Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 5 mars 2003


Politique sociale et santé

Communication de M. Gilbert Chabroux sur les projets de texte modifiant les procédures d'autorisation de mise sur le marché pour les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire (E 1902)

La Commission européenne a présenté, en novembre 2001, une vaste réforme de la réglementation en vigueur en matière de médicaments. Législation communautaire ancienne, la réglementation de l'autorisation de mise sur le marché des médicaments concerne à la fois les médicaments à usage humain et ceux à usage vétérinaire et a été largement réformée en 1993 avec la création de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments et la mise en place de nouvelles procédures.

Pour être commercialisé, tout médicament fabriqué industriellement doit faire l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités compétentes européenne ou nationales que sont l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) ou, pour la France, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Les laboratoires pharmaceutiques déposent auprès de ces autorités un dossier qui est évalué selon un rapport « bénéfice / risque » et des critères de qualité, de sécurité et d'efficacité.

Il existe deux types de procédures de demandes d'autorisation de mise sur le marché : les procédures communautaires et la procédure nationale. Cette dernière est de moins en moins utilisée puisqu'elle ne s'applique plus qu'aux demandes de mise sur le marché limitées au territoire national.

Les procédures communautaires sont en revanche utilisées lorsque le médicament est destiné à plusieurs États membres. Selon le principe de libre circulation des marchandises, une première directive a été adoptée sur ce sujet en 1965 puis modifiée à plusieurs reprises. Depuis le 1er janvier 1995, un nouveau système, prévu par le règlement n° 2309/93, a établi deux procédures distinctes.

La procédure centralisée est obligatoire pour les produits issus des biotechnologies et optionnelle pour les nouvelles substances actives et les médicaments de haute technologie. L'agence européenne fournit une évaluation scientifique et la Commission accorde une autorisation, valable pour tous les pays membres de l'Union.

La procédure de reconnaissance mutuelle de l'autorisation nationale concerne les autres médicaments et les dossiers pour lesquels les industriels choisissent de ne pas suivre la procédure centralisée. L'autorité compétente d'un État membre réalise alors l'évaluation scientifique ; les autres États membres doivent reconnaître l'évaluation de cet État de référence, sauf à invoquer un risque pour la santé publique. En cas de conflit persistant, une procédure d'arbitrage par l'agence européenne est prévue.

La Commission a publié, en 2001, un rapport sur l'expérience acquise dans l'application de ces procédures et a décidé d'en proposer une réforme qui prend la forme d'une proposition de règlement et de deux propositions de directive. Ces textes sont relativement techniques mais contiennent des enjeux importants pour les industries pharmaceutiques et pour la santé publique. Ils sont particulièrement obscurs et complexes et constituent à cet égard un contre-exemple de la volonté, affirmée depuis longtemps par les institutions européennes, d'améliorer la qualité de la législation.

L'ensemble de cette réforme a été examiné par le Parlement européen en séance plénière le 23 octobre 2002 dans le cadre de la première lecture de la procédure de codécision. De très nombreux amendements ont été adoptés. Le Conseil des ministres n'a examiné que la proposition de règlement, qui comporte les dispositions relatives à l'agence européenne et aux procédures d'autorisation de mise sur le marché, mais sans aboutir pour le moment à un texte complet.

1. L'agence européenne pour l'évaluation des médicaments

Le règlement 2309/93 a créé une agence européenne pour l'évaluation des médicaments qui est chargée de coordonner les ressources scientifiques existantes mises à sa disposition par les autorités compétentes des États membres en vue de l'évaluation et de la surveillance des médicaments. Le directeur exécutif de l'agence est nommé par le Conseil d'administration, sur proposition de la Commission européenne, pour une période de cinq ans renouvelable. Le Conseil d'administration se compose de deux représentants de chaque État membre, de deux représentants de la Commission et de deux représentants désignés par le Parlement européen.

La France y est représentée par le directeur général de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé pour les médicaments à usage humain et par celui de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments pour les médicaments à usage vétérinaire. Les travaux de l'agence européenne s'appuient sur les travaux des agences nationales ; l'instruction des dossiers est d'ailleurs confiée à tour de rôle à un État rapporteur. L'agence européenne fonctionne donc plus comme un coordinateur que comme une véritable source d'expertise.

Dans sa proposition, la Commission européenne souhaite renforcer le rôle de l'agence en lui confiant des tâches supplémentaires allant au-delà de l'évaluation des médicaments. Afin de stimuler la recherche pharmaceutique en Europe, elle serait chargée de nouer de véritables partenariats avec les industriels, en leur fournissant par exemple des conseils scientifiques lors des phases de recherche et développement, c'est-à-dire en amont de la procédure d'autorisation de mise sur le marché.

Cet ensemble de mesures va dans le bon sens, mais doit s'accompagner d'une vigilance sur la composition du Conseil d'administration et sur un régime linguistique assurant la pluralité des langues utilisées par l'agence.

a) La composition du Conseil d'administration

Dans son projet d'origine, la Commission préconisait, en raison de la perspective de l'élargissement, de modifier la composition du Conseil d'administration « pour tenir compte de la structure proposée par elle lors de la création des dernières agences ou autorités en matière de produits alimentaires, sécurité maritime et sécurité aérienne ». Elle proposait ainsi la composition suivante : quatre représentants nommés par le Conseil, quatre nommés par la Commission, quatre nommés par le Parlement européen et quatre représentants des patients et de l'industrie désignés par elle.

Or, la cohérence voulue par la Commission ne se justifie guère puisque, en ce domaine, ses propositions n'ont pas été suivies par le Conseil. Ainsi, le Conseil d'administration de l'agence européenne de sécurité des aliments est composé d'un représentant de la Commission et de quatorze autres membres désignés par le Conseil des ministres en consultation avec le Parlement européen à partir d'une liste établie par la Commission, qui comprend un nombre de candidats considérablement plus élevé que le nombre de membres à nommer. Le Conseil d'administration de l'agence européenne de sécurité maritime est, quant à lui, composé d'un représentant de chaque État membre et de quatre représentants de la Commission, ainsi que de quatre représentants des secteurs professionnels les plus concernés, nommés par la Commission et ne disposant pas du droit de vote.

En effet, si la cohérence entre les différentes agences peut sembler satisfaisante intellectuellement, en pratique, les missions qui leur sont confiées ne sont pas du même ordre. Ainsi, l'agence européenne du médicament a un rôle exécutif et non seulement consultatif, et il peut sembler important de conserver une représentation par État membre afin de créer un lien avec les politiques nationales de santé publique.

Le Parlement européen a voté le 23 octobre 2002 en faveur du modèle de l'agence européenne de sécurité des aliments : le Conseil d'administration se composerait d'un représentant de la Commission et de quinze autres membres désignés par le Conseil des ministres en consultation avec le Parlement européen à partir d'une liste établie par la Commission, comprenant un nombre de candidats considérablement plus élevé que le nombre de membres à nommer. La Commission européenne s'est ralliée à cette position.

Le Conseil des ministres a travaillé de son côté sur ce sujet et un accord y a été trouvé sur une composition plus proche de celle de l'agence européenne de sécurité maritime, à savoir un représentant par État membre, quatre de la Commission et quatre des secteurs professionnels nommés par la Commission mais ne disposant pas du droit de vote.

Ce point devrait faire l'objet in fine d'une conciliation entre le Parlement européen et le Conseil, mais autant la proposition initiale de la Commission semblait peu adaptée aux domaines d'action de l'agence européenne du médicament, autant les deux propositions actuelles peuvent être satisfaisantes. La Commission avait d'ailleurs envisagé ce besoin de représentation des États puisque son texte prévoit la création d'un Conseil consultatif placé auprès du directeur exécutif et composé de l'ensemble des autorités ou agences nationales compétentes en matière de médicaments humains et vétérinaires.

b) Le régime linguistique

L'agence est basée à Londres et la langue anglaise est prédominante : son site internet est uniquement en anglais, même si certains documents de base sont disponibles en plusieurs langues. Le directeur général de l'AFSSAPS s'exprime en français lors des réunions du Conseil d'administration, mais seuls les comptes rendus des réunions du Conseil d'administration sont traduits.

Or, si les industries pharmaceutiques sont naturellement amenées à utiliser couramment l'anglais, les petites et moyennes entreprises et les particuliers, dont les patients ou les médecins, doivent pouvoir disposer d'informations complètes et pertinentes dans leur langue. Le gouvernement français pourrait, dans ce cadre, promouvoir l'introduction d'un article relatif au régime linguistique dans le règlement instituant l'agence européenne.

Le règlement n° 1406/2002 instituant une agence européenne pour la sécurité maritime pourrait servir de modèle puisque son article 9 prévoit que « les dispositions prévues par le règlement n° 1 du 15 avril 1958 portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne s'appliquent en ce qui concerne l'agence ». Ce règlement n° 1 prévoit que « les langues officielles et les langues de travail des institutions de l'Union sont l'allemand, l'anglais, le danois, l'espagnol, le finnois, le français, le grec, l'italien, le néerlandais, le portugais et le suédois ».

2. Le renforcement de la procédure centralisée

La proposition de la Commission prévoit que la procédure centralisée d'autorisation de mise sur le marché reste obligatoire pour les médicaments issus de procédés biotechnologiques, notamment ceux faisant appel aux technologies de l'ADN recombinant. La principale modification vise à rendre également obligatoire cette procédure centralisée pour toutes les nouvelles substances actives apparaissant sur le marché communautaire. La procédure centralisée serait optionnelle pour les autres médicaments qui représentent une innovation thérapeutique. Parallèlement, il est prévu de donner aux États membres la possibilité d'autoriser au niveau national les génériques de médicaments autorisés par la Communauté sous condition de maintenir l'harmonisation acquise au niveau communautaire.

Le directeur général de l'AFSSAPS a largement minimisé la portée de cette mesure. Pour lui, il s'agit plus d'une clarification que d'une modification, car, pour ces nouvelles molécules, les industriels choisissent déjà largement la procédure centralisée afin de les commercialiser directement sur le marché européen. De plus, ces molécules sont les moins bien connues et il peut donc sembler préférable de les expertiser au niveau communautaire.

Aucune majorité ne s'est dégagée au Conseil des ministres sur l'extension de la procédure centralisée, mais de nombreux États membres souhaitent que cette extension ne concerne pas les médicaments vétérinaires dont les caractéristiques se rapprochent des médicaments orphelins, avec une régionalisation importante des marchés. Les associations de patients sont plutôt favorables à la réforme proposée.

3. La pharmacovigilance

La réforme engagée par la Commission européenne se fonde sur deux objectifs principaux et indissociables : le fonctionnement du marché unique dans le domaine pharmaceutique et le maintien d'un haut niveau de protection de la santé publique. La Commission souhaite ainsi accroître la rapidité et l'efficacité des prises de décision, et raccourcir les délais de certaines procédures ; elle propose en particulier de supprimer le renouvellement quinquennal des autorisations de mise sur le marché, actuellement obligatoire.

Parallèlement, il semble cependant nécessaire d'améliorer l'efficacité globale du système de pharmacovigilance et de surveillance du marché. La Commission propose d'augmenter la fréquence des rapports périodiques actualisés relatifs à la sécurité des produits, d'élargir les critères de notification d'effets indésirables, de généraliser l'utilisation d'une banque de données relative aux données collectées.

Dans ce cadre, le renouvellement quinquennal de l'autorisation peut devenir superflu, d'autant plus qu'il n'est souvent considéré actuellement que comme une simple formalité administrative. Un consensus entre la Commission, le Parlement et le Conseil semble avoir été trouvé pour conserver uniquement le premier renouvellement quinquennal, l'autorisation devenant alors valable sans limitation de durée.

Cette solution n'est cependant pleinement satisfaisante que si la réforme permet une réelle amélioration des mécanismes de pharmacovigilance, tant du point de vue quantitatif que qualitatif.

La suppression du renouvellement quinquennal pose indirectement la question de l'indépendance financière de l'agence. Les recettes de l'agence se composent à la fois de la contribution de la Communauté et des redevances versées par les entreprises pour l'obtention et la maintenance des autorisations communautaires de mise sur le marché et pour les autres services fournis par l'agence : en 2001, les redevances se sont ainsi élevées à 46 millions d'euros, soit 69 % des recettes de l'agence contre moins de 27 % pour la contribution du budget communautaire. Cette question n'est pas abordée dans la proposition de réforme de la Commission, alors qu'il pourrait sembler souhaitable que l'organisme chargé de l'administration et du contrôle des médicaments soit financièrement indépendant des firmes pharmaceutiques.

4. La publicité sur les médicaments

Dans une partie consacrée à l'information des patients, la Commission européenne propose « d'ouvrir une possibilité d'information auprès du public pour les classes de médicaments autorisés et prescrits dans le cadre des affections suivantes : SIDA, asthme et affections broncho-pulmonaires chroniques, diabète ». L'article L 5122-6 du code de la santé publique prévoit en France que, pour les médicaments soumis à prescription médicale, la publicité auprès du public n'est pas autorisée.

Cette proposition de la Commission a été vivement rejetée par le Parlement européen lors de la première lecture des textes en séance plénière le 23 octobre 2002. Le Conseil n'a pas encore examiné ce point, mais la France est opposée à la publicité grand public pour les médicaments de prescription.

Pourtant, si ce type de publicité ne semble pas être adapté, la demande d'information du public et des professionnels de santé est croissante ; la multiplication des sites internet « médicaux » pose à cet égard la question de la fiabilité des informations et de leur présentation non certifiée par une autorité compétente. Il semble donc nécessaire de réfléchir, au-delà du problème de la publicité, aux dispositions à prendre pour développer des supports d'information indépendants, transparents et fiables.

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*

En conclusion, le principe d'une réforme de la réglementation européenne relative au médicament a été accepté par l'ensemble des acteurs du secteur afin de tenir compte de l'expérience acquise depuis 1993. De nombreux aspects vont dans le bon sens et les discussions entre la Commission, le Parlement et le Conseil vont se poursuivre. Cependant, il semble important que le Sénat prenne position sur certains de ces sujets, et je vous propose en conséquence le dépôt d'une proposition de résolution.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert Badinter :

La proposition de la Commission n'autorise pas explicitement la « publicité » pour certains médicaments puisqu'elle autorise « l'information du public ». Par ailleurs, sur la question du régime linguistique de l'agence, il sera bien nécessaire que l'Union se pose réellement la question de l'usage des langues au sein des institutions. L'Union pourra-t-elle fonctionner avec plus de vingt langues officielles et de travail ?

M. Gilbert Chabroux :

La Commission européenne pose, à juste titre, la question de l'information du public ; les acteurs du secteur et le Parlement européen ont interprété cela comme ouvrant la voie à la publicité. D'ailleurs, il s'agirait bien de permettre à l'industrie pharmaceutique de « communiquer des informations ».

M. Hubert Haenel :

Je vous propose de modifier la proposition de résolution afin qu'il soit tout à fait clair que l'information neutre et objective est autorisée, mais que la publicité ne l'est pas.

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La délégation a alors conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution dans le texte suivant :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu le texte E 1902 comprenant :

- une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des procédures communautaires pour l'autorisation, la surveillance et la pharmacovigilance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments ;

- une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;

- une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/82/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires.

Demande au Gouvernement :

- de veiller à ce que l'allègement des procédures de renouvellement soit compensé par un renforcement substantiel des mécanismes de pharmacovigilance ;

- de veiller à ce que l'information du public pour certains médicaments soumis à prescription médicale soit neutre et objective et n'ouvre pas la voie à l'autorisation de la publicité par les fabricants ou les distributeurs ;

- d'obtenir l'introduction d'un article relatif au régime linguistique dans le règlement instituant l'agence européenne pour l'évaluation des médicaments, sur le modèle de l'agence européenne pour la sécurité maritime.

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Vous pouvez consulter la suite donnée à cette proposition dans le dossier législatif.


Convention
Politique étrangère et de sécurité commune

Communication de M. Hubert Haenel sur les travaux de la Convention concernant l'action extérieure et la défense

Voici quelques mois, nous avions abordé ensemble la question de la politique extérieure de l'Union et des améliorations qu'on pouvait envisager de lui apporter dans le cadre de la préparation des futurs traités. La Convention a consacré deux groupes de travail à cet aspect essentiel de l'identité politique de la future Union :

- le premier, intitulé « action extérieure de l'Union », présidé par le Vice-président Dehaene et portant sur les questions de politique étrangère, politique commerciale, coopération au développement et aide humanitaire ;

- le second, centré sur la défense européenne, présidé par Michel Barnier.

Le découpage de ce secteur en deux domaines distincts pouvait sembler singulier - certains conventionnels n'avaient pas manqué de le souligner d'ailleurs - mais il avait pour intérêt de mettre l'accent sur les spécificités des questions de défense, sans pour autant nier les liens que celle-ci entretient avec les autres volets de l'action extérieure de l'Union, notamment la politique étrangère (PESC).

Ces deux groupes ont présenté leurs conclusions simultanément lors de la réunion plénière de la Convention, le 20 décembre 2002, et c'est ce dont je souhaite vous rendre compte aujourd'hui, après les deux observations préalables suivantes :

- d'abord, il va de soi que ce dossier doit être replacé dans le contexte du débat portant sur le projet franco-allemand d'architecture institutionnelle de l'Union, que nous avons étudié la semaine dernière, puisque cette contribution comporte un volet « politique extérieure » non négligeable ;

- ensuite, vous comprendrez que la situation internationale actuelle apporte un éclairage tout particulier au débat. Les progrès indéniables réalisés par l'Union au cours des derniers mois pour affirmer et renforcer son rôle sur la scène internationale ont été gravement dépréciés par les dissensions exprimées au sein de ses membres, actuels et futurs, au sujet de la crise irakienne. En vertu des traités actuels, les États membres s'engagent à appuyer, avec solidarité et loyauté, la politique extérieure de l'Union et à ne rien faire qui soit susceptible de nuire à son efficacité. En ne respectant pas ces principes de base, la fameuse « Lettre des huit » a incontestablement miné la démarche entreprise précédemment pour rendre crédible l'action internationale de l'Union et a conforté la position de ceux qui estiment irréaliste l'idée d'une Europe politique et diplomatique à vingt-cinq.

*

Lors de notre précédente réunion, je vous avais indiqué que les réflexions menées au sein des deux groupes de travail, alors au tout début de leurs investigations, laissaient entrevoir des possibilités d'évolutions pleines de promesses et témoignaient de l'existence d'une sorte de consensus sur plusieurs lignes de force.

Or, nous sommes malheureusement conduits à reconnaître que, à l'issue des débats, l'approfondissement des questions a davantage débouché sur un éclatement des points de vues qu'aux rapprochements qu'on avait espérés un temps. Les rapports écrits font état, à de multiples reprises, d'opinions contraires, de réserves, voire de la franche hostilité de certains conventionnels à certaines propositions, ce qu'ont largement confirmé les interventions orales présentées lors de la réunion plénière. La situation est encore plus confuse aujourd'hui et les débats prévus sur la PESC au sein de la Convention ont été pour l'instant reportés sine die.

1. Ma première observation portera sur la partie la plus visible de l'iceberg : la fusion des fonctions de secrétaire général chargé de la PESC et de commissaire aux relations extérieures. Vous vous souvenez qu'une critique quasi-unanime portait sur la séparation actuelle des intervenants en matière de PESC entre deux pôles : le premier, le Haut représentant, rattaché au Conseil et le second, le Commissaire aux relations extérieures, à la Commission. De cette situation résultaient des doublons, des paralysies, une absence de cohérence entre les décisions de politique étrangère et la mise en oeuvre des politiques dans le domaine des relations extérieures et un manque évident de visibilité de l'action de l'Union européenne vis-à-vis du monde extérieur.

La réponse proposée pour résoudre cette difficulté était théoriquement convaincante : opérer la fusion des deux rôles en un seul homme, chargé de devenir en quelque sorte le ministre des affaires étrangères de l'Union (1(*)). En définitive, le rapport semble nettement moins enthousiaste et ne parle plus que d'une « large tendance » en faveur de la fusion, certains conventionnels considérant qu'une coopération plus étroite entre les deux instances actuelles suffirait à apporter la cohérence nécessaire.

· Par ailleurs, la mise en musique de cette fusion soulève une vraie difficulté : à quelle institution doit-on prévoir de rattacher cette nouvelle fonction ? À la Commission, afin de renforcer le caractère communautaire de la PESC et lui appliquer des méthodes qui ont fait leurs preuves, notamment en matière commerciale ? Au Conseil, afin de confirmer son appartenance au domaine intergouvernemental et de ménager l'attachement des exécutifs à cette compétence régalienne  ?

Le rapport souligne qu'un « nombre considérable de membres » pencherait vers la première option, au nom de l'efficacité, mais qu'il jugerait celle-ci encore prématurée en l'état actuel des choses. Aussi, à titre de solution provisoire et pour ne pas trancher ce débat, l'hypothèse qui semblait devoir l'emporter était celle de la « double casquette », c'est-à-dire du double rattachement, compromis qui paraissait pouvoir rassembler les conventionnels. Or, au fur et à mesure des discussions, des opinions contradictoires se sont exprimées pour contester ce mélange des genres et douter de la faisabilité du cadre institutionnel atypique envisagé. Pour reprendre la formule originale de mon collègue britannique parlementaire européen, Andrew Duff, certains ont considéré qu'il ferait de ce « M. super-PESC », « un coucou du Conseil dans le nid de la Commission », incompatible avec son principe de collégialité.

· Il n'y a donc pas, à ce stade, de solution résolument constructive. D'autant que le choix entre les différentes branches de l'alternative, vous le comprendrez, dépend étroitement de la réponse qui sera apportée par ailleurs à la question des futurs exécutifs européens, question qui domine largement le débat en ce moment à la suite de la contribution franco-allemande sur l'architecture institutionnelle de l'Union.

Cette contribution propose notamment d'instaurer une présidence du Conseil européen plus longue, pour une durée de cinq ans ou de deux ans et demi renouvelables. Cette stabilité permettrait de conférer une représentation visible à l'Union européenne sur la scène internationale, le Président du Conseil européen ayant pour tâche essentielle d'élaborer une politique étrangère commune et consensuelle, dont la conduite quotidienne serait confiée au futur ministre européen des Affaires étrangères placé sous son autorité. Il s'agit là, en quelque sorte, d'une quatrième option d'organisation qui, s'ajoutant aux précédentes, accroît encore la complexité du débat.

2. Deuxième sujet à l'étude : celui de l'application de la règle de la majorité qualifiée en matière de politique extérieure. Là encore, on ne peut pas considérer qu'un consensus se soit exprimé en ce sens. Certes, le rapport souligne la « demande forte » de certains pour que le futur traité la prévoie, craignant l'inertie de la PESC dans une Union élargie. Mais d'autres ont fait valoir, avec la même vigueur, que les questions de politique étrangère se prêtaient mal à un vote, susceptible de léser les intérêts des États membres placés en position minoritaire et d'afficher sur la scène internationale la désunion européenne.

· Un moyen terme est envisagé : il consisterait à permettre au Conseil de décider, à l'unanimité, d'étendre le vote à la majorité qualifiée dans le domaine de la PESC ; le principe de l'unanimité serait toutefois maintenu pour ce qui concerne les questions de défense. Si tel devait être le cas, on peut craindre que cette faculté d'étendre le vote à la majorité qualifiée reste purement théorique. On ne peut d'ailleurs oublier que, dans la gestion du problème irakien actuel, l'application du vote à la majorité qualifiée aurait placé la France et l'Allemagne en position minoritaire. Cette observation conduit d'ailleurs à douter de l'avenir de la proposition franco-allemande récente en faveur d'une adoption « en général à la majorité qualifiée » des décisions dans le domaine de la PESC.

· C'est pourquoi, on peut supposer que, plus modestement, le consensus au sein de la Convention se limite à la suggestion présentée par le rapport d'utiliser, de manière effective, les dispositions actuelles du Traité sur les possibilités de vote à la majorité qualifiée (stratégies communes et décisions de mise en oeuvre d'actions et de positions communes) et sur l'abstention constructive. Autant dire que, à cet égard, les progrès sont minces.

Il est également envisagé, et c'est là une idée intéressante, d'introduire un nouveau type d'initiative en matière d'action extérieure de l'Union européenne : il s'agirait d'une initiative conjointement présentée par le Haut représentant et par la Commission, intégrant des aspects de politique étrangère et des instruments relevant des relations extérieures. L'intérêt de cette formule est d'abord d'être concevable quelles que soient les solutions institutionnelles retenues par la suite : elle pourrait être mise en oeuvre, que l'on procède ou non à la fusion des fonctions de Haut représentant et de Commissaire aux relations extérieures, que cette future institution soit rattachée au Conseil, à la Commission ou aux deux simultanément. Ensuite, on peut supposer qu'une telle initiative conjointe refléterait un intérêt commun de l'Union européenne, qu'elle bénéficierait d'un soutien fort des États membres et donc, qu'elle pourrait être adoptée par vote à la majorité qualifiée.

· Enfin, la possibilité de constituer des coopérations renforcées dans le domaine de l'action extérieure européenne a été souhaitée par un certain nombre de conventionnels.

3. Pour reprendre les conclusions de M. Dehaene, le groupe de travail « action extérieure » n'a donc pas proposé de vrai changement, mais seulement une réorganisation, un renforcement des structures actuelles. Relèvent de cette approche minimaliste :

- la création d'une formation du Conseil « Action extérieure », distincte du Conseil « Affaires générales », suggestion qui bénéficie « d'un large soutien » ;

- la présidence de cette nouvelle formation par le Haut Représentant, mais sans qu'il y dispose de droit de vote, idée soutenue cette fois par « un nombre important des membres du groupe », d'autres considérant qu'il en résulterait une trop grande concentration de responsabilités pour la même personne ;

- l'amélioration de la coordination de l'action extérieure au sein de la Commission ;

- la création d'une école de diplomatie et d'un service diplomatique commun de l'Union européenne ;

- l'augmentation de l'enveloppe budgétaire destinée à la PESC et l'octroi d'un certain degré d'autonomie au Haut Représentant, notamment pour assurer les financements d'urgence ;

- le renforcement de la représentation de l'Union au sein des organisations internationales.

*

Pour ce qui concerne les recommandations émises dans le domaine de la défense européenne, elles sont également marquées par la grande diversité des points de vue qui fait écho à la grande diversité des situations des États membres en termes de statut international, de capacités opérationnelles et de degré d'engagement.

Certains points, toutefois, semblent recueillir un accueil plutôt favorable, mais jamais unanime :

· Le groupe de travail a recommandé l'actualisation des missions de Petersberg en y adjoignant la prévention des conflits, les actions conjointes en matière de désarmement, le conseil et l'assistance en matière militaire, les opérations de stabilisation à la fin des conflits et le soutien anti-terrorisme à la demande d'un pays tiers.

· Il propose que le Haut Représentant voie son rôle renforcé, notamment en disposant d'un droit d'initiative - mais non de décision - en matière de gestion de crises et de la responsabilité de la coordination des opérations mises en oeuvre pour y faire face.

· Il est suggéré de mieux utiliser l'abstention constructive pour que les États membres ne souhaitant pas s'associer à une opération ou fournir une contribution militaire, ne paralysent pas l'action commune.

· Le groupe a marqué un intérêt certain pour accroître la solidarité entre les États membres en permettant la mobilisation de tous les instruments de l'Union pour prévenir la menace terroriste ou répondre à une attaque sur son territoire. Dans le prolongement de ce souci de solidarité, il est proposé une coopération plus étroite en cas de catastrophes naturelles ou humanitaires à l'intérieur de l'Union.

Cette solidarité renforcée ne va pas, toutefois, jusqu'à inclure dans le traité une clause de défense collective, impliquant une obligation d'assistance militaire entre les États membres. Cette idée a été soutenue par certains, mais fortement contestée par les pays non alignés et ceux qui considèrent que la défense collective est assurée par l'Alliance atlantique.

· Une grande partie du groupe a soutenu l'idée de créer, sur base intergouvernementale et volontariste, une agence européenne d'armement et de recherche stratégique chargée de veiller à satisfaire les besoins opérationnels et de soutenir la recherche en matière de technologie de défense. Certains ont même souhaité qu'elle soit aussi chargée d'évaluer et de surveiller les capacités opérationnelles des États membres.

· Enfin, la proposition d'une formation d'un Conseil « Défense » a recueilli un soutien large, mais pas unanime.

*

Bien évidemment, la crise irakienne a également eu des répercussions sur la réflexion menée en matière de défense européenne.

J'en veux pour preuve l'article publié le 19 février dernier dans le Figaro par Michel Barnier, selon lequel l'Union n'aura de politique étrangère « qu'une fois constituée une véritable capacité européenne de défense » qui donnera à l'Europe « les moyens de sa puissance ». On peut y voir une nouvelle lecture du processus, une inversion de l'ordre des facteurs, puisque ce serait désormais l'existence d'une défense européenne qui conditionnerait la constitution de la politique étrangère de l'Union et non le contraire.

Dans cet objectif, selon Michel Barnier, « les États membres de l'Union européenne qui ont la volonté de coopérer et la capacité pour le faire doivent pouvoir approfondir leur coopération dans le cadre de la future Constitution européenne », sur le modèle de l'euro ou de l'espace Schengen.

Ces observations rejoignent les conclusions du groupe de travail. Celui-ci préconise en effet des formes de coopération plus étroites entre les États membres qui souhaitent effectuer les missions les plus exigeantes et qui disposent de moyens d'engagement crédibles, sans aller toutefois jusqu'aux coopérations renforcées prévues par le Traité de Nice qui se heurtent à l'opposition farouche de certains conventionnels.

C'est vraisemblablement dans le sens d'une coopération accrue entre les États membres les plus déterminés qu'un consensus pourrait être dégagé, avec l'espoir d'un ralliement ultérieur des pays les plus réservés.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert Badinter :

J'observe que les articles liés à la politique étrangère et de sécurité commune seront examinés par la Convention les 24 et 25 avril prochains. Nous sommes aujourd'hui au début du mois de mars, à un moment d'extrême tension internationale. À moins d'une évolution de la politique étrangère, il me semble qu'il serait plus judicieux de reprendre ce débat vers la fin de ce mois.

M. Hubert Haenel :

Il est certain que la situation va se modifier dans les semaines à venir et qu'elle aura des répercussions sur notre propre réflexion. Je crois, pour ma part, aux coopérations renforcées en matière de politique étrangère et de défense comme moyen de progresser.

M. Robert Badinter :

Je suis plus pessimiste. Il suffit de regarder une carte de l'Europe et de dresser la liste des Etats qui se seraient trouvés au Conseil européen pour définir la position de l'Union sur le conflit irakien : sauf erreur de ma part, la Belgique et le Luxembourg seraient allés dans le sens des positions franco-allemandes ; certains pays sont neutres, l'Autriche, la Suède, ... et l'on connaît leur réaction ; qu'auraient fait les autres ? Ils ont rallié à une écrasante majorité les thèses américaines, on a bien vu l'attitude du Royaume-Uni, de l'Espagne ou de l'Italie.

Pour ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, la situation est désormais radicalement différente de ce qu'elle était encore il y a quelques semaines, on le constate dans les couloirs et dans les conversations à la Convention. Je conçois mal que l'on puisse maintenir la proposition qui a été faite dans le cadre de la contribution franco-allemande et la faire admettre par le Parlement français. Sur la base de cette proposition, nous aurions été mis en minorité, et la position que l'Union aurait dû défendre, y compris aux Nations unies, aurait été un alignement sur les thèses américaines.

M. Hubert Haenel :

Mais alors, si votre pessimisme est conforté par les événements futurs, qu'en sera-t-il à l'issue de nos travaux ? Faut-il considérer que le texte qu'adoptera la Convention ne comportera aucun progrès sur le deuxième pilier et bien peu sur le troisième ? Je me vois mal expliquer cette situation à nos collègues et moins encore à nos compatriotes, alors qu'il s'agit des domaines sur lesquels les citoyens attendent le plus de l'Europe.

M. Robert Badinter :

Quand on lit la presse américaine, il est clair que la guerre est décidée dans la tête du Président Bush : on n'envoie pas 60 000 hommes supplémentaires sur place uniquement pour faire davantage pression sur Saddam Hussein !

Lorsque la guerre sera déclarée, demain, dans quelques jours, c'est son résultat qui nous départagera. Si le rêve optimiste présenté par la Maison Blanche se concrétise, si les populations irakiennes sont enthousiastes et accueillent les soldats en libérateurs, si Saddam Hussein se suicide ou s'enfuit, si l'on trouve des armes chimiques cachées, alors la France et l'Allemagne seront ridicules. Si, à l'inverse, c'est une guerre longue, coûteuse, qui s'enlise, si survient l'explosion, à mon sens inévitable, du Kurdistan, si l'ensemble de la zone fait l'objet d'un embrasement, accompagné d'actes de terrorisme, alors c'est au contraire nous qui aurons eu raison. Et tout cela aura bien évidemment des répercussions sur le travail de la Convention et sur l'état d'esprit au sein de l'Union européenne.

Mais, pour l'instant, il faut attendre que la situation se décante. Il est impensable de rester sur notre ligne antérieure, après la « lettre des Huit » et la proclamation du groupe de Vilnius. Il est en tout état de cause certain que ni l'opinion publique, ni aucun de nos collègues ne comprendrait que nous acceptions d'être réduits au silence au sein du Conseil de sécurité.

M. Jean-Pierre Masseret :

La gravité de la situation, la crise au sein de l'Union européenne révélée par le problème irakien, sont une évidence. La position franco-allemande, d'une part, la « lettre des Huit » d'autre part, le fait de peser sur les petits pays d'Europe centrale et orientale aux ordres de Washington, tout cela crée une situation dont l'acuité n'a pas échappé à nos concitoyens. Il est difficile d'en dire plus aujourd'hui. Je suis favorable à une Europe puissance, mais qui n'est pas naturellement un ennemi des États-Unis. Je déplore que les chefs de gouvernement soient finalement en décalage avec leur population et témoignent d'une absence de vision à quinze, vingt ou trente ans. L'Europe puissance n'a pas d'impérialisme ; elle ne veut ni conquérir, ni imposer quoi que ce soit. Elle doit prendre en compte nos intérêts vitaux à moyen et long terme, défendre la paix, la sécurité et ses valeurs, favoriser le progrès et non s'ériger en gendarme du monde.

Les dirigeants politiques qui ne perçoivent pas cela me stupéfient. Cela dit, je ne fais pas pour autant avancer le dossier et il faut effectivement attendre l'issue du conflit. Certains experts penchent pour la conduite d'une guerre très courte : d'après la stratégie américaine, en quelques jours, en isolant Bagdad, la victoire serait assurée ; on assisterait à des manifestations populaires de liesse, la télévision montrerait que des armes de destruction massive ont été découvertes. Si tel était le cas, alors nous passerions pour des naïfs et nos opinions publiques, pourtant aujourd'hui hostiles à la guerre, en seraient ébranlées.

J'étais devant le Comité politique et de sécurité (COPS) les 12 et 13 février dernier à Bruxelles. J'ai posé la question fondamentale de la clause de défense collective : les Pays-Bas ont aussitôt répliqué que c'était là le rôle de l'Alliance. J'ai critiqué les pays neutres : la neutralité, aujourd'hui, me paraît être une absurdité. Les Autrichiens en sont convenus, mais que dire de plus ? Il y a un important travail politique à mener dans les parlements de l'Europe centrale et orientale pour expliquer notre conception de la défense européenne et montrer qu'elle n'a pas de vocation anti-américaine. C'est vrai que, autrefois, l'OTAN constituait leur seul recours contre la Russie. On peut le comprendre. Aujourd'hui, il faut s'expliquer, se montrer pédagogue, et, dans le même temps, communautariser la recherche et la technologie en matière d'armement en les dotant d'une ligne budgétaire européenne. Il faudrait presque créer une administration européenne pour fabriquer de la politique puisque les politiques sont aujourd'hui paralysés et qu'ils n'en produisent pas.

M. Serge Vinçon :

Les difficultés d'aujourd'hui tiennent finalement à l'essentiel : les pouvoirs régaliens suprêmes des États que sont la défense ou la politique étrangère. La situation actuelle, confrontée à l'épreuve des faits, n'est pas étonnante. Jusqu'au Traité de Nice, de réels progrès ont été accomplis en terme de conceptualisation et de mise en place de certains organismes pour la défense européenne. Aujourd'hui, le paradoxe tient à la co-existence d'une Europe des citoyens, qui approuve largement la position de la France, et d'une Europe des dirigeants, qui est toute autre. L'avenir nous dira qui a eu raison.

Nous sommes désormais partagés entre notre désir d'aller vers l'Europe puissance, de construire cette Europe de la défense, et nos choix nationaux individuels. C'est particulièrement net pour l'industrie de la défense. On a constaté de vrais rassemblements, des rapprochements industriels et, dans le même temps, on observe l'attitude de pays qui continuent à s'approvisionner au mieux de leurs intérêts, mais au détriment de ceux de l'industrie d'armement européenne. Globalement, le paradoxe de l'élargissement, c'est que les pays d'Europe centrale et orientale veulent l'Europe pour l'économie et la richesse, et l'OTAN pour leur défense et leur sécurité.



(1) L'intitulé exact suggéré est celui de « Représentant européen pour les affaires extérieures » parce qu'il ne correspond à aucun titre utilisé au niveau national.