Quatre questions à Annick BILLON, présidente de la délégation aux droits des femmes, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes.

Quatre questions à Annick BILLON, présidente de la délégation aux droits des femmes, à l’occasion du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes (25 novembre 2020)

Les derniers chiffres du ministère de l’intérieur en matière de violences conjugales sont tombés lundi 16 novembre : ils sont en hausse de 16 % en un an avec 142 310 victimes en 2019 dont 88 % de femmes. Quelles sont les principales propositions formulées ces dernières années par la Délégation aux droits des femmes pour traiter ce fléau ?

Tout d’abord, c’est un triste constat !

Et encore, ces chiffres ne comptabilisent pas les féminicides : en 2019, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, soit 25 de plus que l’année précédente, selon les chiffres officiels. Ceux de la Fédération nationale des victimes de féminicides pour cette année sont accablants : au 12 novembre 2020, 82 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-compagnon.

Mais ces chiffres en hausse sont aussi le reflet d’une évolution de l’approche des violences dans notre pays : ils démontrent que non seulement les signalements sont en hausse, par les victimes elles-mêmes ou leur entourage, mais aussi que les forces de l’ordre traitent ces signalements plus sérieusement !

Ces chiffres ne signifient pas non plus que tout ce qui a été mis en place jusqu’à présent est inefficace : il y a eu des avancées, grâce notamment à l’édifice législatif construit au cours des dernières années, qui a permis la mise en place des bracelets anti-rapprochements (BAR) pour les auteurs de violences ou l’éviction des conjoints violents du domicile conjugal. Quant au Grenelle de lutte contre les violences conjugales, dont nous fêtons le 1er anniversaire, il faut le saluer car il a encouragé une dynamique contre les violences conjugales, partout en France, qui s’est traduite par une plus large distribution aux victimes des téléphones grave danger (TGD) ou par le renforcement de la formation des policiers et gendarmes à l’accueil des victimes.

Mais il faut aujourd’hui aller plus loin, non seulement en généralisant les mesures qui tardent encore à concerner tous les territoires (je pense aux TGD, ou à la possibilité pour les victimes de porter plainte à l’hôpital), mais aussi en repensant notre approche globale de la lutte contre les violences.

Parmi les différents axes sur lesquels notre délégation a travaillé, je citerai plus particulièrement aujourd’hui la nécessité de pallier aux insuffisances de la chaîne pénale en France : améliorer le suivi du contrôle judiciaire des auteurs de violences s’impose, de même que le renforcement de l’accompagnement des victimes, maintenues dans une ignorance incompréhensible des suites données à leur plainte. De plus, on sait aujourd’hui que certains acteurs de la chaîne pénale ont parfois tendance à minimiser la gravité des violences que les victimes viennent dénoncer. Ainsi, des coups deviennent parfois un « différend familial ». Il en résulte une proportion préoccupante (80 % !) de plaintes classées sans suite…

J’ajoute que notre chaîne pénale est encore aujourd’hui trop segmentée pour permettre une évaluation globale du danger et protéger efficacement toutes les victimes de violences ! Il faut que tous ces acteurs, police et gendarmerie, procureurs, juges aux affaires familiales, etc. communiquent entre eux : pour venir à bout des violences, il faut travailler en réseau, pas en silo !

 Quel peut être le rôle du législateur pour lutter contre ces violences ?

Il faut tout d’abord mettre fin à l’accumulation de lois dans ce domaine (trois lois entre août 2018 et juillet 2020 !) et avoir pour objectif l’élaboration d’une loi-cadre de lutte contre les violences, qui appréhenderait tous les aspects de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants et permettrait de traiter ce fléau dans ses dimensions systémiques. L’Espagne, avec sa grande loi de 2004, pourrait nous montrer la voie. Ce pays a réussi à faire baisser le nombre de féminicides d’un quart entre 2003 et 2019 ! En 2019, 55 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint contre 146 en France…

L’élaboration d’une loi-cadre suppose toutefois, en premier lieu, une évaluation de tous les dispositifs et bonnes pratiques existants, pour retenir ce qui fonctionne. C’est une méthode qui prend du temps : on est loin de la loi adoptée pour répondre à des exigences médiatiques…

 La France consacre-t-elle assez de moyens à la lutte contre les violences ?

Le budget consacré à la lutte contre les violences conjugales, c’est bien évidemment le nerf de la guerre !

Certes les crédits du programme 137, le programme budgétaire consacré spécifiquement à la lutte contre les violences, sont en hausse pour 2021, comme l’a souligné la ministre Élisabeth Moreno lors de son audition le 5 novembre dernier. Leur montant en 2021 sera de 41,5 millions d’euros. Mais ils ne permettent pas d’avoir une vision globale et transversale des financements consacrés à cette politique publique et ils sont loin d’atteindre le milliard d’euros dédié à la lutte contre les violences conjugales en Espagne par exemple. C’est d’ailleurs un effort comparable que réclament depuis de nombreuses années les acteurs de la lutte contre les violences !

Ce qu’il faut inlassablement rappeler, à propos des moyens consacrés à la lutte contre les violences, c’est que cette politique publique repose en France principalement sur le bénévolat et sur les associations. Or celles-ci reçoivent des subventions trop souvent aléatoires pour pouvoir se projeter dans l’avenir.

L’État trouve probablement son compte dans ce système, mais les limites de celui-ci en termes d’efficacité sont évidentes.

Ainsi, les deux millions d’euros réunis lors de la collecte de la Fondation des femmes, pendant le premier confinement, auprès de particuliers et d’entreprises situent à leur juste place le "million du confinement" annoncé à grands renforts de communication, alors qu’il résultait de mesures de redéploiement et non de crédits nouveaux.

Nos collègues de la commission des finances, Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET, ont d’ailleurs souligné cet été dans leur rapport sur le financement de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes une sous-consommation régulière de ces crédits jusqu’en 2018, des opérations discrètes de redéploiement interne ainsi que le fort morcellement de ces crédits, ce qui nuit à leur appréhension globale.

Nous le savons, sans une véritable volonté politique il sera impossible de dégager les moyens indispensables à ce combat !

La vigilance s’impose, par exemple, lorsque l’on constate que les mesures de prise en charge des auteurs de violence sont financées sur le programme 137 alors qu’elles devraient l’être sur le budget de la justice. Elle s’impose également lorsque l’on nous annonce la mise en concurrence de la Fédération nationale solidarités femmes (FNSF) pour l’attribution du numéro d’urgence 3919, plate-forme d’écoute et d’accueil des femmes victimes de violences. Je le rappelle : la logique de rentabilité économique et les exigences managériales ne sauraient être compatibles avec les prérequis de l’écoute des victimes que sont le temps, la disponibilité et la formation des écoutants et écoutantes.

La période récente de confinement a été marquée par la crainte d’une recrudescence des violences au sein des familles : quels sont les principaux constats de la délégation à cet égard ?

Dès le début du premier confinement, la délégation s’est alarmée d’un risque d’aggravation des violences faites aux femmes et aux enfants enfermés dans un foyer violent.

Mes collègues et moi avons donc travaillé sur ce sujet entre mars et juin 2020.

Qu’avons-nous constaté ? Tout d’abord, que ces craintes étaient fondées : le confinement a constitué une arme de plus au service des conjoints et pères violents en isolant avec eux leurs victimes, femmes et enfants, privés de contacts avec l’extérieur.

Signe encourageant, le nombre de signalements par les proches des victimes (notamment le voisinage) a fortement augmenté pendant cette période, qu’il s’agisse par exemple des SMS au numéro 114, des appels au 3919, des 1655 tchats sur la plate-forme en ligne Arrêtons les violences.

Cela confirme une évolution qu’il faut vraiment saluer : face à ces violences, on ne détourne plus le regard. Nous sommes tous et toutes concernés : ce message est passé !
Il y a eu également, et il faut aussi s’en féliciter, une véritable mobilisation des pouvoirs publics qui, dans l’urgence, ont diversifié les dispositifs de signalement des violences et renforcé la prise en charge des auteurs de violences.

Mais une fois de plus, ce sont surtout les associations spécialisées dans la lutte contre les violences qui ont été en première ligne pendant le confinement, dans tous les territoires : la délégation ne peut que leur exprimer son soutien et appeler à sécuriser les moyens financiers de ces actrices incontournables de la lutte contre les violences. Compromettre leur action pour des raisons de rentabilité financière, c’est laisser les victimes, femmes et enfants, au bord du chemin.


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