Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 28 janvier 2004


Table des matières

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Économie, finances et fiscalité

Communication de M. Bernard Angels
sur l'initiative européenne pour la croissance (E 2440)

En juin 2003, le Conseil européen de Thessalonique a demandé à la Commission de travailler avec la Banque européenne d'investissement (BEI) à une initiative européenne pour la croissance ayant pour objectif d'accroître la capacité productive de base de l'économie européenne. La Commission a présenté un rapport intérimaire au Conseil européen qui s'est tenu à Bruxelles en octobre 2003, et a adopté le 11 novembre un rapport final qui nous a été transmis sous la référence E 2440.

La communication de la Commission présente une feuille de route en vue de stimuler l'investissement public et privé, d'une part, dans les réseaux et, d'autre part, dans la recherche-développement. Elle étudie également les moyens de renforcer le financement de tels investissements. Pour la Commission, cette initiative européenne pour la croissance doit s'orienter dans plusieurs directions complémentaires : améliorer le cadre réglementaire et administratif, stimuler l'investissement privé, mobiliser les financements communautaires et inviter les États membres à recentrer leurs dépenses dans des domaines favorables à la croissance.

La Commission et le Conseil européen ont fixé quatre grands domaines d'action : les projets de réseaux de transport européens, les communications à large bande à haut débit, les technologies de pointe (par exemple l'utilisation de l'hydrogène comme combustible ou les technologies spatiales) et les réseaux énergétiques transeuropéens interconnectés.

La Commission s'est également efforcée d'identifier des projets susceptibles d'avancer rapidement (travaux et investissements à lancer dans un délai maximum de trois ans) et répondant à quatre critères : la maturité, la dimension transfrontière, l'impact sur la croissance et l'innovation, les avantages pour l'environnement. La Commission propose ainsi une liste indicative de projets qui constituent le programme « démarrage rapide » et précise que tout projet répondant aux quatre critères peut intégrer cette liste.

Le coût global des investissements dans les trois années à venir s'élève à environ 38 milliards d'euros pour les tronçons transfrontaliers de transport. Pour les projets clés dans le secteur de l'énergie l'investissement nécessaire est quantifié à 10 milliards d'euros. Enfin, dans les projets liés aux réseaux de communication à haut débit, à la Recherche et développement et à l'innovation, les projets retenus impliquent un investissement de 14 milliards d'euros.

Parmi les projets de réseaux transeuropéens (RTE) concernant la France, figurent le TGV Sud Europe tranche Sud-Est (tronçon Perpignan-Figueras), le Lyon-Turin (Tunnel du Mont-Cenis), le TGV Rhin-Rhône branche Est (tronçon Dijon-Mulhouse), le TGV Est (port de Kehl) et les autoroutes de la mer.

La liste proposée par la Commission contient également des projets en matière de réseaux d'énergie, de réseaux à large bande, de recherche-développement et innovation (dont la future base de lancement de fusées Soyouz à Kourou, en Guyane).

En ce qui concerne le financement des projets, la Commission souhaite lever les obstacles qui freinent les investissements et utiliser l'investissement public comme catalyseur de l'investissement privé. La communication contient sur ce plan un certain nombre de dispositions générales sans caractère opérationnel à court terme. La Commission mentionne cependant la possibilité de créer un fonds de titrisation permettant de réorienter une partie de l'importante épargne européenne vers les projets jugés prioritaires. Elle prépare également un nouveau mécanisme de garantie destiné à couvrir les risques commerciaux (déficit de trafic...), en particulier durant les premières années de l'exploitation d'un investissement ; cet instrument aurait un effet de levier sur le financement des projets par le secteur privé.

La France est depuis l'origine favorable à cette initiative en faveur d'une action européenne pour plus de croissance. Le débat semble cependant être encore largement incantatoire et la communication de la Commission ne contient guère de mesures tangibles. Depuis le Livre blanc de Jacques Delors, on se heurte au problème de la concrétisation des mesures proposées. D'ailleurs, une note interne aux services de la Commission critique le manque de moyens disponibles pour les réseaux transeuropéens de transport. Alors que le budget communautaire consacré aux RTE est de 600 millions d'euros par an, il faudrait, selon ce document, au moins 4,5 milliards d'euros par an pour sortir de l'impasse. Constatant que l'application du Pacte de stabilité a eu pour effet de diminuer les possibilités des États membres d'utiliser leur capacité d'endettement pour investir, ce document de travail propose, pour le calcul du déficit public ou de la dette publique des États membres, de déduire les investissements publics dans les projets d'infrastructures déclarés prioritaires pour l'Union. Mais il ne s'agit pas là d'une position officielle de la Commission.

Le Conseil européen du 12 décembre 2003 a pris position, sur le rapport présenté par la Commission, pour une initiative européenne de croissance. Il a tout d'abord avalisé la liste des projets retenus pour le « programme de démarrage rapide », tout en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une liste fermée. Le Conseil a invité la BEI à mettre en place des fonds de titrisation, les États membres à compléter l'initiative pour la croissance par leurs programmes nationaux, et la Commission à étudier la mise en place d'un instrument de garantie communautaire. Le Conseil a enfin prévu une évaluation à mi-parcours de l'initiative pour la croissance, d'ici fin 2007.

Il s'agit donc d'une initiative prometteuse dans son principe, mais dont il faudra surveiller la mise en oeuvre. Je voudrais indiquer quelques pistes possibles pour cette surveillance :

- examiner la liste des projets proposés, notamment ceux concernant la recherche médicale ou l'environnement ;

- apprécier l'initiative de croissance à l'aune des emplois qu'elle génère ;

- apprécier sa contribution à une meilleure cohésion sociale et territoriale ;

- l'inscrire dans le cadre de la politique économique plus générale, selon la démarche pluriannuelle des perspectives financières.

PROJETS « DÉMARRAGE RAPIDE »
CONCERNANT LA FRANCE

Coût total
y compris les études



(en millions d'euros)

Financement communautaire envisagé

(en millions d'euros)

Financement de la BEI envisagé


(en millions d'euros)

Axe ferroviaire à grande vitesse : partie Figueras-Perpignan

950

63,5

300 millions déjà octroyés et 2,4 milliards sur le point de l'être (sur un projet global de 6,65 milliards)

TGV Est : Strasbourg-Appenweier (pont de Kehl)

150

-

600 millions pour l'ensemble du TGV Est

Axe ferroviaire Lyon-Trieste : tunnel du Mont-Cenis

6 100

78

Participation possible

Axe fluvial Rhin/Meuse-Main-Danube : Rhin-Meuse, dont l'écluse de Lanay

504

-

Pas encore de participation

Autoroute de la mer de l'Europe de l'ouest

?

?

?

Axe ferroviaire Dijon-Mulhouse-Mülheim

2 080

79

Pas encore de participation

« Eurocaprail » (axe ferroviaire Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg)

?

?

?

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Vous avez très justement mis l'accent sur la question essentielle qui consiste à trouver les financements nécessaires pour une initiative européenne de croissance digne de ce nom.

M. Denis Badré :

Je suis convaincu de la nécessité d'une politique forte de recherche pour l'ensemble des États de l'Union européenne, notamment vis-à-vis des États-Unis, et je crois qu'il y a, à cet égard, un problème de financement et un problème d'organisation. Par ailleurs, je suis en plein accord avec l'idée qu'il conviendrait de déduire les investissements du calcul des déficits publics.

Pour le financement, l'inscription dans le cadre des perspectives financières me paraît nécessaire. Sur la base de budgets concrets, produisant des résultats, nos concitoyens seront davantage disposés à la mobilisation des sommes nécessaires.

Le temps me semble venu que l'Union européenne fasse des gestes emblématiques. A cet égard, les réseaux ont l'avantage de rapprocher les Européens et de créer de l'emploi. L'initiative européenne individualise certains projets, mais il faut aller plus loin en finançant, sur une base communautaire, quelques grands projets qui intéressent tous les Européens, par exemple les percées alpines.

M. Xavier de Villepin :

Aux États-Unis, malgré les difficultés financières de l'heure, malgré les déficits, on sait mettre en avant des projets politiques mobilisateurs, par exemple l'exploration de la planète Mars. Je ne vois aucune vision comparable dans l'Union européenne.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Je crains que les gens n'aient une vision très négative de l'Union européenne en raison de la politique économique qu'ils lui prêtent. Ils lui attribuent la responsabilité des délocalisations et des restructurations. Il n'est pas simple d'élargir leur point de vue aux apports positifs de l'Europe, et je suis très inquiète de la façon dont nos concitoyens des régions sinistrées économiquement peuvent la percevoir. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée qu'il nous faudrait des projets collectifs clairement identifiables.

M. Xavier de Villepin :

Le but de l'initiative européenne pour la croissance doit être de créer de l'emploi.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

L'opinion changerait si, au lieu d'être perçue comme destructrice d'emplois, l'Europe était perçue comme créatrice d'emplois.

La délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte.


Communication de M. Denis Badré sur le conflit juridique
relatif à la mise en oeuvre du pacte de stabilité

Comme vous le savez, la Commission européenne a décidé, le 13 janvier dernier, de porter devant la Cour de Justice les conclusions adoptées par le Conseil de l'Union sur l'évaluation des actions entreprises par la France et par l'Allemagne en vue de remédier à leur situation de déficit excessif.

La presse a porté des appréciations diverses et parfois confuses sur ce conflit juridique qui oppose la Commission et le Conseil, laissant parfois entendre que le Conseil avait purement et simplement renoncé à toute discipline budgétaire et à toute application du pacte de stabilité. C'est pourquoi il m'a semblé nécessaire de faire aujourd'hui, devant la délégation, un point de la situation afin de déterminer clairement l'objet et la portée du différend qui oppose ces deux institutions de l'Union.

I - LA SITUATION À LA VEILLE DU CONSEIL ECOFIN DU 25 NOVEMBRE 2003

Pour comprendre la situation de la France à l'égard de la situation de déficit excessif, il convient d'abord de rappeler les décisions prises par le Conseil en juin 2003. En application de l'article 104 § 6 du traité, le Conseil avait tout d'abord adopté une décision constatant l'existence d'un déficit excessif en France. Puis, en application de l'article 104 § 7 du traité, le Conseil avait adopté une recommandation afin que la France mette un terme à sa situation de déficit excessif « aussi rapidement que possible et au plus tard pour l'exercice 2004 ». La recommandation précisait que les autorités françaises devaient faire en sorte que l'amélioration « soit suffisante pour ramener le déficit nominal en dessous de 3 % en 2004 au plus tard ».

À l'automne 2003, la Commission a soumis deux nouvelles recommandations au Conseil. La première, fondée sur l'article 104 § 8 du traité, visait à constater que « aucune action suivie d'effets » n'avait été prise en réponse à la recommandation adressée le 3 juin 2003 à la France par le Conseil. La seconde, fondée sur l'article 104 § 9 du traité, visait à « mettre en demeure » la France de prendre des mesures visant à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif.

C'est le 25 novembre dernier que le Conseil Ecofin a examiné ces deux recommandations de la Commission. Deux autres recommandations, fondées sur les mêmes dispositions du traité, visaient au même objectif pour l'Allemagne.

La réunion du Conseil Ecofin devait être précédée d'une réunion de l'Eurogroupe à laquelle participent les douze États membres ayant adopté la monnaie unique ainsi que la Commission. Je rappelle toutefois que l'Eurogroupe ne peut, en l'état du traité, prendre aucune décision. Toutes les décisions doivent être prises par le Conseil Ecofin regroupant les ministres des finances des quinze États membres, même si tous les États membres ne disposent pas toujours du droit de vote. C'est ainsi que, pour constater que « aucune action suivie d'effets n'a été prise en réponse » aux recommandations formulées par le Conseil (article 104 § 8), les quinze États membres participent au vote, à l'exception de l'État membre concerné. En revanche, pour « mettre en demeure » un État membre (article 104 § 9), seuls les États participant à la monnaie unique disposent du droit de vote, à l'exception bien sûr de l'État concerné. Mais, dans tous les cas, le débat doit se dérouler au sein du Conseil Ecofin tout entier et les décisions être adoptées lors d'une réunion de ce Conseil.

II - LES RÉUNIONS DES 24 ET 25 NOVEMBRE 2003

1. La réunion de l'Eurogroupe


La réunion de l'Eurogroupe précédant le Conseil Ecofin dura huit heures et demie ; elle commença le 24 novembre au soir et s'acheva le 25 à quatre heures du matin. Elle avait pour but de préparer la réunion de l'Ecofin qui devait suivre quelques heures plus tard.

Au cours de cette réunion de l'Eurogroupe, il est apparu qu'il n'existait pas de majorité qualifiée, au sein des douze États participant à la zone euro, pour adopter les recommandations de la Commission fondées sur les articles 104 § 8 et 104 § 9 du traité.

C'est pourquoi la présidence italienne décida de proposer deux projets de conclusions, l'une concernant la France, l'autre l'Allemagne. Ces deux conclusions devaient se substituer aux deux recommandations proposées par la Commission. On put alors constater, au sein de l'Eurogroupe, qu'il se dégageait une majorité qualifiée favorable à l'adoption de ces conclusions.

2. La réunion du Conseil

Lors de la réunion du Conseil Ecofin rassemblant les 15 États membres, la présidence italienne a proposé au Conseil d'adopter les deux conclusions qui avaient été débattues au sein de l'Eurogroupe et pour lesquelles une majorité qualifiée s'était dessinée. Mais la Commission s'y est opposée, demandant que l'on mette au vote ses propres recommandations. Et le Conseil a décidé, à la suite d'un vote de principe, de donner satisfaction à la Commission en se prononçant sur ses recommandations.

Le Conseil a d'abord voté sur les deux recommandations de la Commission constatant que, en France d'une part, en Allemagne d'autre part, « aucune action suivie d'effets » n'avait été prise en réponse aux recommandations antérieures du Conseil. Ces recommandations n'ont recueilli que 37 voix alors qu'il en fallait 52 pour l'adoption. Puis, le Conseil a voté sur les deux recommandations visant à « mettre en demeure » la France d'une part, l'Allemagne d'autre part. Ces recommandations n'ont recueilli que 30 voix alors qu'il en fallait 40 pour leur adoption. Je rappelle que, pour les deux premières recommandations, quatorze États membres étaient appelés à voter (les Quinze, moins l'État concerné), tandis que, pour les deux suivantes, seuls onze États membres avaient la possibilité de participer au vote (les douze États participant à la zone euro, moins l'État concerné).

La présidence n'a pu que constater le rejet des recommandations de la Commission. Et elle a décidé de mettre aux voix ses propres propositions de conclusions. Ces deux conclusions, l'une concernant la France, l'autre l'Allemagne, ont recueilli chacune 40 voix, c'est-à-dire exactement le minimum requis pour leur adoption. Elles ont donc été adoptées par le Conseil. Ce sont ces deux conclusions du Conseil que la Commission a décidé de contester devant la Cour de justice, estimant qu'elles constituaient une violation du mécanisme de contrôle instauré par l'article 104 du traité et par le pacte de stabilité et de croissance.

III - L'OBJET DU RECOURS DE LA COMMISSION

La contestation portée par la Commission devant la Cour de Justice ne porte en fait aucunement sur le fond de la question, mais uniquement sur la procédure suivie par le Conseil.

1. Le fond

La Commission reconnaît elle-même que le Conseil, dans les conclusions qu'il a adoptées, a rejoint l'analyse économique qu'elle présentait dans ses recommandations et qu'il a reconnu la nécessité de mesures complémentaires pour réduire les déficits excessifs de la France et de l'Allemagne. Et elle précise que : « cette contestation des conclusions du Conseil ne vise à remettre en cause ni l'analyse économique, ni les mesures de réduction recommandées par le Conseil aux deux États membres concernés ».

En effet, la conclusion du Conseil concernant la France recommande à notre pays de réaliser, en 2004, une réduction du déficit de 0,8 % du PIB et, en 2005, une réduction d'au moins 0,6 % du PIB, en sorte que le déficit soit ramené en dessous de 3 % du PIB. De même, pour l'Allemagne, elle recommande une réduction de 0,6 % en 2004 et d'au moins 0,5 % en 2005 en sorte, là aussi, que le déficit soit ramené alors en dessous de 3 %.

Pour l'effort de réduction du déficit, la différence entre, d'une part, les chiffres inscrits dans les conclusions du Conseil, et, d'autre part, les chiffres figurant dans les recommandations de la Commission, est inférieure à l'erreur statistique considérée comme normale dans toute prévision économique. De plus, les conclusions du Conseil sont assorties d'une déclaration, adoptée à l'unanimité, qui confirme l'attachement de tous les États membres au pacte de stabilité et de croissance. On ne peut donc pas conclure de la réunion du 25 novembre que le Conseil a décidé d'abandonner la discipline du pacte de stabilité. Et c'est à juste titre que le Ministre des finances a pu publier un communiqué affirmant : « la validité du pacte de stabilité et de croissance a été réaffirmée ».

Le conflit entre la Commission et le Conseil est en fait seulement un conflit de procédure.

2. La procédure

La Commission a dû constater que le Conseil avait le droit de rejeter les recommandations qu'elle lui avait proposées. Mais elle a contesté la manière dont le Conseil a procédé. Elle a d'abord estimé que le Conseil n'aurait pas dû rejeter la recommandation faite sur l'article 104 § 8, c'est à dire le constat que « aucune action suivie d'effets » n'avait été prise en réponse aux recommandations de juin 2003, sans fournir d'explications appropriées. Pour elle, le Conseil a la possibilité juridique de rejeter ses propositions de recommandations, mais seulement s'il indique clairement et sans ambiguïté les facteurs économiques objectifs qui montrent qu'il n'est pas nécessaire d'adopter ce texte.

De plus, la Commission fait valoir que le Conseil n'a pas le droit de suspendre la procédure concernant un déficit excessif. Il a le droit d'abroger les décisions prises antérieurement dans le cadre de cette procédure si le déficit excessif a été corrigé, mais il ne peut pas « mettre en suspens » la procédure.

IV - LA SIGNIFICATION DE CE CONFLIT

En réalité, ce différend reflète une opposition entre deux conceptions de l'application du pacte de stabilité.


L'ensemble de la procédure relative au déficit public excessif est défini par l'article 104 du traité. Cette procédure comporte une succession d'étapes :

- d'abord la décision qu'il y a un déficit excessif (§ 6) ;

- puis la recommandation à l'État membre concerné afin que celui-ci mette un terme à cette situation dans un délai donné (§ 7) ;

- ensuite, le constat que « aucune action suivie d'effets » n'a été prise à ses recommandations dans le délai prescrit (§ 8) ;

- en conséquence, la mise en demeure de prendre les mesures pour remédier à la situation (§ 9) ;

- enfin, l'imposition d'amendes si l'État membre ne s'est pas conformé à la mise en demeure (§ 11).

Pour le Conseil, chacune de ces étapes doit donner lieu à un examen spécifique qui doit être attentif et compréhensif. La décision de passer à une nouvelle étape de la procédure est une décision politique et il convient, pour apprécier la volonté de réduire un déficit excessif, de prendre en considération la situation économique, politique et sociale du pays concerné. Le Conseil doit ainsi pouvoir moduler l'application du pacte en fonction de la conjoncture économique.

En revanche, il semble que, pour la Commission, le Conseil ait quasiment une compétence liée et qu'il ne puisse repousser une recommandation de la Commission visant à passer à l'étape suivante que si celle-ci est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. La Commission semble ainsi partisane d'une conception mécaniste du pacte de stabilité. Les experts qui président à l'élaboration des recommandations de la Commission devraient dès lors toujours être suivis par le Conseil, sauf si ce dernier montrait qu'ils ont commis une erreur objective. Il n'y a plus de place, dans cette conception, pour une appréciation politique, au sens non partisan du terme, de l'application du pacte.

Déjà certains se demandent aujourd'hui si le statut de la Banque Centrale européenne n'amène pas la politique monétaire de l'Union à être trop indépendante de toute considération politique. La conception de la Commission aboutirait à aller plus avant dans ce sens en éloignant également les politiques budgétaires des États membres de toute considération politique dès lors qu'il y aurait un déficit excessif.

Ce conflit de procédure reflète en réalité une opposition entre deux conceptions de la politique économique.

* *

*

Je terminerai par trois remarques.

La première, c'est que l'on peut se demander s'il était opportun de demander à la Cour de Justice de trancher entre ces deux conceptions. N'est-ce pas amener la Cour à s'aventurer sur un terrain qui relève plus du politique que du juridique ?

La deuxième, c'est que, dans la conception que semble revendiquer la Commission pour l'application du pacte de stabilité, le Conseil serait quasiment toujours amené à suivre les diverses recommandations formulées par la Commission dans le cadre de la procédure de déficit excessif. Et chacun sait que la Commission prend sa décision à la majorité simple. Or, à compter de la fin de cette année et au moins pour les quelques années qui vont suivre, la Commission comprendra vingt-cinq membres, dont treize émaneront de pays qui n'auront pas adopté la monnaie unique. La Commission comportera donc une majorité de membres émanant de pays n'appartenant pas à la zone euro. Or, si l'on retenait la conception de la Commission, c'est cette Commission qui, de fait, régirait seule les mesures de surveillance et déterminerait seule les éventuelles amendes imposées aux États participant à la monnaie unique.

Ma troisième remarque, à caractère plus général, c'est que l'on entend souvent dire que l'on ne vote que rarement au sein du Conseil et que les querelles sur le poids de chaque État au sein de cette institution ne reflètent que des volontés d'affirmation symbolique. Or, dans le cas des conclusions adoptées par le Conseil le 25 novembre dernier, on doit souligner que c'est le vote du Luxembourg - l'État doté du plus petit nombre de voix - qui a permis d'atteindre le minimum de voix exigé pour l'adoption à la majorité qualifiée. On constate donc que, pour constituer une majorité - comme d'ailleurs pour constituer une minorité de blocage -, chaque voix compte.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

On peut se demander quel est l'intérêt, pour la Commission européenne et pour le bon fonctionnement de l'Union européenne, de saisir la Cour de justice de cette question.

M. Xavier de Villepin :

Je crois que le pacte de stabilité et de croissance n'est plus adapté à la situation actuelle. Est-ce qu'il ne serait pas préférable de lui substituer de nouvelles règles qui permettraient la prise en compte de la conjoncture ?

M. Lucien Lanier :

Je serais surpris de voir le Conseil automatiquement soumis à une recommandation de la Commission. N'est-il pas libre de statuer positivement ou négativement sur les recommandations que lui propose la Commission ?

Mme Danielle Bidard-Reydet :

L'idée même du pacte de stabilité et de croissance est à revoir . J'ai toujours pensé qu'il avait des conséquences négatives.

M. Denis Badré :

J'espère que la Commission ne gagnera pas devant la Cour de justice. S'il est indispensable de restaurer son rôle, ce n'est pas comme cela qu'elle y parviendra. Il me paraîtrait préférable qu'elle finisse par se désister.

Le pacte de stabilité et de croissance a beaucoup de défauts. D'abord parce qu'il donne à croire qu'il est normal d'avoir 3 % de déficit. Mais, en l'absence de gouvernance économique, c'est le seul instrument dont l'Union dispose.

M. Bernard Angels :

Si au moins on pouvait déduire les investissements du calcul du déficit et de la dette ! De toute façon, il faut être conscient que certains pays recourent à des artifices pour rester dans les normes. J'ai pu personnellement constater que l'on pouvait ainsi en arriver, dans certains États membres, à financer par leasing des achats militaires, en sorte que la dépense ne pèse pas sur le déficit public. La mise en place d'une gouvernance économique européenne doit être une priorité.

M. Yann Gaillard :

J'ai été frappé par l'argument que l'on pourrait en arriver à faire juger le fonctionnement du pacte de stabilité par une majorité de commissaires issus de pays non membres de l'euro. Nous voyons là clairement les limites de l'organisation actuelle.