Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 3 juin 2008


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Institutions européennes

Rencontre avec une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

M. Hubert Haenel :

Je souhaite aujourd'hui le meilleur accueil au Président de la commission européenne du Sénat de la République tchèque. Nous avons eu, encore tout récemment, plusieurs occasions de nous retrouver, tant en Slovénie dans le cadre de la COSAC qu'à Prague. Avec nos collègues portugais et slovènes, nous avons travaillé à assurer une continuité des présidences de la COSAC. Cela doit se poursuivre avec les présidences française et tchèque. Notre tâche principale est de définir les nouveaux rôles que confère le traité de Lisbonne aux parlements nationaux. C'est une question importante, car le référendum français négatif en 2005 sur le projet de Constitution européenne a montré que les parlementaires nationaux n'avaient pas assez contrôlé l'Europe. Celle-ci a eu trop tendance à s'immiscer dans certaines questions mineures pour nos concitoyens, alors qu'ils réclament surtout qu'elle s'occupe plus de certains domaines importants comme l'environnement, la justice, la police ou l'immigration.

M. Ludìk Sefzig :

Votre délégation du Sénat français et notre commission du Sénat tchèque sont parmi les cinq organes les plus actifs, en Europe, pour le contrôle des projets de la Commission européenne sous l'angle de la subsidiarité et de la proportionnalité. La France est ainsi un des rares pays à avoir une expérience dans la mise en oeuvre de ce principe essentiel. Nous pouvons avoir des points de vue différents sur le contenu des propositions de la Commission, mais nous devons savoir utiliser ce mode de contrôle. Notre commission du Sénat tchèque a dans ce sens organisé plusieurs séminaires avec d'autres assemblées et a effectué des tests de subsidiarité. Il nous faudra encore beaucoup de temps pour mettre définitivement au point notre méthode de contrôle.

Le traité de Lisbonne modifie sensiblement les décisions dans les matières du troisième pilier « Justice et affaires intérieures ». C'est la raison pour laquelle le Sénat tchèque cherche à disposer de contrôles efficaces sur ces questions très sensibles pour nos concitoyens et pour assurer le respect de notre Constitution nationale. D'autant que nous estimons que le Parlement européen n'est pas en mesure de tenir compte des sentiments des citoyens européens. De ce fait, le déficit démocratique risque de s'aggraver en Europe.

Pour la ratification du traité de Lisbonne, le Sénat tchèque est surtout préoccupé du respect de notre Constitution qui fait obligation au Parlement de saisir la Cour constitutionnelle de la compatibilité d'un engagement international avec la loi fondamentale. C'est pourquoi le transfert de compétences à l'échelon communautaire fait actuellement l'objet d'une analyse approfondie. Les députés tchèques ont laissé aux sénateurs le soin d'engager de larges consultations sur la question. Le débat de ratification a été interrompu à cette fin à la chambre basse dans l'attente de la décision de la Cour constitutionnelle et du Sénat. La décision de la Cour est attendue pour la fin de la présente année.

La Cour a été saisie de six questions portant sur trois domaines : la Charte des droits fondamentaux, les questions de justice et affaires intérieures, les transferts de compétence par l'application de la règle de la majorité qualifiée en application des « clauses passerelles ». Dans ces matières, à partir de 2014, un État membre pourra en effet se voir imposer des mesures contre sa volonté. La République tchèque pourrait devoir modifier sa Constitution, préalablement à la ratification du traité de Lisbonne, pour tenir compte de cette nouvelle procédure. En revanche, dans les matières économiques du premier pilier, notre pays n'a pas de difficultés particulières puisque le peuple s'est déjà prononcé, par référendum, au moment de l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne.

La délégation tchèque, qui a participé aux négociations du nouveau traité et qui était présidée par notre Premier ministre, a été très impliquée dans son élaboration. Elle a joué un rôle important auprès de la délégation polonaise pour faciliter la résolution de certains problèmes. Nous attendons ainsi une issue positive au débat de ratification. Mais nous craignons surtout le fait que des décisions extérieures puissent s'imposer à un État membre contre la volonté de ses citoyens, ce qui pourrait ultérieurement conduire à des réactions populistes, voire même à une désintégration de l'espace économique européen. Instruits par notre expérience historique, nous sommes en faveur d'une évolution prudente.

M. Hubert Haenel :

Je retiens que vous attendez une issue positive au débat de ratification du traité de Lisbonne dans votre pays. Je constate aussi le rôle important que joue le Sénat tchèque dans ce débat.

M. Ludìk Sefzig :

Le Sénat a été institué après la chute du communisme pour assurer la stabilité politique de notre pays. Le mode d'élection des sénateurs en fait une chambre modérée. Mais c'est la Cour constitutionnelle qui définira la forme la plus légitime pour permettre la ratification du traité. Et c'est le parti le plus important de notre pays qui a souhaité la saisine de la Cour, afin notamment d'éviter plus tard des recours devant les tribunaux et d'assurer la sécurité juridique de la décision politique de ratification. Nous constatons surtout une défaillance de la communication politique avec les citoyens sur les questions européennes. Le Sénat tchèque avait pourtant organisé des forums d'information, mais nous pensons que la communication dépend surtout des partis politiques.

M. Hubert Haenel :

L'échec du référendum en France a aussi été la conséquence d'un manque de communication sur l'Europe. Il faut montrer à quoi sert l'Europe. Il faut aussi que l'Europe ne s'occupe que de ce qui est nécessaire et pas plus. J'ai reçu, cette semaine, une délégation finlandaise qui m'a donné de nombreux cas d'excès d'intervention de l'Europe, par exemple pour la chasse aux cormorans ou aux élans. L'Union européenne empêche les Finlandais de chasser les cormorans alors même que la prolifération de ces derniers entraîne des ravages considérables dans certaines îles finlandaises. Il y a là une atteinte à la diversité des situations et des coutumes nationales.

M. Jacques Blanc :

C'est bien parce que le traité de Lisbonne renforce le principe de subsidiarité et qu'il attribue un rôle important aux parlements nationaux et au comité des régions sur cette question qu'il faut le ratifier. Nous sommes à la fois rassurés et inquiets par vos propos. Y a-t-il des partis politiques importants en République tchèque qui sont opposés à la ratification ?

M. Ludìk Sefzig :

On les connaîtra au moment du scrutin ! Je suis membre du parti le plus important, qui est de centre droit et pro-européen. Mais mon parti a, lui aussi, émis des critiques sur le contenu du projet de traité, notamment du fait de l'accélération trop importante, à nos yeux, du transfert de certaines compétences à l'Union. Cela comporte le risque d'une remise en cause du projet européen lui-même. Nous critiquons l'approche fédéraliste, car les différences sont trop marquées entre les différents États membres pour que l'on puisse aller dans cette voie. Nous pensons aussi que l'Europe n'a pas assez de moyens pour faire face à l'ampleur des subventions que requerraient des politiques fédéralistes. Les citoyens risqueraient alors d'être déçus. C'est d'ailleurs notre pays qui a demandé, et obtenu, que les transferts de compétences puissent se faire dans les deux sens, vers le national, comme vers le communautaire. La situation est ainsi difficilement prévisible. Mais la décision politique portera essentiellement sur le contrôle du système de décision dans le cadre du nouveau traité.

M. Hubert Haenel :

Le rêve fédéraliste est derrière nous et le réalisme conduit à reconnaître que l'Union européenne devra être, selon l'expression de Jacques Delors, une fédération d'États-nations. Il faut aussi reconnaître que la construction européenne s'est faite, jusqu'à présent, sans les citoyens. Du triangle institutionnel constitué par la Commission, le Conseil et le Parlement européen, il faut maintenant passer à un quadrilatère, en ajoutant les parlements nationaux.

M. Ludìk Sefzig :

Nous ne sommes pas opposés aux partages de souveraineté, mais nous voulons que la question de l'utilité des transferts de compétence soit posée. A titre d'exemple, la ratification de la convention de Prüm n'a pas posé de problèmes dans notre pays, parce que son utilité était évidente. C'est pourquoi je ne peux pas vous assurer que la ratification du traité de Lisbonne se fera sans difficultés, même si je peux dire qu'elle se fera de manière responsable.