Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 26 octobre 2005


Table des matières

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Politique régionale

Les aides à finalité régionale

Communication de M. Jacques Blanc

En janvier dernier, j'avais présenté devant notre délégation une communication sur le thème des aides d'État à finalité régionale (AFR) c'est-à-dire des aides versées par les États membres et les collectivités territoriales aux entreprises, aides qui sont soumises aux disciplines européennes en matière de droit de la concurrence. A l'époque, je m'étais occupé d'un dossier dont nous n'étions pas officiellement saisis, mais qui revêtait une grande importance pour les collectivités territoriales et pour nos entreprises. Les nombreux courriers que j'ai reçus depuis m'ont confirmé dans cette analyse. Vous m'aviez donné mandat pour suivre ce dossier, et je tiens à refaire aujourd'hui le point devant vous.

Que s'est-il passé depuis ma dernière communication ? En janvier, nous avions fait des observations sur un document préparatoire. En juillet 2005, la Commission a officiellement communiqué son projet de réforme des lignes directrices concernant les aides d'État. Le document concernant les aides à finalité régionale tient compte de certaines de nos remarques. Par ailleurs, le Parlement européen, qui est simplement consulté, doit remettre prochainement son avis. Le rapporteur est Milos Koterec (PSE-Slovaquie), membre de la commission du développement régional. La Commission souhaite adopter ses lignes directrices avant la fin de l'année. Pour autant, comme vous le savez, les actuelles lignes directrices en matière d'aides d'État n'expirent qu'à fin 2006.

Dans sa nouvelle communication, la Commission européenne rappelle ses objectifs, à savoir concentrer les aides à finalité régionale sur les régions les plus défavorisées des 25 États membres de l'Union européenne. Mais elle mentionne également les régions les plus défavorisées au sein de chacun des États membres de l'Union, ce qui ouvre la porte au maintien des aides à finalité régionale dans les pays plus riches de l'Union.

Deux catégories de régions pourront donc bénéficier des aides à finalité régionale :

- les régions éligibles à l'article 87.3 a du Traité, qui sont les régions dont le produit intérieur brut par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire, mais aussi les DOM et les régions touchées par l'effet statistique, jusqu'en 2009, ce qui n'apparaissait pas dans les premières propositions ;

- les autres régions défavorisées, qui seront sélectionnées par les États membres et la Commission selon des critères prenant en compte le produit intérieur brut par habitant et le taux de chômage, et qui bénéficieront des dispositions de l'article 87.3.c.

Principale nouveauté par rapport à ses propositions initiales, la Commission admet que chaque État membre ne devra pas perdre plus de 50 % de sa population couverte par les aides à finalité régionale pour la période 2000-2006, si bien que 43,1 % de la population de l'Union à vingt-cinq pourra être couverte par le dispositif. La France aurait donc un taux de couverture de 18,4 % de sa population, soit 2,9 % de population couverte au titre de l'article 87.3.a s'appliquant aux quatre départements d'outre-mer et 15,5 % pour le reste du territoire. Dans le premier projet de la Commission, l'ensemble du territoire métropolitain était exclu de tout bénéfice des aides à finalité régionale. Le taux de couverture du territoire métropolitain passerait donc de zéro dans la proposition initiale à 15,5 % de la population. Comme le souligne l'association française du conseil des communes et régions d'Europe, que préside notre collègue Louis Le Pensec, « les réactions des différents acteurs impliqués, État et collectivités territoriales, ont conduit la Commission européenne à infléchir sa position et à formuler une proposition plus acceptable pour la France ».

Pour autant, faut-il s'en satisfaire ? Personnellement, je ne le pense pas.

En annexe du projet de communication de la Commission figurent les tableaux de couverture des aides à finalité régionale pour la période 2007-2013 pour chaque État membre, et la France paraît plutôt mal placée. En effet, il en résulte que la population de huit pays serait couverte en totalité (sept nouveaux entrants, la Slovénie, la Pologne, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie et Malte, et un « ancien » État membre, la Grèce), six pays auraient un taux de couverture supérieur voire très supérieur à 50 % de la population (Chypre, Irlande, Espagne, Portugal, République Tchèque, Slovaquie), six autres pays auraient un taux de couverture compris entre 20 et 50 % de la population (Autriche, Royaume-Uni, Belgique, Allemagne, Italie et Finlande) et enfin cinq pays, dont la France, auraient un taux inférieur à 20 % de la population (Pays-Bas, Danemark, Suède, Luxembourg et France).

Nous voyons donc que si les nouvelles propositions marquent un progrès, la France n'obtient pas une place très satisfaisante. Le plafond de population éligible, de 15,5 % pour le territoire métropolitain, serait inférieur de moitié au zonage actuel de la Prime à l'Aménagement du Territoire industrie, qui couvre 34 % de la population, ce qui entraînerait une forte diminution des aides aux entreprises en France. Les représentants des collectivités territoriales réclament ainsi que chaque État membre ne perde pas plus de 25 % de sa population couverte, afin d'éviter une réduction trop brusque. Je soutiens évidemment ces propositions.

Pour ce qui concerne les taux de subventions aux grandes entreprises maintenant, l'intensité de l'aide sera modulée en fonction des régions concernées. Celles qui sont le plus en retard de développement pourront obtenir des taux d'aide jusqu'à 50 % du montant des investissements si leur produit intérieur brut est inférieur à 45 % de la moyenne communautaire. Ce taux d'aide serait compris entre 30 et 40 % pour les autres régions dont le produit intérieur brut est inférieur 75 % de la moyenne communautaire. Les régions ultra-périphériques bénéficieraient d'une majoration de 10 à 20 % de ces taux, en fonction de leur niveau de développement.

Pour les autres régions, les taux de subventions seront nettement plus bas : 20 % d'aide pour les régions touchées par l'effet statistique, et de 10 à 15 % pour les régions visées par l'article 87.3.c, c'est-à-dire notamment les régions françaises qui seront éligibles. La Commission a cependant corrigé sa copie sur un point que nous estimions important : l'écart de taux de subvention entre deux régions frontalières ne devra pas dépasser 20 %, ceci afin de répondre au risque que les aides n'encouragent les délocalisations. Les taux seront majorés de 10 % pour les entreprises moyennes et de 20 % pour les petites et moyennes entreprises.

Enfin, contrairement à ce que nous souhaitions, la Commission européenne maintient son calcul des aides en équivalent subvention brut (ESB), ne tenant pas compte des différences entre les systèmes fiscaux des États membres. Je note toutefois avec satisfaction que le rapporteur du Parlement européen demande comme nous que soit reconsidéré le calcul des aides en équivalent subvention brut (ESB) dans la mesure où le calcul en équivalent subvention net permet de mieux voir l'impact réel des aides. J'espère qu'il sera entendu.

Par ailleurs, comme nous l'avions fait dans nos observations au mois de janvier, le rapporteur du Parlement européen insiste sur le fait qu'une attention particulière devra être accordée aux zones rurales, aux zones touchées par des restructurations industrielles, aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques permanents comme les régions septentrionales faiblement peuplées, les îles, les régions frontalières et les régions de montagne. Il souhaiterait que des aides supplémentaires puissent être accordées à ces régions. Je pense qu'il est essentiel de classer ces régions parmi celles pouvant bénéficier d'un taux d'aide majoré.

Enfin, je pense que les modalités de désignation des régions éligibles devraient laisser une plus grande souplesse aux autorités nationales, alors que les propositions de la Commission semblent laisser peu de marges de manoeuvre aux États et aux collectivités territoriales. Sur ce point, le rapporteur du Parlement européen demande aussi à la Commission européenne de s'assurer que les régions pourront décider elles-mêmes des projets d'investissement prioritaires.

En conclusion, je voudrais souligner que l'action de notre délégation, conjuguée avec celle du Gouvernement, des associations représentant les collectivités territoriales et du Comité des régions, a porté quelques résultats. Il n'en reste pas moins que les dernières propositions faites par le Parlement européen devraient être acceptées pour que le résultat final ne soit pas trop déséquilibré.

Enfin, le problème de fond, à savoir le manque de coordination entre les propositions relatives à la réforme des aides d'État à finalité régionale, qui relèvent de la politique de la concurrence, et les réflexions menées dans le cadre de la politique de cohésion, reste entier puisqu'il n'y a pas d'articulation claire entre la réforme des fonds structurels et celle des aides à finalité régionale. Je souhaiterais qu'aucune décision définitive ne soit prise en matière d'aides d'État à finalité régionale en l'absence d'une véritable clarification du dossier des fonds structurels.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Notre délégation a un devoir d'alerte à l'égard des institutions de l'Union, dont la Commission européenne, mais aussi vis-à-vis de nos collègues parlementaires, qui sont pour nombre d'entre eux des élus locaux. Les représentants des régions savent combien sont nécessaires pour leur développement économique non seulement les fonds structurels de l'Union européenne, mais aussi les aides d'État à finalité régionale.

Mme Catherine Tasca :

Vous avez dit que la Commission européenne devrait certainement remettre sa copie d'ici à la fin de l'année. Que va-t-il se passer d'ici là ? Une forme de navette entre la Commission, les États membres et le Parlement européen se mettra-t-elle en place ? Existe-t-il encore un espoir de corriger les propositions de la Commission ?

M. Jacques Blanc :

Comme je vous l'ai indiqué, en matière de politique de la concurrence, les lignes directrices de la Commission européenne font seulement l'objet d'une concertation avec les États membres et d'une consultation du Parlement européen. Il n'en reste pas moins que ce processus de consultation est important et pourrait encore entraîner une modification des propositions de la Commission. Il ne s'agit pas de refuser des aides aux nouveaux États membres de l'Union, mais de ne pas accroître un différentiel de soutiens publics entre ces États et les pays plus développés de l'Union, qui serait un accélérateur des délocalisations.

M. Hubert Haenel :

Il appartiendra à la Commission européenne de prendre seule la décision finale. Cependant il serait souhaitable de rappeler nos préoccupations à chaque moment utile, par exemple au Sénat lors de la discussion du budget consacré à l'aménagement du territoire.

M. Jacques Blanc :

J'ai moi-même accompli un travail d'explication auprès des services de la Commission européenne et de la commissaire européenne chargée de la politique régionale. Si demain, une entreprise française, qui doit créer des emplois dans une zone défavorisée ou en reconversion, ne peut recevoir d'aides publiques en vertu de nouvelles dispositions communautaires, il sera très difficile de l'expliquer à nos concitoyens.

Institutions européennes

La politique européenne des agences à la lumière du projet d'accord interinstitutionnel
pour un encadrement des agences européennes de régulation (texte E 2910)

Rapport d'information de Mme Marie-Thérèse Hermange

Résumé du rapport

Le rapport d'information que je vous présente aujourd'hui répond à la mission que vous m'aviez confiée en décembre 2004 lorsque, présentant la communication de la Commission sur l'Agence des droits fondamentaux, j'avais proposé que nous nous penchions sur la problématique générale de la politique des agences européennes. Entendons-nous bien : je ne témoignais pas en cela d'une hostilité de principe à l'égard de la création d'agences européennes. Je m'interrogeais simplement sur la tendance de l'Union à créer de plus en plus d'agences de régulation, c'est-à-dire d'entités autonomes, dotées de la personnalité juridique et participant directement à l'exercice de la fonction exécutive.

Vous connaissez aussi bien que moi les inconvénients du recours aux agences tant au niveau national, qu'au niveau européen. Le principal, sur lequel je n'ai pas besoin d'insister, reste évidemment le risque d'une dépossession du pouvoir politique au profit de l'expert indépendant, la légitimité technocratique prenant alors le pas sur la légitimité démocratique. D'autres considérations entrent en ligne de compte, parmi lesquelles, évidemment, le paramètre budgétaire ; en ce qui concerne la création d'agences européennes, il faut aussi prendre en compte la donne juridique, puisque la fonction exécutive relève, aux termes des traités, de la Commission.

Mais, face à ces inconvénients, les agences de régulation peuvent apporter une véritable valeur ajoutée qu'il ne faut pas sous-estimer. Elles offrent notamment un excellent outil d'expertise qui permet au pouvoir politique de prendre une décision en toute connaissance de cause sur les sujets à forte dimension scientifique ou technique. Je pense par exemple à l'autorisation de mise sur le marché des médicaments ou à la sécurité des réseaux informatiques.

Ce faisant, les agences contribuent à crédibiliser la décision publique. Il faut donc se garder de tout jugement hâtif, dans un sens comme dans l'autre, sur les agences et admettre qu'elles ne sont ni le remède miracle, ni le cheval de Troie de l'irresponsabilité politique : une agence européenne peut avoir son utilité mais sous certaines conditions, tenant au secteur dans lequel elle intervient, à son fonctionnement et aux comptes qu'elle doit rendre au pouvoir politique.

La création d'une agence devrait donc toujours être précédée d'un état des lieux justifiant sa nécessité et obéir, dans toute la mesure du possible, à un schéma rationnel permettant d'associer l'expert à la décision publique sans en déposséder le politique. Malheureusement, on chercherait en vain une cohérence dans la politique conduite, jusqu'à présent. On peut même affirmer sans exagérer qu'il y a autant de « modèles d'agences » (si l'on peut dire) que d'agences européennes : 24 pour se limiter au seul premier pilier, dont la moitié ont d'ailleurs été créées au cours des seules quatre dernières années.

Il est bien sûr normal qu'il y ait des différences entre les agences, notamment dans les missions qui leur sont imparties : selon les secteurs, la conduite de l'action publique peut avoir besoin de s'appuyer sur des avis scientifiques, sur des rapports d'inspection ou sur des décisions individuelles présentant un haut degré de technicité. Il est en revanche beaucoup plus contestable que le législateur n'ait pas cherché à suivre une ligne de conduite pour l'organisation et le fonctionnement de ces agences : de la composition du conseil d'administration au régime linguistique, en passant par la nomination du directeur, les institutions européennes ont adopté des solutions au cas par cas, constituant aujourd'hui un véritable maquis normatif qui explique sans doute pour beaucoup la mauvaise réputation dont souffrent les agences.

C'est pourquoi, au cours des dernières années, Conseil, Parlement européen et Commission ont tous appelé de leurs voeux un encadrement des agences européennes de régulation. À cette fin, la Commission européenne a présenté en février un projet d'accord interinstitutionnel (AII). Ce texte ne concerne certes que les agences du premier pilier qui seront créées à l'avenir. Il a cependant le mérite de mettre des solutions sur la table, dont certaines tout à fait opportunes. Je n'en citerai que trois : d'abord, l'exigence d'une analyse d'impact avant toute création d'agence, qui me paraît la moindre des choses ; ensuite, l'organisation des contrôles (politiques, financier, juridictionnel) sur les agences ; enfin, la limitation du nombre de membres des conseils d'administration, dont les effectifs peuvent aujourd'hui atteindre 80 personnes, avec les conséquences que vous imaginez quant à leur fonctionnement.

Mais le projet d'AII encourt de nombreuses critiques, longuement exposées dans mon rapport écrit. J'en citerai trois principales :

d'abord, une objection juridique, soulevée par le service juridique du Conseil, selon lequel l'AII, en ce qu'il édicte des règles ayant vocation à s'appliquer au législateur, aurait un caractère supra-législatif et serait donc contraire au traité. Le service juridique de la Commission répond que le futur AII n'aurait pas de caractère juridiquement contraignant et ne serait qu'une énumération de règles de bonne conduite dont chaque institution pourrait s'écarter si elle le souhaitait... raisonnement qui, on l'admettra, réduit considérablement la portée et donc l'utilité d'un AII ;

la deuxième critique porte sur la démarche, jugée peu cohérente, de la Commission. Il faut savoir en effet que, parallèlement au projet d'AII, la Commission propose d'autres textes concernant des agences européennes... dans lesquels elle-même s'écarte des règles de bonne conduite qu'elle préconise. Comment, par exemple, accorder de la crédibilité à la plaidoirie du projet d'AII en faveur d'un conseil d'administration comprenant autant de représentants de la Commission que du Conseil, alors que la proposition de création de l'Agence des droits fondamentaux prévoit deux sièges pour la Commission et un par État membre ?

enfin, plusieurs critiques portent sur le fond même du contenu de l'AII. La principale concerne le siège des futures agences. Comme vous le savez, par analogie avec ce qui existe pour le siège des institutions, les villes d'accueil des agences sont désignées par le Conseil européen. En pratique, les chefs d'État et de gouvernement désignent les villes retenues pour plusieurs agences au cours d'une même réunion, ce qui peut laisser une impression de marchandage peu flatteuse pour l'image de l'Union européenne. Surtout, nous explique la Commission, cela aboutit à des décisions tardives, le siège d'une agence étant désigné plusieurs mois, voire plusieurs années, après l'adoption de l'acte constitutif. La Commission propose donc que le siège d'une agence soit fixé dans l'acte de base ou, au plus tard, dans les six mois suivant son adoption. Concrètement, cela signifie qu'il reviendrait à la Commission de proposer la ville d'accueil et à impliquer le Parlement européen, dans le cadre de la co-décision, dans le choix de la quasi-totalité des sièges. Je ne suis pas sûre que cela aboutirait à simplifier les choses : imagine-t-on ce qui se passerait si un accord laborieusement obtenu au sein du Conseil était « retoqué » par le Parlement européen ?

On pourrait adresser une autre critique, et non des moindres, au projet d'AII en ce qu'il élude la question du partage des responsabilités au sein de la fonction exécutive. Je vous rappelle que, en droit, la responsabilité d'une décision pèse sur la Commission alors même que celle-ci, en pratique et faute de pouvoir raisonnablement faire autrement, suit systématiquement les recommandations des agences lorsqu'elles concernent une question exclusivement technique. On ne peut pas vraiment reprocher à la Commission d'agir ainsi ; en revanche, il y a un décalage regrettable entre le droit et la pratique au niveau de la mise en jeu de la responsabilité.

Faut-il pour autant renoncer à un encadrement des agences de régulation au motif que des considérations politiques, juridiques et pratiques rendent fort aléatoire un accord à moyen terme sur les propositions de la Commission ? Certainement pas. En revanche, il faudrait probablement repartir sur de nouvelles bases en formulant des propositions que je résumerai en trois mots : réalisme, pragmatisme et responsabilité.

Le réalisme concerne la démarche à suivre pour parvenir à un encadrement des agences. Le débat juridique entre les services du Conseil et ceux de la Commission, ainsi que l'accueil plus que réservé de plusieurs États membres, semblent condamner pour l'instant la voie de l'AII. Mais il faut relativiser la portée de ce problème. En effet, l'AII n'est, aux yeux même de sa propre instigatrice, qu'une liste de points importants à prendre en considération (je n'ose pas dire, bien que le terme ait été employé par mes interlocuteurs à Bruxelles, une « check-list »). Dès lors, pourquoi ne pas lui substituer de simples lignes directrices qui s'appliqueraient à la Commission (et à elle seule) et qu'elle s'engagerait donc unilatéralement à mettre en oeuvre dans ses futures propositions de création d'agences ? Grâce à son pouvoir d'initiative, la Commission peut inscrire ses préférences dans les propositions d'actes constitutifs, dont les États ne peuvent s'écarter qu'à l'unanimité. C'est un moyen de pression très fort et qui le serait d'autant plus que la Commission conduirait une politique cohérente : comment, face à une institution proposant des solutions homogènes, les autres institutions pourraient-elles durablement continuer à faire du sur-mesure selon leur bon vouloir après avoir demandé une politique des agences cohérente ?

Dans l'élaboration de ces lignes directrices, la Commission devrait faire montre de pragmatisme en acceptant d'amender la substance de son projet d'AII en fonction des réactions qu'il a suscitées. Il lui faudrait écarter les dispositions mal acceptées comme celle concernant le siège des agences. Il lui faudrait aussi le compléter sur plusieurs points. Je trouve par exemple regrettable qu'aucune précision ne soit apportée sur le système de vote au sein des conseils d'administration, alors même que, sur ce point aussi, le législateur n'a jamais suivi une ligne de conduite cohérente. On pourrait aussi rassurer l'autorité budgétaire en prévoyant que chaque emploi créé au sein des agences, pour accomplir des tâches relevant de la Commission, serait gagé par un emploi au sein de la Commission.

Mais surtout, et c'est le troisième maître mot d'un bon encadrement des agences, il faudrait clarifier les responsabilités de chacun. Pour ce faire, il y aurait lieu d'indiquer clairement que, désormais, les agences seront investies de l'entière responsabilité de prendre des décisions individuelles dans un domaine technique. Dès lors qu'une agence constate qu'une demande remplit des conditions techniques prédéfinies (par exemple, en matière de fabrication d'ailes d'avion), c'est à elle que doit revenir la décision d'y répondre et donc d'en endosser la responsabilité. J'insiste sur le fait que ce transfert de responsabilité ne doit concerner que des décisions individuelles appelées à être prises en se référant à une seule considération, et à une considération qui soit exclusivement technique. Si d'autres questions que techniques ou scientifiques entrent en ligne de compte (par exemple, des aspects éthiques, sociaux ou budgétaires comme c'est le cas en matière de mise sur le marché de médicaments), la décision implique des arbitrages et doit donc être laissée au pouvoir politique. En contrepartie de ce transfert de responsabilité, qui mettrait le droit en osmose avec la pratique, peut-être faudrait-il prévoir un pouvoir d'évocation au profit de la Commission dont elle pourrait user de sa propre initiative ou à la demande de l'agence. Des décisions exclusivement techniques peuvent en effet avoir des conséquences politiques importantes. Pour reprendre l'exemple des ailes d'avion, on imagine aisément les conséquences qu'aurait pu entraîner un refus de certification de l'A380. Ces décisions exceptionnellement lourdes de conséquence seraient, sinon mieux acceptées (restons, nous aussi, réalistes), sans doute mieux comprises dès lors qu'elles n'émaneraient pas d'une agence composée exclusivement d'experts indépendants et qui n'auraient pas en outre toujours les moyens de communication nécessaires.

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En résumé, je dirai qu'il ne faut pas baisser les bras. Il ne tient qu'à la Commission de reprendre l'initiative. Mais elle doit le faire en corrigeant le tir en fonction des réactions, positives comme négatives, suscitées par son projet d'AII ... faute de quoi l'encadrement des agences de régulation risque fort de rester, et pour longtemps, une perspective de très long terme.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Catherine Tasca :

Puisque le projet d'accord interinstitutionnel ne concerne que les futures agences, comment la Commission envisage-t-elle d'améliorer la cohérence pour les trente agences existantes ?

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Pour des raisons de sécurité juridique, la Commission n'a pas souhaité prévoir un dispositif rétroactif. Elle propose cependant que les trois institutions s'engagent à examiner dans les meilleurs délais, après l'entrée en vigueur de l'AII, les modalités selon lesquelles des dispositions pourraient être étendues aux agences existantes.

M. Robert Del Picchia :

Il est essentiel d'insister sur le partage déséquilibré des responsabilités au sein de la fonction exécutive. Je note que la Commission y attache aussi de l'importance puisqu'elle affirme, comme vous l'indiquez dans votre rapport, que « dans l'accomplissement de leur mission de service public, les agences doivent assumer la responsabilité des actes qu'elles posent ».

M. Hubert Haenel :

On retrouve la même problématique au niveau national, avec les autorités administratives indépendantes.

Mme Marie-Thérèse Hermange :

En effet, c'est d'ailleurs pour parvenir à une clarification des responsabilités que je propose de distinguer entre les agences qui prennent des avis purement techniques et les autres. Lorsqu'il s'agit d'une intervention purement technique, l'agence devrait être responsable en cas de faute. Lorsque la décision va au-delà de la seule expertise technique, par exemple pour les décisions ayant une portée éthique ou entraînant des coûts budgétaires, cette décision - et la responsabilité qui va de pair - doit relever de la Commission.

M. Roland Ries :

Il n'y a pas de bonne solution pour régler la question du rapport expert-politique. Une chose est sûre cependant : le politique ne doit jamais parler en direct avec un seul expert, sinon il n'aura aucune marge de manoeuvre. Il doit laisser les experts confronter leurs points de vues et décider avec son bon sens de généraliste.

Justice et affaires intérieures

Enseignements de la conférence interparlementaire
« Liberté et sécurité : renforcer le contrôle parlementaire
en matière de coopération judiciaire et policière en Europe »
des 17 et 18 octobre 2005

Communication de M. Pierre Fauchon

Les 17 et 18 octobre derniers, j'ai participé, avec Hubert Haenel, à une conférence interparlementaire consacrée au contrôle parlementaire de la coopération policière et judiciaire en Europe. Avant de vous donner mon sentiment sur les enseignements que je retire de cette conférence, je voudrais évoquer brièvement son déroulement et les discussions sur les quatre thèmes qui figuraient à l'ordre du jour.

I - LE DÉROULEMENT DE LA CONFÉRENCE

Cette conférence avait été co-organisée par la commission « libertés civiles, justice et affaires intérieures » du Parlement européen, dont le président est Jean-Marie Cavada, et les deux commissions compétentes de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords du Parlement britannique, étant donné que ce pays exerce actuellement la présidence de l'Union européenne.

Elle s'inscrivait dans la suite des précédentes initiatives parlementaires de contrôle des matières relatives au domaine « Justice et Affaires intérieures » et en particulier de la conférence de La Haye sur le contrôle démocratique d'Europol, organisée par le Parlement néerlandais en 2001. Mais elle intervenait dans un contexte particulier, marqué par le rejet, en France et aux Pays-Bas, du traité constitutionnel, qui comporte des avancées importantes pour les questions de justice et de sécurité.

La plupart des parlements des vingt-cinq États membres étaient représentés, à l'exception de l'Allemagne, de la Pologne, du Danemark, de l'Irlande et de Chypre, en raison du calendrier électoral dans ces pays. Parmi les parlements des pays candidats à l'adhésion (Roumanie, Bulgarie, Croatie et Turquie), invités en qualité d'observateurs, seuls les parlementaires roumains avaient fait le déplacement. Au total, la Conférence a rassemblé quatre-vingt-dix parlementaires nationaux et une trentaine de députés européens. Parmi les différentes délégations, la délégation britannique était la plus nombreuse et elle a joué un rôle très actif au cours de la conférence.

Sont également intervenus au cours de la réunion : le Président du Parlement européen, Josep Borrell Fontelles, la Secrétaire d'État au ministère des Affaires intérieures du Royaume-Uni, Hazel Blears (au titre de la présidence du Conseil), le Commissaire européen chargé de ces questions, Franco Frattini, le Président d'Eurojust, Michael Kennedy, le Directeur adjoint d'Europol, Jens Henrik Hojbjerg, et le juge français Renaud van Ruymbeke, qui fut l'un des co-auteurs de l'Appel de Genève.

II - LES QUATRE THÈMES ÉVOQUÉS LORS DE LA CONFÉRENCE

Quatre thèmes avaient été retenus pour cette conférence : la conservation des données de communication, Europol, Eurojust et l'évaluation de la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen.

1. La conservation des données de communication téléphonique ou électronique à des fins d'enquête

Le premier sujet de la conférence a porté sur la question sensible de la conservation des données de communication électronique ou téléphonique aux fins d'enquête. Actuellement, ces données de trafic, qui ne portent pas sur le contenu des communications, mais qui permettent de savoir « qui a appelé qui, quand et combien de temps ? », sont conservées par les opérateurs à des fins de facturation, pour des périodes variables et généralement assez courtes. Or, comme l'a rappelé la Secrétaire d'État britannique, les attentats terroristes de Madrid et de Londres ont démontré la nécessité pour les enquêteurs d'avoir accès à ces données pour identifier les suspects et prévenir des attentats. Et, d'après les services compétents, ces données devraient être conservées pendant une période d'au moins une année pour assurer l'efficacité des investigations qui sont souvent longues et complexes en matière de criminalité organisée. Il est donc essentiel de parvenir à une harmonisation européenne dans ce domaine.

Il existe, cependant, aujourd'hui une controverse à ce sujet, qui porte sur le choix de la base juridique adéquate pour prendre une telle mesure au niveau européen. Cette controverse oppose la plupart des États membres, qui considèrent qu'une telle mesure relève du « troisième pilier », ce qui ne paraît guère contestable, à la Commission européenne et au Parlement européen, qui estiment au contraire qu'elle relève du « premier pilier ». Ainsi, alors qu'un projet de décision-cadre avait été proposé par la France, le Royaume-Uni, la Suède et l'Irlande, la Commission européenne a déposé récemment une proposition de directive ayant le même objet.

Le rapporteur du Parlement européen sur cette question a vigoureusement défendu la thèse favorable à un instrument du « premier pilier », en mettant en avant le fait que cela permettrait au Parlement européen d'être co-législateur avec le Conseil, alors qu'il est simplement consulté dans le cadre du « troisième pilier ». Il a reçu le soutien d'une députée des Pays-Bas, qui a indiqué que le Parlement néerlandais s'était également prononcé en faveur d'un instrument du « premier pilier » et qu'il avait donné mandat au gouvernement pour refuser un instrument du « troisième pilier ». La question du coût financier pour les opérateurs a également été évoquée par certains représentants des nouveaux États membres.

D'autres parlementaires suédois, britanniques et français, comme le député Alain Marsaud, ancien juge antiterroriste, ont plaidé au contraire en faveur de l'adoption de mesures fortes et rapides en matière de conservation des données. Ils ont regretté que des querelles interinstitutionnelles un peu stériles aient pris le pas sur le souci de rapidité et d'efficacité.

On peut d'ailleurs rapprocher cette controverse de l'arrêt rendu récemment par la Cour de justice des Communautés européennes à propos de la protection de l'environnement par le droit pénal. Dans cet arrêt du 13 septembre 2005, les juges communautaires ont annulé une décision-cadre relative à la protection de l'environnement par le droit pénal, en estimant que cet acte aurait dû être adopté par la voie d'une directive communautaire. En réalité, cet arrêt revient à dire que la compétence pour édicter des normes dans le domaine pénal n'est plus un monopole du « troisième pilier » mais qu'elle peut aussi relever du « premier pilier », dès lors que la Communauté dispose d'une compétence pour agir dans le domaine concerné. Il peut donc s'interpréter comme une « communautarisation  rampante » du « troisième pilier ».

2. Eurojust

Le Président d'Eurojust a dressé un bilan positif des premières années du fonctionnement d'Eurojust, tout en reconnaissant des lacunes, qui tiennent notamment au fait que certains États membres n'ont toujours pas transposé la décision instituant Eurojust dans leur droit national.

Notre président, Hubert Haenel, est allé dans le même sens, en soulignant trois difficultés d'Eurojust : les différences de statut des membres nationaux qui composent le collège, les « doublons » avec les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen, et l'absence de véritable coordination entre Eurojust et les autres organes comme Europol et l'Olaf. Il a ensuite évoqué plusieurs pistes pour renforcer le rôle d'Eurojust afin d'en faire un véritable Parquet européen, tout en estimant que ce renforcement des prérogatives d'Eurojust ne pourrait qu'aller de pair avec un renforcement du contrôle parlementaire sur cet organisme.

3. Europol

Le directeur adjoint d'Europol a reconnu les carences de l'office européen de police, tant au niveau de l'efficacité, que du contrôle démocratique et juridictionnel.

Le président de la commission de la Chambre des Lords a souligné le rôle complémentaire d'Europol et des polices nationales. Tout en excluant d'aller vers un « FBI européen », il a plaidé pour une meilleure utilisation d'Europol par les différents États membres. Il s'est également prononcé en faveur d'un renforcement du rôle des parlements nationaux dans le contrôle d'Europol.

4. Le mandat d'arrêt européen

Le président de la commission des Affaires intérieures de la Chambre des Communes britannique a rappelé que le mandat d'arrêt européen avait été adopté au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et qu'il avait pour vocation de mettre un terme aux difficultés soulevées par la procédure d'extradition entre les États membres.

La députée européenne, Adeline Hazan, qui a été chargée d'un rapport d'évaluation de la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen, a ensuite estimé que le mandat d'arrêt européen représentait un progrès par rapport à la procédure d'extradition même s'il est trop tôt pour dresser un véritable bilan de son application en l'absence de statistiques fiables. D'après les chiffres figurant dans le rapport d'évaluation de la Commission européenne, il ressort que, à la date du 1er septembre 2004, environ 2600 mandats avaient été émis, 650 personnes arrêtées et une centaine de personnes avaient été remises. En outre, d'après le rapport de la Commission, le délai moyen d'exécution serait passé de plus de neuf mois à quarante-trois jours.

Les débats ont ensuite porté sur les difficultés rencontrées lors de sa transposition dans certains États membres. En effet, dans plusieurs États membres, la transposition du mandat d'arrêt européen apparaît en contradiction avec l'esprit sinon la lettre de la décision-cadre instituant cet instrument. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la loi italienne de transposition a ajouté un motif supplémentaire de refus d'exécution d'un mandat d'arrêt européen lorsque le juge de l'État requis estime qu'il n'existe pas de preuves suffisantes de la culpabilité de la personne recherchée, ce qui revient à laisser le juge de l'État requis exercer un contrôle au fond de l'affaire.

Les représentants des cours constitutionnelles polonaise et lituanienne ont également évoqué les difficultés d'ordre constitutionnel soulevées par le mandat d'arrêt européen. En effet, si dans certains pays, comme la France, ces difficultés ont pu être surmontées avant l'entrée en vigueur de cet instrument, dans d'autres pays, ces difficultés sont apparues postérieurement. Ainsi, la Cour constitutionnelle polonaise a estimé, en avril 2005, que le mandat d'arrêt européen était contraire à la Constitution polonaise, qui interdit expressément l'extradition des nationaux. Elle a donc laissé un délai de 18 mois au législateur pour réviser la Constitution. La Cour constitutionnelle allemande a, quant à elle, annulé en totalité, en juillet 2005, la loi allemande de transposition du mandat d'arrêt européen en estimant que cette loi était contraire à la Loi fondamentale parce qu'elle ne protégeait pas suffisamment les droits des citoyens allemands. En conséquence, dans l'attente d'une nouvelle loi de transposition, les autorités allemandes ont recours à la procédure d'extradition. Des difficultés similaires pourraient apparaître dans d'autres pays, comme la République tchèque et la Finlande. En Belgique, la Cour d'arbitrage a même saisi récemment la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle afin de savoir si le mandat d'arrêt européen n'aurait pas du être adopté par la voie d'une convention du troisième pilier, plutôt que sur la base d'une décision-cadre.

Face à cette situation, plusieurs parlementaires nationaux ont estimé que ces difficultés auraient pu être amoindries s'ils avaient été davantage associés aux négociations qui ont conduit à l'adoption de cet instrument. Certains parlementaires n'ont pas caché leurs réticences à l'égard du mandat d'arrêt européen, en particulier concernant la remise des nationaux ou la suppression du contrôle de la double incrimination. Ainsi, une députée finlandaise a estimé que la longueur de la détention provisoire dans certains pays, ou la corruption du système judiciaire dans d'autres, faisait problème. Des parlementaires britanniques sont allés dans le même sens en soulignant les limites de la reconnaissance mutuelle, alors que paradoxalement ce principe avait été à l'origine proposé par le Royaume-Uni comme une alternative à l'harmonisation des législations nationales.

Toutefois, des parlementaires français, grecs et belges ont souligné l'importance de la confiance mutuelle pour la création de l'« espace judiciaire européen ». Ainsi, un député grec a rappelé que la France attendait depuis déjà dix ans l'extradition de Rachid Ramda soupçonné d'être impliqué dans le financement des attentats de 1995 et réfugié au Royaume-Uni.

III - LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS QUE L'ON PEUT RETIRER DE CETTE CONFÉRENCE

Jean-Marie Cavada a ainsi résumé ce qui est ressorti des travaux de la conférence :

- la nécessité de renforcer le contrôle du Parlement européen et des Parlements nationaux dans le domaine de la coopération policière et judiciaire a été soulignée par tous les participants ;

- comme le montrent les difficultés soulevées par la transposition du mandat d'arrêt européen, le Parlement européen et les parlements nationaux ont un rôle complémentaire à jouer dans ce domaine et ils devraient renforcer leur coopération afin de peser davantage en amont de la prise de décision ;

- ce renforcement devrait passer par un meilleur échange d'informations entre les parlementaires européens et nationaux qui bien souvent travaillent chacun de leur côté ;

- enfin, la proposition de réunir à intervalle régulier une commission composée de parlementaires européens et nationaux afin d'examiner notamment les questions relatives à Europol et à Eurojust, formulée par le Président Hubert Haenel et reprise par de nombreux participants, a fait l'objet d'un large consensus.

Pour ma part, devant les lenteurs et les carences actuelles de la construction de l'« espace judiciaire européen » et face aux défis soulevés par le développement des formes graves de criminalité organisée, comme le terrorisme, la traite des êtres humains ou le trafic de drogue, j'ai suggéré de chercher une relance de ce processus par deux voies distinctes mais complémentaires :

- première voie : que le Parlement européen prenne une initiative forte pour accélérer la mise en place de cet « espace judiciaire européen », qu'on nous promet depuis déjà plus de trente ans. Il me semble, en effet, que dans le contexte actuel marqué par l'échec du traité constitutionnel, une Commission européenne et des États membres décrédibilisés, seuls les Parlements, et en particulier le Parlement européen, unique institution européenne élue au suffrage universel direct, disposent de la légitimité nécessaire pour prendre des initiatives fortes dans ce domaine. Qui pourrait s'opposer à une initiative de la part du Parlement européen, d'autant plus qu'elle aurait été concertée avec les parlements nationaux ? Ce qui me paraît l'essentiel aujourd'hui, c'est d'avoir un dispositif efficace. Il est bon de vouloir contrôler Europol et Eurojust, encore faut-il que ces organes aient de vrais pouvoirs. Contrôler des institutions évanescentes n'a pas grand intérêt. Ce qui importe c'est de sortir de l'impuissance actuelle ;

- deuxième voie : le recours à des coopérations spécifiques.Dans une Europe à vingt-cinq aujourd'hui, trente demain, tous les pays n'auront pas la volonté et la capacité de progresser au même rythme. Il sera indispensable de recourir, dans le cadre du traité ou sinon en dehors de lui, au mécanisme des « coopérations renforcées », qui permet aux États qui le souhaitent et le peuvent d'aller plus vite et plus loin. D'ores et déjà, les accords de Schengen ont représenté une première forme de « coopération renforcée » et, plus récemment, la France et l'Allemagne, rejointes par l'Espagne et la Belgique, ont engagé un projet d'interconnexion de leurs casiers judiciaires respectifs, afin de permettre la transmission immédiate, à chacun des États participant à cette forme de « coopération renforcée », des avis de condamnations concernant leurs ressortissants. En outre, les cinq plus grands pays de l'Union ont réuni un groupe ad hoc (surnommé le « G5 ») pour traiter les questions concrètes concernant l'asile, l'immigration et la coopération policière. Afin que la justice et la police progressent de concert, ne serait-il pas opportun de prendre une initiative comparable en matière de coopération judiciaire ? N'est-ce pas par cette voie que l'on pourrait aboutir un jour à une définition commune des incriminations et des sanctions et à une autorité responsable des poursuites, une sorte de Parquet européen, du moins pour lutter contre certaines formes spécifiques de criminalité transnationale, comme la traite des êtres humains ?

Telles sont les deux types d'initiatives par lesquelles il devrait être possible de progresser, soit qu'elles donnent lieu à des résultats concrets, soit que par l'effet de provocation qu'elles entraînent, elles aident la Commission et le Conseil à sortir de ce qu'il faut bien appeler l'enlisement actuel.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je retiens, pour ma part, quatre enseignements de cette conférence :

Premièrement, cette conférence a été très utile dans le sens où elle a permis aux parlementaires nationaux et européens de confronter leurs expériences respectives et d'entendre de hauts responsables européens chargés de ces questions, comme le président d'Eurojust. J'ajoute que cette conférence a été un succès par le nombre de participants, puisqu'elle a rassemblé quatre-vingt-dix parlementaires nationaux et une trentaine de parlementaires européens.

Deuxièmement, je constate que l'idée de réunir à intervalles réguliers une commission composée de parlementaires européens et de parlementaires nationaux afin d'examiner notamment les questions relatives à Europol et à Eurojust a fait l'objet d'un consensus.

Troisièmement, je pense aussi que les parlements peuvent jouer le rôle utile d'un aiguillon pour accélérer la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Enfin, je partage votre sentiment selon lequel le recours à des coopérations spécifiques à plusieurs pays sera inévitable si nous voulons continuer à progresser sur ces questions dans une Europe élargie.

M. Roland Ries :

J'ai été très intéressé par votre communication et je partage l'idée que le Parlement européen, seule institution européenne directement élue au suffrage universel direct, peut jouer un rôle dans ce domaine, comme dans d'autres d'ailleurs, pour relancer la construction européenne et répondre ainsi aux attentes des citoyens. S'il dispose de la légitimité pour le faire, je crains cependant qu'il n'en ait pas les pouvoirs nécessaires.

M. Robert Del Picchia :

Je voudrais rappeler que les parlements nationaux ont aussi un rôle essentiel à jouer sur les questions de justice et de sécurité, car il s'agit de matières sensibles qui touchent aux droits des individus et sur lesquelles ils disposent d'une légitimité particulière et d'une expertise reconnue.

M. Hubert Haenel :

Il va de soi que s'agissant des matières relatives au « troisième pilier », qui relèvent de la méthode intergouvernementale et pour lesquelles le Parlement européen ne dispose pas véritablement de pouvoir de contrôle en vertu des traités, les parlements nationaux conservent une place essentielle.

M. Pierre Fauchon :

En évoquant une initiative parlementaire en vue d'accélérer la mise en place de l'espace judiciaire européen, j'avais à l'esprit une initiative du Parlement européen en association avec les parlements nationaux.

Mme Marie-Thérèse Hermange :

J'ai souvent constaté au cours de mon expérience de député européen qu'il suffisait que le Parlement européen se saisisse d'une question pour que naisse une impulsion au sein des institutions européennes. Ainsi, le règlement dit « Bruxelles II », qui vise à faciliter le droit de visite pour les enfants de couples divorcés ou séparés de différente nationalité, trouve directement son origine dans une initiative de l'assemblée européenne.