Allocation logement et habitat non décent

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non décent, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Jean-Louis Lagourgue, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme le rapporteur applaudit également.) L'éloignement des outre-mer explique bien des disparités avec la métropole : coût de la vie, chômage, taux de pauvreté bien plus élevé que dans l'Hexagone. Les crises économiques et sanitaires s'y succèdent, avec des conséquences encore plus frappantes qu'en métropole : envol des prix, suppression de milliers d'emplois, baisse du nombre de logements construits.

Depuis 2019, les conséquences sociales de la crise sanitaire ont accentué le mal-être et la précarisation de nos concitoyens ultramarins. Au manque chronique de logements s'ajoute la non-décence des logements sociaux existants.

Ce même texte a été déposé à l'Assemblée nationale par le député réunionnais David Lorion, interpellé, comme moi, par la situation préoccupante de notre île - les malfaçons, les problèmes d'humidité ou de sécurité électrique et leurs conséquences sur la santé.

Beaucoup de logements, anciens comme neufs, sont insalubres ou indécents. Aussi cette proposition de loi vise-t-elle à inciter les bailleurs à mettre en conformité leurs logements avec les critères fixés par la loi.

Le droit actuel prévoit la suspension des APL (aides personnalisées au logement) pour les logements non décents. Nous proposons la consignation des loyers jusqu'à la réalisation des travaux.

Le texte a été largement cosigné à l'Assemblée nationale.

La commission craint un effet de bord en cas d'application nationale ; nous avons donc proposé une expérimentation ciblée sur le territoire réunionnais. La commission souligne désormais un risque de rupture d'égalité, mais pour tous nos concitoyens subissant moisissures et infiltrations, je ne peux me résoudre à l'inaction.

Des personnes âgées, des familles déjà durement touchées par la précarité vivent dans des conditions tiers-mondistes. Nous ne pouvons rester sans réponse. Tout voyage de mille lieues commence par un premier pas. Je veux le faire avec vous, pour empêcher que l'on tire profit des infractions à la loi. Le bailleur d'un logement indécent ne doit toucher de loyer qu'une fois le bien mis en conformité.

Je proposerai qu'une commission mixte, composée à parité de membres de la société civile et d'institutions publiques, nommés par décret, assure le suivi de la loi et propose d'éventuelles améliorations.

Avec cette proposition de loi, nous mettons les choses en mouvement, nous permettons à la navette d'enrichir le texte, nous affirmons notre détermination à faire respecter la loi.

C'est un pas supplémentaire pour faire de la lutte contre le mal-logement une priorité politique et garantir le droit fondamental à un logement digne et décent.

Une réflexion plus large sur le logement social en outre-mer doit être menée. À l'État de prendre ses responsabilités. L'Abbé Pierre disait que « la maladie la plus constante, la plus mortelle mais aussi la plus méconnue est l'indifférence ». Montrons aux plus vulnérables de nos concitoyens que nous agissons pour les protéger. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question du logement non décent est récurrente. En France, on compte 420 000 logements indignes, 110 000 dans les départements et régions d'outre-mer, soit 13 % du parc, dix fois plus qu'en métropole. À La Réunion, il y en aurait 18 000. Merci à M. Lagourgue d'attirer notre attention sur cette situation dramatique.

Le rapport sur la politique du logement en outre-mer, que j'ai cosigné en 2021 avec MM. Gontard et Lurel, dresse un constat sévère. L'état particulièrement dégradé de l'habitat a des répercussions sur tous les aspects de la vie des occupants : problèmes respiratoires, impossibilité de s'isoler... Les locataires sont souvent démunis.

Le dispositif proposé ici est simple et séduisant : prolonger la retenue temporaire des APL lorsque le logement est déclaré non décent en consignant le loyer, pour faire pression sur les propriétaires.

Notons toutefois que la notion de non-décence ne s'applique qu'aux logements locatifs, et ne tient pas compte des propriétaires occupants de logements insalubres ou indignes.

Par ailleurs, la proposition de loi ne concerne que les bénéficiaires des APL, mais dans 95 % des cas, les procédures aboutissent déjà à une remise en état du logement dans les dix mois.

Les effets de bord pour les propriétaires comme pour les locataires seront importants.

Les propriétaires ne sont pas tous des marchands de sommeil, loin de là ! Si un logement indigne est toujours non décent, un logement non décent n'est pas forcément indigne. Les logements G+ sont désormais interdits à la location. D'ici 2034, ceux qui sont classés E, F et G seront aussi concernés, ce qui suppose que les propriétaires effectuent des travaux considérables. Va-t-on les priver des moyens de le faire ?

Nous constatons déjà une surreprésentation des passoires énergétiques dans les mises en vente. Autant de logements sortiraient du parc locatif, d'où une tension sur le marché locatif pénalisant les locataires.

En outre, une telle procédure, si elle était mal comprise des locataires, pourrait conduire certains d'entre eux à cesser de payer leur loyer, et à se mettre en tort.

Il faut mieux prendre en compte tout l'écosystème du logement : mieux informer les locataires sur les procédures efficaces qui existent, et les encourager à aller devant le juge pour obtenir les travaux, ou une réduction du loyer dans l'attente ; et mieux faire connaître aux propriétaires les nombreuses aides à la rénovation.

Je comprends le sentiment d'urgence outre-mer, mais les auditions ont montré qu'il s'agissait plus d'habitat indigne ou insalubre, voire en péril, pour lesquels des procédures bien plus rapides et coercitives existent déjà. Les autorités administratives doivent les mettre en oeuvre.

On nous a parlé de bâtiments de moins de dix ans soutenus par des étais... Ces situations sont le symptôme des difficultés systémiques que rencontrent les secteurs du BTP et du logement à La Réunion : peu d'entreprises de taille critique, difficultés dans l'approvisionnement en matériaux de qualité, déficit dans le suivi des chantiers, rigidité de la garantie décennale, inadaptation de certaines normes en outre-mer, etc.

C'est l'ensemble de l'écosystème que nous devons considérer, et non seulement la relation entre locataire et propriétaire, en bout de chaîne.

Pour toutes ces raisons, la commission n'est pas favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

M. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement .  - Le Gouvernement partage l'objectif de cette proposition de loi, mais le mécanisme actuel de conservation des aides est suffisant pour mettre fin aux situations de non-décence. En moyenne, la fin de non-décence explique la sortie de conservation de 300 dossiers par mois, sur 320. Pour les vingt dossiers restants, la conservation peut être prolongée, notamment pour terminer les travaux. L'efficacité du dispositif existant est donc avérée. Il n'est pas que coercitif ; il s'accompagne aussi d'une information du propriétaire.

L'engagement du Gouvernement contre la non-décence des logements est total. Le 1er janvier 2023, le nouveau critère de non-décence énergétique, prévu par la loi Climat et résilience, est entré en vigueur, renforçant les obligations des bailleurs.

Pour lutter contre le fléau de l'habitat indigne et dégradé, des partenariats locaux associant les collectivités locales ont été développés. Le Gouvernement veut améliorer ces outils. La lutte contre l'habitat indécent est ma priorité, mon parcours en témoigne. (Mme la présidente de la commission le confirme.)

Les dispositifs de déclaration et d'autorisation de mise en location, pérennisés par la loi Alur, continuent à se déployer. Je salue les nombreux élus locaux et les maires, engagés dans cette démarche. Le dispositif d'autorisation préalable à la mise en location a été renforcé par la loi Climat et résilience.

L'Agence nationale de l'habitat (Anah) finance les propriétaires bailleurs pour des travaux de sortie d'indignité ou de forte dégradation du logement.

Fin 2018, l'Anah a lancé une expérimentation dans six territoires particulièrement touchés : plus de 33 millions d'euros ont été déployés dans les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, l'Essonne, le Nord, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. Ce dispositif, en cours d'évaluation, a permis la majoration des taux de subventions pour les propriétaires occupants et bailleurs ainsi que le financement des travaux d'office à la charge des communes, notamment suite à la prise d'un arrêté de péril.

Par ailleurs, les crédits de l'Anah destinés aux opérations de résorption de l'habitat indigne sont passés de 15 à 23 millions d'euros par an.

Nous pourrons évoquer le cas des territoires d'outre-mer plus particulièrement.

La proposition de loi pose des difficultés opérationnelles. Les organismes payeurs, comme la Cnaf, devraient faire remonter à la Caisse des dépôts la mise en oeuvre et la levée de chaque mesure de conservation. Or le système d'information de la Cnaf est déjà surchargé.

Le dispositif de conservation a permis l'implication des CAF dans la lutte contre le mal-logement, je les en remercie.

Y aurait-il, enfin, un effet dissuasif ? En réalité, les propriétaires pourraient être incités à retirer leur bien du marché de la location pour le mettre en vente. Ils pourraient aussi se voir privés de ressources pour financer les travaux.

La détermination est là, les outils aussi. Nous continuerons à lutter contre l'habitat indigne et dégradé, pour permettre aux plus modestes de vivre dignement. L'endroit où ils se sentent à l'abri, où ils veulent se reposer après une longue journée de labeur, ne doit pas les rendre malades...

Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le logement n'est pas un sujet comme les autres. En 2023, tout Français doit accéder à un logement décent, digne d'un pays civilisé. Le logement, ce n'est pas que des murs, c'est aussi l'accès à l'emploi, la possibilité d'élever ses enfants : c'est la dignité.

Notre groupe y est très attaché : nous avons soutenu la loi contre l'occupation illicite des logements.

Tous les Français ne peuvent accéder à la propriété. Le logement constitue le premier poste de dépense des ménages.

L'habitat indigne est un fléau. Jean-Louis Lagourgue propose de renforcer la lutte contre les logements non décents mis en location.

Les critères de non-décence, destinés à protéger la santé des habitants, sont fixés par la loi : surface suffisante, absence de nuisibles, aération, protection contre les eaux de ruissellement, etc.

De deux choses l'une : soit nous sommes d'accord pour constater que notre collègue ne fait que poursuivre la logique du droit existant, soit nous acceptons qu'un logement non décent peut continuer à être une source de profits pour des bailleurs peu scrupuleux... Richelieu disait : « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose qu'on veut défendre. »

Certains craignent que la conservation des loyers, reversés à l'échéance des travaux, ne fragilise les petits bailleurs. Mais ils ne sont pas tous petits, loin de là, et ce n'est pas parce qu'ils le sont qu'ils peuvent s'exonérer de la loi.

La proposition de loi a le mérite de la simplicité et de la clarté. Nous comprenons les réticences à une application nationale et définitive. Ce texte est issu d'une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par un député de La Réunion et a été cosigné par tous les sénateurs réunionnais. Par amendement, Jean-Louis Lagourgue propose de ne l'appliquer qu'à l'île de La Réunion, à titre expérimental et temporaire. Ne rien faire reviendrait à prendre du retard, alors que l'urgence est là.

La loi fixe les critères de la non-décence : à nous de les faire respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Daniel Salmon .  - Le chantier de l'habitat non décent est immense : 420 000 logements concernés, dont 110 000 dans les outre-mer.

La lutte contre la non-décence relève exclusivement de l'action privée du locataire contre le bailleur. Mais ces travaux, surtout s'il s'agit de rénovations globales, peuvent être lourds pour les propriétaires. Avec MaPrimeRénov', 52 % restent à la charge des ménages modestes, et 33 % des très modestes, d'après France Stratégie.

De prime abord, cette proposition de loi semble aller dans le bon sens, mais l'examen en commission a mis en lumière son manque d'opérationnalité. Et puis, plus de 95 % des procédures de conservation des APL aboutiraient à une remise en l'état.

Les propriétaires modestes risquent d'être privés des ressources nécessaires pour réaliser les travaux. Ils sont souvent eux-mêmes en difficulté financière, comme le montrent les rapports de la Fondation Abbé Pierre. L'accompagnement des bailleurs est donc un sujet essentiel.

Le dispositif proposé introduit une procédure plus complexe que l'actuel signalement à la CAF. Une mauvaise compréhension pourrait conduire à des impayés, puis à l'expulsion des locataires. En outre, qu'adviendra-t-il des reliquats de loyers qui demeureraient consignés ? Une fois le délai échu, les aides de la CAF sont perdues... Mieux vaudrait une procédure simplifiée pour saisir le juge.

La plus-value du dispositif n'est pas évidente ; il est peut-être même contre-productif, car le risque de fragilisation des propriétaires modestes et des locataires est réel.

La bataille contre l'habitat non décent ne pourra être gagnée que par des mesures structurelles pour sortir de la crise du logement : production massive de logements sociaux, encadrement des loyers en zones tendues, augmentation des APL, garantie universelle des loyers, prévention des expulsions locatives, renforcement des moyens pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), et un réel accompagnement des propriétaires en faveur de la rénovation des logements.

La procédure actuelle n'est engagée que pour quelques centaines de cas par an à La Réunion : les 95 % de réussite touchent trop peu de personnes, par rapport aux dizaines de milliers de logements indécents.

Le GEST s'abstiendra.

M. Bernard Buis .  - Le problème de la non-décence, de l'insalubrité et de l'indignité des logements est prégnant : 420 000 logements indignes, dont 110 000 outre-mer.

La Réunion est particulièrement touchée, ce qui explique le dépôt de cette proposition de loi par notre collègue, reprenant un texte déposé l'an dernier par David Lorion, député de ce territoire.

Introduite par la loi SRU, la notion de non-décence ne concerne que le logement locatif. Pour être qualifié de décent, un logement doit présenter une surface minimale, une absence de risques pour la santé du locataire, une absence de nuisibles et de parasites, le chauffage, l'électricité et l'évacuation des eaux usées. Depuis la loi Climat et résilience, les logements doivent également répondre à un critère de performance énergétique, qui sera progressivement durci d'ici 2024.

Le RDPI partage l'objectif de la proposition de loi, mais le dispositif du texte est inadapté et risque de compliquer la situation des locataires.

Inadapté, car la consignation des loyers auprès de la Caisse des dépôts va poser des problèmes opérationnels à la Cnaf et à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA).

Le dispositif est aussi inopérant, puisque 95 % des procédures actuelles aboutissent dans les délais. Les bailleurs sociaux, outre-mer, estiment que la privation du loyer n'accélérera pas les travaux. En revanche, les bailleurs modestes seront privés des ressources nécessaires au financement de la rénovation du logement.

De plus, actuellement, les locataires n'ont qu'à effectuer un signalement auprès de la CAF. Certains pourraient arrêter de payer leurs loyers, risquant l'expulsion. Les propriétaires, eux, pourraient retirer leur bien du marché locatif, pour le vendre.

L'intention est louable, mais le dispositif inadapté : le RDPI s'abstiendra.

Mme Viviane Artigalas .  - On compterait 450 000 logements indignes en France, et même 600 000 selon la Fondation Abbé Pierre. Rien n'indique d'évolution positive pour les années à venir.

Selon le rapport sénatorial sur la politique du logement dans les outre-mer, 13 % du parc y est indigne. Selon l'Insee, 2,3 millions de personnes, dont 600 000 enfants, vivent dans des logements présentant au moins deux défauts graves, comme l'absence d'eau chaude ou de chauffage.

Depuis la loi Alur, en cas de logement non décent, la CAF peut retenir les APL et le locataire ne verse que le loyer résiduel et les charges locatives. Avec ce texte, le locataire verserait le loyer résiduel à la Caisse des dépôts.

Nous comprenons l'intention de l'auteur du texte, mais formulons plusieurs réserves.

Des procédures existent déjà. La lutte contre la non-décence relève de l'action privée du locataire contre son bailleur. Le juge peut ordonner l'exécution des travaux et une réduction du loyer en attente de leur achèvement. Cela a concerné 2 647 situations en 2017 et 4 079 en 2019 : les locataires sont mieux informés sur leurs droits. La grande majorité des travaux ont été réalisés dans les dix-huit mois.

En outre, le texte proposé, s'il censure les propriétaires indélicats, prive les bailleurs de bonne foi des ressources nécessaires aux travaux. Or les propriétaires bailleurs ou occupants n'ont pas toujours les ressources pour rénover.

Depuis la loi Climat et résilience, les logements loués doivent présenter une performance énergétique minimale. Or la politique d'aide à la rénovation est insuffisamment ciblée. Avec Rémi Cardon, nous avons déposé une proposition de loi pour une stratégie de rénovation des passoires thermiques plus inclusive. La précarité énergétique ne diminue pas. La moitié des ménages résidant dans des passoires thermiques a de faibles revenus et 37 % vivent sous le seuil de pauvreté. Or le reste à charge d'une rénovation globale est de 39 % - bien trop élevé, en dépit du prêt Avance rénovation, qui ne fonctionne pas.

Il y a pourtant urgence : la hausse des prix de l'énergie pèse sur les ménages les plus vulnérables et les logements les plus énergivores vont disparaître du marché locatif faute de rénovation. Il y a urgence aussi à prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins.

Plutôt que de confisquer le revenu locatif des propriétaires, il faut mieux les accompagner. La politique de rénovation est inefficace et inégalitaire. Il faut prioritairement sortir 5,6 millions de ménages, propriétaires et locataires, de la précarité.

Cette proposition de loi part d'une bonne intention et nous en partageons les constats, mais elle propose une solution inadaptée : le groupe SER s'abstiendra.

M. Fabien Gay .  - En février dernier, vous étiez nombreux, dans cet hémicycle, à condamner les locataires incapables de payer leur loyer - les mêmes à qui vous ajoutez deux ans de travail.

Mais il n'y a pas que les locataires qui ont des devoirs, les propriétaires aussi ! Cette proposition de loi a le mérite d'être audacieuse. En s'attaquant au mal-logement, elle soulève le problème des passoires thermiques, qui - et c'est heureux - vont être progressivement interdites à la location.

Il faut isoler les logements et protéger les locataires, alors que douze millions de personnes souffrent de précarité énergétique. Il est cependant urgent de vérifier la fiabilité de la classification, selon un référentiel unique.

Distinguons toutefois le propriétaire de bonne foi d'un seul logement locatif du multipropriétaire qui empoche ses loyers sans jamais mettre un euro dans leur entretien. Je pense aussi aux bailleurs sociaux, dont les finances ont été durement ponctionnées par la baisse du loyer de solidarité. 

Priver de ressources le propriétaire qui doit faire des travaux est contradictoire ; c'est comme priver d'APL le locataire qui ne peut plus acquitter son loyer...

Nous avons besoin d'un grand chantier de rénovation thermique : c'est bon pour les citoyens comme pour la planète. Il faut donc aider les bailleurs publics et privés. Le groupe CRCE a déposé une proposition de loi en ce sens, qui propose la préemption des passoires thermiques, l'obligation des permis de louer et la possibilité pour le juge de suspendre le bail avant travaux de mise aux normes. La commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique sera l'occasion d'avancer sur ce sujet.

En l'état, le CRCE s'abstiendra sur cette proposition de loi incomplète, probablement contre-productive et qui ne s'appliquerait qu'à une partie du territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

Mme Daphné Ract-Madoux .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À l'heure de la vie chère et de la précarité, le logement, première dépense contrainte des ménages, pèse entre 30 et 40 % de leur budget.

Je remercie Jean-Louis Lagourgue de son initiative, qui relance le débat sur le logement dans notre pays. Notre rapporteure Micheline Jacques et la commission des affaires économiques ont rappelé l'intérêt du travail parlementaire.

Pour le groupe UC, ce texte n'est pas abouti.

Nous devons protéger les locataires confrontés à des bailleurs malveillants, mais les propriétaires les plus modestes, souvent de bonne foi, ne doivent pas être pénalisés par un dispositif trop rigide, les empêchant de procéder aux travaux nécessaires. De plus, le constat en non-décence, insuffisamment utilisé, a fait preuve de son efficacité.

Enfin, le déficit de logements invite au pragmatisme. Certains propriétaires refuseront de louer si la location est plus une charge qu'un revenu ; or nous avons besoin de nouveaux bailleurs.

Le groupe UC rejettera donc, en majorité, ce texte.

Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, la France compte 330 000 sans-abri, 4,1 millions de personnes mal logées et plus de 12 millions de personnes en situation de fragilité. Celles qui en souffrent le plus sont les femmes, qui ont plus de difficulté - surtout les mères célibataires - à s'extraire du mal-logement. Le logement reste le creuset des inégalités.

Le Gouvernement n'est pas passif : 440 000 personnes sont sorties de l'hébergement d'urgence et du sans-abrisme grâce au plan Logement d'abord ; 250 000 logements sociaux ont été construits entre 2021 et 2022 ; France relance consacre 6,7 milliards d'euros à la rénovation des bâtiments.

Il faut toutefois aller plus loin, l'offre demeurant insuffisante face à la croissance des besoins de la population. Le foncier se raréfie, et le ZAN ne doit pas contraindre excessivement la construction. Je salue à cet égard nos travaux en cours sous l'égide de Valérie Létard, présidente de la commission spéciale.

En outre, le code de l'urbanisme a plus que doublé en vingt ans. Le foisonnement des normes, parfois absurdes, renchérit et limite la construction. Je me réjouis que notre délégation aux collectivités territoriales, présidée par Françoise Gatel, organise ce matin même les États généraux de la simplification.

La crise de l'offre est enfin celle de la location : les bailleurs doivent être accompagnés dans la rénovation énergétique. Au Sénat, une commission d'enquête, présidée par Dominique Estrosi Sassone et dont le rapporteur est Guillaume Gontard, évaluera les politiques publiques de la rénovation énergétique et l'efficacité du dispositif MaPrimeRénov'.

Selon l'Abbé Pierre, « gouverner, c'est d'abord loger son peuple ». Le logement soulève de nombreuses problématiques, économiques, sociales, environnementales. Je souhaite que l'initiative de Jean-Louis Lagourgue marque le début d'un débat de fond sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La notion de logement décent a été introduite dans notre droit en 2000, par la loi SRU. La lutte contre le mal-logement doit donc être une priorité nationale, sur tous les territoires. Quelle réponse apporte-t-on aux outre-mer, où 13 % des logements sont non décents ? C'est dix fois plus qu'en métropole, inacceptable. À La Réunion, 18 000 logements seraient indignes. En revanche, les données sur la non-décence sont plus difficiles à recueillir.

La procédure actuelle de suspension des APL a porté ses fruits : dans 95 % des cas, elle a abouti à la rénovation du logement. Le droit en vigueur est donc suffisamment dissuasif.

Les propriétaires peuvent être aidés. Mais c'est au locataire de signaler la non-décence. Or cela peut être délicat en période de déficit d'offre - on est prêt à beaucoup pour avoir un toit, et les plus modestes craignent l'expulsion. Il nous semble donc peu vraisemblable que les locataires arrêtent de payer.

Nous aimerions avoir des chiffres plus précis sur le délai de réalisation des travaux. Cette proposition de loi peut être utile pour accélérer leur réalisation, et son caractère expérimental éclairant.

Nous devons traiter les causes. Ainsi, la délégation aux outre-mer pointe des défaillances en matière de contrôle qualité, qui alimentent la machine à produire de l'habitat indigne. La moitié des habitants de La Réunion connaissent des problèmes d'humidité dans leur domicile et les malfaçons se multiplient.

Le défi est donc tant quantitatif que qualitatif. Où en est-on après les échecs et abandons successifs des plans Logement outre-mer ? J'attends des réponses précises du ministre sur ce sujet. Les membres du RDSE voteront pour ou s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Jean-Louis Lagourgue et son groupe de nous donner l'occasion de faire le point sur la lutte contre le logement indécent, notamment en outre-mer. Ce sujet me tient à coeur. Je m'y suis investie, au sein de la commission des affaires économiques, notamment après le drame de la rue d'Aubagne, le 5 novembre 2018.

Le logement est un bien de première nécessité. C'est aussi un élément central de notre pacte républicain : c'est l'abri de la famille, le lieu de l'épanouissement personnel et une garantie d'égalité. Un logement délabré diminue les chances de réussite et l'espérance de vie.

Ce combat nous mobilise, quel que soit notre groupe politique, autour des valeurs d'égalité, de justice et d'humanité, mais il n'y a ni martingale ni baguette magique.

Notre rapporteure, Micheline Jacques, a osé affronter la complexité de la lutte contre l'habitat indécent, sans se contenter d'une solution certes séduisante, mais mal adaptée.

Nul ne s'oppose à la protection des locataires vivant dans un habitat non décent. La délégation aux outre-mer souligne que 110 000 des 900 000 logements en outre-mer sont indignes, soit 13 %.

À première vue, la proposition de loi offre donc une solution séduisante, mais elle place la culpabilité sur le bailleur. Or c'est une fausse évidence, car la retenue des APL est efficace dans 95 % des cas.

Retirer toute ressource au propriétaire bailleur est plus punitif qu'incitatif. La Fondation Abbé Pierre estime qu'à La Réunion, la majorité des logements problématiques appartiennent à des propriétaires modestes. Au niveau national, un tiers des propriétaires n'est pas imposable et deux tiers possèdent un seul bien à louer, souvent pour compléter une retraite...

Il s'agit moins d'un conflit de classes que d'un problème plus structurel, celui de la qualité du bâti.

L'outil de l'indécence du logement fait peser le poids de la rénovation sur les seuls locataires, souvent réticents à engager une procédure, de peur de perdre leurs APL.

Ne laissons pas de côté les nombreux propriétaires vivant dans des logements de ce type. La question des copropriétés dégradées est particulièrement difficile à traiter. En outre-mer, l'habitat informel ou spontané ne résulte pas de difficultés entre locataires et bailleurs ; les problèmes structurels dépassent largement les défauts d'entretien. Les malfaçons sont récurrentes, la qualification des professionnels est insuffisante, la qualité des matériaux pas assurée - une partie des logements encore sous garantie décennale serait déjà concernée. Le ciblage des investissements défiscalisés est également mal contrôlé.

Le problème ne pourra trouver de solution qu'à la suite d'une analyse multifactorielle, prenant également en compte les risques sismiques ou climatiques.

Je regrette que l'auteur de la proposition de loi ait refusé un renvoi en commission, qui aurait pu mener à un travail en profondeur analogue à celui sur la proposition de loi de Bruno Gilles, à la suite du drame de la rue d'Aubagne.

Le groupe Les Républicains suivra les recommandations de la commission et rejettera à regret tant le texte que l'amendement présenté par son auteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion de l'article unique

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Lagourgue, Capus, Chasseing, Decool et Dennemont, Mme Dindar, MM. Grand, Guerriau et Longeot, Mme Malet, MM. Malhuret, A. Marc et Médevielle, Mme Mélot, M. Menonville, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et Wattebled.

Rédiger ainsi cet article :

L'article L. 843-1 du code de la construction et de l'habitation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation à l'alinéa précédent, à La Réunion et jusqu'au 31 décembre 2026, durant ce délai, le locataire consigne à la Caisse des dépôts et consignations le montant du loyer et des charges récupérables diminué du montant des allocations de logement, dont il a été informé par l'organisme payeur, sans que cette diminution puisse fonder une action du propriétaire à son encontre pour obtenir la résiliation du bail. »

M. Jean-Louis Lagourgue.  - J'ai entendu les réserves de la rapporteure quant à l'application du dispositif à l'ensemble du territoire. L'amendement propose une application limitée à La Réunion. Nous ne pouvons pas laisser nos compatriotes sans solution. Il faut agir, ce que l'expérimentation permet.

Je pense que vous comprenez notre situation et que vous ne vous opposerez pas à la demande de la quasi-totalité des parlementaires de La Réunion.

Mme Micheline Jacques, rapporteur.  - Cet amendement prévoit une expérimentation jusqu'en 2026. Mais les motifs de ce dispositif concernent tout le territoire. En outre, les acteurs réunionnais, dont la Dreal, confirment la grande efficacité de la retenue des APL. Pourquoi durcir le dispositif ?

Le risque de fragilisation des propriétaires modestes est, de plus, souligné par un rapport de la Fondation Abbé Pierre.

Les critères énergétiques induiront des coûts supplémentaires pour les propriétaires à partir de 2028.

Il existe également un risque que des locataires se retrouvent en situation d'impayés après une mauvaise compréhension du dispositif.

Je comprends votre volonté, face à des situations parfois ubuesques, mais les effets de bord sont réels.

Le bilan d'une expérimentation appliquée à la seule Réunion ne pourrait être tiré, le régime des allocations au logement y étant différent. Il s'agirait donc d'une législation d'exception. Avis défavorable.

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Sagesse. Les problématiques d'habitat indigne et insalubre sont particulièrement fortes outre-mer. Néanmoins, la mise en oeuvre d'un dispositif spécifique rencontre des difficultés, comme je l'ai dit lors de la discussion générale.

Le Gouvernement est mobilisé, notamment via la ligne budgétaire unique, avec 20 millions d'euros inscrits en 2023 pour le logement.

À la demande du groupe INDEP, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°252 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 213
Pour l'adoption   19
Contre 194

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.