Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 7 novembre 2007


Table des matières

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Institutions européennes

Traité de Lisbonne

Rapport d'information de M. Hubert Haenel

M. Hubert Haenel :

J'ai souhaité aborder deux questions :

- en quoi le traité de Lisbonne est-il différent du traité constitutionnel ?

- quels sont les changements par rapport aux traités en vigueur ?

Il faut bien, en effet, passer par ces deux questions pour étayer un jugement.

 Les modifications par rapport au traité constitutionnel traduisent la volonté de prendre en compte des préoccupations qui s'étaient exprimées lors des référendums en France et aux Pays-Bas, mais aussi dans les sept pays qui avaient interrompu le processus de ratification :

- l'opposition à un « super État » européen (présente en particulier aux Pays-Bas, en République tchèque, au Danemark, au Royaume-Uni) est prise en compte par la suppression de la terminologie « constitutionnelle », ainsi que par les modifications rédactionnelles et les déclarations qui insistent sur l'interprétation stricte des compétences de l'Union. Dans le même sens, le rôle des parlements nationaux en matière de subsidiarité reçoit une modalité supplémentaire : un « carton orange » s'ajoute au « carton jaune » et au « carton rouge » ;

- l'inquiétude face à l'élargissement (présente aux Pays-Bas et en France) est prise en compte par une référence aux critères de Copenhague ;

- les critiques sur l'orientation trop exclusivement libérale de la construction européenne (présentes notamment en France) sont prises en compte dans la reformulation des objectifs de l'Union (suppression de la « concurrence libre et non faussée », ajout de la « protection des citoyens ») et dans le nouveau protocole sur les services publics ;

- les inquiétudes de la Pologne sur sa place dans le processus de décision sont prises en compte par le report de l'entrée en vigueur du nouveau système de vote à la majorité qualifiée, et par la nouvelle « clause de Ioannina » qui incite à rechercher de larges accords au sein du Conseil ;

- enfin, face aux réticences de l'opinion britannique, la solution est recherchée dans une accentuation de la position particulière du Royaume-Uni (non application de la Charte, extension de la participation « à la carte » en matière de justice et affaires intérieures, dérogation au contrôle de la Cour de justice pour la coopération judiciaire et policière en matière pénale) ;

- il faut signaler, enfin, qu'une faiblesse du traité constitutionnel est corrigée : par rapport au traité de Nice, le traité constitutionnel rendait dans certains cas plus difficile le recours aux coopérations renforcées en matière de justice et affaires intérieures ; le traité de Lisbonne apporte une solution en élargissant les possibilités de recourir au mécanisme du « frein/accélérateur » qui permet de lancer sans formalité une coopération renforcée en cas de blocage.

C'est à chacun, naturellement, de porter un jugement sur la portée de ces changements. Il est clair que l'essentiel du traité constitutionnel est maintenu. Il est clair aussi que ce n'est pas le même traité : d'ailleurs, le Conseil d'État néerlandais - qui est un peu l'équivalent à la fois de notre Conseil constitutionnel et de notre Conseil d'État - a estimé que le nouveau traité était « substantiellement différent » du traité constitutionnel.

Est-ce que cela suffit à justifier l'abandon de la procédure référendaire pour son approbation ? Chacun appréciera. Je voudrais pour ma part faire deux remarques :

- d'abord, le président de la République s'est très clairement prononcé, durant la campagne présidentielle, pour une ratification parlementaire, alors que ses deux principaux concurrents se prononçaient, quant à eux, pour un référendum ; donc, les électeurs ont voté, en connaissance de cause, pour un candidat hostile à un nouveau référendum. Cela donne tout de même une légitimité au choix de la procédure parlementaire ;

- ensuite, nous devons être conscients du risque que représenterait un nouveau référendum en France. On ne peut être sûr que le « oui » l'emporterait, même si cela paraît probable. Et surtout, cela rendrait presque inévitable un référendum au Royaume-Uni, où un succès du « oui » serait pour le moins incertain. Nous aurions toutes les chances d'aller vers une nouvelle crise. L'Europe n'en a pas besoin.

 J'en viens aux changements par rapport aux textes en vigueur.

Ils sont importants sur le plan institutionnel. Le point le plus saillant est l'augmentation des pouvoirs du Parlement européen, mais d'autres changements sont de grande portée : personnalité juridique de l'Union, présidence stable du Conseil européen, mise en place d'un haut représentant de l'Union, nouvelle composition de la Commission européenne (ce qui n'est pas l'aspect le plus convaincant du traité), nouvelles règles pour la majorité qualifiée au Conseil, renforcement du contrôle de la Cour de justice.

Il faut également souligner l'accroissement du rôle des parlements nationaux par la mise en place du contrôle de subsidiarité.

Sur le plan des politiques, les changements sont également importants.

C'est le cas, tout d'abord, en matière de justice et d'affaires intérieures : l'espace de liberté, de sécurité et de justice sera désormais régi, sauf exception, par la procédure de droit commun où le Conseil vote à la majorité qualifiée, le Parlement européen dispose d'un pouvoir de codécision, et les actes sont soumis au contrôle de la Cour de justice.

Le changement est également important pour les différents aspects de l'action extérieure et pour la défense.

La politique commerciale commune devient une compétence exclusive de l'Union et le vote à la majorité qualifiée est généralisé, à l'exception de deux domaines : les services culturels et audiovisuels, et les services sociaux, d'éducation et de santé.

Pour les politiques de coopération au développement et d'aide humanitaire, les mesures sont désormais adoptées, selon la procédure de droit commun, en codécision avec le Parlement européen.

La politique étrangère et de sécurité commune est profondément réformée par la mise en place de la présidence stable du Conseil européen, par la création du haut représentant de l'Union et par l'attribution de la personnalité juridique à l'Union.

Le traité prévoit également un développement important de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), avec un élargissement des missions, une clause de défense mutuelle, une clause de solidarité antiterroriste, et le lancement d'une « coopération structurée permanente » entre les États qui souscrivent certains engagements.

Enfin, des évolutions significatives concernent la gouvernance économique et sociale :

- attribution de nouvelles compétences à l'Union en matière de santé publique, d'espace, de recherche, d'énergie, de protection civile, de tourisme, de sport ;

- mise en place d'une organisation spécifique de la zone euro ;

- garantie des services d'intérêt général, introduction d'une clause sociale générale pour les politiques de l'Union, institutionnalisation du « sommet tripartite » avec les partenaires sociaux.

En outre, la Charte des droits fondamentaux, désormais contraignante, contient de nombreuses dispositions relatives aux droits sociaux (articles 27 à 38 de la Charte).

Même en se limitant aux aspects les plus marquants, on voit que le nouveau traité représente une évolution profonde : un grand nombre d'aspects de la construction européenne sont transformés.

Je ne souscris donc pas, pour ma part, aux analyses qui le présentent comme un traité « modeste ». Pour le reste, naturellement, un traité est avant tout un cadre. Il sera, en grande partie, ce que les institutions européennes en feront.

On ne peut pas, par exemple, savoir a priori comment se fera le partage des responsabilités entre le président du Conseil européen, le haut représentant et le président de la Commission. On ne peut pas savoir non plus jusqu'où ira le Parlement européen dans l'usage de ses nouveaux pouvoirs. Le nouvel équilibre institutionnel se dégagera avec le temps. Une chose me paraît certaine : si ce traité est adopté, il n'y aura pas de nouveau traité d'ordre institutionnel avant longtemps. D'ailleurs, ce traité ne contient pas de clause de rendez-vous comme en contenaient les traités de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice. On sent que les États membres sont las des discussions institutionnelles et souhaitent en finir.

Ce sera d'autant plus possible que le traité de Lisbonne contient des éléments de souplesse. Un certain nombre de dispositions permettent d'adapter les traités sans avoir à passer par une procédure de révision : clause de flexibilité pour l'étendue des compétences de l'Union ; « clauses passerelles » pour, notamment, passer au vote à la majorité qualifiée ; possibilités accrues de recourir aux coopérations renforcées ; souplesses dans le domaine institutionnel concernant, notamment, la composition de la Commission et du Parlement européen. Grâce à ces possibilités d'adaptation, on peut espérer reporter une nouvelle révision des traités à un avenir relativement lointain.

Il est plus que temps, en effet, de se concentrer davantage sur le contenu des politiques communes et sur les grandes questions comme la croissance et l'emploi, le développement durable, l'élargissement...

Nous ne devons pas oublier les leçons des référendums en France et aux Pays-Bas. C'est en montrant qu'elle est efficace, qu'elle donne des résultats correspondant aux attentes des citoyens, que la construction européenne retrouvera un soutien plus large et plus solide. Plus tôt nous sortirons du débat institutionnel, plus tôt nous pourrons passer aux autres questions. C'est, me semble-t-il, un grand argument pour ratifier au plus vite ce traité, que pour ma part je considère comme un très bon compromis.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Ce rapport donne une analyse accessible de ce qui est quand même le résultat le plus important auquel notre nouveau président ait contribué.

M. Robert Bret :

N'oublions pas la présidence allemande et Mme Merkel !

M. Jacques Blanc :

Certes, mais nous n'avons pu sortir de l'impasse que parce que Nicolas Sarkozy a eu le courage politique d'annoncer, durant sa campagne, qu'il ne ferait pas de nouveau référendum. Je regrette qu'un européen comme François Bayrou n'ait pas eu la même attitude.

Nous sommes désormais devant une situation nouvelle, pour ceux qui avaient voté « oui » comme pour ceux qui avaient voté « non ». Le succès de la Convention avait eu quelque chose de miraculeux ; c'est à nouveau le cas de l'accord de Lisbonne, après la crise née des référendums négatifs.

Je souhaiterais des précisions sur quelques points. Tout d'abord, quelle est la portée des nouvelles compétences de l'Union ? Ensuite, comment se positionneront les différents acteurs qui vont intervenir sur le plan exécutif : président stable du Conseil européen, président de la Commission, haut représentant de l'Union, et présidence en exercice ? Par ailleurs, même si je sais qu'une présidence est d'abord là pour faire bien fonctionner le système européen, ne pouvons-nous espérer utiliser la présidence française pour atteindre certains objectifs ? Enfin, quel doit être le but du « groupe des sages » ? Je vois bien l'intérêt de préciser un horizon, d'avoir des perspectives mobilisatrices ; je suis plus sceptique sur une éventuelle réflexion concernant les frontières. J'ai posé la question au président Barroso qui m'a répondu - à juste titre, je crois - que chaque génération avait à redessiner l'Europe. Effectivement, le problème des frontières de l'Europe ne se pose pas aujourd'hui comme il y a quinze ans.

M. Hubert Haenel :

Les nouvelles compétences sont des compétences d'appui, où l'Union soutient et complète l'action des États membres, sans harmoniser les législations nationales. Auparavant, des actions dans ces domaines supposaient le recours à la « clause de flexibilité » de l'article 308 et donc la décision à l'unanimité ; désormais, les décisions seront prises à la majorité qualifiée.

Le comité des sages est une suggestion française, qui repose sur l'idée qu'on ne pourra aller plus loin dans l'élargissement tant qu'on n'aura pas abordé plus avant des questions fondamentales comme l'identité européenne, le sens du projet européen, l'affectio societatis comme on dit en droit commercial. Pourquoi sommes-nous ensemble ? Le traité de Lisbonne nous dit comment travailler ensemble, pas véritablement pourquoi. Le groupe des sages ne pourra pas se concentrer principalement sur la question des frontières : ce ne sera pas un groupe de représentants des États membres, qui seul serait à même de traiter une question de ce type. Nous avons besoin d'une réflexion plus générale : il faudrait par exemple un grand chef d'entreprise multinationale, un historien qui serait un Fernand Braudel de l'Europe... La décision sera prise à Bruxelles les 13 et 14 décembre.

Pour ce qui est de la future présidence française, elle sera d'abord jugée sur sa capacité à prendre en compte le bien commun européen. On ne préside pas pour soi. Nous devons plutôt viser à être exemplaires dans l'accomplissement de cette fonction. L'Allemagne nous a donné l'exemple !

Pour ce qui est maintenant de l'articulation entre les facettes de l'exécutif européen dessiné par le nouveau traité, je crois effectivement que, comme l'a dit le président Barroso, les choses ne seront pas simples ! Par exemple, le président du Conseil européen et le haut représentant seront bien plus stables que la présidence tournante, même si la constitution des groupes de trois États coordonnant leurs présidences permettra plus de continuité. Beaucoup dépendra en réalité des personnalités qui seront choisies.

M. Pierre Fauchon :

Je trouve moi aussi cet accord sur le traité de Lisbonne assez miraculeux. Les Allemands, au début de l'année, étaient encore très réticents à l'idée d'abandonner le traité constitutionnel qu'ils soutenaient et qui avait été approuvé par une large majorité des États membres. Après l'accord inespéré du 23 juin, les juristes ont fait un travail remarquable pour arriver à un texte le 19 octobre. Tout ceci redonne l'espoir.

Certes, il y a des positions dérogatoires et des freins ici et là, mais en contrepoids, le recours aux coopérations renforcées est facilité. Cela forme un équilibre. Je crois que c'est un profond changement du système européen qui se dessine. La Commission ne sera plus jamais ce qu'elle a été à l'époque de Jacques Delors. Les chefs d'État ou de gouvernement ont repris la main, mais ils l'ont fait pour créer, avec la présidence stable, l'embryon d'un véritable chef de l'exécutif. Parallèlement, les pouvoirs du Parlement européen sont renforcés. Finalement, on va passer d'un système original à un système plus proche du fédéralisme, ce qui me paraît assez raisonnable. Les débats qui ont marqué la mise en place du fédéralisme américain ne sont pas si éloignés de ceux qui caractérisent la construction européenne aujourd'hui.

Il y a des arguments pour ne pas recourir au référendum : l'Union ne reçoit pas de compétence vraiment nouvelle, le traité se borne à amender les textes existants ... Le dossier est plaidable.

Le traité est difficilement lisible et la complexité des institutions révisées pourrait être paralysante. Je regrette de ne pas disposer d'un tableau comparatif et j'aimerais avoir des précisions sur le compromis de Ioannina. Mais ce qui domine pour moi, c'est l'espoir : une volonté européenne est de retour.

M. Hubert Haenel :

Je souhaite comme vous un tableau comparatif, mais il faut d'abord que nous disposions d'un texte définitif revu par les juristes linguistes. Pour ce qui est de la clause de Ioannina, il s'agit d'un compromis politique qui prévoit que, lorsqu'un groupe d'États n'est pas éloigné de constituer une minorité de blocage, la discussion doit se poursuivre, malgré l'existence d'une majorité qualifiée, afin de parvenir à une solution satisfaisante pour les deux parties dans un délai raisonnable.

M. Pierre Fauchon :

Ioannina n'est pas très loin de Byzance !

M. Jacques Blanc :

Il s'agit somme toute de travailler dans un esprit de large consensus. Ce n'est pas un bouleversement du fonctionnement du Conseil !

M. Pierre Bernard-Reymond :

Je me réjouis de voir l'Europe à nouveau sur les rails, mais il faut tirer les leçons des référendums. Parler de « Constitution » a été une erreur. Une Constitution est un couronnement, pas une étape. Et ce terme a fait peur, il donnait une trop grande solennité à un texte qui demeurait un traité. J'ai bien connu le courant qui a lancé cette idée, il y a plus de vingt ans, autour d'Altiero Spinelli ; finalement, il a conduit à un échec. La construction européenne doit rester une construction pragmatique si elle veut continuer à progresser. C'est pourquoi le mandat du comité des sages devra être bien défini : il s'agit de redonner du sens à la construction européenne, pas d'en figer par avance les contours ; sinon, ce serait le retour à la démarche constitutionnelle.

Nous allons vers un exécutif européen complexe. Le problème ne résidera pas seulement dans les rapports entre le président du Conseil européen et celui de la Commission ; le haut représentant aura un rôle important et une position bien particulière, et le chef d'État ou de gouvernement du pays exerçant la présidence ne pourra être mis à l'écart : ce seront ses ministres qui présideront les formations du Conseil autres que celle compétente pour les relations extérieures. Comment fonctionnera cet exécutif quadricéphale ? Il faudra que le président du Conseil européen provoque des réunions régulières pour parvenir à ce que tout le monde travaille dans le même sens. Il n'existe pas de procédure de sortie en cas de conflit : on est dans le domaine du compromis et des bonnes pratiques. J'espère que l'esprit de coopération l'emportera, car si chacun cherche avant tout à conforter son pouvoir, nous assisterons à une guerre des cabinets qui sera ravageuse. Le pouvoir exécutif va-t-il finalement s'organiser autour du Conseil européen ou de la Commission ? Je crois plutôt que ce sera autour du Conseil européen, mais à condition que son président sache étroitement associer les trois autres responsables.

M. Christian Cointat :

L'Europe s'est toujours construite sur des ambiguïtés ; c'est Edmond Rostand, je crois, qui a dit que l'on s'entend par des malentendus. Et la France a toujours eu une position ambiguë dans la construction européenne, à la fois moteur et frein.

Le traité dit « simplifié » complique les choses par rapport à la Constitution, qui introduisait davantage de clarté. Cela dit, la Constitution elle-même entretenait une ambiguïté, puisqu'elle était en réalité un traité. On s'est fait plaisir en parlant de « Constitution », mais le choix de ce terme a été une erreur.

Avec le traité de Lisbonne, nous revenons à un texte abscons, mais cette complexité n'empêchera pas d'avancer. Ce sera sans doute le dernier traité institutionnel avant longtemps. Les États membres ne souhaitent pas aller plus loin : ils savent bien qu'ils ont besoin de l'Europe, mais ils ne veulent pas que celle-ci puisse s'abstraire des intérêts nationaux.

À ce propos, je crois que nous devrions avoir le courage de regarder en face le problème de l'influence française en Europe. La langue française est en recul. Nous avions deux commissaires, nous n'en avons plus qu'un, demain nous n'en aurons aucun une fois sur trois. Conserver une certaine influence supposera des efforts dans la durée.

*

À l'issue du débat, la délégation a autorisé la publication du rapport d'information.

Subsidiarité

Examen des textes adressés par la Commission européenne aux parlements nationaux du 29 juin au 31 octobre 2007

M. Hubert Haenel :

Comme nous le faisons périodiquement, nous devons à présent examiner les textes que la Commission européenne nous adresse directement afin que nous puissions lui faire connaître nos observations au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité.

Entre le 29 juin et le 31 octobre 2007, la Commission européenne nous a ainsi adressé 276 textes. Fort heureusement, comme à l'accoutumée, près de 90 % de ces textes n'appellent aucune observation au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité, soit parce qu'ils n'ont pas de portée normative (127 textes), soit parce qu'ils portent sur une matière qui ne soulève, par nature, aucun problème de subsidiarité (101 textes). De plus, quelques uns de ces textes sont des textes de codification (7 textes) ou correspondent à une phase déjà avancée du processus de législation communautaire (22 textes).

Il reste donc 19 textes, qui peuvent être regroupés en 8 sujets. L'un d'entre eux est la réforme du marché vitivinicole. Nous avons déjà examiné ce sujet et nous avons adressé nos observations à la Commission au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité. Nous ne serons donc amenés à nous prononcer bientôt que sur les autres textes qui concernent respectivement les transports urbains, l'immigration légale, l'énergie, la santé, la protection des piétons, l'inclusion active des personnes les plus éloignées du marché du travail, et enfin la lutte contre le travail non déclaré.

Par ailleurs, depuis notre dernière réunion consacrée à l'examen des textes transmis directement par la Commission, nous avons reçu cinq réponses de la Commission aux observations que nous avions formulées.

Ces réponses concernent les textes suivants :

- le régime de TVA applicable aux services de radiodiffusion et de télévision ;

- la réforme de l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes ;

- le Livre vert sur la politique des consommateurs ;

- la réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole ;

- la gestion de la sécurité des infrastructures routières.

Si les quatre premières réponses apportent dans l'ensemble des précisions utiles, la dernière suscite un certain nombre d'interrogations. Il me semble en effet que les explications que fournit la Commission européenne à propos de la proposition de directive sur la sécurité des infrastructures routières témoignent d'un certain embarras et pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.

Le texte initial a été présenté par la Commission en octobre 2006. En novembre, nous avions formulé un avis critique considérant que, dans ce domaine, l'échange de bonnes pratiques entre États membres était vraisemblablement suffisant et que le recours à la réglementation communautaire semblait inopportun et disproportionné. La Commission nous avait répondu, en janvier 2007, que l'échange de bonnes pratiques ne permettait pas d'atteindre « un niveau élevé de sécurité routière sur la totalité du réseau (...) compte tenu de l'hétérogénéité des performances des États membres » et que la Commission répondait à une attente et même à « une demande des États membres ». Quelque peu surpris de cette argumentation, nous avions exprimé à nouveau nos réserves en faisant valoir, d'une part, que « l'hétérogénéité des performances nationales » ne pouvait à elle seule justifier une compétence communautaire dans la mesure où l'argument peut être repris à l'infini sur tous les sujets, et, d'autre part, que « la demande des États » rappelée par la Commission était en réalité plutôt la demande des professionnels.

Dans sa seconde réponse, reçue en juillet 2007, la Commission opère un changement sensible dans son argumentation. Elle revient sur l'opportunité et la cohérence de la réglementation proposée : selon elle, dès lors que des avancées communautaires ont été constatées dans la sécurité des véhicules, elles doivent être proposées également dans la sécurité des infrastructures. Cela s'apparente à l'évidence à une pétition de principe. Si personne ne met en doute le fait que la Communauté puisse agir mieux que chaque État membre pour assurer la sécurité des véhicules, on voit mal en quoi il en découlerait obligatoirement que les États membres ne peuvent eux-mêmes réaliser l'objectif de sécurité des infrastructures. Les véhicules sont à l'évidence transfrontaliers tandis que les infrastructures sont par définition peu mobiles !

Par ailleurs, la Commission relève que la demande est supportée non par les seuls industriels, mais par les organisations professionnelles dont elle établit la liste. Enfin, elle considère que la compétence de la Communauté est justifiée par le fait que le renforcement de la sécurité des réseaux contribue à l'objectif de cohésion économique et sociale prévu par le traité et que les infrastructures routières sont souvent financées par les fonds structurels ou par le fonds de cohésion.

Ainsi, si l'on suit l'argumentaire de la Commission, la compétence communautaire sur la sécurité des infrastructures est justifiée par le financement antérieur de ces infrastructures. Cette position paraît très contestable et ouvre la voie à de nombreux abus car l'Union européenne finance un très grand nombre d'actions dans des secteurs qui ne sont pas pour autant intégralement couverts par une compétence communautaire. C'est notamment le cas en matière de recherche : ce n'est pas parce que l'Union participe au financement de tel ou tel programme de recherche qu'elle peut ou doit réglementer le statut des chercheurs ! Mille et un exemples peuvent être avancés : médiathèques, restauration de bâtiments, recherche sur les moteurs, créations de zones d'activités... sont des projets éligibles aux crédits européens. Suivre une telle logique ouvrirait une boîte de Pandore en laissant l'Union européenne s'immiscer dans des domaines qui sont manifestement hors de sa compétence. Cette dérive est d'autant plus importante que le champ d'intervention des fonds structurels et du fonds de cohésion est large et que les cadres réglementaires sont souvent interprétés de façon extensive pour faciliter l'accès aux fonds régionaux.

Cette logique défendue par la Commission rappelle un ancien contentieux communautaire connu sous le nom des « actions sans base légale » : le Parlement européen, fort de son pouvoir d'initiative budgétaire, lançait des financements avant même d'avoir la compétence sur le fond. La Commission semble ici s'inspirer d'une logique du même type.

Certes, le texte considéré est d'importance mineure et il peut être tentant de renoncer à poursuivre le dialogue avec la Commission. Mais l'argumentation de la Commission pose un problème de principe.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter les observations suivantes :

Observations sur la réponse de la Commission

- proposition de directive concernant la gestion de la sécurité des infrastructures routières (COM (2006) 569 final) ;

- document de travail des services de la Commission accompagnant la proposition de directive : résumé de l'évaluation des incidences (SEC (2006) 1232).

*

La délégation pour l'Union européenne du Sénat observe que la Commission européenne n'a toujours pas établi la nécessité d'une directive dans ce domaine et qu'elle n'a toujours pas démontré que l'amélioration de la sécurité des infrastructures routières fait partie des objectifs qui « ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ». Elle souligne que le fait que les infrastructures routières puissent faire l'objet de cofinancements par les fonds structurels ou le fonds de cohésion ne donne aucune compétence particulière à l'Union pour prendre un acte législatif dans ce domaine, et ne saurait lui servir de motif pour écarter le principe de subsidiarité.

Compte rendu sommaire du débat

M. Christian Cointat :

Je ne partage pas votre sentiment. Sur un plan théorique, on peut en effet raisonner dans les deux sens : certes, chaque État membre peut sans doute gérer les problèmes de sécurité routière, mais si nous voulons une sécurité optimale, il nous faut les mêmes dispositifs partout. En Allemagne, par exemple, les sorties d'autoroutes sont très courtes...

M. Robert Bret :

En Italie aussi !

M. Christian Cointat :

Ces différences sont un danger. Les règles ne sont pas partout les mêmes, par exemple pour les limitations de vitesse ou pour les feux de circulation pour les couloirs d'autobus. Les conducteurs sont surpris et font des erreurs. Même si les arguments de la Commission ne sont pas très convaincants, il me paraît clair que nous devons soutenir une harmonisation.

M. Bernard Frimat :

Vous oubliez de préconiser l'abandon de la conduite à gauche en Grande-Bretagne : je vous assure qu'au début c'est surprenant ! Vous pourriez aussi songer à harmoniser les styles de conduite, pour que les comportements soient plus prévisibles. Sérieusement, je crois que nous devons critiquer la tendance de la Commission à vouloir s'occuper de tout. Il y a assez de problèmes importants à traiter !

Je ne veux pas revenir au débat sur le nouveau traité, mais - même si je me réjouis que la situation se débloque - je crois qu'il faudra plus qu'un traité pour réduire le sentiment de déficit démocratique, d'éloignement, d'opacité. Pour combler le fossé entre l'Europe et les citoyens, il faut que l'Union soit active sur les grands sujets. Ce projet mineur est une occasion de dire à la Commission : occupez-vous des questions essentielles, là où l'intervention européenne apporte réellement quelque chose. Je ne suis même pas sûr, d'ailleurs, que ce texte entraînerait une amélioration des sorties d'autoroutes !

M. Jacques Blanc :

Le projet d'observations qui nous est proposé ne remet pas en cause l'objectif d'améliorer la sécurité routière : il reproche à la Commission de ne pas avoir démontré la nécessité d'une directive et souligne qu'il ne suffit pas d'accorder une subvention pour recevoir une compétence ...

M. Bernard Frimat :

Subsides et subsidiarité, ce n'est pas la même chose !

M. Jacques Blanc :

Approuver ces observations ne signifie donc pas être hostile à une intervention européenne dès lors qu'elle s'appuie sur des justifications solides, compréhensibles et crédibles.

Le projet d'observations est approuvé.