Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 3 mars 2004



Budget communautaire

Rapport au Premier ministre sur les
perspectives financières européennes 2007-2013

Présentation par Serge Vinçon

Il y a quelques jours, j'ai remis au Premier Ministre le rapport sur les enjeux des futures perspectives financières européennes pour la période 2007-2013. J'ai partagé ce travail avec le député Marc Laffineur, nommé comme moi parlementaire en mission sur ce sujet. C'est la première fois que la représentation parlementaire est sollicitée de cette façon et si en amont, avant même que s'engagent les négociations entre États membres.

Dans ce rapport, nous examinons successivement le contexte de la mission, les enjeux de la négociation, avant de formuler des recommandations.

A. Le contexte de la mission

Il ne fait aucun doute que la négociation budgétaire qui s'annonce entre les vingt-cinq États membres de l'Union européenne sera dure. Plusieurs facteurs, d'ordre budgétaire, politique, institutionnel et économique, font craindre l'apparition de blocages.

Le facteur budgétaire tient en un chiffre. Les perspectives financières déterminent des plafonds pour les budgets annuels. Selon les propositions actuellement envisagées, l'enjeu budgétaire est entre 800 et 1.000 milliards d'euros pour sept ans. Le facteur politique, est lié à ce qu'on peut appeler les « lignes rouges », des lignes à ne pas dépasser et des sujets où les sensibilités nationales sont extrêmes : la correction britannique, l'importance de la contribution allemande ou néerlandaise au budget communautaire, la politique régionale européenne pour l'Espagne, la politique agricole commune pour la France... Chaque État a ses lignes rouges. Le problème, est qu'elles se croisent...

Sur le plan institutionnel, la négociation se tiendra à vingt-cinq et les perspectives financières seront décidées à l'unanimité. Les difficultés apparues lors de l'examen du projet de Constitution laissent mal augurer des difficultés prévisibles lorsque 1.000 milliards seront en jeu. La force des alliances sera mise à l'épreuve. Dans une négociation budgétaire, le réalisme impose de reconnaître que la distinction entre les contributeurs nets et les bénéficiaires du budget européen déterminera une part des positions de négociation. Tous les élargissements se sont traduits par des inflexions budgétaires majeures et l'on ignore encore quelle sera l'influence des nouveaux membres.

Enfin, si l'on prend une vision historique, il faut reconnaître une difficile complémentarité entre un moment - les cinquante ans du traité de Rome ont vocation à susciter des initiatives fortes- et une conjoncture économique qui doit imposer une grande rigueur dans la gestion des dépenses publiques, nationales et européennes.

B. Les principaux enjeux

1) La politique régionale et de cohésion, requalifiée par la Commission de « politique de cohésion pour la croissance et l'emploi » sera au centre des négociations budgétaires.

Tous les États bénéficient des actions structurelles communautaires, à un titre ou à un autre  et les sommes en jeu sont considérables : 345 milliards d'euros en sept ans dans la version de la Commission. Une petite variation sur ce poste exprimée en % du PNB représente des économies ou des dépenses supplémentaires très vite significatives. Cette action budgétaire sera orientée de façon massive vers l'objectif de convergence dit « objectif 1 » c'est à dire vers les États et les régions les plus pauvres de l'Union européenne à 25. Cette concentration est souhaitable, même s'il serait imprudent de trop miser sur les fonds structurels pour assurer le rattrapage des niveaux de vie. La capacité économique et administrative à gérer de tels crédits n'est nullement acquise et certains effets pervers ne peuvent être exclus. Il faut veiller à ce que les fonds européens n'entraînent pas les délocalisations des activités au sein de l'Union.

L'objectif de convergence appelle trois interrogations principales :

Quel sera le niveau de soutien accordé aux régions pauvres des Quinze, qui ont bénéficié des aides de l'Union depuis quinze ans ?

Quelles compensations faut-il accorder aux régions qui étaient éligibles aux fonds structurels et qui ne le sont plus par l'« effet statistique » (dû à la baisse de 12 % du niveau de vie moyen de l'Union européenne élargie) ? Le principe de compensation est acquis, mais son ampleur mérite d'être discutée au regard des contraintes budgétaires d'ensemble.

- Peut on imaginer une modulation des aides selon les niveaux de vie ? La règle du plafonnement des aides structurelles à 4 % du PIB de chaque État conduit à une situation paradoxale : ce sont les régions qui sont les plus proches du seuil de 75 % de la moyenne européenne - que l'on trouve parmi les Quinze et qui ont déjà bénéficié de façon massive de ces fonds communautaires -, qui recevraient le niveau d'aide par habitant le plus élevé. Il y a là matière à débat.

2) L'autre volet de la politique de cohésion est également sur la sellette. Il s'agit des aides de « l'objectif de compétitivité et d'emploi », dit objectif 2, créé par fusion des actuels objectifs 2 (régions en difficultés structurelles) et 3 (emploi-formation) de la politique de cohésion.

Ces aides seraient réservées aux régions non éligibles à l'objectif précédent, soit, pour simplifier, à la plupart des régions de l'Union des Quinze. Comme l'ont parfaitement analysé nos collègues Yann Gaillard et Simon Sutour, cet objectif pourrait constituer une variable d'ajustement sinon la variable d'ajustement privilégiée de la négociation budgétaire. Il ne faut pas nier que la France aurait beaucoup à perdre à l'éventuel abandon de cet objectif puisque les régions françaises de métropole reçoivent de l'ordre de 10 milliards d'euros de fonds communautaires en sept ans. Des coupes sont inévitables. Ce n'est que justice lorsque le souci de solidarité et l'effort budgétaire imposent une concentration des fonds. Attention toutefois à ne pas confondre concentration et préemption. La solidarité ne se découpe pas en compartiments. Attention à ne pas opposer les régions les unes aux autres, les régions vraiment pauvres (mais qui peuvent avoir des îlots de prospérité), qui auraient tout, et les régions un peu moins pauvres (mais qui peuvent avoir des zones de fragilité), qui n'auraient plus rien. La solidarité a toujours été le choix de l'Europe. Depuis l'origine, le « chacun pour tous » a été préféré au « chacun pour soi ». Cette orientation devrait prévaloir. Même si les crédits doivent être réorientés en faveur de la compétitivité, le maintien d'un objectif 2 non résiduel paraît nécessaire à l'Union.

3) L'augmentation considérable des crédits divers entrant dans la rubrique actuelle des politiques internes ne peut être acceptée sans nuance ni débat.

4) Le montant total du budget

La Commission a présenté une communication dans laquelle elle prévoit une hausse du budget communautaire qui atteindrait 1,24 % du PNB de l'Union en crédits d'engagements à l'horizon 2013 (1,27 % avec intégration du Fonds européen de développement). Six États membres, dont la France, comptant parmi les principaux contributeurs nets au budget communautaire, ont défendu un budget stabilisé à son niveau actuel inférieur à 1 % du PNB de l'Union. Cette stabilisation en pourcentage allant de pair avec une augmentation du budget en volume, compte tenu du taux de croissance attendu (2,3 % en moyenne selon la Commission).

Le niveau global sera un enjeu crucial de la négociation et même un condensé de ses difficultés. Il ne faut pas l'occulter par des artifices de présentation. A cet égard, on peut regretter que la proposition de la Commission fasse apparaître un décalage énorme entre les crédits d'engagement et les crédits de paiement. Ce choix doit être critiqué. Sur le court terme, il induit en erreur en permettant d'afficher un budget en crédits de paiement de 1,15 % du PNB seulement en 2013. Sur le long terme, il ne change rien à la réalité de la charge pour les États membres car le décalage ne fait que gonfler les « restes à liquider ».

5) Le partage de la charge de l'élargissement et d'une façon générale, le partage du financement du budget communautaire

L'effort financier imposé par l'élargissement imposera un examen du partage du financement du budget. La France aujourd'hui faiblement débitrice vis a vis du budget communautaire devra prendre sa part. Plusieurs de nos partenaires sont dans une situation budgétaire beaucoup moins favorable. Il est illusoire de penser que cette situation perdurera. Nos partenaires ne l'accepteraient pas et la France ne doit pas non plus le vouloir quand la solidarité s'impose.

La France devra donc prendre sa part. Comme tous les autres. Y compris ceux qui ont bénéficié de régimes dérogatoires qui ne sont plus justifiés aujourd'hui. Tel est le cas de la correction dont bénéficie le Royaume-Uni depuis 1984. Le Royaume-Uni déjà au-dessus de la moyenne communautaire à Quinze se trouve à près de 20 % au-dessus de la nouvelle moyenne communautaire à vingt-cinq. Cette correction est financée par les autres États membres y compris par ceux dont le revenu moyen atteint moins de la moitié de celui du Royaume-Uni. Cette situation n'est évidemment pas admissible. La correction dont bénéficie le Royaume-Uni sera l'un des enjeux de cette négociation.

La Commission souhaite également débattre d'un mécanisme de correction généralisée au profit des États débiteurs nets. Cette proposition doit être rejetée avec force, car elle irait à l'encontre de l'esprit européen et de la solidarité entre les États membres.

C. Propositions

Nos dix-huit propositions s'articulent autour de quatre thèmes : la cohésion, la gestion des dépenses structurelles, les autres dépenses, le financement.

Ces propositions figurent dans le résumé que je vous ai remis, et je me concentrerai sur les principales d'entre elles.

Le thème principal concerne les propositions relatives à la politique de cohésion.

Dans ce domaine, nous souhaitons :

moduler davantage les aides de l'objectif 1 selon le niveau de vie ;

choisir une attitude ferme concernant le phasing out. L'élargissement impose un partage de l'effort financier entre les quinze membres actuels de l'Union, notamment de la part des pays qui ont massivement bénéficié des fonds européens pendant quinze ans. Tout accord dans ce domaine devrait être considéré comme une concession, qui appelle une attitude de conciliation de leur part sur d'autres sujets ;

défendre un objectif 2 non résiduel car l'Union européenne ne gagnera rien à opposer les régions les unes aux autres. Concentration des fonds ne doit pas signifier préemption. Il faut rester vigilant sur la répartition entre les objectifs 1 et 2, qui est dans la proposition de la Commission de 78 % pour le premier contre 18 % pour le second ;

établir des passerelles entre l'objectif 2 et les politiques de compétitivité. Il faut anticiper une baisse possible des crédits régionaux et compenser cette évolution par une nouvelle organisation des soutiens communautaires. Notre idée est d'établir une véritable synergie entre les politiques de cohésion et la politique de recherche : une partie des crédits de l'objectif 2 concourant à la politique de recherche, et, inversement, une partie des crédits de recherche allant dans les régions de l'objectif 2 après appel à projet au sein des régions éligibles. La plus grande part des crédits de recherche restant, bien sûr, affectée au niveau européen après sélection sur des critères d'excellence. Cette proposition va bien au-delà d'une partition entre « le contenant » (financé par l'objectif 2) et « le contenu » (financé par les crédits de recherche). Ces aides à partir des crédits de recherche pourraient être utilisées dans deux directions :

 pour des appels à projets moins capitalistiques dans lesquelles les régions seraient partenaires (science du vivant : génomique, biologie, télémédecine...) ;

 comme soutiens à des régions ayant fait la preuve de leur dynamisme en faveur de la recherche. Ce dynamisme peut être apprécié à partir des investissements, des résultats, mais les aides devraient aussi récompenser les régions ayant montré des efforts pour faire revenir les chercheurs expatriés hors de l'Union européenne, ou ayant choisi d'investir dans la culture scientifique des habitants. « La culture scientifique et technique pour tous », est une vraie priorité européenne, et les régions sont le cadre idéal pour répondre à ce défi.

Concernant les propositions dans les autres domaines budgétaires, nous proposons :

de veiller à ce que les dépenses agricoles induites par les futurs élargissements de 2007 ne s'imputent pas sous les plafonds adoptés au Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2002 prévus pour vingt-cinq États membres. (Il ne faut pas nier que la politique agricole commune, bien que décidée en octobre 2002, n'est pas aussi sanctuarisée que l'on veut le croire en France et que certains États ne cachent pas leur intention de la renégocier indirectement sous cette forme, en jouant sur les plafonds) ;

d'améliorer la visibilité de l'action européenne par d'autres relais, notamment par les échanges entre les jeunes, qui doivent prendre une toute autre ampleur (notamment auprès des jeunes en formation professionnelle) ;

de supprimer, au sein des politiques internes, les petites lignes budgétaires, dévoreuses en ressources humaines et favorisant le saupoudrage des crédits ;

de faire supporter l'ensemble des surcoûts liés à des opérations extérieures décidées par le Conseil par le budget de l'Union ;

de profiter de la négociation des perspectives financières pour accompagner la mise en place de l'agence européenne d'armement ;

de profiter de la budgétisation du FED pour introduire ou renforcer des principes appliqués aux autres rubriques, à savoir le dégagement d'office des crédits non utilisés, la réserve de performance (deux règles en vigueur au sein des politiques de cohésion) voire l'écoconditionnalité, appliquée à la politique agricole commune.

Concernant les propositions sur le financement, il nous semble utile :

d'engager une réforme de la correction britannique ;

de rejeter l'idée de toute forme d'écrêtement généralisé des soldes nets, totalement contraire à l'esprit européen et la solidarité entre États membres ;

enfin, dans la perspective des perspectives financières de l'après-2013, de jeter les bases de la création d'un impôt européen sur les sociétés, dont une part serait affectée au budget communautaire, afin de limiter la concurrence fiscale entre les États membres et de mettre fin aux débats stériles sur le juste retour Cette réforme peut être préparée dès aujourd'hui par l'harmonisation des bases.

*

Avec sa position en faveur d'un budget européen stabilisé à son niveau actuel de 1% du PNB européen, le gouvernement français a choisi une position réaliste, qui s'inscrit dans la continuité des décisions prises à Bruxelles en octobre 2002.

A titre personnel, compte tenu des efforts que nous attendons, des initiatives que la France peut et doit prendre en faveur de l'objectif de compétitivité, des échanges à promouvoir entre Européens, nous pensons que ces ambitions restent en tout état de cause compatibles avec un budget inférieur à 1,10 % du PNB européen en crédits pour engagement, ce qui correspondrait à environ 1,05 % du PNB en crédits pour paiement.

Le texte intégral du rapport est disponible sur le site internet de la Documentation française :

www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/044000098.shtml

Compte-rendu sommaire du débat

M. Bernard Frimat :

Votre remarque sur l'effet de seuil pour les régions se situant autour de 75 % de la moyenne communautaire me paraît judicieuse. En revanche, il me semble qu'il y a une contradiction entre le rapport de nos collègues Yann Gaillard et Simon Sutour et votre rapport. Je crains que les crédits consacrés à l'objectif 2 ne fassent office de variable d'ajustement si on limite le budget communautaire à 1 % du PNB. Je demeure sceptique quant à la possibilité d'avoir une ambition européenne si les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous.

M. Serge Vinçon :

Nous avons intégré l'idée que l'objectif 2 ne saurait être résiduel. Quelles sont les marges de manoeuvre ? D'abord la croissance : les perspectives financières tablent sur un taux de croissance annuel de 2,3 % sur la période. Ensuite le « phasing out », pour lequel la dégressivité pourrait être plus rapide.

En ce qui concerne la recherche, la Commission propose un doublement des crédits.

M. Yann Gaillard :

L'intérêt pour la France de l'objectif 2 est qu'il présente le meilleur taux de retour. Je suis favorable à ce que l'on en élargisse le champ.

M. Serge Vinçon :

Dès nos premières auditions, nous avons bien senti qu'il fallait défendre l'objectif 2. C'est lui qui assure la visibilité de l'Union européenne dans nos campagnes.

Mais je crois qu'en tout état de cause la France bénéficiera de moins de retours qu'auparavant et se retrouvera parmi les gros contributeurs. La limitation du budget à 1 % du PNB demandée par la France et cinq autres États membres est un appel à la prudence adressé à la Commission. Nous n'avons pas voulu nous aligner sur ce chiffre, et avons fait une proposition légèrement supérieure qui nous paraît raisonnable.

M. Jean Bizet :

Les États-Unis consentent un effort de recherche fondamentale sans commune mesure avec l'Union européenne. A l'échéance de 10 ans, il y aura un saut technologique entre eux et le reste du monde. Je suis donc ravi que l'Europe accroisse son effort de recherche, et j'estime que le niveau régional est le niveau pertinent.

M. Lucien Lanier :

C'est par l'Europe que l'on peut redonner vie à la recherche scientifique. Je suis heureux d'apprendre que l'on va y consacrer davantage de crédits.

M. Pierre Fauchon :

Comment peut-on faire l'Europe avec un budget aussi dérisoire ? On prétend faire de tout, sans les crédits nécessaires.

M. Hubert Haenel :

Vous avez été audacieux avec votre proposition de créer un impôt européen sur les sociétés. Pourquoi cette proposition ?

M. Serge Vinçon :

Je constate que nous sommes tous d'accord sur la recherche. Nous avons le devoir d'accroître notre effort au niveau européen. L'inconvénient est la concentration des projets et il faut donc régionaliser l'effort de recherche.

Si l'on veut avoir une ambition européenne, il est évident qu'il faut s'en donner les moyens. Cela implique de faire des économies sur certains chapitres pour financer la solidarité avec les nouveaux États membres.

L'intérêt d'un impôt européen sur les sociétés serait, d'une part, de limiter les fuites en harmonisant l'assiette et, d'autre part, d'être l'expression de la citoyenneté européenne.


Justice et affaires intérieures

Introduction de sanctions pénales en cas de pollution
par les navires (E 2291)

Communication de M. Jacques Oudin

Si l'attention des médias se focalise sur les grandes catastrophes, comme celles de l'Erika ou du Prestige, il faut savoir que l'essentiel des pollutions d'origine maritime par hydrocarbures découle de déballastages, c'est-à-dire de rejets intentionnels par les navires. Contrairement aux marées noires, ces pollutions sont intentionnelles, et d'autant plus insidieuses qu'elles sont quotidiennes. On estime ainsi à près de 2 millions de tonnes les hydrocarbures déversés chaque année et à l'équivalent d'un Erika par semaine les rejets effectués en Méditerranée. Notre pays est particulièrement exposé à ce fléau, compte tenu de la géographie, et encore hier un navire a été surpris à proximité de nos côtes au moment où il effectuait un « dégazage ».

Si ces rejets sont déjà soumis à une réglementation très stricte, tant au niveau international, que sur le plan interne, les comportements n'ont pas pour autant évolué en raison d'un dispositif insuffisamment dissuasif pour les contrevenants. En effet, seul un faible nombre de navires qui pratiquent illégalement des déversements est effectivement détecté et un petit nombre d'entre eux est en définitive poursuivi. Même en cas de condamnation, les peines prononcées restent légères et sont le plus souvent infligées uniquement au capitaine du navire, plutôt qu'à la société propriétaire ou à l'armateur.

Ce constat a conduit les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du Conseil européen de Copenhague des 12 et 13 décembre 2002, à préconiser l'introduction de sanctions, y compris pénales, en cas d'infractions. Le caractère dissuasif de telles sanctions a, en effet, fait la preuve de son utilité aux États-Unis. Après le naufrage de l'Exxon Valdez en Alaska, les autorités américaines ont considérablement renforcé les sanctions à l'encontre des rejets tant volontaires qu'accidentels d'hydrocarbures. Les sanctions prononcées ont permis de réduire de 50 % la pollution par hydrocarbures dans les années 1990. Comme l'a encore rappelé récemment le Président de la République : « la conjonction d'un arsenal juridique et de moyens d'intervention pleinement utilisés montre sa pertinence face aux navires poubelles, aux dégazages sauvages, aux comportements criminels, à l'action de tous les voyous de la mer ».

I - LA PROPOSITION DE LA COMMISSION

Cette proposition de décision-cadre complète la proposition de directive relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d'infractions, qui a été examinée par la délégation par une procédure écrite du 14 mars 2003. Ces textes définissent les rejets illicites et imposent aux États membres de considérer ces rejets comme des infractions pénales et de prévoir des sanctions appropriées pour leurs auteurs. Le projet de décision-cadre complète la proposition de directive en harmonisant le quantum des sanctions, en particulier pénales, susceptibles d'être infligées par les États membres.

La principale nouveauté du dispositif proposé concerne son champ d'application. En premier lieu, il vise à sanctionner non seulement les rejets intentionnels, mais aussi les rejets dus à des avaries survenues à la suite d'une négligence grave. En second lieu, il vise les rejets provenant de tout type de navire, quel que soit son pavillon, c'est-à-dire également les navires de pays tiers. En troisième lieu, il s'appliquera aussi bien aux eaux territoriales, qu'à la zone économique exclusive et à la haute mer. Enfin, les personnes pouvant faire l'objet de sanctions constituent un éventail très large et incluent notamment l'armateur, le propriétaire de cargaison ou la société de classification.

Une autre originalité tient aux sanctions prévues. La Commission propose ainsi d'harmoniser les sanctions pécuniaires qui sont très variables entre les États membres. En outre, contrairement à ce qui se passe actuellement avec la pratique des « Protection and Indemnity Clubs », ces pénalités financières ne pourront plus être assurables. Enfin, la Commission prévoit un ensemble de sanctions pénales, telles que la confiscation ou l'interdiction temporaire ou définitive d'exercer une activité, ainsi qu'une peine maximale d'emprisonnement d'au moins cinq à dix années pour les infractions les plus graves.

II - LES NÉGOCIATIONS AU SEIN DU CONSEIL

Ces textes suscitent un clivage opposant deux groupes d'États. Un premier groupe, emmené par la France, l'Espagne et le Portugal, soutient la Commission et adopte une position volontariste sur ce dossier. Un deuxième groupe, composé des pays nordiques, de l'Allemagne et de la Grèce, conteste la proposition de la Commission car il ne souhaite pas s'écarter sur le plan européen des solutions retenues au niveau international.

En raison des réticences de ces États, les négociations au sein du Conseil ont abouti à diminuer considérablement la portée du texte initial. Ainsi, la définition du rejet « illicite » proposée par la Commission avec le soutien de la France, qui incluait l' « accident de mer dû à une négligence grave », a été contestée au motif qu'elle irait au delà de la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, dite Convention MARPOL 73/78. De la même manière, les sanctions pénales ne sont plus précisées dans le texte, qui opère un renvoi au droit national, et elles ne pourraient s'appliquer que dans la mesure où le droit international l'autorise. Même l'harmonisation des sanctions pécuniaires, vivement souhaitée par la France, est contestée par certains États, comme l'Allemagne, l'Autriche et la Grèce, qui ont obtenu son retrait du texte actuel. Cette harmonisation constitue pourtant la principale valeur ajoutée de la proposition, dès lors que seules ces sanctions pécuniaires peuvent être appliquées aux navires des pays tiers hors des eaux territoriales. En effet, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, qui date de 1982, prévoit trois types de restrictions, s'agissant des navires étrangers. Tout d'abord, les infractions commises en haute mer ne peuvent être sanctionnées que par l'État du pavillon. Ensuite, dans la zone économique exclusive, les navires étrangers ne sont passibles que des seules sanctions pécuniaires. Enfin, dans les eaux territoriales, les peines d'emprisonnement ne sont possibles que s'il s'agit d'un acte de pollution délibéré et grave.

On retrouve donc ici l'obstacle de l'unanimité, qui revient à conférer un droit de veto à chaque État et qui se traduit par des compromis a minima. Or, la perspective de l'adhésion au 1er mai 2004 des pays candidats, dont certains ne présentent pas toutes les garanties nécessaires en matière de sécurité maritime, présente un risque sérieux d'enlisement des discussions sur cette initiative.

III - LA POSITION DE NOTRE DÉLÉGATION

Dans ce contexte, je pense que notre délégation pourrait marquer son soutien à la position du gouvernement, qui rejoint très largement celle de la Commission européenne. En effet, la France a fait de la sécurité maritime l'une de ses priorités et le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a considérablement renforcé notre arsenal législatif de lutte contre la pollution par les navires.

Je voudrais néanmoins faire quelques observations.

Tout d'abord, je crois qu'il serait dangereux, et même contre-productif, de renforcer les sanctions pénales, en particulier les peines d'emprisonnement, tout en limitant la possibilité d'imposer ces sanctions uniquement aux navires battant pavillon communautaire. Cela risquerait, paradoxalement, de pénaliser les marins et les armateurs européens, qui sont souvent plus respectueux des normes de sécurité, et de favoriser les pavillons de complaisance. On irait ainsi à l'encontre de l'objectif visant à favoriser le retour aux pavillons des États membres. Il me semble donc nécessaire de mener une réflexion au niveau de l'Organisation maritime internationale (OMI) pour modifier les règles internationales applicables dans ce domaine. En tout état de cause, je considère qu'il est indispensable de prévoir une harmonisation élevée des sanctions pécuniaires, comme le propose le gouvernement, car, en l'état du droit international, seules ces sanctions sont applicables aux navires des pays tiers au delà des eaux territoriales.

Ensuite, si je partage l'objectif de la Commission de renforcer le volet répressif, je considère que la véritable priorité serait de développer et de coordonner les moyens de contrôle et d'intervention. En matière de rejets illégaux, il ne sert à rien de se doter d'un arsenal législatif très répressif, si les États n'ont pas les moyens de repérer les rejets. Je considère donc qu'il est indispensable d'imposer à tous les navires à destination des ports de l'Union ou en transit à proximité de nos côtes, d'être équipés de système d'identification automatique (balises), ainsi que d'enregistreurs des données du voyage (boîtes noires). Seules ces mesures permettraient réellement de faciliter les enquêtes sur les accidents, non seulement en matière de pollution, mais aussi en cas de collision, comme l'illustre le drame récent du chalutier « Bugaled Breizh ». J'ai d'ailleurs eu l'occasion de sensibiliser les services de la Commission sur cette question lors d'un récent déplacement à Bruxelles, au cours duquel je me suis notamment entretenu avec le directeur général de la Commission européenne chargé des transports, François Lamoureux. Dans cette optique, il me paraît également souhaitable que tous les ports de l'Union se dotent d'installations de réception des déchets d'exploitation des navires et des résidus de cargaison, conformément à la directive communautaire du 7 septembre 2000.

Enfin, il me semble que, face aux réticences de certains États, le recours au mécanisme de la « coopération renforcée » pourrait présenter un réel intérêt. Cela permettrait, en effet, aux États qui le souhaitent de réellement progresser dans le domaine de la sécurité maritime sans devoir s'aligner sur le « moins disant » européen. Le sommet franco-espagnol de Malaga, le 26 novembre 2002, a d'ailleurs permis de réaliser de notables avancées dans le domaine de la sécurité maritime. Compte tenu des enjeux et des fortes attentes des citoyens dans ce domaine, il me paraît indispensable de réaliser de véritables avancées. Au dogme de la liberté des mers et de l'impunité de l'État du pavillon, issu du XIXème siècle, doit succéder, au XXIème siècle, le primat de la sécurité.


Compte-rendu sommaire du débat

M. Lucien Lanier :

Je suis sceptique sur l'idée de renforcer les peines d'emprisonnement, pour des raisons d'efficacité, étant donné les limites posées par le droit international maritime qui exclut dans une large mesure les navires étrangers, et compte tenu du risque de criminaliser les marins, plutôt que les armateurs.

En revanche, je partage pleinement votre préoccupation concernant les pénalités financières. Il me semble que c'est le moyen le plus efficace de toucher les véritables responsables des pollutions maritimes. Il est donc impératif à mes yeux que ces sanctions pécuniaires soient réintroduites dans la proposition et qu'elles fassent l'objet d'une harmonisation élevée au niveau européen.

Par ailleurs, je m'interroge sur la pertinence de la disposition prévoyant que les « amendes ne sont pas assurables ».

M. Jacques Oudin :

Je rappellerai qu'il s'agit ici d'amendes infligées en tant que sanctions pénales. Une interdiction d'assurance me semble donc justifiée.

Je comprends votre interrogation sur le renforcement des peines d'emprisonnement, compte tenu des règles internationales, et votre souci de renforcer en priorité les sanctions pécuniaires. Mais je considère que le renforcement des sanctions pénales devrait concerner tout l'éventail des sanctions, y compris les peines privatives de liberté.

M. Pierre Fauchon :

Je m'interroge, tout d'abord, sur la base juridique de ces propositions. L'Union européenne a-t-elle réellement une compétence pour harmoniser les incriminations et les sanctions en matière de pollution maritime ? Sur quelle base juridique peut-on se fonder pour réaliser cette harmonisation ?

Je rappellerai également que la loi sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui a été longuement examinée par notre assemblée et qui a été adoptée définitivement le 11 février dernier, prévoit dans son article 30 de renforcer les sanctions pénales en matière de pollution par les navires. Cette loi modifie substantiellement les dispositions du Code de l'environnement en aggravant l'échelle des peines principales et complémentaires à l'égard des personnes responsables d'infractions en matière de pollution des eaux maritimes par rejet des navires. Le barème des peines d'emprisonnement et d'amendes tient compte à la fois de la taille du navire, du caractère volontaire ou involontaire de la pollution, ainsi que de ses conséquences sur l'environnement. Il me semble donc important que le gouvernement tienne compte, lors des négociations sur ces propositions au niveau européen, de ces éléments.

Sous cette réserve, je partage l'idée que le renforcement des sanctions devrait concerner toute la gamme des sanctions, y compris les peines privatives de liberté.

M. Jacques Oudin :

Le choix de la base juridique est une question sensible car ce point a fait l'objet d'un conflit entre le Conseil et la Commission. La Commission européenne a proposé, dans un premier temps, une directive communautaire car elle considère qu'on peut se fonder sur un instrument du premier pilier pour prévoir des sanctions, y compris pénales, en cas de violation du droit communautaire. Cette interprétation a cependant été contestée par l'ensemble des États membres, dont la France, au motif que le traité sur l'Union européenne réserve à un instrument du troisième pilier (la décision-cadre) l'objectif de rapprochement des législations pénales. On se trouve donc en présence de deux instruments, l'un fondé sur le premier pilier, l'autre sur le troisième pilier, qui sont en réalité indissociables.

La loi d'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité fait de notre dispositif national l'un des plus sévères et des plus complets en matière de pollution maritime. Toutefois, l'application de ces règles est limitée en haute mer par la loi du pavillon. Par ailleurs, même au sein de l'Union européenne, les législations des États membres restent très divergentes. Il est donc indispensable d'harmoniser au niveau international et sur le plan européen les règles applicables dans ce domaine. Et, pour réaliser cette harmonisation européenne, le Gouvernement propose de reprendre dans la décision-cadre les dispositions contenues dans la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, notamment en matière de quantum des peines d'amendes et d'emprisonnement.

Plus généralement, face aux réticences de certains États, je crois qu'il est nécessaire que notre délégation manifeste son soutien à la position du gouvernement en faveur de l'adoption rapide d'un ensemble harmonisé de sanctions pénales réellement dissuasives et comportant des peines privatives de liberté.

*

A l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Vu le projet de décision-cadre visant le renforcement du cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires (texte E 2291),

1. Approuve les dispositions proposées par la Commission sous les deux réserves suivantes :

- des sanctions pénales devraient être prévues à l'encontre de toute personne qui occasionne délibérément, ou accidentellement en raison de sa négligence, une pollution maritime, quel que soit le pavillon du navire ;

- des pénalités financières devraient être incluses dans la proposition et faire l'objet d'une harmonisation selon des modalités garantissant qu'elles soient réellement dissuasives, proportionnelles et efficaces ;

2. Suggère de recourir au mécanisme de la coopération renforcée dans le cas où le texte proposé par la Commission se heurterait à l'opposition de certains États ;

3. Estime que les navires à destination des ports de l'Union ou en transit à proximité des côtes européennes devraient être équipés de systèmes d'identification automatique ainsi que d'enregistreurs des données de voyage.