Réunion de la délégation pour l'Union européenne du jeudi 9 mars 2006


Table des matières

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Économie, finances et fiscalité

Conseil ECOFIN du 14 mars 2006

Audition de M. Thierry Breton,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie1(*)

M. Hubert Haenel :

Je suis heureux, Monsieur le ministre, de vous accueillir au Palais du Luxembourg. Cette audition entre dans le cadre des initiatives prises récemment par le Gouvernement pour mieux impliquer le Parlement dans les questions européennes. Parmi ces initiatives figure la présentation aux délégations et commissions des enjeux ou des résultats des travaux du Conseil à Bruxelles. Au cours d'une première réunion, au Palais Bourbon, le 26 janvier dernier, vous nous avez présenté les résultats du Conseil ECOFIN du 24 janvier. Aujourd'hui, au cours de cette réunion qui rassemble la commission des finances du Sénat et les deux délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat, vous allez évoquer les enjeux du Conseil ECOFIN qui se réunira mardi prochain.

M. Thierry Breton :

Le Conseil ECOFIN du 14 mars 2006 sera précédé la veille d'une réunion de l'Eurogroupe, dont l'ordre du jour comprend l'examen de la situation économique de la zone euro, de la coordination des politiques économiques et financières, de la situation du marché immobilier et des programmes de stabilité des douze États ayant adopté l'euro. Le Conseil ECOFIN devrait préparer le Conseil européen des 23 et 24 mars 2006, essentiellement consacré aux politiques de l'énergie et de la recherche.

Le Gouvernement procède à des échanges constants avec Jean-Claude Trichet, président du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne. Selon l'analyse de cette dernière, la reprise de l'activité économique dans la zone euro rend le moment opportun pour une augmentation des taux d'intérêt. La prévision de croissance de l'économie française avancée par le Gouvernement pour l'année 2006, comprise entre 2 % et 2,5 %, est aujourd'hui compatible avec les prévisions de la plupart des conjoncturistes. L'inflation reste modérée au sein de la zone euro, malgré l'augmentation du prix du pétrole. La Banque centrale européenne n'a pas démenti l'analyse du Gouvernement, selon laquelle celle-ci n'a pas décidé a priori de poursuivre l'augmentation de ses taux d'intérêt, mais se réserve la possibilité de les accroître à nouveau ou non, selon l'évolution de la situation économique. Le ralentissement de l'augmentation des prix de l'immobilier ne remet pas en cause les perspectives de reprise économique. J'ai la volonté de réduire le déficit des administrations publiques, considérant qu'il s'agit d'un élément essentiel du rétablissement de la confiance des acteurs économiques. Je m'efforce de faire partager cette préoccupation à mes collègues.

MM. Jean-Jacques Jégou et Charles-Amédée de Courson, député :

Le gouvernement a effectivement fait un effort de pédagogie : il a parlé. Mais il n'a pas pris les mesures nécessaires pour diminuer le déficit public.

M. Thierry Breton :

Le Gouvernement a organisé, le 11 janvier dernier, une « Conférence nationale des finances publiques », qui a réuni des représentants de l'ensemble des catégories d'administrations publiques, et le Premier ministre souhaite organiser au mois de juin prochain un débat parlementaire sur la manière de réduire le déficit public. Les informations les plus récentes dont dispose le Gouvernement sont compatibles avec un déficit public de 3 % du PIB en 2005, même s'il subsiste encore une marge d'incertitude. La Commission européenne partage cette analyse. Les résultats définitifs seront connus le 1er avril prochain. Lors de ma nomination comme ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le 25 février 2005, la France avait eu un déficit public de 3,6 % du PIB en 2004 ; le déficit public a depuis été réduit d'environ 0,5 point de PIB. Cela n'a pas été facile, en particulier parce que la croissance du PIB en 2005, qui aurait dû être de 2,5 % selon la prévision associée au projet de loi de finances pour 2005, a été de seulement 1,4 %.

L'objectif du Gouvernement est bien de ramener le déficit public à 2,9 % du PIB en 2006, malgré la disparition de la « soulte » des industries électriques et gazières, qui avait permis de réduire le déficit public de 0,5 point de PIB en 2005. Le Gouvernement y parviendra, grâce en particulier à une croissance du PIB plus forte qu'en 2005 et à l'entrée en vigueur de la LOLF. Je compte sur le soutien du Parlement pour m'aider à mieux maîtriser les dépenses publiques, c'est-à-dire, outre celles de l'État, celles des organismes de protection sociale et des collectivités territoriales.

Quant au programme de stabilité 2007-2009, il prend en compte les préconisations du rapport qui m'a été remis en décembre 2005 par la commission présidée par Michel Pébereau, « Rompre avec les facilités de la dette publique ». L'objectif du Gouvernement est de ramener les comptes publics à l'équilibre et l'endettement public à 60 % du PIB à l'horizon 2010.

Enfin, le mémorandum français sur la politique communautaire de l'énergie, qui a été diffusé au sein du conseil ECOFIN et du G8, a été bien accueilli par les partenaires de la France.

M. Jean Arthuis :

Je me réjouis également de cette réunion qui est une première pour l'audition commune du ministre de l'économie et des finances par la commission des finances et les délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je me réjouis également du fait que cette audition commune se fasse, pour la première fois aussi, avant la réunion d'un Conseil ECOFIN. Naturellement, chacun est conscient des enjeux de ce Conseil. Pourriez-vous nous indiquer son ordre du jour, et notamment sa partie non officielle, souvent la plus intéressante, par exemple à propos de la question des offres publiques d'acquisition (OPA) en cours et des remous suscités par le « patriotisme économique » de la France ?

Pour la situation des finances publiques, n'y a-t-il pas un nouveau risque de rappel à l'ordre de la part de la Commission européenne ? Celle-ci s'était déjà exprimée à l'occasion des déficits excessifs constatés en 2002 et 2003. 2005 est une année significative et, au printemps 2006, la Commission aura à statuer pour éventuellement rappeler nos obligations. Pouvez-vous nous donner votre estimation du déficit 2005 ? L'engagement de repasser sous la barre des 3 % a-t-il été tenu ? Y a-t-il encore un solde résiduel au-dessus des 3 % ?

Un programme de stabilité pour la période 2007-2009 vient par ailleurs d'être mis en forme, qui présente quelques différences par rapport à la programmation pluriannuelle des finances publiques 2007-2009 telle qu'elle avait été annexée à la loi de finances pour 2006. L'écart le plus significatif concerne les collectivités territoriales : dans la programmation pluriannuelle des finances publiques, on estimait que leurs comptes se solderait par un déficit de 0,1 %, alors que, dans le programme de stabilité 2007-2009, le solde est positif de + 0,4 %. Comment peut-on arriver à ce résultat compte tenu du dynamisme des dépenses des collectivités locales ? Vous pourriez peut-être également nous éclairer sur les hypothèses de progression des dépenses de sécurité sociale qui sont maintenant ramenées à un niveau très inférieur aux progressions antérieures.

Quant aux moyens d'atteindre l'équilibre des finances publiques, la plupart des plans de nos partenaires sont fondés sur la maîtrise et la réduction des dépenses publiques. Mais, pour l'Allemagne, on constate que ce pays prévoit à la fois une réduction des dépenses publiques et une augmentation des recettes (notamment de la taxe sur la valeur ajoutée). Que pensez-vous de ce plan de l'Allemagne qui prévoit notamment une hausse de la TVA afin de permettre un allègement des charges sociales et de redonner ainsi de la compétitivité au travail ?

Les questions de l'énergie seront-elles également à l'ordre du jour, ce qui pourrait constituer une clé de lecture pour les Offres publiques d'acquisitions (OPA) et restructurations d'entreprises au sein de l'Union européenne ?

M. Thierry Breton :

On parlera certainement de façon informelle des mouvements de concentration en cours. Les choses sont claires, même si elles sont souvent caricaturées à l'étranger, mais aussi chez nous. Les concentrations et les fusions font partie du jeu des affaires. Les offres publiques d'acquisition ne sont pas des actes de guerre : c'est un cadre juridique qui existe pour protéger les actionnaires - notamment les actionnaires minoritaires - quand deux entreprises décident de fusionner. C'est précisément parce que ce cadre existe que ces opérations peuvent se dérouler en optimisant l'intérêt des parties prenantes et des actionnaires de telle sorte que personne ne soit lésé dans ces rapprochements.

Certaines OPA peuvent être hostiles, mais la plupart - 90 % - sont amicales, parce que l'ensemble des actionnaires et des parties prenantes estiment qu'il est dans l'intérêt de leurs mandants - actionnaires, salariés, clients, fournisseurs, collectivités locales et État - d'aboutir à ces rapprochements. Les États sont quelquefois concernés par ces fusions, les collectivités locales le sont souvent, les salariés et les clients le sont toujours. Ils ont donc tous légitimement le droit et le devoir de s'exprimer et d'être interrogés. C'est tellement vrai qu'il est prévu, dans le cadre de la loi, que, lorsque des fusions de cette nature ont lieu, les dirigeants aillent expliquer la nature des projets aux comités d'entreprises, comme j'ai eu l'occasion de le faire à de très nombreuses reprises lorsque je dirigeais des groupes mondiaux. Quand j'étais président de France-Telecom, je suis aussi allé vous voir souvent, parce que c'était mon devoir de rencontrer les collectivités locales et de veiller à ce que toutes les parties prenantes trouvent leur intérêt dans ces opérations.

Lorsqu'on a affaire à des OPA hostiles et que celles-ci peuvent avoir un impact sur l'activité économique, il est légitime que les parties prenantes s'expriment dans le cadre de leurs droits et pouvoirs, notamment pour connaître la nature des projets industriels et pour mesurer l'impact de la fusion sur l'emploi ou la recherche. Par exemple, pour l'OPA entre Mittal et Arcelor, il est normal que certains s'interrogent alors que, deux mois après le début de l'opération, on ne connaît toujours pas le contenu du projet industriel. Nous ne nous prononçons pas pour ou contre l'opération ; nous jouons simplement notre rôle de partie prenante publique, ni plus, ni moins. C'est une position moderne que j'ai eu l'occasion d'exprimer à de nombreuses reprises aux États-Unis et à la City de Londres. C'est une position intelligente, raisonnable et qui est conforme à la défense de nos intérêts. A la fin, ce sont les actionnaires qui décident. Il faut donc qu'ils soient éclairés dans leurs décisions par les avis fournis par les différentes parties prenantes. Quand les États-Unis suggèrent d'en référer au Congrès, parce qu'une entreprise chinoise veut faire une OPA hostile sur une entreprise californienne Unocal, ils se placent aussi dans une logique de défense des parties prenantes ; quand les Britanniques s'émeuvent de l'OPA inamicale engagée par l'entreprise russe Gazprom sur Centrica - qui est sous le contrôle de British Gas -, cela ne me choque pas, car ce n'est pas une réaction protectionniste ; il s'agit simplement de protéger les intérêts des actionnaires dans le cadre d'un mandat légitime.

Dans le domaine de l'énergie, on assiste depuis peu à une accélération des concentrations en Europe et dans le monde. J'ai pu m'en rendre compte en Arabie Saoudite à l'occasion d'entretiens avec les ministres des finances et du pétrole. Personne n'avait anticipé une telle accélération des concentrations dans l'énergie. Cette accélération résulte de la flambée des cours du pétrole et de la nécessité pour les opérateurs de peser pour signer des contrats à long terme avec une stabilité des prix des livraisons. Les grands opérateurs européens - Enel, Suez, Gazprom, GDF, Centrica etc... - ont ainsi engagé une réflexion pour savoir comment se situer dans ce contexte et éventuellement comment se rapprocher.

C'est dans ce contexte que Suez et Gaz de France sont venus me voir, dès le mois d'octobre, pour évoquer cette nouvelle situation et pour envisager des rapprochements. Il est compréhensible qu'Enel ait procédé aux mêmes réflexions et qu'elle ait souhaité un rapprochement avec Suez. J'en ai été informé par le Président de Suez le 9 décembre 2005. A l'époque, je ne voyais pas Enel s'engager dans une démarche hostile, alors que, à la même époque, s'achevait une discussion ouverte dans un bon climat, sous le regard de la Commission, pour permettre à Enel d'entrer progressivement sur le marché français de l'énergie dans les accords avec EDF.

Quelle n'a pas été la surprise des uns et des autres de lire, le 21 février dernier, dans la presse italienne, l'annonce d'une OPA hostile d'Enel sur Suez, annonce confirmée le lendemain par le président d'Enel. Les discussions entre Suez et Gaz de France en ont été accélérées : le premier actionnaire de Suez s'est exprimé le 24 février par un communiqué indiquant qu'il soutenait une fusion totale entre les deux sociétés et le premier actionnaire de Gaz de France en a fait de même le lendemain. Si le Premier ministre de la France a décidé d'annoncer lui-même ce rapprochement, ce rapprochement souhaité par les deux entreprises, c'est tout simplement parce qu'il implique une privatisation de fait de cette société et que cette privatisation ne pouvait être annoncée que par le Premier ministre. Il n'y a dans le cas particulier, ni agressivité, ni hostilité de la France contre un autre pays membre ou contre une entreprise. C'est la vie normale des affaires. Il n'y a aucun protectionnisme. Si cette fusion réussit, alors la France sera dotée des deux leaders mondiaux de l'énergie. Ce sera le juste résultat du travail collectif mené par les Français dans ce secteur depuis cinquante ans.

M. Jean Arthuis :

Ce qui peut justifier l'intervention de l'État, c'est le fait que l'énergie a des conséquences directes sur la santé des États qui ne peuvent pas se désintéresser de leur autonomie en la matière. On est au coeur de ce qui peut relever de la prérogative des États. Aymeri de Montesquiou va d'ailleurs prochainement publier un rapport sur ce sujet. Mais y a-t-il au plan européen - États, gouvernements, ministres de l'économie, des finances et de l'industrie - l'esquisse d'une réflexion collective sur la stratégie à conduire en matière énergétique justifiant l'intervention des États membres ? Faute de quoi, on risque d'assister à une forme de nationalisme qui mettrait en péril l'idée européenne.

M. Thierry Breton :

Il n'y a pas aujourd'hui de vision européenne en matière d'énergie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la France a publié un mémorandum de l'énergie afin de pouvoir aborder les questions que vous soulevez. Si la France est crédible, c'est parce qu'elle a des acteurs importants du monde de l'énergie et aussi parce qu'elle a une véritable politique de l'énergie. Le paradoxe tient au fait que, alors qu'il n'y a aucune directive européenne en la matière, la France a pu apporter des éléments de réponse par le simple jeu de la mobilisation de ses acteurs industriels. Il faut aller très vite. Pour peser sur Gazprom, il faut, non pas des décisions politiques de l'Europe, mais un géant capable de construire des oléoducs pour le gaz liquéfié sur plusieurs routes. Certains peuvent être chagrins de voir que ces deux champions européens sont le résultat de l'histoire française. C'est d'ailleurs la raison qui a conduit le Premier ministre à décider que l'État actionnaire de Gaz de France soutiendrait cette fusion, comme l'a annoncé de son côté le groupe Bruxelles-Lambert pour Suez, parce que ce rapprochement permettra d'aller plus vite. Il y aura de toute manière un débat sur l'énergie au Parlement, puisqu'il faudra modifier la loi de 2004.

M. Hubert Haenel :

Quand aura lieu ce débat ?

M. Thierry Breton :

Il est trop tôt pour le dire. J'ai engagé une très large concertation avec les organisations syndicales pour bâtir le projet social à côté du projet industriel. J'ai décidé de prendre le temps, si bien que je ne peux pas vous donner de réponse aujourd'hui. Il est de notre intérêt d'engager ce débat dans les prochaines semaines pour le mener avant l'été. Mais le jeu des affaires peut aussi faire qu'il y ait une contre OPA, avec projet contre projet, mais c'est la vie des affaires !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale :

Ma première question concerne les perspectives financières pour lesquelles le Conseil européen est parvenu à un accord. Mais le Parlement européen a finalement refusé cet accord. Où en sommes-nous ? Je trouve à ce propos déplorable qu'on ait rogné les crédits de la culture, alors que chacun s'accorde à dire qu'il faut encourager la perception de la dimension européenne par les citoyens. Ma seconde question porte sur l'élargissement de la zone euro. Deux des trois pays candidats (l'Estonie et la Lituanie) ne remplissent pas le critère du taux d'inflation. Envisage-t-on d'assouplir les critères ? Plus généralement, il me semble que la relance d'une Europe en crise devrait venir de l'Eurogroupe. Considérez-vous qu'il soit possible de faire progresser une politique industrielle européenne, ou bien celle-ci doit-elle se limiter à la politique de la concurrence ? À titre personnel, je pense que c'est un domaine où la zone euro a une grande responsabilité.

M. Aymeri de Montesquiou :

La commission des finances a auditionné hier le directeur de l'Agence France Trésor. Si nous avons tous survécu, beaucoup d'entre nous sont sortis malades de cette réunion ! Consternés par les chiffres qui nous ont été assénés. Je suppose que vous connaissez ces tableaux sur l'évolution de la dette de la France. En résumé, on rembourse 40 quand on emprunte 60... Vous avez eu le grand mérite de dire que nous vivions au-dessus de nos moyens. Mais, depuis vos déclarations, qu'a-t-on fait pour rectifier cette situation ? Aujourd'hui, nous empruntons toujours plus. Quand ces emprunts pourront-ils générer des investissements et non couvrir des dépenses de fonctionnement ? C'est une question majeure. L'État est devenu impuissant faute de pouvoir investir. Par ailleurs dans le cadre de l'euro, nos partenaires ne vont-ils pas à un moment ou à un autre nous sanctionner ? Dans quel délai la France va-t-elle pouvoir rééquilibrer son budget ?

M. Denis Badré :

Je m'étonne de ne pas trouver dans l'ordre du jour du prochain Conseil ECOFIN la question des perspectives financières et la façon de sortir de la crise ouverte par la décision du Parlement européen. Comme vous ne pouvez pas ne pas en parler, je profite de l'occasion pour vous redire ce que j'exprime inlassablement depuis des mois : je suis de ceux qui auraient préféré qu'il n'y ait pas d'accord, plutôt que de continuer à s'enfoncer durablement dans la crise avec un budget qui ne peut pas fonctionner dans le cadre d'un système qui dresse les États de l'Union européenne les uns contre les autres en opposant les intérêts nationaux. Pour relancer la construction européenne, il faut retrouver le sens de l'intérêt commun. Il faut retrouver ce que sont les compétences et les politiques de l'Union européenne et leur donner un budget en conséquence. On ne pourra pas continuer longtemps avec un budget alimenté par la France à hauteur de 18 milliards d'euros - dont près de 10 % servent à payer le « chèque britannique ». On ne peut pas non plus continuer avec un budget dont les recettes sont votées par les parlements nationaux et les dépenses votées par le Parlement européen. Il faut aller au bout de la crise pour reconstruire l'ensemble, quitte à prendre six mois de plus pour arrêter les perspectives financières. J'aimerais que ce soit la France qui le propose en remettant sur le tapis le sens de l'intérêt commun, comme pour les dossiers de l'énergie et de la recherche où il doit être possible de bâtir un patriotisme européen et non pas national. Ce qui est bon pour tous est bon pour chacun alors que, à l'inverse, ce qui n'est bon que pour quelques uns est rarement bon pour tous, puisque cela revient à opposer les États les uns aux autres, et partant de là, à détruire l'Europe. Il faut donc tout faire pour privilégier ce qui construit l'Europe et non ce qui la détruit.

M. Jean-Jacques Jégou :

Aymeri de Montesquiou vous a laissé entendre que nous avions vécu en commission des finances une journée un peu éprouvante, le matin avec le Président de la CADES et l'après-midi avec le directeur général de l'agence France Trésor. Heureusement, ces agences sont parfaitement gérées et bien tenues. De cette situation, vous avez parlé de la façon la plus crue et la plus pédagogique. Le rapport Pébereau que vous aviez demandé et qui a été distribué au moment de la trêve des confiseurs n'a pas nécessairement bouleversé les Français. Nous allons continuer à emprunter 119 milliards en 2006 et 162 milliards en 2009 si rien ne change. La Commission européenne, que vous avez séduite, vous a donné quitus pour 2005, mais, en date du 22 février 2006, elle vous demande de réduire d'un quart de point de PIB les dépenses de la France. Ma question est simple : allez vous suivre cette demande ?

M. Jean Arthuis :

En résumé, les projections 2007-2009 sont-elles crédibles ?

M. Thierry Breton :

Le résultat dépendra de nous tous. Cela ne dépend pas seulement des experts du Trésor. Je dis aussi avec beaucoup de modestie que je suis le premier ministre des finances de notre pays à avoir décidé que ces engagements seront pris désormais après consultation de l'ensemble des acteurs de la dépense publique. Vous savez bien que, auparavant, les projections étaient faites par les meilleurs experts de mon ministère et étaient montrées au ministre. Quand elles m'ont été présentées, j'ai dit qu'il s'agissait d'un acte politique et qu'il ne m'appartenait pas de le signer sans me concerter avec ceux qui sont concernés. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu une conférence des finances publiques et que j'ai convaincu le Premier ministre de le faire. C'est la première fois...

M. Jean Arthuis :

Sur le papier, c'est vrai. Mais, sur le contenu, on ne peut pas dire que les collectivités locales aient été vraiment associées à la réduction de 0,5 point de leurs dépenses...

M. Thierry Breton :

C'est la première fois, reconnaissez-le, que ces perspectives, qui étaient jusqu'alors construites par les services, font l'objet d'une discussion avec les acteurs de la dépense publique. C'est peut-être insuffisant et on peut certainement faire mieux. Mais c'est une première et c'est curieux que ce soit un ministre qui vient de la société civile qui, précisément, propose que ces perspectives soient dans la main des politiques. C'est la raison pour laquelle on va aller devant le Parlement au mois de juin pour pouvoir en discuter les modalités et en discuter la crédibilité. Alors, la décision engagera tout le monde et pas uniquement une direction du ministère des finances. Ce que j'ai présenté est ce qui me semble le plus proche de ce qui est faisable ; mais, bien entendu, derrière « le faisable », il faudra « faire » collectivement. Pour arriver au « zéro valeur » en dépenses de l'État sur la période, ce sera douloureux, Messieurs les sénateurs et les députés ! J'ai proposé qu'on arrive au « zéro volume » pour les collectivités locales, ce sera difficile, Messieurs les élus des collectivités locales, mais je pense qu'il faudra que nous prenions ensemble cet engagement. J'ai proposé qu'on finisse à « zéro valeur plus un » pour la santé ; ce sera difficile compte tenu du vieillissement de la population.

Ce n'est pas moi qui vais le faire, car ce sera un engagement collectif de la Nation. J'espère très sincèrement qu'on votera, pour la première fois dans notre histoire républicaine, une réduction à cinq ans des déficits publics. Selon les hypothèses de croissance retenues, l'équilibre budgétaire sera atteint à terme plus ou moins rapproché, de telle sorte que nos maigres excédents pourront alors être réinvestis dans la recherche, dans l'innovation et dans les infrastructures et non pas pour financer la dette. 119 milliards d'emprunts n'est pas pour moi une surprise et cette impasse ne date pas d'aujourd'hui : c'est ce que fait l'État depuis plusieurs années. Je suis heureux que, grâce à ce débat sur la dette publique, certains le découvrent aujourd'hui. C'est un homme des marchés qui vous le dit aujourd'hui : c'est comme cela que la confiance reviendra dans le pays et que la croissance suivra, parce que, aujourd'hui, nos compatriotes sont conscients indirectement qu'il n'est plus possible de continuer ainsi. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle leur taux d'épargne est l'un des plus élevés d'Europe et du monde à près de 15 % ; ils estiment que leurs besoins ne seront pas à l'avenir satisfaits collectivement et qu'ils doivent donc, par conséquent, se créer leur propre système de protection, ce qui bloque l'économie française.

Pour répondre à Denis Badré, il est vrai qu'il est indispensable de commencer à casser la logique du « chèque britannique » ; le mérite de l'accord sur les perspectives financières est de commencer à faire vaciller ce « chèque britannique », système qui est contraire à l'esprit européen que vous avez évoqué. L'ensemble des dépenses, telles que nous les avions voulues en 2003, sont préservées. Mais le vote exprimé par les Français sur le référendum en mai dernier n'a pas non plus renforcé notre position pour remettre en question le système budgétaire européen. La crise que vous avez évoquée aurait pu marginaliser notre pays au profit d'une autre conception de l'Europe. C'est évidemment la position de la France que de vouloir une Europe des projets, comme l'a indiqué Pierre Lequiller, plutôt qu'une Europe de la concurrence. J'ai d'ailleurs vécu comme administrateur de Schneider le drame du refus de la fusion entre Schneider et Legrand sur la base d'une conception dépassée des marchés pertinents ; l'appel devant la Cour de justice de Luxembourg, compte tenu des délais, n'aura malheureusement pas permis de remédier à ce drame.

Je pense avoir répondu à Aymeri de Montesquiou sur la crédibilité du plan quinquennal qui sera discuté devant le Parlement pour réduire l'importance de la dette de la France. S'agissant de l'élargissement de la zone euro, je crois que la Slovénie pourra en faire partie assez rapidement ; en revanche, je crois, à titre personnel, que la situation n'est pas encore mûre pour les deux autres candidats actuels.

Nous sommes bien conscients qu'il faut par ailleurs un débat sur le financement de la sécurité sociale et que celui-ci doit être engagé rapidement. La Commission européenne nous a indiqué par ailleurs qu'il n'y avait plus de difficultés autour des 3 % du déficit budgétaire pour 2005, compte tenu de la tendance des années précédentes. Sur l'année 2006, la Commission a retenu une croissance inférieure à 2 %, qui explique ses réserves sur notre déficit budgétaire ; mais, avec la position de la Banque centrale européenne (BCE), qui voit la croissance se poursuivre, voire s'accélérer en France, nous ne voyons pas de raison de remettre en cause nos prévisions d'un déficit public de 2,9 %.


* Cette réunion s'est tenue en commun avec la commission des finances ainsi qu'avec la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale.