REUNION DE LA DELEGATION DU MERCREDI 13 JUIN 2001


Institutions communautaires

Rapport d'information de M. Daniel Hoeffel
sur une deuxième chambre européenne

Résumé du rapport

Au cours des deux dernières années, les déclarations en faveur d'une deuxième chambre européenne se sont multipliées. Mais le débat sur le bicaméralisme européen est ancien. Il est apparu avant même la mise en place de la Communauté économique européenne et il n'a guère quitté la scène européenne depuis lors.

I - UN THÈME RÉCURRENT DU DÉBAT INSTITUTIONNEL

C'est ainsi que déjà, en 1953, le projet qui visait à instituer « une communauté européenne de caractère supra-national », qui avait été élaboré par une assemblée ad hoc, prévoyait la mise en place d'un conseil exécutif européen, d'un conseil de ministres nationaux et d'un parlement composé de deux chambres : une chambre des peuples, « formée de députés représentants les peuples unis dans la Communauté » et élus au suffrage universel direct ; un Sénat, « formé de sénateurs représentant le peuple de chaque État » et élus par les parlements nationaux selon la procédure fixée par chaque État membre.

On retrouvait ainsi, tant au niveau de l'exécutif que du législatif, un parallélisme de la représentation des intérêts européens (chambre des Peuples et Conseil exécutif européen) et nationaux (Sénat et Conseil de ministres nationaux).

L'échec de la Communauté européenne de Défense conduisit à l'abandon de ce projet et les institutions de la Communauté Économique Européenne, mises en place quelques années plus tard, ne retinrent qu'une assemblée unique, composée de parlementaires nationaux, et largement dépourvue de pouvoirs effectifs qui allait prendre le nom de Parlement européen.

Dans les années 70, le Parlement européen a été doté progressivement de pouvoirs importants et l'on a décidé de le faire élire au suffrage universel direct, sans prendre conscience que l'on éloignait ainsi les parlements nationaux de la construction européenne, que l'on écartait les parlementaires européens de la vie nationale et qu'un fossé risquait de se créer entre ceux-ci et ceux-là.

C'est dix ans après l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct que les premières réflexions sur une deuxième chambre ont été exprimées par Charles-Ferdinand Nothomb, Président de la Chambre des Représentants de Belgique, et Alain Poher, Président du Sénat, c'est-à-dire par deux présidents d'assemblées nationales qui avaient été tous deux membre du Parlement européen et même, pour Alain Poher, son président. Le débat est apparu au même moment au Royaume-Uni où l'on s'est également inquiété de l'éloignement des parlements nationaux par rapport à l'Europe et de la frustration des parlementaires nationaux qui pouvait les conduire à une certaine hostilité à l'égard de la construction européenne.

Dans le cadre de la préparation du traité de Maastricht, plusieurs responsables politiques français éminents, Jacques Chirac ou le Président François Mitterrand, ont signalé leur intérêt pour l'idée d'une deuxième chambre composée de parlementaires nationaux. Mais le traité de Maastricht a simplement retenu en annexe une déclaration assez anodine qui devait rester sans effet. Parallèlement, la COSAC se mettait en place de manière pragmatique.

Au lendemain du traité de Maastricht, des travaux plus approfondis ont été menés au Sénat à propos de la deuxième chambre européenne. Michel Poniatowski a en effet présenté, en novembre 1992, à la délégation du Sénat pour l'Union européenne un rapport sur le principe de subsidiarité. Ce rapport proposait « d'instituer une conférence des Parlements nationaux dont une des fonctions essentielles serait de garantir l'application du principe de subsidiarité » et il souhaitait que cette conférence des parlements nationaux nomme une « chambre de subsidiarité » chargée de censurer, avant leur entrée en vigueur, les décisions communautaires contraires au principe de subsidiarité. La réflexion a été poursuivie notamment par Yves Guéna. Et, lors de la COSAC qui s'est tenue au Palais du Luxembourg en 1995, le Président René Monory, Yves Guéna, et le Président Jacques Genton ont largement développé l'idée d'une deuxième chambre représentant les parlements nationaux. Mais cette réunion de la COSAC a montré l'isolement de la France à ce sujet.

En effet, durant cette période, il n'y a guère que du côté britannique qu'un écho favorable à la deuxième chambre ait été entendu avec les réflexions de Sir Leon Brittan. Sir Leon Brittan était alors commissaire européen et ses propos ne reflétaient donc pas les idées du gouvernement ni du parlement britannique, mais ils reposaient évidemment sur la connaissance qu'il avait de la situation outre-Manche.

Enfin, durant la dernière période, c'est-à-dire au cours des deux dernières années, le débat a pris une toute autre dimension et les déclarations en faveur du bicaméralisme européen se sont multipliées. Ce fut Vaclav Havel, Président de la République tchèque, devant le Sénat, en mars 1999. Ce fut Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, dans un discours prononcé à Berlin en mai 2000. Ce fut Tony Blair, Premier ministre britannique, dans un discours prononcé à Varsovie en octobre 2000. Ce fut encore Gerhard Schröder, Chancelier d'Allemagne, en avril dernier. Enfin, ce fut Lionel Jospin dans le discours qu'il a prononcé il y a une quinzaine de jours.

Le débat est donc aujourd'hui général. Et la constance du Sénat en cette matière - puisque, depuis dix ans, ses trois présidents successifs, Alain Poher, René Monory et Christian Poncelet, ont tous trois oeuvré en faveur d'une deuxième chambre européenne - s'en trouve récompensée.

II - POURQUOI METTRE EN PLACE UNE DEUXIÈME CHAMBRE EUROPÉENNE ?

D'abord pour mieux ancrer l'Europe dans chaque pays. Déjà aujourd'hui, les institutions européennes paraissent lointaines, voire inaccessibles, pour les citoyens des quinze Etats membres. Cela ne pourra que s'accentuer dans une Europe à vingt-cinq ou à trente Etats membres. L'instauration d'une deuxième chambre permettrait de restaurer le lien entre les parlements nationaux et les institutions européennes qui s'est relâché en 1979 avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct.

Ensuite pour associer de manière plus harmonieuse petits et grands Etats à la construction européenne. La crainte de n'être plus représenté au sein de la Commission, la baisse de l'importance relative au sein du Parlement européen, les effets de la repondération des voix au Conseil ont provoqué un raidissement de la plupart des Etats les moins peuplés de l'Union, qui ont évoqué le spectre du « directoire des grands ». Là encore, la mise en place d'une deuxième chambre où tous les Etats membres seraient représentés à égalité serait de nature à favoriser un consensus entre les Etats membres.

Enfin pour assurer un meilleur équilibre. Un meilleur équilibre au sein des institutions de l'Union en premier lieu. Le Parlement européen, assemblée unique élue au suffrage universel direct, a considérablement alourdi son poids dans le triangle institutionnel, notamment à l'égard de la Commission. La présence d'une deuxième chambre serait de nature à rééquilibrer l'ensemble institutionnel en plaçant, à côté du Parlement européen un peu déconnecté du quotidien, un élément de pondération directement relié aux réalités nationales. Un meilleur équilibre aussi entre l'Union et les Etats membres grâce à une attention plus soutenue à une application constante du principe de subsidiarité. Les institutions actuelles de l'Union, naturellement portées à la centralisation, seraient contrebalancées par une deuxième chambre qui, par sa composition, serait davantage encline à privilégier la décentralisation.

L'Europe ne doit pas être laissée aux seuls spécialistes. Le Parlement européen, lorsqu'il était composé de parlementaires nationaux, comprenait de nombreux responsables éminents des forces politiques des différents Etats membres. Cela est moins aisé depuis l'élection au suffrage universel direct, et le Parlement européen tend à n'être plus composé que de parlementaires qui s'occupent de l'Europe et d'elle seule tout au long de l'année, se détachant par là même des contextes politiques nationaux. Une deuxième chambre européenne aurait sans doute pour effet de favoriser la participation de parlementaires nationaux éminents aux débats européens.

III - LES PROPOSITIONS POUR UNE DEUXIÈME CHAMBRE EUROPÉENNE

Qu'on l'appelle Sénat européen, Chambre des Etats, Chambre des Nations, Comité des Parlements ou Congrès, il convient de dessiner les caractéristiques principales de cette assemblée, c'est-à-dire sa composition et ses compétences.

A - Quels membres ?

1. Des parlementaires nationaux


Trois propositions ont été formulées pour le mode de désignation de ses membres : des représentants des parlements nationaux, des représentants des régions, des représentants des gouvernements.

Cette dernière hypothèse correspondrait à un changement complet des institutions de l'Union. En effet, le Conseil des ministres deviendrait la deuxième Chambre ; la Commission assumerait seule l'exécutif de l'Union, que ce soit pour les affaires communautaires, pour la politique étrangère, pour la défense ou pour les questions de justice et de police ; enfin, le Conseil européen disparaîtrait purement et simplement. On peut douter qu'il soit judicieux de couper ainsi les gouvernements nationaux de l'exécutif de l'Union. On peut se demander aussi si faire de la Commission le Gouvernement de l'Union répond au souhait de rapprocher les institutions européennes des citoyens. Mais, au surplus, ont doit constater qu'une telle deuxième Chambre ne règlerait en rien la question du déficit démocratique de l'Union. On peut même penser qu'une telle solution aurait pour effet d'encourager l'incompréhension des citoyens pour les institutions européennes et qu'elle les en éloignerait encore davantage.

Choisir les membres de la deuxième Chambre parmi les représentants des régions pourrait sembler séduisant. Mais, comme l'a montré le fonctionnement du Comité des régions, cette idée s'est heurtée à l'inexistence d'un fait régional homogène au sein de l'Union. Tout sépare les régions selon les Etats membres auxquels elles appartiennent, que ce soit la taille, que ce soient les compétences ou que ce soit l'influence ; certains Etats membres sont même dépourvus d'un échelon régional.

Dès lors, il apparaît clairement que la deuxième chambre doit être composée de représentants des parlements nationaux. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est la solution préconisée par la très grande majorité de ceux qui ont participé au débat sur le bicaméralisme européen. L'Union ne peut continuer de se développer avec l'acceptation de ses peuples que si ses institutions parviennent à maintenir un lien constant entre le niveau européen et le niveau national. Ce lien existe au sein de l'exécutif européen avec la Commission et le Conseil ; il a été rompu au sein du législatif avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct et il ne peut être rétabli que par la coexistence d'une assemblée élue au suffrage universel direct et d'une assemblée composée de représentants des parlements nationaux.

2. Une répartition égalitaire entre Etats

Deux propositions ont été avancées : soit une répartition égalitaire entre les Etats, à l'image du Sénat américain, soit une représentation de un à deux selon la population des Etats membres, à l'image du Bundesrat allemand. On peut hésiter sur ce point et l'on peut trouver des arguments convaincants en faveur de l'une comme de l'autre de ces deux options. Mais, finalement, il semble préférable de retenir une répartition égalitaire entre Etats.

D'abord parce qu'une des compétences principales de cette deuxième Chambre doit être de veiller à l'application du principe de subsidiarité et que, pour cette mission qui touche à la répartition des actions entre les Etats et l'Union, il est logique que tous les Etats, quelle que soit leur taille, soient placés sur un pied d'égalité.

Ensuite, parce que les querelles qui ont déchiré les Quinze depuis la Conférence intergouvernementale qui a préparé le traité d'Amsterdam jusqu'au Conseil européen de Nice ont montré combien les petits Etats étaient traumatisés par la crainte d'être relégués à l'arrière plan et de ne plus guère compter dans les institutions de l'Union. Or, autant il pouvait paraître nécessaire de procéder à une repondération des voix au sein du Conseil, autant il semble inutile de minorer la place des plus petits Etats au sein d'une deuxième Chambre. Il apparaît donc que les inconvénients psychologiques d'une répartition inégalitaire l'emporteraient de beaucoup sur les avantages en termes de juste représentation.

3. Une certaine simplification

Convient-il de simplifier les institutions et de regrouper entre elles plusieurs assemblées ?
Il va de soi qu'un tel regroupement permettrait d'apporter une réponse à ceux qui estiment que la création d'une deuxième chambre européenne alourdirait les institutions européennes.

Dès lors que la deuxième chambre est composée de représentants des parlements nationaux, la fusion avec le Comité économique et social ou le Comité des régions n'est pas envisageable. Il faut en effet clairement distinguer les assemblées parlementaires et les assemblées à vocation purement consultative.

Il ne paraît guère possible non plus d'envisager un regroupement avec les délégations nationales auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. D'abord en raison de la représentation égalitaire des Etats au sein de la deuxième Chambre, alors que le nombre des représentants au sein de l'Assemblée du Conseil de l'Europe diffère selon les Etats. Ensuite parce que les questions traitées dans ces deux instances sont de nature différente. Enfin, parce que, si une organisation très rigoureuse du temps permet de remplir à la fois la mission de sénateur et celle de membre de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, il serait difficile d'y adjoindre une troisième mission au sein d'un Sénat européen.

En revanche, il apparaît aujourd'hui que l'Assemblée de l'UEO doit connaître à brève échéance une transformation importante en raison du transfert à l'Union européenne des fonctions opérationnelles de l'UEO et, comme il ne paraît guère possible de transférer les compétences de l'Assemblée de l'UEO au Parlement européen puisque le financement de la politique de défense demeure essentiellement un financement national, il semble logique de confier à la deuxième chambre européenne les missions actuellement exercées par l'Assemblée de l'UEO.

Enfin, depuis 1989, des représentants des parlements nationaux se retrouvent chaque semestre au sein de la COSAC et la répartition de ces parlementaires nationaux y est égalitaire. On pourrait donc sans difficultés retenir l'idée que la COSAC viendrait se fondre dans la deuxième chambre européenne. En quelque sorte, on pourrait dire que la COSAC aurait été ainsi un peu la préfiguration de cette deuxième chambre.

De ce fait, la création d'une deuxième chambre européenne ne se traduirait pas par une complication du système institutionnel puisque la deuxième chambre se substituerait à une assemblée existante, l'assemblée de l'UEO, et à une quasi assemblée naissante, la COSAC.

B - Quelles compétences ?

1. L'application du principe de subsidiarité


La deuxième chambre doit-elle participer à l'examen et au vote des normes communautaires ?

La réponse devrait être positive si elle était composée des représentants des gouvernements puisque ce serait alors le Conseil des ministres qui deviendrait le Sénat européen. Mais, dès lors que l'on retient l'hypothèse d'une deuxième chambre composée de représentants des parlements nationaux, lui confier l'examen et le vote des textes communautaires aboutirait à mettre en place une structure dans laquelle les textes européens feraient successivement l'objet d'un examen et d'un vote dans trois instances différentes, ce qui parait à l'évidence d'une lourdeur excessive. C'est vraisemblablement parce qu'ils ont ce schéma en tête que beaucoup de membres du Parlement européen assimilent la création d'un Sénat européen à l'institution d'une troisième chambre européenne. Selon nous, la deuxième chambre européenne ne doit pas avoir la même mission que le Parlement européen en matière de normes communautaires et ne doit pas être appelée à voter celles-ci.

En revanche, elle doit avoir un rôle essentiel dans l'application du principe de subsidiarité, car, en ce domaine, il apparaît clairement qu'elle ne fera double emploi avec aucune autre institution de l'Union. Bien au contraire, elle introduira un élément de contrepoids et d'équilibre face au triangle institutionnel dont chaque élément a, pour des raisons qui lui sont propres, tendance à privilégier l'intervention communautaire par rapport à l'intervention nationale.

Comment pourrait-elle intervenir en matière de subsidiarité ?

D'abord par des débats qui permettraient de dégager des principes d'application pour la subsidiarité et qui en éclaireraient l'application dans certains domaines particuliers. Mais surtout la deuxième chambre européenne devrait avoir la possibilité d'examiner au regard de la subsidiarité tout texte communautaire en cours d'élaboration et de décider que sa mise en oeuvre est subordonnée à un contrôle par la Cour de justice de sa conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. On pourrait à cet effet imaginer le mécanisme suivant :

- dès lors qu'une délégation nationale au sein de la deuxième chambre européenne en formulerait la demande, la deuxième chambre examinerait un texte communautaire en gestation au regard du principe de subsidiarité ;

- la deuxième chambre européenne pourrait alors décider que le texte lui paraît conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ou décider qu'il lui paraît critiquable, en tout ou en partie, au regard de ces principes ;

- elle voterait alors une résolution exprimant ses critiques ou ses doutes et déciderait la saisine de la Cour de justice ;

- la Cour de justice serait alors amenée à examiner ce texte dès son adoption finale par les institutions de l'Union et à se prononcer dans un délai de six semaines sur sa conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Nous aurions ainsi une combinaison entre l'approche politique et l'approche juridique de la subsidiarité. Ce principe n'est en effet pas un principe purement juridique, mais il ne peut être non plus un principe uniquement politique.

2. Le contrôle

Au-delà de cette mission principale en matière de subsidiarité qui l'amènerait à prendre des décisions (la saisine de la Cour de justice), il serait souhaitable de confier également à la deuxième chambre une mission consultative.


Elle devrait reprendre les activités de contrôle qu'exerce l'Assemblée de l'UEO en matière de défense ; de manière générale, il serait bon qu'elle puisse établir un dialogue avec le Conseil et organiser des débats sur les activités de défense et sur celles ressortissant de la politique étrangère et de sécurité communes.

Il serait heureux qu'elle puisse avoir les mêmes échanges sur les questions relevant du troisième pilier de l'Union, c'est-à-dire en matière de justice et d'affaires intérieures. Qui, en effet, pour ces questions si sensibles et si proches des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, est mieux placé que les parlementaires nationaux pour stimuler les gouvernements lorsque cela paraît nécessaire, pour réorienter leurs actions lorsque cela paraît utile ?

Dans tous ces domaines où l'intergouvernemental domine et où, de ce fait, le Parlement européen ne peut pleinement jouer le rôle de contrôleur, la deuxième chambre européenne pourrait utilement faire entendre la voix des parlements nationaux.

Elle pourrait aussi tenir des débats généraux sur l'avenir de l'Union et débattre chaque année de l'état de l'Union ; peut-être même pourrait-elle - ainsi que le suggérait le Président Giscard d'Estaing - entendre les dirigeants de la Banque centrale européenne exposer les objectifs de leur politique monétaire.

C - Quelles modalités de fonctionnement ?

Enfin, il est nécessaire d'aborder quelques modalités du fonctionnement de la deuxième chambre européenne. Il est en effet essentiel que cette assemblée privilégie la légèreté et qu'elle évite la tentation que connaissent toutes les assemblées parlementaires d'étendre sans cesse leurs activités et leurs périodes de fonctionnement.

Il s'agit avant tout de rétablir le lien entre les Parlements nationaux et les institutions de l'Union. Pour cela, les membres de la deuxième chambre européenne doivent rester avant tout des parlementaires nationaux et ils doivent continuer de participer pleinement aux activités de leurs assemblées respectives. Ce n'est qu'ainsi que l'on maximisera les effets du double mandat en en minimisant les inconvénients qui tiennent à la difficulté de mener à bien deux activités.

En conséquence, la deuxième chambre européenne devrait avoir environ six sessions par an, chaque session durant une journée et demie. L'expérience de la COSAC est à cet égard pleine d'enseignement. Chaque réunion de la COSAC dure un jour et demi et généralement la réunion se tient un lundi et un mardi matin. Le résultat apparaît clairement : la présence des parlementaires à la COSAC est impressionnante car il est possible à un membre de la COSAC de participer à l'intégralité de la réunion tout en regagnant son assemblée nationale dès le mardi soir. Avec une bonne préparation technique et le recours aux moyens modernes de communication, six sessions d'un jour et demi devraient suffire au Sénat européen pour remplir avec efficacité et succès les missions qui lui seraient confiées.

Sur les six sessions annuelles, il serait judicieux qu'une session se tienne chaque semestre à l'invitation du Parlement du pays qui exerce la présidence dans l'Union. Sans doute la simplicité et la facilité conduiraient-elles à privilégier un lieu unique et fixe. Mais la démocratie dans l'Union passe aussi par la dissémination des réunions parlementaires sur le territoire de l'Union. Déjà, aujourd'hui, la réunion de la COSAC se tient ainsi chaque semestre à l'invitation du Parlement du pays qui exerce la présidence. Aucune lourdeur supplémentaire n'apparaîtrait donc dès lors que la COSAC viendrait se fondre dans le Sénat européen.

Mais l'activité de cette deuxième chambre aurait alors sans nul doute un meilleur écho et contribuerait ainsi davantage à la résorption du problème de légitimité dont souffre l'Union. Or, c'est bien là le but que nous voulons atteindre en préconisant la création d'une deuxième chambre européenne.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Ce rapport constitue une remarquable démonstration en faveur d'une deuxième chambre européenne. Il ne s'agit pas de transposer, au niveau européen, le modèle bicaméral français car, comme vous l'avez souligné, il existe des raisons spécifiques qui militent en faveur d'une deuxième chambre au sein des institutions européennes, qui dépassent la problématique du bicaméralisme au niveau national.

Votre travail constitue une contribution extrêmement utile au débat national sur l'avenir de l'Union européenne ; et il mérite également d'être porté au niveau européen, dans le cadre de la COSAC notamment.

M. Lucien Lanier :

Je suis entièrement d'accord avec les propos de Daniel Hoeffel. Le thème de la deuxième chambre constitue l'un des sujets de réflexion majeurs pour l'avenir de l'Europe.

Je partage sa vision sur ce que pourrait être la deuxième chambre. En particulier, je pense qu'il a évité deux écueils : le fédéralisme régional et la création d'une assemblée pléthorique, faisant double emploi avec le Parlement européen.

A l'inverse, une deuxième chambre composée de représentants des parlements nationaux présente plusieurs avantages, dont celui de réconcilier les grands et les petits États. Je trouve aussi que l'idée d'une simplification des différents organes européens est excellente. Je pense en particulier à la COSAC, organe qui a certes son intérêt, mais qui n'a aucun pouvoir de décision et n'est pas investie de missions précises, ce qui fait que ses débats ne peuvent avoir de véritable impact.

Je suis donc d'accord avec vos propositions, mais il serait peut-être souhaitable de définir plus précisément les relations de cette deuxième chambre avec le Parlement européen tel qu'il existe actuellement.

Je pense aussi qu'une deuxième chambre pourrait être une instance de réflexion très utile en vue d'une future Constitution européenne.

M. James Bordas :

J'ai beaucoup apprécié l'exposé de notre collègue. D'autant plus, qu'étant moi-même membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO), je voudrais insister sur le lien entre ce thème et le débat actuel sur l'avenir de l'UEO. La semaine prochaine, nous allons, en effet, discuter de cette question et du budget de cette organisation. Ce même débat existe également au sein des assemblées du Conseil de l'Europe et de l'Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). On voit que chaque assemblée interparlementaire a tendance à défendre son existence et ses compétences et qu'une simplification n'est pas chose facile.

Je souscris pleinement à l'idée d'une deuxième chambre. Ma seule inquiétude réside dans la difficulté de concilier le mandat parlementaire avec le rôle de délégué français au sein d'organismes parlementaires internationaux. Ces difficultés, très matérielles, entraînent souvent une faible présence des représentants français et un émiettement des positions françaises. Elles ne permettent pas à la France de bien défendre ses intérêts au sein de ces instances internationales. Il faut donc aborder de front ces problèmes. Pour ma part, je suis favorable à la suppression de l'assemblée parlementaire de l'UEO, dans le cas où la deuxième chambre serait créée.

M. Maurice Blin :

Votre démonstration, très convaincante, m'amène à vous poser trois questions.

Vous vous prononcez pour une représentation égalitaire entre États. C'est l'exemple des États-Unis où le Montana, avec 1,3 million d'habitants, a autant de sénateurs que la Californie, qui compte plus de 40 millions d'habitants. Transposé au niveau européen, ce modèle entraînerait une représentation égale du Luxembourg (450 000 habitants) et de l'Allemagne (82 millions d'habitants). Or, on peut constater que la disparité est plus forte.

La deuxième objection à l'idée d'une représentation égalitaire entre États réside dans le risque d'une coalition de petits États, qui pourrait constituer une force d'obstruction. Certains pourraient mettre en avant l'exemple du Sénat américain, mais on oublie trop souvent qu'aux États-Unis, le pouvoir du Sénat est contrebalancé par la Chambre des représentants et, surtout, par le président. Or, il n'existe pas de président élu au suffrage universel direct au sein de l'Union européenne.

En matière de compétences, je voudrais savoir ce que vous envisagez en matière budgétaire. Je déplore, en effet, la situation actuelle où les dépenses sont votées par le Parlement européen, alors que les recettes le sont par les Parlements nationaux. Ne serait-il pas souhaitable que la deuxième chambre ait un droit de regard sur le budget de l'Union européenne ?

M. Aymeri de Montesquiou :

Notre collègue Daniel Hoeffel a su naviguer entre les écueils. Je rejoindrai, par ailleurs, les observations formulées par notre collègue Maurice Blin. Je crois, en effet, que le président constitue l'un des piliers essentiels de la démocratie américaine. Je voudrais également faire observer qu'à partir du moment où il y aurait une représentation égalitaire des États au sein de la deuxième chambre, il faudrait également assurer une meilleure représentativité démographique des députés européens, et aller vers une procédure électorale uniforme au niveau européen. La question de la composition de la Commission pourrait se trouver dédramatisée par la création d'une seconde Chambre égalitaire. La formule d'un commissaire par Etat membre me paraît contraire à la finalité que doit poursuivre la Commission. Il faut trouver un équilibre qui rassure tous les Etats, de manière qu'une évolution soit possible, ultérieurement, sur la composition de la Commission.

M. Jacques Oudin :

Je m'interroge sur l'utilité d'entrer dans le détail des attributions de la deuxième chambre. Cela risque, en effet, de susciter des discussions sans fin. Ne serait-il pas préférable de s'en tenir au principe d'une deuxième chambre, en renvoyant les modalités à plus tard ?

De plus, la problématique de la deuxième chambre est indissociable d'autres questions liées au débat sur la Constitution de l'Union européenne, puisqu'il existe un équilibre au sein du système communautaire entre la représentation des États, d'une part, la représentation des peuples, d'autre part.

Je partage également l'idée de Maurice Blin sur les compétences budgétaires, et la nécessité d'une compétence en matière de contrôle du principe de subsidiarité.

M. Hubert Haenel :

Avant de donner la parole à Daniel Hoeffel pour qu'il réponde à vos interrogations, je voudrais souligner que le rôle des parlements nationaux constitue l'un des quatre thèmes retenus pour la prochaine conférence intergouvernementale. La création d'une deuxième chambre fait donc pleinement partie du débat sur l'avenir de l'Union.

M. Daniel Hoeffel :

Je voudrais vous remercier pour vos contributions à ce débat, qui reste ouvert.

Je voudrais également dire un mot sur l'intitulé. Le terme de « Sénat européen » pourrait très bien s'appliquer à la deuxième chambre. D'autres dénominations sont possible comme « Chambre des parlements », « Chambre des États », « Congrès » ou « Conseil des États ». La notion de « deuxième chambre » présente l'avantage d'être neutre à l'égard de ces possibilités. Il est important de souligner aussi que cette problématique est spécifique à l'Union européenne et qu'elle doit être distinguée du débat sur le bicaméralisme, tel qu'il existe au niveau national.

Notre collègue Lucien Lanier a souligné la nécessité de clarifier les relations entre le Parlement européen et la future deuxième chambre. Je partage son point de vue. Une fois que la création de la deuxième chambre sera acquise, ses rapports avec le Parlement européen devront être définis avec précision. Il ne s'agit en aucun cas d'instaurer un bicamérisme tel que nous le connaissons à l'échelon national. Il faut en effet que les membres de la deuxième Chambre européenne restent des parlementaires nationaux avant tout.

Je remercie notre collègue James Bordas d'avoir perçu mon souci de simplifier les organes existants. Je partage également son opinion sur la difficulté de concilier le mandat de parlementaire national et celui de membre des délégations françaises aux assemblées parlementaires européennes. Je ne citerai qu'un seul exemple. L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe se réunira prochainement, alors qu'au même moment aura lieu au Sénat le débat sur la ratification du traité de Nice. Où sera, ce jour là, notre devoir d'être présents ? Au Sénat d'où nous tirons notre légitimité ou au sein du Conseil de l'Europe où il est important que la France fasse entendre sa voix ? D'où ma proposition, selon laquelle la deuxième chambre se réunirait six fois par an, en début de semaine, pour une journée et demie, afin de ne pas interférer avec le travail parlementaire.

A propos de la remarque de notre collègue Maurice Blin, je me demande si la réaction actuelle des petits pays ne constitue pas plutôt une attitude défensive née de la crainte d'un « directoire des grands ». Dès lors que l'on mettra en place une représentation égalitaire des États au sein de la deuxième chambre, je crois que les petits pays se sentiront rassurés.

Je pense, par ailleurs, qu'au stade actuel, il ne serait pas souhaitable de conférer des compétences budgétaires précises à la deuxième chambre. En effet, dès lors que le conseil des ministres vote sur le budget, un équilibre existe déjà avec le Parlement européen. En revanche, il m'apparaît tout à fait possible et souhaitable de prévoir, dans le cadre des débats généraux sur l'Union organisés au sein de la deuxième chambre, un débat d'orientation budgétaire.

Je partage les observations d'Aymeri de Montesquiou sur la nécessité d'une modification du mode d'élection des députés européens. Je me souviens que, en 1979 et en 1984, les grandes figures politiques nationales siégeaient encore au Parlement européen, alors qu'aujourd'hui, si elles conduisent encore les listes électorales, elles ne cherchent généralement pas à s'impliquer dans les travaux de cette assemblée. Il faut donc trouver un moyen d'harmoniser le mode d'élection des députés européens au sein de l'Union. A cet égard, le système le plus mauvais est celui des listes nationales qui ne permet pas d'établir un lien entre l'élu et les citoyens.

Je suis également d'accord avec lui lorsqu'il considère que la représentation égalitaire des États au sein de la deuxième chambre entraînerait des conditions plus propices pour envisager de revenir un jour, dans un climat dédramatisé, sur l'idée d'un commissaire par État membre, dans le cadre d'un équilibre global acceptable par tous.

Je partage, enfin, l'idée de Jacques Oudin selon laquelle les modalités de la deuxième chambre doivent faire l'objet d'un débat au niveau européen. Je considère, néanmoins, qu'il est nécessaire d'esquisser quelques grandes orientations, en particulier à propos de ses compétences, afin de déterminer à quoi servirait cette deuxième chambre et d'éviter que celle-ci ne devienne un « parlement européen bis ».

*

A l'issue du débat, la délégation a approuvé à l'unanimité ce rapport qui est publié sous le numéro 381 (2000-2001).


Institutions communautaires

Communication de M. Hubert Haenel sur la XXIVème COSAC

J'ai souhaité faire une brève communication sur la réunion de la COSAC qui s'est tenue à Stockholm les 21 et 22 mai, où notre délégation était représentée par Pierre Fauchon, Serge Lagauche et moi-même.

Il ne s'agit pas de faire un compte rendu des débats proprement dit, car le Parlement suédois va nous adresser dans les semaines qui viennent un compte rendu complet en français, qui sera bien entendu à la disposition des membres de la délégation.

Mon but est seulement, tant que cette réunion n'est pas trop lointaine, d'essayer d'en dégager quelques enseignements.

Je crois, tout d'abord, que la réunion de Stockholm a poursuivi le processus de consolidation de la COSAC.

Le protocole annexé au traité d'Amsterdam a donné à la COSAC une consécration juridique, qui a progressivement fait évoluer les esprits. Le règlement de la COSAC a été amélioré lors de la COSAC d'Helsinki (octobre 1999). Puis la COSAC de Lisbonne a pour la première fois adopté une « contribution » adressée aux institutions de l'Union.

La COSAC de Versailles a également marqué une étape, car elle a permis, au lendemain du Conseil européen de Biarritz, un véritable dialogue avec le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et la ministre de la Justice.

De même, à Stockholm, la présidence de l'Union a été représentée au plus haut niveau, avec le Premier ministre, M. Göran Persson, la ministre des Affaires étrangères, Mme Anna Lindh, et le ministre de l'Environnement, M. Kjelle Larsson. La Commission européenne était également représentée en la personne de Mme Margot Wallström, qui est la commissaire européenne chargée de l'Environnement.

Il semble donc qu'une coutume soit en train de s'établir, selon laquelle la COSAC donne lieu à un échange avec la présidence en exercice représentée par le chef du Gouvernement et le ministre des Affaires étrangères, ainsi que par le ministre chargé du domaine sur lequel la présidence souhaite particulièrement insister : pour la France, l'espace judiciaire européen ; pour la Suède, l'environnement.

Par ailleurs, depuis la réforme de son Règlement, la COSAC ne se sépare plus sans avoir adopté un texte.

Il est vrai que la règle du consensus entre les délégations fait que le texte ne peut jamais aller très loin. Il y a toujours des menaces de blocage de la part de telle ou telle délégation ; pour avoir malgré tout un texte, on finit par se mettre d'accord sur un pâle compromis. Mais c'est tout de même un progrès par rapport à l'époque où il était exclu que la COSAC adopte quoi que ce soit.

Donc, même si le mouvement est encore balbutiant, il y a une tendance au renforcement du rôle de la COSAC. Ce n'est pas sans intérêt dans l'optique du débat que nous venons d'avoir. La COSAC peut aider à acclimater l'idée d'une Seconde Chambre issue des parlements nationaux, elle peut en être une préfiguration, quel que soit le nom qu'on lui donnera.

L'idée d'une Seconde Chambre était d'ailleurs évoquée, comme une hypothèse de travail parmi d'autres, dans le « document de discussion » que le Parlement suédois avait présenté. Ce document était destiné à fournir une introduction au débat sur le rôle des parlements nationaux qui était l'autre aspect de l'ordre du jour de la COSAC. Mais la discussion n'a pas beaucoup porté sur ce point, ni d'ailleurs sur ce document.

Elle s'est concentrée sur le projet de texte final. La controverse a principalement porté sur la convocation éventuelle d'une nouvelle Convention, sur le modèle de celle qui a élaboré la Charte des droits fondamentaux, afin de préparer la CIG de 2004.

Le Parlement suédois était plutôt réservé sur cette idée. Il pensait que la COSAC était peut-être une meilleure enceinte pour associer les parlements à la préparation de la CIG de 2004, et il ne souhaitait pas, du moins à ce stade, prendre un engagement clair en faveur d'une nouvelle Convention. La délégation britannique et la délégation danoise étaient également circonspectes.

Au contraire, les délégués du Parlement allemand et du Parlement européen sont intervenus très vigoureusement en faveur d'une nouvelle Convention, en indiquant qu'ils empêcheraient l'adoption d'un texte par la COSAC s'ils n'avaient pas satisfaction. La délégation belge et une partie de la délégation italienne les ont soutenus. Finalement, il y a eu un long débat pour savoir si l'on devrait écrire :

« une Convention pourrait être convoquée »

ou

« une Convention devrait être convoquée »,

et c'est cette dernière version qui l'a emporté, conformément au souhait de la délégation allemande.

Voilà, en quelques mots, l'essentiel de ce que je souhaitais dire sur cette XXIVe COSAC, qui, par ailleurs, avait été soigneusement préparée et très bien organisée par la présidence suédoise.


Institutions communautaires

Communication de M. Yann Gaillard sur le texte relatif au statut et au financement des partis politiques européens (E 1691)

Si l'article 191 du traité accorde aux partis politiques européens le rôle éminent d'être facteur « d'intégration au sein de l'Union », élément « de formation d'une conscience européenne » et moyen « d'expression de la volonté politique des citoyens de l'Union », il ne prévoit pas pour l'instant de financement spécifique leur permettant d'oeuvrer en ce sens.

Jusqu'à présent, les ressources financières dont ils disposaient provenaient des groupes politiques du Parlement européen octroyant à leurs partis d'origine des moyens, soit en subventions, soit en personnels. Dans les deux cas, ces fonds étaient in fine à la charge du budget du Parlement européen. Or, en juin 2000, la Cour des comptes a considéré qu'une telle procédure était irrégulière, en l'absence, justement, de base juridique spécifique. C'est pourquoi l'article 191 du traité a fait l'objet d'une modification dans le traité de Nice précisant que les partis européens disposeront désormais d'un statut et pourront obtenir des financements communautaires : « Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, fixe le statut des partis politiques au niveau européen et notamment les règles relatives à leur financement. »

Ce faisant, le traité de Nice n'ayant pas encore été ratifié, son nouveau texte est inopérant en l'espèce. Il a toutefois été considéré comme urgent de clarifier sans attendre une situation délicate pour éviter le risque de l'existence de détournements de fonds et pour faciliter dès à présent l'action des partis européens, tant pour tenter de corriger le peu d'appétence dont ont fait preuve les électeurs européens lors du dernier renouvellement du Parlement européen que dans la perspective de l'élargissement prochain de l'Union.

C'est l'objet du présent texte et la tâche n'est pas aisée, ne serait-ce qu'en raison de la grande diversité des conceptions du « parti politique européen » qui règne dans les différents États membres. Il en résulte des prouesses rédactionnelles très remarquables.

1. Comment devient-on un « parti politique européen » ?

Le texte propose une réponse claire : un parti politique européen obtient le statut de parti politique européen auprès du Parlement européen si, cumulativement :

- il est établi dans l'Union européenne ;

- il a constitué un groupe politique au Parlement européen ou a l'intention de s'adjoindre à un groupe existant, voire d'en constituer un en propre, suivant l'intérêt qu'il aura su susciter auprès des électeurs ;

- il respecte, dans son programme et ses activités, les principes fondamentaux inscrits dans le traité (démocratie, Etat de droit...).

L'exposé des motifs précise par ailleurs que l'objet européen du parti politique européen peut parfaitement être la défense et la promotion de thèses anti-européennes.

Le texte vise donc aussi bien les partis confirmés que les candidats « débutants », l'obtention du statut de parti politique européen n'étant pas subordonné à une quelconque réussite aux élections européennes. Il faut souligner enfin qu'il peut s'agir non pas d'un seul parti européen, mais d'une union de partis politiques européens, avec l'espoir que cette union ait vocation à durer et qu'elle ne soit pas affaire de circonstances, dictée par la seule recherche de financement communautaire.

Enfin, s'il y a contestation du classement ou du non-classement en parti politique européen, le Parlement européen statue, conformément à l'avis d'un « comité des sages » dont les membres sont nommés tous les cinq ans par les trois institutions (Conseil, Commission, Parlement européen).

2. Comment bénéficier d'un financement communautaire ?

Une fois son statut acquis, ledit parti doit ensuite faire la preuve de la crédibilité et de la bonne réception de son message, c'est-à-dire :

- soit disposer d'élus au Parlement européen ou dans cinq États membres (élus nationaux ou régionaux, précise le texte) ;

- soit avoir réuni, aux dernières élections européennes, au moins 5 % des votes dans au moins cinq États membres (on doit probablement comprendre dans chacun de ces cinq États membres).

Il n'est pas proposé d'explication particulière à l'usage persistant de ce chiffre cinq.

3. Comment seront répartis les fonds ?

Il faut d'abord préciser que l'enveloppe annuelle est fixée, à la suite d'une estimation sans doute scientifique, à 7 millions d'euros. Il s'agit toutefois d'une dépense non obligatoire susceptible de croître au fil des ans.

Sur cette masse, la répartition proposée est la suivante :

- 15 % (soit 1,05 million d'euros) partagés à égalité entre les partis « qui remplissent les conditions et qui en ont fait une demande dûment justifiée » ;

- les 85 % restants pour les seuls partis représentés au Parlement européen à proportion de leur élus effectifs suivant une formule mathématique complexe.

Toutefois, ces financements communautaires ne peuvent excéder 75 % du budget total du parti, celui-ci devant prouver qu'il reçoit 25 % au moins de son budget d'une autre source (dont la provenance n'est d'ailleurs ni précisée, ni limitée, ni encadrée).

4. Quelles sont les dépenses finançables ?

Au préalable, il faut souligner que l'exposé des motifs du texte, reprenant le texte de la déclaration annexée au traité de Nice (1(*)), renvoie au principe de subsidiarité, dont le respect imposerait d'« éviter d'aboutir au financement de partis nationaux... ou des campagnes électorales, nationales ou européennes de ceux-ci ».

Par ailleurs, il est précisé que les fonds communautaires sont réservés « à des dépenses destinées à réaliser un objectif prévu au statut du parti politique européen concerné », ce qui est heureux.

On ne dispose donc d'aucune définition de la nature des dépenses visées, mais le texte illustre son propos de quelques exemples : frais administratifs, frais liés au support technique ( ?), aux réunions, aux études, à l'information et aux publications.

5. Mesures de contrôle

Bien évidemment, le projet prévoit la transparence des financements, la publicité des comptes des partis, la déclaration des sources de financement à la Cour des comptes et les procédures classiques de comptabilité et de vérification.

*

En première lecture, il apparaît que ce texte est très imparfait : ses dispositions sont floues, les définitions inexistantes, et les différents taux ou seuils paraissent ne reposer sur aucune logique.

Le point le plus curieux, toutefois, et que j'ai souhaité garder pour la fin est celui de sa base juridique, dont je vous disais, en introduction, qu'elle n'existait pas encore, dans l'attente de l'entrée en vigueur du Traité de Nice.

Pour justifier son intervention, la Commission s'est donc rattachée, une fois encore, à l'article 308 du Traité qui sert bien souvent - trop souvent - de « béquille » en l'absence de disposition expresse des textes. Que dit cet article ? « Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les mesures appropriées. »

A l'évidence, le financement des partis ne constituant pas l'un des objectifs de la Communauté, cette condition n'est pas remplie ici : il n'existe donc aucune base juridique permettant l'adoption de ce texte tant que le Traité de Nice n'est pas entré en vigueur. C'est d'ailleurs à cette même conclusion qu'ont abouti nos collègues britanniques de la Chambre des Lords lorsqu'ils ont procédé à l'examen de cette proposition de règlement.

Et pourtant, il est étonnant de constater que, dans ces circonstances, on poursuive l'examen de ce texte et que la présidence suédoise envisage son adoption avant la fin de son mandat (ce qui ne semble guère concevable car elle nécessite l'unanimité des États membres).

*

Dans le même sens, le Parlement européen, réuni en session plénière le 17 mai dernier, a adopté, à une très large majorité (345 voix pour ; 80 contre et 17 abstentions), le rapport de Mme Ursula Schleicher (PPE - Allemagne) qui accepte les principes essentiels de la proposition initiale de la Commission. Le débat a été particulièrement agité : certains petits groupes parlementaires ayant fait valoir le caractère contestable de la base juridique retenue, la présidence a passé outre cette opposition. Il faut s'attendre, semble-t-il, à un recours de leur part devant la Cour de justice.

Si le Parlement européen n'est que consulté en la matière, il va de soi que, étant concerné au premier chef par ce texte, son opinion devrait être prise en considération.

Globalement, les amendements qui ont été adoptés corrigent quelques-unes des critiques que je vous signalais et répondent à certaines des interrogations françaises. Il faut donc souhaiter qu'ils emportent la conviction du Conseil et soient intégrés au texte définitif. Or, trois États membres ont d'ores et déjà opposé une réserve générale sur cette proposition : l'Italie, momentanément, parce qu'elle se trouvait alors en situation pré-électorale et ne voulait pas prendre position sur ce sujet ; l'Autriche et le Danemark, en raison de la faiblesse de la base juridique présentée et pour éviter certaines difficultés avec leurs petits partis régionaux ou nationaux n'ayant pas d'assise européenne.

Quels sont les amendements adoptés qui nous paraissent utiles ?

· l'octroi de la personnalité juridique aux partis politiques européens, point sur lequel la France était très isolée puisque dans nombre d'États membres (Grèce, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique...) les partis n'en disposent pas. La demande française est motivée par le souhait que, quel que soit le pays d'implantation du parti européen, la règle applicable soit la même pour tous ;

· l'interdiction de financement des partis européens par des entreprises publiques ou privées pour ce qui concerne la « part autonome » de 25 %, cette approche correspondant à notre conception des choses ;

· l'intégration de la référence à la Charte des droits fondamentaux et une plus grande transparence dans les procédures de rendu des comptes et de contrôle (mais ces deux points semblent acceptés par tous les États membres).

*

Par ailleurs, deux autres modifications ont été adoptées, qui ne soulèvent pas de difficultés fondamentales :

· le Parlement européen a souhaité remplacer le « comité des Sages » par son propre Bureau, considérant qu'il était apte à juger lui-même des cas controversés de constitution d'un parti européen ;

· il a proposé de porter de « cinq États membres » au « quart des États membres » le nombre requis pour atteindre le seuil critique de « parti européen » éligible aux fonds communautaires, lorsque l'Union aura été élargie.

*

Globalement, l'avis du Parlement européen va donc dans le sens des positions françaises. C'est pourquoi je vous propose d'adopter des conclusions, au nom de notre délégation, afin de soutenir, dans la négociation en cours, les améliorations proposées. Il aurait sans doute été justifié que nous déposions, sur un texte d'une telle importance, une proposition de résolution, mais les contraintes du calendrier et la proximité des échéances électorales liées au renouvellement triennal du Sénat risquent d'empêcher son examen en commission en temps utile. La formule que je vous propose est certes moins solennelle, mais elle permet de faire connaître, sans délai, le sentiment de notre délégation.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Oudin :

Parmi toutes les questions que vous avez évoquées, celle qui me semble la plus importante concerne la possibilité qui sera accordée, ou non, aux entreprises de financer les partis politiques européens. La législation nationale des différents États membres varie, en effet, sur ce point et il est à craindre que certains de nos partenaires s'opposent à cette disposition de crainte de devoir transposer une nette interdiction de principe dans leur ordre interne.

Auriez-vous des informations sur la manière dont le financement des partis est assuré dans les quinze États membres ?

M. Yann Gaillard :

Les réglementations nationales sont en effet très variables et je puis vous dresser une sorte de tableau comparatif des différents cas de figure.

Cela dit, la proposition de la Commission européenne précise bien que son texte n'a pas vocation à entraîner des modifications dans les règles internes de financement de partis nationaux et se borne à organiser le financement des seuls partis politiques européens tels qu'ils ont été définis par elle.

*

A l'issue du débat, la délégation a adopté, à l'unanimité, les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne,

Approuvant le principe de doter les partis politiques européens d'un statut et d'organiser les conditions de financement de ceux-ci :

Observe qu'aucune base juridique pertinente n'existe actuellement dans les traités et que, s'il est utile d'arrêter d'ores et déjà une réglementation, le texte définitif de celle-ci ne pourra être adopté qu'après la ratification du traité de Nice ;

Souhaite que les partis politiques européens disposent de la personnalité morale afin d'établir des règles statutaires communes au sein des États membres, répondant ainsi à l'objectif assigné à la présente proposition ;

Demande que soient précisées les conditions de financement autonome des partis politiques européens, hors budget communautaire, et qu'il soit notamment interdit de recourir à des fonds provenant des entreprises publiques et privées ;

Se déclare favorable à l'insertion d'une référence expresse aux principes définis par la Charte des droits fondamentaux pour apprécier le caractère démocratique des partis politiques européens.


(1) Déclaration relative à l'article 191 du traité instituant la Communauté européenne :
« La Conférence rappelle que les dispositions de l'article 191 n'impliquent aucun transfert de compétences à la Communauté européenne et n'affectent pas l'application des règles constitutionnelles nationales pertinentes.

Le financement des partis politiques au niveau européen par le budget de la Communauté ne peut pas être utilisé pour le financement direct ou indirect des partis politiques au niveau national.

Les dispositions sur le financement des partis politiques s'appliquent sur une même base à toutes les forces politiques représentées au Parlement européen. »