Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 13 juin 2006


Table des matières

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Institutions européennes

Réponse de l'Union européenne aux crises
et création d'une force européenne de protection civile

Audition de M. Michel Barnier

M. Hubert Haenel :

En janvier dernier, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel, au titre de la présidence de l'Union européenne, vous ont confié pour mission de voir comment renforcer les capacités de réponse européennes aux situations de crise et d'urgence dans la perspective du Conseil européen de juin. C'est un sujet qui mérite en effet une attention toute particulière. Notre délégation considère qu'une nouvelle réflexion sur la protection et la défense civiles est désormais devenue indispensable. C'est tout le sens du rapport d'information présenté en février dernier par notre collègue Paul Girod. De fait, au moment où l'on cherche à promouvoir une « Europe des projets » fondée sur des réponses concrètes aux préoccupations des citoyens, la question de la protection civile apparaît en première ligne. Et l'expérience récente du tsunami en Asie du Sud-Est, marquée par le manque de coordination des secours européens, montre bien l'ampleur des progrès qui restent à accomplir. Pourtant, la coopération communautaire en matière de protection civile est loin d'être inexistante : elle remonte à plus de 20 ans, mais peine à faire preuve d'efficacité et de visibilité. Et les propositions de réforme tardent à se concrétiser. Vous avez remis votre rapport le 9 mai dernier. Vous y faites douze propositions, et en particulier celle d'une force européenne de protection civile « Europe Aid ». Je vous propose de nous présenter vos propositions. À cette occasion, vous pourriez nous indiquer comment elles ont été accueillies par les institutions européennes et les États membres.

M. Michel Barnier :

Comme vous l'avez rappelé, c'est en janvier dernier que le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le chancelier autrichien, Wolfgang Schüssel, au titre de la présidence de l'Union européenne, m'ont confié la mission d'élaborer un rapport, en vue du Conseil européen de juin, sur la réponse de l'Union européenne aux grandes crises transnationales. Je viens donc vous présenter aujourd'hui les principales propositions qui figurent dans le rapport que je leur ai remis récemment, parmi lesquelles figure notamment la création d'une force européenne de protection civile.

Comme vous le savez, j'ai un intérêt ancien pour ces questions et les propositions qui sont formulées dans ce rapport sont directement issues de mon expérience personnelle. Peu de temps après avoir pris mes fonctions de commissaire européen, en 1999, j'avais eu à traiter les conséquences de deux tremblements de terre, survenus en Grèce et en Turquie. À l'époque, j'avais constaté deux carences de l'action européenne :

- l'absence d'un fonds de solidarité spécifique pour aider les régions touchées par ce type de catastrophe ;

- le manque de coordination qui résulte de l'absence d'une force commune de protection civile à l'échelon européen.

Toutefois, à l'époque, peu de choses ont été faites au niveau européen. Ce n'est qu'à l'été 2002, lors des inondations qui ont touché l'Europe centrale, et notamment l'Allemagne, que les choses ont commencé véritablement à bouger au niveau européen. En quelques mois, un fonds de solidarité a été créé au niveau européen, doté d'un budget d'un milliard d'euros par an. Ce fonds permet de verser des aides aux autorités des États membres de l'Union européenne, dans un délai de dix semaines après le premier dommage, dans deux types de situation :

- les grandes catastrophes qui touchent plusieurs États membres ;

- les catastrophes qui touchent brutalement et massivement une région ou un État.

En qualité de ministre des affaires étrangères, j'ai eu ensuite à traiter les conséquences du tsunami qui a touché l'Asie du Sud-Est le 26 décembre 2004. Dès le lendemain, je me suis rendu sur place au Sri Lanka et en Thaïlande. J'ai pu constater à cette occasion qu'il ne manquait ni l'argent ni la bonne volonté, mais qu'il y avait un manque criant de coordination qui entraînait une dispersion importante de moyens et d'efforts. Je me souviens, par exemple, d'un hôpital entièrement monté et financé par la France qui n'a jamais servi en raison de sa mauvaise localisation. J'ai été aussi frappé par le manque de moyens techniques permettant l'identification des corps et l'incapacité des autorités consulaires à faire face à cette situation. J'avais d'ailleurs envoyé des diplomates supplémentaires pour renforcer notre équipe locale. Certains États de l'Union européenne, comme l'Autriche, ne disposaient même pas de représentations consulaires dans la région, alors même que de nombreux ressortissants de ces pays étaient sur place au moment de la catastrophe. Je pense d'ailleurs que cet épisode n'est pas étranger au soutien constant apporté par le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel à ce dossier.

Le rapport que j'ai rédigé à sa demande et à celle du président de la Commission européenne contient douze propositions avec un calendrier permettant leur mise en oeuvre de manière échelonnée dans un délai de quatre ans.

La première et principale proposition consiste en la création d'une force européenne de protection civile, soit pour l'ensemble des vingt-cinq États membres, soit, si cette proposition ne recueille pas l'unanimité, dans le cadre d'une « coopération renforcée » sur la base du traité de Nice.

Cette proposition se fonde sur le constat selon lequel, plus d'un an après la tragédie du tsunami, il n'existe actuellement, au niveau européen, ni scénarios ni protocoles d'action pour répondre aux sept grands risques suivants : les tremblements de terre et tsunami, les incendies et feux de forêts, les inondations et glissements de terrain, les accidents industriels et nucléaires, les attaques terroristes, les catastrophes maritimes et les grandes pandémies. Et cela est vrai tant pour les crises internes que pour les crises externes. Faute d'une organisation d'ensemble de la réponse européenne, impliquant scénarios, protocoles et moyens identifiés, le coût de la non-Europe est perceptible, tant dans l'efficacité de la réponse que sur le plan économique. Seules une organisation préventive et une mutualisation des moyens existants permettraient l'émergence d'une force européenne de protection civile.

Il ne s'agit pas, cependant, de centraliser les moyens à Bruxelles. Cette force européenne reposerait sur les moyens existants des États membres. Chaque État membre mettrait à disposition de cette force européenne, sur une base volontaire, des moyens humains ou matériels de protection civile, un peu à l'image des forces de l'OTAN. Cette force devrait aussi avoir la possibilité d'acquérir des moyens additionnels confiés en gestion déléguée aux États membres volontaires. Par exemple, alors que des marées noires se reproduisent de manière récurrente ces dernières années (Erika, Prestige), l'Europe manque toujours de navires capables de pomper le pétrole en haute mer par temps de tempête.

Cette force européenne fonctionnerait principalement autour d'un centre opérationnel qui serait chargé de préparer les scénarios et protocoles en étroite liaison avec les cellules de crise des États membres et d'un institut de formation pour la protection civile et l'aide humanitaire. Cette force européenne serait financée par un prélèvement annuel de 10 % sur le fonds de solidarité de l'Union européenne.

Cette force européenne pourrait être constituée sur la base des traités existants, éventuellement dans le cadre d'une coopération renforcée. Dans mon rapport, je rappelle toutefois les nombreuses avancées contenues dans le traité constitutionnel, comme la création du poste de ministre européen des affaires étrangères, la clause de solidarité en cas de catastrophe naturelle ou d'attaques terroristes, dont j'ai été à l'origine, ainsi que l'introduction d'une base juridique spécifique en matière de protection civile.

La visibilité est essentielle pour les personnels qui mènent les opérations sur place. On se souvient qu'une des critiques soulevées lors de la crise du tsunami a été celle de la trop faible visibilité européenne par rapport à l'effort global très important consenti par les Européens. C'est la raison pour laquelle je propose le choix d'un sigle clair, « EUROPE AID », qui caractériserait à la fois l'action d'urgence intérieure et extérieure de l'Union, et qui pourrait notamment être porté par les personnels ou les avions qui transportent l'aide humanitaire.

Cette force pourrait s'appuyer, et c'est ma deuxième proposition, sur les régions ultrapériphériques de l'Union européenne, au large des Côtes africaines (Canaries et Madère), dans l'Océan indien (île de La Réunion), à proximité de l'Amérique latine et centrale (Guyane, Guadeloupe et Martinique), au milieu de l'Atlantique (Açores), voire même dans le Pacifique en s'appuyant sur les territoires d'outre-mer. Ces régions pourraient, en effet, servir de points d'appui pour faciliter le prépositionnement de produits essentiels et de la logistique, de même que le déploiement de matériels et de troupes.

La troisième proposition consisterait en la création d'un Conseil de sécurité civile, composé notamment du président du Conseil de l'Union européenne, du président de la Commission européenne, du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et du chef d'État major de l'Union européenne. Ce Conseil de sécurité civile serait chargé de constater l'existence de la crise, de déclencher l'application des protocoles élaborés par le centre opérationnel en fonction des scénarios et d'informer de manière régulière les États membres. Le Conseil « Relations extérieures » demeurerait cependant le seul responsable de la conduite politique de la gestion de crise.

La quatrième proposition consisterait à créer un « guichet unique » de la réponse humanitaire de l'Union européenne afin d'améliorer sa capacité d'évaluation des besoins et la rapidité de sa réponse, de même que sa capacité à acheminer l'aide humanitaire. Dans cette optique, je propose de confier à un seul commissaire européen la responsabilité de l'action humanitaire et de la protection civile de l'Union européenne.

Les autres propositions sont les suivantes :

définir une approche européenne intégrée de la réponse aux crises à tous les stades du cycle de vie d'une crise (avant, pendant, après), ce qui implique le développement d'une capacité européenne autonome et opérationnelle de surveillance satellitaire mondiale ;

- la création de six délégations régionales spécialisées dans la gestion des crises, en Afrique, en Asie et en Amérique latine ;

- la mise en place d'un système d'information claire pour les citoyens européens, avec notamment des numéros d'appel utiles ;

- la création de laboratoires pour l'identification des victimes et pour la lutte contre le bioterrorisme.

Enfin, les dernières propositions, auxquelles je suis très attaché, concernent la mutualisation des consulats. Il s'agit de mettre en commun les ressources consulaires des États membres à l'étranger pour faciliter la coopération sur le terrain en cas de crise ; constituer des équipes consulaires volantes composées de diplomates des États membres prêtes à partir en cas de catastrophes pour aider des citoyens européens qui se trouvent dans un endroit dépourvu de consulat ; établir un code consulaire européen.

À terme, on pourrait envisager la création de consulats européens, éventuellement dans le cadre d'une coopération renforcée, et je propose, dans mon rapport, de mettre en place à titre expérimental des consulats européens dans quatre zones : les Caraïbes, les Balkans, l'Océan indien et l'Afrique de l'Ouest. Cette proposition nécessiterait toutefois une révision constitutionnelle en France.

Ces propositions, que j'ai soumises à titre personnel, ont été examinées par le Conseil « Justice et affaires intérieures » des 1er et 2 juin derniers et par le Conseil « Affaires générales » de cette semaine. Elles devraient aussi être discutées par les chefs d'État et de gouvernement lors du prochain Conseil européen des 15 et 16 juin. J'espère qu'il ne faudra pas attendre une nouvelle catastrophe, un nouveau tsunami, pour faire avancer ce dossier.

M. Hubert Haenel :

Dans votre lettre de mission, MM. Barroso et Schüssel indiquent très clairement que votre rapport sera examiné par le Conseil européen de juin. Pourriez-vous nous préciser, au vu des échanges que vous avez eus, comment le Conseil européen pourrait s'en saisir ?

M. Michel Barnier :

J'ai d'ores et déjà présenté, à trois reprises, mon rapport à l'occasion de différents conseils des ministres.

À ce stade, je crois savoir que les conclusions du Conseil européen, du moins leur version provisoire telle que validée en COREPER, feront référence à mon rapport. Mais je sais aussi que certains États ont fait part de leurs réserves à mes propositions : je pense aux Pays-Bas, pour des raisons budgétaires, à la Suède, au nom de son attachement traditionnel à l'ONU, à l'Allemagne, du fait de difficultés liées au rôle des Länder en la matière, ou à la Grande-Bretagne.

M. Paul Girod :

Je tiens à saluer le travail de Michel Barnier, qui fait des propositions intéressantes dont je partage la philosophie. Notre monde connaît une dangerosité croissante. Une réflexion approfondie est indispensable pour apporter de nouvelles réponses. Je regrette d'ailleurs que cette réflexion ait un peu tardé. Il est significatif qu'il ait fallu attendre le tsunami pour que l'Union européenne se saisisse du problème.

Ma première question concerne le rôle de l'OTAN, mis en avant par plusieurs de nos partenaires, comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. En la matière, opposer le rôle de l'OTAN à celui de l'Union européenne n'est-il pas un prétexte pour ne rien faire ?

Ma seconde question concerne l'institut de formation pour la protection civile que vous proposez dans votre rapport. J'en partage l'objectif. Or, il existe un site réservé à Cambrai pour accueillir une école de sécurité civile. Le projet est actuellement en train d'avorter, du fait notamment de certaines réticences administratives. N'est-il pas concevable de le relancer dans un cadre européen ?

M. Robert Del Picchia :

Je considère que cette question de la protection civile est une idée très positive pour faire avancer l'Europe.

Pour la lutte contre les incendies, n'est-il pas nécessaire de mutualiser les moyens dans un cadre communautaire pour entretenir une flotte de canadairs et de bateaux ?

Par ailleurs, vous avez évoqué votre proposition de mise en commun des ressources des consulats et, in fine, de création de consulats européens. Mais, dans la mesure où la France est, après l'Italie, le pays ayant le réseau le plus important de consulats, nous risquons de ne pas en tirer d'économies.

Enfin, en matière de lutte anti-terroriste, je crois que la politique européenne de sécurité civile devrait, pour être pleinement efficace, intégrer aussi la dimension de la prévention.

M. Didier Boulaud :

Nous avons eu l'occasion, avec le président Haenel, au cours d'une mission en Bosnie, de visiter un consulat partagé entre différents pays européens à Banja Luka. Cela fonctionnait bien. Quelles sont les difficultés juridiques à la mise en place de consulats européens ?

Mme Catherine Tasca :

À ce jour, aucun pays n'est en mesure de mettre en oeuvre, seul, une protection civile efficace. Les propositions du rapport sont intéressantes et devraient être mises en oeuvre. Pour cela, il doit lui être donné une large publicité de nature à permettre une mobilisation de l'opinion publique.

M. Robert Badinter :

On constate des difficultés à faire progresser, dans le cadre de l'espace judiciaire européen, l'idée de coopération renforcée. Le traité de Nice le permet pourtant. Avez-vous le sentiment que cette voie soit plus praticable pour ce qui a trait à la protection civile ? Connaissez-vous la position du Parlement européen et de la Commission sur ce sujet ?

M. Michel Barnier :

Ce rapport est un rapport en mon nom propre. Il ne s'agit donc pas d'un rapport de la présidence ou de la Commission. Mais la présidence autrichienne le soutient et m'a d'ailleurs demandé de le présenter tant devant le Conseil que devant les commissions du Parlement européen.

En tout état de cause, les propositions du rapport nécessitent un soutien politique fort pour pouvoir se concrétiser. Je sais pouvoir compter sur l'appui de la France et de l'Italie. J'espère recueillir le soutien de l'Allemagne. À cet égard, j'ai rencontré Wolfgang Schaüble, ministre fédéral de l'intérieur, qui m'a assuré que les difficultés juridiques liées aux compétences des Länder pourraient être résolues.

Ma principale proposition est celle de la force européenne. Sur un tel sujet, l'unanimité me paraît souhaitable : l'hypothèse d'une coopération renforcée ne peut qu'être une solution de second rang. D'ores et déjà, cinq pays du sud se sont regroupés dans un cadre intergouvernemental - et hors cadre européen - pour la lutte contre les incendies. Mes propositions ne s'opposent pas à une telle spécialisation, mais privilégient pour leur part une démarche communautaire, avec notamment une politique d'achat de matériel au niveau de l'Union avec mise en gestion déléguée dans les différents pays.

Certains États membres fondent leurs réserves à mes propositions sur le rôle de l'OTAN. Je conçois naturellement fort bien leur souci atlantiste. Mais nos partenaires - et en premier chef les États-Unis - doivent prendre conscience que l'efficacité de la relation transatlantique repose aussi sur une Europe forte.

Je ne connaissais pas le projet évoqué par Paul Girod d'une école de sécurité civile à Cambrai. On pourrait naturellement envisager, si mes propositions étaient retenues, que Cambrai puisse accueillir l'institut de formation à la protection civile.

En matière de terrorisme, nous devons prendre garde à ne pas mélanger les genres. Je ne crois pas que la politique de protection civile que je propose doive prendre en charge la prévention, qui relève davantage de la coopération policière et judiciaire. Le sujet est tellement sensible qu'il me semble préférable de nous focaliser sur la réparation.

Je rappelle enfin que c'est un avis du Conseil d'État qui considère que la création de consulats européens exigerait une modification de la Constitution.

M. Hubert Haenel :

La délégation auditionnera Catherine Colonna la semaine prochaine. Nous en profiterons pour l'interroger sur la manière dont la France pourrait faire avancer le sujet de la protection civile au niveau européen.

Économie, finances et fiscalité

Nouveau cadre juridique pour les services de paiement
dans le marché intérieur (E 3028)

Communication de M. Yann Gaillard

Pour un bon fonctionnement du marché intérieur, les paiements transfrontaliers devraient être aussi faciles, peu coûteux et sûrs que les paiements nationaux. Or, le marché intérieur des services de paiement demeure aujourd'hui fragmenté. Chaque État membre possède ses propres règles en matière de paiement, ce qui a pour conséquence de réduire la concurrence entre les prestataires de services de paiement et de rendre plus difficiles les paiements transfrontaliers. D'après une étude réalisée par le cabinet McKinsey en 2005, cette diversité des systèmes de paiement nationaux aurait un coût qui pourrait s'élever jusqu'à 3 % du PIB.

La proposition de directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur a pour objet d'instaurer un cadre juridique harmonisé pour les services de paiement nationaux. Ce texte, qui s'inscrit dans l'objectif de la stratégie de Lisbonne révisée de « faire de l'Europe un lieu plus attrayant pour investir et travailler », devrait avoir des effets positifs sur la croissance. Il n'en présente pas moins, dans sa rédaction actuelle, un certain nombre de difficultés.

I. PRÉSENTATION DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

Cette proposition de directive vise à supprimer les obstacles juridiques et techniques à l'émergence d'un espace unique de paiement dans la Communauté par le biais d'une harmonisation du cadre juridique des paiements et l'instauration d'un principe de reconnaissance mutuelle à l'intérieur de ce cadre.

Elle s'applique aux paiements électroniques, tels que ceux effectués par carte de crédit ou de débit, par virement bancaire électronique ou par débit direct, dont le montant ne dépasse pas 50 000 euros. Les paiements en monnaie fiduciaire ou en chèques en sont exclus puisque l'objectif est de promouvoir les paiements électroniques, qui sont plus économiques en termes de coût. Il peut toutefois sembler regrettable que les chèques de voyage, les tickets restaurant ou les chèques emploi service en soient exclus, alors qu'ils constituent un moyen de paiement largement usité et présentent les mêmes risques que certains paiements électroniques.

La proposition de directive a deux objectifs principaux :

le premier objectif est de renforcer la concurrence sur les marchés de paiement en supprimant les barrières à l'entrée, afin de réduire les coûts liés à la fragmentation du dispositif actuel. À cet effet, le texte devrait autoriser, en plus des catégories déjà définies - établissements de crédit, établissements de monnaie électronique, offices de chèques postaux -, une nouvelle catégorie de prestataires de services de paiement, celle des « établissements de paiement », à fournir ce type de services. Ces établissements devraient être amenés à offrir plusieurs types de services :

- virements, paiements par carte et prélèvements à partir d'un compte. Cette activité correspond globalement à ce que l'on peut connaître aujourd'hui lorsque l'on détient un compte courant rémunéré ;

- émissions de cartes de paiement, tels que les cartes privatives qui peuvent être utilisées dans un nombre restreint d'établissements (telle la carte Cofinoga) ;

- transfert de fonds, qui correspond au service que propose aujourd'hui une société telle que Western Union ;

- services de paiement par téléphone portable ou par Internet ;

Le texte prévoit que ces établissements devront toutefois satisfaire à des exigences d'informations minimales pour obtenir de la part de l'autorité nationale compétente l'agrément qui leur permettra d'exercer leur activité. À titre dérogatoire, il devrait permettre aux États membres d'octroyer le statut d'établissement de paiement à des personnes physiques et morales qui ne répondent pourtant pas aux exigences minimales pour obtenir l'agrément. La Commission justifie cette dérogation par la nécessité de lutter contre l'économie souterraine et le financement du terrorisme. Dans un souci de sécurité, ces établissements ne pourraient toutefois exercer leur activité que dans l'État membre où ils ont été enregistrés, et non dans l'ensemble de la Communauté.

le second objectif est d'harmoniser les règles prudentielles. Ainsi, la proposition de directive devrait introduire des règles en matière de transparence des services de paiement, notamment en matière de tarification. Elle prévoit, afin de faciliter la mobilité des clients, que l'utilisateur peut résilier son contrat sans frais. Elle dresse la liste des informations minimales que le prestataire d'un service de paiement doit fournir à ses utilisateurs tant en ce qui concerne le contrat de service que l'opération de paiement elle-même. A titre dérogatoire, elle prévoit toutefois que les micro-paiements - c'est-à-dire les paiements d'un montant inférieur à 50 euros - ne soient soumis qu'à des exigences d'information limitées. Ce point soulève l'opposition du ministère des finances et de l'économie français, qui fait valoir que le montant moyen des paiements par carte bancaire en France est de 46 euros et qui propose, de ce fait, que le seuil des micro-paiements soit abaissé à 10 euros.

Par ailleurs, le texte devrait fixer les droits et les obligations liés à la prestation et à l'utilisation des services de paiement. À titre d'exemples, on peut citer :

- l'obligation d'exécuter un paiement dans la Communauté en un jour maximum,

- l'instauration d'un principe d'irrévocabilité d'un ordre de paiement à partir du moment de son acceptation par le prestataire de services,

- la mise en place d'un principe de responsabilité sans faute du prestataire en cas de mauvaise exécution ou d'inexécution du paiement,

- la limitation de la responsabilité de l'utilisateur à 150 euros en cas de perte ou de vol de l'instrument de paiement.

Cette proposition de directive devrait ainsi renforcer les mesures de protection des consommateurs dans l'ensemble de la Communauté et offrir aux utilisateurs une plus grande liberté de choix de leur prestataire.

II. LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR LE TEXTE

Cette proposition de directive soulève cependant, en l'état actuel de sa rédaction, des difficultés.

1. Les problèmes posés par le nouveau statut d'établissement de paiement

L'ouverture du marché des services de paiement à de nouveaux entrants, même si elle peut s'avérer favorable aux utilisateurs en renforçant la concurrence, comme en témoigne le soutien des organisations européennes de consommateurs à cette proposition, ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des moyens de paiement et de la protection des fonds de la clientèle. À ce titre, les banques soulignent que les exigences de la proposition de directive ne suffisent pas pour couvrir les risques que rencontreraient les nouveaux établissements de paiement lors d'un transfert de fonds.

Même s'il peut paraître difficile de concilier l'exigence de protection des fonds de la clientèle avec l'objectif de la directive, à savoir la libéralisation du marché des services de paiement, il me semble indispensable de renforcer les exigences prudentielles des établissements de paiement. Au même titre que les établissements de crédit, ces établissements seront en effet non seulement soumis à des risques opérationnels (mauvais fonctionnement du système, fraude), mais aussi à des risques financiers. Or, la proposition de directive ne prévoit de soumettre ces établissements à aucune exigence prudentielle, hormis le dispositif anti-blanchiment et la lutte contre le financement du terrorisme.

De ce fait, je souscris pleinement aux deux propositions qu'a faites la France au sein du groupe de travail du Conseil. Il s'agit, d'une part, de prévoir un cantonnement des fonds, qui obligerait le prestataire à séparer complètement ses comptes de paiement de ses autres activités, et serait assorti d'une protection des fonds en cas de faillite ; d'autre part, d'introduire une exigence de capital minimum. La présidence autrichienne a repris à son compte ces deux propositions. Toutefois, si la nécessité d'un cantonnement des fonds fait l'objet d'un large consensus, il n'en va pas de même de l'exigence de capital minimum, à laquelle la Commission s'oppose et qui rencontre l'hostilité de neuf États membres, notamment le Royaume-Uni, la Pologne et les pays nordiques. Ces pays pourraient constituer une minorité de blocage lors de la décision au sein du Conseil puisque cette proposition de directive doit être adoptée à la majorité qualifiée. Parallèlement, le rapporteur de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen propose d'exiger des établissements de paiement « la détention d'un capital minimum dont le montant serait en relation avec les activités effectivement exercées ». Or, la position adoptée par le Parlement européen jouera un rôle décisif puisque l'adoption de cette proposition de directive est soumise à la procédure de codécision.

Par ailleurs, il me semble regrettable que le texte laisse le choix des autorités de supervision de ces établissements de paiement à la discrétion des États membres. Il est en effet à craindre que certains États désignent des autorités différentes de celles qui supervisent habituellement les banques (la commission bancaire en France), dont les exigences en matière prudentielle seraient plus réduites.

La dérogation prévue pour permettre d'exercer une activité de prestations de services de paiement sans être tenu à toutes les obligations des établissements de paiement me semble devoir être écartée pour des raisons de sécurité. Malheureusement, la Commission persiste à vouloir la maintenir, tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques, estimant qu'elle devrait favoriser, à terme, la sortie des prestataires concernés de l'économie souterraine. Or, l'existence d'une telle dérogation, surtout en faveur des personnes physiques, me semble porteuse de bien des dangers.

2. Les difficultés d'ordre économique et juridique posées par les « obligations liées à la prestation de services de paiement »

Certaines règles concernant « les droits et les obligations liés à la prestation et à l'utilisation de services de paiement » rencontrent l'opposition des banques françaises. Il en va ainsi de l'obligation d'exécuter un ordre de paiement en un jour, qui apparaît, notamment aux petites banques, particulièrement lourde et coûteuse, dès lors que ce paiement doit être effectué à l'étranger. Je vous rappelle, en effet, que c'est ce délai qui est aujourd'hui en vigueur pour les paiements nationaux. De ce fait, il pourrait être envisagé d'assouplir cette obligation. A ce titre, je crois savoir que la Commission dispose de marges de manoeuvre sur cette question, comme en témoigne la possibilité offerte au payeur et au prestataire de services de paiement de convenir, jusqu'au 1er janvier 2010, d'un délai d'exécution différent ne pouvant excéder trois jours. Dans le cadre du projet SEPA (Single european payments area), qui vise à mettre en place un espace unique de paiements européens, les banques européennes se sont d'ailleurs mises d'accord sur un délai d'exécution de trois jours.

En outre, certaines règles sont susceptibles de contredire les dispositions françaises en vigueur. La proposition de directive prévoit l'introduction d'un régime de responsabilité sans faute du prestataire en cas de mauvaise exécution ou d'inexécution du paiement, à l'exception des cas de force majeure. Or, en droit français, le prestataire peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat. Tel ne semble pas être le cas dans la présente proposition de directive qui n'assouplit les conditions d'engagement de la responsabilité qu'en cas de virements à destination des pays situés hors de la Communauté européenne.

Dernier point litigieux, le principe d'irrévocabilité des paiements, particulièrement cher au droit français. Il est regrettable que la proposition de directive en fournisse une définition assez imprécise. Elle dispose en effet que l'utilisateur de services de paiement ne peut « révoquer un ordre de paiement après le moment de son acceptation par le prestataire de services de paiement du payeur dans le cas de paiements initiés par le payeur, ou par le prestataire de services du payé dans le cas de paiements initiés par ou via le payé ». Or, la définition donnée du « moment d'acceptation » n'est pas suffisamment claire. Dès lors, cette disposition pourrait s'avérer préjudiciable pour les commerçants, dont la probabilité de voir le paiement révoqué pourrait se trouver accrue par rapport à la situation actuelle. A terme, ce dispositif pourrait alors conduire les commerçants à limiter l'utilisation de tels moyens de paiement, ce qui va à l'encontre même des objectifs de la directive.

*

Si la mise en place d'un marché intérieur des services de paiement me semble particulièrement souhaitable, elle ne doit pas se faire au mépris de la sécurité des utilisateurs de ces services, qui perdraient alors toute confiance dans son fonctionnement.

À la différence d'autres États de la Communauté, la France dispose déjà d'un secteur financier performant et la majorité des cartes de paiement françaises fonctionnent à l'étranger. La nécessité d'une telle proposition de directive se fait donc moins pressante pour nous et justifie que nous nous montrions attachés à la mise en place d'exigences prudentielles fortes. Il me semble que nous devons plaider en faveur de l'inscription de ces règles protectrices dans cette proposition de directive. Malheureusement, les négociations au sein du groupe de travail du Conseil ne semblent pas, à l'heure actuelle, aller dans ce sens.

Dans ce cadre, il me semble regrettable que la proposition de directive n'impose le respect d'aucune règle prudentielle, telle que le cantonnement des fonds et l'exigence de capital minimum, à la nouvelle catégorie des établissements de paiement. L'Allemagne a proposé que, en l'absence d'exigences prudentielles plus fortes, l'on supprime les dispositions créant les établissements de paiement. Cette solution pourrait revenir sur le devant de la table si aucun consensus ne se dégageait entre les États membres sur des règles prudentielles minimales.

En outre, je tiens à exprimer de nouveau mes doutes sur la dérogation permettant à des personnes morales et surtout physiques d'obtenir le statut d'établissement de paiement sans pour autant répondre aux conditions minimales de l'agrément.

Par ailleurs, il me paraît important de clarifier certaines des obligations liées à la prestation des services de paiement préalablement à l'adoption de cette proposition de directive.

Je crains que l'administration française, tout comme les professionnels du secteur, n'aient pas pris, au début des négociations, la pleine mesure des difficultés qu'était susceptible de soulever cette proposition de directive. J'estime, au contraire, que, dans sa rédaction actuelle, ce texte n'apporte pas une réponse satisfaisante aux exigences de sécurité et de protection des consommateurs.

Eu égard aux difficultés rencontrées jusqu'ici dans les négociations, je doute que l'on parvienne à un accord définitif sur ce texte avant l'automne prochain. L'examen de cette proposition de directive, initialement prévu au Conseil Ecofin du 7 juin dernier, a été repoussé. La commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen prévoit d'examiner le rapport de Jean-Paul Gauzès le 12 juillet prochain. Le débat en séance plénière devrait se tenir le 5 septembre prochain.

Je continuerai, bien évidemment, à suivre de près cette question dans les mois à venir et je vous propose, si aucune solution n'a pu être apportée aux difficultés que j'ai soulevées devant vous aujourd'hui, de revenir devant la délégation à l'automne prochain afin d'envisager le dépôt d'une proposition de résolution.

Compte-rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Cette communication témoigne encore une fois de l'utilité de la veille qu'effectue la délégation pour l'ensemble des textes européens dont elle est saisie. Le ministère de l'économie et des finances étant le ministère compétent sur cette proposition de directive, je souhaiterais que vous nous précisiez le rôle qu'a joué le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) dans les négociations sur ce texte.

M. Yann Gaillard :

Le SGAE a effectivement désigné quelqu'un pour suivre l'avancée des négociations sur cette proposition de directive et a participé à certaines réunions du groupe de travail du Conseil. Toutefois, c'est avant tout la direction générale du trésor et de la politique économique du ministère des finances qui est en charge des négociations.

M. Hubert Haenel :

Votre communication semble indiquer que, en l'état actuel de sa rédaction, cette proposition de directive pourrait conduire à modifier un certain nombre de dispositions nationales en vigueur. Une étude d'impact a-t-elle été effectuée pour recenser ces diverses modifications ?

M. Yann Gaillard :

Je regrette malheureusement que la fiche d'impact simplifiée dont je dispose se contente d'une énumération très succincte des modifications que pourrait engendrer l'entrée en vigueur de cette proposition de directive. En ce qui concerne la nouvelle catégorie des établissements de paiement, la fiche d'impact simplifiée explique, par exemple, que « la principale modification concernera le fait que la gestion et l'émission de moyens de paiement ne seront plus des activités réservées aux seuls établissements de crédit », ce qui laisse supposer que d'autres modifications seront également nécessaires, mais celles-ci sont passées sous silence.