Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 6 novembre 2007


Table des matières

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Économie, finances et fiscalité

Régime fiscal du gazole (Texte E 3489)

Communication de Mme Fabienne Keller

Le 13 mars dernier, la Commission européenne a adopté une proposition de directive portant sur l'ajustement du régime fiscal particulier pour le gazole utilisé comme carburant à des fins professionnelles, et la coordination de la taxation de l'essence sans plomb et du gazole utilisé comme carburant.

Ce texte, dont nous sommes saisis au titre de l'article 88-4 de la Constitution, vise à modifier la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, dite « directive DTE », qui détermine les taux minima de taxation des carburants. Je rappelle que cette directive n'est que partiellement transposée en droit interne.

Actuellement, les niveaux minima de taxation applicables à l'essence sans plomb et au gazole sont les suivants :

(En euros/1 000 litres)

1er janvier 2004

1er janvier 2010

Essence sans plomb

359

359

Gazole

302

330

Par ailleurs, les États membres peuvent établir une différence - c'est ce que l'on appelle le « découplage » - entre le gazole à usage professionnel(1)Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 6 novembre 2007(*) et le gazole à usage privé utilisé comme carburant, à une double condition :

1°) les niveaux minima communautaires doivent être respectés ;

2°) le taux fixé pour le gazole à usage professionnel ne doit pas être inférieur au niveau national de taxation en vigueur au 1er janvier 2003, à moins que les États membres introduisent un système de redevances sur l'utilisation des infrastructures routières, de manière à ce que la charge fiscale globale reste à peu près équivalente.

Or, la Commission a constaté à plusieurs reprises, notamment en septembre 2001, dans son Livre blanc sur la politique européenne des transports à l'horizon 2010, puis en juin 2006, avec sa communication relative à l'examen à mi-parcours de ce Livre blanc, que l'absence de taxation harmonisée des carburants constitue un obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur.

De fait, les écarts de taxation du gazole sont considérables selon les États membres :

(En euros/1 000 litres)

Bulgarie

220

Pologne

303

Pays-Bas

365

Lettonie

236

Slovénie

303

Irlande

368

Estonie

245

Belgique

305

Slovaquie

373

Lituanie

245

Finlande

319

France

392

Chypre

250

Autriche

325

Suède

394

Grèce

260

Malte

332

Italie

403

Roumanie

260

République tchèque

336

Danemark

404

Luxembourg

278

Hongrie

339

Allemagne

470

Espagne

294

Portugal

339

Royaume-Uni

693

La Commission note que « les entreprises qui effectuent des transports internationaux ou sont situées près de la frontière d'un pays à faible taxation ou dans un tel pays se livrent à une forme de « planning » fiscal dénommé le « tourisme à la pompe » : elles tirent profit des différences très importantes entre les taux nationaux d'accises sur le gazole pour se ravitailler dans les États membres où les taxes sont les plus faibles ».

Cette situation est à l'origine de nombreux inconvénients :

- des distorsions de concurrence sur les marchés du transport, tous les opérateurs n'ayant pas les mêmes possibilités d'acheter du carburant faiblement taxé ;

- une incidence sur l'environnement, en raison de la distance supplémentaire, qui se compte en millions de kilomètres, engendrée par les détours effectués pour profiter d'une moindre taxation du gazole ; de façon générale, le principe « pollueur-payeur » est insuffisamment pris en compte ;

- des pertes de recettes fiscales pour les États membres taxant le gazole à un niveau plus élevé, estimée par exemple à 1,9 milliard d'euros par an en Allemagne et à 1 milliard en France.

La proposition de directive pose les bases d'une harmonisation de la fiscalité en la matière afin de réduire les distorsions de concurrence, mais poursuit aussi d'autres objectifs tels que la diminution de l'émission de substances polluantes, la réduction de la dépendance énergétique grâce à de moindres importations de combustibles fossiles et la limitation des pertes de recettes fiscales.

Elle profitera donc à la France, d'autant plus que certains de nos voisins (Belgique, Luxembourg, Espagne) pratiquent une fiscalité des carburants moins élevée que la nôtre, de telle sorte qu'un camion peut circuler sur notre territoire sans jamais acheter de carburant en France.

Le texte contient deux principales dispositions :

- d'une part, il propose de réduire progressivement l'écart entre la taxation du gazole et celle de l'essence sans plomb, actuellement plus élevée : à partir de 2012, le taux minimum de taxation du gazole sera identique au taux déjà applicable à l'essence sans plomb, soit 359 euros par 1 000 litres, « afin de prendre en considération le fait que ces deux carburants sont tout autant l'un que l'autre dommageables pour l'environnement » ;

- d'autre part, il propose d'augmenter ce taux d'imposition minimum communautaire applicable au gazole et à l'essence sans plomb de 359 à 380 euros par 1 000 litres à compter de 2014, « afin d'éviter que sa valeur réelle ne s'érode de trop et de réduire davantage les distorsions ».

Ainsi les taux de taxation minima de l'essence sans plomb et du gazole s'établiraient-ils de la manière suivante :

(En euros/1 000 litres)

1er janvier 20041er janvier 20101er janvier 20121er janvier 2014

Essence sans plomb

359

359

359

380

Gazole

302

330

359

380

De surcroît, le découplage entre les taux pour le gazole professionnel et non professionnel est maintenu, mais les États membres qui y recourront - c'est le cas de la France - ne pourront appliquer une taxation du gazole non professionnel inférieure à celle appliquée au gazole professionnel. De même, la taxation nationale de l'essence sans plomb ne pourra être inférieure à celle du gazole professionnel.

La France n'est pas concernée par cette proposition de directive, dans la mesure où ses taux de taxation - 391,9 euros par 1 000 litres pour le gazole professionnel, 416,9 euros pour le gazole non professionnel et 589,2 euros pour l'essence sans plomb - sont déjà supérieurs aux minima communautaires prévus par la proposition de directive pour 2014. En outre, elle applique au gazole non professionnel et à l'essence sans plomb un taux supérieur à celui du gazole professionnel.

Cela n'exonère cependant pas notre pays de réfléchir à une adaptation de la fiscalité énergétique aux enjeux du développement durable. Ainsi le rapport du groupe 6 du « Grenelle de l'environnement » évoque-t-il la mise en place d'un péage kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier national non concédé, afin de réduire la distorsion de concurrence existant entre les routiers français soumis à une taxation du gazole plus lourde que beaucoup de leurs collègues européens.

La proposition de directive me paraît susceptible d'au moins deux réserves :

1°) La mise en oeuvre effective de la taxation différenciée du gazole professionnel et du gazole non professionnel est limitée à un « mécanisme de remboursement non discriminatoire », c'est-à-dire à un remboursement sur facture.

Cette disposition me paraît trop restrictive. Il existe en effet d'autres méthodes pour appliquer cette différenciation, telle que l'installation de pompes dédiées. Je m'interroge de surcroît sur la conformité de cette disposition au principe de subsidiarité, les modalités de mise en oeuvre d'une telle différenciation pouvant être arrêtées par les États membres. Enfin, je me demande si, sur ce point, la Commission n'a pas été plus soucieuse des intérêts du secteur pétrolier que de ceux des États membres.

2°) Alors que la proposition de directive a pour objectif de lutter contre les distorsions de concurrence induites par la grande variété des niveaux de taxation du carburant en Europe, elle prolonge les nombreuses dérogations actuellement en vigueur.

En effet, onze États membres, dont trois sont frontaliers de la France, se voient accorder une période transitoire supplémentaire pour adapter leur niveau national de taxation du gazole utilisé comme carburant aux nouveaux minima : l'Espagne, l'Autriche, la Belgique, le Luxembourg, le Portugal, la Grèce et la Pologne ne devraient appliquer le minimum de 380 euros par 1 000 litres, identique pour le gazole et l'essence sans plomb, qu'à compter du 1er janvier 2016, tandis que la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie bénéficieraient d'une année supplémentaire.

Il conviendra donc de veiller à ce que la durée des périodes transitoires, déjà longue, ne soit encore prolongée, sous peine de pérenniser les distorsions de concurrence dénoncées par la Commission et, donc, de remettre en cause le principe même de la proposition de directive.

Ce texte prévoit une période transitoire de près de dix ans pour qu'il soit pleinement appliqué. Un tel horizon souligne à quel point l'harmonisation fiscale européenne est illusoire, d'autant plus que toute décision en la matière doit être prise à l'unanimité du Conseil.

Pour ces raisons, je vous suggère de formuler des conclusions sur la proposition de directive, dont le texte vous a été distribué.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

La proposition de directive a-t-elle une incidence sur les ressources que les régions peuvent tirer de la TIPP ?

Mme Fabienne Keller :

Le texte de la Commission ne prévoit que des niveaux minima, il ne limite en rien les marges de manoeuvre des régions en matière de TIPP. Concernant celle-ci, il convient néanmoins de s'interroger sur le nombre d'abattements qui la concernent : les bâtiments de pêche, les avions, les taxis jusqu'à 5 000 litres ou les véhicules de transport routier de plus de 7,5 tonnes en sont ainsi partiellement exonérés.

M. Simon Sutour :

L'examen de ce texte appelle une réflexion sur l'état des infrastructures autoroutières en France, a fortiori dans les régions transfrontalières. Les autoroutes du Sud de la France sont ainsi le lieu de passage de chaînes ininterrompues de camions assurant le fret entre l'Espagne et le Nord de l'Europe. Au-delà du problème fiscal, il conviendrait de s'intéresser aux conséquences d'un tel trafic en matière d'usure des autoroutes, mais aussi de sécurité routière et de pollution. Un tarif particulier devrait être imposé à ce type de véhicule.

M. Robert Bret :

Une véritable réflexion sur le ferroutage doit également être lancée.

M. Pierre Bernard-Reymond :

La ligne de ferroutage entre Perpignan et Luxembourg récemment ouverte est, à cet égard, une excellente initiative !

Mme Fabienne Keller :

Le « Grenelle de l'environnement » a notamment débouché sur le principe d'une taxation au camion. Celle-ci devrait permettre d'opérer un véritable rééquilibrage en faveur du fret ferroviaire.

*

A l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La Délégation pour l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE en ce qui concerne l'ajustement du régime fiscal particulier pour le gazole utilisé comme carburant à des fins professionnelles ainsi que la coordination de la taxation de l'essence sans plomb et du gazole utilisé comme carburant (E 3489),

Approuve l'harmonisation de la fiscalité de l'essence sans plomb et du gazole ;

Considère que la mise en oeuvre du principe de différenciation de la taxation du gazole professionnel et du gazole non professionnel ne doit pas être limitée à un mécanisme de remboursement ;

Demande au Gouvernement de veiller à ce que les périodes dérogatoires accordées à plusieurs États membres pour adapter aux nouveaux minima communautaires leur niveau national de taxation du gazole utilisé comme carburant ne soient pas prolongées au-delà des dates prévues afin de ne pas retarder davantage l'égalisation des conditions de concurrence.

Institutions européennes

Audition de M. Pierre Sellal, Ambassadeur,
Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne2(*)

M. Pierre Sellal :

Je n'ai pas eu le privilège de venir m'exprimer devant vous depuis le 30 mai 2006. Nous étions alors dans une situation de crise après l'échec du référendum. Nous sommes aujourd'hui dans une situation profondément différente grâce à l'accord réalisé autour du traité simplifié.

Ce traité dit « modificatif » est très proche du traité simplifié proposé par Nicolas Sarkozy, alors candidat à l'élection présidentielle, en septembre 2006. Tous les observateurs bruxellois ont été frappés par la rapidité de cette sortie de crise, à peine plus de deux ans après le rejet du projet de Constitution par deux États membres, qui ne sera cependant totale que lorsque le traité - qui sera signé sous présidence portugaise à Lisbonne au début du mois de décembre -, aura été ratifié par les vingt-sept États membres et qu'il sera entré en vigueur, c'est l'objectif, au 1er janvier 2009.

Traité simplifié ne veut pas dire simplicité. Il décrit une réalité compliquée parce que le fonctionnement institutionnel de l'Union est difficile à appréhender - comme le sont d'ailleurs tous les systèmes institutionnels étatiques. Régir l'exercice quasi fédéral de certaines compétences centralisées, en impliquant plusieurs institutions, dans le cadre d'une répartition des pouvoirs entre des États souverains et l'Union, n'est pas simple.

La simplicité institutionnelle n'est d'ailleurs pas un objectif en soi. Ce qui est nécessaire, c'est que le système soit capable de prendre des décisions efficaces, fondées, explicables et légitimes. Pour autant, le traité reste un traité simplifié au sens de la démarche retenue par le Conseil européen en juin et confirmée depuis par l'accord politique d'octobre. Fondamentalement, il s'est agi de tirer les leçons de l'échec, en 2005, de la démarche constitutionnelle et de revenir à une forme plus traditionnelle d'adaptation des institutions et de modification des traités.

La démarche constitutionnelle consistait en effet à refonder les traités européens, à réécrire dans un seul instrument juridique tous les traités qui s'étaient succédé depuis le traité de Rome et de donner à cette refondation juridique un caractère aussi ambitieux que possible pour conférer à l'ensemble européen la dimension d'une entité politique s'apparentant, au moins selon certains, à une forme d'État unitaire.

Le nouveau traité tourne le dos à cette démarche. Il revient à la méthode traditionnelle qui consiste à apporter des modifications aux traités en vigueur, sans en changer l'organisation générale, ni même la numérotation. Le nouveau traité ne cherche pas à redéfinir les grands objectifs de l'Union. Il modifie simplement certaines règles à raison des leçons de l'expérience et des besoins fonctionnels dans le contexte d'une Europe élargie. Le traité constitutionnel avait une autre ampleur - ne serait-ce qu'en nombre de pages - parce qu'il intégrait la Charte des droits fondamentaux et les politiques de la troisième partie qu'il décrivait dans le détail.

Ce traité s'inscrit ainsi dans la ligne des précédents traités modificateurs, comme ceux d'Amsterdam ou de Nice. Seul le traité de Maastricht avait apporté de profondes modifications de fond au traité de Rome. La Constitution elle-même n'apportait pas de changements aussi profonds en termes de compétences ou de fonctionnement que le traité de Maastricht.

Cette simplicité ne se fait cependant pas au détriment du contenu, notamment des modifications institutionnelles et procédurales qui avaient été imaginées par la Convention et qui ont été retenues par la Conférence intergouvernementale. Parfois avec un ajustement de vocabulaire, comme pour le ministre des affaires étrangères dont le titre sera finalement celui de haut représentant. Parfois avec l'instauration de nouveaux délais, comme pour l'application du mécanisme de la double majorité, qui est reportée jusqu'en 2014 à la demande des Polonais. Les autres novations institutionnelles significatives se retrouvent néanmoins dans le nouveau traité, comme la présidence stable du Conseil européen pendant deux ans et demi ou la présidence du Conseil Relations extérieures par le haut représentant.

D'autres modifications, qui ne sont pas mineures, correspondent aussi à des initiatives et préoccupations françaises.

D'abord, la concurrence qui n'est plus un objectif, mais simplement un moyen de l'Union. Cette modification a été souvent mal interprétée. Elle ne vise pas à priver l'Union de toute politique de concurrence. Celle-ci demeure avec ses bases juridiques. La Commission n'est privée d'aucun instrument. Mais, pour autant, il y a une différence importante par rapport à la situation antérieure, puisque la concurrence est désormais un instrument pour poursuivre des objectifs plus généraux : la croissance, l'emploi, la prospérité. Comme, dans ce domaine, tout est affaire d'appréciation, le fait que le Conseil européen ait voulu nuancer l'objectif de concurrence par rapport à d'autres objectifs, aura nécessairement un impact lorsque la Cour de Justice sera amenée à se prononcer dans des cas d'espèce.

Par ailleurs, un protocole sur les services publics a été annexé au traité à l'initiative des Néerlandais, soutenus par les Français. Ce protocole, de même valeur que le traité, conforte et donne des garanties à l'organisation des services publics et leur financement par les États membres, qui seront donc compatibles avec les règles du marché intérieur et la politique de la concurrence.

Le traité contient en outre un thème nouveau : celui de la protection des citoyens européens. Ce n'est pas du protectionnisme. C'est la simple reconnaissance du fait que les Européens attendent de l'Union qu'elle défende leurs intérêts face à des comportements déloyaux ou illicites. Elle figure parmi les objectifs, constituant ainsi une réponse au message envoyé par la majorité du peuple français lors du référendum de 2005.

Le changement le plus important apporté par le nouveau traité tient certainement aux conditions qui sont faites au Royaume-Uni. Le paradoxe est que le référendum français s'est traduit par des exigences britanniques de dérogations supplémentaires, exprimées par Tony Blair en juin, et réitérées en octobre par Gordon Brown. Le renoncement à la démarche constitutionnelle, la confirmation des exclusions du Royaume-Uni de la monnaie unique et de Schengen, l'absence pour lui de contraintes dans la mise en oeuvre des coopérations policière et judiciaire et la non-application juridique de la Charte des droits fondamentaux devant les tribunaux britanniques sont les conditions exigées par les Britanniques pour éviter une consultation référendaire.

Il serait erroné de voir dans ce statut d'exception une victoire anglaise, comme certains l'ont estimé un peu superficiellement. Cela aurait été le cas si ces exceptions avaient conduit au renoncement des autres. Mais il n'en est rien. Son statut dérogatoire n'empêche pas les autres pays d'engager les politiques qu'ils veulent mener. Un tiers du mandat de la Conférence intergouvernementale portait d'ailleurs sur des exceptions sollicitées par les Britanniques. C'est bien la preuve qu'ils se situent en dehors d'un système qu'ils ne peuvent influencer.

S'agissant du processus de ratification en France, je dois souligner l'importance du choix de la voie parlementaire et de son annonce précoce, dès octobre 2006, par le candidat à l'élection présidentielle. Ce choix a permis de convaincre tous ceux qui restaient très attachés à la Constitution - notamment ceux qui l'avaient déjà ratifiée à l'issue d'un processus de consultation référendaire. La condition exprimée par nos partenaires pour s'engager dans un nouveau processus d'élaboration d'un traité était la garantie que la France - devenue pour eux imprévisible depuis l'échec du référendum - ne manquerait pas cette fois à sa signature, surtout dès lors qu'elle était elle-même à l'origine d'un nouveau processus. Le référendum français a en effet, à l'époque, profondément désarçonné la plupart des partenaires qui nous avaient suivis dans l'aventure constitutionnelle largement inspirée par la France, ne serait-ce que par la présidence de la Convention par Valéry Giscard d'Estaing.

Le Président de la République a fixé comme objectif l'achèvement des vingt-sept ratifications au 31 décembre 2008, pour une entrée en vigueur du traité au 1er janvier 2009. L'expérience a montré qu'on n'est jamais à l'abri d'un accident de ratification dans l'un des États membres. Mais le sentiment qui prévaut à Bruxelles est que ce calendrier est néanmoins possible parce que de nombreux pays avaient déjà adopté la précédente Constitution, qu'il existe par ailleurs une volonté générale d'en terminer avec cet exercice institutionnel en cours depuis plus d'une dizaine d'années, et qu'il n'y a qu'un pays qui devrait procéder par voie référendaire, l'Irlande. Le traité de Nice avait certes échoué en Irlande en raison d'une faible participation des électeurs, essentiellement parce que le gouvernement, comme il l'avait reconnu, n'avait pas mené de campagne électorale. Il n'y aura pas de référendum au Danemark, ni aux Pays-Bas, les autorités compétentes dans ces deux pays ayant estimé que, à la différence de la Constitution, ce traité n'entraîne pas de transferts de souveraineté tels qu'une consultation populaire doive s'imposer.

C'est un formidable atout pour la présidence française d'avoir derrière nous cette hypothèque institutionnelle, même s'il faudra naturellement tenir compte des procédures de ratification qui seront en cours. Car la présidence française du second semestre 2008 va intervenir à un moment charnière : celui du dernier semestre complet de législature du Parlement européen, c'est-à-dire, compte tenu de l'importance de la codécision entre le Conseil et le Parlement, celui du dernier semestre utile, et aussi celui du dernier semestre plein de la Commission présidée par José Manuel Barroso. Dès le mois de février 2009, le Parlement interrompra ses travaux avant les élections européennes du printemps 2009 et une nouvelle Commission entrera en fonction en novembre 2009. La présidence française va ainsi se dérouler à la fin d'un cycle politique. Elle aura le souci d'achever le processus législatif entamé et de régler un certain nombre de dossiers qui se sont accumulés ou ont été retardés du fait de l'échec du projet de Constitution.

Ce sera aussi le moment de tracer des perspectives et d'ouvrir des pistes pour la période suivante. Lors de la réforme de 2003 de la politique agricole commune (PAC), il avait été décidé d'en établir, fin 2007, un « bilan de santé », pour y apporter les ajustements nécessaires. La Commission vient d'engager l'exercice. Elle fera, au printemps 2008, des propositions en fonction des consultations en cours. La présidence française pourra travailler sur le fond de ces propositions afin d'aboutir à des décisions en décembre 2008.

De même, ce sera le moment de procéder à une révision à mi-parcours du cadre financier 2007-2013 établi fin 2005. Il ne s'agira pas de se lancer de manière prématurée dans une nouvelle négociation budgétaire. Mais il sera alors possible de poser des jalons pour l'avenir post-2013 sans être contraint par les enjeux immédiats d'une négociation financière. L'expérience montre en effet que la période pendant laquelle il est possible d'aborder avec le recul nécessaire la question des politiques et de leur financement est très limitée. La négociation budgétaire est souvent très difficile ; elle porte surtout sur la répartition des ressources et le partage des financements et elle ne permet plus de discussions sur les objectifs des politiques dont l'Union a besoin.

La présidence, c'est d'abord une fonction essentielle de l'Union exercée par un État membre. Sa première responsabilité est de faire fonctionner le système institutionnel. Ce qui est de plus en plus difficile dans une Europe nombreuse, diverse, et dans un système complexe. L'Allemagne s'est acquis par sa présidence du premier semestre une réputation unanimement partagée grâce à sa capacité d'organisation. L'exercice sera d'autant plus important que la présidence française devrait être la dernière ou l'une des toutes dernières de plein exercice. En effet, dès l'entrée en vigueur du nouveau traité sous présidence tchèque, la présidence sera partagée entre la présidence tournante - qui subsistera dans la plupart des domaines -, la présidence stable du Conseil européen et la présidence du haut représentant pour le Conseil affaires étrangères.

Une présidence, et singulièrement une présidence française, doit aussi être globale. C'est-à-dire qu'elle doit couvrir l'ensemble des politiques européennes. Dans l'Europe à vingt-sept, les centres d'intérêt de la grande majorité des États membres sont sectoriels. Peu de pays - y compris le Royaume-Uni et l'Allemagne - ont, comme la France, autant d'intérêts divers : agricoles, extérieurs, monétaires, industriels, relatifs à Schengen, à la défense européenne, etc. Ce qui est attendu de notre présidence, c'est précisément une présidence qui couvre tout le champ de la compétence européenne. L'exercice de sélection des priorités n'est pas rendu moins nécessaire, mais doit être relativisé de ce fait. Dès lors, il convient surtout de faire le partage entre les grandes priorités fondamentales et les thèmes et objectifs qui figurent au programme de la présidence sans être pour autant relégués au second rang.

Les quatre priorités fondamentales ont déjà été exprimées par le Président de la République. D'abord la croissance et l'emploi à partir d'actions inspirées de la stratégie de Lisbonne : économie de la connaissance et de l'innovation, dimension externe (notamment par la défense de nos intérêts et l'exigence de réciprocité dans les négociations internationales). Ensuite l'énergie et le changement climatique qui, dans les prochaines années, vont constituer une part essentielle de la production législative européenne : il faut maintenant traduire en termes de normes et d'objectifs internationaux le cadre arrêté en juin dernier par le Conseil européen. Par ailleurs, la politique de gestion des flux migratoires : relations avec les pays tiers d'origine et de transit, construction d'une politique d'asile commune, progrès des politiques d'intégration dans les États membres, lutte contre l'immigration illégale. Enfin, la politique de défense européenne.

Compte tenu du fait que le Conseil européen interviendra avant la mi-décembre 2008, la présidence française sera courte, puisqu'elle sera également entamée par le mois d'août. Un Conseil européen à mi-parcours aura lieu en octobre. En fonction des ordres du jour de ces deux Conseils européens, une programmation des conseils des ministres et des 220 groupes de travail est déjà engagée. C'est une tâche exaltante, d'autant que la présidence française suivante n'interviendra qu'en 2022 !

M. Jean François-Poncet :

Tout d'abord, pour les ratifications, il me semble qu'il convient de s'inquiéter de la République tchèque qui se dissimulait jusqu'à présent derrière la Pologne. Après les changements politiques en Pologne, la Tchéquie ne sera-t-elle pas tentée de retarder sa ratification pour pouvoir profiter d'une présidence de plein exercice ? Le Président tchèque, qui est un opposant résolu de Bruxelles, voudra sans doute profiter de sa présidence pour lui donner des leçons. Par ailleurs, comment voyez-vous le fonctionnement futur du traité simplifié, notamment les relations entre le futur président stable du Conseil européen et le Président de la Commission désigné par le Parlement européen ? Ne pensez-vous pas que nos partenaires attendent de la France, à l'occasion de sa présidence, une certaine retenue ? Cette présidence ne risque-t-elle pas de nous encourager à une certaine tentation de plastronner ? Enfin, concernant le Royaume-Uni, ce qui est préoccupant est le fait que les Britanniques participent pleinement à la définition des politiques qu'ils arrivent à infléchir, mais auxquelles ils ne participent finalement pas.

M. Pierre Sellal :

La première présidence à appliquer les dispositions du nouveau traité peut estimer que son champ de responsabilité est un peu réduit ; mais en réalité, elle aura la tâche très lourde de faire vivre la première fois ces dispositions nouvelles, et c'est une responsabilité forte. Si ce n'est pas la République tchéque, ce sera la Suède. La situation politique complexe à Prague peut justifier une certaine vigilance. Mais nous travaillons d'ores et déjà, avec nos partenaires tchèque et suédois, à la coordination de nos présidences successives. Par ailleurs, il n'est pas possible de contraindre juridiquement un État membre à terminer son processus de ratification dans un délai donné.

Une des tâches de la présidence française sera de travailler à la mise en place des nouvelles structures issues du traité. Comment agira concrètement le nouveau haut représentant pour la politique étrangère qui sera à la fois le président du Conseil des affaires étrangères - à ce titre mandataire du Conseil et des États membres - et le vice-président de la Commission en charge de la coordination de l'action extérieure ? L'institution du haut représentant est un bon compromis entre ceux qui étaient partisans du maintien du rôle des États dans la politique étrangère et ceux qui tenaient à ce que les pouvoirs de la Commission ne soient pas amoindris. Mais, dans la pratique, sa fonction à la fois de mandataire des États et de représentant de la Commission sera délicate à ajuster. Il disposera d'un service d'action extérieure commun composé à la fois de fonctionnaires de la Commission, du Conseil et de diplomates nationaux. Mais il reste à préciser le périmètre de ce service et à organiser son fonctionnement.

Quelles seront les relations entre la présidence tournante qui continuera à exister - les présidences des Conseils Ecofin, environnement, agriculture, transports, etc, resteront des présidences nationales - et les présidences fixes du Conseil européen et du Conseil affaires étrangères ? Quelles seront les relations entre ces présidences ? Quel sera le rôle du Premier ministre de la présidence tournante, alors qu'il est essentiel d'impliquer fortement le chef du gouvernement du pays de présidence ? Quelles seront les relations entre le Président du Conseil européen et le Président de la Commission désigné après les élections au Parlement européen ? Quelles seront les relations de travail entre le Président du Conseil européen et le haut représentant dans les relations de l'Union avec les pays tiers ?

Il faut maintenant définir les procédures et les mécanismes qui permettront de faire fonctionner harmonieusement le traité dès son entrée en vigueur. Ce travail de clarification et d'organisation sera indispensable, tout en reconnaissant qu'il sera d'autant plus délicat que se dérouleront parallèlement les procédures de ratification du traité. Ce sont des questions sensibles au Royaume-Uni, au Danemark, en Irlande et dans d'autres États membres.

La stratégie du Royaume-Uni dans la mise au point finale du traité modificatif pouvait rappeler un certain tropisme de l'ancienne diplomatie britannique, à savoir rester en dehors et empêcher le continent de s'organiser. La difficulté posée par la mise au point des modalités techniques des dérogations britanniques a été de faire en sorte que le Royaume-Uni puisse, certes, ne pas appliquer telle mesure (dans les domaines où il est autorisé à faire jouer une dérogation) s'il le décide, mais aussi qu'il prenne sa décision suffisamment tôt pour qu'il ne puisse empêcher les autres de mener les négociations à leur guise et d'avancer sans lui.

S'agissant enfin de la tentation éventuelle de plastronner, je crois qu'une présidence, dans l'exercice même du leadership dont l'Union a besoin, doit faire preuve à la fois de disponibilité et d'écoute, ce sont les clés de son influence et de son autorité. C'est le contraire d'une forme d'exaltation de ses revendications et de ses pulsions nationales. L'expérience montre d'ailleurs que c'est souvent à l'occasion d'une présidence qu'on nuance beaucoup de positions nationales. Tout comportement qui ne serait pas suffisamment à l'écoute des autres serait tout simplement inefficace.

M. Jacques Blanc :

Comment peut-on concilier les objectifs de la présidence et faire avancer certains thèmes sur lesquels la France et le Président de la République se sont engagés, comme par exemple l'Union méditerranéenne ? Comment l'Union européenne peut-elle s'articuler avec la démarche euroméditerranéenne et avec la politique européenne de voisinage sans qu'apparaissent des blocages entre les travaux de la présidence et l'action de la France ? De même, comment la présidence peut-elle prendre en compte les travaux du groupe des Sages souhaité par le Président de la République ? Quelle peut être la perception par nos partenaires du souci manifesté par la France de la mise en oeuvre de la préférence communautaire ? Enfin, comment pourra s'exercer la nouvelle compétence communautaire sur la cohésion territoriale ?

M. Pierre Fauchon :

On ne peut pas s'empêcher de penser que la complexité conduit souvent à l'impuissance. Mais ce qui m'interpelle le plus est le fonctionnement actuel de la Commission où, semble-t-il, apparaît de moins en moins une volonté commune du fait de l'élargissement et où, de ce fait, la Commission n'est plus en état d'exercer la direction de l'Union. Par ailleurs, loin de me plaindre de l'évolution britannique, j'appelle de mes voeux un renforcement de la position de retrait du Royaume-Uni qui conduira peut-être, un jour, les Européens à lui demander de se mettre définitivement et totalement à l'écart des coopérations renforcées, comme la monnaie ou le casier judiciaire. La présidence française ne pourrait-elle pas être l'occasion du passage d'une forme de résignation et d'impuissance à une forme de résolution plus affirmée ?

Mme Gisèle Gautier :

Je partage les propos de mes collègues sur nos amis anglais, même s'il faut bien reconnaître qu'ils ont aussi cette attitude dans les partenariats internationaux. Pour autant, ils restent des partenaires qu'on ne peut pas écarter si simplement. Pourriez-vous nous éclairer sur les piliers dans le nouveau traité et sur les raisons qui ont conduit à la suppression du premier pilier de la Communauté européenne ?

M. Robert Bret :

Le nouveau traité est illisible, y compris pour nous qui nous prétendons compétents en matière européenne. Comment les peuples et les citoyens vont-ils pouvoir s'enthousiasmer pour ce nouveau traité ? J'ai des doutes sur la capacité de ce texte à relancer le projet politique européen alors même que l'intérêt des États l'a emporté, lors de sa préparation, sur l'intérêt général de l'Europe. Le traité comporte des compromis et des dérogations pour de nombreux pays comme la Pologne, le Royaume-Uni, l'Irlande ou l'Italie. N'a-t-on pas officialisé une Europe à plusieurs vitesses ? Si ce traité est si bon que vous le dites, pourquoi alors priver les peuples de s'exprimer à son sujet ?

M. Hubert Haenel :

Pour que le nouveau traité entre en vigueur au 1er janvier 2009, il faut que le haut représentant soit désigné avant cette date. La présidence française compte-t-elle inscrire au calendrier de l'Union la création et la mise en place du service d'action extérieure ?

M. Pierre Sellal :

Le groupe des Sages et l'Union méditerranéenne sont deux questions importantes qui n'entrent cependant pas directement dans les objectifs de la présidence.

Maintenant que nous disposons d'un cadre juridique, il convient de s'interroger sur l'Europe du futur à l'horizon 2020 ou 2030. En effet, une des grandes leçons des référendums de 2005 est qu'il faut redéfinir un projet européen qui a perdu en lisibilité et en crédibilité. C'est le rôle du groupe des Sages proposé par le Président de la République, qui ne serait pas composé de représentants gouvernementaux et ne sera pas chargé d'une négociation, qui pourrait travailler pendant deux ans et qui devrait être constitué dès le Conseil européen de décembre prochain. Ses travaux ne sont donc pas destinés à être utilisés pendant la présidence française.

L'Union méditerranéenne répond à une conviction profonde du Président de la République. Elle ne constitue pas non plus à proprement parler un objectif de la présidence française. Comme il l'a confirmé dans son discours de Tanger, il y a une nécessaire complémentarité entre l'Union méditerranéenne et le processus euro-méditerranéen de Barcelone et de manière générale l'action de l'Union en direction du Sud. Depuis le lancement du projet, on parle maintenant beaucoup plus à Bruxelles de la Méditerranée dans le cadre de la politique de voisinage. C'est de manière délibérée que le Président a proposé de tenir un premier sommet destiné à lancer le processus avant le début de la présidence française, en juin 2008, avec tous les pays de la rive Nord et de la rive Sud de la Méditerranée. Parallèlement, un programme Euromed substantiel avec plusieurs réunions ministérielles est prévu au second semestre 2008, qui illustrera la complémentarité entre ces deux processus.

La préférence communautaire est un concept fort. Il marque nettement l'identité européenne et traduit bien le souci de défendre les intérêts européens. Faut-il l'afficher comme un postulat ou en faire une résultante et une référence de l'action à mener ? Ne pas utiliser le terme ne signifie pas renoncer à la préférence communautaire, mais parfois chercher à en favoriser l'acceptation et la mise en oeuvre concrète.

La cohésion territoriale est un concept neuf et important du traité. Le Comité des régions va pouvoir travailler sur l'application territoriale des règles européennes. Cette problématique de l'application dans les territoires est actuellement insuffisamment prise en compte au stade de la négociation. Ce thème de la cohésion territoriale pourra être traité sous différentes formes pendant la présidence française.

La possibilité de décider à la majorité qualifiée est un antidote à l'impuissance. L'Acte unique a marqué un changement profond de ce point de vue. Les procédures à vingt-sept en codécision sont certes plus compliquées qu'avant l'Acte unique, mais le temps de la décision s'est néanmoins accéléré par rapport à cette période. La généralisation de la codécision n'a pas, bien au contraire, ralenti le processus décisionnel européen. En revanche, il est exact que la Commission à vingt-sept a beaucoup plus de difficultés qu'autrefois pour traduire l'intérêt général européen. Elle est moins collégiale. Elle est plus présidentielle. Les commissaires sont beaucoup plus autonomes dans leurs domaines de compétence. Mais pour autant, la Commission vote peu.

Faut-il souhaiter le départ du Royaume-Uni ? N'oublions pas qu'il y a des domaines d'action en Europe - politique étrangère, défense, lutte contre le terrorisme - qui ne sont pas concevables, ou seraient moins dynamiques, sans la participation des Britanniques. C'est l'accord de Saint-Malo qui a permis ces cinq dernières années les progrès en matière de politique de sécurité et de défense commune. Sous présidence britannique, des progrès importants ont eu lieu en matière de coopération policière.

Les piliers étaient incompréhensibles pour le public. Il n'y a plus qu'une Union dans le traité modifié, qui décrit son organisation et son fonctionnement. Néanmoins, toutes les politiques ne sont pas alignées sur les mêmes procédures. Il subsiste quelques traces des anciens piliers, par exemple en matière de politique étrangère où la Commission n'aura pas le monopole de l'initiative comme dans les autres domaines et où la Cour de Justice n'aura pas les mêmes pouvoirs.

À lui seul, ce traité ne pourra naturellement pas convaincre les citoyens que le projet européen est remis sur les rails. De même qu'il était excessif de dire, après l'échec de la Constitution, que le système européen s'était effondré, de même il serait abusif de dire aujourd'hui que, avec le nouveau traité, l'Europe est sauvée et qu'elle a définitivement convaincu l'opinion de la justesse du projet européen et du bien-fondé de toutes les politiques de l'Union. Pour autant, le traité lève une hypothèque. C'était un préalable. Il fallait sortir de cette situation d'impasse institutionnelle, non pas parce que le Conseil et l'Union étaient paralysés, mais parce que cet échec constitutionnel traduisait l'incapacité de l'Europe à dégager des compromis et à trouver des voies d'accord. Maintenant, il faut travailler au fond après avoir purgé cet échec symbolique des référendums.

Je confirme que la mise en place du service d'action extérieure fait bien partie du mandat de la présidence française. Sa montée en puissance avec plusieurs dizaines voire à terme quelques centaines de diplomates nationaux sera nécessairement très progressive. Mais il faudra que les bases, les structures et les procédures soient posées. Quant au Président du Conseil européen, il disposera de services et de moyens provenant de l'actuel secrétariat général du Conseil.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Quelle est la perception par nos partenaires de la situation économique et budgétaire de la France ? Par ailleurs, la campagne référendaire a lancé plusieurs messages : la nécessité de rénover le projet politique, mais aussi la nécessité de progresser de manière pragmatique. Il me semble qu'il ne serait pas souhaitable de donner des contours définitifs à l'Europe à l'occasion du mandat du groupe des Sages. Enfin, pensez-vous que l'ordre dans lequel vont avoir lieu les ratifications du traité soit complètement neutre ? Une concertation entre les États ne serait-elle pas souhaitable pour faire passer en dernier les pays les plus réticents ?

M. Pierre Sellal :

Une présidence qui aurait de mauvais résultats nationaux ou qui serait en infraction par rapport aux règles européennes serait privée d'une part de sa crédibilité et de son autorité. Les résultats économiques, l'état de santé d'une nation, son dynamisme politique tout comme son souci de respecter les obligations définies par les disciplines communes font partie des éléments qui fondent l'audience d'une présidence.

S'agissant du groupe des Sages, le Président de la République a toujours pensé que la question de l'adhésion de la Turquie ne pouvait être séparée d'une réflexion sur les frontières de l'Europe. Il ne s'agit pas de dresser la carte définitive de l'Europe. Mais il ne faut pas non plus éluder la question des contours de l'Union, dont l'absence a créé un malaise dans l'opinion au moment du référendum. Il faut un minimum d'identité et de lisibilité de l'ensemble européen pour en rénover le projet.

Lors de la ratification de la Constitution, il avait été tenté de faire converger les calendriers nationaux en fonction des procédures et des situations internes. Mais les situations sont extraordinairement différentes d'un pays à l'autre. L'ordre des ratifications n'est cependant pas neutre, et certaines stratégies de procrastination, non dénuées d'arrières pensées, ont été constatées dans le passé. C'est aussi la raison pour laquelle la France, qui a eu une certaine responsabilité dans l'obligation de reprendre le processus, mais qui eu aussi le mérite de rendre cette relance possible, aurait tout intérêt, à la veille de sa présidence, à être parmi les tout premiers pays à ratifier le nouveau traité. C'est bien l'intention du Président de la République.


* (1) Il s'agit du gazole utilisé par les véhicules de transport de marchandises de plus de 7,5 tonnes et les véhicules de transport de personnes de plus de 9 places.

* 2Cette réunion s'est tenue en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.