étayées, ainsi que pour ses annonces ! La publication des IPS nous engage : il y va de notre pacte démocratique. Monsieur le ministre, nous attendons plus de précisions dans les prochaines semaines.

Nous avons tous évoqué la question des moyens. Les leviers sont multiples, qu'il s'agisse des options, des parrainages ou encore de la sectorisation. Derrière ces problématiques, nous retrouvons celles de l'habitat, de l'aménagement du territoire, de la fabrique des villes et des villages. La formation des enseignants et le partenariat avec les collectivités territoriales ont également été évoqués. Au total, nous disposons d'une palette d'outils extrêmement divers.

Mes chers collègues, lisez le rapport consacré à l'expérimentation menée sur cinq ans en Haute-Garonne. Les résultats ont été positifs, parce que tous les leviers ont été actionnés : cela suppose des moyens.

Monsieur le ministre, vous négociez actuellement avec l'enseignement privé sous contrat ; le protocole d'accord est annoncé pour le 20 mars. Nous serons très attentifs à son contenu, car il pourrait ouvrir une nouvelle étape pour la mixité sociale. C'est un enjeu démocratique et républicain, une promesse que nous devons à tous nos enfants. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre.

Prochaine séance demain, jeudi 2 mars 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 25.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 2 mars 2023

Séance publique

À 10 h 30, 14 h 30 et, éventuellement, le soir

Présidence : M. Alain Richard, vice-président, M. Gérard Larcher, président, Mme Laurence Rossignol, vice-présidente, Mme Pascale Gruny, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat

1. Vingt-trois questions orales

2. Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution, pour 2023 (discussion générale) (n°368, 2022-2023) (demande du Gouvernement en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution)