Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 20 décembre 2005


Table des matières

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Institutions européennes

Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005

Audition de Mme Catherine Colonna

M. Hubert Haenel :

Nous nous sommes tous réjouis que le Conseil européen dégage un accord sur les perspectives financières qui permette d'envisager l'avenir avec plus d'optimisme. Après l'échange que nous avons eu en séance plénière à la veille du Conseil européen, nous sommes très désireux d'entendre votre relation de cette rencontre au sommet.

Mme Catherine Colonna :

Je souhaiterais vous donner quelques informations sur le Conseil européen de jeudi et vendredi dernier à Bruxelles avant de répondre à vos questions. Comme vous le savez, le Conseil européen a été consacré quasi exclusivement aux perspectives financières pour les années 2007-2013 et j'y consacrerai donc l'essentiel de mon intervention. Je reviendrai ensuite brièvement sur les autres sujets du Conseil européen.

Sur les perspectives financières, disons les choses simplement : l'Europe a désormais un budget pour la période 2007-2013 et il s'agit d'un bon budget pour l'Europe, et pour la France. Cette négociation revêtait une importance capitale pour l'avenir de l'Europe toute entière. En l'absence d'accord, l'impression d'une Union en difficulté aurait été évidemment renforcée. En même temps, l'existence d'un tel risque, dont nous étions naturellement conscients, ne devait pas nous amener à accepter un accord à n'importe quel prix. Pour leur part, les nouveaux États membres étaient soucieux de ne pas être pénalisés dans leurs efforts par l'absence d'accord, ni par les insuffisances de la solidarité.

Il y a une semaine, lors de notre débat ici même au Sénat, j'avais rappelé les exigences auxquelles le budget devait répondre pour être acceptable :

- tenir nos engagements à l'égard de nos nouveaux partenaires au nom du principe de solidarité ;

- assurer le financement de l'Europe élargie de façon équitable, ce qui imposait de corriger le mécanisme du rabais britannique ;

- permettre le financement des politiques communes dans le respect des accords déjà passés (par exemple sur le financement de la PAC jusqu'en 2013) ;

- permettre de développer les politiques nouvelles répondant aux attentes de nos concitoyens (recherche et innovation, sécurité, justice) ;

- assurer un budget pluriannuel respectant le principe de stabilité et permettant à l'Union et aux États membres d'avoir la visibilité nécessaire sur la période.

Cette position avait recueilli un large soutien tant de la part du Sénat que de l'Assemblée nationale et le Président de la République a pu ainsi aborder ce Conseil décisif fort de l'appui de la représentation nationale. De même, nous avions tous beaucoup travaillé ces derniers mois pour faire partager nos idées par nos partenaires, à différents niveaux. Je vois dans ces deux éléments des facteurs du succès.

Si un accord a été possible à Bruxelles, c'est bien parce que les propositions britanniques des 5 et 14 décembre qui avaient profondément déçu et n'étaient pas à la hauteur du projet européen, ont été modifiées et rendues acceptables par tous. Quelles furent les inflexions apportées ?

Le budget s'établit à 862,363 milliards d'euros, ce qui correspond à 1,045 % du PIB européen. Ce sont 9 milliards de moins que la proposition luxembourgeoise de juin dernier (qui prévoyait 871,5 milliards), mais ce sont 13 milliards de plus que la proposition de la présidence du 14 décembre dernier à 849 milliards, qui représentait 1,03 % du PIB européen. Par rapport à la reconduction à l'identique du budget 2006, les perspectives financières adoptées représentent environ 50 milliards d'euros de fonds supplémentaires pour l'Europe. Ainsi, ce budget permettra d'assurer le financement de l'Europe élargie. C'est sa vocation principale et elle est respectée. L'Europe aura les moyens de ses ambitions. En effet, au titre de la politique de cohésion, qui représente un volume global de 308 milliards d'euros, les dix nouveaux États membres bénéficieront sur la période d'environ 157 milliards d'euros, soit 4,7 milliards de plus que dans la dernière proposition britannique. Les conditions du rattrapage économique, social et environnemental sont donc réunies, ce qui est l'intérêt de tous. Cela représente pour les nouveaux États membres parfois deux ou trois points de leur PIB, ce qui est important, évidemment.

Ensuite, le financement des politiques communes se trouve assuré. Pour les dépenses de compétitivité (recherche, réseaux transeuropéens...), l'accord prévoit une enveloppe de 72 milliards d'euros sur la période. Cette proposition est identique à celle de la présidence luxembourgeoise en juin dernier, que nous avions acceptée. Je rappelle que c'est dans cette rubrique que les dépenses de recherche augmentent de 33 %. En outre, le Conseil européen a invité la Commission, en coopération avec la Banque européenne d'investissement (BEI), à examiner la possibilité d'augmenter le soutien à la recherche et au développement d'un montant de 10 milliards d'euros, comme cela avait déjà été proposé au mois de juin. Nous sommes donc désormais en mesure de développer ces politiques d'avenir qui permettront à l'Europe de gagner en compétitivité.

Par ailleurs, pour l'agriculture, l'accord confirme les décisions du Conseil européen d'octobre 2002 sur la fixation des dépenses de marché et des paiements directs jusqu'en 2013. En particulier, les crédits de la politique agricole commune « PAC-marché » ont été les mieux préservés de toutes les catégories de dépenses. Il reste ainsi 293 milliards d'euros et la Commission nous a assuré que les aides directes seraient garanties. Cela devrait permettre près de 57 milliards d'euros de retours financiers pour la France sur la période. S'agissant des dépenses de développement rural, elles s'élèvent à 69 milliards, soit 3 milliards de plus que dans les propositions britanniques du mois de décembre ; 69 milliards dont 6 milliards devraient revenir à la France.

Venons-en au volet ressources, c'est à dire essentiellement à la question cruciale du « chèque » britannique. Comme nous l'avions dit et répété, il s'agissait là de la clé de la négociation. Sans modification substantielle, aucun accord n'était possible puisque cela aurait abouti à ce que la Grande-Bretagne ne prenne pas sa part normale des dépenses d'élargissement. Nous avons rallié de nombreux partenaires à cette position. Elle s'est imposée. Je veux saluer à ce propos le choix européen fait en définitive par le Premier ministre britannique. Le résultat obtenu est réellement satisfaisant. Pour la première fois depuis 21 ans, le mécanisme même du rabais est modifié. Et il l'est profondément et durablement. Cela conduira le Royaume-Uni à payer sa part des coûts de l'élargissement. En effet, le rabais britannique sera désormais calculé sur la base d'un budget dont seront retranchées les dépenses d'élargissement, à l'exception de celles qui concernent la « PAC-marché » et une partie du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA). L'assiette de calcul du rabais britannique étant moins large, il en résultera une réduction de son montant. Cette disposition sera progressivement mise en oeuvre au cours de la période 2007-2013, ce qui représentera une réduction totale du chèque britannique de 10,5 milliards d'euros. Ce dispositif sera permanent et vaudra aussi pour l'avenir : la participation britannique au financement de l'élargissement est ainsi un acquis définitif, qui perdurera au-delà de 2013. Vous le voyez, nous sommes loin de la contribution temporaire, forfaitaire et « pour solde de tout compte » que les Britanniques proposaient il y a quelques jours à peine.

Ce budget assure donc le financement de l'Union ; il l'assure d'une façon équitable par la modification du rabais britannique. Mais ce budget respecte aussi les intérêts français : c'est vrai pour la PAC, je l'ai souligné, mais aussi en ce qui concerne nos retours estimés pour les actions structurelles « objectif 2 », qui seront importants (autour de 9 milliards d'euros sur la période). Au total, nos intérêts budgétaires nationaux sont respectés : avec un budget à 1,045 % du PIB de l'Union européenne, la contribution française restera celle que nous avions acceptée en juin autour de 135 milliards d'euros sur la période. Logiquement, notre solde net, - c'est-à-dire la différence entre ce que nous recevons et ce que nous payons -, se dégradera puisque le budget auquel nous contribuons augmente. Il atteindra en fin de période - 0,37 % du revenu national brut (RNB). Il est normal, dans un budget en augmentation, que les contributeurs soient conduits à payer davantage et nous nous retrouverons ainsi dans une situation proche de celle de partenaires comparables, Italie, Suède, Autriche, Grande-Bretagne, Pays-Bas et légèrement mieux lotis que l'Allemagne. Mais je crois que nous sommes d'accord pour considérer que cette logique purement comptable ne reflète pas la réalité de la construction européenne, et même pas sa logique économique, en réalité.

L'accord contient par ailleurs une clause de rendez-vous qui nous convient : la Commission devra ainsi remettre un rapport en 2008-2009 sur la structure des dépenses et des recettes pour l'après 2013. Ceci n'emporte toutefois aucune obligation, ni aucune date, pour une éventuelle réforme des perspectives financières avant 2013. Si des décisions devaient être prises, elles le seraient de toute façon à l'unanimité. En revanche cette clause permettra d'engager la nécessaire réflexion sur la structure du budget et, si le Conseil le souhaite, de prendre des décisions d'ici à 2013, applicables après 2013.

Je voudrais insister sur le rôle que notre pays, et en premier lieu, le Président de la République, a joué au cours de ces négociations. Il ressortait de tous les entretiens du Président de la République, auxquels j'ai participé avec Philippe Douste-Blazy, que l'action de la France, tant en amont du Conseil qu'au cours de celui-ci, a été décisive. C'est en réalité l'entente franco-allemande qui a permis d'avancer vers un accord. Elle a été excellente en tous points. Et nous avons avancé main dans la main tout au long de ces négociations difficiles et longues. Ainsi, les propositions que nous avons faites, conjointement avec l'Allemagne, ont porté tant sur l'augmentation du volume du budget que sur la correction du « chèque » britannique. Elles ont permis de contribuer à dégager un consensus et finalement un accord car nous avons pu recueillir le soutien de nombreux pays, notamment l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg ou l'Autriche, mais aussi la Pologne, avec laquelle l'entente et la concertation furent excellentes, et les nouveaux États membres. Tout au long de la négociation, nous avons aussi maintenu le contact avec le Président de la Commission et la commissaire au budget. Je crois que c'était la bonne méthode de travail.

Permettez-moi encore deux précisions sur ces négociations budgétaires. Le Président de la République a demandé et obtenu en toute fin de négociation une allocation supplémentaire de 100 millions d'euros pour tenir compte de la situation spécifique de deux régions françaises, la Corse (30) et le Hainaut français (70). Cette prise en compte était très attendue par les collectivités concernées. Elle a été légitimement satisfaite. Enfin, à la faveur de plusieurs entretiens informels avec la chancelière fédérale allemande et l'appui du Luxembourg, j'ai pu négocier une nouvelle clé de répartition pour le Fonds européen de développement (FED). Notre taux de contribution au FED, anormalement élevé aujourd'hui (24,30 %), sera abaissé de près de cinq points. Il passera ainsi à 19,55 %, ce qui représente une économie d'un milliard d'euros pour notre budget sur l'ensemble de la période. C'est loin d'être négligeable. De plus, cet accord a permis l' adoption du budget du FED, à hauteur de 22 milliards d'euros pour les pays ACP, et ceci au moment où l'Union se dotait d'une stratégie sur l'Afrique.

Parmi les autres sujets du Conseil européen, il y avait d'abord la question de la Macédoine. Lors du Conseil affaires générales du 12 décembre dernier, nous avions indiqué à nos partenaires que nous estimions inopportun de reconnaître à la Macédoine le statut de candidat sans débat préalable sur la stratégie d'élargissement dans son ensemble. Un premier débat avait eu lieu lors de ce Conseil affaires générales et un autre débat est prévu en 2006 entre les chefs d'État ou de gouvernement. Au cours du Conseil européen, nous avons conditionné l'ouverture de négociations avec l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM) de façon précise. L'Union ne peut pas se lancer sans débat et sans réflexion approfondie dans une nouvelle vague d'élargissement. Par ailleurs, le Conseil européen a confirmé la tenue en 2006 d'un débat général sur ce sujet. Dans ces conditions, aucune raison ne justifiait de s'opposer à la reconnaissance du statut de candidat à la Macédoine. Il s'agit d'un geste politique important et utile pour la stabilisation des Balkans.

Pour la TVA, il n'y avait pas de consensus et il a donc été décidé de poursuivre la discussion lors du Conseil ECOFIN du 24 janvier prochain. Sur le fond, le Premier ministre a rappelé, hier encore, la détermination du Gouvernement à obtenir un accord global traitant à la fois des taux réduits pour le bâtiment et les services à domicile et des taux réduits pour la restauration.

L'année 2005 se termine ainsi de manière positive pour l'Europe : les chefs d'État ou de gouvernement se sont mis d'accord à Hampton Court sur les actions prioritaires à mener au niveau européen et l'Union a désormais un budget pour les mettre en oeuvre. Il y a encore quelques jours, certains pouvaient douter que tel serait le cas. C'est désormais chose faite et il faut s'en réjouir. Les conditions de la relance européenne sont désormais acquises. Il faut maintenant se mettre au travail pour faire avancer cette Europe à laquelle nous croyons.

M. Hubert Haenel :

Vous nous avez convaincu qu'il fallait se réjouir du résultat obtenu par le Conseil européen. Vous pouvez sans doute également nous décrire l'ambiance générale du Conseil, les conditions dans lesquelles ont travaillé la France et l'Allemagne et nous expliciter ce qu'entend le Président de la République par relance de l'Union européenne.

M. Simon Sutour :

La politique agricole commune ne recueille plus un consensus dans notre pays, parce qu'elle profite surtout à la grande agriculture industrielle du Nord de la France. Nos viticulteurs, qui sont actuellement en grande difficulté, n'en sont que très faiblement bénéficiaires. Le ministre des affaires étrangères m'a indiqué récemment qu'une éventuelle réforme de la PAC pourrait intervenir à partir de 2013 ; mais, à cette date, il n'y aura plus de viticulteurs ! Pour les fonds structurels, j'avais travaillé il y a quelque temps avec mon collègue Yann Gaillard et nous craignions à l'époque que l'engagement de « sanctuarisation » de la PAC obtenu par le Président de la République ne fasse des fonds régionaux la variable d'ajustement du budget européen. Malheureusement, nous avions raison. C'est ce que vous venez de nous démontrer puisque, pour la période qui s'achève, la France avait reçu 15 milliards d'euros, alors que le nouveau budget n'en prévoit plus que 9. La chute est très importante. Michel Barnier, quand il était commissaire européen, nous avait indiqué que le plancher raisonnable de l'action européenne dans ce domaine se situait dans le cadre d'un budget s'élevant à 1,25 %, et que, à moins de 1,14 %, il serait très difficile de maintenir une politique régionale. Même si 9 milliards d'euros, c'est mieux que rien, j'ai néanmoins quelques inquiétudes sur leur répartition.

M. Aymeri de Montesquiou :

Vous avez souligné que les soldes nets tendent à disparaître, ce qui est une bonne chose puisque le budget européen va de moins en moins être une prolongation des budgets nationaux. Mais un budget, c'est aussi le reflet d'orientations politiques. De ce point de vue, nous ne percevons pas clairement les grands axes politiques de ce budget. Quant au chèque britannique, pourquoi devrait-il être maintenu alors que les circonstances qui avaient présidé à son institution n'existent plus ? La Grande-Bretagne, grâce à la politique qu'elle a menée depuis 20 ans, est maintenant un pays prospère et on a du mal à comprendre ces batailles autour du rabais britannique. Je regrette par ailleurs que les dépenses agricoles tombent de 40 à 34 % du budget européen. Enfin, à propos de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), il est difficile, pour nos concitoyens, de comprendre pourquoi, contrairement au principe de subsidiarité, la France est empêchée de baisser son taux à 5,5 % alors que l'Allemagne, au même moment, relève son taux de TVA. Enfin, je m'interroge sur les conditions dans lesquelles l'adhésion de la Macédoine et des autres pays des Balkans pourra être ratifiée par la voie du référendum.

M. Jean François-Poncet :

Nous vous félicitons du résultat obtenu à Bruxelles. Un échec aurait été un drame épouvantable. Réjouissons-nous de ce succès ! D'après la presse, il apparaît que Mme Angela Merkel aurait joué le rôle central en liaison avec le Président de la République. Par conséquent, c'est probablement avec elle que devra se jouer la relance européenne. La presse a également évoqué un axe Londres-Paris-Berlin. Nous ne devons pas nous en plaindre, car il n'y a pas de raison de diaboliser nos amis anglais. Je crois aussi que le Président de la République aurait tout intérêt à s'entendre avec Mme Merkel et à ne pas exprimer seul des propositions fracassantes. Sur un autre plan, je suis très préoccupé par les futurs élargissements et par le verrou du référendum. Dès la première consultation, les adversaires de l'Europe vont dire qu'il s'agit d'un précédent pour l'adhésion de la Turquie et ils inciteront à voter non pas sur l'adhésion de la Macédoine, mais sur le fantôme de la Turquie. C'est pourquoi il va falloir que la France traite la question des frontières de la Communauté. Si cette question n'est pas traitée correctement, alors nous serons la bête noire de toute l'Europe. De tous les problèmes qui se posent à la France, il me semble que celui-là est le plus grave et le plus dramatique. Car je ne vois pas comment on peut réformer la Constitution pour revenir sur l'obligation de procéder à un référendum, ni comment on pourra arracher des référendums positifs aussi longtemps que le problème de la Turquie n'aura pas été réglé. A mes yeux, les élargissements ne sont plus aujourd'hui en France entre les mains de l'exécutif, ni du législatif, mais du suffrage universel.

Mme Catherine Colonna :

J'ai bien conscience qu'il n'y a plus, hélas, de consensus, dans notre pays, sur la PAC. Cette politique a certes des défauts, mais elle a aussi beaucoup de qualités. Il ne faut pas oublier que, derrière l'agriculture française et les agriculteurs, il y a 2,5 millions d'emplois dépendant de l'agro-alimentaire, des exportations, une industrie de recherche porteuse pour l'avenir - par exemple dans le domaine des biocarburants. Beaucoup des défauts de cette politique ont déjà été corrigés par la réforme de 2003, notamment grâce au découplage des aides à la production qui avantageaient ceux qui produisaient le plus. La mise en oeuvre de cette réforme se poursuivra jusqu'en 2008 et d'autres réformes ne sont pas à exclure. Quant aux chiffres que vous avez cités, je pourrais en donner d'autres...

M. Simon Sutour :

J'ai cité les chiffres que nous avait donnés le commissaire européen Michel Barnier.

Mme Catherine Colonna :

J'aimerais, à titre personnel, voir un jour un budget qui serait de 5 % de la richesse de l'Europe. Mais, soyons aussi attentifs aux réalités. Un budget, ce sont certes des dépenses, mais aussi des recettes fournies par des contributeurs. En tant que contributeur, notre pays doit être attentif au montant des recettes. L'Europe se fait aujourd'hui avec 1,045 % et 862 milliards d'euros. Qu'on ne dise pas que c'est un mauvais budget ! Sur la politique de cohésion - qui est d'ailleurs devenue le premier budget de l'Union élargie avec 36 % de dépenses, devant le budget de la « PAC-marché » avec 33 % - la France recevra 9 milliards au titre de « l'objectif 2 », 2,8 milliards  pour les départements d'outre-mer et 100 millions de subventions supplémentaires pour la Corse et le Hainaut français. La DATAR estime que, avec 9 milliards d'euros, l'effet de levier est suffisant pour nos régions.

M. Simon Sutour :

Mais il faut comparer les 9 aux 15 de la période précédente !

Mme Catherine Colonna :

Si on compare ce qui est comparable, les chiffres sont de 9 et de 11,5. Les axes politiques de ce budget se dégagent clairement : il faut, d'une part, financer les politiques communes dans le respect des engagements pris, d'autre part, faire progresser les politiques nouvelles dont nous avons besoin comme la recherche et le développement, la justice et les affaires intérieures, la politique extérieure et de sécurité commune - qui progresse de 60 % - tout en tenant compte de l'élargissement à 27 pays. La part de la PAC baisse certes, mais l'enveloppe reste quasi inchangée dans un budget en augmentation autour de 300 milliards d'euros.

Sur la TVA, la question des taux réduits devra être tranchée à l'unanimité par le conseil ECOFIN, qui est le conseil compétent. Il faut reconnaître que toute décision prise par un pays peut avoir des répercussions dans un autre pays. La plupart de nos partenaires ont maintenant levé leurs objections à notre demande, à l'exception de l'Allemagne qui craint un effet de contagion chez elle d'un abaissement du taux sur la restauration, alors même que le programme de la coalition prévoit un relèvement de ces mêmes taux.

M. Aymeri de Montesquiou :

L'opinion, et les parlementaires, ont du mal à comprendre que la baisse des taux en France soit conditionnée par une décision européenne alors qu'une augmentation des taux en Allemagne dépend de ce seul pays.

Mme Catherine Colonna :

Si les taux de TVA sont décidés à l'échelon européen, c'est parce que des décisions en la matière peuvent avoir des effets en matière de concurrence, même si la concurrence n'est pas vraiment concernée dans les emplois de proximité ou la restauration.

Sur l'adhésion de la Macédoine, les conclusions du Conseil ne contiennent pas les mots « ouverture des négociations », car la France demande une réflexion préalable avec nos partenaires sur l'ensemble des élargissements futurs. Les Balkans sont-ils en Europe ? Doivent-ils rejoindre l'Union européenne ? On peut avoir des vues différentes. Pour ma part, j'assume la position du Gouvernement qui est favorable à ces adhésions. Ces pays sont en Europe et il est de notre intérêt de les inciter à changer pour qu'ils puissent venir nous rejoindre. Je n'imagine pas une Europe réunifiée avec un trou noir de corruption, de mafias et de trafics en tous genres qui maintiendrait l'instabilité politique en plein coeur de l'Europe. La perspective qui leur a été accordée en 2000 est une bonne chose. Mais il n'y a pas d'échéances. Cette perspective reste lointaine pour beaucoup d'entre eux. Ne soyons pas défensifs sur cette question. Il faut que les Balkans se transforment. Le référendum qui devra être organisé en France sera sans doute difficile. Mais on ne peut pas faire l'Europe sans les peuples. Il faudra mieux expliquer l'Europe dans la durée et pas seulement à l'occasion des consultations référendaires. De mauvaises habitudes ont été prises dans le passé. Que le référendum du 29 mai nous serve de leçon ! Quant à savoir ce que fera le peuple français quand il sera amené à se prononcer sur la Macédoine, je comprends vos préoccupations.

M. Jean François-Poncet :

Il va de soi qu'on ne peut pas faire l'Europe sans les peuples ! Mais, faute d'être clair sur cette question, avec 70 % des Français opposés à l'adhésion de la Turquie, les prochains référendums risquent d'être perdus en France alors que tout le monde en Europe y sera favorable ; les élargissements à venir seront alors la bête noire de la politique française.

Mme Catherine Colonna :

La question se posera le moment venu et dans les termes les plus clairs pour les Français, puisqu'ils savent, depuis cette année, qu'ils se prononceront sur ces élargissements et qu'ils auront le dernier mot. Les négociations avec la Turquie ont été ouvertes le 3 octobre. Mais ce sera sans doute un processus long. L'avenir nous dira si la Turquie est capable de se réformer et de rejoindre nos valeurs. Dans le cas contraire, le processus se terminera par une autre forme de lien avec l'Union européenne puisque c'est un processus ouvert. C'est une question suffisamment sérieuse pour qu'elle soit traitée avec le plus de sérénité possible et sans démagogie.

Si le Conseil européen a pu être un succès, c'est incontestablement grâce au travail mené en commun par la France et l'Allemagne et non pas en raison d'un axe Londres-Paris-Berlin. C'est pourquoi il faudra que la relance de l'Europe soit préparée avec nos partenaires et d'abord avec notre partenaire allemand. Le Président de la République et Mme Merkel se rencontreront dès le 23 janvier 2006 à Paris. Cette relance pourrait s'appuyer sur les grands sujets qui avaient déjà été identifiés lors de la préparation du Conseil informel d'Hampton Court et qui portent sur le rôle de l'Union européenne dans le cadre de la mondialisation : recherche et innovation, politique de l'énergie, démographie, sécurité, éducation, coordination des politiques économiques, y compris en utilisant le cadre de l'Eurogroupe. L'Eurogroupe pourrait être renforcé, par exemple par des réunions au niveau des chefs d'État et de gouvernement, car cette forme de coopération plus poussée a le mérite d'exister et elle pourrait se développer par exemple dans le domaine social. Sur le volet institutionnel, comme l'a déjà dit le Président de la République, il faut réfléchir à ce qui pourrait être fait à traité constant dans le domaine de la politique étrangère, de la justice et des affaires intérieures pour mettre en oeuvre les dispositions en vigueur sur les coopérations renforcées.

M. Robert Bret :

Vous ne serez pas surprise si je vous dis que je ne partage pas votre satisfaction. Je ne pense pas que ce soit un budget qui puisse sortir l'Europe de la crise dans laquelle elle est plongée. C'est le moins mauvais budget dans le contexte de cette crise. C'est un budget qui est encore marqué par une absence de solidarité entre les États et un manque d'ambitions. Vous avez eu raison de dire qu'on n'a pas diminué le chèque britannique et qu'on a simplement ralenti sa progression par une modification de sa base de calcul. Ce n'est pas négligeable, mais je trouve que certaines interventions n'ont pas reflété parfaitement la réalité. Quelle va être la réaction du Parlement européen quand on sait que l'ensemble des présidents de groupe, dans cette assemblée, s'était rallié à la proposition luxembourgeoise ? Par ailleurs, le Président de la République a annoncé pour janvier 2006 un certain nombre de propositions ambitieuses pour l'Europe. Il a précisé que ces propositions se feraient dans le respect du vote des Français : cela signifie-t-il que le Gouvernement aurait l'intention de retirer sa signature du projet de traité constitutionnel et de retirer l'article 88-1 de la Constitution française modifié de manière bien hasardeuse avant le vote des Français ?

M. Yann Gaillard :

On vient d'échapper à la catastrophe. Mais je suis préoccupé par une question tellement littéraire et philosophique que vous ne pouvez peut-être pas y répondre... Je suis persuadé que l'époque de l'Europe-puissance est révolue et que nous sommes entrés, pour longtemps, dans une période de l'Europe-espace. Est-ce que le Président de la République est persuadé qu'il faut encore aller dans la direction de l'Europe-puissance, ou bien ne doit-on pas se résigner à vivre dans une Europe-espace plus facile à organiser ?

M. Pierre Fauchon :

Est-ce un bon résultat que d'avoir évité une crise de l'Europe ? Cet accord ne repousse-t-il pas à plus tard le choix des véritables enjeux ? Une véritable crise aurait eu le mérite de séparer ceux qui veulent aller de l'avant de ceux qui ne veulent pas de l'Europe. En fait, les Britanniques ne veulent pas de l'Europe. Néanmoins, ils restent à bord du navire et ils imposent des ambiguïtés qui nuisent à l'Europe. Il faut savoir avec qui faire l'Europe ! Je crains malheureusement que les années ne viennent confirmer cette analyse. La seule bonne nouvelle est celle de l'entente entre la France et l'Allemagne. En définitive, la question importante reste de savoir si l'Europe va encore compter dans les années qui viennent face aux grands blocs continentaux qui se dessinent : Chine, Inde, Brésil, Amérique.

Mme Monique Papon :

Quel message peut-on donner au Président de la République de Serbie-Monténégro qui est actuellement en visite à Paris, au moment où la Macédoine commence son rapprochement avec l'Union européenne ? Car les perspectives pour la Serbie restent incertaines tant que n'auront pas été réglés les problèmes du Monténégro et du Kosovo.

M. Roland Ries :

Le pire n'est jamais sûr. Mais on constate que l'on n'a guère avancé au dernier Conseil européen. On a réussi l'exploit de trouver à 1,045 % une voie médiane entre 1,03 % et 1,06 % ! On a gelé ou fait bouger - de si peu ! - la guerre du chèque britannique et de la PAC. Or, la vraie question est celle de l'Europe politique : quelles initiatives peut-on prendre pour avoir une vision de l'Europe sans remettre en cause le vote des Français ?

Mme Catherine Colonna :

Le mode de calcul du chèque britannique a été modifié de manière permanente. Si le Royaume-Uni a tellement résisté, c'est bien à cause de ce mécanisme : si rien n'avait été fait, le chèque aurait été de 52 milliards d'euros sur la période ; avec l'accord qui a été acquis, il sera en diminution de 10,5 milliards d'euros par rapport à ce montant. C'est considérable, même si la mesure va s'appliquer de manière progressive pour atteindre son plein effet en 2011. Le Président de la République a indiqué que les réflexions sur l'avenir de l'Europe se feront à traité constant. Il est clair qu'il fallait d'abord un accord sur le budget avant de prendre de nouvelles initiatives. Dans quelles directions s'engager ? Sans doute les coopérations renforcées et l'Eurogroupe. Mais la France n'a pas l'intention de retirer sa signature du projet de traité constitutionnel, ni de revenir sur l'article 88-1 de la Constitution.

Je ne crois pas qu'il faille opposer l'Europe-espace à l'Europe-puissance. Je crois au contraire que l'élargissement de 2004 sera réussi comme les précédents élargissements. Fallait-il une nouvelle crise salutaire ? Je ne le pense pas, car je vis depuis six mois dans une crise que je ne considère pas comme salutaire. La réforme de la contribution britannique est une première depuis 21 ans et l'élargissement est maintenant financé. Pour autant, il ne faut pas oublier d'où nous venons, ni dans quel monde nous vivons.

Pour les Balkans, le message est clair : la Serbie doit persévérer. Les efforts sont toujours récompensés. Pour la PAC, les réformes ne sont pas remises à plus tard : elles ont été décidées en 2002 et 2003. Quant au Parlement européen, il aurait certes souhaité un budget supérieur, mais l'accord obtenu permet maintenant à l'Europe de fonctionner et je suis convaincue que, avec 1,045 %, le Parlement accordera son soutien.