Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 13 décembre 2005


Table des matières

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Élargissement

Les relations entre la Turquie et l'Union européenne
après l'ouverture des négociations
Rapport d'information de MM. Robert Del Picchia et Hubert Haenel

Résumé du rapport

En 1999, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a décidé d'approfondir son suivi du processus de l'élargissement de l'Union européenne, en étudiant individuellement chaque pays candidat. Robert Del Picchia a dans ce cadre été désigné pour suivre les progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l'adhésion ; il a ainsi présenté plusieurs communications devant la délégation, ainsi qu'un rapport d'information consécutif à une mission qu'il a effectuée avec Hubert Haenel en février 2004.

Depuis ce premier rapport, la question de la candidature de la Turquie à l'Union européenne est devenue une question d'actualité en France et en Europe, notamment à l'occasion du Conseil européen du 17 décembre 2004, qui décida du principe de l'ouverture des négociations pour le 3 octobre 2005, et lors de la campagne référendaire en vue de la ratification du traité constitutionnel.

Afin de continuer à informer au mieux le Sénat sur cette candidature et dans la perspective de l'ouverture des négociations, nous nous sommes rendus en Turquie pour une deuxième mission, du 25 septembre au 1er octobre 2005. Cette mission nous a notamment permis de rencontrer Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre, Abdullah Gül, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères, Bülent Arinç, Président de la Grande Assemblée nationale de Turquie, ou encore les représentants des chefs d'entreprise turcs réunis au sein de la TUSIAD ; quelques jours avant l'ouverture officielle des négociations, elle a conforté notre position en faveur d'une approche ouverte et responsable de la candidature de la Turquie à l'Union européenne.

1. L'OUVERTURE DES NÉGOCIATIONS

En octobre 2004, la Commission européenne a publié son rapport annuel sur les progrès réalisés par la Turquie, en concluant que « la Turquie satisfaisait suffisamment aux critères politiques de Copenhague » et en recommandant en conséquence l'ouverture de négociations avec ce pays.

À la suite de cette recommandation, le Conseil européen du 17 décembre 2004 a fixé l'objectif d'une ouverture des négociations pour le 3 octobre 2005, sous deux conditions.

D'une part, la mise en vigueur de six textes législatifs relatifs à l'application des critères politiques de Copenhague : ces textes ont été adoptés ou sont entrés en vigueur au 1er juin 2005.

D'autre part, la signature, par la Turquie, du protocole relatif à l'adaptation de l'accord d'Ankara, qui tient compte de l'adhésion à l'Union européenne de dix nouveaux États membres le 1er mai 2004. La Turquie a signé ce protocole le 29 juillet 2005, en joignant cependant une déclaration, par laquelle, tout en se déclarant attachée à un règlement politique de la question chypriote, elle estime que « la signature, la ratification et la mise en oeuvre de ce protocole ne conduisent à aucune forme de reconnaissance de la République de Chypre ». Cette déclaration « unilatérale » a obligé l'Union européenne à adopter, le 21 septembre 2005, une « contre-déclaration », qui indique d'une part que « la Turquie doit appliquer sans réserve le protocole à l'ensemble des États membres » et d'autre part que « la reconnaissance de tous les États membres est une composante nécessaire du processus d'adhésion ».

Sur la question chypriote, nous estimons que la pleine application de l'Union douanière est une obligation pour la Turquie. A cet égard, les autorités turques, spécialement le Gouvernement, considèrent avoir fait un effort important sur la voie d'un règlement, en apportant un soutien appuyé au plan Annan lors du référendum qui a eu lieu à Chypre le 24 avril 2004 ; pour elles, le rejet du plan par les Chypriotes grecs ne peut pas, en tout état de cause, être imputé à la Turquie. De plus, le ministre turc des affaires étrangères nous a indiqué que son pays appliquerait les décisions de la Cour de justice en la matière, si celle-ci était saisie d'un litige.

Au final, comme nous l'avions prédit à l'ensemble de nos interlocuteurs qui parfois faisaient montre de leur inquiétude, les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne ont adopté, le 3 octobre 2005, dans un contexte fébrile, un cadre de négociations pour fixer les principes directeurs et organiser les procédures de la négociation, après que l'Autriche a obtenu l'ouverture des négociations avec la Croatie ; dans la foulée, les ministres ont reçu leur homologue turc, Abdullah Gül, pour ouvrir formellement les négociations.

Dans la continuité des conclusions des Conseils européens, le cadre de négociation exprime clairement l'objectif de ces négociations :

« L'objectif commun des négociations est l'adhésion. Ces négociations sont un processus ouvert dont l'issue ne peut pas être garantie à l'avance. Tout en prenant parfaitement en compte l'ensemble des critères de Copenhague, y compris la capacité d'assimilation de l'Union, si la Turquie n'est pas en mesure d'assumer intégralement toutes les obligations liées à la qualité de membre, il convient de veiller à ce qu'elle soit pleinement ancrée dans les structures européennes par le lien le plus fort possible. »

2. UNE APPLICATION DES CRITÈRES POLITIQUES DE COPENHAGUE QUI DOIT ENCORE ENTRER DANS LES USAGES COURANTS

Le dernier rapport annuel que la Commission européenne a adopté le 9 novembre 2005 sur les progrès réalisés par la Turquie note que « ce pays continue à remplir suffisamment les critères politiques de Copenhague ». Cependant, le rythme des réformes s'est ralenti en 2005, ce qui peut notamment s'expliquer par le fait que la Turquie s'est maintenant engagée dans une phase moins visible des réformes, qui est celle de leur mise en oeuvre concrète et quotidienne par l'ensemble des autorités publiques et administratives.

En sus des liens entre les civils et les militaires et des questions relatives au système judiciaire, aux droits des femmes ou aux Kurdes, deux sujets nous semblent particulièrement importants : la liberté d'expression et la liberté religieuse.

En ce qui concerne la liberté d'expression, la situation s'est nettement améliorée depuis 2001. Cependant, certains articles du nouveau code pénal continuent parfois d'être interprétés de manière restrictive par certains procureurs et juges : des procédures contre plusieurs journalistes ou écrivains, notamment à l'encontre du romancier Ohran Pamuk, seront un test pour l'autorité judiciaire et pour le Gouvernement dans le développement d'une jurisprudence, qui ne soit pas attentatoire aux libertés publiques.

La question arménienne relève de cet aspect. Selon de nombreux intellectuels turcs, la reconnaissance du génocide, si elle doit avoir lieu, ne peut être que l'ultime étape d'un processus de débat et de meilleure connaissance des faits historiques. L'un des professeurs qui a organisé la conférence sur les Arméniens à la fin de l'Empire ottoman, Halil Berktay, considère d'ailleurs que les événements de 1915 constituent le premier grand génocide du XXe siècle, mais que c'est à la Turquie de faire elle-même son travail de mémoire. Il fait valoir qu'il n'a pas été demandé aux autres pays européens de revenir ainsi sur leur passé et remarque que, s'il est normal d'appliquer les critères politiques de Copenhague à la situation actuelle de la Turquie, cela ne peut être le cas pour son histoire.

En ce qui concerne la liberté religieuse, les progrès ont été extrêmement limités en 2005, puisque la législation ne reconnaît toujours pas le droit des communautés religieuses de créer des associations dotées de la personnalité juridique. Pour autant, le patriarche oecuménique grec orthodoxe considérait « avec angoisse » le 3 octobre, car, pour lui, ne pas commencer les négociations n'est pas une solution.

De manière générale, l'application des critères politiques de Copenhague suppose, au-delà des réformes législatives, une évolution sensible des mentalités et des pratiques administratives, qui nécessite du temps, de la patience et de la pédagogie.

3. L'ÉCONOMIE TURQUE EST UNE ÉCONOMIE DE MARCHÉ VIABLE TRÈS DYNAMIQUE

Dans son rapport annuel, la Commission européenne a reconnu à la Turquie le statut d'économie de marché viable, qui constitue l'un des critères de Copenhague. À la suite de la grave crise financière de 2001, la stabilisation macroéconomique s'est accompagnée d'une croissance économique soutenue (presque 10 % pour l'année 2004).

Les entreprises françaises installées sur place évoquent d'ailleurs l'excellent climat des affaires en Turquie, même si les relations franco-turques ont pu souffrir de la reconnaissance par le Parlement français du génocide arménien et du climat parfois acrimonieux du débat référendaire sur le traité constitutionnel. Face à une présence française active en Turquie, au travers d'entreprises diversifiées et bien identifiables par leurs marques, l'on peut s'interroger sur la forme que prend parfois, en France, le débat sur la candidature de la Turquie : plus serein et moins passionné, il serait moins dommageable pour les entreprises françaises, sans pour autant obérer tout esprit critique ou mise en perspective.

*

En conclusion, les relations entre la Turquie et l'Union européenne sont entrées, le 3 octobre 2005, dans une phase nouvelle. Les États membres de l'Union européenne ont en effet décidé à l'unanimité d'ouvrir les négociations avec ce pays ; ces négociations doivent être menées de manière rigoureuse et honnête. Il ne s'agit plus pour la Turquie de réaliser telle ou telle condition à une date précise, dans l'attente qu'une énième porte s'ouvre ; il s'agit d'ouvrir chaque dossier l'un après l'autre et de prendre le temps de résoudre les problèmes, en commun, sans couperet mélodramatique. Rappelons d'ailleurs que le terme de « négociation » est assez impropre, puisque les négociations ne portent pas sur la substance même de l'acquis communautaire, que tout État candidat s'engage à transposer intégralement dans son droit national, mais sur d'éventuelles périodes de transition.

Le chemin que suit la Turquie depuis 2001, c'est l'Union européenne qui en est l'aiguillon et le gardien et ce chemin est aussi important que le but à atteindre. Nous sommes persuadés que le processus de négociation qui s'engage va, au cours des années à venir, rapprocher la Turquie de l'Europe et l'Europe de la Turquie. D'ailleurs, nul ne peut dire ce que seront devenus la Turquie et l'Union européenne dans dix ou quinze ans ; l'objectif doit être apprécié au regard de l'importance géostratégique de ce pays, en se projetant dans le monde éclaté et multipolaire du XXIe siècle. Durant cette période, l'acquis communautaire aura continué de croître, notamment dans le secteur de la coopération policière et judiciaire, et la Turquie aura réalisé la substance des transferts de souveraineté que l'adhésion suppose.

La Turquie et l'Union européenne décideront alors ensemble, sans que l'une n'impose sa position à l'autre, la nature et l'ampleur du lien qui les unit, car nous sommes persuadés que la Turquie et l'Union européenne ont en tout état de cause un avenir et un destin communs.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Le groupe d'amitié France-Turquie, que je préside, s'est rendu en Turquie en novembre dernier ; au terme de cette mission, je partage totalement les analyses présentées dans le rapport d'information. Nos rencontres, utiles et agréables, nous ont permis d'avoir des entretiens avec de nombreux acteurs de la vie politique ou économique turque : notamment le Président de la Grande Assemblée nationale, du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel, des maires, mais aussi le délégué de la Commission européenne à Ankara, le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'économie, qui a été désigné comme négociateur en chef pour le processus de négociation avec l'Union européenne.

Je retiens tout d'abord deux éléments marquants. Premièrement, la grande amertume des Turcs par rapport aux comportements ou aux propos de certains Français. La France était vue comme un ami solide et sûr de la Turquie. Or, si les positions officielles de la France sont restées stables, certaines déclarations ont blessé et on ne mesure pas assez l'impact qu'elles ont eues. Ce climat de frustration souligne l'importance des manifestations de ceux qui veulent cultiver l'amitié entre nos deux pays. Deuxièmement, l'importance des réformes. La Turquie est certainement un des seuls pays au monde à avoir mené d'aussi importantes réformes en si peu de temps ; dans ce contexte, on comprend qu'il puisse y avoir un temps de latence entre la décision et sa mise en oeuvre complète. Ce temps est notamment indispensable pour former les magistrats aux nouvelles dispositions.

En tout cas, le pays est en marche et il a prouvé qu'il était capable d'aller de l'avant ; la perspective européenne a été un facteur déclenchant et constitue un moteur qui favorise cette évolution heureuse. Incontestablement, il y a un mouvement et une volonté, que le Gouvernement maîtrise pour le moment. La demande d'adhésion à l'Union européenne n'est pas contestée en Turquie, mais que deviendra cette volonté dans dix ou douze ans, si le processus est lent ? Naturellement, il reste des choses à faire et certaines attitudes sont difficiles à accepter. Nous étions en Turquie lors du match de football Turquie-Suisse et la violence qui a eu lieu est inadmissible. Par ailleurs, des interprétations diverses peuvent être données aux nouveaux événements qui se produisent dans la région du Sud-Est, où vit principalement la communauté kurde.

Chypre reste par ailleurs un sujet majeur, même si les autorités turques nous ont bien précisé qu'elles seraient favorables à l'ouverture des ports et aéroports turcs aux navires et avions chypriotes, sous condition de réciprocité pour Chypre-Nord. Ce problème est épineux, mais me semble pouvoir être maîtrisé.

En ce qui concerne les Arméniens, le mot génocide a blessé les Turcs et je suis d'accord avec le rapport d'information pour dire que c'est la perspective historique, certainement après un cheminement complexe, qui pourra nous faire sortir de cette situation difficile.

Au final, je souscris pleinement aux conclusions du rapport qui nous est soumis et je crois capital de renforcer les échanges entre la France et la Turquie, par exemple en créant un Office franco-turc pour la jeunesse. Le handicap le plus évident de ce dossier est en effet la méconnaissance de la réalité de la Turquie et de celle de l'Europe.

M. Yann Gaillard :

Il est évident que l'amertume turque est énorme et dramatique. Sur le plan bilatéral, nous devons améliorer nos relations culturelles et économiques. C'est une nécessité absolue.

Plus généralement, tant qu'on pouvait croire à une Europe-puissance, c'est-à-dire avant l'échec du référendum, la Turquie était un os bien difficile à avaler. D'ailleurs, ce n'est pas sans lien avec l'insistance des États-Unis et de la Grande-Bretagne à soutenir sa candidature. Or, l'idée d'une Europe-puissance est morte pour longtemps et nous devons maintenant organiser l'espace européen au mieux de nos intérêts. Dans cette hypothèse, il n'existe aucune raison de ne pas aller de l'avant dans nos rapports avec la Turquie.

M. Pierre Fauchon :

La candidature de la Turquie doit être appréciée par rapport à la situation dans laquelle est l'Europe aujourd'hui, c'est-à-dire une situation où le projet d'une Europe-puissance est reporté aux calendes grecques ! La Grande-Bretagne nuit davantage au concept de l'Europe-puissance que l'entrée éventuelle de la Turquie. Je suis en effet convaincu que ce pays rallierait le camp de ceux qui ont une ambition européenne. De plus, à la différence de la Grande-Bretagne, la Turquie n'a pas de plan B, de position de repli : on oublie trop souvent qu'elle s'entend plutôt mal avec le monde arabe. Comme il s'agit d'un peuple ambitieux, nombreux, et dynamique, il ira nettement plus dans le sens d'une Europe-puissance que certains pays de l'Est de l'Europe.

À l'occasion du voyage du groupe d'amitié en Turquie, j'ai été frappé de l'ignorance en France des réalités turques et de l'histoire. Par exemple, si l'on compare Soliman le magnifique avec Charles Quint, Henri VIII ou François 1er, on constate que le système politique ottoman était nettement plus évolué, que ce soit du point de vue administratif, culturel ou judiciaire. Ainsi, lorsqu'il créait une mosquée, il créait autour tout un quartier avec une école, un restaurant, un hôpital... Ce modèle de civilisation était très avancé pour le XVIe siècle. De plus, les évolutions de la Turquie ne datent pas seulement d'Atatürk : lorsque nous nous sommes rendus au Conseil d'État, nous avons vu la plaque commémorative de sa création, qui datait du milieu du XIXe siècle.

Il est vrai que l'État de droit n'est pas parfait en Turquie, mais que n'aurait-on dit si l'affaire d'Outreau s'était déroulée en Turquie ! Certains exemples montrent que l'organisation juridique y est forte : par exemple, un tribunal administratif peut décider de convoquer un nouveau jury pour réexaminer la copie d'un candidat, ce qui est inconcevable en France.

M. Roland Ries :

Le processus en cours est relativement pervers, car les Européens demandent aux Turcs de faire des progrès dans un certain nombre de domaines, sans pour autant les assurer du résultat. Cette situation, où des conditions dures leur sont imposées sans se prononcer sur l'issue, est difficile à gérer pour eux et peut expliquer leur amertume.

M. Yann Gaillard :

Ce fut le cas pour l'ensemble des pays candidats.

M. Roland Ries :

J'ai l'impression que les conditions posées à la Turquie sont plus sévères, plus dures, et, au final, le processus présente beaucoup d'inconvénients.

Sur le fond, mon opinion n'est pas arrêtée sur cette question. La construction d'une Europe politique - terme que je préfère à celui d'Europe-puissance - sera encore plus difficile si l'élargissement continue de manière inconsidérée, alors même que nous avons déjà des difficultés avec les dix nouveaux entrants. Si, comme moi, on ne renonce pas à la perspective d'une entité politique européenne, il est nécessaire de définir des frontières. Sinon, on fait une zone de libre-échange, comme le souhaitent les Britanniques. Je reste pour ma part sur l'idée d'une Europe politique avec des frontières définies. Enfin, il est incontestable que la Turquie pose des problèmes évidents en terme de géopolitique.

M. Louis de Broissia :

Les Français se sont exprimés le 29 mai lors du référendum et la question turque a joué un rôle dans ce scrutin. Quels que soient les progrès de la Turquie, il existe toujours un problème d'image : les images du film Midnight express, celles du match de football Turquie-Suisse ou celles montrant le sort fait aux femmes resteront inscrites longtemps dans les mémoires. La situation d'Istanbul me semble à cet égard différente de celle des régions plus continentales de Turquie. En tout cas, nous ne devons pas avoir à nous justifier auprès des Turcs, car c'est la Turquie qui demande à adhérer à l'Union européenne et qui doit montrer sa volonté d'intégration. L'Europe a déjà du mal à se construire et j'ai des réticences à croire que nous ayons une quelconque repentance à exprimer vis-à-vis des Turcs.

En ce qui concerne le génocide arménien, je me suis battu, lors de la discussion de la proposition de loi sur sa reconnaissance, pour que la France reconnaisse tous les génocides du XXe siècle : juif, tzigane, rwandais, cambodgien, tibétain... On a voulu faire du révisionnisme historique sur un génocide, alors qu'il y en a eu tant d'autres, et je peux de ce point de vue comprendre la réaction turque.

M. Robert Bret :

J'ai simplement deux questions à poser. Pouvez-vous compléter les éléments de votre rapport qui concernent la question kurde ? Par ailleurs, quelle est l'appréciation des autorités turques sur la situation en Irak ? J'ai interrogé à ce sujet le ministre des affaires étrangères irakien, qui est kurde ; il m'a répondu que les relations avec la Turquie étaient excellentes. Or, le Kurdistan irakien dispose maintenant d'une relative richesse grâce aux ressources pétrolières.

M. Robert Del Picchia :

Nous n'avons pas approfondi ces deux questions lors de notre mission, car elle se déroulait à quelques jours de l'ouverture programmée des négociations. Elle s'est donc concentrée naturellement sur les éléments d'actualité dans les relations entre l'Union européenne et la Turquie. Lors de notre prochaine mission, nous développerons ces deux sujets importants.

Le processus d'ouverture des négociations est une bonne chose en lui-même, car il favorise les investissements économiques en donnant un horizon stable à l'économie turque et il oblige au respect des critères politiques de Copenhague.

Ce processus ne conduit pas inéluctablement à l'adhésion et rien ne permet de dire que les Turcs eux-mêmes voudront l'adhésion à la fin des négociations.

M. Hubert Haenel :

Nous devons en tout état de cause rester prudents sur ce dossier, car la question de l'islamisme peut surgir assez facilement.

Je voudrais conclure, en rappelant l'importance de la tonalité et de la forme du débat, au-delà de l'opinion de chacun sur la candidature turque. On a l'habitude de dire que ce qui est excessif est insignifiant, mais c'est faux lorsqu'il s'agit de relations entre deux pays, deux peuples, car les excès de langage laissent des traces profondes et sont donc particulièrement dommageables.

Politique de coopération

Enseignements de la conférence interparlementaire sur le développement (Londres, 28 novembre 2005)

Communication de Mme Colette Mélot

Cette Conférence est intervenue à un moment important pour la politique européenne de développement, avec un accord au sein du G8 pour augmenter le montant de l'aide et, à l'échelon européen, la présentation par la Commission du document intitulé « le consensus européen » qui est destiné à devenir une déclaration conjointe du Parlement, du Conseil et de la Commission, et qui - comme son nom l'indique - propose une vision commune des axes de la politique de développement.

 Le premier temps fort de la Conférence a été l'audition du commissaire européen Louis Michel, qui a rappelé les objectifs du Millénaire pour le développement et notamment la réduction de moitié de la pauvreté dans le monde d'ici à 2015. Une importance particulière est désormais reconnue aux aspects politiques : consolider les « États fragiles », ou prévenir la fragilisation des États, est considéré comme une dimension essentielle de la politique de développement. C'est une évolution importante par rapport au discours dominant dans les années 1990, qui mettait uniquement l'accent sur la réduction de l'emprise des États sur les économies. Aujourd'hui, il est reconnu que le développement suppose une société civile forte, mais aussi un État fort, garant du respect des règles. Louis Michel a particulièrement insisté sur deux points :

- tout d'abord, la priorité à l'Afrique pour laquelle un instrument financier spécifique doit être mis en place, avec trois axes principaux : la lutte contre le SIDA, la gestion de l'eau, la lutte contre la désertification ;

- ensuite, l'efficacité de l'aide : l'Europe assure à elle seule 56 % de l'aide au développement, cette aide doit être à la fois mieux employée et plus visible. Pour cela, il faut plus de coordination entre l'action de l'Union et celle des États membres, et une répartition des rôles fondée sur le principe de subsidiarité : l'action de l'Union doit être complémentaire de celle des États membres.

Les questions des participants l'ont amené à préciser ses positions sur certains sujets. Sur la politique agricole commune, le commissaire européen a été d'une grande clarté : la Communauté a fait un gros effort avec la réforme de 2003, mais nos partenaires de l'OMC et notamment les États-Unis n'en ont pas fait autant. Ce n'est donc pas à l'Europe qu'incombe la responsabilité du blocage actuel à l'OMC. Sur l'action de la Banque mondiale, il a souligné que l'influence de l'Europe au sein de cet organisme n'était pas en rapport avec sa contribution financière ; c'est là une des raisons pour lesquelles la création d'un fonds spécial pour l'Afrique était souhaitable. Il a également indiqué que l'Europe continuerait à encourager les unions régionales, qui sont des étapes nécessaires pour s'adapter à la mondialisation. Enfin, il a refusé de céder à l'« afro-pessimisme » : quelles que soient les difficultés, une tendance à la démocratisation des régimes existe, et 23 pays ont signé le traité sur la Cour pénale internationale.

? Le deuxième temps fort a été l'audition de Hilary Benn, ministre du développement international dans le gouvernement de Tony Blair. Il a souligné l'intérêt d'avoir au sein des gouvernements un département chargé du développement international, de manière à ce que l'aide au développement ne soit pas subordonnée aux questions de politique étrangère, et que le problème du développement soit abordé dans sa globalité, en introduisant une cohérence entre les différentes questions : aide, commerce, migrations, environnement... Il y a certes une baisse de confiance dans la capacité de la politique à changer le monde, mais le développement est un domaine où les attentes restent fortes. Dans le contexte de la globalisation, le développement des plus pauvres apparaît comme une question politique centrale, comme une question de sécurité, et pas seulement comme une exigence morale.

Hilary Benn a présenté trois orientations :

- il faut donner priorité à l'Afrique, seul continent à s'appauvrir ; même si les personnes pauvres sont nombreuses dans des pays comme l'Inde, la Chine, le Brésil, il faut se concentrer sur les pays pauvres ;

- l'aide doit être prévisible ; il faut donc des financements fiables et de long terme ;

- il faut absolument simplifier la gestion, par exemple avoir dans chaque pays un seul programme de lutte contre le SIDA, avec la gestion la plus décentralisée possible.

Le débat, très consensuel, a fait ressortir plusieurs points :

- les pays émergents doivent désormais participer davantage à l'effort international pour le développement ;

- l'OMC doit mieux prendre en compte les questions de développement et d'environnement ;

- les efforts d'intégration régionale doivent être davantage soutenus.

? Le troisième point de l'ordre du jour était l'audition de Alan Winters, président du groupe de travail sur les migrations de la Banque mondiale. Il a estimé que le développement des migrations internationales est une tendance lourde, qui va perdurer. Même si, à elles seules, les migrations ne peuvent suffire à régler le problème du développement, elles ont spontanément des effets positifs sur le plan économique comme sur le plan social. Alan Winters s'est prononcé contre l'idée d'un contrôle sur les transferts de fonds des immigrés vers les pays d'origine pour inciter à ce que ces fonds servent davantage au développement.

Cette conception libérale des migrations a suscité des critiques. Plusieurs participants ont reproché à Alan Winters de minimiser le coût social des migrations pour le pays d'accueil, les inconvénients de la « fuite des cerveaux » pour les pays d'origine, les phénomènes d'exploitation de la main-d'oeuvre immigrée clandestine.

La présidence britannique a surtout souligné la nécessité pour les pays européens de recourir davantage à la main-d'oeuvre immigrée, ce qui suppose d'ouvrir des voies plus transparentes pour l'immigration légale, qui s'effectue souvent en pratique par l'utilisation du droit d'asile ; par ailleurs, les migrations contribueront davantage au développement si les migrants ont intérêt à revenir dans leur pays d'origine au bout d'un certain temps.

? Enfin, le dernier point a été l'audition de Myles Wickstead, ancien responsable de la Commission pour l'Afrique de l'ONU, qui a surtout insisté sur l'échec de l'exportation de modèles vers l'Afrique. L'aide la plus efficace est de soutenir des projets mis en place localement. Cette approche a été largement soutenue par les participants à la Conférence.

*

En conclusion, quels enseignements tirer de cette Conférence ? Il y a désormais, manifestement, un consensus sur de nombreux points : augmentation de l'aide, concentration sur l'Afrique, recherche d'une plus grande efficacité par une plus forte coordination des actions, nécessité de soutenir des projets élaborés localement plutôt que de vouloir imposer des modèles, nécessité de renforcer les États fragiles ou d'éviter la fragilisation des États. En revanche, la question des migrations suscite un clivage : certains mettent avant tout l'accent sur son rôle positif pour le développement et sa nécessité pour les pays d'accueil ; d'autres au contraire mettent en avant les difficultés d'intégration et les inconvénients de la « fuite des cerveaux ».

Pour ce qui est des positions françaises, j'ai relevé que le principe de la taxe sur les billets d'avion a été très peu évoqué ; nous ne semblons pas faire d'émules, bien que beaucoup d'intervenants aient souligné la nécessité de sources de financement durables pour l'aide au développement. Pour terminer sur une note plus positive, j'ai observé que les tentatives des intervenants britanniques (et d'un intervenant allemand issu des « Verts ») pour présenter la politique agricole commune comme un obstacle au développement ont eu finalement très peu d'écho, notamment après la mise au point très claire du commissaire européen Louis Michel.

Justice et affaires intérieures

Système d'information Schengen de deuxième génération
(textes E 2897, E 2898 et E 2899)

Communication de M. Robert Del Picchia

Le système d'information Schengen (le « SIS ») est une base de données informatique commune qui relie entre eux les États participants aux accords de Schengen (c'est-à-dire tous les anciens États membres de l'Union, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande, et deux États associés : l'Islande et la Norvège). Il est opérationnel depuis 1995. Il permet aux autorités compétentes (policiers, gendarmes, douaniers, autorités judiciaires) de disposer en temps réel des informations introduites dans le système par l'un des États membres grâce à une procédure d'interrogation automatisée. Ces informations peuvent concerner des individus (comme les personnes disparues ou recherchées et les étrangers signalés aux fins de non admission sur le territoire) ou des objets (véhicules volés, armes dérobées, faux billets, documents détournés ou égarés).

Près de quinze millions de données sont actuellement enregistrées dans le SIS (dont 90 % concernent des objets et 10 % des personnes). Elles sont soumises à des règles sévères de protection des données, avec notamment une autorité commune de contrôle, qui est un organisme indépendant composé de représentants des autorités nationales chargées de la protection des données personnelles (comme la CNIL pour la France).

Le SIS est composé d'une partie nationale dans chaque État membre et d'une structure de support centrale, installée à Strasbourg et dont la gestion technique est assurée par la France pour le compte des autres États membres. Chaque pays a la charge de réglementer son propre accès au SIS. Pour la France, environ 15 000 terminaux d'ordinateurs répartis entre police nationale, gendarmerie, douanes, préfectures et autres services du ministère de l'Intérieur ou des Affaires étrangères autorisent cet accès. L'interrogation du SIS, fichier européen, est un acte national quotidien (environ 34,5 millions d'interrogations du SIS ont été faites en France en 2004). Il donne toute son efficacité au système, en particulier en raison de sa rapidité. En effet, une inscription faite en Grèce peut être disponible en Finlande dans les cinq minutes qui suivent.

Sous sa forme actuelle, le SIS ne dispose cependant pas de capacités suffisantes pour assurer les services nécessaires à plus de dix-huit États membres. Cela d'autant plus qu'il est prévu que le SIS assure de nouvelles fonctions, comme la diffusion des mandats d'arrêt européens par exemple. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de remplacer l'actuel système par un système de deuxième génération permettant de faire face à l'augmentation du nombre d'États résultant de l'élargissement.

La mise en place de ce système de seconde génération présente donc une grande importance pour les dix nouveaux États membres. En effet, c'est seulement lorsque ce système sera mis en place qu'il sera possible d'envisager leur participation pleine et entière aux accords de Schengen et la levée des contrôles aux frontières intérieures avec ces pays. L'objectif de la Commission européenne est de mettre en place ce système dès 2007. À terme, la Commission européenne envisage une interopérabilité entre le SIS II et les autres bases de données existantes au niveau européen, comme la base de données sur les empreintes digitales des demandeurs d'asile (EURODAC) ou encore le futur système d'information sur les visas (VIS).

Les trois textes dont nous sommes saisis sont relatifs à l'architecture, à la gestion et à l'utilisation de ce système de deuxième génération. Étant donné que l'acquis de Schengen a été intégré dans le cadre des traités et partiellement « communautarisé » par le traité d'Amsterdam, la Commission européenne propose de remplacer l'actuelle base juridique (la Convention d'application des Accords de Schengen) par trois instruments : un projet de décision pris sur la base du « troisième pilier » et deux règlements sur la base du « pilier communautaire », l'un fondé sur les articles du traité relatifs aux contrôles des frontières, l'autre sur celui relatif aux transports. Ces trois instruments font donc l'objet d'une procédure d'adoption différente. En effet, le projet de décision doit être adopté à l'unanimité par le Conseil, le Parlement européen étant simplement consulté, alors que, pour les deux règlements, le Conseil statue à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen.

La plupart des mesures envisagées ne soulèvent pas de difficultés particulières. Il en va ainsi des règles relatives notamment à la transmission des mandats d'arrêts européens par le SIS, de l'accès d'Europol et d'Eurojust au SIS, ou encore de l'inclusion de données biométriques (empreintes digitales et photographies numériques) pouvant permettre notamment de détecter les personnes ayant recours à une fausse identité. Seuls deux ou trois articles du projet de règlement sur une centaine d'articles posent véritablement problème. Il s'agit toutefois de difficultés majeures qui nécessitent, à mes yeux, une intervention de notre délégation.

Ces difficultés sont de deux ordres différents.

1. La première difficulté porte sur l'architecture et la gestion du futur système

Actuellement, notre pays assure l'exploitation et la supervision du système central du SIS. Bien que de l'avis de tous les États membres ce système fonctionne de manière satisfaisante, la Commission européenne propose que la gestion du SIS II soit assurée à l'avenir par une agence. Et pendant une période intermédiaire de trois années, la gestion du SIS II serait confiée à la Commission.

Or, l'idée de confier à une agence ou à la Commission la gestion d'une base de données telle que le SIS ne me paraît pas souhaitable. En effet, il me paraît dangereux de confier la gestion d'une telle base de données sensibles intéressant la sûreté de l'État, la défense et la sécurité publique à un organisme extérieur. En outre, le précédent d'Europol, dont le système d'information générale n'est toujours pas opérationnel plus de dix ans après sa création, n'incite guère à suivre cet exemple. De plus, je voudrais faire observer que la Commission européenne ne dispose ni des experts informatiques, ni des policiers, nécessaires au fonctionnement du système. Enfin, le coût financier ne serait pas négligeable, puisque la Commission européenne envisage un montant de 156 millions d'euros pour la période 2007 à 2013, financé par le budget de l'Union, et cela uniquement pour la partie centrale du SIS II, l'interface nationale étant gérée et financée par chaque État membre. D'ores et déjà, la Commission européenne a attribué un contrat d'un montant de 40 millions d'euros à un consortium d'entreprises privées spécialisées dans le domaine des nouvelles technologies, pour développer le nouveau SIS II. Je rappellerai que, actuellement, le budget de fonctionnement de la partie centrale du SIS est de l'ordre de seulement 2 millions d'euros par an. Étant donné que celui-ci fonctionne actuellement de manière satisfaisante, je ne vois pas très bien les raisons pour lesquelles il faudrait modifier l'architecture et la gestion du système.

2. La deuxième difficulté concerne plus spécifiquement la lutte contre la criminalité transnationale et l'immigration illégale

Le texte proposé par la Commission comporte trois éléments qui entraîneraient un véritable recul en matière de lutte contre la criminalité transnationale et l'immigration clandestine.

Tout d'abord, en ce qui concerne les données pouvant être enregistrées dans le système.

Actuellement, l'article 96 de la Convention d'application des accords de Schengen prévoit que les données relatives aux étrangers qui sont signalés aux fins de non admission sont intégrées au SIS sur la base d'un signalement résultant de décisions prises par les autorités administratives ou les juridictions compétentes. Et cet article précise que ces décisions peuvent être fondées sur la menace pour l'ordre public ou la sécurité et sûreté nationales que peut constituer la présence d'un étranger sur le territoire national, notamment lorsque cet étranger a été condamné pour une infraction passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an ou lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire qu'il a commis des faits punissables graves. Il s'agit d'une disposition centrale puisque environ 850 000 étrangers sont actuellement signalés dans le SIS sur le fondement de cet article.

Or, le projet de la Commission européenne aboutirait, s'il était adopté en l'état, à vider de son contenu l'article 96. En effet, dans sa proposition, la Commission envisage de restreindre l'obligation de signalement aux seules personnes présentant une menace grave pour l'ordre ou la sécurité publics (les termes de « sécurité et de sûreté nationales » ayant disparu) et ayant été effectivement condamnées à une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et cela uniquement pour l'une des trente-deux infractions visées par la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen. Une telle mesure aboutirait donc à une baisse très significative du nombre de personnes signalées dans le SIS et limiterait par conséquent la possibilité pour les États membres de refuser l'entrée sur leur territoire d'individus présentant une menace pour l'ordre public et la sécurité nationales.

Ensuite, le nombre des autorités ayant accès aux signalements aux fins de non admission serait considérablement réduit.

Actuellement, tout policier peut avoir accès à ces données sur n'importe quel point du territoire. Dans son projet, la Commission européenne envisage de réserver cet accès aux seules autorités chargées des contrôles aux frontières extérieures de l'Union et à celles chargées de la délivrance des visas et des titres de séjour.

Or, cette mesure aboutirait à limiter considérablement l'efficacité de la lutte contre l'immigration illégale. En effet, dès lors qu'un étranger sera entré illégalement sur le territoire d'un État membre, il ne sera plus possible pour les policiers de savoir si cette personne a fait l'objet d'un signalement. Je rappellerai que, actuellement, 80 % des interrogations du SIS sont réalisées à l'intérieur du territoire des États membres, et que pour la France plus de 40 % des interpellations d'étrangers en situation irrégulière sont faites sur le territoire national.

Enfin, et c'est peut-être la disposition la plus saugrenue, la Commission européenne envisage de reconnaître à toute personne ayant fait l'objet d'un signalement dans le SIS le droit d'être informée de ce signalement.

Or, peut-on sérieusement envisager d'informer les personnes qui ont fait l'objet d'un signalement en raison de la menace qu'ils pourraient représenter pour l'ordre public ou la sûreté nationale ? On imagine sans peine que la première chose que feraient les terroristes ou les criminels serait de dissimuler leur vraie identité. Et il serait intéressant de savoir comment la Commission envisage de les informer. Faudrait-il, par exemple, envoyer un courriel à Oussama Ben Laden pour l'informer de son signalement dans le SIS ? Tout cela ne me paraît pas très sérieux.

Bien que les propositions de la Commission marquent un net recul par rapport à l'existant, peu d'États membres ont jusqu'à présent marqué leur opposition. En effet, seules la France, l'Espagne, la Grèce et le Portugal ont dénoncé ces reculs. Et la Commission est restée jusqu'à présent inflexible sur sa proposition. Or, la procédure d'adoption repose sur la majorité qualifiée au sein du Conseil. De plus, la présidence britannique ne paraît guère sensible à nos arguments, étant donné que le Royaume-Uni ne participe pas au SIS. En outre, pour les nouveaux États membres, la priorité est que le SIS II soit opérationnel le plus tôt possible afin de permettre la levée des contrôles aux frontières.

Dans ce contexte délicat, il me semble que nous pourrions utilement appuyer la position du Gouvernement en déposant une proposition de résolution qui reprendrait les préoccupations que je viens d'exprimer.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Comme j'ai eu l'occasion de le souligner dans le rapport d'information que je vous ai présenté sur les agences européennes, je suis extrêmement réservée devant la multiplication de ce type d'organismes au niveau européen. C'est la raison pour laquelle je pense que nous devrions nous opposer à l'idée de confier la gestion du futur système d'information Schengen de deuxième génération à une agence.

M. Roland Ries :

Pourriez-vous nous donner des éléments sur la gestion actuelle du système d'information Schengen ? Ce système fonctionne-t-il aujourd'hui de manière satisfaisante ?

M. Robert Del Picchia :

Depuis la mise en place du système d'information Schengen, chaque État est responsable de sa partie nationale, alors que la gestion de la structure de support centrale a été confiée à la France. De l'avis de tous les États membres, ce système fonctionne de manière satisfaisante. J'ajoute que le centre du système est situé à Strasbourg.

M. Robert Bret :

Les questions relatives au système d'information Schengen sont très complexes et sensibles. Je regrette d'ailleurs que nous n'ayons pas pu disposer de plus de temps pour les examiner. De manière générale, vous connaissez les fortes réserves de mon groupe à l'égard du système d'information de Schengen. C'est la raison pour laquelle je ne prendrai pas part au vote sur le dépôt de la proposition de résolution.

À l'issue de ce débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :


Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (texte E 2897),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (texte E 2898),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'accès des services des États membres chargés de l'immatriculation des véhicules au système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (texte E 2899),

Approuve l'idée de remplacer le système d'information Schengen par un système d'information de deuxième génération permettant la participation d'un plus grand nombre d'États membres et de lui attribuer de nouvelles fonctionnalités ;

Considère cependant que ce nouveau système doit être au moins aussi performant que le système existant et que le texte proposé par la Commission ne répond pas à cet objectif ;

S'interroge sur la nécessité de modifier les bases juridiques actuelles de ce système au regard de la complexité résultant des initiatives présentées par la Commission ;

Demande, en particulier, au Gouvernement :

- de s'opposer à l'idée de confier la gestion du futur système à la Commission ou à une agence,

- de conserver les règles actuelles en matière de signalement des étrangers aux fins de non admission.