Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 10 octobre 2006


Table des matières

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Justice et Affaires intérieures

Nouvel accord avec les États-Unis
sur le traitement et le transfert des données des dossiers passagers
(texte E 3257)

Communication de M. Hubert Haenel

Nous devons revenir sur l'accord avec les États-Unis relatif au traitement et au transfert des données des dossiers des passagers de vols aériens (dites « données PNR »), que nous avons déjà examiné lors de notre dernière réunion. Le Gouvernement vient, en effet, cet après-midi, de nous saisir de la version définitive de cet accord, telle qu'elle résulte des négociations entre l'Union européenne et la partie américaine, qui se sont terminées à la fin de la semaine dernière. Et il nous faut nous prononcer dès aujourd'hui car l'accord doit être adopté sans débat jeudi prochain par le Conseil. Or, les autorités américaines ont obtenu que des modifications soient apportées au contenu de cet accord, par rapport à la version que nous avons examinée.

Lors de notre débat du 19 septembre dernier, nous avions noté que les autorités américaines, compte tenu des tentatives d'attentats terroristes intervenues récemment sur des vols transatlantiques, souhaitaient revenir de manière significative sur les garanties qui figuraient dans l'accord de mai 2004. Et cela alors même que nous estimions que ces garanties n'étaient pas suffisantes, notamment à propos de l'utilisation et de la destruction des données.

Quel a été le résultat de la négociation de cet accord, qui - je le rappelle - est un accord intérimaire qui ne sera valable que jusqu'au 31 juillet 2007 ?

Les engagements de mai 2004 sont confirmés et ne sont pas amendés. Cela signifie que nous n'avons pas obtenu l'amélioration des garanties que nous souhaitions, mais que les négociateurs américains ont dû renoncer à l'accès direct d'autres agences américaines aux données et au droit d'utiliser des données sensibles, comme les préférences alimentaires ou des éléments sur la santé par exemple.

En revanche, la déclaration d'interprétation annexée à l'accord introduit une souplesse supplémentaire dans les engagements pris par les États-Unis. Ainsi, alors qu'il avait été convenu dans la déclaration d'engagements que les autorités américaines se limiteraient à une liste de 34 données, excluant notamment les données sensibles, il est indiqué dans cette lettre que « les engagements autorisent le département de sécurité intérieure à ajouter des éléments aux 34 initialement prévus (...), si ces données sont nécessaires » pour prévenir et combattre le terrorisme et d'autres formes graves de criminalité. De plus, en cas de mise en place d'un système de filtre par l'Union européenne, la conception du système devra permettre l'envoi aux autorités américaines de toutes les données PNR, je cite : « lorsque des circonstances exceptionnelles rendent strictement nécessaire une communication accrue afin d'écarter une menace pour les intérêts vitaux de la personne à laquelle se rapportent ces données ou d'autres personnes ». Il est d'ailleurs précisé que cette expression peut comprendre les cas où la personne est susceptible d'être porteuse d'une maladie contagieuse grave ou y avoir été exposée. En outre, les autorités américaines auront une plus grande latitude pour accéder à ces données. Certes, l'accès de ces données sera toujours limité au seul Bureau des douanes et de la protection des frontières du département de sécurité intérieure. Mais, dorénavant, celui-ci pourra transmettre ces données de manière plus souple à d'autres agences chargées de la lutte contre le terrorisme. En effet, les autorités américaines considèrent que le partage de ces informations entre les différentes agences est essentiel pour une lutte efficace contre le terrorisme.

Dans ce contexte, que faut-il penser de cet accord ?

Certes, cet accord, comme le précédent, n'est pas satisfaisant en ce qui concerne la protection des données. Il se situe même en deçà à propos de la protection des données personnelles, étant donné que les autorités américaines ont obtenu un certain assouplissement dans l'interprétation des engagements qu'elles avaient pris précédemment. Mais les négociateurs européens sont néanmoins parvenus à maintenir ces engagements et à limiter les demandes de la partie américaine, qui était pourtant en position de force. De plus, cet accord n'est qu'un accord provisoire et il devra faire l'objet d'une renégociation au cours de l'année 2007.

Tout laisse à penser que c'est lors de la renégociation de cet accord que l'essentiel devra se jouer. Ainsi, la question de la durée de conservation des données PNR, qui est fixée à trois ans et demi, sur laquelle les autorités américaines voulaient revenir car elles estiment qu'elle est beaucoup trop courte, a été renvoyée aux discussions futures relatives à la renégociation de l'accord. Je considère donc que nous devrions rappeler au Gouvernement les préoccupations que nous avions exprimées, notamment au sujet des garanties concernant l'utilisation et la destruction des données PNR.

En revanche, on peut relever un point positif. En effet, la mention d'après laquelle « en cas de divergence d'interprétation, la version anglaise est déterminante », sur laquelle nous avions émis des doutes à propos de sa conformité à la Constitution et dont nous demandions la suppression, a été retirée à la demande du gouvernement français et on doit s'en féliciter.

Enfin, dans nos conclusions, nous avions tenu à réaffirmer la position selon laquelle les accords conclus sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne devaient faire l'objet d'une procédure de ratification parlementaire. Compte tenu des conditions de notre saisine aujourd'hui, cette position me paraît d'autant plus justifiée. En effet, le caractère extrêmement bref du délai dont nous disposons pour nous prononcer exclut le dépôt d'une proposition de résolution et toute discussion en séance publique. Et cela, alors que le Gouvernement s'était précédemment engagé à tenir le plus grand compte de l'avis des assemblées à propos des accords conclus sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne. Il me paraît donc indispensable que cet accord, qui porte sur un sujet sensible et qui concerne directement les droits individuels, soit soumis au Parlement pour un débat et pour un vote conditionnant son approbation. Cela permettrait, en effet, la tenue d'un débat au Parlement sur cet accord, sans pour autant retarder sa conclusion, puisque l'article 24 du traité prévoit la possibilité d'une application provisoire.

Je vous proposerai donc d'adopter des conclusions qui feraient état de ces préoccupations.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert Del Picchia :

Dans cette affaire, le Parlement européen n'a qu'à s'en prendre à lui-même. S'il n'avait pas fait de recours contre l'accord précédent, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

M. Hubert Haenel :

Il est vrai que la partie américaine était en position de force puisque l'Union européenne s'est trouvée amenée, en raison de la décision de la Cour de justice, à demander la négociation d'un nouvel accord. De plus, il existe un vide juridique depuis le 1er octobre et un échec des négociations risquait d'entraîner de lourdes sanctions à l'encontre des compagnies aériennes européennes, pouvant aller jusqu'au retrait de leurs droits d'atterrissage.

M. Robert Del Picchia :

Il avait été convenu, dans le cadre du précédent accord, que les autorités américaines pouvaient accéder directement aux systèmes de réservation des compagnies aériennes afin d'y collecter les données PNR (ce qu'on appelle un système « pull ») jusqu'à la mise en place par les compagnies aériennes d'un système permettant le transfert des données (ce qu'on appelle un système « push »).

Le nouvel accord comporte-t-il des modifications sur ce point ?

M. Hubert Haenel :

La lettre des autorités américaines annexée à cet accord précise que « le département de sécurité intérieure adoptera dès que possible un système d'envoi automatique pour le transfert des données PNR conformément aux engagements ». Cette adoption aurait pour effet de substituer un système dit « push » au système dit « pull ».

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Avant toute chose, je déplore que nous soyons saisis à nouveau dans l'urgence d'un texte de cette importance, qui porte sur un sujet sensible et qui touche directement aux droits individuels et à la vie privée. Je rappelle que les données PNR peuvent contenir des informations sensibles, ayant trait par exemple aux préférences alimentaires, à l'état de santé ou aux convictions religieuses des passagers de vols aériens.

Parmi la liste des trente-quatre données, on trouve aussi des adresses, des numéros de téléphone, des numéros de carte bancaire, l'historique des voyages, ce qui me paraît disproportionné et ce qui constitue une violation du respect de la vie privée. De plus, les garanties apportées en matière de protection des données personnelles, notamment de durée de conservation de ces données, me paraissent très insuffisantes. Par ailleurs, la négociation était déséquilibrée puisque les compagnies aériennes européennes étaient placées sous la menace du retrait de leurs droits d'atterrissage.

Ce nouvel accord est inacceptable à mes yeux et je m'abstiendrai donc sur les conclusions que vous nous proposez.

M. Paul Girod :

Il faut savoir que, dans cette affaire, la France est un peu isolée au sein de l'Union européenne en raison de la position de certains de nos partenaires européens, soucieux de ménager leurs relations avec les États-Unis, y compris au Parlement européen. Ainsi, hier après-midi, lors d'un déplacement à Bruxelles, nous avons entendu de la bouche d'un parlementaire européen espagnol, pourtant membre du PSE, que les demandes américaines étaient parfaitement légitimes.

Les États-Unis ne sont d'ailleurs pas le seul pays qui met des conditions particulières pour autoriser l'entrée sur son territoire. Je rappelle que pour être autorisé à entrer sur le territoire de certains pays du Proche-Orient, il est parfois nécessaire d'avoir deux passeports.

Enfin, je pense que nous devrions mettre l'accent, dans nos conclusions, sur les garanties en matière de réciprocité, qui sont d'une nature différente de celles qui concernent la protection des données.

M. Bernard Frimat :

Comme cela a déjà été mentionné, je considère que les conditions dans lesquelles nous sommes appelés à nous prononcer sur cet accord ne sont pas satisfaisantes et je m'interroge sur la portée de notre examen d'aujourd'hui. De plus, le contenu de cet accord est profondément inégalitaire puisque les États-Unis sont parvenus à imposer leurs vues aux Européens. D'ailleurs, plusieurs États membres de l'Union européenne avaient annoncé qu'ils étaient prêts à autoriser l'accès à ces données en cas d'échec des négociations dans le cadre d'accords bilatéraux.

Je comprends certes votre démarche consistant à obtenir des garanties dans le cadre de la renégociation de cet accord, mais je pense que nous devrions marquer plus fortement notre désaccord, tant sur la forme, compte tenu des conditions de notre saisine, que sur le contenu de l'accord, qui ne sont pas satisfaisants.

C'est la raison pour laquelle les membres de mon groupe s'abstiendront sur les conclusions que vous nous proposez.

Mme Catherine Tasca :

Ce qui me choque profondément dans cette affaire c'est qu'on ne peut pas véritablement parler de « négociations » puisque nous sommes ici en présence d'une preuve flagrante d'unilatéralisme de la part des États-Unis.

Tout en partageant la position de mon groupe, je suggérerais donc de manifester plus fortement notre préoccupation au sujet du contenu de cet accord et notamment de la lettre annexée à celui-ci.

*

À l'issue de ce débat, le groupe socialiste s'abstenant, la délégation a adopté, sur proposition de son président Hubert Haenel et en tenant compte des modifications proposées par Mme Catherine Tasca et M. Paul Girod, les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne du Sénat,

Vu le projet de décision du Conseil relative à la signature d'un accord entre l'Union européenne et les États-Unis sur le traitement et le transfert de données PNR par des transporteurs aériens au ministère américain de la sécurité intérieure (texte E 3257),

1. Déplore que les déclarations d'engagements des autorités américaines ne figurent pas dans le corps même de l'accord et que la lettre annexée à cet accord introduise une plus grande souplesse dans l'interprétation de ces engagements par les autorités américaines ;

2. Se félicite de la suppression de la disposition de l'accord selon laquelle « en cas de divergences d'interprétation, la version anglaise est déterminante » ;

3. Constate que la renégociation la plus importante portera sur l'accord qui devra entrer en vigueur au 1er août 2007 et demande au Gouvernement :

- de veiller à ce que cet accord contienne des garanties accrues en matière de protection des données, notamment une liste de données ne comprenant que celles qui sont strictement nécessaires aux finalités de l'accord et excluant les informations sensibles, une période de conservation des données collectées courte et proportionnée au terme de laquelle ces données seront détruites, ainsi que la mise en place d'un système de transfert de ces données se substituant à l'actuel accès direct des autorités américaines à ces données ;

- de veiller à ce que l'accord comporte des garanties en matière de réciprocité ;

4. Réaffirme son souhait que les accords conclus sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne soient soumis à l'Assemblée Nationale et au Sénat pour approbation.

Justice et Affaires intérieures

Préparation de la Pologne et de Malte
à leur adhésion à l'espace Schengen

Compte rendu de leurs missions
par M. Robert Del Picchia et Mme Alima Boumediene-Thiery

M. Hubert Haenel :

Avant de laisser la parole à nos collègues Robert Del Picchia et Alima Boumediene-Thiery pour qu'ils nous présentent le compte rendu de leurs déplacements, je voudrais rappeler brièvement le contexte de leur mission.

Comme vous le savez, l'adhésion, le 1er mai 2004, des dix nouveaux États membres à l'Union européenne n'a pas entraîné leur participation pleine et entière à l'espace Schengen et la levée des contrôles aux frontières intérieures avec ces pays. En effet, comme pour la zone euro, l'adhésion à l'espace Schengen nécessite une décision prise par les États participants, à l'issue d'une évaluation de la capacité de ces pays à assumer leurs obligations. Je précise que cette évaluation se fera au cas par cas et qu'il reviendra aux États membres de l'espace Schengen de décider à l'unanimité de la participation de tel ou tel État.

Les nouveaux États membres se sont engagés, lors des négociations d'adhésion, à reprendre l'intégralité de l'acquis de Schengen. Cet acquis concerne pour l'essentiel des dispositions qui visent à assurer un contrôle efficace aux frontières extérieures, notamment en matière de visas, de règles relatives au franchissement des frontières extérieures, de coopération policière et judiciaire ou encore de lutte contre l'immigration clandestine.

Pour la participation à l'espace Schengen, la connexion des nouveaux États membres au Système d'information Schengen (le « SIS ») est également requise. En effet, le SIS contient des informations relatives aux personnes signalées aux fins de non admission, c'est-à-dire qui ne peuvent pas pénétrer dans l'espace Schengen. Or, le système actuel, qui contient près de quinze millions de données, ne dispose pas de capacités suffisantes pour assurer l'accès des nouveaux États membres. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de remplacer le SIS par un système dit de deuxième génération (le « SIS II »), dont la mise en place à été confiée à la Commission européenne. Je rappelle que le coût de la mise en place du SIS II est estimé à plus de 200 millions d'euros sur la période 2007-2013, financé par le budget de l'Union européenne, c'est à dire près de 30 millions d'euros par an, soit dix fois plus que le budget actuel du SIS.

Jusqu'à une date récente, la Commission considérait que le « SIS II » pourrait entrer en service en mars 2007 et que l'adhésion des nouveaux États membres à l'espace Schengen pourrait intervenir dès octobre 2007. Or, la Commission européenne vient d'annoncer, il y a quelques jours, que, en raison de difficultés techniques, la mise en place du SIS II ne pourrait être réalisée qu'en 2008, ce qui aurait pour effet de retarder l'entrée des nouveaux États membres dans l'espace Schengen d'au moins une ou deux années et donc qu'elle pourrait intervenir au mieux en 2008 ou en 2009.

Cette déclaration a provoqué de très vives réactions parmi les gouvernements des nouveaux États membres, qui ont fait de la levée des contrôles aux frontières intérieures une priorité. Certains responsables, comme les Premiers ministres polonais et slovaque, ont d'ailleurs imputé ce retard à la mauvaise volonté des anciens États membres.

En réalité, cette affaire est comparable à la polémique suscitée à propos de la libre circulation des travailleurs salariés originaires de ces pays. Les nouveaux pays ont, en effet, le sentiment d'être traités par les anciens comme des membres de seconde catégorie.

Dans ce contexte, la question de l'évaluation des capacités des nouveaux États membres à mettre en oeuvre l'acquis de Schengen prend un relief particulier. En effet, il ne faudrait pas donner le sentiment aux citoyens que la suppression des contrôles aux frontières intérieures peut conduire au développement de la criminalité organisée et de l'immigration illégale. Car sinon cela risque de se retourner contre l'idée européenne.

M. Robert Del Picchia :

Je me suis rendu, du 10 au 13 juillet derniers, en Pologne pour évaluer l'état de préparation de ce pays à son adhésion à l'espace Schengen.

Le choix de la Pologne ne tient pas au hasard. Ce pays a, en effet, une responsabilité particulière, puisqu'il dispose de la plus longue frontière extérieure terrestre des nouveaux États membres. Cette frontière compte près de 1 200 kilomètres avec l'enclave russe de Kaliningrad, la Biélorussie et l'Ukraine. De plus, la majeure partie de cette frontière, située en zone rurale ou forestière, a été tracée d'un trait de plume par Staline après la deuxième guerre mondiale, sans l'appui d'une frontière naturelle. Elle est donc très difficile à contrôler, d'autant plus que le nombre de personnes qui la franchissent chaque année est très élevé. Il était de l'ordre de 30 millions au cours de l'année 2005, soit plus de 80 000 personnes par jour en moyenne.

Au cours de mon déplacement, je me suis entretenu avec les responsables des différents ministères concernés et le directeur général de la garde frontière. J'ai également visité deux postes frontaliers avec l'Ukraine. Je voudrais, à cet égard, saluer la grande disponibilité dont ont fait preuve les autorités polonaises et les services de l'ambassade de France en Pologne, en particulier notre attaché de sécurité intérieure, qui réalise un travail remarquable. J'ai aussi rencontré les représentants des organisations non gouvernementales spécialisées sur ces questions. Enfin, j'ai profité de ce déplacement pour m'entretenir avec les responsables de l'Agence européenne de gestion des frontières « Frontex », qui a son siège à Varsovie.

Avant de vous parler de la Pologne, je voudrais d'ailleurs vous donner brièvement le sentiment que je retire de ma visite à Frontex.

I - FRONTEX

L'idée de cette agence avait été lancée lors du Conseil européen de Séville en juin 2002 et le règlement portant création de cette agence avait été adopté par le Conseil en octobre 2004. Frontex n'a toutefois commencé à fonctionner véritablement que l'année dernière. En effet, il a fallu de longs mois aux États membres pour se mettre d'accord sur le siège de cette agence et sur son directeur. En définitive, il a été convenu que l'agence aura son siège à Varsovie et un directeur, de nationalité finlandaise, a été désigné.

L'agence a principalement une mission d'analyse et d'évaluation des risques, ainsi qu'un rôle d'assistance aux États membres, notamment en matière de formation. Bien qu'il soit un peu tôt pour porter une appréciation d'ensemble sur le fonctionnement de cette agence, je dois vous dire que mes entretiens avec les responsables de Frontex m'ont laissé un sentiment mitigé. En effet, j'ai eu le sentiment de me retrouver face à un organisme bureaucratique, un peu à l'image d'Europol.

Certes, l'agence ne dispose que de soixante agents et son budget est limité puisqu'il s'élève à douze millions d'euros pour 2006. Le directeur de Frontex prévoit d'ailleurs de multiplier par deux les effectifs et par trois le budget dans les prochaines années. De plus, l'agence ne dispose pas de compétences pour organiser des patrouilles conjointes ou des vols groupés européens, qui restent soumis à la bonne volonté des États membres.

Mais j'ai eu le sentiment que l'essentiel de l'activité de l'agence se résumait à l'élaboration de rapports ou d'études, et qu'elle n'était pas assez tournée vers l'opérationnel. On est donc loin de la police européenne des frontières qui était préconisée par le Sénat et qui a été proposée récemment par le ministre français de l'intérieur. Par ailleurs, je regrette qu'aucun Français n'occupe un poste de responsabilité au sein de l'agence.

II - L'ÉTAT DE PRÉPARATION DE LA POLOGNE À SON ADHÉSION À L'ESPACE SCHENGEN

Dans son dernier rapport de suivi de 2003, la Commission européenne considérait que la Pologne devra consentir des efforts considérables, après son adhésion, en matière de contrôles aux frontières avant d'être en mesure d'adhérer à l'espace Schengen. En effet, avant la chute du mur, le contrôle des frontières polonaises était sous la responsabilité des troupes du Pacte de Varsovie. Par ailleurs, le rôle de la garde frontière polonaise consistait moins à surveiller l'entrée sur le territoire, que d'empêcher les ressortissants de ce pays de s'enfuir à l'ouest. L'essentiel des effectifs de la garde frontière polonaise était d'ailleurs concentré à la frontière occidentale avec la République démocratique allemande et la Tchécoslovaquie.

Les autorités polonaises ont donc été amenées, ces dernières années, à réformer profondément le système de surveillance des frontières.

La garde frontière, qui faisait auparavant partie de l'armée et qui était composée de conscrits, a été progressivement démilitarisée et transformée en force de police. Ses effectifs, qui étaient largement insuffisants, ont été augmentés, avec le recrutement de 1 300 agents par an ces quatre dernières années et affectés en priorité à la frontière orientale. Au total, la garde frontière polonaise compte aujourd'hui environ 15 800 agents et ses effectifs devraient atteindre 18 000 à la fin de l'année. Le recours aux appelés du contingent devrait être supprimé en 2007. On peut toutefois regretter que seulement 7 000 agents soient actuellement affectés à la frontière orientale.

La garde frontière polonaise a reçu de nouvelles compétences de police judiciaire pouvant être exercées sur l'ensemble du territoire. Ainsi, j'ai été surpris d'apprendre que les agents de la garde frontière pouvaient se rendre dans les universités pour contrôler si les étudiants étrangers y étaient effectivement inscrits.

Les salaires des gardes-frontières vont de 300 euros pour une jeune recrue à 1 200 euros par mois pour un général. Afin de lutter contre la corruption, qui reste un problème récurrent, un corps d'inspection a été créé avec des compétences étendues. On peut cependant regretter que le recrutement des gardes-frontières se fasse sur une base régionale, ce qui favorise certes les contacts avec la population locale, mais ce qui est aussi propice à toutes sortes de dérives.

Le nombre de postes-frontières a été augmenté, ce qui a permis de réduire la distance entre chaque poste, qui est passée de 100 km à 20 km en moyenne. J'ai ainsi pu visiter deux de ces postes-frontières, situés à la frontière avec l'Ukraine, l'un doté des équipements les plus modernes, l'autre beaucoup plus ancien et moins bien équipé.

La Pologne a reçu une aide financière importante de la part de l'Union européenne, de l'ordre de 150 millions d'euros, ayant permis de doter la garde-frontière des équipements les plus perfectionnés, tels que des caméras de détection thermique, des véhicules tout terrain, des hélicoptères, ainsi que plusieurs systèmes de détection de palpitations cardiaques permettant de détecter les personnes dissimulées dans des camions.

Il n'en demeure pas moins que l'efficacité des contrôles sur la frontière verte (c'est-à-dire la zone située entre les postes-frontières) demeure problématique en raison de l'absence de système de contrôle radar. L'installation de caméras thermiques sur pylônes le long de la frontière orientale reste encore à l'état de projet.

Sur les 30 millions de personnes qui ont franchi la frontière orientale en 2005, la garde-frontière a refusé d'admettre sur le territoire environ 40 000 étrangers. En 2005, environ 4 000 étrangers en situation irrégulière ont été appréhendés sur le territoire et 5 500 ont fait l'objet d'une reconduite à la frontière. Le nombre d'étrangers en situation irrégulière présents en Pologne serait situé dans une fourchette allant de 10 000 à 20 000, d'après les représentants des ONG que j'ai rencontrés.

Cette immigration illégale concerne, dans une très large proportion, des Ukrainiens et des Russes. 90 % des 1,3 million de visas délivrés par la Pologne chaque année concernent des ressortissants de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie, et on trouve d'ailleurs dans ces pays des minorités polonaises. À cet égard, l'instauration des visas pour les ressortissants de ces pays, qui résulte de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne, ainsi que le relèvement récent du coût du visa Schengen, semblent avoir eu pour effet une baisse notable de l'immigration en provenance de ces pays. Ainsi, le nombre d'ukrainiens qui se rendent chaque année en Pologne est passé de 450 000 à 150 000 depuis 2004. La plupart d'entre eux ne semblent pas vouloir s'installer définitivement en Pologne. Ils viennent pour quelques jours ou quelques semaines pour travailler au noir. Ils pourraient toutefois être tentés de rester et de circuler sur le territoire de l'Union européenne une fois que la Pologne aura adhéré à l'espace Schengen.

En revanche, la Pologne paraît peu concernée par l'immigration illégale en provenance d'Afrique ou d'Asie. Face au renforcement des contrôles à la frontière polonaise, il semblerait que les filières d'immigration clandestine privilégient d'autres voies, plus au Sud, comme la route des Balkans. On peut toutefois relever la présence en Pologne d'une petite communauté vietnamienne et l'arrivée de Tchétchènes, qui viennent demander l'asile politique en Pologne.

Si la Pologne ne semble pas confrontée à un afflux massif d'immigrants clandestins, le trafic de marchandises est en revanche florissant à la frontière orientale. Le trafic d'essence, d'alcool et de cigarettes à la frontière orientale a connu une véritable explosion ces dernières années, en raison de la différence de niveau de vie des deux côtés de la frontière. Ainsi, une cartouche de dix paquets de cigarettes coûte moins de dix euros en Ukraine, soit le prix de deux paquets en France. De même, lors de ma visite sur place, j'ai eu la surprise de constater que, parmi la longue file de voitures attendant le passage de la frontière du côté ukrainien, environ une voiture sur deux était du modèle « Volkswagen Passat ». Lorsque j'ai interrogé un garde-frontière sur ce point, il m'a précisé que c'est ce type de voiture qui avait le plus grand réservoir de carburant, pouvant contenir 120 litres. Les autorités polonaises semblent fermer les yeux sur ce petit trafic, au demeurant légal, qui est le fait de frontaliers, qui effectuent plusieurs allers et retours par jours (on les surnomme « les fourmis »), et qui alimente l'économie parallèle dans cette région, qui est la plus pauvre du pays (20 % de chômage). En sens inverse, on peut relever une recrudescence du trafic de voitures volées, qui sont acheminées vers l'Est avec la complicité plus ou moins passive des gardes-frontière ukrainiens.

Si la coopération avec les États de l'Union européenne, notamment dans le cadre du « G6 », qui regroupe les ministres de l'intérieur des six pays les plus peuplés, est jugée satisfaisante, la coopération avec les autorités des pays voisins sur la frontière orientale est plus problématique, notamment avec la Biélorussie et la Russie avec lesquels il n'existe pas d'accords de réadmission. Enfin, comme me l'ont réaffirmé mes interlocuteurs, la Pologne reste fortement opposée à l'idée de créer une « police européenne des frontières », pour des raisons liées à la souveraineté nationale.

En définitive, je retire de ce déplacement le sentiment que les autorités polonaises ont fait des efforts très importants pour renforcer les contrôles à la frontière orientale et une impression globalement favorable sur l'état de préparation de ce pays à sa future adhésion à l'espace Schengen, même s'il reste encore des progrès à accomplir, notamment pour la modernisation de certains postes-frontières, ainsi qu'en matière de recrutement et de salaires des gardes-frontières afin de prévenir tout risque de corruption. À titre de comparaison, la situation me semblait beaucoup plus préoccupante lorsque je m'étais rendu à la frontière entre la Slovaquie et l'Ukraine en juillet 2004. Les rapports d'experts concernant l'évaluation Schengen de la Pologne ont d'ailleurs été jusqu'à présent globalement positifs.

C'est la raison pour laquelle je comprends la réaction des autorités polonaises à l'annonce du report de cette adhésion par la Commission européenne en raison de retards techniques dans la mise en oeuvre du Système d'information Schengen de deuxième génération. Je voudrais à cet égard rappeler que, dans la résolution que le Sénat avait adoptée à mon initiative au sujet du SIS II, nous nous étions opposés à l'idée de confier la gestion de ce système à la Commission européenne. Cette affaire me paraît illustrer le bien fondé de notre position.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Robert Del Picchia et moi avons effectué un déplacement à Malte, du 17 au 20 septembre derniers, pour évaluer l'état de préparation de ce pays à son adhésion à l'espace Schengen.

Au préalable, je voudrais dire que si j'ai accepté de participer à cette mission, cela ne modifie pas pour autant mes fortes réserves, et celles des Verts, à l'égard de l'accord Schengen. Je suis naturellement profondément attachée au principe de libre circulation des personnes, qui doivent pouvoir circuler au même titre que les capitaux et les marchandises. Dès lors, je ne saurais accepter le projet de créer une « Europe forteresse » et l'idée d'établir de nouveaux murs, notamment entre les deux rives de la Méditerranée. Par ailleurs, au regard des libertés et droits fondamentaux, nous exprimons de fortes préoccupations au sujet du système d'information Schengen (SIS), qui permet le fichage de plus de 1,5 million d'individus, sans aucune garantie quant à leur utilisation et sans véritable contrôle parlementaire, car n'oublions pas que le SIS reste un outil de coopération policière, sous responsabilité communautaire, mais placé sous l'autorité des États. En outre, nous sommes totalement opposés à ces « centres » pour demandeurs d'asile, créés à l'extérieur de l'Union européenne, qui délègue « le sale boulot » aux pays du Sud, les plus vulnérables et loin d'être respectueux des Droits Humains dans leur pratique, engendrant des drames comme à Ceuta et Melilla, il y a un an.

Après ces précisions, je rappellerai brièvement la situation de ce pays avant d'en venir au compte rendu de notre déplacement.

I - LA SITUATION DE MALTE

Malte est un archipel composé de deux îles principales, situé à environ 100 kilomètres au sud de la Sicile, 290 kilomètres à l'est de la Tunisie et 340 kilomètres au nord de la Libye. Avec 400 000 habitants pour 316 km², c'est le plus petit pays de l'Union européenne et il connaît l'une des plus fortes densités au monde (1 200 habitants au km²). Les chevaliers de l'Ordre de Malte ayant régné sur l'île pendant plusieurs siècles, la population maltaise est à plus de 95 % catholique, qui est la religion d'État. Malte ayant été une colonie de la Grande-Bretagne, le système politique en est inspiré avec deux grands partis : le parti nationaliste, actuellement au pouvoir, et le parti travailliste. Bien que ce dernier ait pendant longtemps milité contre l'adhésion de Malte à l'Union européenne, cette adhésion fait depuis le 1er mai 2004 l'objet d'un consensus. Ce pays a d'ailleurs ratifié le traité constitutionnel en juillet 2005.

Ce consensus s'étend à l'adhésion de Malte à l'espace Schengen, comme d'ailleurs à son entrée dans la zone euro. Mais les déceptions sont telles que, à ce jour, il n'est pas certain qu'un référendum irait dans le même sens ! Compte tenu de la place du tourisme dans l'économie maltaise (35 % du PIB), les personnalités maltaises se sont déclarées très préoccupées par les retards relatifs à la création du Système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II), et par un éventuel report de l'adhésion des nouveaux États membres dans l'espace Schengen.

II - LES PRÉPARATIFS DE MALTE EN VUE DE SON ENTRÉE DANS L'ESPACE SCHENGEN

Durant ces trois jours, nous avons eu de nombreux entretiens avec les autorités maltaises : le Vice-premier ministre, qui est en charge à la fois du portefeuille de la justice et de l'intérieur, le ministre délégué à la défense, le Président du Parlement ainsi que des parlementaires issus de la majorité et de l'opposition. Nous avons eu aussi plusieurs réunions avec les services concernés et le représentant du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). L'Ambassade de France et la partie maltaise ont fait preuve d'une grande disponibilité, même si je regrette que ma demande de visiter un centre de rétention ait été refusée par les autorités maltaises.

En revanche, nous avons pu visiter plusieurs installations : l'unique aéroport, l'unique port maritime, le quartier général de la police ou encore des forces armées maltaises, ainsi qu'un patrouilleur de la marine maltaise.

Malte ne disposant pas de frontières terrestres, la surveillance des frontières se fait à l'aéroport et sur mer. Les travaux d'aménagement des sites en vue d'établir des couloirs séparés pour les passagers en provenance ou en direction de l'espace Schengen et les autres sont en cours. Ils devraient être achevés en décembre 2006 pour le port et en mars 2007 en ce qui concerne l'aéroport.

Malte ne dispose pas d'un corps de gardes-frontières ou de gardes-côtes spécialement chargé du contrôle des frontières. Cette tâche est assurée conjointement par la police maltaise et par les forces armées maltaises. Il n'existe d'ailleurs pas de stratégie générale de gestion des frontières, ni d'analyse des risques.

Au sein de la police, le service chargé de l'immigration comprend environ 110 agents, dont seulement 43 officiers de police, répartis par moitié entre l'aéroport et le port maritime. Les forces armées maltaises disposent de trois patrouilleurs et de plusieurs embarcations rapides, ainsi que de deux avions à hélices, peu performants, et de trois hélicoptères alouettes d'un modèle ancien.

Les militaires que nous avons rencontrés ont fait valoir les difficultés auxquelles ils se heurtent dans leur travail, notamment en raison de leur manque de matériel moderne. En effet, la zone de surveillance recouvre non seulement les eaux territoriales, c'est-à-dire une zone de 3 800 km², mais aussi un vaste trapèze de plus de 200 000 km² qui s'étend de la Tunisie jusqu'en Grèce, pour lequel Malte est responsable du sauvetage en mer. Or, étant donné qu'il n'existe pas actuellement de système de radars à terre permettant de couvrir toute la zone, les embarcations chargées de migrants clandestins ne peuvent être repérées qu'à une distance réduite de deux ou trois kilomètres, ce qui empêche l'arrivée rapide des secours. En effet, les forces armées maltaises n'ont pas le droit d'intercepter ces navires en haute mer, mais sont uniquement chargées de les secourir, en cas d'urgence, ou en cas de refus de leur part, de les accompagner jusqu'à leur entrée dans les eaux territoriales italiennes.

III - LA QUESTION DE L'IMMIGRATION ILLÉGALE

Durant tout notre séjour, l'adhésion à l'espace Schengen a presque été éclipsée par la question de l'immigration illégale. En effet, depuis 2002, Malte est confrontée à un nombre croissant de migrants clandestins arrivant par bateau dans des conditions effroyables. Phénomène parfois même un peu exagéré quant à sa réalité, au regard du nombre en absolu, mais Malte étant un petit pays, c'est un phénomène visible immédiatement ! Le ministre maltais des affaires étrangères avait d'ailleurs publié cet été un article dans la presse européenne qui était un véritable appel au secours. Depuis le début de l'année, 1 665 immigrés clandestins seraient arrivés à Malte à bord de 52 bateaux. Ils étaient 1 388 en 2004 (53 bateaux) et 1 822 en 2005 (48 bateaux).

Ces migrants, principalement originaires de la corne de l'Afrique (Éthiopie, Érythrée, Somalie), du Soudan ou de Côte d'Ivoire, dont des femmes et des enfants, se retrouvent entassés dans de frêles embarcations et effectuent la traversée dans des conditions sanitaires insupportables. Un grand nombre d'entre eux (10 % selon les ONG) trouve d'ailleurs la mort au cours de leur voyage. La grande majorité de ces personnes veut rejoindre l'Italie et ne souhaite pas accoster à Malte, où ils échouent malgré eux. Les conditions de la traversée sont si désastreuses que les autorités maltaises se doivent de les secourir et parfois les ramener à terre.

Une fois débarquées à terre, ces personnes sont placées dans des centres de détention fermés, semblables à des prisons, et gérés par l'Intérieur et la Justice, regroupés dans le même ministère. Comme nous l'ont décrit deux immigrés rencontrés au cours de notre visite devant la maison d'accueil des étrangers, qui sont passés par ce parcours de clandestins et qui disposent, aujourd'hui, d'un statut de réfugiés temporaires, les conditions de vie dans ces centres sont dramatiques, en raison notamment du surpeuplement. D'après le délégué du HCR, il y aurait actuellement 1 500 personnes dans ces centres. Les mineurs isolés sont confiés à un service d'État jusqu'à leur majorité. Les malades et les personnes fragilisées, comme les femmes enceintes, sont placés dans des centres ouverts. Dans les centres fermés, le délai maximal de détention est excessivement long, puisqu'il est de dix-huit mois. Or, je rappelle que, en France, cette durée est de 48 heures, pouvant être prolongée de deux fois quinze jours sur décision de justice, soit, au total, 32 jours. Il faut savoir qu'il s'agit non seulement de migrants clandestins, mais aussi de demandeurs d'asile qui ont fui les persécutions dans leur pays d'origine. D'ailleurs, après une longue attente, plus de la moitié des demandeurs d'asile obtient le statut d'asile ou de réfugié, au moins temporaire.

Les autorités maltaises ont insisté sur les difficultés soulevées par l'ampleur de ce phénomène pour un petit pays comme Malte. Ils nous ont fait valoir que, en termes de population, cela serait comparable à 370 000 clandestins arrivant chaque année en France et, en termes de densité de la population, à plus de trois millions. Ils ont aussi mentionné la sensibilité politique croissante de ce dossier avec l'émergence de manifestations xénophobes et d'un discours raciste, y compris la création récente d'un mouvement politique. Ils nous ont également déclaré qu'ils avaient le sentiment que les États périphériques de l'Union européenne étaient abandonnés à leur sort. Ainsi, ils ont déploré que Malte soit le seul parmi les nouveaux États membres à ne pas avoir perçu de fonds européens pour se préparer à l'espace Schengen. Ils ont aussi regretté la faible participation des anciens États membres à la mise en place de patrouilles maritimes communes en Méditerranée, à l'exception de l'Italie et de la Grèce. Ils ont également déploré le manque de coopération de la Libye, dont partent pourtant la plupart des navires et qui compterait plus d'un million de clandestins en attente de partir vers l'Europe. Il faut savoir que, à ce jour, il n'existe pas d'accord de réadmission entre l'Union européenne et la Libye.

En définitive, pour les responsables maltais, il est indispensable de mettre en place au niveau européen une véritable politique commune en matière d'immigration avec des consulats communs, des patrouilles communes ou un corps européen de gardes-côtes et un partage du fardeau sur le plan financier.

Pour ma part, j'ai insisté sur la nécessité d'une véritable politique d'aide au développement durable, notamment en direction de l'Afrique, et en particulier du peuple africain. Face au désespoir d'hommes et de femmes prêts à risquer leur vie pour fuir la misère ou la dictature, il me semble qu'il ne sert à rien de vouloir construire un mur autour de l'Europe, mais qu'il faut traiter le problème de l'immigration clandestine à sa source.

En définitive, je retire de ce déplacement un sentiment mitigé. Certes, il existe une réelle volonté des autorités maltaises d'adhérer le plus rapidement possible à l'espace Schengen et il me paraît indispensable que l'Union européenne apporte une aide face au problème de l'immigration illégale. Mais je pense aussi que les autorités maltaises devraient prendre leur part de responsabilités, notamment pour améliorer la formation du personnel chargé de la surveillance des frontières. Par ailleurs, l'Union européenne doit exiger des autorités maltaises de remédier à la situation déplorable des étrangers placés dans les centres de rétention, qui me paraît inacceptable pour un pays membre de l'Union européenne.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert Del Picchia :

Je tiens à préciser que je ne partage bien évidemment pas les réserves de notre collègue à l'égard des accords de Schengen et du système d'information Schengen. Par ailleurs, je rappelle que la question des centres de rétention ne fait pas partie des critères d'évaluation Schengen et qu'elle était donc étrangère à notre mission.

Sous réserve de ces précisions, je partage les grandes lignes de son analyse de la situation, en particulier le constat du manque de matériel moderne dont disposent les autorités maltaises.

Enfin, ce matin, au cours d'un entretien avec le Commissaire européen chargé de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, Franco Frattini, nous avons appris qu'une conférence allait se tenir en novembre sur le problème de l'immigration illégale en Méditerranée, qui réunirait les pays de l'Union européenne, la Libye et les pays de l'Union africaine. Cela semble illustrer un changement d'attitude de la part de la Libye.

M. Jean Bizet :

Je pense que nous serons tous d'accord ici pour souligner la nécessité d'une politique d'aide au développement, notamment vers l'Afrique, pour limiter les flux migratoires.

M. Paul Girod :

C'est effectivement la quadrature du cercle.

M. Christian Cointat :

Je voudrais, pour ma part, revenir sur le cas de la Pologne. Vous avez souligné, dans votre intervention, les progrès réalisés en matière de contrôle des frontières et vous vous êtes montré plutôt optimiste sur l'entrée de la Pologne dans l'espace Schengen. Mais vous avez aussi déclaré que si la Pologne ne semblait pas confrontée actuellement à un afflux massif d'immigrants clandestins, cette situation pourrait toutefois changer une fois que la Pologne aura adhéré à l'espace Schengen puisque ces personnes pourront alors séjourner et circuler librement sur le territoire de l'Union européenne. Cela me laisse donc penser que la levée des contrôles aux frontières intérieures avec ce pays pourrait créer un « effet d'appel » pour l'immigration clandestine et m'incite donc à envisager avec prudence cette adhésion.

M. Robert Del Picchia :

J'ai souligné, dans mon propos, les importants progrès réalisés par les autorités polonaises, mais aussi les insuffisances, notamment en matière d'équipement et de salaires des gardes-frontières. Il est clair que la Pologne n'est pas aujourd'hui suffisamment préparée à entrer dans l'espace Schengen. Mais il me semble qu'elle est sur la bonne voie. À titre de comparaison, la situation me semblait beaucoup plus préoccupante lorsque je m'étais rendu à la frontière entre la Slovaquie et l'Ukraine en juillet 2004, notamment au regard de l'immigration illégale. Pour éviter tout « effet d'appel », il me semble effectivement qu'il est indispensable que les autorités polonaises renforcent encore les contrôles à la frontière orientale.

M. Jean Bizet :

Compte tenu de la longueur très importante de cette frontière, il me semble, en effet, qu'il faille faire preuve d'une vigilance particulière.

M. Christian Cointat :

Qu'en est-il de la République tchèque qui ne dispose pas de frontières extérieures avec des pays tiers ? Ce pays est-il concerné par l'évaluation Schengen ? Que se passerait-il dans le cas où l'adhésion des nouveaux États membres à l'espace Schengen se ferait dans un ordre dispersé et que ce pays entre dans cet espace, mais pas l'un de ses voisins ?

Et qu'en est-il de l'Allemagne ? Ce pays, qui assure actuellement des contrôles à la frontière avec la Pologne et la République tchèque, va-t-il être amené à réduire le nombre de ses gardes-frontières et à renforcer sa coopération avec les pays voisins ? Je rappelle que, en France, l'adhésion à l'espace Schengen et la suppression des contrôles aux frontières se sont traduites par une augmentation, et non une diminution, du nombre de douaniers.

M. Robert Del Picchia :

La République tchèque est effectivement dans une situation particulière, étant donné que ce pays est entouré de pays membres de l'Union européenne. Il est toutefois concerné par l'évaluation Schengen au même titre que les autres. En effet, dans l'hypothèse où un de ses voisins ne serait pas en mesure de remplir les conditions de son adhésion, comme la Slovaquie par exemple, la République tchèque devrait alors maintenir des contrôles à la frontière avec ce pays. Je peux d'ailleurs vous dire que, depuis que la Slovaquie s'est détachée de la République tchèque en proclamant son indépendance, les contrôles à cette frontière sont particulièrement stricts.

En ce qui concerne l'Allemagne, la frontière avec la Pologne et la République tchèque est appelée à devenir une frontière intérieure sur laquelle il ne devrait plus exister à terme de postes-frontières. Même si l'on imagine mal que des gardes-frontières allemands soient présents sur le territoire polonais pour surveiller les frontières orientales de ce pays, je pense qu'il serait souhaitable que ce pays renforce sa coopération avec ses voisins.

M. Christian Cointat :

En ce qui concerne Malte, je m'interroge sur l'impact, en matière d'immigration illégale, que pourrait avoir l'entrée de ce pays dans l'espace Schengen. Les clandestins ne seront-ils pas tentés, une fois que Malte sera entrée dans l'espace Schengen, d'y accoster en plus grand nombre ?

M. Robert Del Picchia :

Je crois qu'on ne peut pas, en effet, exclure un éventuel « effet d'appel » en matière d'immigration illégale lorsque Malte aura adhéré à l'espace Schengen. En effet, une fois entrés sur le territoire maltais, les immigrés clandestins pourront librement prendre le bateau pour se rendre en Italie.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Pour ma part, je ne crois pas beaucoup à cet « effet d'appel ». Je pense, en effet, que la majorité des immigrants clandestins sera, comme aujourd'hui, désireuse de se rendre directement en Italie sans passer par le territoire maltais.

M. Robert Del Picchia :

Il faut dire que l'arrivée par bateaux de clandestins à Malte ne passe pas inaperçue et que la population locale prévient généralement les autorités.