REUNION DE LA DELEGATION DU 9 JANVIER 2002


Politique commerciale

Communication de M. Marcel Deneux sur cinq propositions de textes relatifs au commerce des vins et spiritueux entre
l'Union européenne et la République d'Afrique du Sud

Les cinq propositions de texte soumises aujourd'hui à notre examen en application de l'article 88-4 de la Constitution constituent une nouvelle étape d'un dossier délicat. Nous en suivons le déroulement depuis 1995, date du mandat de négociation confié à la Commission européenne pour conclure un accord de libre-échange intégral avec la République d'Afrique du Sud, à la suite de l'adhésion de ce pays à la Convention de Lomé.

Permettez-moi de reprendre sommairement l'historique de cet accord.

I - LA PRÉCÉDENTE PROCÉDURE
En octobre 1999, notre délégation avait été saisie, en urgence, d'une proposition portant accord commercial entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud, destiné à organiser de nouvelles relations bilatérales entre les deux partenaires. La difficulté des discussions et le souhait d'aboutir aussi vite que possible à un compromis avait conduit à l'époque les négociateurs à disjoindre de l'accord général deux questions particulièrement sensibles : celle du commerce des vins et spiritueux, d'une part, celle de la pêche, d'autre part, ces deux domaines devant faire l'objet d'accords particuliers dans des délais non fixés. Dans l'attente de la ratification complète de l'accord, des mesures provisoires étaient par ailleurs prévues pour application immédiate dès le 1er janvier 2000, notamment l'octroi d'un contingent annuel d'importation à droits nuls de 32 millions de litres de vins sud-africains sur le territoire de l'Union.

Le Sénat avait alors demandé au Gouvernement de s'opposer à l'adoption des mesures provisoires tant qu'un accord « vins et spiritueux » ne serait pas formellement acquis entre les parties (1(*)). Il avait en effet considéré qu'il était déraisonnable d'envisager l'application de ces mesures transitoires avant même d'obtenir un engagement précis sur le dossier viticole, celui-ci constituant la seule véritable contrepartie des avantages consentis à l'Afrique du Sud par l'Union européenne. Il lui avait également paru utile de pouvoir disposer d'un calendrier prévisionnel d'adoption sur l'accord pêche.

Le gouvernement français, interrogé à ce propos, nous avait assuré que l'accord sur les vins devait être formalisé au plus tôt et le dispositif transitoire était alors entré en application.

II - LES PROPOSITIONS ACTUELLES
L'expérience a prouvé que nos réserves n'étaient pas injustifiées puisque, après bien des avatars, l'accord définitif n'a été conclu que le 25 juin dernier, à Pretoria, dans le cadre d'un « protocole d'accord sur les vins et les spiritueux ».

Ce texte a été transmis au Gouvernement le 11 décembre 2001, puis déposé au Parlement le 17 décembre suivant, pour une application prévue dès le 1er janvier 2002. La brièveté des délais nous a d'ailleurs fait craindre, un temps, d'être saisis à nouveau dans le cadre d'une procédure d'urgence, ce que nous n'aurions pas manqué de déplorer. Il est heureux que, notamment sous la pression du Gouvernement français, l'examen de ces textes ait été reporté au Conseil « Affaires générales » du 21 janvier prochain, nous permettant ainsi d'effectuer un premier travail d'expertise sur le contenu - complexe - du dispositif. Celui-ci se compose d'un accord relatif au commerce des vins (E 1890), d'un second accord relatif au commerce des boissons spiritueuses (E 1892), d'un texte modifiant le contingent tarifaire applicable aux vins sud-africains (E 1882) et de la proposition autorisant, avec certaines adaptations, cette modification (E 1891). Parallèlement, un cinquième texte E 1894 a été joint à cet ensemble quelques jours plus tard pour permettre l'application du dispositif par anticipation dès le 1er janvier 2002.

III - LE CONTENU DE L'ACCORD

1. Le nouveau contingent tarifaire

Les textes E 1882 et E 1891 proposent, par deux voies différentes et sans coordination interne, l'augmentation du volume du contingent tarifaire bénéficiant aux vins sud-africains importés en bouteilles. On se rappelle que la proposition de base, à effet temporaire, prévoyait un contingent annuel de 32 millions de litres à droits nuls. Quatre adaptations sont apportées à ce schéma initial :

a) le texte E 1882

Ce premier texte propose de modifier le contingent de base de 32 millions de litres de vin pour le porter à 35,3 millions de litres à partir du 1er janvier 2002, et l'affecter d'un coefficient d'augmentation annuelle de 3 % par an à compter de 2003.

b) le texte E 1891

Cette seconde proposition expose la méthode de calcul du quota de base et prévoit certaines mesures d'application temporaires complémentaires :

- d'abord, le contingent de base est augmenté de 5 % par an, avec effet rétroactif au 1er janvier 2000, ouvrant donc droit à un contingent total de 33,6 millions de litres pour chacune des années 2000 et 2001 ;

- ensuite, il sera à nouveau augmenté de 5 % à partir du 1er janvier 2002 pour être porté à 35,3 millions de litres, comme l'indiquait le texte précédent E 1882 ;

- enfin, les contingents 2000 et 2001 n'ayant pas été ouverts dans les faits, le volume total correspondant (soit 67,2 millions de litres) sera incorporé et réparti sur dix ans à compter du 1er janvier 2002.

Compte tenu de toutes ces modifications, la conclusion du texte E 1891 est que « jusqu'au 31 décembre 2011, le contingent [...] se trouvera ainsi porté à un volume total de 420 200 hectolitres ».

Or, en affichant ce résultat global, il n'est pas tenu compte du texte précédent accordant par ailleurs une augmentation annuelle de 3 % du contingent de base. La logique mathématique conduit à penser que ces deux séries de dispositions sont en réalité cumulatives, mais les textes sont si complexes qu'on en arrive à se demander si l'objectif n'est pas d'empêcher toute lisibilité du dispositif proposé. Par curiosité, je me suis livré à un petit calcul, et vous constaterez que l'application cumulée des deux textes, si tel était bien le cas, aboutirait en réalité à un contingent maximal de 52,78 millions de litres en 2011, bien supérieur aux 42,02 millions affichés par le texte E 1891.

Calcul du contingent annuel d'importation à droits nuls du vin sud-africain sur le territoire de l'Union

En vertu du texte E 1882

(base : 35,3 millions de litres en 2002 - facteur d'augmentation annuelle : 3 %)

En vertu du texte E 1891

(réintroduction des contingents 2000-2001 jusqu'en 2011)

TOTAL

(en millions de litres)

2002

35,3

+ 6,72

42,02

2003

36,36

+ 6,72

43,08

2004

37,45

+ 6,72

44,17

2005

38,57

+ 6,72

45,29

2006

39,73

+ 6,72

46,45

2007

40,92

+ 6,72

47,64

2008

42,15

+ 6,72

48,87

2009

43,41

+ 6,72

50,13

2010

44,72

+ 6,72

51,44

2011

46,06

+ 6,72

52,78

2012

47,44

-

47,44

2013

48,86

-

48,86

2. L'accord sur les vins (E 1890)

L'accord aborde les questions restées jusqu'alors en suspens, notamment :

· La définition de bonnes pratiques oenologiques et de spécification des produits, ainsi que la création d'une instance d'arbitrage en cas de litige.

Le texte précise ainsi en annexe les pratiques oenologiques mutuellement autorisées, notamment les limites admises pour certains composants analytiques. Ainsi, l'Afrique du Sud autorisera la commercialisation, sur son territoire, des vins communautaires ayant fait l'objet de pratiques particulières ou comportant une composition spécifique (c'est par exemple le cas des « vendanges tardives »), tandis que la Communauté autorisera, à titre dérogatoire, l'importation de vins sud-africains à traitement spécifique (par exemple, par addition d'acide malique).

Cette prise en compte de la protection du consommateur, des exigences de santé publique et de la qualité des produits me paraît un progrès réel, dès lors que l'on maintiendra une grande vigilance pour contrôler sa bonne application.

· La protection réciproque des dénominations et indications géographiques.

Ce point constituait un élément-clé des négociations compte tenu de certaines utilisations abusives d'appellations, notamment d'origine communautaire, propre à induire le consommateur en erreur. En effet, et comme l'indiquent les considérants introduisant l'accord, « en raison de liens historiques de longue date entre l'Afrique du Sud et un certain nombre d'États membres, l'Afrique du Sud et la Communauté utilisent certains termes, noms, références géographiques et marques pour désigner leurs vins, leurs exploitations et leurs pratiques vitivinicoles, dont un grand nombre sont semblables ».
Dans cet objectif, il a été prévu l'instauration d'un registre bilatéral des indications géographiques protégées, laissant espérer, pour l'avenir, une plus grande sécurité juridique. La liste des dénominations désormais protégées figure en annexe au texte de l'accord et concerne les productions allemandes, françaises, espagnoles, grecques, italiennes, luxembourgeoises, portugaises, britanniques, autrichiennes, belges et sud-africaines. On notera cependant que l'accord prévoit la protection d'indications géographiques homonymes, « pour autant qu'elle soit d'usage traditionnel et constant et que le consommateur ne soit pas induit en erreur quant à l'origine véritable du vin » (article 7-4-a). Il conviendra donc de veiller à l'étiquetage rigoureux des bouteilles commercialisées pour éviter toute confusion.

Par ailleurs, le problème des marques conflictuelles, c'est-à-dire les marques existantes introduisant une confusion dans l'esprit du grand public, demeure entier : leur élimination ne sera effective qu'« après une période transitoire raisonnable », selon l'article 7-8-b, période durant lesquelles la coexistence de ces marques restera autorisée. La seule obligation datée est celle de se mettre d'accord, d'ici le 30 septembre 2002, sur ce qu'il convient de classer parmi les marques conflictuelles.

· L'entrée en vigueur de l'engagement particulier concernant les appellations « Port » et « Sherry ». Celle-ci est fixée au 1er janvier 2000, date retenue comme point de départ du décompte des périodes transitoires avant mise en conformité par les producteurs sud-africains (soit cinq ans sur leurs marchés exportateurs et douze ans sur leur marché national).

· L'utilisation des fonds octroyés par l'Union européenne pour la restructuration de l'industrie vitivinicole sud-africaine, soit 15 millions d'euros, suivant un programme qui devra être arrêté d'un commun accord.

· Enfin, il est décidé l'instauration d'un comité mixte - où la Communauté sera représentée par la Commission européenne -, chargé de veiller au bon fonctionnement de l'accord et d'examiner toute question soulevée par son application.

3. L'accord sur les boissons spiritueuses (E 1892)

Ce texte, étroitement inspiré du précédent, concerne la protection réciproque de la dénomination spécifique de spiritueux (type Grappa, Ouzo...) dont la liste figurera également dans un registre bilatéral destiné à en accroître la sécurité juridique. La protection des produits communautaires sera assurée à la fin d'une période transitoire de cinq ans. Selon le même processus, l'élimination des marques litigieuses devra n'être effectuée qu'« au terme de périodes transitoires raisonnables ».

4. L'application de l'accord par anticipation (E 1894)

En raison de l'adoption tardive de ces textes, il est proposé de procéder par anticipation à leur application, avec date d'effet dès le 1er janvier 2002.

*

Que doit-on penser de cet accord ? Vous avez sans doute perçu combien j'étais perplexe devant son contenu. Je m'interroge d'abord sur la méthode de calcul du quota annuel d'importation à droits nuls et l'augmentation importante dont il bénéficiera, ce qui ne manquera pas d'inquiéter les professionnels européens, notamment français.

D'autre part, si j'approuve la création d'une instance d'arbitrage entre les parties en cas de litige, peut-être inspirée de l'organe de règlement des différends institué auprès de l'OMC, j'observe que l'article 27 qui en fait mention est particulièrement flou : on évoque simplement « une instance » et la désignation d'un arbitre pour chaque partie, puis d'un troisième arbitre censé départager les deux premiers dans un délai de douze mois. Mon sentiment est que la crédibilité de cette institution appelle à plus de rigueur dans le processus de nomination et de prise de décision de cet organe.

Il m'apparaît, en outre, que les périodes transitoires consenties sont d'une grande tolérance : j'évoquerai les douze années accordées pour la vente sur le territoire sud-africain de Porto et de Sherry non produits dans leurs régions d'origine ou le délai simplement « raisonnable » pour éliminer les marques conflictuelles, qui me semble anormalement bienveillant.

Par ailleurs, le texte autorise l'écoulement de tous les stocks actuels ne respectant pas à ce jour ses exigences, tant au niveau des pratiques oenologiques que pour ce qui concerne les indications géographiques.

Enfin, il n'est pas prévu de protection immédiate des « mentions traditionnelles », auxquelles la Communauté est attachée et dont elle reconnaît l'existence notamment dans le cadre de l'OCM « vin » (par exemple, la mention « Château »). Le texte prévoit simplement qu'il conviendra de réfléchir à un système qui pourrait être incorporé ultérieurement à l'accord, ce qui ne me paraît pas être d'une grande rigueur.

Nous comprenons parfaitement les considérations politiques et diplomatiques qui accompagnent la conclusion de cet accord, ainsi que les difficultés qui ont présidé à la recherche d'un compromis acceptable par les deux parties. Cependant, je crois utile d'attirer l'attention du Gouvernement sur nos propres inquiétudes par le dépôt d'une proposition de résolution. Si vous en étiez d'accord, ce texte serait ensuite transmis à notre commission des Affaires économiques, qui revient précisément d'une mission d'étude sur le secteur viticole en Afrique du Sud et qui pourra ainsi utilement compléter notre analyse par les observations faites sur place.

Compte rendu sommaire du débat

M. Aymeri de Montesquiou :

Votre remarquable exposé, qui plaide pour la juste protection des productions viticoles européennes, m'inspire une question et une réflexion. D'abord dispose-t-on d'éléments chiffrés sur le volume et la valeur des exportations et des importations de vins, entre la France et l'Union européenne ?

Ensuite, je suis stupéfait d'apprendre que l'Union européenne participera, dans des proportions importantes, à la restructuration du secteur viticole sud-africain. Je m'interroge sur le bien-fondé de ce type d'intervention, qui aura pour conséquence immédiate d'accroître la concurrence faite au secteur viticole européen.

M. Marcel Deneux :

Il est effectivement inscrit dans l'accord que l'Union versera à l'Afrique du Sud 15 millions d'euros pour l'assister dans les opérations de modernisation du secteur vitivinicole. L'Union a d'ailleurs obtenu d'être associée à l'élaboration de ce programme, ce qui paraît être la moindre des choses. Je comprends votre réaction, mais il faut rappeler que cette aide est à resituer dans le cadre de la politique européenne d'aide au développement prévue par la Convention de Lomé.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je ne suis pas pour autant convaincu que ces fonds permettront de venir en aide réellement à la population sud-africaine. La Convention de Lomé vise le développement des pays en retard de développement ; or, le vignoble sud-africain n'est pas vraiment caractéristique du sous-développement : il produit des vins d'excellente qualité à des prix souvent bien inférieurs aux nôtres. Je suis personnellement opposé à ce programme d'assistance financière.

M. Marcel Deneux :

C'est bien ce que j'évoquais en parlant des considérations politiques qui ont motivé l'accord général avec l'Afrique du Sud : de nombreuses dispositions ont été prises à l'avantage de ce pays. Pour ce qui concerne les volumes d'échanges entre la France et la République d'Afrique du Sud, la commission des Affaires économiques, qui rapportera cette proposition de résolution la semaine prochaine, établira les statistiques les plus récentes à partir des renseignements pris sur place lors de sa mission d'études. Cela dit, on observait déjà, fin 1999, que les 32 millions de litres de vin sud-africain importables sans droits de douane dans l'Union européenne correspondaient peu ou prou aux exportations effectives de ce pays à l'époque.

M. Serge Lagauche :

Connaît-on les réactions des autres États membres face à cet accord ?

M. Marcel Deneux :

Dix pays sont producteurs de vins et spiritueux parmi les quinze États membres. L'Espagne, le Portugal, l'Italie ou la Grèce, pour ne citer qu'eux, sont également très vigilants sur la protection de leurs dénominations géographiques. En effet, le point sensible de ce dossier vient du fait que, concernant les appellations d'origine contrôlée et les indications géographiques protégées, il persiste une ambiguïté en raison des homonymies de noms de régions sud-africaines et européennes : il existe de longue date, en Afrique du Sud, des régions Champagne, Porto ou Sherry, dont le nom est utilisé.

*

A l'issue de ce débat, la délégation a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les textes E 1882 concernant l'ajustement du contingent tarifaire pour le vin, E 1890 concernant la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud relatif au commerce des vins, E 1891 relatif à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud relatif au commerce des vins, E 1892 concernant la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud relatif au commerce des boissons spiritueuses et E 1894 concernant l'application provisoire de certains accords entre la Communauté européenne et la République d'Afrique du Sud relatifs au commerce des vins et au commerce des boissons spiritueuses,

Vu la résolution du Sénat TA 44 du 27 novembre 1999,

Constate que, une nouvelle fois, la volonté politique de l'Union d'apporter une aide économique à l'Afrique du Sud conduit à adopter un texte dont certains éléments restent extrêmement ambigus et sont, à l'évidence, porteurs de contentieux pour l'avenir.

Demande en conséquence au gouvernement d'agir auprès de la Commission :

- afin qu'une date limite soit fixée entre les parties pour l'élimination effective des marques conflictuelles ;

- afin qu'un calendrier précis soit déterminé pour mettre en place un dispositif de protection mutuelle des mentions traditionnelles ;

- afin qu'elle accorde la plus grande vigilance dans l'utilisation des fonds communautaires destinés à la restructuration de l'industrie vitivinicole sud-africaine, pour qu'ils bénéficient aux productions locales de qualité et au secteur viticole dans toutes ses composantes ;

- afin que soient définis avec plus de rigueur la nature exacte de l'instance d'arbitrage, le mode de désignation des arbitres, les moyens d'investigations dont ils disposent et l'étendue de leurs compétences,

Considère par ailleurs qu'il n'est pas admissible que le Conseil adopte simultanément deux propositions distinctes d'augmentation du contingent d'importation à droits nuls des vins sud-africains sur le territoire de l'Union, sans coordination interne, empêchant toute appréhension claire du dispositif de calcul proposé.

Rappelle que, comme il l'avait déjà souhaité en 1999, il espère voir aboutir l'accord spécifique au domaine de la pêche dans les meilleurs délais.

Élargissement

Communication de M. Robert Del Picchia
sur l'évolution de l'opinion publique autrichienne à l'égard de l'élargissement

L'Autriche est membre de l'Union européenne depuis le 1er janvier 1995. Son adhésion a été ratifiée par référendum en 1994 avec plus de 66 % des voix. Contributeur net à l'Union européenne, son PIB par habitant est supérieur aujourd'hui à celui de l'Allemagne.

Sa position à l'égard de l'élargissement ne peut se comprendre sans prendre en compte sa situation géographique. Géographiquement parlant, l'Autriche est un pays de l'Est de l'Europe. Le territoire s'avance profondément à l'Est. Prague est bien plus à l'ouest que Vienne. Par ailleurs, l'Autriche est le seul pays de l'Union à avoir une frontière commune de 1.257 kilomètres avec quatre pays candidats. Enfin, Bratislava n'est qu'à 50 kilomètres de Vienne. Dans l'Union européenne aucune capitale d'un pays n'est aussi proche d'une autre capitale.

1. Les raisons d'une volonté autrichienne de voir se réaliser l'élargissement de l'Union européenne
Longtemps avant son adhésion à l'Union européenne, l'Autriche avait déjà des relations privilégiées avec ses voisins de l'Est. Cela découle de la géographie, bien sûr, mais aussi des liens et d'une histoire commune avec les pays de l'empire austro-hongrois. Même à l'époque du communisme, ces liens persistaient. Pour l'anecdote, une liaison ferroviaire d'une société privée entre le Burgenland et la Hongrie a toujours continué à fonctionner. Même au temps de la plus profonde guerre froide, le train passait tous les jours le rideau de fer pour assurer le trafic de marchandises et de personnes.

Une autre explication des relations privilégiées avec ces pays de l'Est de l'Europe tient à l'application d'une « neutralité permanente » - d'abord imposée par le traité d'État du 15 mai 1955 et par la loi constitutionnelle du 26 octobre 1956, qui mettaient fin à l'occupation du territoire par les quatre Grands - puis voulue par les gouvernements successifs. Il s'agissait pour l'Autriche de respecter ses engagements du traité - surtout vis-à-vis de l'URSS - alors qu'à ses frontières les troupes du Pacte de Varsovie intervenaient pour « rétablir l'ordre ».

Pour ces raisons, mais aussi par intérêt économique, l'Autriche a toujours été un pays précurseur en matière de relations avec l'Est, tant sur le plan diplomatique, que sur le plan économique et culturel. Rappelons, par exemple, que l'Autriche a été le premier pays européen à ouvrir une ambassade à Berlin Est, que les premières banques occidentales établies après guerre dans les pays de l'Est étaient autrichiennes, ou encore, que le premier accord de libre rapatriement des bénéfices de sociétés autrichiennes établies en Hongrie a été signé entre Vienne et Budapest à l'époque du communisme.

La position particulière de l'Autriche, géographique, historique, mais aussi politique de par sa neutralité, a permis de développer, depuis les années soixante, des relations économiques avec cette partie de l'Europe comme aucun autre pays occidental n'a pu le faire. Ce développement s'est vivement accéléré ces quinze dernières années.

L'Autriche entretient, en effet, aujourd'hui des relations économiques très importantes avec les pays candidats de l'Europe de l'Est.

L'engagement des entreprises autrichiennes en Europe centrale et orientale est très important dans le secteur des échanges et des investissements. Les milieux économiques autrichiens ont anticipé l'adhésion des pays d'Europe centrale et occidentale (PECO) à de nombreux égards. Ainsi, à la fin de l'année 2001, les entreprises autrichiennes avaient réalisé près de seize mille investissements directs dans la région pour une valeur de plus de 5 milliards d'euros. Ces investissements ont créé 85.000 emplois. En effet, la plupart des investissements autrichiens sont réalisés par des PME. De plus, les sociétés autrichiennes ont nettement profité des financements de l'Agenda 2000 pour développer les structures dans ces pays. Ces investissements concernent les services, comme les assurances, les consultants, mais surtout les banques. La seule Bank Austria, - la plus grande banque autrichienne - établie depuis de longues années, dispose de 240 filiales dans ces pays. Ce réseau a été racheté depuis peu par la puissante banque allemande de Bavière, Hypobank, mais d'autres banques autrichiennes sont tout aussi bien implantées dans les pays candidats, comme la RaifeisenBank (Crédit agricole autrichien), la Erste Österreichisches ou la Volksbank. Les banques autrichiennes détiennent vraisemblablement le réseau bancaire étranger de loin le plus puissant dans les PECO.

Outre ces investissements directs, de nombreuses entreprises autrichiennes coopèrent et surtout font produire dans ces pays très proches, où le coût de main-d'oeuvre est en moyenne 4 à 5 fois moins élevé à 50 km de Vienne et 8 à 10 fois moins cher si l'on s'éloigne de 3 à 400 km. A cela s'ajoute la main-d'oeuvre journalière importée à coût réduit. Les travailleurs frontaliers de l'Est représentent aujourd'hui une part majoritaire des ouvriers du bâtiment en Autriche, de l'entretien des routes, etc...

Ces constatations amènent tout naturellement à une volonté logique de l'Autriche de voir rapidement se réaliser l'élargissement de l'Union européenne à ces pays. Les premières négociations d'adhésion avec les pays candidats ont d'ailleurs commencé, pour ce qui est des questions de fond, sous présidence autrichienne de l'Union européenne en 1998. Mais, s'il est favorable à l'élargissement, le gouvernement autrichien connaît des difficultés pour affirmer sa position et pour la faire partager, pas seulement par les politiques, mais aussi par la population.

2. Les positions en présence à l'égard de l'élargissement

a) La position du Gouvernement

Le chancelier Wolfgang Schussel et ses ministres, qu'ils soient conservateurs (ÖVP) ou membres du parti de Jörg Haider (FPÖ), sont très favorables à l'élargissement. Ils l'ont prouvé au sein de l'Union européenne et, même pendant la période des « sanctions », l'Autriche a toujours fortement appuyé cette position dans toutes les réunions et négociations.

Le gouvernement s'est déclaré depuis longtemps en faveur de l'élargissement. Il veut y associer la population avec un « dialogue sur l'élargissement de l'Union européenne », dialogue qu'il estime indispensable. Soutenu par la Commission européenne, il a créé une « plate-forme Autriche » à laquelle participent les politiques, les partenaires sociaux et les milieux industriels, mais surtout la société civile. Les débats sont animés et sont assez mitigés en ce qui concerne une ouverture rapide des frontières.

b) La position de l'opposition

Les sociaux-démocrates (SPÖ), favorables au principe de l'élargissement, ont dû affiner leur position ces dernières années sous la pression des syndicats et de leur électorat, qui freinent cet élargissement, en tout cas un élargissement rapide. Aujourd'hui dans l'opposition, le SPÖ est dans une position inconfortable face au gouvernement. Son soutien est conditionnel, mais reste favorable à l'élargissement. Sa position est plus critique face au problème politique déclenché par l'initiative populaire sur Temelin, la centrale nucléaire tchèque, nous allons y revenir.

Les verts autrichiens sont plutôt favorables à l'élargissement mais, eux aussi, sous conditions et mettent surtout en avant le problème du nucléaire aux frontières de l'Autriche. En revanche, ils ne sont pas inquiets pour les questions d'immigration.

c) La position des syndicats

L'ÖGB, la puissante confédération des syndicats autrichiens, où les sociaux démocrates sont très majoritaires, a longtemps freiné cette volonté d'élargissement devant les risques de voir le marché du travail « envahi » par une ouverture des frontières. Cette question est moins aiguë à présent après l'accord sur la période transitoire de cinq ans, plus deux si nécessaire, en matière de libre-circulation des travailleurs. Aujourd'hui, les syndicats de l'ÖGB restent « vigilants », mais ne sont plus opposés à l'élargissement.

L'Arbeiterkammer, la Chambre des travailleurs, syndicat obligatoire, qui regroupe donc toutes les personnes, ouvriers, employées ou cadres, a une position semblable, mais demande des garanties comme, par exemple, le maintien des prestations sociales à leur niveau actuel, mais aussi la protection de l'emploi, et le maintien du niveau de protection de l'environnement.

d) La position des milieux économiques

De façon générale, et pour les raisons évoquées plus haut, ils sont très favorables à l'élargissement. Ils ont beaucoup d'intérêts dans ces pays. Nombreuses sont les industries qui y sont déjà et depuis longtemps et la main-d'oeuvre de ces pays est souhaitée en Autriche.

L'Industriellevereinigung, la Fédération des Industriels autrichiens, qui avait fait une campagne très poussée pour l'adhésion de l'Autriche, s'engage dans tous les domaines pour promouvoir cet élargissement.

La Wirtschaftskammer, la très puissante Chambre de l'économie qui est, dans le même temps, une sorte de DREE (Direction des Relations Économiques Extérieures du Ministère des finances), est aussi très favorable à l'élargissement et participe à toutes les manifestations de débat et d'explication, qu'elle finance souvent d'ailleurs.

3. L'opinion publique et l'élargissement
L'euphorie de l'adhésion est passée en Autriche, même si les Autrichiens restent profondément pro-européens. Les sondages donnent encore une majorité d'autrichiens qui se prononceraient en faveur de l'adhésion à l'Union européenne s'ils devaient se prononcer à nouveau. S'ils sont actuellement dans un climat d'« europhorie », et s'ils étaient plutôt dans l'ensemble très favorables à un élargissement il y a encore quelques années, la tendance a nettement changé.

Les inquiétudes principales de la populations portent sur les questions suivantes :

· Les risques pour l'emploi devant l'afflux (en masse) de travailleurs étrangers qui pèserait sur le marché du travail, alors que le chômage remonte. Le taux de chômage était à 4,6 %, mais est passé en novembre à 6 %, en particulier à cause d'un coup de frein dans la construction.

· Le coût de l'élargissement. Contributeur net à l'Union - chaque autrichien aime à le répéter - l'Autriche participera évidemment comme les autres au coût de l'élargissement. Si côté gouvernemental, politique, économique et même syndical, on a bien intégré ce facteur coût supplémentaire, en revanche la population pense que le contributeur net sera plus sollicité que les autres européens et que donc « l'Autrichien paiera plus que les autres »... On ignore volontairement que l'économie autrichienne est en Europe, avec l'économie allemande, celle qui profite le plus de l'élargissement.

· Les problèmes de l'immigration, trop souvent liés, à tort, à celui de la sécurité, en particulier à Vienne, pourtant ville européenne très sûre. Il est vrai que, de par sa position géographique et sa longue frontière, l'Autriche est confrontée à une immigration clandestine croissante. Des immigrés qui ne sont pas venus majoritairement de l'Est de l'Europe, mais de beaucoup plus loin, du Sri Lanka, d'Indonésie, de Chine, mais aussi des Balkans, des Kurdes, des Afghans et ces derniers temps des Africains. Victimes de passeurs - véritables criminels - ils ont abouti après divers périples et filières dans les pays de l'Est voisins de l'Autriche. Ils n'ont qu'un but, pénétrer dans l'Union européenne, puis gagner la Grande-Bretagne où ils sont assurés d'être « bien accueillis ».

· Le contrôle des frontières. Malgré les contrôles Schengen sévères aux passages frontières et la traque aux clandestins à travers champs, la police des frontières, qui repousse chaque nuit plusieurs centaines de clandestins, reconnaît que plusieurs dizaines réussissent vraisemblablement à passer. Quelques-uns se font reprendre dans les villages voisins (15.000 en un an) mais la plus grande partie disparaît dans le pays. Certes, la plupart gagne l'Allemagne, mais la crainte d'un élargissement qui serait synonyme d'immigration clandestine existe.

· Enfin, la difficulté principale porte sur la question nucléaire. La population autrichienne est très anti-nucléaire, à plus de 95 % selon les sondages. L'Autriche a, d'ailleurs, construit dans les années soixante-dix une centrale à Zwentendorf, mais un référendum malheureux - alors qu'il n'était pas obligatoire - a bloqué en 1978 sa mise en route. Depuis, renforcée dans sa position anti-nucléaire par les tendances écologiques très poussées des Autrichiens, mais aussi, bien sûr, par le syndrome de Tchernobyl et, tout récemment, par l'exemple de la décision allemande de « sortie » du nucléaire, la population autrichienne, dans sa très grande majorité, est donc opposée à l'énergie nucléaire. Pas seulement le nucléaire en Autriche mais aussi le nucléaire dans les pays voisins. Plusieurs centrales en ont été la cible en Slovénie, en Slovaquie, mais surtout dernièrement en République tchèque et tout particulièrement la centrale de Temelin.

Cette centrale a commencé à être construite par les Soviétiques, puis les Tchèques se sont adressés à Siemens, à la Cogema et à EDF pour la mettre aux normes en ce qui concerne le réacteur nucléaire. Selon les experts de l'Union européenne, elle fait aujourd'hui partie des douze centrales les plus sûres d'Europe. Mais les autres installations, électriques ou mécaniques, n'ont pas été modifiées et ont connu des problèmes techniques.

4. L'épine de Temelin
Malgré une population assez opposée à l'élargissement il y a quelques mois encore, le Gouvernement est parvenu à faire avancer nettement les choses. Grâce à sa politique européenne, ses engagements pour une période transitoire, son traitement des problèmes au coup par coup et un vaste débat dans le cadre de sa « plate-forme Autriche », le Gouvernement est parvenu à inverser la tendance non seulement des syndicats, mais aussi d'un public indécis. Ainsi, le Gouvernement autrichien, conscient de l'importance de la question de Temelin pour l'opinion publique à l'égard de l'élargissement, a lancé une négociation avec son homologue tchèque, qui a abouti à la signature d'un accord le 29 novembre dernier à Bruxelles, sur un ordre de marche de la centrale qui prévoit notamment des contrôles réguliers.

Aujourd'hui, la population est presque majoritairement favorable à l'élargissement, même si c'est avec des conditions et pas à n'importe quel prix. Je viens d'ailleurs, aujourd'hui même, de recevoir les résultats d'un sondage qui confirme ce sentiment. Alors que l'élargissement ne recueillait que 48-49 % d'opinions favorables au début du troisième trimestre de l'année 2001, ce pourcentage est passé à 55 % en octobre 2001, après l'accord sur la période transitoire en matière de libre circulation des personnes. En décembre 2001, soit après l'accord sur la centrale de Temelin, il est remonté à 59 %.

La menace d'un référendum sur l'élargissement - menace renouvelée par Jörg Haider - semblait donc n'avoir plus de prise avec le refus du gouvernement autrichien et l'évolution de l'opinion publique. Haider, toutefois, fidèle à ses coups de théâtre dont il a le secret et bien que n'exerçant plus de pouvoir officiel sur son parti, a trouvé un autre point d'attaque contre le gouvernement auquel, précisons-le, participe son parti. Haider a donc saisi le thème très sensible de Temelin pour en faire un élément de débat politique contre l'élargissement. Il a lancé une campagne de signatures pour obtenir un « Volksbegeren, », c'est-à-dire un référendum d'initiative populaire. Le Gouvernement autrichien a donc été forcé, d'après la loi, d'organiser dans toutes les villes et mairies d'arrondissement l'ouverture et la tenue d'un registre de signatures de personnes approuvant une question sur l'engagement de l'Autriche à obtenir la fermeture de la centrale nucléaire de Temelin.

Or, cette initiative qui, vraisemblablement, n'aurait eu que peu d'écho si elle était restée propre à Jorg Haider, a été reprise au bond par le quotidien Kronen Zeitung, journal indépendant libéral de droite comme aiment à le qualifier beaucoup d'Autrichiens, mais avec une forte tendance écologiste. Un quotidien à l'origine de l'échec de plusieurs référendums, mais aussi du succès ou de l'échec de nombreux hommes politiques de droite et de gauche. Un journal très puissant, qui tire à plus de 1,3 million d'exemplaires en moyenne, lu par 3,5 millions de personnes dans un pays de 8 millions d'habitants et de 5 millions d'électeurs. Le Kronen Zeitung, qui depuis longtemps était parti en guerre contre Temelin, a développé une très forte campagne pour la signature de cette initiative. Devant les reproches d'un soutien à Haider, le propriétaire du journal, Hans Dichand, a expliqué que son journal a toujours mené campagne contre le nucléaire et qu'il s'agissait là d'une question de sécurité absolue. Pour lui, c'est donc une initiative de son journal et non de Haider. Il n'en reste pas moins que l'engagement du journal présente de sérieux risques.

Quel sera le résultat de cette initiative populaire ? Il reste pour l'instant très incertain. Aucun responsable ne veut avancer de chiffre. Sans le Kronen Zeitung, on serait vraisemblablement resté nettement au-dessous des 500 000 signatures, donc au-dessous du seuil de 10 % des électeurs. Avec l'engagement du journal, on peut penser que l'on dépassera les 500 000 signatures. Certains n'excluent pas un million. Or, le nombre de signatures qu'obtiendra cette initiative sera déterminant. Au-dessus des 100 000 signatures, il doit y avoir, d'après la loi, un débat au parlement, mais sans décision obligatoire. Politiquement cela ne changera donc rien. Au-dessus des 500 000 signatures, ce sera un avertissement politique au Gouvernement qui ne bougera pas pour autant, mais qui se trouvera fragilité politiquement. Au-dessus du million de signatures, cela posera certainement des problèmes politiques et aura en particulier des effets sur le comportement du Gouvernement face à l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne. Vienne devra être plus dure dans ses négociations et cela risque de remettre en cause l'accord passé avec Prague le 29 novembre dernier.

Cette question peut constituer, en réalité, un véritable piège politique pour le Gouvernement, mais aussi pour l'opposition et pour le parti de Haider lui-même, en baisse dans les sondages. Le résultat de cette initiative populaire sera donc très important pour les développements politiques en Autriche, pour la position future de l'Autriche au sein de l'Union, et pour l'évolution de la population autrichienne face à l'élargissement.

Compte rendu sommaire du débat

M. Serge Vinçon :

Je voudrais connaître la position de l'Autriche sur l'Europe de la défense, compte tenu de sa neutralité.

M. Robert Del Picchia :

Le chancelier Wolfgang Schussel, qui était favorable à l'entrée de l'Autriche dans l'OTAN, a dû faire marche arrière devant le refus de la population. La neutralité est, en effet, associée dans l'opinion publique au miracle économique. Cela n'empêche pas, dans le même temps, l'Autriche de se montrer solidaire des autres États de l'Union européenne.

M. Aymeri de Montesquiou :

Comment expliquez-vous le retrait des soviétiques en 1955 ?

Quelle est l'importance du secteur public dans l'économie ?

M. Robert Del Picchia :

Sur le retrait des troupes soviétiques, une explication a été donnée par l'ancien chancelier Kreisky. Selon lui, la stratégie de l'Union soviétique était d'obtenir, en contrepartie du retrait de ses troupes, le retrait des forces américaines de la partie occidentale de l'Autriche, de telle sorte que les forces de l'OTAN soient coupées en deux selon un axe Est-Ouest, étant donné la neutralité de la Suisse. On le voit bien en regardant une carte de l'Europe ; et cette coupure en deux aurait même été plus nette encore dix ans plus tard du fait de la position particulière de la France au sein de l'OTAN. C'est la raison pour laquelle ils ont assorti leur retrait de la condition d'une neutralité permanente de l'Autriche.

Le poids du secteur public a beaucoup diminué avec les nombreuses privatisations lancées par les gouvernements précédents et poursuivies actuellement, même s'il reste assez important.

M. Marcel Deneux :

Existe-t-il des accords particuliers entre l'Autriche et le Liechtenstein en matière de lutte contre le blanchiment d'argent ?

Considérez-vous que la position de l'Autriche sur l'énergie est tenable sur le long terme ? J'ai pu constater, en effet, que les Autrichiens payaient 25 % plus cher le kilowatt que leurs voisins allemands. Par ailleurs, cette situation pose, il me semble, des difficultés en matière de concurrence.

M. Robert Del Picchia :

Le Liechtenstein a passé des accords financiers avec la Suisse, mais pas avec l'Autriche.

Les Autrichiens sont prêts à payer plus cher leur énergie si c'est pour protéger l'environnement. C'est un peu le luxe des pays riches.

M. Aymeri de Montesquiou :

L'Autriche refuse non seulement de produire de l'électricité nucléaire, mais aussi, aujourd'hui, d'en importer. Il me semble difficile, toutefois, de déterminer l'origine exacte de l'énergie.

M. Robert Del Picchia :

Vous avez parfaitement raison. Le ministre compétent vient d'ailleurs d'accepter, par décret, l'électricité produite par une centrale nucléaire de Slovénie au grand dam des écologistes. Or, l'explication donnée par ce ministre tient à des raisons économiques, bien sûr, mais aussi politiques, puisque, selon lui, cette décision s'imposait à l'Autriche pour ne pas avoir à accepter l'électricité de la centrale de Temelin.

M. Jean Bizet :

Je voudrais savoir si, comme je l'ai entendu et lu, les jeunes Autrichiens se détournent de l'agriculture.

M. Robert Del Picchia :

C'est surtout vrai en ce qui concerne l'agriculture de montagne, ce l'est moins ailleurs.

L'Autriche a une agriculture très particulière, avec une importante part consacrée à l'agriculture biologique. Celle-ci connaît un grand succès pour une raison simple : près de 60 % de la distribution à Vienne, et environ 40 à 50 % dans les autres villes, sont détenus par une grande chaîne de magasins de la société « BILA », devenue allemande. Or, cette société a très tôt investi dans l'agriculture biologique en instaurant même un système d'aide à l'installation pour les agriculteurs, en contrepartie d'un contrôle sur place sur le respect des normes biologiques. Ainsi, aujourd'hui, près de 60 % de la production agricole transitent par cette chaîne de magasins, qui est très populaire.

A ce propos, je voudrais souligner la particularité de l'écologie en Autriche. En effet, à la différence de l'Allemagne, où l'écologie a toujours entretenu des liens ambigus avec la politique, avec la question du pacifisme, en Autriche, l'écologie est restée relativement neutre politiquement, ce qui a permis des initiatives concrètes, telles que le tri des déchets par les municipalités ou la création d'une véritable industrie, avec notamment le recyclage des usines chimiques.

 
(1) Proposition de résolution n° 35 (1999-2000) de M. Hubert Haenel.
Rapport et proposition de résolution n° 64 (1999-2000) de M. Gérard César pour la commission des Affaires économiques et du Plan.
Résolution européenne TA 44 du 27 novembre 1999.