Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 21 juin 2006


Table des matières

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Institutions européennes

Audition de M. Claude Martin,
ambassadeur de France à Berlin 1(*)

M. Hubert Haenel :

Je souhaite tout d'abord vous remercier très vivement, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir accepté de venir devant la délégation pour l'Union européenne du Sénat à quelques mois du début de la présidence allemande de l'Union.

L'Allemagne se trouve au coeur de l'Union élargie, c'est le pays le plus peuplé de l'Union, son industrie représente 40 % de l'ensemble de la zone euro. Cela lui donne un poids indiscutable dans les affaires de l'Union. Mais au cours des dernières années, après l'euphorie de la réunification, l'Allemagne a traversé une passe difficile sur le plan économique et financier. Aujourd'hui, depuis l'avènement de la « grande coalition », on observe un regain d'optimisme. Peut-on espérer, dans ces conditions, une « grande présidence » de l'Allemagne, au premier semestre 2007, qui insufflerait davantage d'esprit européen dans le fonctionnement de l'Union ? Certes, l'Europe n'est pas en panne, des décisions importantes sont prises comme on l'a vu avec les perspectives financières ou la directive « services », mais après l'échec du traité constitutionnel, on sent le besoin d'un nouvel élan. Ce nouvel élan, pouvons-nous l'attendre de la présidence allemande ?

Par ailleurs, où en est aujourd'hui l'axe franco-allemand ? Au-delà des discours, est-ce qu'il garde la même importance aux yeux de nos partenaires allemands, ou bien est-ce qu'il faut se faire à l'idée d'une certaine banalisation de la relation franco-allemande ?

Voilà des questions que nous nous posons et qui font que nous allons vous écouter avec un intérêt tout particulier.

M. Claude Martin :

Je suis en poste en Allemagne depuis sept ans. J'ai donc aujourd'hui assez d'expérience pour pouvoir prendre du recul. Je suis tout d'abord frappé par la solidité du lien franco-allemand, par sa capacité à résister aux difficultés. Chaque jour, 200 à 250 responsables français font un aller et retour entre Paris et Berlin. Dans les ministères allemands, plus de trente fonctionnaires français sont en place, totalement intégrés à l'administration, et la réciproque s'applique en France. La consultation mutuelle est devenue un réflexe. Depuis le 40e anniversaire du traité de l'Élysée, les grandes institutions franco-allemandes ont été renforcées. Les « sommets » ont été remplacés par des conseils des ministres plus opérationnels ; la Chancelière et le Président de la République se rencontrent presque chaque mois, les ministres rencontrent fréquemment leurs homologues. Ce travail commun intense ne se voit pas, mais n'en est pas moins réel. Le rapprochement des positions exige certes du temps. Nous sommes différents et nous le savons. La formation des responsables n'est pas la même dans les deux pays, ce qui ne facilite pas la compréhension mutuelle. Mais finalement l'accord se réalise.

L'évolution, en sept ans, a été très sensible. La négociation du traité de Nice avait donné lieu à une véritable crise entre les deux pays. Mais la leçon qui en est ressortie, c'est que l'entente franco-allemande est indispensable à l'Europe : la crise a finalement débouché sur une relance. Et l'affaire irakienne a fait apparaître une identité de vues. Les dernières années du mandat de Gerhard Schröder ont été marquées par une grande proximité franco-allemande. La nouvelle Chancelière avait au départ une attitude plus réservée, insistant davantage sur les responsabilités de l'Allemagne à l'égard des nouveaux États membres et notamment de la Pologne ; mais, à l'expérience, elle a constaté que le lien franco-allemand restait irremplaçable, même s'il ne suffisait pas, aujourd'hui, pour entraîner l'Europe.

Une relance européenne, vous l'avez dit, suppose de trouver une solution à la crise née du rejet du traité constitutionnel. Le gouvernement allemand reste convaincu que la poursuite du processus de ratification peut avoir in fine un effet d'entraînement sur la France et les Pays-Bas, même si les responsables français, quant à eux, ne croient pas que le résultat du référendum puisse être renversé, le gouvernement néerlandais étant encore plus clair sur ce point. L'Allemagne s'oppose donc à tout ce qui pourrait, à ses yeux, compromettre la poursuite du processus de ratification. En particulier, elle est défavorable à la recherche de solutions provisoires pour avancer à traité constant. Elle craint qu'il n'en résulte un affaiblissement du processus « constitutionnel », voire que de telles solutions ne soient interprétées comme une renonciation à celui-ci.

Aux yeux de l'Allemagne, la poursuite du processus de ratification peut aussi être un appui pour obtenir, le moment venu, si les « non » français et néerlandais s'avéraient décidément insurmontables, un nouveau texte conservant la substance du traité constitutionnel, et notamment ce qui, pour l'Allemagne, est le plus important dans ce texte : la délimitation des compétences entre l'Union et les États membres, le poids accru de l'Allemagne dans les mécanismes de décision, le renforcement des instruments de la politique étrangère et de sécurité commune, même si ce dernier point a peut-être aujourd'hui moins d'importance que les deux autres.

La volonté de ne rien faire qui puisse compromettre la possibilité d'obtenir soit la ratification du traité constitutionnel, soit la reprise de sa substance dans un nouveau texte, peut apparaître comme entraînant, à court terme, une forme d'immobilisme. Faut-il aller plus loin et interpréter autrement cette attitude ? Comme, il faut bien le reconnaître, le traité constitutionnel n'a guère de chances d'être finalement adopté tel quel ou à peine modifié, s'en tenir à cet objectif pourrait apparaître comme une manière de s'accommoder du degré actuel d'intégration européenne.

Sans retenir cette interprétation, on peut penser que le « rêve européen » n'a peut-être plus le même attrait, la même importance qu'autrefois pour certains Allemands. On a dit souvent que la France transposait dans l'Europe sa volonté de puissance, quand l'Allemagne y cherchait une rédemption. Aujourd'hui - c'est largement un acquis de l'ère Schröder - l'Allemagne apparaît comme un pays normal, décomplexé, se sentant en droit de défendre ses intérêts et de définir sa politique européenne ou ses relations avec les États-Unis et la Russie sans être constamment entravée par le poids du passé. L'Allemagne n'hésite pas, au sein de l'Union, à faire valoir avec force ses intérêts dans des domaines comme l'industrie ou la politique de la concurrence. On sent même, dans les Länder, poindre une irritation à l'égard de l'Europe : ceux-ci ont le sentiment que leurs compétences risquent d'être rognées par le développement de la construction européenne, qu'il s'agisse d'intervention économique, d'éducation, de recherche, ou encore de justice et d'affaires intérieures. L'Allemagne n'en est que plus réticente à l'idée de compenser provisoirement le blocage du processus « constitutionnel » par des avancées pragmatiques dans de tels domaines.

Au-delà de ce qui pourrait apparaître comme une ambiguïté, l'Allemagne reste européenne. Et le lien franco-allemand - ouvert à d'autres -demeure un moyen possible d'avancer. Toujours pour ne pas compromettre l'approbation du traité constitutionnel, l'Allemagne s'oppose à d'éventuelles « coopérations renforcées » qui en reprendraient les orientations dans tel ou tel domaine. Mais elle se montre ouverte à des expériences. Par exemple, le casier judiciaire européen a été conçu dans un cadre franco-allemand, puis s'est ouvert à d'autres, et l'Allemagne n'est pas opposée à l'extension de ce processus ou à son intégration dans le cadre de l'Union. Le lien franco-allemand apparaît ainsi comme une « éprouvette » où peuvent être testées des formules susceptibles de s'étendre à d'autres, voire à tous.

Quant à la future présidence allemande, elle soulève une certaine inquiétude : l'Allemagne ne souhaite pas susciter trop d'attentes, pour ne pas risquer de décevoir. Aujourd'hui, une présidence n'a guère de possibilités d'exercer une grande influence dans le délai de six mois. On a vu, par exemple, la Grande-Bretagne devoir réduire ses ambitions. C'est bien pourquoi le traité constitutionnel avait prévu une profonde réforme dans ce domaine. L'Allemagne évite donc d'afficher de grandes ambitions, soulignant que les élections en France ne permettront une relance de la réflexion institutionnelle qu'à l'extrême fin de la présidence allemande.

Pour conclure, je crois qu'il faut prendre en compte plusieurs dimensions dans la politique de l'Allemagne. Le lien franco-allemand reste perçu comme nécessaire dans l'Europe élargie, et apparaît comme un laboratoire pour des approfondissements ultérieurs de la construction européenne. L'Allemagne est désormais un partenaire décomplexé, sûr de lui, capable de s'engager sur des théâtres extérieurs. Parallèlement, elle veut éviter de se couper de ses nouveaux partenaires de l'Est, et notamment s'opposer à des formules d'intégration différenciée qui excluraient la Pologne. La volonté de ne pas réintroduire une séparation au sein de la « Mitteleuropa » est assurément une donnée fondamentale.

M. Hubert Haenel :

Vous nous avez donné des clefs pour comprendre l'Allemagne d'aujourd'hui. Lors des débats de la Convention, nous avions effectivement mesuré à quel point le problème de la répartition des compétences était important pour l'Allemagne. Je constate également que le parlement allemand est désormais davantage présent au sein de la COSAC, dont les travaux accordent aujourd'hui une place importante au thème de la subsidiarité. La délégation pour l'Union européenne du Sénat a tenu une réunion commune avec son homologue du Bundesrat en janvier dernier : nous avons alors constaté une convergence de vue bien plus grande qu'attendu et la coopération se poursuit.

Vous avez souligné que l'Allemagne est réticente au lancement de coopérations renforcées, mais qu'elle n'est pas fermée à des expériences, à des ouvertures. Nous pouvons donc avancer ensemble.

Mme Dominique Voynet :

Vous nous avez dit que l'Allemagne s'opposait à des empiètements de l'Europe sur les compétences des Länder. Il reste des domaines qui sont de la compétence du Bund, parmi lesquels celui de la défense. Dans sa déclaration de l'île Longue, le Président de la République a voulu assouplir la doctrine de la dissuasion nucléaire. Comment cette déclaration a-t-elle été perçue ? Y a-t-il une réflexion en cours sur ce sujet en Allemagne ?

M. Claude Martin :

La Chancelière, quelques jours après ce discours, a eu la possibilité, à l'occasion de la Wehrkunde à laquelle elle participait, de s'exprimer publiquement sur ce sujet. Elle a déclaré qu'elle comprenait la politique de dissuasion française, dont l'Allemagne n'avait pas à s'inquiéter. La phrase du Président de la République avait d'ailleurs déjà été prononcée antérieurement, mais la Wehrkunde a été une caisse de résonance. On ne peut dire que cette inflexion doctrinale suscite une émotion particulière en Allemagne. Le principal débat en matière de défense concerne la participation à des opérations extérieures. Les Allemands ont compris qu'ils ne pouvaient jouer le rôle du « sixième grand » au sein de l'ONU, ou intervenir dans la gestion du problème du nucléaire iranien, et parallèlement se refuser à participer à des opérations en Afrique. Le Bundestag s'est prononcé en faveur de cette participation à une très large majorité.

M. Louis Mermaz :

J'ai participé à une réunion organisée par l'IFRI et la Fondation Friedrich Ebert qui associait des parlementaires français et allemands. L'attitude de nos collègues allemands concernant l'adhésion de la Turquie était très positive : un des participants a même jugé que, si la Turquie remplissait toutes les conditions d'adhésion, la France se marginaliserait en bloquant cette adhésion.

M. Claude Martin :

À la Konrad Adenauer Stiftung, le son de cloche eût été différent ! Les sociaux-démocrates défendent l'héritage de l'ère Schröder, y compris en ce qui concerne la Turquie, mais les chrétiens-démocrates ont un point de vue opposé. La Chancelière a une position prudente et médiane. Nul ne sait comment vont évoluer les négociations.

M. Michel Teston :

J'ai également le sentiment que, dans l'opinion publique allemande, il y a des interrogations sur l'Europe. Est-ce qu'il y a pour autant un retour à l'idée d'une « Mitteleuropa » ? On a l'impression que les choses sont moins claires qu'auparavant.

M. Claude Martin :

Ne sous-estimons pas la force persistante du lien franco-allemand et de l'engagement européen de l'Allemagne. J'ai été ému, lors de la coupe du monde, du soutien que recevait l'équipe de France chez les spectateurs allemands. Je ne crois pas que cette orientation de base soit remise en question.

L'espace de la « Mitteleuropa » a en même temps repris toute son importance depuis la fin de la division de l'Europe. C'est un débouché économique important. L'Allemagne cherche également à faire retrouver à sa langue et à sa culture une partie de sa place antérieure. Surtout, la réunification appelle un rapprochement avec des pays comme la République tchèque et surtout la Pologne, car les Allemands sont conscients que la réconciliation n'est pas achevée. Mais, avec la France, les relations vont au-delà de la réconciliation !

M. Adrien Gouteyron :

Est-ce que les relations franco-allemandes et le dossier européen sont discutés au sein de la coalition ? D'une manière générale, y a-t-il un débat public sur ces points ?

Vous avez dit que l'Allemagne était ouverte à des « expériences » avec la France. Dans quels domaines peut-on les envisager ?

M. Claude Martin :

Il existe des sensibilités individuelles, dans le monde politique, sur les questions européennes, mais le débat public est très feutré. Beaucoup de citoyens jugent que les affaires européennes sont bien compliquées, et qu'il y a des députés pour s'en occuper. C'est pourquoi l'idée de procéder à un référendum sur le traité constitutionnel a été écartée. Beaucoup craignaient qu'un référendum sur un sujet aussi compliqué ne favorise les simplifications démagogiques. La disparité des réponses entre la France et l'Allemagne réside d'abord dans la disparité des manières de poser la question. L'Allemagne reste allergique au référendum. Mais la conséquence est que ni la relation franco-allemande, ni les questions européennes ne donnent lieu à des débats en Allemagne. Les chaînes de télévision ne s'y intéressent pas. Il y a d'ailleurs quelque chose de peu satisfaisant dans cette absence de débat, dans cette délégation des affaires européennes aux gouvernants.

Dans quel domaine envisager des expériences franco-allemandes ? Je serais tenté de dire que c'est possible dans tous les domaines tant le parallélisme est souvent frappant entre les problèmes des deux pays. L'ours fait débat dans les Pyrénées, mais aussi en Bavière. Dans les journaux des deux pays, on s'indigne d'agressions sexuelles photographiées. Les problèmes de société sont de plus en plus les mêmes. On parle dans les deux pays de parité, d'égalité des chances, d'interdiction du tabac dans les lieux publics... On peut envisager sur telle ou telle question des lois communes qui seraient une base pour l'Europe. L'un et l'autre pays réfléchissent, s'interrogent, n'ont pas véritablement de modèle et sont donc amenés à s'intéresser à ce qui se passe chez le voisin. Certes, la France apparaît en retard dans certains secteurs économiques, mais ce n'est pas général : par exemple, nous apparaissons comme « l'autre grand pays de l'automobile », capable d'apporter une innovation comme le filtre à particules. Un autre exemple de problème similaire dans les deux pays est l'évolution du droit du travail. Le contrat de coalition très détaillé qui est à la base de l'action du gouvernement prévoit l'introduction d'un nouveau type de contrat, analogue au « contrat nouvelle embauche » mis en place en France.

M. Jean-Paul Émin :

On voit certes des voitures françaises en Allemagne, mais les voitures allemandes en France sont très nombreuses ! Dans le domaine de l'énergie, on mesure, malgré la libéralisation, toute la difficulté pour des entreprises françaises de pénétrer le marché allemand. L'économie allemande dégage un excédent commercial énorme, la nôtre un déficit. L'équipement de nos entreprises est largement fourni par des entreprises allemandes. Entre les deux partenaires, la compétition économique est sans douceur !

M. Claude Martin :

Il est difficile de faire marcher ensemble l'industrie allemande et l'industrie française. On voit bien, par exemple, qu'il subsiste en pointillé une « partie allemande » et une « partie française » au sein d'EADS et que cela entre en considération, par exemple, pour des choix qui ont une incidence sur l'emploi. Les cultures demeurent différentes. La compétition peut être très vive entre les entreprises comme Alstom et Siemens, la SNCF et la Deutsche Bahn.

Nous trouvons le marché allemand fermé, mais les Allemands en jugent ainsi du marché français. Ils estiment qu'une entreprise allemande d'énergie n'aurait pu pénétrer le marché français comme EDF l'a fait pour le marché allemand. En réalité, des deux côtés les marchés s'ouvrent avec difficulté. Le marché allemand est sans doute plus ouvert sur certains points, mais il existe des blocages inapparents liés au fédéralisme. Nul n'a le monopole des contradictions internes : les Allemands critiquent volontiers l'étatisme français, mais, quand ils veulent favoriser la fusion entre Deutsche Börse et Euronext, ils s'adressent à nos autorités politiques !

Je crois que, dans le domaine de la recherche, des grandes technologies, nous avons beaucoup à faire en commun. Cessons de mettre des drapeaux partout ! Si nous voulons préserver notre vitalité industrielle et technologique face à la concurrence asiatique, nous avons intérêt à marcher ensemble.

M. Hubert Haenel :

Quel est l'impact des remous autour d'EADS ?

M. Claude Martin :

EADS a beaucoup de dimensions. C'est une entreprise européenne, mais d'abord franco-allemande. L'A 380 est un grand symbole : c'est une réalisation qui fascine. Je crois que ce sont ces aspects qui priment. Il y a, en Allemagne, un fort attachement à la double commande de l'entreprise. Lorsque l'idée d'unifier la direction d'EADS a été évoquée en France il y a quelques mois, les réactions ont été négatives en Allemagne. De manière générale, les relations au sein de la direction fonctionnent bien. Ainsi, les erreurs de conception de l'A 350 n'ont pas donné lieu à des reproches réciproques. En ce qui concerne l'affaire « Clearstream », je peux dire que les Allemands n'y comprennent rien ! La presse en a parlé, mais pas les responsables politiques.

M. Jacques Blanc :

La politique que souhaite mener l'Allemagne à l'égard des institutions européennes est-elle inscrite dans le contrat de coalition que vous citiez précédemment ? Je crois savoir que la réforme de la santé, tout comme la politique de l'énergie, sont inscrits dans le contrat de coalition. Peut-on espérer des aboutissements dans ces deux domaines ?

M. Claude Martin :

En ce qui concerne votre première question, le contrat de coalition ne comporte que des phrases consensuelles sur la politique européenne. Il s'agit notamment de renforcer l'Europe, de mieux définir son identité, de lui permettre de disposer d'une capacité d'action suffisante, d'encourager la poursuite du processus de ratification du traité constitutionnel. La position allemande me paraît traduire la coexistence de deux approches : d'un côté, les Allemands souhaiteraient que le processus de ratification aboutisse, ou du moins que la substance du traité constitutionnel soit préservée ; d'un autre côté, ils estiment que la situation ne sera pas dramatique si le traité constitutionnel n'entre pas en vigueur.

Le contrat de coalition aborde les domaines de l'énergie comme de la santé, mais aucun de ces deux domaines ne fait l'objet d'un consensus entre les deux partis de la coalition.

En ce qui concerne l'énergie, les sociaux-démocrates estiment que le contrat de coalition confirme la renonciation au nucléaire, ce qui n'est pas l'avis des chrétiens-démocrates. Mme Merkel est convaincue que la soutenabilité de la politique énergétique allemande passe nécessairement par la construction de nouvelles centrales nucléaires. Elle trouve regrettable que ce soit la France qui vende l'EPR alors que la technologie de ce réacteur est avant tout allemande. Toutefois, Mme Merkel doit tenir son rôle de chef de gouvernement de coalition impartial. C'est pourquoi elle a décidé d'aborder le problème de la manière la plus neutre possible en réunissant un grand sommet de l'énergie, dans lequel il a été question des relations avec la Russie ou du développement des énergies alternatives, telles que les éoliennes. Elle veut que le parti social-démocrate constate par lui-même que la seule solution pour réduire la dépendance énergétique de l'Allemagne, et résoudre les difficultés budgétaires en la matière, est de reprendre le programme nucléaire.

En ce qui concerne la santé, il s'agit d'une des questions majeures de l'actualité allemande de ces derniers mois. Alors que les caisses privées prospèrent, les caisses publiques rencontrent d'importantes difficultés budgétaires. Le gouvernement de coalition souhaite donc rationaliser l'organisation hospitalière et réduire le coût des médicaments. Il faut savoir que le déficit budgétaire en matière de santé est en partie lié au fait que la clientèle qui ne présente pas beaucoup de risques fait appel aux services des caisses privées. D'où la proposition de Mme Merkel de redistribuer une partie des ressources des caisses privées au profit des caisses publiques. Cette proposition a soulevé une levée de boucliers de la part des membres les plus libéraux de la CDU et de la CSU. Mme Merkel a, par conséquent, revu son projet et proposé de financer les caisses publiques pour partie par l'impôt, pour partie par les cotisations employeur, et pour partie par des transferts en provenance des caisses privées. Cette proposition témoigne bien de sa volonté de gouverner de façon consensuelle. De toute façon, l'adoption de telles mesures nécessitera sans doute encore de longs débats au sein de la coalition.


* 1 Cette réunion était ouverte à tous les sénateurs.