Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 4 mai 2005


Table des matières

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Institutions européennes
Politique étrangère et défense

Enjeux européens de la ratification de la Constitution européenne, politique étrangère de l'Union et défense européenne

Audition de M. Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères

M. Michel Barnier :

J'ai la conviction que le recours en France au référendum pour la ratification du traité constitutionnel était un risque nécessaire. François Mitterrand avait déjà pris un tel risque il y a une dizaine d'années au moment du traité de Maastricht. Compte tenu de l'importance du projet européen, de ses conséquences politiques et de ses implications pour la vie quotidienne des citoyens, il n'aurait pas été concevable de se priver d'un véritable débat dans l'opinion publique. Car si on avait choisi la voie parlementaire, nous aurions eu tout au plus trois jours de discussions au sein du Parlement et du Congrès, alors que nous assistons aujourd'hui à un véritable débat populaire, relayé notamment par la télévision et par les journaux. J'espère d'ailleurs qu'après ce référendum, nous ne devrons pas attendre à nouveau une dizaine d'années pour discuter des sujets européens dans notre pays. J'ai donc la conviction que ce référendum était un risque nécessaire.

S'il y a une chose qui me frappe dans cette campagne, c'est l'inquiétude exprimée par nos concitoyens à l'égard du dernier élargissement. J'ai le sentiment que l'entrée, l'année dernière, des dix nouveaux pays dans l'Union européenne, n'a pas été comprise par les Français, faute d'avoir été expliquée. J'entends parfois certains dire qu'il aurait fallu consulter les Français par référendum sur cette question. Mais je rappelle qu'il y avait des raisons politiques et morales à accueillir ces pays, qui étaient de l'autre côté du rideau de fer, et qu'il y avait un quasi-consensus parmi toutes les forces politiques sur ce point. Je pense donc qu'un référendum aurait été un peu artificiel et assez délicat à l'égard de ces pays, vis-à-vis desquels nous avions une responsabilité historique. Il n'en demeure pas moins que les conséquences de cet élargissement suscitent des inquiétudes dans notre pays, auxquelles il nous appartient de répondre. Je crois donc que nous avons là un travail d'explication à faire et qu'il s'agit même d'un préalable dans la campagne pour la ratification du traité constitutionnel. À cet égard, il est utile de rappeler la juste proportion des choses. La population totale des dix nouveaux pays membres représente environ 70 millions d'habitants, soit l'équivalent de la population des quatre États les plus pauvres qui ont rejoint l'Union européenne il y a quelques années, c'est-à-dire l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Irlande. La population d'un pays comme la Lettonie est quasiment identique à celle du département du Nord, soit près de 2,5 millions d'habitants. Il faut donc garder à l'esprit la juste mesure des choses et ne pas laisser les Français se faire peur à propos de cet élargissement.

La troisième remarque que je voudrais faire à propos de la campagne sur la ratification du traité constitutionnel, c'est que nous ne sommes pas seuls et que tout le monde nous regarde à l'extérieur : non seulement les États membres qui vont se prononcer prochainement par référendum, mais aussi ceux qui vont le faire par la voie parlementaire, et même ceux qui se sont déjà prononcés. Ainsi, le chef du principal parti d'opposition espagnol s'est interrogé publiquement sur les conséquences pour son pays d'un refus de la France de ratifier le traité constitutionnel. Il faut donc être conscient que le débat dans notre pays sur la ratification du traité constitutionnel provoque des inquiétudes chez nos partenaires et même souvent de l'incompréhension devant les arguments avancés par les opposants au traité, qui doit tant à la persévérance des conventionnels français. Je regrette d'ailleurs que l'idée d'une ratification du traité constitutionnel le même jour ou la même semaine dans tous les pays membres, qui avait été avancée lors de la Convention, n'ait pas été reprise, car cela aurait permis d'avoir un débat à caractère authentiquement européen.

Je reste, pour ma part, persuadé que les Français se prononceront en faveur du traité constitutionnel le 29 mai prochain, au-delà de leurs inquiétudes à l'égard de l'Europe, qu'il s'agisse des politiques actuelles ou de l'avenir de la construction européenne et de ses limites géographiques. Mais il faut un travail d'explication, qui ne doit pas s'arrêter après le 29 mai. Je crois, en effet, qu'il faut, au-delà du rôle du Parlement et des délégations pour l'Union européenne, mener une réflexion sur la manière d'avoir de manière plus régulière une réelle prise en compte des enjeux européens dans l'opinion publique française. C'est d'ailleurs le sens de la mission confiée par le Gouvernement à l'un de vos collègues parlementaires, le député Michel Herbillon. Parmi ses différentes propositions, il y en a une qui me paraît particulièrement intéressante, qui consisterait à offrir la possibilité à chaque parlementaire français de passer une semaine à Bruxelles pour s'imprégner du fonctionnement des institutions européennes. Je compte d'ailleurs mettre à votre disposition les moyens nécessaires, en créant notamment une « Maison de la France » à Bruxelles.

Je voudrais, enfin, évoquer deux questions qui se posent actuellement :

- faut-il poursuivre et achever le processus de ratification dans les autres pays, si un État refuse de ratifier le traité constitutionnel ?

- dans l'hypothèse où un État refuserait de ratifier le traité constitutionnel, une renégociation est-elle envisageable ?

Mes réponses seront très claires sur ces deux points.

Je considère qu'il sera indispensable de continuer jusqu'au bout le processus de ratification du traité constitutionnel, quel que soit le résultat dans tel ou tel État membre.

Sur le second point, je dis en conscience devant vous qu'il n'y aura pas avant longtemps de renégociation de cette ampleur et avec ce résultat.

Le processus de réforme des institutions européennes a été lancé il y a déjà une dizaine d'années. Il n'a pas débuté avec le traité constitutionnel, ni même avec la Convention. En réalité, il est antérieur au traité d'Amsterdam. C'est le Conseil européen de Turin qui marque véritablement son point de départ. La Conférence intergouvernementale ayant débouché sur le traité d'Amsterdam a cependant échoué sur la question des institutions. Après l'échec institutionnel du traité d'Amsterdam, une nouvelle Conférence intergouvernementale a été convoquée, qui s'est achevée à Nice. Mais le traité de Nice s'est contenté de faire un rafistolage. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il contenait une déclaration, dans laquelle les chefs d'État et de gouvernement appelaient de leurs voeux une nouvelle réforme des institutions. Celle-ci a été préparée avec succès grâce à une nouvelle méthode, celle de la Convention. Mais il faut être conscient que ce processus a pris plus de dix ans. On ne peut donc pas laisser croire qu'il suffirait que la France dise non pour que nos vingt-quatre partenaires acceptent immédiatement de revenir à la table des négociations.

*

J'en viens maintenant au deuxième sujet de mon intervention, qui porte sur la politique étrangère de l'Union et la défense européenne.

La création d'une Europe de la défense a connu d'importants progrès ces dernières années, avec notamment la mise en place d'un état-major européen et la définition d'un cadre financier pour les opérations extérieures. Trois opérations militaires ponctuelles ont été lancées par l'Union européenne au Congo (Artemis), en Macédoine (Concordia) et en Bosnie (Althea). La Constitution européenne permettra de réaliser de nouvelles avancées en matière de politique étrangère et de défense. Je mentionnerai, en particulier, la création d'un ministre européen des Affaires étrangères, la clause de solidarité en cas d'attaque terroriste ou de catastrophe humanitaire, la clause de défense mutuelle, l'Agence européenne de la défense, ainsi que les coopérations renforcées et les coopérations structurées.

Avant même l'entrée en vigueur du traité constitutionnel, l'Union européenne aura très prochainement à faire face à deux tests importants pour l'avenir de cette politique.

Le premier test concerne le Darfour, où la situation est extrêmement préoccupante et où il existe un risque de catastrophe humanitaire. L'Union africaine s'efforce de gérer tant bien que mal la situation dans cette région. Ses effectifs devraient passer de 2 500 à 6 000 ou 7 000 observateurs. Mais elle a besoin d'un soutien logistique et opérationnel en matière de planification, de transport et sur le plan sanitaire. Le président de l'Union africaine vient d'adresser une demande à l'OTAN en ce sens. Je l'ai appelé pour lui rappeler qu'il y avait aussi l'Union européenne avec ses nouveaux outils. Il devrait d'ailleurs s'entretenir prochainement avec les ministres européens des Affaires étrangères à ce sujet. La situation est tellement grave dans cette région qu'il me semble qu'une mission commune associant l'ONU, l'Union africaine, l'OTAN et l'Union européenne serait utile pour évaluer les besoins. Il s'agira donc là d'un premier test pour voir si l'Union européenne est capable d'apporter une réponse à l'Union africaine ou bien si c'est l'OTAN qui seule l'apportera.

Le deuxième test porte sur le Proche-Orient. Si le retrait de Gaza ne se fait pas dans de bonnes conditions, cela risque en effet de mettre un terme pour longtemps aux autres étapes prévues par la feuille de route. Une mission de soutien à la police palestinienne, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, serait probablement de nature à faciliter ce retrait.

M. Jacques Blanc :

Je voudrais vous remercier pour votre intervention et saisir cette occasion pour rendre hommage à la qualité du travail accompli par les conventionnels français, et en particulier à celui des représentants de notre assemblée, MM. Hubert Haenel et Robert Badinter.

Dans l'exercice de mes précédentes fonctions, que ce soit en tant que ministre de l'Agriculture ou en tant que président du Comité des régions, j'ai souvent été surpris de l'indifférence ou de l'incompréhension manifestée dans notre pays à propos de l'Europe. Je me félicite donc de voir l'opinion publique française se préoccuper enfin de ce sujet.

M. Didier Boulaud :

J'ai effectué, il y a quelques jours, avec le président Hubert Haenel, une mission en Bosnie-Herzégovine, pays qui sera candidat un jour à l'adhésion à l'Union européenne. Le processus d'adhésion de ce pays à l'Union devrait d'ailleurs connaître une étape importante, le 19 mai prochain, avec l'ouverture de la négociation d'un accord de stabilisation et d'association. Dans le même temps, la Bosnie-Herzégovine s'est engagée dans des discussions en vue de son entrée dans l'OTAN avec, en premier lieu, une adhésion au partenariat pour la paix. Or, le sentiment que je retire de notre mission est que les pressions exercées sur ce pays pour qu'il adhère à l'OTAN risquent de faire passer au second plan l'objectif qu'il s'est fixé d'adhérer à l'Union européenne. Les efforts sur le plan économique restent, d'après moi, prioritaires, notamment pour atténuer les tensions interethniques qui restent vives.

Comme pour l'Afghanistan, le constat que l'on peut faire à propos de la Bosnie-Herzégovine est le suivant : moins il y a de militaires américains, plus la présence américaine est forte. Certes, il n'y a plus aujourd'hui de troupes américaines dans ce pays, car elles ont été remplacées par une présence militaire placée sous l'égide de l'Union européenne. Mais, malgré cela, nous avons eu le sentiment que les Américains restaient au coeur du processus de décision, et cela à tous les niveaux. Je rappelle d'ailleurs que le mandat du Haut représentant de l'ONU, qui est en même temps le représentant spécial de l'Union européenne, arrive à échéance à la fin de cette année. Je souhaiterais donc connaître votre sentiment sur les moyens de renforcer la présence de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine et sur l'action que pourrait mener la France à cet égard.

M. Michel Barnier :

Je partage votre sentiment sur la nécessité d'avoir une présence politique plus forte de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine, comme d'ailleurs dans toute la région des Balkans. Je m'efforce d'ailleurs d'y contribuer, notamment en me rendant dans chacun de ses pays. Alors que la Grèce fait déjà partie de l'Union européenne et que la Roumanie et la Bulgarie sont sur son seuil, cette région demeure encore trop enclavée et la perspective européenne est une évidence. Mais cette perspective doit avoir pour contrepartie l'abandon du réflexe nationaliste. Et puis, il y a aussi la question névralgique du Kosovo.

À propos de la Bosnie-Herzégovine, l'Union européenne consacre des moyens importants à ce pays, auxquels la France prend toute sa part. Notre pays a d'ailleurs payé un lourd tribut avec 84 soldats tués, près de 10 000 militaires français présents au cours du conflit, puis environ 7 500 après les accords de Dayton. Je pense donc que l'Union européenne devrait assumer toutes ses responsabilités, en prenant progressivement en main l'ensemble des dispositifs civils, policiers et militaires en Bosnie-Herzégovine. Comme vous l'avez mentionné, le mandat du représentant spécial de l'Union européenne dans ce pays arrive à échéance cette année et des consultations sont actuellement en cours au sujet de son renouvellement. La France a exprimé deux attentes : la réduction des pouvoirs exceptionnels du Haut représentant, notamment en matière de sanctions, et la définition d'une dimension plus européenne de son mandat, en séparant la fonction de Haut représentant de l'ONU de celle de représentant spécial de l'Union européenne.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je ne partage pas votre sentiment à propos du référendum, qui me paraît être une opération extrêmement risquée, compte tenu de l'importance de l'enjeu. Je crois pour ma part que le pragmatisme aurait dû l'emporter, car, comme le disait Saint-Just, « nul ne saurait gouverner sans laconisme ».

Je pense également qu'il aurait été préférable de procéder d'abord à l'approfondissement avant l'élargissement. Il est évident que les dix nouveaux États membres privilégient leur alliance avec les États-Unis dans le cadre de l'OTAN plutôt que leur appartenance à l'Union européenne, comme l'ont illustré l'achat de F16 par la Pologne ou leur soutien à l'intervention militaire américaine en Irak. Or, avec l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, les nouveaux États membres pourront constituer une minorité de blocage au sein du Conseil, puisqu'ils représenteront 45 % du nombre des États.

Enfin, je m'interroge sur le poids respectif de la France et de l'Allemagne dans le traité constitutionnel. À la base du couple franco-allemand, il y avait en effet un poids identique de chacun de ces pays au sein des institutions européennes. Or, avec la Constitution européenne, nous aurons un net découplage en faveur de l'Allemagne.

M. Michel Barnier :

J'ai employé le terme de « risque nécessaire », qui a été utilisé par le Président de la République. Et je suis persuadé que les Français se prononceront favorablement le 29 mai prochain, mais il faut se battre pour cela, car les batailles que l'on perd sont souvent celles que l'on ne mène pas.

Pour ma part, je n'exprime aucun regret à l'égard de l'adhésion des dix nouveaux États membres. Ce sont tous des pays de petite dimension, à l'exception de la Pologne. Et il n'y a pas de fatalité à ce que ces pays soient sur une ligne pro-américaine. Compte tenu de leur passé et de leurs angoisses, il n'est pas étonnant que les pays d'Europe centrale et orientale aient choisi d'être proches des États-Unis, qui ont été les seuls capables de garantir leur sécurité. C'est la raison pour laquelle je me suis tant battu pour l'Europe de la défense. Par ailleurs, il faut bâtir des relations de confiance avec ces pays et cela tient beaucoup à notre propre attitude à leur égard. Et pour nouer des liens, il est indispensable de rencontrer régulièrement les représentants de ces pays. C'est de cette manière que l'on pourra y construire un véritable réflexe européen. Ainsi, je me suis rendu récemment en Slovaquie, où depuis treize ans aucun de mes prédécesseurs ne s'était rendu.

Vous avez évoqué la prise de décision au sein du Conseil ; je voudrais rappeler à cet égard que les six pays fondateurs auront avec la Constitution européenne près de 50 % des voix. Enfin, sur le poids de l'Allemagne, le choix qui a été fait par la Convention est le système de la double majorité des États et de la population, qui me paraît juste. Il repose, en effet, sur l'idée, d'une part, qu'un État égale une voix et, d'autre part, qu'un citoyen égale une voix.

Mme Catherine Tasca :

Je voudrais formuler une remarque, une question et une suggestion.

Tout d'abord, je pense comme vous qu'il ne pourra pas y avoir avant longtemps de renégociation du traité constitutionnel en cas d'échec du référendum en France, car il suffit de se mettre à la place de nos partenaires pour imaginer leurs réactions. Par ailleurs, j'ajoute que notre pays serait disqualifié pour de nombreuses années pour participer à toute nouvelle négociation au niveau européen.

Ensuite, si, comme je le souhaite, le oui l'emporte le 29 mai prochain, je voudrais vous interroger sur la manière dont vous comptez gérer l'intervalle entre la ratification du traité constitutionnel et son entrée en vigueur.

Enfin, j'ai participé aux rencontres pour l'Europe de la culture organisées il y a quelques jours à Paris ; elles ont été marquées par des interventions très émouvantes, comme celles de représentants des pays d'Europe centrale et orientale, par exemple slovènes et lituaniens, sur leur passé et leur culture. Or, il existe dans notre pays une profonde méconnaissance de la culture de ces pays. Il me paraît donc indispensable de renforcer la connaissance réciproque des cultures de nos différents pays.

M. Michel Barnier :

Sur votre dernier point, toutes les initiatives me paraissent bienvenues, en termes d'échanges, de partenariats ou de coopération décentralisée. Je travaille aussi actuellement sur un projet visant à accueillir des personnalités du monde entier, notamment par la création d'une Fondation.

En ce qui concerne votre deuxième point, juridiquement c'est le traité de Nice qui s'applique jusqu'à l'entrée en vigueur du traité constitutionnel, qui pourra intervenir vers la fin de l'année 2006. Outre le résultat du référendum au Royaume-Uni, qui aura le caractère d'un moment de vérité, le principal dossier au niveau européen sera la négociation des prochaines perspectives financières.

Mme Catherine Tasca :

Juridiquement, nous resterons sous l'emprise du traité de Nice, mais, sur le plan politique, nous aurons à faire face à une période assez longue qui sera difficile à gérer au niveau de notre opinion publique, qui est assez critique sur le fonctionnement actuel des institutions européennes.

M. Michel Barnier :

On pourrait envisager une mise en oeuvre anticipée de certaines dispositions du traité constitutionnel pour répondre à la préoccupation que vous avez exprimée. Je pense, notamment, au mécanisme d'alerte précoce des parlements nationaux en matière de contrôle du principe de subsidiarité ou au droit de pétition.

M. Jacques Blanc :

Je rappelle d'ailleurs à propos du contrôle de la subsidiarité, qu'une expérience pilote a été lancée par la COSAC, à laquelle notre délégation a participé.

M. Michel Barnier :

Nous pourrions imaginer de lister les dispositions de la Constitution européenne qui pourraient être mises en oeuvre avant même son entrée en vigueur.

M. Robert Del Picchia :

Je crois qu'il faut rester très prudent sur l'idée d'anticiper l'entrée en vigueur de la Constitution européenne, car cela risque de nourrir les arguments des opposants au traité constitutionnel, notamment au Royaume-Uni.

Je partage largement votre point de vue, à la fois sur l'attitude des nouveaux pays membres à l'égard de l'OTAN compte tenu de leur passé et sur l'idée d'une renégociation, compte tenu du fait que de nombreux États membres se sont déjà prononcés sur le traité constitutionnel.

Je souhaiterais vous poser deux questions. La première concerne le projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER). La seconde porte sur la réduction du taux de TVA dans la restauration.

M. Michel Barnier :

En ce qui concerne le projet ITER, l'Union européenne s'est d'ores et déjà engagée sur la construction du réacteur sur le site français de Cadarache et j'ai bon espoir de réussir à convaincre nos partenaires japonais de s'associer à ce projet.

En ce qui concerne la réduction du taux de TVA applicable à la restauration, je peux vous dire que nous espérons une évolution favorable de ce dossier, avec les récentes prises de position de la présidence de l'Union et de la Commission européenne. Je pense, cependant, qu'il faut rester prudent, car je rappelle qu'il faudra obtenir l'unanimité des voix au sein du Conseil. Or, la précédente proposition de la Commission à ce sujet n'avait pas pu être adoptée par le Conseil, en raison de l'opposition de certains États membres.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Je ne partage pas votre point de vue sur le traité constitutionnel, auquel je suis opposée, car j'aurais souhaité une Europe à la fois plus sociale, plus démocratique et plus fédérale. Je pense qu'une renégociation est toujours possible et d'ailleurs, si j'en crois la presse, la Commission européenne travaille déjà sur cette hypothèse.

M. Michel Barnier :

Je suis en mesure de démentir cette information et de vous affirmer que, à aucun moment, les services de la Commission européenne n'ont étudié cette hypothèse. Je veux être très clair sur ce point : il n'y a pas de « plan B ».

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Je voudrais vous poser une question concernant le projet américain de « Grand Moyen-Orient ». Certes, les États membres restent souverains en matière de politique étrangère, y compris avec la Constitution européenne. Mais je voudrais savoir si vous pensez que l'Union européenne peut jouer un rôle plus important dans cette région, en particulier pour la résolution du conflit israélo-palestinien, qui me paraît être au coeur des difficultés de cette zone.

M. Michel Barnier :

Je suis un peu étonné de vous entendre utiliser l'expression de « Grand Moyen-Orient », allant de la Mauritanie jusqu'à l'Afghanistan, qui est une conception d'origine américaine, que nous ne partageons pas en tant qu'Européens. Nous disposons déjà de notre propre vision, qui repose sur le processus de Barcelone, et nous ne comptons pas nous aligner sur la vision américaine, en dépit de notre attachement commun à la démocratie.

Pour nous, la clé de la stabilité au Proche et au Moyen-Orient est la paix entre les Palestiniens et les Israéliens. Et pour la résolution du conflit israélo-palestinien, les prochains mois seront décisifs, avec, d'une part, le retrait de Gaza et, d'autre part, les élections palestiniennes.

Le processus de Barcelone repose par ailleurs sur des moyens financiers bien plus importants que ceux mis en oeuvre par les États-Unis pour le « Grand Moyen-Orient ». Je rappelle que c'est 5 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent 12 milliards de prêts de la Banque européenne d'investissement, qui sont attribués pour la période 2000-2006 par l'Union. À cet égard, j'ai proposé récemment que, dans le cadre des nouvelles perspectives financière, l'on applique aux programmes MEDA la méthode utilisée pour les fonds structurels, reposant notamment sur la planification et l'évaluation, afin de passer d'une logique de guichet à une véritable logique de projet.

M. Yannick Bodin :

Je partage votre sentiment à propos du dernier élargissement. Je reste persuadé que nous avions un devoir historique d'accueillir ces pays dans l'Union, après la chute du mur de Berlin, et je pense même que ce processus a pris trop de temps. J'ai, d'ailleurs, été frappé par l'absence de toute manifestation de grande ampleur dans notre pays le 1er mai 2004 pour fêter cet événement. À cet égard, je ne crois pas qu'il faille relancer aujourd'hui le débat sur la dialectique entre l'approfondissement et l'élargissement, car si l'on avait attendu d'approfondir avant d'élargir, ces pays seraient toujours en train d'attendre pour entrer dans l'Union européenne. Cela étant, je pense aussi que cet élargissement a été mal compris par nos concitoyens car il n'a pas été suffisamment expliqué.

Plus généralement, je constate une forte incompréhension parmi nos concitoyens à l'égard de l'Europe. Et, à cet égard, je me félicite de l'accroissement du rôle des parlements nationaux prévu par la Constitution européenne.

Enfin, je pense comme vous qu'une renégociation est difficilement envisageable et je vois dans cette idée une certaine forme d'arrogance à l'égard de nos partenaires européens.

M. Jacques Blanc :

Nous comptons sur vous, Monsieur le Ministre, pour nous aider à ce que le Parlement français et ses délégations pour l'Union européenne prennent toute leur place pour jouer un rôle plus important sur les questions européennes.

Je voudrais également rappeler mon attachement personnel à la politique euro-méditerranéenne, qui devrait, à mes yeux, rester prioritaire dans le cadre de la politique de voisinage de l'Union européenne.

M. Robert Badinter :

Vous avez évoqué dans votre intervention le rôle plus important que devrait jouer le Parlement en matière européenne pour permettre une meilleure prise en compte des enjeux européens dans l'opinion publique française. Or, je voudrais vous dire que j'ai été scandalisé par la manière dont le Gouvernement a traité récemment le Parlement français à propos de l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne. Je considère, en effet, que, dans cette affaire, les droits reconnus par le Constitution au Parlement n'ont pas été respectés. Le Parlement a été saisi en urgence par le Gouvernement pour se prononcer sur l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, quelques jours avant la signature du traité d'adhésion. Notre délégation s'est donc réunie, à l'initiative de notre président, le 19 avril dernier, alors que le Parlement avait suspendu ces travaux en séance plénière. De ce fait, de nombreux collègues n'ont pu assister à cette réunion, compte tenu de leurs engagements pris en tenant compte de l'interruption programmée des activités du Sénat. En définitive, seuls trois membres de notre délégation étaient présents à cette réunion. Dans ces conditions, nous avons estimé que nous ne pouvions pas nous prononcer sur un sujet de cette importance. A la suite de cette réunion, le président de notre délégation a d'ailleurs adressé une lettre au Gouvernement indiquant que les conditions d'examen de ce texte ne nous avaient pas permis de prendre position. Alors que l'adhésion de ces deux nouveaux pays à l'Union européenne ne pourra intervenir au plus tôt qu'au 1er janvier 2007, on peut s'interroger sur le point de savoir pourquoi le calendrier retenu pour la signature du traité d'adhésion ne laissait que quelques jours pour l'expression des parlements nationaux. Cette façon de traiter le Parlement, qui peut s'interpréter comme une forme de mépris, n'est pas acceptable. Je crois donc que, tant que les différents gouvernements continueront de se comporter avec une souveraine indifférence vis-à-vis du Parlement sur les questions européennes, les conditions ne seront pas réunies dans notre pays pour avoir un véritable contrôle démocratique sur la politique européenne.

M. Michel Barnier :

Je voudrais exprimer, au nom du Gouvernement, mon profond regret pour cette affaire, qui donnera lieu à une enquête pour savoir pourquoi, sur un sujet de cette importance et alors que la date de la signature du traité d'adhésion était connue depuis longtemps, un délai aussi court a été laissé au Parlement français pour se prononcer.

Vous connaissez tous l'attachement que je porte aux droits du Parlement ainsi qu'à votre délégation, et je peux vous assurer que ma position à l'égard du rôle du Parlement n'a pas changé avec mes fonctions ministérielles.