Réunion de la commission des affaires européennes du mardi 3 mars 2009


Table des matières

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Institutions européennes

Les coopérations spécialisées :
une voie de progrès de la construction européenne

Rapport d'information de M. Pierre Fauchon

Résumé du rapport

La crise économique et financière que traverse aujourd'hui l'Europe a tendance à reléguer à l'arrière-plan les questions de fond concernant la construction européenne. Cependant, ces questions sont toujours là, même si on leur prête moins d'attention. Et si l'on prend un peu de recul, on voit que la construction européenne, depuis une quinzaine d'années, a été marquée par un double élargissement :

- un élargissement de ses compétences, depuis le traité de Maastricht et la création des deuxième et troisième « piliers » de l'Union ;

- un élargissement géographique sans précédent, puisque, depuis la chute du mur de Berlin, l'Union est passée de 12 à 27 membres et s'apprête d'ailleurs à passer bientôt à 28.

Or, ce que je constate, c'est que, malgré l'élargissement de ses compétences, la construction européenne a finalement peu progressé, pour ne pas dire qu'elle est apparue souvent paralysée. Faut-il penser que l'élargissement géographique a empêché l'élargissement des compétences de produire tous ses effets ?

Quoi qu'il en soit, les progrès les plus marquants, en pratique, se sont effectués par une voie imprévue, ce que je propose d'appeler les « coopérations spécialisées ». J'ai hésité avant de retenir ce terme qui n'est pas consacré par l'usage, mais je me suis rendu compte qu'il y avait un flottement terminologique qui pouvait être source de confusion.

Pour parler des coopérations entre certains États membres seulement, on parle souvent de « coopérations renforcées ». Mais cela peut être trompeur, car les « coopérations renforcées » sont une notion bien précise, définie par les traités, avec des conditions très strictes à remplir et toute une procédure à respecter. À vrai dire, les conditions sont si strictes et la procédure si lourde que, jusqu'à présent, cette formule n'a jamais été utilisée. J'ai donc cherché un terme qui puisse regrouper toutes les formes de coopérations entre États membres, et j'ai retenu celui de « coopérations spécialisées », car ce qui me paraît commun à toutes ces formes de coopération, c'est d'avoir un objectif bien précis autour duquel se réunissent certains États membres.

Le constat de base que j'ai fait, c'est que, alors que la construction européenne était en permanence guettée par la paralysie, les coopérations spécialisées, quant à elles, avaient permis d'avancer.

Par exemple, en matière de circulation des personnes, si nous avons vraiment progressé, c'est grâce aux accords de Schengen, qui au départ avaient été signés par cinq États membres, et qui aujourd'hui s'appliquent à 22 États membres sur 27, auxquels s'ajoutent trois pays non membres de l'Union.

De même, si nous avons pu créer la zone euro, c'est seulement parce que nous avons choisi la voie d'une coopération spécialisée. Et aujourd'hui, la monnaie unique est une réalité pour 16 États membres sur 27.

Je voudrais prendre un autre exemple, sans doute moins spectaculaire, mais qui me paraît très significatif : l'interconnexion des casiers judiciaires. Au départ, en 2003, c'était une initiative franco-allemande ; aujourd'hui, 14 États y participent. Pour des raisons techniques, la réalisation complète du processus d'interconnexion demande du temps, mais l'interconnexion est d'ores et déjà opérationnelle entre six pays. Voilà un progrès concret, significatif, qui a été rendu possible par une coopération spécialisée, alors que si l'on avait attendu que tout le monde soit d'accord, nous en serions encore au stade des discussions préliminaires.

On voit bien par ces trois exemples que les coopérations spécialisées jouent dans la pratique un rôle essentiel dans la construction européenne.

C'est pourquoi il m'a semblé utile de faire dans ce rapport un essai d'inventaire de ces coopérations.

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Je rappelle qu'il existe trois types de coopérations spécialisées.

La première forme, ce sont les coopérations définies et organisées par les traités eux-mêmes. Trois domaines sont aujourd'hui concernés :

- l'union économique et monétaire, dont j'ai déjà parlé,

- les accords de Schengen, dont j'ai également parlé, sont nés en dehors des traités, puis ont été intégrés dans les traités au bout d'une douzaine d'années,

- enfin, d'une manière spécifique, le domaine de la défense fait également une place aux coopérations spécialisées, que ce soit pour l'appartenance à des alliances, pour la constitution de forces multinationales comme l'Eurocorps ou le groupe aérien européen, ou pour la coopération en matière d'armement avec l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et l'accord-cadre dit « Lettre d'intention ».

Il existe une deuxième forme de coopérations spécialisées, ce sont les coopérations « hors traités ». Elles sont assez nombreuses et couvrent des domaines variés : l'espace avec l'Agence spatiale européenne et l'Organisation européenne pour l'exploitation de satellites météorologiques ; l'aéronautique avec la création d'EADS ; la recherche scientifique avec le CERN, l'initiative Eurêka, le brevet européen ; la coopération judiciaire et policière avec l'interconnexion des casiers judiciaires et le traité de Prüm sur le renforcement de la coopération policière ; l'enseignement supérieur avec le processus de Bologne... On doit mentionner aussi les nombreuses coopérations à base géographique, comme le Benelux, le Conseil nordique ou le Conseil des États de la mer Baltique.

Enfin, la troisième forme, ce sont les « coopérations renforcées » au sens strict. Elles se définissent comme l'utilisation par une partie des États membres des institutions et procédures de l'Union pour réaliser un approfondissement de la construction européenne ; les objectifs pouvant être poursuivis ne sont pas précisés par les traités, ils sont définis par les États qui lancent la coopération. Je mentionne les coopérations renforcées plutôt pour mémoire, car elles ont été introduites dans les traités en 1997, mais n'ont toujours pas été utilisées. La Commission européenne, en réalité, se résout mal à l'idée d'une législation européenne applicable à une partie des États membres seulement. Et parmi les États membres, certains craignent que les coopérations renforcées ne conduisent à une Europe où il y aurait en quelque sorte une « première classe » et une « deuxième classe », et peut-être une moindre solidarité financière.

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Quelles leçons peut-on tirer de cet inventaire des diverses formes de coopération spécialisée ?

Tout d'abord, sans être une formule miracle, les coopérations spécialisées - du moins sous leurs deux premières formes - sont une formule qui marche. Elles ont permis des avancées importantes. Elles sont diverses, disparates, mais dans l'ensemble, elles permettent d'arriver à des résultats.

Cela me conduit à penser qu'il faudrait cesser de considérer les coopérations spécialisées comme un péché contre la construction européenne. Le vrai péché, c'est l'immobilisme. Il faut savoir avancer séparément quand tous les États membres ne peuvent pas ou ne veulent pas avancer ensemble. Je crois qu'il faudrait crever l'abcès et reconnaître une fois pour toutes que, dans l'Europe élargie, si l'on veut continuer à avancer, il y a aura nécessairement :

- des différenciations temporaires entre États membres, correspondant à des différences de vitesse pour atteindre un objectif,

- mais aussi des différenciations plus durables, correspondant à des engagements plus ou moins forts des États dans telle ou telle direction. (Naturellement, il ne saurait y avoir pour autant des clubs fermés au sein de l'Union : il doit être constamment affirmé que les coopérations spécialisées doivent rester ouvertes à tout État membre qui a la volonté et la capacité d'y participer).

Les réticences doivent être surmontées et je crois que ce doit être une tâche des parlements - parlements nationaux et Parlement européen - que d'agir dans ce sens. Nous sommes les représentants des citoyens ; ce que veulent les citoyens, c'est une Europe qui avance concrètement ; nous devons donc être les avocats des coopérations spécialisées, lorsqu'elles sont le moyen de réaliser des avancées concrètes. Je souhaite notamment que le Parlement européen qui sera prochainement élu ait le courage de pousser dans ce sens, car c'est à mon avis, l'intérêt de la construction européenne. Je reconnais tout à fait que l'idéal est d'avancer à vingt-sept, mais je crois aussi qu'il vaut mieux avancer en ordre dispersé que de ne pas avancer du tout.

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Quelques exemples d'avancées possibles.

Tout d'abord, la lutte contre la crise. Il me paraît clair qu'une lutte plus efficace contre la crise économique et financière appellerait non seulement une coordination plus étroite entre les vingt-sept États membres, mais aussi une plus forte structuration politique de la zone euro, qui regroupe aujourd'hui seize États membres sur vingt-sept. Des craintes mal fondées pour l'indépendance de la BCE freinent cette évolution.

Cependant, on voit mal comment on pourrait gérer de manière optimale la zone euro sans avoir une cohérence effective entre la politique monétaire d'un côté, et les politiques budgétaires et fiscales de l'autre. Il faudrait donc tirer toutes les conséquences de la différenciation majeure que constitue l'appartenance ou non à la zone euro. Personne n'est obligé d'en faire partie, mais il faudrait que ceux qui ont décidé d'en faire partie s'organisent en conséquence, afin de réaliser l'intégration plus étroite qui paraît indispensable.

Un deuxième domaine que je voudrais mentionner est celui du droit de la famille. Les couples bi-nationaux sont de plus en plus nombreux. Ils sont confrontés à des difficultés juridiques considérables en cas de séparation. Et les instances politico-administratives en charge de ces domaines sont plus attentives à leurs us et coutumes nationaux qu'aux aspects humains de ces contentieux. C'est pourquoi je plaiderais, pour ma part, pour la définition d'un statut juridique unique du couple et de la famille européens.

Je suis bien conscient qu'il n'y a aucune chance que l'ensemble des États membres souscrivent à une telle démarche. Par contre, il est permis de l'envisager entre quelques États, plus conscients de la nécessité de sortir des difficultés actuelles. Ils formeraient un « noyau » dont le caractère exemplaire provoquerait l'extension progressive. Bien entendu, ce statut européen serait facultatif et ne pourrait résulter que d'une option arrêtée au sein du couple au moment de l'acte d'union, sous les réserves habituelles de validité du consentement. Ceci supposerait qu'il soit intégré dans les législations nationales concurremment avec les statuts nationaux existants.

Un troisième et dernier exemple que je voudrais citer est la création d'un parquet européen au sens plein du terme. Le traité de Lisbonne ouvre timidement la porte à la création d'un tel parquet, mais seulement pour les atteintes aux intérêts financiers de l'Union. Pour lui donner compétence à l'égard des autres aspects de la délinquance transfrontalière, il faut l'unanimité des États membres, autant dire qu'on n'y arrivera pas.

Or, l'absence d'un parquet européen, nous devons en être conscients, facilite le développement de la criminalité transfrontalière. Nous ne pouvons donc pas nous permettre d'attendre que les Vingt-sept se mettent d'accord, après je ne sais combien d'années de négociations, autour d'un compromis laborieux. Il faut que les États qui sont conscients de la nécessité d'avancer le fassent sans attendre.

Il s'agirait de créer un « parquet » au vrai sens du terme, c'est-à-dire disposant des attributions habituelles à ce type d'autorité : obligation pour toutes les instances de poursuite nationales de tenir ce parquet  informé de tout fait relevant de sa compétence, capacité pour ce parquet de provoquer des enquêtes ou informations, et d'engager des poursuites devant les juridictions nationales, avec le relais des instances locales ou régionales qualifiées. Le champ de compétence de ce parquet serait évidemment limité à la criminalité organisée de caractère transnational, et pourrait, au départ, ne concerner qu'un aspect de cette criminalité tel que, par exemple, le trafic d'êtres humains (trafics sexuels et trafic en vue de l'asile ou de l'emploi). Naturellement, il conviendrait aussi d'établir une autorité de contrôle commune aux États participants.

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J'ai proposé quelques exemples. Il y a d'autres domaines, bien entendu, où les coopérations spécialisées pourraient être un moyen de vaincre l'inertie. Je crois, pour ma part, que s'il doit y avoir une véritable relance concrète de la construction européenne, elle se fera par cette voie. Je n'ignore pas que cette approche peut être considérée comme un recul par les tenants de l'orthodoxie fédéraliste, dont le point de vue est tout à fait respectable.

Cependant ma conviction est que l'essentiel n'est pas la fidélité à tel ou tel schéma institutionnel, mais bien la poursuite de l'approfondissement effectif de la construction européenne, même s'il faut pour cela emprunter des voies imprévues. Et il me semble que telle était bien, au fond, l'intuition originelle de Robert Schuman et de Jean Monnet.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je crois également, pour reprendre vos mots, que les coopérations spécialisées sont une voie de progrès pour la construction européenne. L'Union compte beaucoup plus d'États membres, elle est devenue plus hétérogène, nous ne sommes pas tous au même niveau, nos cultures sont différentes : comment espérer avancer sans accepter une certaine différenciation ? Les coopérations spécialisées doivent être encouragées lorsqu'elles sont le moyen de faire progresser la construction européenne. Et les craintes qu'elles suscitent sont exagérées. Il ne s'agit pas de reléguer certains États en deuxième division. L'objectif n'est pas non plus que les « grands » États se retrouvent entre eux en laissant de côté les autres et notamment les nouveaux États membres. Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas considérer les coopérations renforcées comme un péché contre la construction européenne. Il n'y a pas, d'un côté, les « bons Européens » qui voudraient avancer à vingt-sept, et de l'autre, les « mauvais Européens » qui seraient favorables aux coopérations spécialisées. J'observe d'ailleurs que des partisans indiscutables de la construction européenne ont reconnu qu'une certaine différenciation était inéluctable : Jacques Delors, Raymond Barre, Édouard Balladur... Il est clair, en revanche, que la Commission et le Parlement européen sont sur la réserve, spécialement vis-à-vis des coopérations « hors traités ». Mais ne devraient-ils pas considérer que l'essentiel est de progresser, et que les coopérations « hors traités » peuvent être ensuite intégrées aux traités, comme ce fut le cas pour les accords de Schengen ?

Les exemples que vous avez cités en conclusion me paraissent convaincants. Face à la crise, nous avons besoin de renforcer l'Eurogroupe ; pour le droit de la famille et le parquet européen, il est clair que nous n'avancerons pas à vingt-sept. Je souhaite pour ma part que la France, avec l'Allemagne, n'hésite pas à prendre des initiatives. Comme vous l'avez dit, les coopérations spécialisées ne sont pas contraires à l'esprit des pères fondateurs.

Mme Annie David :

Je n'ai pas d'hostilité de principe à l'égard des coopérations spécialisées. Je voudrais toutefois faire quelques remarques. Vous avez parlé du droit de la famille. Dans ce domaine, la priorité devrait être à mon avis d'assurer à tous les mêmes droits, notamment le droit à l'interruption volontaire de grossesse, qui n'est pas garanti par la Charte des droits fondamentaux. Je regrette par ailleurs que vous n'ayez pas évoqué le droit du travail, qui est un domaine où il faudrait agir en faveur d'un rapprochement par le haut. En revanche, je n'ai pas d'objection à l'égard d'un parquet européen si cela doit permettre de lutter plus efficacement contre la traite des êtres humains.

Contrairement à une idée complaisamment répandue, les communistes ne sont pas anti-européens, loin de là. C'est bien pourquoi nous souhaitons que tout le monde progresse autant que possible en même temps. Est-ce que ce n'est pas un recul que d'accepter que chacun progresse à son rythme ? Est-ce qu'il faut accepter une telle évolution ?

M. Pierre Fauchon :

Je comprends vos interrogations.

Comme vous, je souhaiterais des progrès en matière de droit du travail. Mais c'est un domaine où il est difficile d'avancer par des coopérations spécialisées. Si certains pays membres se mettent d'accord pour harmoniser entre eux, par le haut, les droits sociaux, ils risqueront de favoriser les délocalisations vers les autres pays membres. C'est un domaine où il faut avancer à vingt-sept. Pour le droit de la famille, la situation est bien différente : il n'y a pas d'inconvénient à avancer au départ à quelques-uns.

Par ailleurs, il faut bien constater que nous ne parvenons pas à progresser ensemble dans tous les domaines, et que, dans certains cas, nous faisons semblant de progresser, en adoptant des textes dont la portée réelle est plus réduite qu'il ne paraît et où les dérogations sont nombreuses. Je serais intéressé, à ce propos, de connaître l'évolution des statistiques concernant le mandat d'arrêt européen : au départ, elles étaient très encourageantes, mais depuis quelques temps, on n'en entend plus parler ! Il faut savoir qu'Europol est très loin d'être une police européenne : ses informations sont celles que les polices nationales veulent bien lui communiquer. De même, Eurojust agit efficacement lorsqu'il est saisi, mais les cas sont en réalité peu nombreux. Je ne mets pas en cause ceux qui s'efforcent de faire fonctionner ces organes, non sans mérite, mais bien les textes qui ont créé des instances sans les doter des pouvoirs requis pour qu'elles soient efficaces.

Dès lors, puisque nous n'arrivons pas à progresser vraiment à vingt-sept, je crois qu'il ne faut pas hésiter à le faire à quelques-uns, avec la perspective que le noyau de départ s'élargisse et finisse par comprendre si possible tous les États membres. Mieux vaut avancer à quelques-uns que de ne pas avancer du tout.

M. Jacques Blanc :

Ce rapport pose une question essentielle : est-ce que tous doivent participer aux mêmes avancées ? Je crois qu'il faut effectivement accepter un certain degré de « géométrie variable », cela paraît inévitable. On avait parlé également de « cercles » au sein de l'Union : quel est votre sentiment sur ce point ?

Vous avez évoqué le cas des coopérations qui sont fondées sur la proximité géographique. Le cas de l'Union pour la Méditerranée montre bien qu'il n'est pas toujours facile de faire admettre les coopérations spécialisées, puisqu'on a fini par faire participer tous les États membres à cette coopération, ce qui n'était pas l'intention de départ ; cela dit, comme vous l'avez souligné, si l'on en vient à des réalisations concrètes, ce sont en pratique les États riverains qui seront impliqués. C'est l'expérience que j'ai eue lorsque, étant président de conseil régional, j'ai pris l'initiative de coopérations concrètes se situant dans un cadre euro-méditerranéen. On voit bien, avec la politique méditerranéenne, avec aussi le partenariat oriental, que la notion de voisinage est très importante et qu'elle justifie des coopérations plus intenses fondées sur la proximité géographique.

M. Pierre Fauchon :

Je ne suis pas favorable à la notion de « cercles » au sein de l'Union. Ce n'est pas ce que je préconise. Mon propos est de dire que, lorsque nous ne pouvons pas avancer tous ensemble, il faut examiner s'il ne serait pas possible d'avancer à quelques-uns. Or, suivant les domaines, ce ne sont pas nécessairement les mêmes États qui souhaitent - et qui peuvent -aller plus loin.

En matière de défense, par exemple, on ne peut espérer avancer sans la Grande-Bretagne ; si nous devons construire un porte-avions supplémentaire, ce ne pourra être qu'en coopération avec ce pays. De même, on voit que le corps expéditionnaire destiné à combattre la piraterie au large de la Somalie est composé de forces de quelques pays : c'est de cette manière que l'Europe est présente ; mais les pays participants ne sont pas nécessairement les mêmes d'une opération à l'autre. Les coopérations spécialisées sont très diverses, et les États participants ne sont pas nécessairement les mêmes.

Je ferais volontiers une comparaison avec les puzzles : face à un puzzle très difficile, on commence par réaliser les fragments les plus faciles, et finalement tout se rassemble.

Il faudra du temps pour arriver à une Europe pleinement unie. C'est un processus à l'échelle de l'Histoire. Aujourd'hui, l'essentiel est de continuer à avancer.

M. Jean Bizet :

Dans le contexte économique et financier que nous connaissons, voyez-vous une chance d'aboutir à plus de cohérence entre les États membres de la zone euro ? Nous voyons bien qu'une réponse nationale ne peut être suffisante, et que, à l'échelle mondiale, on ne peut tout régler. Nous avons besoin de l'Europe pour lutter plus efficacement contre la crise et pour peser davantage dans les discussions internationales ; et je dirai que nous avons besoin, en particulier, d'une zone euro plus intégrée, plus structurée. Est-ce que l'on peut espérer une évolution rapide en ce sens ? Ce serait à mon avis important pour rallier les citoyens à l'Europe, qui doit montrer qu'elle est utile et efficace.

M. Pierre Fauchon :

À dire vrai, quand j'ai commencé à travailler pour ce rapport, nous n'étions pas dans le vif de la crise, et j'ai voulu me situer dans une perspective plus générale. Aujourd'hui, à juste titre, la crise concentre toutes les attentions. Allons-nous être capables d'aller plus loin dans l'intégration pour mieux y faire face ? J'ai été frappé par les résultats obtenus sous présidence française pour stopper l'aggravation de la crise financière ; mais, depuis lors, j'ai le sentiment que nous n'avançons plus guère. Il manque une force d'entraînement, c'est pourquoi j'ai défendu l'idée que quelques États membres devraient essayer de montrer la voie. Le problème dépasse d'ailleurs l'action conjoncturelle. Notre système capitaliste a montré des défauts qu'il faut reconnaître : les excès de la dérégulation ont entraîné une diminution des services publics, un affaiblissement des solidarités, un accroissement de la pauvreté. Il ne faudrait pas revoir un jour ce que nous sommes en train de vivre : cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer à l'économie de marché, mais qu'il faut l'encadrer, la réguler et y intégrer les préoccupations de développement durable.

M. Jean Bizet :

Je souhaite que notre commission aborde la question de l'amélioration du fonctionnement de la zone euro. Nous devons essayer de peser dans ce sens. Plus généralement, je suis, comme vous, opposé à un capitalisme débridé dont les travers sont aujourd'hui évidents. L'économie de marché est irremplaçable, mais elle doit être au service des hommes et de leur dignité.

Justice et affaires intérieures

L'utilisation des données des dossiers passagers (PNR)
à des fins répressives (texte E 3697)

Communication de M. Simon Sutour

Nous avons, à plusieurs reprises, émis de très fortes réserves sur les accords passés entre l'Union européenne et les États-Unis pour le transfert de données concernant les passagers des vols aériens. Nous avons souligné les graves insuffisances de ces accords au regard de la protection de la vie privée et des libertés fondamentales.

Nous devons exercer une même vigilance sur la proposition présentée en novembre 2007 par la Commission européenne visant à mettre en place un système PNR au niveau européen. Sur la base d'une communication de Pierre Bernard-Reymond, nous avions considéré, le 12 décembre 2007, au titre de l'examen de subsidiarité, qu'une approche harmonisée au niveau européen pouvait être justifiée dans ce domaine. Mais limité à la question de la subsidiarité, ce premier examen ne préjugeait en rien de notre appréciation sur le fond que nous avions expressément réservée.

I - QUEL EST L'OBJET DE LA PROPOSITION DE DÉCISION-CADRE ?

La proposition de décision-cadre tend à faire obligation aux transporteurs aériens assurant des vols vers le territoire d'au moins un État membre ou à partir de celui-ci, de transmettre aux autorités compétentes les renseignements relatifs aux passagers aux fins de prévenir et de combattre les infractions terroristes et la criminalité organisée. Ne sont visés que les vols en provenance de pays tiers vers l'Union européenne et de l'Union européenne vers les pays tiers. En revanche, les vols intracommunautaires ne seront pas concernés. Mais on ne peut exclure que ce soit envisagé dans l'avenir.

La Commission européenne fait valoir la valeur ajoutée qu'apporterait un système PNR en réduisant le risque de voir se produire sur le territoire de l'Union européenne des attentats terroristes, des infractions graves ou une criminalité transnationale organisée. En outre, une approche européenne permettrait d'harmoniser les différents aspects des systèmes d'échange et d'utilisation des données PNR et les garanties pour le respect de la vie privée.

Cette proposition viendrait compléter une directive du 29 avril 2004 qui fait obligation aux transporteurs aériens de communiquer les données relatives aux passagers, afin de lutter contre l'immigration clandestine et d'améliorer les contrôles aux frontières. Ces données - dites données API (« Advance passenger information ») - permettent d'identifier une personne préalablement à son arrivée dans un pays.

Contrairement à ces données API qui répondent à un objectif d'identification, les données PNR (« Passenger Name Record »), doivent permettre de procéder à une évaluation des risques présentés par certaines personnes, de recueillir des informations et d'établir des liens entre des personnes connues et d'autres qui ne le sont pas. Par exemple, elles peuvent permettre de constater qu'une carte de crédit utilisée par une personne est identique à celle utilisée par une personne connue des services répressifs.

Les données PNR comprennent en effet des données telles que les numéros de téléphone, l'agence de voyage, le numéro de la carte de crédit, l'historique des modifications du plan de vol, les préférences de siège et d'autres informations, par exemple les choix alimentaires. En général, seules figurent les données PNR fournies par un passager sur base volontaire au moment de la réservation ou lors de l'embarquement. Il convient de noter que les transporteurs aériens enregistrent déjà les données des dossiers passagers pour leur propre usage commercial.

Plusieurs pays se sont dotés d'un système de données PNR, en particulier les États-Unis, le Canada et l'Australie. Au sein de l'Union européenne, le Royaume Uni est le seul État membre à avoir un système PNR complet dans le cadre du programme e-Borders. Des législations ont été adoptées en France et au Danemark. En France, la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a autorisé la collecte et le traitement de données passagers, recueillies à l'occasion de déplacements internationaux en provenance ou à destination d'États n'appartenant pas à l'Union européenne. Mais sa mise en oeuvre ne concerne actuellement que les seules données API.

II - QUEL EST L'ÉTAT D'AVANCEMENT DES DISCUSSIONS EN COURS ?

La proposition de la Commission européenne a reçu un soutien de principe à l'occasion de la réunion informelle des ministres de la justice et de l'intérieur en janvier 2008. En juillet 2008, le Conseil a confirmé sa volonté de faire progresser ce dossier et donné son accord à la présidence française sur une méthode de travail destinée à approfondir une liste de questions et fondée sur une concertation avec les principales parties prenantes.

En octobre 2008, le Conseil a discuté, sans parvenir à ce stade à des conclusions définitives, quelques caractéristiques d'un futur système de collecte de données personnelles (PNR). Ces données, qui seraient transmises aux autorités publiques avant l'embarquement des passagers, alimenteraient l'analyse de la menace terroriste et criminelle, et pourraient être utilisées dans le cadre d'enquêtes particulières. Un consensus se dessinerait autour de la création d'un système décentralisé, avec une montée en charge progressive accompagnée d'un dispositif d'évaluation et de révision. Serait couvert par ce système le transport aérien de voyageurs reliant l'Union européenne aux États tiers.

Tant le contrôleur européen pour la protection des données, que l'agence des droits fondamentaux et le groupe de l'article 29 sur la protection des données ont en revanche émis des réserves sur la nécessité d'un tel système. Dans une résolution adoptée le 20 novembre 2008, le Parlement européen a reconnu que la collecte et le traitement de données pouvaient être un outil utile pour lutter contre le terrorisme. Mais il a exprimé de fortes réserves sur la nécessité et la valeur ajoutée de la proposition.

Conformément au mandat donné par le Conseil le 25 juillet, un rapport de la présidence française a fait un bilan de la concertation qui a été conduite. Les transporteurs aériens ont souligné que, dans un contexte où les exigences de transmission diffèrent d'un État à l'autre, ils aspiraient à trouver l'appui de l'Union européenne pour oeuvrer vers une harmonisation la plus large possible afin de limiter au strict nécessaire la charge financièreet le poids des responsabilités légales qui leur sont imposées. Le coordinateur anti-terroriste a fait état de l'expérience des services de lutte contre le terrorisme qui témoignent de l'utilité des PNR en raison, d'une part, de la vulnérabilité particulière des terroristes lors du franchissement des frontières et, d'autre part, du potentiel important et tout à fait spécifique offert par le PNR. Les autorités policières et douanières ont considéré que le PNR était un moyen précieux de combattre les nombreuses formes de criminalité organisée. Selon la douane française, 60 à 80% des produits stupéfiants annuellement saisis dans les aéroports internationaux de Paris (soit environ 2 tonnes par an) sont directement à mettre au compte des PNR. Le rapport de la présidence française indique que ces travaux entre les États membres établiraient l'utilité d'un PNR européen qui offre un potentiel propre, complémentaire et non redondant avec d'autres outils de contrôles existants. La constitution d'un PNR européen constituerait une alternative au développement progressif de solutions nationales divergentes et répondrait en outre à l'intérêt des compagnies aériennes.

Sur la base du rapport de la présidence française faisant un bilan des travaux thématiques, le Conseil a conclu, lors de sa réunion de novembre 2008, que la méthode suivie avait débouché sur une perception de plus en plus précise de la portée utile et des caractéristiques essentielles d'un système PNR européen.

III - QUELLES SONT LES PRINCIPALES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR CETTE PROPOSITION ?

Si nous devons prendre acte des discussions en cours, nous devons aussi faire preuve d'une très grande vigilance sur le respect de la vie privée et les garanties des droits fondamentaux. A cet égard, les observations du contrôleur européen de la protection des données, de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne et du groupe de l'article 29, soulignant les lacunes de la proposition en matière de sécurité juridique et de protection des données, méritent une grande attention. J'ai moi-même consulté la CNIL qui m'a fait part d'un certain nombre de préoccupations sur le dispositif proposé. A partir de là, je voudrais vous présenter maintenant les principales difficultés qui peuvent être identifiées.

1. Les finalités du système

La proposition initiale de la Commission européenne retient pour finalités la prévention et la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Dans le cadre des discussions en cours au Conseil, les finalités retenues seraient la prévention, la détection, l'instruction, la poursuite et la répression du terrorisme ainsi qu'un ensemble d'infractions graves à définir par référence à la liste de 32 infractions, établie dans la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen.

Je crois que nous devons marquer que ces finalités doivent être exclusives de tout autre finalité. En particulier, un système PNR ne peut avoir vocation à traiter des questions d'immigration, lesquelles relèvent d'autres dispositifs tels que le Système d'Information Schengen (SIS) ou le Système d'Information sur les Visas (VIS). En outre, sur le plan juridique, la lutte contre l'immigration illégale relève du premier pilier communautaire et ne pourrait être traitée dans le cadre d'un instrument du troisième pilier tel que celui qui est proposé.

J'ajouterai que si la notion d'infractions graves peut permettre de couvrir un champ plus large que celle de criminalité organisée, qui répond à une définition juridique précise, encore faut-il que la pertinence de l'utilisation des données PNR pour poursuivre ou réprimer des infractions prévues pour le mandat d'arrêt européen soit vérifiée au préalable.

2. Le fonctionnement du système

Pour mettre les données à disposition, les transporteurs aériens sont invités à utiliser la méthode dite « PUSH » par laquelle ce sont eux-mêmes qui transmettront les données aux autorités compétentes. A défaut, ils devront autoriser l'Unité de renseignements passagers à extraire les données de leur base de données en utilisant la méthode dite « PULL ».

Comme nous l'avions fait dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et les États-Unis, il faut souligner que seule la méthode dite « PUSH » peut offrir les garanties nécessaires, en permettant aux transporteurs aériens de garder le contrôle de la qualité des données transmises et des conditions de transmission. A l'inverse, comme l'a fait valoir le contrôleur européen pour la protection des données, l'utilisation de différentes modalités de communication des données en fonction des transporteurs concernés ne fera qu'augmenter les difficultés de contrôle de la conformité de la transmission avec les règles de protection des données et risquera en outre d'entraîner des distorsions de concurrence entre les transporteurs. Les transporteurs aériens devraient donc être appelés à adopter un système « PUSH » afin de garantir une approche uniformisée.

Par ailleurs, chaque État membre devra désigner une autorité compétente, dénommée « Unité de renseignements passagers », chargée de collecter auprès des transporteurs aériens les données PNR. En l'état néanmoins, la proposition initiale de la Commission européenne demeure très elliptique sur la qualité de cette unité, même s'il est vraisemblable que les États membres la confieront à des services tels que les douanes ou ceux chargés du contrôle aux frontières.

Le rapport de la présidence française précise qu'il s'agirait d'une autorité publique gardienne de la base de données PNR et garante du respect des règles en vigueur. L'accès à cette base de données serait réservé à des agents individuellement désignés et spécialement formés. Une définition claire des usages pouvant être faits de la base devrait être donnée. Il paraît indispensable que des précisions et des garanties soient apportées sur ce point dans le texte même de la proposition.

En outre, le rôle des autorités indépendantes sur la protection des données devrait être précisé. Elles devraient être habilitées à effectuer des contrôles au sein de l'Unité.

Enfin, le rôle des intermédiaires doit être clarifié. Une société privée pourrait se voir confier la mission de recueillir les données et de les transmettre ensuite à l'Unité d'information passagers. C'est le cas dans le cadre de l'accord passé avec le Canada. La SITA, société commerciale créées en 1949 par onze transporteurs aériens, est chargée du traitement des informations. Le rôle de ces intermédiaires devrait donc être strictement précisé et encadré.

3. Les données utilisées

Annexée à la proposition, la liste des données qui devront être transmises est similaire à celle des données qui doivent être mises à la disposition des autorités américaines en vertu de l'accord entre l'Union européenne et les États-Unis. Elle comprend 19 rubriques. Mais le groupe de l'article 29, regroupant les autorités de contrôle, juge que cette liste - qui, en réalité, recouvre 35 types d'informations - est excessive et que la proposition n'explique pas en quoi une telle quantité de données est nécessaire à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Il relève que l'accord avec le Canada ne prévoit que 25 types d'informations. Il me paraît donc nécessaire que cette liste fasse l'objet d'un examen supplémentaire afin que l'utilité des données collectées soit avérée au regard des finalités poursuivies.

La proposition de la Commission européenne prévoit, par ailleurs, l'effacement immédiat, soit par l'Unité de renseignements passagers, soit par l'intermédiaire proposé, des données sensibles pouvant révéler les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l'appartenance à un syndicat ou des données concernant la santé ou l'orientation sexuelle des individus. Le groupe de l'article 29 fait valoir que l'un des grands principes de la protection des données est le rôle du responsable du traitement dans le traitement des données à caractère personnel. Il estime en conséquence qu'il devrait incomber aux transporteurs aériens de filtrer les données sensibles.

Le rapport de la présidence française indique que l'exclusion des données sensibles devrait plutôt reposer sur un effacement ou un verrouillage individuellement pratiqué au sein de l'Unité de renseignements. Mais il a été relevé au cours des discussions entre États membres que si l'utilisation de données sensibles est en principe interdite, il est traditionnellement jugé légitime d'en permettre l'utilisation dans le contexte d'une enquête criminelle si l'information qu'elles apportent peut soit contribuer à résoudre l'enquête, soit aider à laver la personne concernée de tout soupçon.

Je retiendrai pour ma part la préconisation que m'ont présentée les représentants de la CNIL consistant en un filtrage des données sensibles par les transporteurs aériens, à charge pour eux de les conserver pendant une certaine durée afin de pouvoir répondre à une demande qui serait faite dans le cadre d'une procédure judiciaire.

En outre, comme le mentionne le rapport de la présidence française, parmi les pistes explorées, tout traitement arbitraire ou discriminatoire devrait être explicitement exclu : aucun critère d'évaluation ne pourrait se fonder sur la race ou l'origine ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques, l'appartenance à un syndicat, la santé ou l'orientation sexuelle d'une personne ; ces éléments ne pourraient non plus servir de point de départ d'une enquête ou d'une quelconque recherche

4. Les destinataires des données

Les États membres devront adopter une liste des autorités compétentes pour recevoir les données PNR et les traiter. Cette liste ne pourra comprendre que des autorités chargées de prévenir et de combattre les infractions terroristes et la criminalité organisée.

Mais ces autorités peuvent être dotées de compétences très diverses en fonction de la législation des États membres. Ces compétences peuvent inclure ou non le renseignement, la fiscalité, l'immigration ou les missions de police. La proposition devrait donc être beaucoup plus précise sur les compétences et les obligations légales de ces autorités et aussi, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, des unités de renseignements passagers et des intermédiaires.

5. La durée de conservation des données

Les données collectées pourront être conservées pendant cinq ans. Une période supplémentaire de huit ans est prévue mais avec des conditions particulières : pendant cette période, le traitement et l'utilisation des données PNR ne pourront se faire qu'avec le consentement de l'autorité compétente ; elle sera possible uniquement dans des circonstances exceptionnelles en réponse à une menace ou un risque spécifiques dans le cadre de la prévention d'infractions terroristes et de la criminalité organisée ou de la lutte contre ces phénomènes ; l'accès à ces données sera limité au personnel des autorités compétentes spécifiquement habilitées à cet effet ; les données devront être effacées à l'issue de la période de huit ans.

On aboutirait ainsi à une durée globale de conservation de 13 ans qui apparaît manifestement disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis. Les réponses des États membres au questionnaire que leur avait adressé la Commission européenne met en évidence que la durée moyenne de conservation requise serait, en pratique, de trois ans et demi. Le rapport de la présidence française fait valoir que la durée de conservation des données pourrait être fixée autour de trois ans avec une durée supplémentaire de 3 à 7 ans, soit une durée totale de conservation de 6 à 10 ans. Nous devons donc demander qu'un délai raisonnable soit retenu.

6. Le régime de protection des données

La décision-cadre sur la protection des données dans le cadre du troisième pilier s'appliquera aux traitements de données à caractère personnel au titre du PNR européen.

Cependant, cette décision-cadre n'est applicable qu'aux relations entre États membres dans le contexte de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. En revanche, les relations entre les transporteurs aériens, les intermédiaires éventuels et l'Unité de renseignements passagers sont couvertes par la directive du 24 octobre 1995. Or, la proposition n'indique pas à quelle étape la décision-cadre s'appliquera et pourrait même suggérer qu'elle aurait vocation à couvrir l'ensemble du processus. Il y a donc là une clarification à opérer sur le régime de protection des données, en privilégiant un haut niveau de protection par référence aux standards du Conseil de l'Europe.

7. Le droit des personnes concernées

Un considérant de la proposition indique que le droit des personnes concernées, pour ce qui concerne le traitement des données, comme le droit à l'information, le droit d'accès, le droit de rectification, d'effacement, ainsi que les droits à réparation et aux recours juridictionnels, devraient être ceux prévus par ladécision-cadre sur la protection des données dans le cadre du troisième pilier.

Outre la difficulté posée par le champ limité de cette décision-cadre, que j'ai précédemment mentionnée, cette affirmation ne permet pas de déterminer qui sera le responsable du traitement chargé de donner suite à ces demandes. J'estime, en conséquence, que la proposition devrait être beaucoup plus précise sur le régime juridique applicable suivant l'étape du traitement des données et sur le responsable chargé de prendre en compte le droit à l'information, le droit d'accès ou de rectification.

8. La transmission des données à des États tiers

La transmission des données ainsi collectées à d'autres États membres ne sera autorisée que dans les cas et dans la mesure où cette transmission est nécessaire pour prévenir et combattre les infractions terroristes et la criminalité organisée. La communication à des pays tiers ne sera permise qu'à la double condition que cette finalité soit bien respectée et que le pays tiers en question ne transmette pas les données à un autre pays tiers sans l'accord explicite de l'État membre. En outre, les conditions et garanties prévues par la décision-cadre sur la protection des données dans le cadre du troisième pilier seront applicables.

Cependant, cette décision-cadre ne vise que la protection des données reçues d'un autre État membre et pas les transferts directs de données d'un État membre vers un État tiers. En pratique, il sera probablement difficile de faire la part entre les données selon leur origine. En outre, il y a lieu de s'inquiéter de la réciprocité dont pourraient bénéficier des États tiers n'offrant pas les garanties nécessaires en matière de protection des données.

Pour ces motifs, il me semble que la proposition devrait expressément préciser que l'État tiers devra assurer un niveau de protection adéquat de protection des données et que le transfert ne peut s'opérer qu'au cas par cas et non par « masses » d'informations. Des garanties devraient être assurées dans la mise en oeuvre du principe de réciprocité.

C'est dans cet esprit que je vous soumets une proposition de résolution.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Sur un sujet de ce type, la commission des affaires européennes est appelée à jouer pleinement son rôle d'information et de vigilance qu'il exerce pour le compte du Sénat. C'est un sujet très important. Il est très sensible en France, beaucoup plus que dans certains pays comme les États-Unis, par exemple.

M. Pierre Fauchon :

Pour lutter contre le terrorisme, il faut disposer d'informations adéquates. Le renseignement est, en effet, une des meilleures armes pour combattre ce fléau. Il ne me semble en conséquence pas possible d'exclure en principe l'utilisation de données sensibles comme les convictions religieuses ou les opinions politiques. Pour ma part, je suis donc hostile à l'alinéa de la proposition de résolution qui prévoit cette exclusion.

Mme Annie David :

Quant à moi, je suis opposée à ce que la notion de race soit mentionnée dans le même alinéa de cette proposition de résolution. Par principe, on ne devrait pas utiliser cette notion.

M. Hubert Haenel :

La proposition de décision-cadre utilise la notion de race. Dès lors, nous sommes nous-mêmes conduits à y recourir. En effet, si nous ne le faisions pas, nous aboutirions paradoxalement à permettre l'utilisation de données révélant la race.

*

À la suite de ce débat, la commission a décidé de déposer la proposition de résolution dans le texte suivant :

Proposition de résolution

Le Sénat :

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition de décision-cadre relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (Passenger Name Record - PNR) à des fins répressives (texte E 3697) ;

- prenant acte que cette proposition de décision-cadre tend à promouvoir une approche harmonisée au sein de l'Union européenne de l'utilisation des données des dossiers passagers à des fins répressives et que des discussions sont en cours au sein du Conseil ;

- considère qu'une telle approche doit retenir parmi ses priorités d'assurer un respect effectif des droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ;

- souligne que les finalités de la proposition doivent être précisément délimitées et concerner exclusivement la prévention, la détection, l'instruction, la poursuite et la répression du terrorisme et d'un ensemble d'infractions graves pour lesquelles l'utilisation de données des dossiers passagers s'avérerait pertinente ;

- estime que seule la méthode de transmission dite « PUSH » peut offrir les garanties nécessaires en permettant aux transporteurs aériens de garder le contrôle de la qualité des données transmises et des conditions de transmission ;

- juge nécessaire que des précisions et des garanties supplémentaires soient prévues sur la qualité des services qui seront chargés de l'Unité de renseignements passagers et celle des autorités compétentes pour recevoir les données PNR et les traiter, ainsi que sur les conditions dans lesquelles des intermédiaires seraient susceptibles d'intervenir dans la collecte et la transmission des données ;

- demande que les autorités indépendantes sur la protection des données soient habilitées à effectuer des contrôles au sein de l'Unité de renseignements passagers ;

- considère que la liste des données devant être transmises devrait faire l'objet d'un examen supplémentaire afin que l'utilité de leur collecte soit avérée au regard des finalités poursuivies ;

- demande que l'utilisation de données sensibles révélant la race ou l'origine ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques, l'appartenance à un syndicat, la santé ou l'orientation sexuelle d'une personne  soit en principe exclue, que leur filtrage soit assuré directement par les transporteurs aériens et que, si leur conservation était envisagée aux seules fins de leur possible utilisation dans le cadre d'une enquête criminelle, des garanties spécifiques soient prévues ;

- juge manifestement disproportionnée la durée totale de treize ans prévue par la proposition pour la conservation des données et demande, en conséquence, que cette durée soit réduite à un délai raisonnable ;

- estime que le régime de protection des données applicable doit être clarifié, en privilégiant un haut niveau de protection par référence aux standards du Conseil de l'Europe ;

- demande que des garanties supplémentaires soient prévues dans le texte même de la proposition sur les droits des personnes concernées, en particulier pour l'exercice du droit à l'information, du droit d'accès, de rectification et d'effacement des données et que le responsable du traitement chargé de donner suite à leurs demandes soit précisément identifié ;

- considère que les conditions dans lesquelles les données seraient susceptibles d'être transmises à des États tiers n'offrent pas les garanties suffisantes ; demande, en conséquence, qu'un tel transfert ne soit possible qu'au cas par cas et sous réserve que l'État tiers assure un niveau de protection adéquat des données et que des garanties soient prévues dans la mise en oeuvre du principe de réciprocité.