Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 13 décembre 2006


Table des matières

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Agriculture et pêche

Réforme de l'OCM Banane (Texte E 3266)

Communication de M. Louis Le Pensec

J'ai souhaité intervenir devant vous au sujet du projet de réforme de l'Organisation Commune des Marchés (OCM) dans le secteur de la banane, qui a été soumis à notre examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. Il s'agit, en effet, d'un texte d'une très grande importance, qui conditionne l'avenir de la filière de production de la banane communautaire.

Je vous rappelle que la production de bananes, au sein de la Communauté, provient principalement de quatre régions, dites ultrapériphériques (RUP), parmi lesquelles figurent deux départements français d'outre-mer, la Guadeloupe et la Martinique. Les deux autres régions productrices sont les Îles Canaries (Espagne) et Madère (Portugal). La production bananière y joue un rôle socio-économique central, d'autant plus crucial qu'aucune alternative agricole crédible ne peut être envisagée sur ces territoires insulaires.

Les enjeux liés au projet de réforme présentée par la Commission sont donc considérables pour ces régions.

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En quoi consiste cette réforme ?

La Commission propose de supprimer, à partir du 1er janvier 2007, le système d'aide compensatoire existant, et d'intégrer le budget qui y a été affecté en moyenne au cours de la période de référence 2000-2002 à la dotation du programme d'appui à l'agriculture des régions ultrapériphériques de l'Union (Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité » - POSEI). Le montant transféré s'élèverait à 278,8 millions d'euros et serait réparti de la façon suivante : 50,6 % pour l'Espagne, 46,3 % pour la France, et 3,1 % pour le Portugal.

Cette réforme est accueillie favorablement par la France et les autres principaux États producteurs de banane. Elle apporte en effet deux avancées :

- tout d'abord, en ce qui concerne le montant prévu de l'enveloppe budgétaire. Celui-ci n'est en effet pas très éloigné de la demande de 302 millions d'euros que la France, l'Espagne, le Portugal et Chypre (dont aucun territoire n'appartient à la catégorie des RUP mais qui est également une région productrice de bananes) avaient formulée en commun dans un mémorandum adressé à la Commission en septembre 2005 ;

- ensuite, outre la garantie d'une enveloppe budgétaire stable pour l'aide aux producteurs de bananes, le dispositif POSEI offrira aux États concernés la possibilité de décider librement de la répartition des crédits à verser aux producteurs et de répondre ainsi de manière plus adaptée aux besoins régionaux spécifiques.

Si les trois principaux pays producteurs de bananes de l'Union ont adopté une position conciliatrice alors que le montant proposé par la Commission pour l'enveloppe budgétaire est inférieur à leur voeu initial, c'est parce qu'ils doivent faire face à une opposition, ou du moins à une forte réticence de la part des autres États membres non producteurs de bananes. Ces derniers, parmi lesquels figurent notamment l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et l'Italie, ont deux principaux griefs :

- le choix de la période de référence (2000-2002) qui a déterminé le calcul du montant de l'enveloppe budgétaire annuelle allouée, jugé « extrêmement favorable » aux producteurs ;

- et la marge de sécurité budgétaire de 8,5 % préconisée par la Commission, qui représente 40 millions d'euros en sus du montant calculé à partir de la période de référence choisie. Une telle marge serait, aux dires de ces pays, du « jamais vu ». La Commission argumente à bon escient qu'elle vise à tenir compte de l'incertitude liée à l'évolution du système d'importation uniquement tarifaire mis en place le 1er janvier 2006.

Mon appréciation de la proposition de réforme de la Commission ne saurait faire abstraction du rôle qu'il m'a été donné de jouer, en son temps, comme ministre des DOM-TOM dans la réforme de l'Organisation Commune du Marché de la Banane. Le dispositif que j'avais proposé en 1992 était fondé sur des contingentements : des quotas de bananes étaient réservés sur le marché européen en fonction des régions de production : européenne (Antilles, Canaries, Madère), ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), et pays tiers (Amérique latine). La réforme de 2005 m'est dès lors apparue porteuse de bien des périls pour l'avenir de cette filière.

Ceci étant posé, je prends acte que la Commission répond à l'exigence de solidarité à l'égard des régions ultrapériphériques. Les RUP - et je m'intéresserai plus particulièrement aux cas de la Guadeloupe et de la Martinique - sont des territoires aux « caractéristiques et contraintes particulières », comme il est écrit à l'article 299 §2 du traité établissant la Communauté européenne relatif aux régions ultrapériphériques. En Guadeloupe et Martinique, l'équilibre économique et social est fortement déterminé par la bonne santé du secteur de production de la banane. Comment pourrait-il en être autrement ? La production de bananes représente 50 % de la production agricole locale, et le secteur emploie 15 000 personnes sur les 40 000 que compte le secteur agricole. Ces données prennent d'autant plus de sens lorsqu'on les rapproche des taux de chômage que connaissent la Guadeloupe et la Martinique (respectivement 26 % et 21,8 % en 2005). La diminution ou la disparition de l'aide européenne serait dramatique pour ces régions. C'est pourquoi il est impératif de voir le soutien de la Communauté se pérenniser dans le cadre du programme POSEI. Cela d'autant plus que le régime d'importation de la banane par l'Union européenne demeure contesté au sein de l'OMC.

Je vous proposerai donc d'inviter le Gouvernement à défendre, lors des négociations, la réforme proposée par la Commission européenne.

Toutefois, un point de cette réforme mériterait d'être clarifié. La Commission propose une clause de révision, ou « clause de rendez-vous », à l'horizon 2009 afin d'évaluer le fonctionnement de l'ensemble du programme POSEI. Elle prévoit également une évaluation anticipée s'il apparaît que les « sources de revenu » dans les RUP changent significativement. Mais la rédaction de cette clause de révision est ambiguë dans la mesure où la Commission ne s'engage pas explicitement à adapter le dispositif de soutien aux producteurs de bananes en cas de modification significative de la situation du marché. Il serait donc souhaitable, à mon sens, que cette clause de révision soit plus explicite et que la Commission s'engage à renforcer, dans le cadre du POSEI, son soutien au revenu des producteurs de banane en cas de dégradation de leur situation. Cette demande de clarification me semble naturelle dans la mesure où l'aide au secteur de la banane représentera, après la réforme, environ 50 % du budget du programme POSEI.

Tels sont les enjeux de ce projet de réforme ; et c'est pourquoi il m'a semblé utile de le retirer de la procédure écrite afin que nous puissions en débattre ensemble au sein de notre délégation.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je me félicite de votre initiative qui me fournit l'occasion de rappeler une nouvelle fois que tout membre de la délégation a la possibilité de demander qu'un texte de la procédure écrite soit retiré afin d'être examiné lors d'une réunion de la délégation.

Votre communication souligne parfaitement l'enjeu que représente cette réforme de l'OCM dans le secteur de la banane pour deux de nos départements français, la Guadeloupe et la Martinique. Je partage vos conclusions, et j'estime que nous devrions appeler le Gouvernement à mettre tout en oeuvre pour soutenir la proposition de la Commission, qui devrait préserver la production de la banane dans les régions ultrapériphériques.

M. Louis Le Pensec :

Face aux réticences de certains États membres, il me semble en effet indispensable que le gouvernement français apporte tout son soutien à cette proposition. A ce titre, je me permettrai de rappeler que les désaccords autour de la banane ne sont pas nouveaux. Cette question constituait déjà l'une des « pommes de discorde » entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer il y a près de cinquante ans, comme en témoigne le traité de coopération entre la France et l'Allemagne, signé le 22 janvier 1963, dans lequel le chancelier allemand a fait insérer une clause qui autorise son pays à importer des bananes d'Amérique latine en franchise de douane.

M. Hubert Haenel :

On raconte même que ces différends autour de la banane auraient retardé la signature du traité de Rome !

M. Jean Bizet :

L'Organisation Commune du Marché de la banane est l'un des sujets prégnants à l'OMC.

A défaut d'attribuer aux bananes communautaires le label d'indication géographique protégé (IGP), il me semble que le projet de réforme que vous venez de nous présenter constitue l'unique solution pour préserver la production communautaire de bananes et maintenir ainsi notre aide aux régions ultrapériphériques.

M. Louis Le Pensec :

Au moment de sa création, en 1993, l'« OCM Banane » avait mis en place une protection non seulement tarifaire, mais aussi contingentaire, ce qui signifie qu'une part du marché communautaire était réservée aux bananes produites dans les Antilles. Mais ce régime contingentaire a rapidement été contesté devant l'OMC et abandonné au profit d'un régime uniquement tarifaire. Cette évolution, soutenue par la Commission, est regrettable, même si elle était inéluctable.

Il me semble, en revanche, que la proposition de la Commission qui nous est soumise aujourd'hui constitue un point d'équilibre dans la mesure où elle devrait pérenniser le régime d'aides au secteur de la banane. Nous ne pouvons espérer plus. C'est d'ailleurs bien l'avis des producteurs de bananes en Guadeloupe et en Martinique, qui se sont déclarés favorables à ce texte, tout en plaidant pour le plein respect de la clause de révision.

Par ailleurs, je tiens à porter à votre connaissance que l'« OCM Banane » fait de nouveau l'objet de contestations devant l'OMC. L'Équateur a déposé une plainte le mois dernier devant l'organe de règlement des différends de cette organisation pour contester le montant des droits de douane imposé par la Communauté européenne aux importations de bananes d'Amérique latine. Ce montant, fixé à 176 euros/tonne, est jugé discriminatoire par ce pays.

M. Hubert Haenel :

Nous approuvons à l'unanimité vos conclusions. Je communiquerai donc au Secrétariat général des affaires européennes, dès demain, notre position sur ce texte.

Travail

Tour d'horizon des questions sociales
à l'ordre du jour de l'Union européenne

Audition de M. Gérard Larcher,
ministre délégué à l'emploi, au travail
et à l'insertion professionnelle des jeunes1(*)

M. Hubert Haenel :

Je voudrais, tout d'abord, vous remercier d'avoir accepté de venir devant la délégation pour l'Union européenne et la commission des affaires sociales du Sénat. Cette audition devrait nous permettre d'effectuer un tour d'horizon des questions sociales inscrites à l'agenda européen.

Lors de notre précédente rencontre, en février dernier, nous avions longuement évoqué avec vous la question du maintien ou non par la France des restrictions à l'emploi des travailleurs salariés originaires de ces pays. Alors que le gouvernement n'avait pas encore pris de position définitive à ce sujet, vous étiez venu débattre de cette question et vous aviez paru sensible au souhait de beaucoup d'entre nous d'assouplir ces mesures dérogatoires, qui apparaissaient discriminatoires aux yeux des pays concernés. Votre liberté de parole et votre souci d'écoute du Parlement avaient d'ailleurs été très appréciés par nos collègues. En définitive, le gouvernement a décidé de procéder, à partir du 1er mai 2006, à une levée progressive et maîtrisée de ces restrictions, en ouvrant notre marché du travail pour une liste de 62 métiers qui connaissent des difficultés de recrutement, notamment dans l'agriculture, l'hôtellerie et le bâtiment. La plupart des quinze anciens États membres ont d'ailleurs décidé d'ouvrir leur marché du travail ou d'assouplir leurs restrictions, à l'exception de l'Allemagne et de l'Autriche.

Plus de huit mois après cette décision, quel bilan tirez-vous de cette ouverture ? Quel a été le nombre de travailleurs originaires de ces pays qui sont venus en France ? Quel est le « profil type » de ces personnes ? Avez-vous rencontré des difficultés dans l'application de cette mesure ? Le Gouvernement envisage-t-il de poursuivre cet assouplissement ou de maintenir le dispositif actuel ? Enfin, qu'en est-il du régime qui sera appliqué à la Roumanie et à la Bulgarie, qui devraient adhérer à l'Union au 1er janvier 2007 ?

M. Gérard Larcher :

Nous savons tous ici l'importance que revêt désormais pour nos concitoyens la construction de l'Europe sociale. Nos compatriotes, qui ont eu parfois tendance à s'en désintéresser dans le passé, découvrent soudain, quelquefois avec anxiété, l'impact que l'ouverture du marché peut avoir sur leurs emplois et leurs conditions de travail, et naît ainsi le sentiment que l'Europe ne les protège pas assez.

Je suis donc très heureux de pouvoir faire le point avec les parlementaires qui les représentent, comme nous l'avions fait au début de cette année, sur les dossiers en cours. Je crois que la méthode la plus simple est de procéder d'abord à un bilan de l'année 2006 puisque nous nous étions rencontrés en février dernier. 2006 a été une année riche en dossiers importants pour l'Europe sociale et pour notre pays. Dans un deuxième temps, je m'efforcerai de vous présenter les perspectives de l'année 2007 avec les présidences allemande puis portugaise.

Dans le bilan que l'on peut dresser pour l'année 2006, je soulignerai les évolutions qui ont trait à l'ouverture progressive et maîtrisée du marché européen aux travailleurs des nouveaux États membres, mais aussi celles qui sont liées à la protection des salariés. Cette question est complètement différente de celle sur l'immigration.

La liberté de circulation des travailleurs fait en effet partie des quatre grandes libertés fondamentales qui sont la base du marché européen : liberté de circulation des capitaux, des biens et produits, des services, des personnes. En ce qui concerne les travailleurs, les citoyens de chacun des États peuvent aller librement travailler dans les autres États. Quand on parle des travailleurs tchèques, hongrois, polonais, demain roumains, nous ne sommes pas dans un débat sur l'immigration. Ce sont des citoyens à part entière de l'Union européenne. La mobilité des travailleurs au sein de l'Union européenne est donc une liberté, un droit fondamental des citoyens européens. C'est aussi notre richesse commune et nous devons l'encourager.

Pour progresser vers cet objectif, la France a assoupli cette année sa réglementation en matière de délivrance des autorisations de travail, et ouvert partiellement son marché du travail aux ressortissants des huit nouveaux États membres de l'Europe centrale et orientale entrés en 2004. Pour la première étape de deux ans entre 2004 et 2006, qui suivait l'adhésion, la France, en raison notamment de son taux de chômage élevé, avait décidé de maintenir le régime des autorisations de travail avec opposition de la situation de l'emploi pour les ressortissants de ces huit pays. C'était restrictif.

Vous vous en souvenez, nous avions eu ici même, en février, un débat très approfondi sur la décision que devait prendre notre pays au 1er mai 2006. Ce débat, comme celui que j'avais organisé en mars avec les partenaires sociaux dans le cadre du Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales, a fortement contribué à la décision du Gouvernement. Pour la deuxième étape, qui a commencé le 1er mai dernier et nous conduira jusqu'en 2009, le Gouvernement a en effet pris une décision d'ouverture progressive et maîtrisée de notre marché du travail aux ressortissants des nouveaux États membres européens.

Certains pays européens ont donné totale liberté d'accès. Le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède, dès 2004, l'Espagne, le Portugal, la Grèce et la Finlande, depuis le 1er mai 2006, ont levé toutes les restrictions à l'ouverture de leur marché du travail. D'autres pays, comme l'Allemagne, l'Autriche, pratiquent encore une restriction totale. L'Italie, le Danemark, la Belgique, comme la France, ont choisi de lever progressivement les restrictions au cours des trois prochaines années.

Nous avons établi une liste de 62 métiers dans lesquels il y a des difficultés de recrutement, c'est-à-dire où il y a plus d'offres d'emploi que de demandeurs. La procédure des autorisations de travail est maintenue. Elle permet de s'assurer qu'il n'y pas d'abus ni de déstabilisation du marché du travail dans ces secteurs. Mais cette procédure est plus légère pour les métiers où il y a des tensions de recrutement. En effet, les services de main-d'oeuvre n'ont plus à rechercher si ces emplois peuvent trouver preneur à l'agence locale pour l'emploi. L'ouverture aux salariés européens se fait sur des contrats de travail de droit français, donc en pleine égalité de traitement. Il n'y aura ainsi aucun dumping ni concurrence sociale à la baisse.

Les premiers résultats montrent que nous avons atteint notre objectif de maîtrise. Six mois après, on constate une progression de 35 %, mais très raisonnable en volume, avec 2 761 contrats de travail, permanents ou temporaires, hors travailleurs saisonniers. Ce chiffre comprend pour un tiers des régularisations de travailleurs qui étaient déjà sur le territoire. Pour les contrats saisonniers - en agriculture notamment -, on est sur les neuf premiers mois de 2006 à 8 215 contrats, soit plus 27 %. Mais cela résulte surtout d'un transfert vers les ressortissants des nouveaux pays de l'Union.

Que va-t-il se passer avec les Roumains et les Bulgares qui entrent dans l'Union au 1er janvier 2007 ? Comme les Polonais ou les Hongrois, ils vont aussi se trouver dans une période transitoire de sept ans qui commencera pour eux le 1er janvier 2007. Nous leur appliquerons les facilités que nous avons offertes aux huit pays pour les 62 métiers en tension de la liste établie en mai 2006. Nous sommes donc dans le même scénario prudent que pour les huit : pas d'ouverture générale du marché du travail ; système d'autorisation de travail qui permet de contrôler les flux.

Ce marché du travail ouvert à l'ensemble de l'Union, nous devons aussi en faire un espace où les droits des salariés sont protégés et respectés. Un marché ouvert à la dimension de l'Union doit s'accompagner de l'affirmation d'un ordre public social européen. Je vous ai parlé du principe de liberté du marché européen. Il convient de ne pas oublier un autre principe fondateur de l'Europe, tout aussi important et inscrit dans les traités : celui de l'harmonisation dans le progrès social. Cet objectif d'harmonisation se concrétise à trois niveaux :

- d'abord, par la construction d'un socle juridique commun social et de règles anti-dumping dans le cadre du marché intérieur ;

- ensuite, par la solidarité financière qui joue au travers des fonds sociaux et structurels ;

- enfin, par des mécanismes de coordination et de comparaison des politiques sociales et de l'emploi.

Le développement de normes sociales européennes, notamment sur la protection de la santé et de la sécurité au travail ou sur le temps de travail, doit offrir à tout salarié de l'Union une protection minimale décente.

Lors du Conseil des ministres de l'emploi du 7 novembre dernier, qui était entièrement consacré à la révision de la directive sur le temps de travail, la France a exhorté les États membres à faire un dernier effort pour parvenir à un compromis acceptable, c'est-à-dire qui débouche sur une révision prévoyant la fin de la dérogation générale aux 48 heures et une solution à la question des temps de garde. À la lumière de l'avis du Parlement européen, nous avons déposé, avec les ministres du Travail italien et espagnol, un amendement commun à la proposition de compromis de la présidence, qui proposait de fixer, dans la clause de révision, une date certaine à la fin de l'opt-out. Dans un esprit de compromis, cette date était fixée au terme d'une période de transition de 10 ans, l'important étant que cette date soit finale, certaine, et inscrite dans le texte même de la directive.

Cette proposition n'a pas obtenu de majorité qualifiée au Conseil, mais la proposition de compromis finlandais n'en a pas obtenu non plus. Le Conseil reste dans une situation de blocage et j'y reviendrai dans un moment en parlant des perspectives pour 2007 sur la situation ainsi créée relative aux temps de garde et les solutions possibles.

En ce qui concerne la santé et la sécurité des travailleurs, je voudrais dire un mot du règlement REACH qui devrait être adopté aujourd'hui même en deuxième lecture par le Parlement européen. Ce règlement vise à améliorer la connaissance et la maîtrise des risques des substances chimiques, en demandant en particulier aux producteurs et importateurs d'apporter la preuve, selon un calendrier étalé sur 11 ans, de l'innocuité pour la santé ou de la maîtrise des risques des 30 000 substances chimiques les plus utilisées parmi les 100 000 présentes sur le marché communautaire. Il sera adopté par le Conseil européen dans les jours qui viennent. C'est un tournant majeur après trois ans de négociations européennes dans lesquelles la France s'est beaucoup investie, notamment pour demander le renforcement du rôle de l'Agence européenne des produits chimiques créée par le règlement, et pour intégrer le principe de substitution. Le ministère du Travail a d'ailleurs particulièrement défendu l'intégration du principe de substitution, qui consiste à prendre en compte les solutions de remplacement par des substances moins dangereuses lors de l'examen de la demande d'autorisation des substances. Nous nous félicitons de l'adoption de ce texte dont les enjeux sont essentiels pour la protection de la santé et de l'environnement. REACH sera pleinement opérationnel mi-2008. Le Gouvernement a décidé de lancer dès à présent des actions pour préparer sa mise en oeuvre en France dont la coordination reposera sur l'AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail).

La deuxième voie vers l'harmonisation dans le progrès consiste à appliquer le droit du travail du pays d'accueil dans le cadre de la prestation de service. Vous vous souvenez du débat, au moment du référendum, sur la directive « services ». L'objectif était de faire appliquer aussi le droit du travail français à ceux qui viennent sur les chantiers dans le cadre d'une prestation de service : ceux qu'on appelle travailleurs détachés ; détachés parce qu'ils sont détachés chez nous par une entreprise étrangère pour faire un travail, mais qu'ils restent salariés de cette entreprise étrangère.

Ce débat, nous l'avons gagné : c'est bien notre droit du travail qui s'appliquera à eux. Le Parlement européen a effectué à cet égard un travail exceptionnel. Le texte adopté par les députés européens coupe court à tout risque de dumping social et précise que « la directive ne s'applique pas ou n'affecte en rien le droit du travail, notamment les dispositions légales ou contractuelles concernant les conditions d'emploi, les conditions de travail ». Il réaffirme aussi « le droit de négocier, de conclure, d'étendre et d'appliquer les accords collectifs, et le droit de grève ». Ce vote a, me semble-t-il, indéniablement contribué à rééquilibrer les rapports entre les tenants d'une approche économique de la question et ceux qui, à l'instar de la France, considèrent qu'on ne peut faire l'impasse sur un juste équilibre entre des considérations économiques et sociales.

Il convient maintenant de bien faire appliquer cette règle, comme la communication de la Commission de mars 2006 nous y invite :

1. Avoir des textes clairs et complets : la loi du 2 août 2005 en faveur des PME a introduit une nouvelle rédaction législative sur le détachement pour rendre ses règles plus lisibles et mieux adaptées à la lutte contre les pratiques transfrontalières frauduleuses. Son décret d'application est en préparation.

2. Se coordonner entre pays européens pour faciliter le contrôle réciproque de la régularité du détachement dans le pays où a lieu la prestation de service. Nous sommes en train de négocier et de finaliser des arrangements administratifs avec plusieurs pays tant de l'Ouest que de l'Est de l'Union pour faciliter l'action concertée des services de contrôle pour lutter contre toute infraction aux règles sociales et contre le travail illégal.

3. Contrôler sur le terrain : c'est notre plan de lutte contre le travail illégal. Ça ne vise pas que les entreprises étrangères qui n'appliqueraient pas nos règles, mais ça vise aussi celles-là.

Tel est le cadre de la régulation.

Sur le deuxième point, celui de la solidarité financière entre les membres de l'Union européenne, vous le savez, cette année a été marquée par la négociation d'un nouvel instrument, le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation. Depuis longtemps, la France est très attentive à ce qu'un fonds permettant de répondre aux chocs du commerce mondial soit mis en place au niveau européen. Le Conseil européen du 17 décembre 2005 avait acté le principe de la création du fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM), doté d'une enveloppe annuelle maximale de 500 millions d'euros. La Commission a donc élaboré, en mars 2006, une proposition de règlement instituant ce fonds. Il interviendra pour aider à la reconversion de travailleurs touchés par des restructurations de dimension européenne, liées à des changements structurels dans le commerce international.

Grâce à ce nouvel instrument, la Commission entend montrer qu'elle prend pleinement en compte l'impact social de la mondialisation et qu'elle ne se désintéresse pas du sort des salariés. Il ne s'agit pas de prétendre aider à la reconversion de tous les travailleurs concernés par des mutations économiques, il s'agit d'intervenir de façon complémentaire par rapport aux obligations et aux politiques des États membres, en identifiant les restructurations qui affectent significativement l'emploi dans une région ou un secteur donné, et qui ont pour origine l'évolution du commerce international (importations massives, exportations en baisse, délocalisation dans les États tiers). L'objectif de ce fonds n'est pas de soutenir les secteurs en déclin. Il faut aider les travailleurs qui ont perdu leur emploi par suite d'ajustements liés au commerce mondial. Il ne s'agit, en effet, ni de diaboliser la mondialisation, ni de retarder les adaptations nécessaires. Il faut au contraire les faciliter en encourageant la reconversion et le retour à l'emploi des travailleurs touchés. Le principal point d'achoppement de la négociation a porté sur les critères originels d'éligibilité au fonds qui étaient très restrictifs dans le projet initial de la Commission.

La présidence finlandaise a proposé, le 8 novembre 2006, un texte de compromis de nature à satisfaire la France. En effet, le critère par entreprise est considérablement assoupli : 1000 licenciements dans une entreprise et ses sous-traitants mais à l'échelle de tout un pays et sur un délai de quatre mois. Le critère sectoriel est lui aussi assoupli : 1000 licenciements pendant neuf mois dans les PME (moins de 250 salariés selon l'UE) dans un secteur d'activité, sur deux régions contiguës. Enfin, une clause de sauvegarde est présentée pour lisser les seuils. Celle-ci ne peut émarger qu'à hauteur maximale de 15 % du fonds et le sinistre doit s'approcher, par sa nature et son ampleur, des conditions posées par les deux critères précédents.

La France soutient donc le compromis de la présidence finlandaise en l'état, qui constitue le point d'équilibre entre les attentes des États membres. Ce compromis a reçu lors du COREPER du 24 novembre et du Conseil EPSCO du 1er décembre, l'accord de principe des États membres. Le trilogue (discussion entre le Conseil, la Commission et le Parlement) a finalement permis au Parlement et au Conseil de se mettre d'accord sur un même texte. Le vote sur le compromis finlandais soutenu par le rapporteur, Mme Bachelot, doit intervenir en séance plénière du Parlement, aujourd'hui 13 décembre. Si ce vote est confirmé, le règlement sur le FEM sera adopté en première lecture et pourra entrer en vigueur au début de l'année 2007. Ce sera un signal positif pour l'Europe sociale.

J'en viens maintenant aux perspectives européennes dans le domaine social en 2007 qui seront dominées par les priorités de la présidence allemande.

J'ai eu des entretiens approfondis avec mes homologues allemands à trois reprises dans les semaines récentes : le 12 octobre à l'occasion du Conseil des ministres franco-allemands (Jean-Louis Borloo et moi-même avons eu une rencontre bilatérale avec le vice chancelier Müntefering), le 22 novembre à Berlin à l'occasion de la Conférence pour une mondialisation équitable (préparée par M. Müntefering et introduite par la Chancelière Merkel), enfin à Bruxelles le 1er décembre où j'ai rencontré le secrétaire d'État parlementaire Gerd Andres à l'occasion du Conseil des ministres de l'Emploi. Les Allemands entendent favoriser une dimension plus sociale de l'intégration européenne et du marché intérieur, souligner les valeurs communes sociales des États membres et les objectifs du traité en ce domaine, et rendre la dimension sociale de l'Union européenne plus visible.

Les responsables allemands reconnaissent que la promotion du modèle social européen est une condition essentielle pour réconcilier l'Europe et les citoyens. Ils mettent en parallèle le « non » français au référendum avec le scepticisme de l'opinion allemande vis-à-vis des orientations actuelles de la construction européenne. Concrètement, la présidence allemande souhaite :

- promouvoir la dimension sociale de l'Union européenne et une plus grande participation des partenaires sociaux. Nous envisageons une réunion commune des partenaires sociaux français et allemands avant le Conseil européen de mars. Côté français, cette réunion conjointe pourra s'appuyer sur une instance de dialogue social qui joue dans le ministère un rôle important de consultation et d'avis : le Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales. Je m'efforce d'en présider personnellement les réunions les plus importantes. À titre d'exemple, en 2006, j'ai présidé quatre réunions : deux réunions d'avant Conseil des ministres de l'Emploi (29 mai et 27 octobre), une réunion consacrée à la libre circulation le 3 mars, et une réunion le 20 juin sur le programme national de réforme et la stratégie de Lisbonne où nous avions invité le commissaire Spidla.

- mettre en valeur le thème de la qualité du travail. Parmi les critères de la qualité du travail (objet d'une conférence à Berlin les 2 et 3 mai), la présidence allemande cite les revenus (« fair income »). Dans ce contexte, la présidence poursuivra la réflexion ouverte à partir du Livre vert « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle » (vraisemblablement à l'ordre du jour du Conseil informel de Berlin les 18 et 19 janvier ; un premier tour de table a été fait sur le Livre vert au Conseil du 1er décembre). Cette réflexion sur le Livre vert est liée au débat sur la flexisécurité qui devrait se poursuivre au premier semestre.

- enfin, l'égalité des chances sur le marché du travail est le troisième axe des priorités de la présidence, en cohérence avec l'année européenne de l'égalité des chances en 2007. Une réunion au niveau ministériel est prévue les 30 et 31 janvier.

Comme elle a commencé à le faire à l'occasion de la Conférence de Berlin sur la mondialisation et de la Conférence de Potsdam dans le cadre du dialogue entre l'Union européenne et les pays d'Asie au sein de l'ASEM, la présidence allemande fera une déclinaison de ces priorités sur la dimension externe des politiques européennes en s'efforçant de les projeter vers une dimension sociale de la mondialisation.

En revanche, il est peu probable que les Allemands inscrivent la révision de la directive sur le temps de travail dans leurs priorités. Il faudra sans doute attendre soit une initiative de la Commission, soit la présidence portugaise pour voir revenir ce dossier qui n'en reste pas moins urgent en raison de l'absence de solution pour le problème des gardes inactives dans les établissements du secteur sanitaire et social. Je rappelle que la Commission affirme préparer des procédures contre 23 États membres qui ne seraient pas en conformité sur ce point de la directive. En France aussi, à la suite de l'arrêt DELLAS, nous avons besoin de cette révision de la définition des temps de garde.

Telles sont, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les grandes lignes des dossiers actuels dans le domaine du travail et de l'emploi. Je vous remercie et je suis prêt maintenant à préciser ces points en réponse à vos questions.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales :

Permettez-moi tout d'abord de remercier le Président Haenel d'avoir été à l'origine de cette audition commune. Je crois qu'il est nécessaire de développer les liens entre la délégation pour l'Union européenne et les commissions permanentes.

Le dialogue social est désormais totalement intégré dans les traités. Il place volontairement les partenaires sociaux européens au coeur de la réforme sociale et est souvent présenté comme une référence. Néanmoins, son bilan apparaît en demi-teinte : cinq accords ont été signés en dix ans, dont trois seulement ont une portée contraignante. Quelles explications apportez-vous à ce bilan contrasté ? Quelles sont ses perspectives ? Comment envisagez-vous de le relancer ?

M. Gérard Larcher :

Le dialogue social européen évolue dans le même contexte que les autres acteurs européens. Si le dialogue social n'a abouti qu'à un nombre limité d'accords, il reste très présent notamment pour faire avancer un certain nombre de dossiers : ainsi, au sujet de la directive « temps de travail », les contacts avec la Confédération européenne des Syndicats et l'UNICE ont été associés à la préparation du compromis que proposait la présidence finlandaise. Il existe un dialogue social européen sectoriel qui s'attache à examiner de façon pragmatique les problèmes à résoudre. Un accord en matière de santé et de sécurité, signé en avril dernier, va ainsi s'appliquer aux deux millions de salariés européens exposés à la silice cristalline. De nombreux échanges d'expériences et de pratiques existent également dans le domaine des restructurations : des contacts ont ainsi été entretenus au plan européen à propos de Hewlett Packard ou EADS. Un programme de travail a été signé par les partenaires sociaux européens pour la période 2006-2008, où ils s'engagent sur l'accord-cadre volontaire sur le harcèlement et la violence, sur l'encouragement au dialogue social dans les nouveaux États membres, sur le télétravail, le stress au travail, l'évaluation et la flexisécurité. Même s'il n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre, il existe bien un véritable espace de dialogue, qui n'aboutit pas toujours à des accords, mais qui nourrit la réflexion et permet d'obtenir les compromis nécessaires, comme on l'a vu récemment sur le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation.

M. Nicolas About :

Le politique garde toute sa place car, malgré un dialogue social très ouvert, on aboutit à peu d'accords.

M. Gérard Larcher :

La décision du politique gagne toujours à être éclairée par un dialogue préalable. Cela ne retire rien à la démocratie politique, mais permet de passer par un temps propice à la consultation, à la négociation et à l'information capables de changer certaines choses. Les exemples néerlandais ou espagnol sont éclairants. Sans passer par une modification constitutionnelle, ces États ont changé un certain nombre de pratiques, et, quand les gouvernements ont souhaité revenir sur ces orientations, ils ont été rappelés à l'ordre, car le dialogue s'est imposé, pas nécessairement pour conclure des accords, mais pour donner le temps de la concertation et de la consultation.

M. Robert Del Picchia :

Vous avez défini puis mis en oeuvre deux plans d'actions successifs concernant la lutte contre le travail illégal depuis 2004. La Commission a annoncé qu'elle présenterait prochainement un texte visant à harmoniser au niveau européen « les sanctions pénales prononcées à l'encontre des employeurs qui emploient des immigrés clandestins ». Que pensez-vous de cette initiative et comment s'articule-t-elle avec vos deux plans ?

Concernant la directive sur le détachement des travailleurs adoptée en 1996, qui n'est pas sans présenter quelques difficultés, la Commission a présenté il y a quelques mois une communication préconisant, dans le cadre existant, de renforcer la coopération entre les États membres et les procédures de contrôle. Dans le même temps, la Cour de Justice a interprété de manière souple un certain nombre de dispositions de la directive, notamment en ce qui concerne l'exigence de déclaration préalable. Partagez-vous l'analyse de la Commission ? Le Gouvernement prendra-t-il des initiatives allant dans ce sens ?

Enfin, si le programme REACH constitue une avancée, il est une source d'interrogation pour les industriels français, à propos notamment des délais de sa mise en oeuvre. Les analyses de produits nécessaires pourraient conduire à l'arrêt de chaînes de productions au risque de menacer l'emploi. Quelle est la position du Gouvernement en la matière ?

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Dans la lignée de vos propos sur le dialogue social, ne pensez-vous pas que nous aurions intérêt à sectoriser les problématiques pour avancer sur la dimension sociale de la politique européenne, à l'image de ce qui avait été élaboré concernant les transporteurs routiers au Parlement européen ? Je crois en effet que nous arriverons de moins en moins à des solutions générales. À cet égard, vos services travaillent-ils suffisamment en amont pour capter au bon moment l'implication de la France sur tel ou tel dossier ? À ce sujet, il serait sans doute pertinent d'organiser une rencontre de la délégation pour l'Union européenne du Sénat et de la commission des affaires sociales d'une part, et de la commission des affaires sociales du Parlement européen d'autre part. Il me semble qu'il faut aujourd'hui offrir une nouvelle perspective pour l'Europe sociale, qui soit une Europe des hommes et non plus un processus d'uniformisation et de normes minimales.

M. Bernard Frimat :

Au-delà des éléments positifs que vous avez présentés, le constat qui s'impose est celui d'un gigantesque échec de l'Europe en matière sociale. À l'image du débat sur la directive « temps de travail » qui, pourtant, ne propose qu'une réponse a minima, la faible ambition peut conduire à des raccourcis simplistes. De fait, on ne peut qu'être frappé du décalage entre les discours sur l'Europe sociale et l'absence de résultats tangibles.

Mon interrogation se porte sur le Livre vert de la Commission « Moderniser le droit du travail pour relever les défis au XXIe siècle », dont le titre pourrait laisser penser que le droit du travail est un obstacle à l'emploi. Le concept de flexisécurité ne pourra susciter un consensus qu'à condition qu'il n'exacerbe pas la flexibilité au détriment de la sécurité. Le principe de ce Livre vert n'est donc pas sans poser quelques questions, notamment quant au but recherché, et je souhaiterais avoir votre avis sur la manière utilisée.

M. Jean Bizet :

Permettez-moi tout d'abord de rappeler la nécessaire création de passerelles entre l'Organisation mondiale du commerce, l'Organisation internationale du travail, l'Organisation mondiale de la santé, voire demain l'Organisation des Nations unies pour l'environnement, pour lutter contre toutes les distorsions de concurrence et permettre aux pays les moins avancés de définir le cadre d'une bonne gouvernance. Je me réjouis à cet égard des avancées que vous avez présentées.

Je souhaite également que vous puissiez clarifier le droit applicable en matière de détachement car il règne encore beaucoup de confusion autour de cette question.

M. Nicolas About :

Peut-on espérer une relance des négociations sur la proposition de directive relative au travail intérimaire qui sont actuellement bloquées ? Je voudrais également savoir comment le Gouvernement a pris en compte la résolution du Sénat sur le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation dans le cadre des négociations au sein du Conseil.

M. Roland Ries :

Je me félicite que le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation soit désormais sur de bons rails. Si je partage votre approbation des assouplissements de critères dont vous avez fait mention dans votre exposé, je souhaite que vous nous apportiez des précisions quant au mode de définition des sous-traitants, qui sont désormais pris en compte dans le seuil des 1 000 licenciements. Je reste également dubitatif quant au montant de 500 millions d'euros accordé au Fonds sur la base de reliquats budgétaires non consommés. Peut-on avoir une idée du montant des futures enveloppes ?

M. Robert Bret :

La question de l'ouverture progressive et maîtrisée d'une soixantaine de métiers aux ressortissants des nouveaux adhérents doit être liée aux questions de formation et de qualification. L'exemple de Marseille, ville actuellement en pleine reconstruction, est assez frappant. En effet, les entreprises du bâtiment et travaux publics ont été amenées à recruter des ouvriers polonais malgré le fort taux de chômage, du fait de l'absence de personnel local qualifié. La question de l'anticipation et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences me semble être au coeur du sujet et devrait être abordée avec une autre ampleur au niveau européen.

M. Gérard Larcher :

Le principe fondateur de la construction européenne est celui de l'harmonisation dans le progrès. Les succès de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande ou de la Grèce sont là pour souligner la réussite d'une telle démarche, même si elle s'avère plus délicate à mettre en oeuvre avec les nouveaux États membres. La panne de gouvernance que nous rencontrons aujourd'hui ne saurait occulter certaines réussites actuelles, à l'image des résultats obtenus concernant la directive « services » avec la consolidation du principe de l'application du droit du travail du pays d'accueil.

La faiblesse du montant du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation ne doit pas masquer le principal, à savoir que ce fonds existe et qu'il a su remporter l'adhésion de pays initialement opposés à sa création, tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Cet instrument constitue un véritable outil de négociation et de reconstruction qui accompagne les mutations économiques, mais montre aussi que l'Europe sociale peut se concrétiser au plus près des salariés.

À cet égard, et pour répondre à M. Bret, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans un bassin d'emploi s'avère cruciale. Elle est au coeur de la loi de cohésion sociale au travers notamment des nouvelles obligations de négocier ou de la modernisation du service public pour l'emploi. Cette gestion doit permettre de préparer les hommes aux mutations économiques plus rapides qu'auparavant, à l'image des évolutions que connaît, par exemple, le pays de Montbéliard actuellement.

Je ne crois pas en un modèle unique d'Europe sociale, mais il convient de ne pas abandonner le principe de l'harmonisation dans le progrès, véritable idéal des pères fondateurs. L'Europe ne saurait être résumée à la monnaie ou aux marchés. Il est nécessaire de faire émerger l'idée d'une Europe qui protège nos concitoyens, si sensibles à l'idée inverse, face à la mondialisation.

Un des éléments de protection a trait à la procédure de détachement et à la nécessité de renforcer les contrôles réciproques sur le terrain et notre vigilance sur le travail illégal. À cet effet, nous disposerons à la mi-2007 d'accords administratifs avec la moitié des États membres. La mobilisation des administrations sur le contrôle de l'amiante au travers des campagnes de contrôle coordonnées et concomitantes dans les 25 États membres découle de cette bonne collaboration entre les administrations européennes. Le renforcement de la lutte contre le travail illégal demeure par ailleurs une priorité. Nous sommes en train de préparer une circulaire interministérielle en la matière, dans la lignée de la communication de la Commission du 19 juillet dernier qui prévoit une coordination des sanctions entre les États membres.

Concernant le programme REACH, le dossier de l'amiante nous invite à la plus grande vigilance concernant les risques différés liés aux substances chimiques. Pour le formaldéhyde, les éthers de glycol ou les fibres céramiques, nous avons lancé des études dans le cadre du plan « santé au travail ». En tant que ministre en charge de la santé des travailleurs, il sera de ma responsabilité de tirer les conclusions de ces études pour prendre des décisions, dont la mise en oeuvre pourrait bouleverser la donne économique. En collaboration avec le ministère de l'industrie et l'Union des industries chimiques, nous avons lancé une action de sensibilisation et de formation au programme REACH qui concernera 800 PME. Un service national d'assistance technique va être installé à destination des PME, qui vient en complément du plan « santé au travail ». Je vous rappelle que le règlement REACH, adopté à l'échelle européenne, répond au niveau d'exigence français et permet de faire partager celui-ci à nos partenaires, réduisant ainsi les risques de distorsion de la concurrence. C'est là un grand succès de l'Europe sociale.

La sectorisation pourrait sans doute permettre d'avancer sur la directive « temps de travail ». Toutefois, cette méthode ne doit pas non plus écarter l'objectif d'harmonisation globalisé qui est le nôtre en la matière. Il ne faudrait pas, par exemple, que la question du temps de garde soit traitée dans certains secteurs où il est le plus fréquent et pas dans d'autres. Le droit du travail a certes contribué à régir les relations individuelles au travail, mais aussi à garantir un cadre collectif.

Concernant le Livre vert sur la modernisation du droit du travail, je tiens à rappeler que l'article 137 du traité précise que le droit du travail relève avant tout de la compétence nationale. Il s'agit néanmoins d'un complément logique de la réalisation du marché commun. Le Livre vert ne doit pas être sous-estimé. Il aborde ainsi la question de la responsabilité entre donneurs d'ordre et sous-traitants, et celle de la frontière du droit du travail entre salariat et travail indépendant au travers notamment de la question du travail économiquement dépendant. Le choix d'un ordre public social européen par des gouvernements de sensibilité différente en lieu et place de simples recommandations sans portée contraignante a permis de replacer la question sociale au centre du débat européen.

Pour revenir sur les passerelles entre l'OIT et l'OMC, la diffusion des conclusions de la Commission sur la dimension sociale de la mondialisation, placée sous la coprésidence de la Finlande et de la Tanzanie, prônant l'intégration des règles de travail décent dans les relations commerciales, apparaît nécessaire. Le vote par une très large majorité d'États, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, est une éventualité, à l'image de la procédure suivie pour l'interdiction mondiale de l'amiante. La ratification de la Convention maritime de l'OIT qui fait émerger le principe de l'application du droit de l'État du port, quel que soit le pavillon, participe également de la promotion du travail décent.

Les négociations sur la proposition de directive concernant le travail intérimaire sont actuellement paralysées par une minorité de blocage réunissant l'Irlande, le Danemark, le Royaume-Uni et l'Allemagne. La proposition pose deux difficultés : une révision périodique des restrictions des cas de recours à l'intérim, et surtout l'application d'une véritable égalité de traitement. La France ne souhaite pas une révision constante en cas de recours et reste très attachée à l'égalité de traitement dès le premier jour. Cette position ne rencontre pas l'adhésion des pays précités, et il est permis de penser qu'aucun déblocage n'interviendra avant l'adoption de la directive « temps de travail ».

Je voulais enfin conclure sur l'importance de vos résolutions dans mon travail. Les pays qui viennent avec des prises de position de leur parlement sont les plus forts dans les négociations au sein du Conseil. J'ai ainsi fait valoir à mes partenaires les deux résolutions des assemblées au cours des discussions préalables sur le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation. Plus largement, je pense que le Parlement doit s'autosaisir d'un certain nombre de grands dossiers avant l'entrée dans le processus décisionnel. Il pourrait ainsi se saisir de la question des accords commerciaux et de leur dimension sociale, sujet prioritaire de la présidence allemande, ou d'une approche sectorielle concernant la directive « temps de travail » en vue de la présidence portugaise. Il pourrait également être intéressant que les présidents de la délégation pour l'Union européenne et de la commission des affaires sociales puissent venir devant le Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales (CDSEI).

M. Nicolas About :

Nous souhaitons que l'Europe sociale puisse faire avancer l'Europe des hommes tout en préservant sa richesse et sa diversité, mais en favorisant une véritable convergence des normes en faveur des plus faibles, à l'image des mesures en faveur du travail décent. C'est peut-être la grandeur de l'Europe d'aller vers cette convergence avant d'envisager d'autres dispositifs.


* Cette réunion s'est tenue en commun avec la commission des affaires sociales.