Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 7 juin 2006


Table des matières

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Élargissement

Adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne

Communication de M. Aymeri de Montesquiou

La Commission européenne a publié le 16 mai 2006 deux rapports de suivi sur le degré de préparation à l'adhésion à l'Union européenne de la Bulgarie et de la Roumanie. Par un hasard du calendrier, j'arrivais le même jour à Sofia pour y mesurer les progrès de la Bulgarie, après un précédent déplacement effectué en septembre 2000.

À l'époque, certains avaient considéré que mon rapport était sévère. Pourtant, je n'avais fait que consigner objectivement les informations que j'avais recueillies au cours de ce premier séjour. Six ans après, mes deux principales conclusions sont maintenant confirmées :

- le problème le plus sérieux que rencontre la Bulgarie tient toujours à la corruption et à la criminalité organisée ;

- la fermeture des réacteurs 3 et 4 de la centrale nucléaire de Kosloduy, exigée par l'Union européenne pour l'ouverture des négociations d'adhésion, était sans doute prématurée.

Dans ma dernière communication devant la délégation le 16 novembre dernier, j'avais à nouveau souligné, sur la base du dernier rapport de progrès de la Commission européenne du 25 octobre 2005, qu'un certain nombre de domaines exigeaient des mesures immédiates de la part de la Bulgarie. J'indiquais que, faute de réponses satisfaisantes, ces domaines « de forte préoccupation pour l'Union européenne » pourraient éventuellement justifier un report de l'adhésion à 2008. Je citais notamment la mise en place de l'agence de paiement pour les aides agricoles, la création d'un système informatisé de gestion et de contrôle, la mise en oeuvre des organisations communes de marché et, d'une manière générale, l'ensemble des questions relatives à la lutte contre la corruption et le crime organisé et à la réforme du système judiciaire.

Avant d'examiner plus en détail la situation actuelle de la Bulgarie, je rappelle que les conditions d'adhésion de la Bulgarie - comme d'ailleurs de la Roumanie - ont été fixées dans un traité d'adhésion qui a été signé en avril 2005 par les vingt-cinq États membres et par les deux pays candidats. Les deux pays candidats et dix-huit États membres l'ont déjà ratifié (dont l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni), à l'exception notable de la France, de l'Allemagne et des pays scandinaves. Ce traité prévoit que les deux pays adhèreront au 1er janvier 2007, sous réserve que le Conseil ne décide, sur recommandation de la Commission, de repousser l'adhésion de l'un ou l'autre pays jusqu'en 2008.

La Commission fera un nouveau rapport de suivi destiné au Conseil et portant sur les problèmes encore en suspens, au plus tard au début du mois d'octobre prochain. Sur cette base, la Commission décidera alors si la date de leur adhésion à l'Union européenne, au 1er janvier 2007, peut être ou non maintenue. Ce rapport précisera également les domaines dans lesquels des mesures de sauvegarde pourraient être éventuellement nécessaires au moment de l'adhésion.

Venu également à Sofia le 16 mai avec le commissaire chargé de l'élargissement, le Président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, a ainsi estimé publiquement que « les règles du club doivent être respectées », en mentionnant explicitement les progrès attendus de la Bulgarie en matière de justice et de lutte contre le crime organisé.

En octobre dernier, la liste des principaux sujets de préoccupation pour la Bulgarie portait sur seize domaines ; il n'en reste plus que six aujourd'hui ; ce sont :

- le système de contrôle des fonds agricoles ;

- la mise aux normes des abattoirs ;

- le contrôle des fonds structurels ;

- la réforme du système judiciaire ;

- la lutte contre la criminalité organisée, la fraude et la corruption ;

- la lutte contre le blanchiment.

J'ai naturellement abordé en priorité ces questions avec mes différents interlocuteurs, dont le Premier Ministre, Serguei Stanichev, le ministre des affaires étrangères et vice-Premier ministre, Ivailo Kalfin, la ministre des affaires européennes, Meglena Kuneva, le ministre de l'agriculture, Nihat Kabil, le Procureur général, Boris Veltchev. J'ai également beaucoup appris des contacts que j'ai eus avec le ministre de la culture, Stefan Danailov, les vice-ministres de l'intérieur, Boiko Kotzev, et de l'économie, Latchezar Borissov, le président de la Commission de l'intégration européenne du Parlement, Atanas Paparizov, le représentant à Sofia de la Commission européenne, Dimitris Kourkoulas et le président de l'ONG Comité Helsinki, Krasimir Kanev, très engagé dans la défense d'une population rom qui vit dans une extrême précarité.

À tous mes interlocuteurs, j'ai expliqué que je ne venais pas bien sûr en donneur de leçons, mais en tant que représentant de notre délégation chargé d'informer le Sénat sur l'état de préparation de la Bulgarie à l'adhésion à l'Union européenne. L'adhésion doit être un engagement « gagnant-gagnant ». Certes la Bulgarie a tout à attendre de l'aide de l'Union - les aides européennes représenteront un peu plus de 17 % des recettes budgétaires du pays avec 1,5 milliard d'euros pour un budget de 8,7 milliards d'euros et un PIB de 21,4 milliards d'euros.

Mais l'Union a aussi tout à gagner de l'entrée d'un pays géographiquement, historiquement et culturellement européen. Modèle de tolérance ethnique, très bon connaisseur et élément modérateur des Balkans - qui vraisemblablement vont connaître d'autres convulsions -, ami de la Russie, mais aussi pilier de la francophonie, situé stratégiquement sur les bords de la mer Noire, ce pays sera une entrée nouvelle de l'Union européenne pour l'importation des hydrocarbures de Russie, d'Asie centrale, d'Iran et du Moyen-Orient. Il sera aussi un élément solide de l'Europe de la défense et de l'armement, capable d'agir sur la scène internationale, et dont témoigne le choix récent pour l'équipement de son armée en appareils de la société Eurocopter.

C'est aussi un pays de transit avec lequel doivent se développer des coopérations fructueuses dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, le trafic d'êtres humains, le terrorisme et les réseaux d'immigration clandestine. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de l'intense coopération qui unit les deux ministères de l'Intérieur français et bulgare. Repousser l'adhésion de la Bulgarie serait prendre le risque de démobiliser une population majoritairement tournée vers l'Europe et faire le jeu des forces extrémistes, xénophobes, voire criminelles. L'Union européenne doit se garder de créer une zone grise supplémentaire dans les Balkans, qui serait le siège non seulement de mafias locales, mais aussi d'organisations criminelles et terroristes internationales.

Pour autant, je reste perplexe devant la mise en oeuvre des conditions contenues dans le dernier rapport de suivi de la Commission européenne. Comme l'a souligné récemment un politologue bulgare, Kolio Kolev : « Il ne serait pas sérieux d'attendre de miracle d'ici à octobre ; ce que va entreprendre le gouvernement ne pourra que prouver sa bonne foi plutôt que donner des résultats ». D'autant que le pays entre maintenant en campagne électorale pour l'élection présidentielle, qui aura lieu également à l'automne prochain.

Les mesures tenant à la mise en place des contrôles des dépenses à finalité structurelle ou agricole sont certainement plus d'ordre technique que politique et la Bulgarie devrait y satisfaire d'ici au mois d'octobre. Il en va de même pour les autres mesures techniques, comme la mise aux normes européennes des abattoirs et les mesures phytosanitaires.

En revanche, la réforme du système judiciaire, la lutte contre la criminalité organisée, la fraude et la corruption, la lutte contre le blanchiment pourront difficilement faire l'objet de mesures objectivement mesurables d'ici l'automne. Comme me l'a confirmé le Procureur général, il faut d'abord rétablir la confiance des citoyens dans leurs institutions avant d'obtenir des résultats probants. « Il n'est pas question de faire un show pour faire plaisir à la Commission européenne ; dans un État de droit, on ne peut pas porter des accusations en dehors des règles habituelles de protection des citoyens » m'a-t-il expliqué. Ce qui veut dire qu'il faudra du temps et de la ténacité de la part des procureurs pour faire tomber les réseaux internationaux de criminalité organisée qui se sont spécialisés dans la contrebande, les contrefaçons - par exemple d'oeuvres numériques -, la récupération de la TVA et le blanchiment des gains correspondants.

Je serais amené à une comparaison avec la Roumanie : ce pays semble avoir réussi en quelques mois à retourner la situation avec quelques mesures spectaculaires qui ont favorablement impressionné l'opinion internationale et les commissaires compétents. C'est bien aussi ce qu'a compris le Premier ministre bulgare lorsqu'il m'a affirmé la totale volonté de son gouvernement d'obtenir des résultats concrets, résultats qui seront utiles - certes pour l'adhésion - mais aussi pour la société bulgare. « Un système judiciaire transparent et efficace est une nécessité pour la Bulgarie » m'a-t-il confié en m'indiquant que neuf parlementaires, dont un ancien Premier ministre, ex-maire de Sofia, un chef de gang et 250 représentants du milieu étaient actuellement entre les mains de la justice.

La différence de traitement entre la Roumanie et la Bulgarie tient avant tout aux conditions différentes dans lesquelles se sont déroulées les périodes de transition dans les deux pays. En Bulgarie, au prétexte de rompre avec le passé, des purges sévères ont eu lieu dans le système judiciaire excluant tous ceux qui avaient pu avoir des rapports - d'ailleurs inévitables à l'époque pour les procureurs - avec le parti communiste. Le pays continue d'en subir les dégâts, ne serait-ce que par le passage au banditisme d'un certain nombre de policiers exclus du ministère de l'intérieur, ce qui ne semble pas avoir été le cas en Roumanie.

Certes, le gouvernement bulgare, sous la pression de la Commission, a pris ces derniers mois de nombreuses mesures : dispositions sur les concessions et les marchés publics, adoption d'un plan d'action pour la mise en oeuvre de la stratégie de réforme 2006-2007 du système judiciaire, augmentation du budget de la justice et du nombre d'enquêteurs, adoption d'un code de déontologie règlementant le travail des membres du gouvernement et des fonctionnaires du pouvoir exécutif nommés pour des motifs politiques, etc.

Mais, dans le même temps, le Conseil judiciaire a recruté des dizaines de juges dans des conditions contraires aux nouvelles règles législatives. Le nouveau code de procédure civile n'a pas encore été adopté. La Cour des Comptes n'a pas encore les moyens de vérifier les déclarations de patrimoine des élus qui, de toute façon, ne sont pas réellement obligatoires puisqu'il est possible de s'en dispenser en versant une amende symbolique. De même, un certain nombre de pratiques policières et judiciaires limitent dans les faits l'efficacité des réformes adoptées.

C'est la raison pour laquelle je me suis permis de suggérer à mes interlocuteurs ministériels de prendre, solennellement, par exemple dans le cadre d'une convocation du Parlement en session extraordinaire, des initiatives susceptibles de montrer la détermination de la Bulgarie à lutter contre la corruption.

J'ai suggéré tout d'abord un allongement des délais d'enquête, qui sont fixés à deux mois seulement par le nouveau code de procédure civile ; ce délai peut être prolongé de quatre mois maximum à la demande du Procureur en charge du dossier auprès du Procureur de l'instance d'appel ; dans le cas d'affaires présentant une complexité exceptionnelle, le délai total pourrait être porté à 18 mois à la demande du Procureur en charge du dossier auprès du Procureur général de la République.

Cette disposition a été prise en raison du caractère interminable des enquêtes, qui aboutissaient la plupart du temps à l'absence de décision de justice et à une amnistie de fait des crimes et des délits. Ces nouveaux délais sont toutefois incompatibles avec les investigations complexes qui sont nécessaires en matière de criminalité organisée ou de blanchiment, surtout en cas de commissions rogatoires internationales. Les délais de prescription de l'action publique ne devraient pas avoir comme point de départ le début de l'enquête, mais le dernier acte accompli. Le concept des délais d'enquête n'apporte en effet aucune efficacité. Il permet un simple affichage sans traduction concrète dans le déroulement des instructions.

J'ai également suggéré une modification des règles régissant les techniques d'enquêtes policières, qui sont souvent très différentes selon les affaires traitées (pour les plus usuelles, les filatures ou les prises de photos sur la voie publique, pour les plus complexes, les écoutes téléphoniques ou les interceptions informatiques). Actuellement, ces moyens, quels qu'ils soient, ne peuvent être engagés que sur la base d'une demande du Procureur effectuée auprès du tribunal, ce qui freine d'autant les enquêtes de police.

Si une telle procédure se justifie pour les moyens qui peuvent réellement porter atteinte à la vie privée, il n'en va pas de même pour ceux qui sont quotidiennement utilisés par les services de police partout en Europe, comme les filatures et les prises de photos. Il faudrait donc que le Parlement bulgare introduise une nette distinction entre ces différents moyens et ne soumette à la procédure actuelle que ceux qui sont réellement attentatoires à la vie privée, l'usage des autres moyens étant laissé à l'initiative des services enquêteurs.

J'ai encore suggéré une mesure concernant l'obligation, pour les experts, de déposer devant les tribunaux. En effet, actuellement, le refus de présentation d'un rapport sans raisons valables n'est puni que d'une amende de 200 euros. Cette amende, qui est estimée en fonction des revenus du bulgare moyen, n'est absolument pas dissuasive au regard des sommes que les membres du crime organisé peuvent offrir aux experts pour ne pas présenter leurs conclusions. Cette sanction, pour avoir un sens, devrait être de plusieurs milliers d'euros et prévoir également la radiation de la liste des experts - sous réserve de l'existence d'une telle liste - ou, à défaut, l'interdiction d'être ultérieurement désigné comme expert par un tribunal.

Enfin, s'agissant de la corruption des élus, les mesures prises dans le cadre du plan d'action prévoient une peine de 500 euros en cas de défaut de déclaration du patrimoine. Cette peine, qui peut faire illusion, là aussi, aux yeux du bulgare moyen, est déconnectée de la réalité dès lors qu'il est question de lutter contre la corruption de haut niveau. La sanction efficace serait l'invalidation de l'élection sur la base d'un vice de consentement des électeurs ; par ailleurs, ces déclarations de patrimoine sont peu accessibles en l'état actuel des textes. Les initiatives du Procureur général ou de la ministre des affaires européennes, qui ont rendu publiques, sur Internet, leurs déclarations, restent encore isolées.

Je ne peux clore ce trop bref compte rendu de mon second déplacement en Bulgarie sans évoquer les questions d'énergie, même si - ou plutôt parce que - ce sujet est absent du rapport de suivi de la Commission européenne, à l'exception d'un rappel concernant la fermeture et le démantèlement des réacteurs de la centrale de Kosloduy.

L'Union européenne a en effet exigé la fermeture de 4 des 6 réacteurs de cette centrale nucléaire située sur le Danube. Si le démantèlement des réacteurs 1 et 2 de type Tchernobyl était parfaitement justifié, en revanche l'arrêt des réacteurs 3 et 4 d'ici la fin de l'année 2006 l'était moins. Dotés d'une enceinte de confinement, ces réacteurs ont été depuis dix ans largement modernisés et sécurisés par des firmes occidentales et sont au moins aussi sûrs que les plus anciens des réacteurs en service en Europe. L'agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) l'a d'ailleurs confirmé. Pour autant, la Bulgarie a réaffirmé à plusieurs reprises qu'elle respectera ses engagements et le Premier ministre me l'a redit : « Pacta sunt servanda ».

Cette centrale, qui exporte une partie de sa production sur l'ensemble des Balkans et couvre la moitié des besoins de la région, va donc placer cette zone en état de pénurie d'électricité dès le début de l'année 2007, à un moment où le relèvement des prix du pétrole et du gaz russe va rendre problématique le fonctionnement des centrales thermiques de la région. C'est d'ailleurs pour remédier en partie à cette situation que l'Union européenne a signé, le 25 octobre 2005, un traité sur la Communauté de l'énergie en Europe du Sud-est avec neuf parties, l'Albanie, la Bulgarie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie et le Kosovo.

Ce traité vise à stimuler les investissements dans les secteurs du gaz et de l'électricité de la région en créant un cadre réglementaire et commercial stable. Doté de 38 millions d'euros, dont environ 95 % à la charge du budget de l'Union européenne, il incite les parties signataires à prendre des mesures en vue de l'extension de l'acquis communautaire à des pays tiers non encore membres de l'Union européenne : plans de réformes des secteurs de l'électricité et du gaz, unification des normes techniques, accès des tiers aux infrastructures, mise en place de régulateurs, développement de solutions régionales pour les problèmes urgents et transposition des directives électricité et gaz.

Ce traité fait ainsi de la Bulgarie un pays pivot dans l'approvisionnement énergétique de la région des Balkans, mais aussi de l'Europe du Sud, Grèce et Italie comprises. Mais le coût total de construction de la centrale de Belené - 4 milliards d'euros -, qui doit remplacer la centrale de Kosloduy dans les prochaines années, montre aussi que les décisions en matière d'énergie ne peuvent être laissées à la seule responsabilité des États. Ce chantier important pour la mise en fonctionnement, en principe en 2011 et 2013, de deux réacteurs de 1 000 mégawatts implique la coordination des aspects techniques, financiers et géopolitiques du dossier.

Gageons que l'Europe saura guider la Bulgarie, non seulement dans son adhésion à l'Union, mais aussi dans sa participation à une politique européenne de l'énergie encore à construire. L'expérience bulgare en matière d'exploitation du nucléaire civil - en particulier la disponibilité de personnels compétents et bien formés - est un atout considérable pour l'avenir énergétique de l'Europe balkanique.

En définitive, la porte reste ouverte à la Bulgarie pour son entrée dans l'Union européenne au 1er janvier 2007, à condition qu'elle sache prendre les mesures concrètes qui sont attendues d'elle d'ici l'automne. Tout retard pourrait avoir des conséquences sérieuses, non seulement quant aux clauses de sauvegarde qui pourraient être suggérées par la Commission européenne, mais aussi - et ce serait encore plus désastreux - pour les dernières ratifications du traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je remercie notre collègue Aymeri de Montesquiou d'avoir rappelé le contexte de l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. Il fut un temps où il était, non pas sévère avec ce pays, mais très critique dans ses observations. Il vient, de manière détaillée, de nous montrer les efforts réalisés par ce pays pour se rapprocher de l'Union. Il ne faut pas oublier que nous sommes, avec l'élargissement, sur un sujet particulièrement sensible pour nos concitoyens. Il faudra faire oeuvre de pédagogie pour expliquer les raisons qui militent en faveur de l'adhésion de la Bulgarie, comme de la Roumanie. Les Bulgares ont toujours manifesté une sensibilité particulière pour la France....

M. Robert Badinter :

La Bulgarie et la Roumanie vont rejoindre l'Union européenne, soit au 1er janvier 2007, soit au 1er janvier 2008. Le commissaire chargé de l'élargissement nous a exprimé hier les fortes réserves de la Commission sur les questions de justice et de corruption. Je ne suis pas certain que son rapport d'octobre permettra de faire entrer la Bulgarie dans l'Union avant le 1er janvier 2008. Or, nous allons être conduits à voter le projet de ratification sans avoir connaissance du contenu de ce rapport. Il serait absurde de prendre position sans tenir compte du rapport.

M. Hubert Haenel :

Le vote sur le projet de ratification ne préjuge pas de la date de l'adhésion.

M. Aymeri Montesquiou :

Un report du vote du projet de loi de ratification aurait des conséquences très négatives.

M. Robert Badinter :

Si nous votons le projet de loi de ratification, cela ne voudra pas dire qu'il aura effet au 1er janvier 2008. Il appartiendra au Gouvernement et au Conseil européen de le décider.

M. Aymeri de Montesquiou :

Le Conseil se prononcera sur la date, sur la base de la proposition de la Commission contenue dans son prochain rapport. Je crains que nous n'aggravions les problèmes intérieurs et extérieurs de la Bulgarie en nous prononçant en faveur d'un report de la date d'adhésion. A partir du moment où celle-ci a été décidée, le plus tôt sera le mieux pour avoir une action sur ce qui se passe dans le pays. D'ici à la fin de l'année, nous devons de ce fait exiger que la Bulgarie mette tout en oeuvre pour lutter contre la corruption et la criminalité.

M. Robert Badinter :

On peut tenir le raisonnement inverse. Le problème est simple. La Bulgarie est marquée par les dysfonctionnements de la justice et la corruption. Ce n'est pas une petite question ! Si le Parlement français vote en laissant au gouvernement le soin d'apprécier le choix de la date d'adhésion, ce sera le signe qu'il n'attache pas une réelle importance aux problèmes de corruption dans ce pays. Travaillant intensément, à titre personnel, sur l'espace judiciaire européen et sur le mandat d'arrêt européen, je peux témoigner du fait que tout le monde dit qu'on ne peut pas avoir foi dans les juges bulgares. Dans un espace judiciaire européen qui repose sur la confiance, si un maillon de la chaîne est déficient, c'est tout l'ensemble qui est atteint. Il faut être prudent. Nous ne pourrons accueillir ce pays à bras ouverts qu'après que la Commission aura indiqué qu'il est prêt à faire face à ses responsabilités dans ces deux domaines majeurs. Dire aux Bulgares : « On vous prend, parce qu'on vous aime et vous réglerez votre corruption plus tard », c'est croire que l'amour remplace la prudence.

M. Aymeri de Montesquiou :

J'ai toujours été plus prudent qu'amoureux... et il me semble imprudent de reporter l'adhésion de ce pays. Il y a, c'est vrai, des choses qui sont inacceptables et que j'ai soulignées, aussi bien auprès de mes interlocuteurs ministériels, que dans ma communication : par exemple, les déclarations de patrimoine dont on peut s'exonérer à bon compte, le témoignage des experts judiciaires qu'on peut facilement acheter, etc. Je crois que nos amis Bulgares en ont déjà tenu compte. Mais n'oublions pas que tout peut arriver dans ce pays, y compris une montée brutale de mouvements politiques extrémistes qui sont hostiles à cette adhésion. Nous aurions alors une verrue au flan de l'Union européenne qui serait plus dangereuse que la situation présente.

M. Hubert Haenel :

Si le commissaire envisage de déposer dès la fin septembre son rapport, c'est précisément parce que le même débat a lieu en Allemagne où le Bundesrat a demandé à être en possession de l'avis de la Commission avant de se prononcer. Par ailleurs, il est quasiment certain qu'une clause de sauvegarde sera mise en oeuvre dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Cette clause, d'une durée possible de trois ans après l'adhésion, ne pourra être levée ultérieurement que lorsque les Bulgares auront prouvé qu'ils sont parvenus aux normes exigées. Il faudra nécessairement que nous nous penchions à nouveau sur le sujet début octobre en fonction du rapport de la Commission européenne.

M. Aymeri de Montesquiou :

Bien évidemment, les arguments avancés par notre collègue Badinter sont à prendre en compte. Ceux qui avaient, à l'époque, lu mon rapport de 2000 se souviennent que j'avais été sans concessions sur ces questions de corruption et de justice, à un moment où quasiment personne ne les évoquaient dans les cercles communautaires. Je reviens comme témoin six ans après. Je vois une différence d'attitude et d'objectifs. C'est la raison pour laquelle je prends cette position positive à l'égard de ce pays. Sinon j'en serais resté à la position que j'avais prise il y a six ans. J'ai constaté cette volonté d'accélérer les réformes et de traiter enfin ce problème qui m'a toujours paru être très préoccupant.

Élargissement

Adhésion de la Roumanie à l'Union européenne

Communication de M. André Ferrand

La Commission européenne a présenté, le 16 mai dernier, son rapport de suivi sur l'état de préparation de la Bulgarie et de la Roumanie. Le bilan qu'elle tire, sept mois avant la date prévue pour l'adhésion de ces deux pays à l'Union (le 1er janvier 2007), est mitigé : elle note les progrès réalisés par ces deux pays mais elle souligne également que des lacunes très sérieuses persistent dans plusieurs domaines. Si on compare la situation de la Bulgarie et de la Roumanie à celle des dix États membres ayant adhéré à l'Union le 1er mai 2004, au même stade de leur processus d'adhésion, ces deux pays apparaissent en retard. C'est pourquoi la Commission, soucieuse de maintenir la pression sur ces deux pays, a décidé de reporter à l'automne sa décision finale sur la date d'adhésion de ces deux pays à l'Union. La Commission européenne devrait donc indiquer, au plus tard début octobre, si la Bulgarie et la Roumanie sont prêtes pour une adhésion au 1er janvier 2007 ou bien si cette adhésion doit être reportée d'une année, au 1er janvier 2008.

Ce report de la décision sur la date de l'adhésion pourrait avoir une influence sur le processus de ratification du traité d'adhésion, comme on vient de le signaler à propos de la Bulgarie. D'ores et déjà, dix-huit États membres sur vingt-cinq l'ont ratifié (dont le Royaume-Uni) mais parmi les sept restants, certains États, et en particulier l'Allemagne, entendent se baser au maximum sur les éléments d'appréciation de la Commission. Pour sa part, le Gouvernement français a déposé tout récemment le projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion devant le bureau de l'Assemblée nationale, qui devrait se prononcer avant le 27 juin.

Le Président roumain, Traian Basescu, a d'ailleurs effectué la semaine dernière, sa deuxième visite officielle en France, afin de plaider la cause de la Roumanie auprès des autorités françaises. Il a rencontré le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et il a été reçu à la Présidence du Sénat, pour un entretien auquel j'ai participé, au titre de notre délégation, aux côtés du président Serge Vinçon et de Henri Revol, qui préside le groupe d'amitié France-Roumanie du Sénat.

Pour évaluer la candidature de la Roumanie, je me référerai aux « critères de Copenhague », c'est-à-dire aux trois conditions fixées pour l'adhésion.

Depuis 1997, la Commission considère que la Roumanie remplit les critères politiques de l'adhésion, c'est-à-dire la démocratie, l'état de droit, le respect des droits de l'homme et des minorités.

Cette appréciation globalement favorable était toutefois assortie de sérieuses réserves dans les précédents rapports de la Commission, en particulier concernant l'indépendance de la justice et la lutte contre la corruption. Or, dans ces domaines, la Roumanie a fait, ces derniers mois, d'incontestables progrès qui ont été salués par la Commission dans son rapport du 16 mai dernier.

Ainsi, la Roumanie s'est dotée, à l'été 2005, d'une nouvelle législation qui garantit l'indépendance du système judiciaire. Cette indépendance concerne aussi bien les magistrats du siège que ceux du Parquet. Une école nationale de la magistrature a été créée, ainsi qu'un Conseil supérieur de magistrature. De nouveaux juges et procureurs ont été recrutés sur concours, tandis qu'une limite d'âge de soixante ans a été instituée pour écarter les magistrats les plus anciens. Pour réduire les risques de corruption, un système informatisé d'attribution aléatoire des affaires aux juges a été aussi introduit. Au total, les autorités roumaines ont fait de réels progrès dans ce domaine, notamment sous l'impulsion de la ministre de la justice, Monica Macovei, qui mène une politique très volontariste, même s'il reste encore des efforts à faire, notamment en matière de recrutement et de formation des magistrats ou au niveau législatif, avec notamment l'adoption d'un nouveau code pénal et d'un nouveau code de procédure pénale.

S'il était un domaine où l'Union européenne attendait de véritables avancées de la part des autorités roumaines, c'est bien celui de la lutte contre la corruption. J'avais d'ailleurs moi-même insisté sur cette question, lors de ma dernière communication devant la délégation sur l'état de préparation de la Roumanie, le 30 novembre dernier. Or, là aussi, on a pu constater un changement d'attitude de la part des autorités roumaines, qui s'est notamment manifesté avec la mise en cause de plusieurs personnalités politiques de premier plan. Ces enquêtes n'ont pas seulement visé des anciens membres du gouvernement social démocrate, comme l'ancien Premier ministre Adrian Nastase, qui a dû démissionner de son poste de Président de la Chambre des députés, mais aussi des membres de la coalition de centre droit actuellement au pouvoir, et même l'actuel Premier ministre, Calin Popescu-Tariceanu. Au total, quatorze hauts responsables politiques ont fait l'objet d'une enquête depuis octobre 2005 et une centaine de hauts fonctionnaires, de juges ou d'officiers de police, ont été condamnés pour corruption. On peut également relever, au titre des progrès, l'adoption de nouvelles lois concernant la levée de l'immunité des anciens ministres et la mise en place d'une agence chargée de la répression de la corruption à haut niveau : la direction nationale anticorruption (DNA) qui dépend du Parquet. En définitive, le dernier rapport de la Commission européenne souligne que des avancées ont été réalisées dans la lutte contre la corruption, même si les autorités roumaines doivent poursuivre leurs efforts.

En matière économique, la Commission considère, depuis son rapport de 2004, que la Roumanie est capable de faire face aux pressions concurrentielles et qu'elle dispose d'une économie de marché viable. De bons résultats macroéconomiques ont été enregistrés : la croissance du PIB a atteint 8 % en 2004, avant de retomber à 4 % en 2005, en partie à cause des inondations importantes subies par ce pays. Il convient de noter que la Roumanie est parvenue à faire face aux travaux de réparation considérables résultant des inondations sans provoquer un creusement du déficit budgétaire. Le Président roumain s'en est félicité lors de son entretien au Sénat. Le déficit budgétaire a été de 0,8 % du PIB et la dette publique de 19 % du PIB en 2005. Le taux de chômage est d'environ 6 % et l'inflation de 8,5 %. Les réformes économiques se sont poursuivies à un rythme soutenu : instauration d'un taux unique d'imposition à 16 %, majoration des retraites, poursuite des privatisations. Par ailleurs, on peut noter que le constructeur automobile Dacia, appartenant au groupe Renault, a réalisé sa première année bénéficiaire en 2005 après cinq années de pertes, grâce au succès commercial de la « Logan », lancée en septembre 2004. Pour autant, le PIB par habitant n'est que de l'ordre de 30 % de la moyenne communautaire, et l'agriculture occupe encore une place très importante dans l'économie (35 % de la population active et 15 % du PIB).

Enfin, en ce qui concerne le dernier critère, lié à la reprise de l'acquis communautaire, la Roumanie a aussi accompli de réelles avancées. Alors que le dernier rapport régulier de la Commission recensait quatorze domaines particulièrement préoccupant, le rapport du 16 mai dernier n'en dénombre plus que quatre, dont trois concernent l'agriculture. Il s'agit de :

- la mise en place d'organismes opérationnels pour gérer les paiements directs aux exploitants agricoles au titre de la politique agricole commune (PAC) ;

- l'établissement d'un système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) dans l'agriculture ;

- la création d'installations d'équarrissage et de traitement des produits animaux, qui soient conformes aux normes européennes adoptées après l'affaire de la vache folle ;

- le dernier domaine qui présente encore de sérieuses lacunes concerne la fiscalité. Il s'agit de la mise en place d'un système informatique, qui puisse être relié avec ceux des États membres, permettant une perception correcte de la TVA.

En définitive, alors que la Roumanie était considérée jusqu'à présent toujours en retard par rapport à la Bulgarie et faisait figure de « dernier de la classe », la situation s'est inversée aujourd'hui. En réalité, la situation de la Roumanie paraît aujourd'hui bien meilleure que celle de la Bulgarie, la Commission exigeant de la Bulgarie des efforts dans un nombre de domaines plus importants, en particulier dans le domaine de la justice et de la lutte contre la corruption.

Je continue de penser que la Roumanie devrait être en mesure, si elle poursuit ses efforts, d'adhérer à l'Union européenne au 1er janvier 2007. Les importants progrès réalisés ces derniers mois par la Roumanie, notamment dans le domaine de la justice et en matière de lutte contre la corruption, me paraissent, en effet, encourageants.

Je crois aussi que la Roumanie pourra mieux se réformer et progresser en étant membre de l'Union européenne qu'en étant maintenue à l'extérieur. La pression des pairs et l'éventualité de recours en manquement susceptibles de déboucher sur des condamnations devant la Cour de justice des Communautés européennes constitueront de sérieuses incitations à évoluer et à combler les lacunes. À titre d'exemple, le risque de se voir priver par la Commission du versement des fonds communautaires, au titre de la politique agricole commune ou des fonds structurels, si la Roumanie n'offre pas les garanties nécessaires quant à sa capacité à les dépenser correctement, devrait constituer un excellent aiguillon pour améliorer les capacités administratives dans ces secteurs.

De plus, comme pour la Bulgarie, un éventuel report d'une année de l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l'opinion publique roumaine, qui a consenti des efforts importants en vue de l'adhésion. La population pourrait se détourner de l'Europe et cela pourrait faire le jeu des courants extrémistes et xénophobes.

L'adhésion à l'Union européenne n'est pas seulement une chance pour la Roumanie, mais elle peut l'être aussi pour l'Union dans son ensemble.La Roumanie dispose, en effet, d'une position géostratégique de premier plan, à proximité de la Mer noire et elle peut être un exemple pour la région des Balkans (et notamment pour la Serbie, avec laquelle elle entretient des relations étroites et aussi pour la Moldavie).

Enfin, la Roumanie est un pays francophile et francophone avec lequel la France entretient des liens étroits d'amitié. La Roumanie doit d'ailleurs accueillir le prochain sommet de la francophonie à l'automne.

En revanche, je pense que la Commission européenne ne devrait pas hésiter à recommander l'application de certaines clauses de sauvegarde, si le besoin s'en fait sentir. Je rappelle que, outre la clause relative au report de l'adhésion d'une année (qui nécessite une décision prise à l'unanimité des États membres, sauf pour certains engagements pris par la Roumanie en matière de « justice et d'affaires intérieures » et de concurrence, qui peuvent entraîner un vote à la majorité qualifiée), le traité d'adhésion contient pas moins de trois « clauses de sauvegarde » :

- une clause de sauvegarde économique générale ;

- une clause de sauvegarde du marché intérieur pour prévenir toute perturbation du fonctionnement du marché intérieur ou y remédier ;

- une clause de sauvegarde relative à la justice et aux affaires intérieures.

Ces « clauses de sauvegarde » permettent à la Commission de prendre des mesures protégeant les autres États membres contre les effets négatifs d'une mise en oeuvre incomplète de l'acquis communautaire et cela pendant une période de trois années suivant l'adhésion.

À mes yeux, le recours à ces « clauses de sauvegarde » serait préférable à un report de l'adhésion de la Roumanie, comme de la Bulgarie, à l'Union. Je pense, en particulier, à la clause de sauvegarde dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, qui permettrait de mettre en place un mécanisme de suivi pendant une période de trois années après l'adhésion (et de suspendre éventuellement l'application des instruments fondés sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, comme le mandat d'arrêt européen par exemple) ou encore à la clause de sauvegarde dans le marché intérieur (afin, par exemple, d'interdire la circulation de certains produits alimentaires en cas de risque pour la santé des consommateurs).

Lors de son audition devant la délégation, hier, le Commissaire européen chargé de l'élargissement, Olli Rehn, a d'ailleurs salué les progrès importants accomplis par la Roumanie ces derniers mois. Il a surtout insisté sur la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption, qualifiés de véritables « piliers » de l'État de droit et par conséquent de l'appartenance à l'Union européenne. Or, comme il l'a souligné dans son intervention, sur ces questions, la Commission est surtout préoccupée par la situation en Bulgarie, tandis que la Roumanie paraît sur la bonne voie. En outre, tout en restant confiant sur la possibilité d'une adhésion au 1er janvier 2007, si ces deux pays poursuivent leurs efforts, il n'a pas exclu le recours aux « clauses de sauvegarde », ce qui semble illustrer un certain changement d'attitude de la part de la Commission européenne. En effet, c'est la première fois que la Commission envisage sérieusement la possibilité d'utiliser ces « clauses de sauvegarde », qui pourtant ne sont pas une nouveauté, puisqu'elles figuraient déjà dans le traité d'adhésion des dix États qui ont rejoint l'Union le 1er mai 2004.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Vous avez évoqué, dans votre intervention, la réforme de la justice. Qu'en est-il de la coopération franco-roumaine dans ce domaine ? Je me souviens, en effet, que, il y a quelques années, la France avait été sollicitée pour répondre à un appel d'offres européen sur un projet de jumelage en matière de formation des magistrats. Or, notre École nationale de la magistrature n'avait pas répondu à cet appel d'offre et c'est la Hollande qui l'avait remporté.

M. André Ferrand :

De manière générale, la coopération bilatérale entre la France et la Roumanie fonctionne très bien. C'est le cas sur les questions de sécurité, notamment en matière de lutte contre l'immigration clandestine et de contrôle des frontières. Un accord a été signé en 2002 et la France a participé à la création d'une école de la gendarmerie.

M. Robert Badinter :

D'après les informations dont je dispose, la France est aussi très active en Roumanie sur les questions liées à la réforme de la justice.

M. Pierre Fauchon :

Au regard de l'affaire d'Outreau, on peut s'interroger sur le point de savoir si notre pays est réellement bien placé pour donner des leçons en la matière à la Roumanie. Certes, il y a un domaine où notre pays pourrait utilement conseiller les autorités roumaines : c'est celui des lois d'amnistie !

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Il y a un sujet que vous n'avez pas abordé dans votre intervention et qui demeure pourtant un sujet de préoccupation : la protection de l'enfance. Je pense, en particulier, à la situation dramatique des orphelinats et au problème des enfants des rues. Je pense aussi au régime de l'adoption internationale, qui avait donné lieu à des trafics d'enfants.

M. André Ferrand :

Dans un précédent rapport d'information sur la candidature de la Roumanie que j'avais présenté, au nom de la délégation, en novembre 2003, j'avais évoqué cette question. J'avais notamment relevé que les autorités roumaines avaient fait de réels efforts en matière de protection de l'enfance. Le nombre d'enfants placés dans les orphelinats a diminué grâce au placement dans des familles d'accueil. En matière d'adoption internationale, les autorités roumaines avaient institué en 2001 un moratoire pour empêcher les abus. Une nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, n'autorise l'adoption internationale que dans le cas de grands-parents vivant à l'étranger.

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Cette nouvelle législation roumaine sur l'adoption internationale n'est pas sans poser un certain nombre de difficultés. Certes, elle s'explique par la volonté des autorités roumaines de mettre fin aux abus qui ont été constatés en la matière. Mais le caractère très restrictif de l'adoption internationale risque paradoxalement d'augmenter le nombre d'enfants placés dans les orphelinats.

M. Robert Badinter :

Pour rejoindre les propos de notre collègue, je voudrais rappeler que la Roumanie se caractérisait, il y a encore quelques années, par un très grand nombre d'enfants abandonnés et par une situation véritablement dramatique des orphelinats. Au cours d'un déplacement dans ce pays, peu après le renversement du régime de Ceausescu, j'avais d'ailleurs pu moi-même constater l'état de délabrement de ces institutions.

Par ailleurs, il me paraît utile de rappeler que l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie soulève des enjeux importants en matière de libre circulation des personnes. Certes, l'adhésion de ces deux pays à l'Union européenne n'entraînera pas immédiatement la levée des contrôles aux frontières avec ces États et il est vraisemblable que les membres de l'Union appliqueront une période transitoire pour l'accès au marché du travail des travailleurs salariés issus de ces deux États, à l'image du dernier élargissement. Mais, dès lors que la Roumanie et la Bulgarie auront adhéré à l'Union européenne, les ressortissants de ces pays bénéficieront, en leur qualité de citoyens communautaires, du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l'Union européenne. Cela illustre à mes yeux la nécessité d'élaborer une véritable politique européenne de l'immigration. Dans un espace de libre circulation des personnes, tel que l'Union européenne, un État ne peut prétendre pouvoir contrôler à lui seul les flux migratoires. Une approche commune de ces questions au niveau européen est donc indispensable. À quoi sert-il d'élaborer une nouvelle loi pour renforcer la lutte contre l'immigration illégale dans un cadre strictement national, alors qu'il n'existe plus de frontières au sein de l'espace Schengen ? Et cela au moment même où des pays voisins procèdent à des régularisations massives d'immigrés clandestins, comme l'Espagne ou l'Italie. Je rappelle que la régularisation des immigrés clandestins lancée par le gouvernement espagnol a concerné plus de 500.000 personnes et que celles-ci devraient bénéficier dans trois ans de la liberté de circulation au sein de l'Union. Une véritable politique européenne d'immigration est donc indispensable.