Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 9 avril 2008


Table des matières

-->

Économie, finances et fiscalité

La coordination des politiques économiques en Europe

Présentation par M. Joël Bourdin du rapport d'information
publié au nom de la délégation pour la planification

ANNEXE (Diaporama)

M. Joël Bourdin :

Je suis particulièrement heureux d'avoir l'occasion de présenter à la délégation pour l'Union européenne le rapport que mon collègue Yvon Collin et moi-même avons publié au nom de la délégation du Sénat pour la planification.

Ce rapport sur la coordination des politiques économiques en Europe est un rapport d'étape qui doit être suivi d'un second rapport comportant des propositions concrètes. La prochaine présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er juillet 2008, constitue en effet une opportunité pour aborder cette question. Le rapport propose un diagnostic pour tracer le cadre du débat sur les enjeux et les grandes lignes d'une meilleure coordination des politiques économiques. Il s'agit d'un rapport d'évaluation qui examine trois questions. Quel est le degré de consensus sur la coordination des politiques économiques ? La coordination des politiques économiques en Europe fonctionne-t-elle bien ? Dans la négative, pourquoi cette situation est-elle très préoccupante ?

Faut-il tout d'abord une coordination des politiques économiques en Europe ?

La question est apparemment superflue. La coordination des politiques économiques est consacrée par le traité : les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et ils les coordonnent au sein du Conseil. Il s'agit donc d'un engagement politique qui peut s'analyser comme un substitut à une politique économique qui serait menée au niveau de l'Union européenne.

Mais l'utilité de la coordination est souvent mise en question. Pour certains, la coordination serait, le plus souvent, inutile ; elle serait aussi parfois nuisible. La seule coordination nécessaire serait en fait déjà en place. Pour mettre en cause l'utilité de la coordination, certains s'appuient sur des exercices de simulation macroéconomiques ou sur des raisonnements plus théoriques. La thèse de l'inutilité de la coordination des politiques budgétaires en Europe, au motif de la faible intensité des interactions réelles entre les économies européennes, s'accompagne d'une très grande préoccupation pour les effets monétaires des politiques budgétaires nationales. Le Pacte de stabilité et de croissance poserait ainsi des disciplines nécessaires et suffisantes.

Seconde question : la coordination des politiques économiques fonctionne-t-elle bien ?

La conclusion du rapport est non seulement que la coordination ne fonctionne pas bien, mais encore que ce sont les antagonismes qui prévalent. Le rapport fait en premier lieu le constat d'une absence de coordination systématique des politiques budgétaires conjoncturelles. Malgré des cycles parallèles, les impulsions budgétaires ont été souvent divergentes entre la France et l'Allemagne. Si l'on passe à la dimension structurelle des politiques budgétaires, on relève en outre des divergences de plus en plus fortes. Le panorama est de plus en plus dominé par l'existence d'une forte concurrence fiscale, surtout perceptible pour les assiettes fiscales mobiles (l'imposition des sociétés et des revenus financiers).

La divergence entre la France et l'Allemagne en matière de finances publiques est particulièrement emblématique. Le diagnostic du rapport est que les évolutions budgétaires intervenues en Allemagne ne sont que l'expression d'un climat général en Europe, marqué par des politiques de plus en plus polarisées sur la poursuite d'objectifs de compétitivité et d'attractivité. La concurrence fiscale est générale. Si elle trouve un terrain particulièrement propice avec les assiettes fiscales mobiles - comme les revenus des capitaux mobiliers et des entreprises -, elle se manifeste aussi par des mesures plus ponctuelles dont la « quasi-TVA sociale » allemande est un exemple particulièrement frappant.

Parmi les pays de la Triade (Europe, États-Unis, Japon), l'Europe est ainsi la zone où les impôts sur le capital occupent la place la plus faible dans le total des recettes publiques. Cette situation résulte notamment d'un abaissement constant des taux d'imposition des sociétés, nominaux ou effectifs. Ces tendances sont « payantes » pour les pays les plus agressifs fiscalement. Moins le taux d'imposition est élevé, plus les recettes fiscales sont importantes. On relève aussi que ce sont les « petits pays » qui sont les mieux armés dans cette lutte fiscale. Les assiettes mobiles ne sont pas les seules concernées. D'autres secteurs de la fiscalité sont touchés et l'évolution vers davantage d'impôts indirects et moins d'impôts directs ou de cotisations sociales est caractéristique. Par exemple, la « quasi-TVA sociale » allemande peut être vue comme la résurrection des dévaluations compétitives que nous avons connues avant l'euro et qui sont impossibles aujourd'hui.

Enfin, il est un troisième niveau où règne l'antagonisme économique, celui du partage de la valeur ajoutée, où domine la désinflation compétitive parce que la concurrence entre États membres s'exerce aussi sur les salaires. Le partage de la valeur ajoutée est en effet une des responsabilités les plus importantes des politiques économiques puisqu'elle détermine le partage de la richesse entre salaires et profits et toutes les variables économiques qui vont avec : demande, prix, rentabilité du capital. Sous cet angle, l'Europe présente le visage de la désunion.

Pour l'évolution des coûts salariaux unitaires en Europe, on peut d'ailleurs distinguer trois groupes de pays. Le premier (Grèce, Espagne, Italie...), dans lequel les coûts salariaux unitaires ont augmenté nettement. Le second, dans lequel ils ont baissé très fortement ; le phénomène est particulièrement net en Allemagne. Enfin, le troisième, où ils sont restés presque stables ; c'est le cas notamment de la France. Ces trois groupes correspondent à autant de configurations de partage de la valeur ajoutée dont les deux premières manifestent clairement l'absence de tout souci pour les partenaires. La première configuration semble insouciante de ses effets sur l'inflation domestique et celle de la zone euro : elle pousse les taux d'intérêt à la hausse, ce qui pénalise les pays peu inflationnistes. La seconde, marquée par la désinflation compétitive, exige des sacrifices des salariés domestiques et table sur la capitalisation de parts de marché sur les partenaires.

Pourquoi cette situation est-elle préoccupante ?

Elle l'est surtout parce qu'elle conduit à négliger les gains de la coordination et à subir tous les coûts de l'antagonisme. Il faut avant tout garder à l'esprit que les relations économiques entre les pays de l'Union européenne sont particulièrement étroites ; les échanges entre États membres représentent en effet 65,6 % de leurs échanges internationaux. Dans une Europe sans réelle coordination, les pays ont individuellement intérêt à conduire des politiques égoïstes, notamment de renforcement de leur compétitivité par des politiques de déflation pour gagner des parts de marché sur les partenaires. Mais, si tous les pays agissent ainsi, il ne reste que les pertes résultant de la déflation domestique. Les politiques économiques antagonistes engendrent des coûts élevés, à la fois pays par pays et pour l'ensemble de la zone, car les déséquilibres s'accroissent en Europe et une langueur économique aux effets durables s'installe. Cette situation rompt avec la convergence observée dans les années 90.

Elle témoigne avec éloquence de l'absence de coordination des politiques économiques et en particulier des effets des stratégies de désinflation compétitive. Elles coûtent doublement aux partenaires, par les parts de marché qu'elles leur ôtent et par les conséquences de l'anémie de la demande domestique sur leurs exportations qu'elles provoquent. D'ici au mois de juin, la délégation à la planification va poursuivre ses travaux sur ce sujet et je souhaiterais que la délégation pour l'Union européenne soit associée à la rédaction du nouveau rapport qui sera remis au Président de la République et au Gouvernement avant la présidence française de l'Union européenne.

M. Hubert Haenel :

Je vous remercie pour votre présentation et je ne doute pas que vos travaux vont contribuer à une prise de conscience, en France comme chez nos partenaires, de l'importance de la coordination des politiques économiques en Europe.

M. Robert del Picchia :

Pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), je me demande si l'Allemagne n'a pas en définitive profité d'une situation favorable parce que son taux était plus bas que celui de ses voisins. Elle n'a fait en réalité que procéder à une rectification d'une situation anormale, ce qu'on ne peut pas lui reprocher. Par ailleurs, doit-on déduire de vos propos que vous seriez plutôt favorable à la création d'un ministre européen de l'économie ?

M. Charles Josselin :

Je tiens à exprimer tout l'intérêt que représente à mes yeux la démarche entreprise par la délégation pour la planification, malgré quelques difficultés pour lire certains graphiques. Je m'interroge notamment sur la signification du pic statistique qui apparaît sur l'un des graphiques pour les prélèvements obligatoires en France en 1999. Je trouve particulièrement intéressante la comparaison internationale sur la structure de la fiscalité dans les principaux pays industrialisés, qui répond d'ailleurs à une question que j'avais posée lors d'une récente réunion de notre délégation. Elle montre que la plupart de nos partenaires, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Japon ou le Canada, ont, dans l'ensemble, des prélèvements sur la propriété plus élevés que la France. Le tableau relatif à l'imposition des sociétés montre également les effets pervers de la concurrence fiscale en Europe, un pays comme l'Irlande ayant bénéficié des aides de cohésion tout en menant une politique de dumping fiscal pour attirer chez elle les entreprises étrangères. Je me demande d'ailleurs si l'Irlande pourra un jour rembourser l'Europe de toute l'aide qu'elle a reçue alors qu'elle a mené une politique non coopérative avec ses partenaires. On comprend parfaitement pourquoi les entreprises multinationales ont choisi l'Irlande comme porte-avion pour conquérir le marché européen. D'une manière générale, et malgré l'absence de coopération dans le domaine budgétaire, on constate néanmoins une évolution parallèle des prélèvements obligatoires en France et en Allemagne, au moins pour la période 1995-2000. Le travail entrepris par la délégation pour la planification mérite d'être poursuivi. Il gagnerait aussi en lisibilité grâce à une présentation plus didactique des résultats statistiques, même si des tableaux économétriques ne sont pas aussi faciles à déchiffrer qu'une bande dessinée !

M. Joël Bourdin :

La décision de l'Allemagne de remonter son taux de TVA a été une décision unilatérale qui a eu des effets positifs pour elle et des effets négatifs pour ses voisins. Quant à la création d'un ministre européen de l'économie, il me semble que la question ne peut pas se poser dès lors que l'Europe n'est pas une fédération et que, par ailleurs, son budget n'est que de l'ordre d'un pour cent du produit intérieur brut (PIB) européen. En revanche, il me semble souhaitable que nous fassions des propositions très concrètes pour renforcer la gouvernance européenne dans le domaine de la coordination des politiques économiques.

Il est toujours difficile de présenter clairement les tableaux élaborés par les économistes. Les études qui nous ont été remises étaient d'ailleurs particulièrement complexes à manipuler. Je reconnais que nous devons néanmoins faire des efforts pour en expliquer le contenu. Quant à la politique de dumping fiscal de l'Irlande, il me semble qu'il n'est pas possible de rester sans réagir face à certaines pratiques. C'est bien l'exemple type des conséquences négatives engendrées par l'absence de coordination des politiques économiques en Europe.

M. Denis Badré :

Le même problème existe avec les pays baltes. Est-il possible d'accepter tout à la fois le dumping fiscal et le versement d'aides européennes au titre de la cohésion ? C'est une situation qui peut être temporaire pendant la phase de rattrapage de ces pays, mais qui n'est plus acceptable à partir d'un certain niveau de développement. Dès l'instant où un État membre a atteint le standard moyen européen, on ne devrait plus tolérer qu'il recoure à des dérives non coopératives.

M. Robert del Picchia :

On rencontre actuellement la même situation en Slovaquie. Ce pays bénéficie d'aides de cohésion importantes et, dans le même temps, il attire de nombreuses entreprises qui viennent s'installer chez lui pour ne pas payer d'impôts sur les sociétés.

Mme Catherine Tasca :

On ne peut pas combattre le dumping fiscal sans harmonisation fiscale. De même, la pression sur les salaires, qui a été parfaitement montrée par le rapporteur, ne peut être combattue sans une politique sociale comportant un minimum de normes communes. Avec ces formes de dumping, on constate qu'aucun pays n'est finalement gagnant à long terme.