Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 30 mars 2005


Table des matières

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Institutions européennes

Audition de M. René van der Linden,
président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe1(*)

M. Hubert Haenel :

C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir au Sénat de la République française pour cette rencontre avec les sénateurs membres de la commission des Affaires étrangères, de la délégation pour l'Union européenne, et de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Pendant près de dix-huit mois, nous avons tous deux travaillé côte à côte au sein de la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d'Estaing. Mais, depuis lors, vous avez accédé aux hautes fonctions de président de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et c'est à ce titre que nous vous entendons aujourd'hui.

Cette rencontre arrive à point nommé puisque le troisième sommet des chefs d'États et de gouvernement du Conseil de l'Europe doit se tenir, à Varsovie, dans quelques semaines, les 16 et 17 mai prochains. Ce sommet devrait permettre de donner au Conseil de l'Europe une mission politique claire pour les années à venir. Il devrait aussi permettre de mieux coordonner les différentes organisations européennes. À la suite des élargissements qu'ont connus le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, il convient en effet de mieux définir les missions essentielles de chaque organisation. Le Conseil de l'Europe, plus ancienne organisation européenne, incarne la conscience de l'Europe. Sa place dans le domaine de la protection des droits de l'homme, de la démocratie, de la prééminence du droit, est sans égale. Le traité constitutionnel - qui anime beaucoup le débat politique français en ce moment - prévoit l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme. Cela consacrera encore davantage le rôle de la Cour européenne des droits de l'homme.

Une de nos préoccupations principales est d'éviter la duplication entre les organisations. C'est ainsi que nous nous sommes interrogés récemment, au sein de la délégation pour l'Union européenne, sur la création par l'Union européenne d'une agence des droits fondamentaux de l'Union. Comment éviter les doublons ? Comment assurer une meilleure complémentarité entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne d'une part, entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE d'autre part ?

Nous sommes très désireux, Monsieur le Président, de vous entendre sur toutes ces questions, qui seront au coeur du troisième sommet du Conseil de l'Europe.

M. René van der Linden :

Avant toute chose, permettez-moi de dire un mot sur les enjeux soulevés par la ratification de la Constitution européenne. Un refus de la France de ratifier le traité constitutionnel, lors du référendum du 29 mai, serait susceptible de provoquer une grave crise en Europe. La France a, en effet, toujours été, avec l'Allemagne, le principal moteur de la construction européenne. Il est donc indispensable, à mes yeux, que les Français approuvent la Constitution européenne, car cela répond non seulement à l'intérêt de la France, mais aussi à celui de l'Europe et des citoyens européens.

Le troisième sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe, qui doit se tenir à Varsovie les 16 et 17 mai prochains, est un événement capital pour l'avenir du Conseil de l'Europe. Ce troisième sommet devrait traiter quatre sujets :

- en premier lieu, s'attaquer aux défis que l'Europe aura à relever ;

- en second lieu, rappeler l'importance du Conseil de l'Europe pour le continent ;

- en troisième lieu, définir la place du Conseil dans le paysage institutionnel européen ;

- en dernier lieu, donner au Conseil de l'Europe un mandat politique précis pour les années à venir.

L'élargissement géographique (y compris les perspectives à long terme) et l'élargissement de la gamme d'activités et de compétences de l'Union européenne ont des conséquences importantes pour l'architecture institutionnelle européenne. Je voudrais donc vous soumettre quelques réflexions quant aux relations entre l'Europe des quarante-six États et l'Union européenne.

Mais, tout d'abord, qu'est-ce que représente aujourd'hui le Conseil de l'Europe ? Il s'agit d'une organisation qui regroupe 800 millions d'Européens, 46 États, 630 parlementaires nationaux. Il s'agit également de presque 200 conventions, qui se sont substituées à 25 000 accords bilatéraux. Enfin, cette organisation comporte des mécanismes uniques, comme la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi le Commissaire aux droits de l'homme, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« Commission de Venise »), le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le Groupe d'États contre la corruption (GRECO), le Centre européen contre le racisme et l'intolérance (ECRI) ou encore la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ).

En tant que président de l'Assemblée parlementaire, je ne saurais manquer de rappeler que c'est devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe que l'idée de créer une communauté européenne du charbon et de l'acier a été présentée pour la première fois par Robert Schuman, dans les années cinquante. Si certains États membres avaient adopté une autre position à l'époque, je n'aurais pas eu à faire des relations avec l'Union européenne l'une des priorités de mon mandat. Je ne serais pas non plus dans la position, privilégiée, qui est la mienne aujourd'hui de connaître deux institutions de l'intérieur.

En tant qu'ancien membre de la Convention sur l'avenir de l'Europe, je suis très heureux que le traité constitutionnel reconnaisse cet impératif en prévoyant la possibilité d'une adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui établirait un lien institutionnel formel entre le projet le plus étendu et le projet le plus ambitieux que connaît l'Europe. Le message est clair et sans ambiguïté : l'Union européenne devrait tirer pleinement parti de l'expérience, des institutions et des instruments du Conseil de l'Europe. Il ne suffit pas de reprendre un drapeau et un hymne : l'Union européenne devrait aussi adopter l'acquis du Conseil de l'Europe. Malheureusement, le signal très clair donné par le traité constitutionnel est quelque peu brouillé par des signaux contradictoires en provenance des institutions de l'Union européenne. Je veux parler ici des efforts, parfois enthousiastes, déployés pour réinventer ce qui existe déjà, qu'il s'agisse d'une agence des droits de l'homme, d'un comité contre la torture, préconisé notamment par une résolution du Parlement européen à propos de la Turquie, ou d'un organisme pour la formation en langues, pour ne citer que quelques exemples récents.

Rappelons-nous que la Convention des droits de l'Homme, la Convention pour la prévention de la torture, et son mécanisme de visites inopinées qui est unique, la « Commission de Venise », le Centre contre le racisme et l'intolérance, sont, eux aussi, des exemples de mécanismes très efficaces. Il ne faut pas essayer de les réinventer ! Par ailleurs, je considère que la multiplication de ces agences au niveau européen soulève des interrogations, en particulier en raison de l'absence d'un véritable contrôle, tant politique et démocratique, que budgétaire et financier, sur ces organismes.

Pour éviter de nouveaux clivages, il faudrait que l'Union européenne, ses États membres et ceux qui n'en font pas partie, ou pas encore, utilisent le forum unique que leur offre le Conseil de l'Europe. Je pense bien sûr aux pays candidats, mais aussi aux pays concernés par le processus de stabilisation et d'association, par la politique européenne de voisinage et par les partenariats stratégiques. Le Conseil de l'Europe est le seul forum dans lequel tous ces pays coopèrent sur un pied d'égalité avec les vingt-cinq et avec les pays de l'Espace économique européen.

Il faudrait rappeler que les critères de Copenhague, établis par l'Union pour l'examen des demandes d'adhésion, ne sont rien d'autre que les normes établies et mises en oeuvre par le Conseil de l'Europe. Dans cette mise en oeuvre, la diplomatie parlementaire, telle que développée par notre Assemblée, continue à jouer un rôle primordial. Dans ce contexte, notre Assemblée propose que le troisième sommet invite l'Union à :

- considérer le Conseil de l'Europe comme le cadre privilégié de développement et de mise en oeuvre de sa politique de voisinage ;

- adhérer à toutes les conventions du Conseil de l'Europe qui lui sont ouvertes, afin de favoriser la création d'un espace juridique européen unique ;

- recourir systématiquement et ouvertement à l'expertise des mécanismes et instruments du Conseil de l'Europe.

Avec sa recommandation 1693, notre Assemblée a apporté une contribution substantielle à la préparation du troisième sommet. Elle contient beaucoup d'éléments. Les points suivants sont essentiels. Le sommet devrait :

- doter l'organisation d'un mandat politique clair pour les années à venir ;

- insister sur l'unité de l'Europe, telle qu'elle est incarnée par le Conseil de l'Europe, fondée sur des valeurs communes et sans clivages ;

- reconnaître le rôle du Conseil de l'Europe en tant que cadre primordial pour la définition de normes juridiques en matière de démocratie, de droits de l'homme, de primauté du droit ainsi que sur certains aspects de la société moderne ;

- souligner le rôle unique du Conseil de l'Europe en tant que forum de dialogue politique entre les États membres et non membres de l'Union européenne ;

- inviter l'Union européenne à faire usage de l'expérience, des instruments et des mécanismes du Conseil de l'Europe ;

- souligner l'importance de la promotion et du respect des principes démocratiques fondamentaux et des lignes directrices susceptibles de contribuer au meilleur fonctionnement et au développement d'institutions démocratiques et d'une société civile confrontées à une multitude de missions nouvelles et de problèmes difficiles. Leur point de repère devrait être, avant tout, le citoyen ;

- s'engager à poursuivre la lutte contre toutes les formes de violence, notamment la violence domestique et la traite des êtres humains ;

- réaffirmer que l'éducation à la citoyenneté démocratique, fondée sur les droits et les responsabilités des citoyens ainsi que sur les valeurs du Conseil de l'Europe, restera l'une des priorités des activités futures de l'organisation ;

- encourager la coopération avec d'autres organisations internationales désireuses de créer des structures similaires dans d'autres parties du monde et favoriser les actions leur permettant de profiter de l'expertise de l'organisation ;

- mettre en valeur le rôle du Conseil de l'Europe comme forum unique pour la promotion du dialogue interculturel et interreligieux ;

- insister sur l'urgence d'une réforme profonde de la Cour européenne des droits de l'homme. Décider d'évaluer d'urgence des options stratégiques allant au-delà du protocole n° 14, qui devrait être ratifié le plus tôt possible ;

- décider de réexaminer d'urgence les modalités d'élaboration des projets d'instruments juridiques ; reconnaître le rôle essentiel de l'Assemblée parlementaire dans ce processus ; reconnaître en particulier à l'Assemblée parlementaire un droit d'initiative législative, notamment le droit de soumettre au Comité des ministres, pour examen ou pour examen conjoint, des projets d'instruments normatifs préparés par l'Assemblée ou à sa demande ;

- décider de la création d'un codex des conventions essentielles du Conseil de l'Europe, assorti de délais de signature ou de ratification.

Le troisième sommet doit réaffirmer l'unité d'une Europe sans clivages, fondée sur des valeurs communes.

Pour conclure, je voudrais évoquer deux sujets.

D'une part, la diplomatie parlementaire. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est unique. Unique parce que ses membres ont un double mandat : national et international. Elle est composée d'hommes et de femmes élus par l'ensemble des citoyens, et est en conséquence l'institution la plus naturelle et légitime de représentation des intérêts communs de nos sociétés. Ses objectifs consistent à travailler pour construire un monde meilleur, fondé sur l'État de droit, la démocratie, le pluralisme, la tolérance et le respect des droits de l'Homme. Bien sûr, il y a toute une diplomatie gouvernementale traditionnelle que nous, comme parlementaires, devons soutenir. Mais il y a aussi une réalité qui s'impose dans le monde d'aujourd'hui et dont vous êtes témoins : la nécessité de renforcer et donner plus d'espace à la diplomatie parlementaire - un instrument qui ne double pas la diplomatie gouvernementale. Au contraire, elle est complémentaire, enrichissante et donne plus de vigueur à la diplomatie traditionnelle. La crédibilité et légitimité des parlementaires et leur participation à la scène politique et diplomatique européenne à titre de représentants de la démocratie, peuvent contribuer à faire avancer les grands objectifs de l'Europe, notamment la mise en place du traité constitutionnel, le projet le plus ambitieux que connaît l'Europe. Permettez-moi de vous donner un exemple du rôle très important que peuvent jouer les parlementaires : les travaux pour la préparation du projet de Constitution européenne, qui, sans la contribution essentielle des parlementaires nationaux et des parlementaires européens, n'auraient pas pu aboutir.

D'autre part, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comme école de démocratie. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est le lieu par excellence de la diplomatie parlementaire, une véritable école de démocratie. Elle permet aux parlementaires de mieux accomplir leurs responsabilités grâce aux réseaux de contacts qu'ils peuvent établir; les techniques et l'art des négociations qu'ils peuvent développer ; le savoir-faire pour trouver des compromis ; les échanges et les alliances qu'ils peuvent établir avec leurs collègues venant de quarante-six pays membres ! Mes collègues, et surtout ceux venant de l'Europe du Sud-Est et de la CEI, me parlent souvent des leçons qu'ils ont tirées des expériences vécues en participant aux travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

M. Serge Vinçon :

J'ai deux questions à vous poser.

Tout d'abord, je souhaiterais savoir, au moment où l'on assiste à un certain « raidissement » du pouvoir en Russie, comment le Conseil de l'Europe voit les évolutions actuelles de la situation dans ce pays ?

Ma deuxième question porte sur le regard du Conseil de l'Europe sur la « politique de voisinage » de l'Union européenne.

M. René van der Linden :

La Russie occupe une place éminente au sein du Conseil de l'Europe et la situation de ce pays présente une grande importance pour notre continent. Au sein du Conseil de l'Europe, une commission a été créée, il y a trois ans, chargée de suivre plus particulièrement la situation russe au regard des principes de respect de la démocratie et des droits de l'Homme. Le rapport de cette commission comporte des critiques sur certains aspects, comme la liberté de la presse par exemple, mais il souligne aussi les progrès accomplis par ce pays. Il ne sert à rien, en effet, d'adopter une position critique, qui pourrait avoir des effets contre-productifs, mais je pense plus efficace d'adopter une démarche constructive. Cela n'empêche pas de rester ferme sur certains points. Pour ce grand pays, confronté à des problèmes considérables, l'appréciation de l'évolution ne porte pas sur la vitesse des réformes, mais sur la direction : suit-elle une orientation positive ? Comment encourager les forces positives ?

En ce qui concerne la politique de voisinage, je pense que le Conseil de l'Europe, qui regroupe l'ensemble des États membres et des « nouveaux voisins » de l'Union européenne, a un rôle essentiel à jouer. Cela vaut également pour les rapports futurs entre l'Union européenne et la Russie.

Mme Josette Durrieu :

Je me félicite que l'on parle aujourd'hui du Conseil de l'Europe, dont on parle trop rarement, alors qu'il s'agit pourtant de l'organisation la plus ancienne de notre continent. Je considère, pour ma part, que le Conseil de l'Europe reste un forum privilégié, qui permet notamment aux parlementaires nationaux de quarante-six pays de se rencontrer régulièrement, et qu'il est nécessaire de le préserver. C'est le lieu où se fortifie la « conscience européenne » de tout notre continent.

Le troisième sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe présente donc un enjeu important pour l'avenir de cette institution au regard des élargissements passés ou futurs de l'Union européenne. À cet égard, si, d'ores et déjà, l'Union européenne a reconnu la vocation de certains pays à la rejoindre, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, puis, à terme, les pays des Balkans, je crois qu'il faudra aussi s'interroger sur la question de l'adhésion à l'Union d'autres États, comme la Moldavie ou l'Ukraine, au-delà de la question de la Turquie. Une fois cette clarification faite, on pourra alors définir une politique de voisinage au niveau de l'Union européenne avec la Russie, les pays du Caucase et de l'Asie centrale. Mais cela suppose également de clarifier les relations entre la Russie et les pays issus de l'ex-URSS. La Russie entretient encore une incertitude sur ses frontières, au nord-ouest avec les États baltes, au sud avec la Moldavie où elle continue d'occuper la Transnistrie, avec la Géorgie, avec l'Asie centrale aussi ... Or, de cette stabilisation de l'est de l'Europe dépend notre propre stabilité. Il convient de rappeler que c'est au Conseil de l'Europe, sous l'influence de la commission du suivi et avec l'aide de la commission de Venise qui a expertisé toutes les nouvelles constitutions et lois fondamentales des États qui ont rejoint le Conseil de l'Europe, que ces États sont parvenus aux normes requises pour une candidature à l'Union européenne.

M. Denis Badré :

Je voudrais également témoigner du rôle essentiel joué par le Conseil de l'Europe en tant que forum politique et école de la démocratie. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où les représentants sont placés par ordre alphabétique et non par nationalité ou appartenance politique, contribue d'ailleurs grandement à ce rôle particulier du Conseil de l'Europe.

Compte tenu de l'expérience de la COSAC, où les rapports entre les parlementaires européens et les parlementaires nationaux sont parfois tendus, je souhaiterais vous interroger sur vos propres relations avec le Parlement européen.

M. Hubert Haenel :

Au-delà du regard porté par le Conseil de l'Europe sur la Russie, je voudrais vous interroger sur l'attitude de la Russie à l'égard du Conseil de l'Europe, au moment où l'OSCE traverse une crise en raison de la forte contestation manifestée par la Russie envers cette organisation.

M. Jean-Guy Branger :

Je voudrais également témoigner du rôle important et souvent précurseur joué par le Conseil de l'Europe sur des questions de société, comme le SIDA ou les rapports entre l'immigration et l'intégration. Au sein de l'Assemblée parlementaire, une véritable dynamique naît de la rencontre entre les parlementaires nationaux des différents pays, et il existe une véritable liberté d'expression et une grande tolérance mutuelle. Cela n'empêche pas, bien entendu, de faire certaines critiques parfois, par exemple au sujet de l'évolution de la situation en Russie et de la politique de ce pays à l'égard de son « étranger proche », qui me paraît préoccupante, et sur laquelle je pense qu'il serait utile de manifester, avec fermeté, notre vigilance inquiète, mais dans une approche toujours positive.

M. René van der Linden :

Je rappelle que le Conseil de l'Europe a joué un rôle majeur dans la préparation des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne lors du dernier élargissement, puisque les critères de Copenhague étaient directement issus du Conseil de l'Europe. Et ce n'est pas un hasard si le nouveau président de l'Ukraine, Viktor Iouchtchenko, a choisi, au lendemain de son élection, de s'exprimer en premier lieu devant le Conseil de l'Europe.

La première des priorités que je me suis fixée est de renforcer les relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. Mais il n'est pas acceptable que les institutions européennes cherchent à s'attribuer des tâches qui sont aujourd'hui assumées par le Conseil de l'Europe de manière efficace et pour un budget très limité en comparaison avec celui de l'Union européenne. Et, en disant cela, je ne renie en rien mes convictions profondément européennes, que personne ne peut mettre en doute. Ainsi, si je me félicite que le Parlement européen souhaite renforcer sa coopération avec les parlements nationaux, je voudrais rappeler que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a vocation à être le premier partenaire du Parlement européen puisque, précisément, son Assemblée est composée de délégués des parlements nationaux.

Je suis personnellement en faveur de l'adhésion à terme de la Turquie à l'Union européenne, car cette adhésion est dans notre propre intérêt, compte tenu de la position géostratégique de ce pays, notamment du point de vue de notre approvisionnement énergétique. Mais, pour l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie ou d'autres pays, comme les pays du Caucase ou d'Asie centrale, le Conseil de l'Europe a un rôle essentiel à jouer.

La Russie, qui exercera la présidence du Conseil de l'Europe au cours du deuxième semestre de l'année prochaine, devrait fixer des priorités ambitieuses, ce qui illustre l'importance que ce pays accorde au Conseil de l'Europe. La situation en Russie est préoccupante sous certains aspects, comme la liberté de la presse par exemple, mais je voudrais aussi souligner que les forces démocratiques restent très actives dans ce pays. Je pense en particulier aux organisations non gouvernementales et, plus largement, à la société civile.

Par ailleurs, je voudrais rappeler que le Conseil de l'Europe a pris l'initiative, il y a quelques années, de suspendre le droit de vote de la délégation russe en raison de la situation en Tchétchénie. Or, dans le même temps, la question de la situation en Tchétchénie n'a même pas été évoquée par les chefs d'État et de gouvernement, dont le Président français, lors d'une rencontre à Moscou. Il faut donc que chacun prenne ses responsabilités.

S'il est prévisible que le prochain rapport sur la situation en Russie fera état des progrès qui restent à accomplir vers la démocratie et l'État de droit, je pense aussi qu'il faut se montrer également ferme au sujet du respect des droits de la minorité russe, notamment dans certains États baltes. Et je n'exclus pas, personnellement, l'éventualité de rétablir une procédure particulière de suivi, si cette question ne trouve pas une issue rapide.

L'OSCE fait d'excellentes choses, notamment sur le terrain, à l'occasion des observations d'élection par exemple. Mais je considère que l'OSCE et le Conseil de l'Europe ne peuvent pas être mises sur le même plan. La première ne dispose pas, en effet, d'institutions permanentes, comme le secrétariat général ou la Cour européenne des droits de l'Homme, à la différence de la seconde.

Je voudrais rappeler aussi que les missions accomplies par le Conseil de l'Europe le sont au moindre coût. Je suis parlementaire et j'ai pleinement conscience de l'apport demandé à nos concitoyens par l'impôt. Mais le budget du Conseil de l'Europe, y compris la Cour européenne des droits de l'Homme, est de 185 millions d'euros, dont seulement 15 millions d'euros pour l'Assemblée. Ces chiffres sont à comparer avec le budget de l'Union européenne, surtout quand elle crée des organes en doublon, peu efficaces et mal contrôlés.

M. Josselin de Rohan :

Je voudrais faire une observation et vous poser une question.

Tout d'abord, je ne suis pas convaincu par la notion de « diplomatie parlementaire », car je considère que la diplomatie relève uniquement des prérogatives des gouvernements. Les forums entre les parlementaires, à l'image de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sont certes des lieux essentiels de dialogue et d'échanges, mais cela ne remplace pas pour autant la diplomatie, qui est bien autre chose. D'ailleurs, la seule période de notre histoire où la France n'avait pas de véritable diplomatie était précisément sous le régime de la Convention, après la Révolution, car il n'est pas possible de négocier avec des comités ; pour cela, il faut un pouvoir exécutif.

Ma question concerne les rapports entre l'OSCE et le Conseil de l'Europe et le risque de doublon entre les deux organisations.

M. Michel Dreyfus-Schmidt :

Je ne partage pas l'appréciation de notre collègue au sujet de la « diplomatie parlementaire », même si l'on peut discuter sur la sémantique de cette formule.

Je voudrais également rapporter un témoignage sur la question de la suppression de la peine de mort. J'étais au départ partisan d'en faire une des conditions à l'adhésion au Conseil de l'Europe. Toutefois, j'ai pu constater que l'adhésion des pays qui pratiquaient la peine de mort, comme la Turquie ou la Russie, au sein de cette organisation, a permis progressivement de faire évoluer ces pays sur cette question essentielle à mes yeux.

Enfin, je voudrais rappeler qu'il y a deux langues officielles au sein du Conseil de l'Europe, le français et l'anglais, et je voudrais vous remercier pour votre importante contribution à la défense et à la promotion de notre langue.

M. Jacques Blanc :

Je voudrais vous interroger au sujet des relations entre le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe et le Comité des régions de l'Union européenne.

M. Hubert Haenel :

Je voudrais rendre hommage, non seulement à votre contribution importante pour la promotion de notre langue, mais aussi à votre engagement personnel au sein de la Convention européenne pour la défense de l'exception culturelle et la place des services d'intérêt général dans la Constitution européenne, deux sujets chers à la France.

M. René van der Linden :

Depuis le traité de Maastricht, on a le sentiment que la construction européenne fait du surplace. Le traité de Nice marque en réalité un recul où on peut discerner une empreinte par trop technocratique. C'est parce que la Convention chargée d'élaborer le projet de traité constitutionnel comportait des membres du Parlement européen et des parlements nationaux que l'accord, un moment compromis, a pu finalement être trouvé. Je voudrais aussi rendre hommage à la contribution importante des nouveaux États membres. Certes, la Constitution européenne n'est pas parfaite. Je regrette, personnellement, que l'on ne soit pas allé plus loin sur certains aspects, comme l'extension du vote à la majorité qualifiée, notamment en matière de politique étrangère. Mais ce résultat résulte en grande partie de la « diplomatie parlementaire » avec le rôle joué par le Parlement européen et les parlements nationaux au sein de la Convention. Certes, la diplomatie parlementaire n'a pas vocation à remplacer la diplomatie des gouvernements. Mais les intérêts nationaux, tels qu'ils sont défendus par les gouvernements, ne coïncident pas toujours avec les intérêts des citoyens.

Je pense qu'il faudra établir une coopération étroite entre l'OSCE et le Conseil de l'Europe, mais, pour le moment, le Conseil de l'Europe est seul à disposer d'un cadre normatif avec son statut, ses procédures de suivi, les quelques deux cents conventions et la Cour européenne des droits de l'Homme. Mais, à terme, pourquoi ne pas envisager une fusion entre ces deux organisations ?

Enfin, je partage votre avis sur l'importance des régions en Europe et je dois m'entretenir d'ailleurs prochainement avec le Président du Comité des régions sur ce sujet. Les régions, comme d'ailleurs les acteurs de la société civile, à l'image des associations, ont, en effet, un rôle important à jouer pour rapprocher l'Europe des citoyens.

Subsidiarité

Troisième paquet ferroviaire :
examen au regard du principe de subsidiarité
dans le cadre de l'expérience pilote décidée par la COSAC

Projets d'avis motivés de MM. Jacques Blanc (texte E 2535)
et Robert Bret (texte E 2696)

M. Hubert Haenel :

Nous en arrivons à la deuxième et dernière étape de l'expérience à laquelle nous participons, dans le cadre de la COSAC, au sujet du futur contrôle de subsidiarité.

M. Jacques Blanc :

Je voudrais rappeler très brièvement le cadre de cet exercice sur la subsidiarité. Il s'agit d'une expérience pilote, qui porte sur des textes que la délégation a déjà examinés sur le fond l'année dernière. Nous les reprenons aujourd'hui, uniquement sous l'angle de subsidiarité. Nous n'avons pas à nous prononcer sur le fond, à dire si ces textes sont bons ou mauvais. Notre problème est uniquement de savoir si l'Union est le bon échelon de décision, ou bien si tout ou partie du problème peut être aussi bien traité à l'échelon national, voire local. Cette expérience a lieu dans tous les parlements de l'Union afin de voir comment, le moment venu, le nouveau dispositif de contrôle de la subsidiarité prévu par la Constitution européenne pourrait fonctionner.

Lors de notre réunion du 17 mars, nous avons eu un premier échange de vues sur les quatre textes composant le paquet ferroviaire. Deux de ces textes ont été retenus pour un examen plus approfondi. J'ai été chargé d'un de ces deux textes, celui qui concerne l'ouverture à la concurrence du transport international de passagers par chemin de fer.

Quel est, plus précisément, l'objet de ce texte ? Il s'agit d'abord d'ouvrir à la concurrence le transport ferroviaire international de passagers, comme cela été fait pour le fret ferroviaire international il y a deux ans. Le texte autorise également le cabotage, c'est-à-dire la possibilité, pour les entreprises assurant un transport ferroviaire international, de prendre des passagers entre deux gares situées sur un trajet international. Toutefois, cette ouverture à la concurrence est tempérée par le droit de conclure des contrats de service public pouvant comporter des droits exclusifs. Ces contrats de service public peuvent être conclus soit dans le cadre d'un État membre, soit entre des États membres, soit encore le cas échéant entre deux régions transfrontalières. Lorsqu'il existe un contrat de service public comportant des droits exclusifs pour un trajet entre deux gares, la concurrence n'est pas possible pour ce même trajet. En revanche, si un trajet international ouvert à la concurrence englobe un trajet pour lequel existent des droits exclusifs, le cabotage n'est interdit pour ce trajet que si cela est nécessaire à l'équilibre économique du contrat de service public en cause. L'ouverture à la concurrence est donc contenue dans certaines limites : elle ne porte pas atteinte à la possibilité de conclure des contrats de service public et d'en garantir l'équilibre économique. Enfin, l'ouverture à la concurrence doit s'appliquer au 1er janvier 2010.

Comment apprécier ce texte au regard de la subsidiarité ? En lisant le compte rendu de notre premier examen de ce texte, j'ai constaté que les interrogations qu'il suscitait ne portaient pas véritablement sur la subsidiarité, mais plutôt sur le fond. Or, même si c'est un peu frustrant, nous n'avons pas à nous prononcer aujourd'hui sur l'opportunité de l'ouverture à la concurrence, mais uniquement sur le respect de la subsidiarité.

D'après le principe de subsidiarité, l'Union ne peut intervenir que si le problème à résoudre dépasse les États membres. Est-ce ici le cas ? Manifestement oui, puisqu'il s'agit uniquement du transport international de voyageurs. À l'évidence, l'Union est bien le meilleur échelon pour définir des règles dans ce cas.

Maintenant, est-ce que dans les modalités qui sont prévues pour l'ouverture à la concurrence, il y a atteinte au principe de subsidiarité ? Ce serait le cas si l'Union profitait de l'ouverture à la concurrence du transport international pour fixer également le régime du transport purement national. Mais ce n'est pas le cas : la notion de service public est reconnue et respectée. À l'intérieur des États membres, on reste libre de choisir entre service public et concurrence ; et l'ouverture à la concurrence du transport international se fait d'une manière qui respecte ce choix, puisque le cabotage peut être interdit si c'est nécessaire à l'équilibre économique du contrat de service public.

Il est vrai que c'est l'Union qui va contrôler la manière dont ces principes seront mis en oeuvre. Mais c'est parfaitement normal, puisque l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur est une compétence exclusive de l'Union. Or, quand il y a une compétence exclusive de l'Union, le principe de subsidiarité ne s'applique pas. Donc, si l'on s'en tient - je le répète - au seul problème de la subsidiarité, ce texte ne me paraît pas poser de difficulté. À ma connaissance, il n'a d'ailleurs pas été contesté sous cet angle jusqu'à présent.

Je vous propose donc de conclure que cette proposition de directive ne contredit pas le principe de subsidiarité.

Cette conclusion est adoptée par la délégation.

M. Robert Bret :

Je voudrais, à mon tour, rappeler le cadre bien particulier de cette première expérience : il s'agit d'une expérience « à blanc », qui a lieu dans chaque parlement national, afin de voir comment pourrait s'organiser le contrôle de subsidiarité prévu par le traité constitutionnel, à supposer que ce traité soit approuvé par tous les États membres.

Nous anticipons donc en quelque sorte sur l'adoption du traité constitutionnel, ce qui, pour ma part, n'est pas sans problème puisque, comme vous le savez, je suis opposé à ce texte. Il doit donc être clair que, si j'ai accepté de « jouer le jeu » sur ce point précis, dans le cadre de la délégation, cela n'enlève rien à mon opposition à la logique globale du traité constitutionnel.

Lors de notre réunion du 17 mars, nous avons examiné sous l'angle de la subsidiarité les quatre textes composant le troisième « paquet ferroviaire ». Deux de ces textes ont été retenus pour un examen plus approfondi. Nous venons d'examiner le premier et j'ai été chargé du deuxième de ces textes, à savoir la proposition de règlement concernant la qualité des services de fret ferroviaire.

Nous avons tous été d'accord, la semaine dernière, pour estimer que, en première approche, ce texte semblait poser un problème au regard de la subsidiarité. J'ai essayé d'examiner les choses de plus près. Je voudrais dire, tout d'abord, que cette expérience « à blanc » n'est pas tout à fait réaliste : le texte qui a été choisi est en réalité sur la table depuis plusieurs mois. Il m'a donc été facile de disposer du minimum d'information nécessaire. Si, un jour, ce dispositif doit fonctionner dans des conditions normales, la tâche du rapporteur sera sans doute plus difficile. J'ai pu disposer ainsi des informations suivantes :

- tout d'abord, au sein du Conseil, le problème de la subsidiarité a été soulevé au sujet de ce texte par un grand nombre d'États, dont la France ;

- nos homologues du Bundesrat allemand ont adopté une résolution jugeant ce texte contraire au principe de subsidiarité ;

- le rapporteur de l'Assemblée nationale, Christian Philip, a adopté la même position.

Il apparaît donc clairement que ce texte sur la qualité du fret ferroviaire pose manifestement un problème sérieux de respect de la subsidiarité.

 Un premier critère permettant d'étayer ce jugement est le fait que la proposition de règlement ne fait aucune différence entre les transports nationaux et internationaux. Or, d'après le principe de subsidiarité, l'Union ne doit agir que si l'objectif à atteindre dépasse les possibilités des États membres. En voulant règlementer aussi la qualité des services nationaux de fret ferroviaire, la proposition contredit donc le principe de subsidiarité. C'est l'argument retenu par le Bundesrat, qui ajoute qu'il y a une certaine incohérence dans la démarche de la Commission : pour la qualité du fret ferroviaire, elle a déposé un texte concernant indistinctement les transports nationaux et internationaux, en estimant qu'on ne pouvait pas vraiment séparer les deux, et, pour la qualité des transports de voyageurs, elle a fait le contraire : en effet, le texte que la Commission a présenté sur les droits des voyageurs concerne uniquement les transports internationaux. Pourquoi ce qui est possible pour les voyageurs serait-il impossible pour le fret ? Je crois que l'on peut se rallier à cette conclusion : le principe de subsidiarité n'est pas respecté parce que la proposition de règlement englobe les services purement nationaux de fret ferroviaire.

Il faut bien rappeler que, dans cet exercice, nous n'avons pas à juger le fond du texte. On peut tout à fait estimer que ce qui est proposé par la Commission pour le fret ferroviaire purement national est tout à fait souhaitable : ce n'est pas le problème. A partir du moment où cette réglementation peut parfaitement être prise à l'échelon national, le principe de subsidiarité exclut que ce soit l'Union qui en décide. N'oublions pas que nous sommes ici dans un domaine de compétences partagées et que, dès lors que l'Union aura légiféré dans ce domaine, les États ne pourront plus légiférer. Ils perdront leur compétence.

 On peut aller plus loin - c'est ce qu'a fait le rapporteur de l'Assemblée nationale - en estimant qu'il n'est pas souhaitable que l'Union s'immisce trop avant dans les relations entre les services de fret ferroviaire et leurs clients. En fixant des règles uniformes pour les indemnisations en cas de retard, la proposition de règlement ne respecterait pas suffisamment la liberté contractuelle. Pourquoi empêcher un client qui le souhaiterait de renoncer à d'éventuelles pénalités de retard en échange d'un tarif plus bas ?

L'argument est intéressant. Il peut sans doute se rattacher au principe de subsidiarité entendu au sens large. Mais, si l'on s'en tient à la lettre du traité constitutionnel, cela me paraît moins évident. Tel qu'il figure dans le traité constitutionnel, le principe de subsidiarité concerne uniquement les rapports entre l'Union et les États membres, éventuellement en prenant en compte la dimension régionale et locale. En réalité, l'argument selon lequel l'Union, avec cette proposition de règlement, limiterait à l'excès la liberté contractuelle renvoie sans doute davantage au principe de proportionnalité, selon lequel « le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la Constitution ».

Il est vrai qu'il n'y a pas de frontière bien nette entre ces deux principes, qui ont une même inspiration, un même but, à savoir limiter les interventions de l'Union à ce qui est vraiment nécessaire. Mais il me paraît plus sage, dans cette première expérience, de nous en tenir à la lettre du traité.

Je vous propose donc, en conclusion, de considérer que le texte relatif à la qualité du fret ferroviaire est contraire au principe de subsidiarité parce que son champ d'application n'est pas limité aux transports internationaux de marchandises.

Cette conclusion est adoptée par la délégation.

M. Hubert Haenel :

S'il ne s'agissait pas d'une expérience-pilote, nous serions amenés à utiliser, pour le texte concernant le fret ferroviaire, le « carton jaune » - l'avis motivé adressé à la Commission - et il nous faudrait nous tourner vers les autres parlements nationaux pour chercher des alliés.

M. Yves Pozzo di Borgo :

Nous voyons bien, à partir de cette première expérience, qu'il nous faudra changer nos méthodes de travail. Pour être efficaces, il nous faudra par exemple développer des liens avec les autres parlements, constituer des réseaux, et donc nous déplacer davantage en Europe.

M. Robert Bret :

Je crois que le plus difficile sera d'exercer ce contrôle de subsidiarité dans un délai de six semaines. Dans cette expérience, nous connaissions déjà le fond des textes. En temps normal, nous le découvrirons, et ces textes seront nombreux, puisqu'on parle de 300 à 400 textes par an. Ce sera une charge de travail importante, d'autant qu'il nous faudra aussi, comme vous l'avez souligné, nous tourner vers les autres parlements.

M. Jacques Blanc :

J'espère qu'une réunion des commissions ou délégations européennes des différents parlements se tiendra à ce sujet.

M. Hubert Haenel :

Ce sera précisément un des thèmes principaux de la prochaine COSAC, qui devra faire un bilan de cette expérience dans les vingt-cinq pays. Mais je voudrais rappeler que, lorsque le traité sera entré en vigueur, nous recevrons une fiche détaillée de la Commission européenne, qui sera une base de travail. Il reste que nos méthodes de travail devront évoluer, et les difficultés récentes montrent qu'il faudra aussi, qu'on le veuille ou non, trouver une meilleure articulation entre nos structures internes.

M. Jacques Blanc :

J'observe qu'il y a un mouvement important au sein de l'Europe, avec, pour la première fois, la reconnaissance d'un rôle pour les parlements nationaux, avec un grand accroissement des pouvoirs du Parlement européen, avec aussi le renforcement du rôle du Comité des régions d'Europe, avec lequel nous aurons sans doute à coopérer davantage, notamment pour les questions de subsidiarité.

M. Yves Pozzo di Borgo :

Je crois qu'il sera très difficile d'arriver au seuil d'un tiers des parlements nationaux, nécessaire pour obtenir le réexamen d'un texte.

M. Jacques Blanc :

Je n'en suis pas si sûr. Si nous faisons preuve d'ouverture d'esprit, de capacité de dialogue, nous serons écoutés. Je tire plutôt de mon expérience ministérielle que, dès lors qu'on ne reste pas dans son coin en pensant avoir raison tout seul, on peut trouver des alliés.

M. Hubert Haenel :

Quoi qu'il en soit, nous voyons bien que les questions européennes sont désormais centrales, et qu'elles devraient donc être au coeur des travaux de l'Assemblée et du Sénat. Je crois qu'il y a eu ces derniers temps une prise de conscience au sein du Parlement. Je souhaite qu'elle perdure au-delà de l'échéance du 29 mai prochain.

M. Serge Lagauche :

Il faut être conscient que les commissions permanentes ne veulent pas être dessaisies des questions européennes. Elles ont le sentiment qu'elles seules maîtrisent bien le fond des textes. Je crois que la délégation devrait faire un travail de défrichage, puis envoyer aux commissions les textes importants, quitte à les reprendre si les commissions ne s'en saisissent pas. Il faut un travail en commun. Pour maîtriser les contraintes de temps, il faudrait se saisir plus en amont, avoir un dispositif de « pré-alerte » pour pouvoir se préparer.

M. Yves Pozzo di Borgo :

La délégation doit être un animateur du débat européen. J'approuve l'idée qu'il est nécessaire d'alerter les commissions très en amont, et préparer les travaux du Sénat par une réflexion commune et une large information. Nous ne devrions pas attendre que les évolutions se dessinent pour intervenir. Pour la discussion budgétaire nationale, nous avons compris que, si le Parlement ne s'exprimait pas en amont, il ne pouvait avoir beaucoup d'influence sur le budget qu'il est censé décider. Il nous faut avoir la même attitude pour les questions européennes.


* 1Cette audition s'est tenue en commun avec la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, et les sénateurs membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.