Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 30 avril 2008


Table des matières

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Réunion du mercredi 30 avril 2008

Agriculture et pêche

Bilan de santé de la politique agricole commune

Communication de M. Jean Bizet

I - ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

Notre délégation a déjà abordé le « bilan de santé » de la politique agricole commune l'année dernière. On en était alors à un stade encore très préliminaire de cette négociation. Mais, quand on relit nos débats, on peut constater que nous n'étions pas à côté du sujet. Bien au contraire, les questions que nous mettions en avant ont pris avec le temps de plus en plus d'importance.

En effet, qu'a-t-on observé au cours des derniers mois ? La hausse des prix agricoles s'est poursuivie. Dans certains pays, des pénuries alimentaires réapparaissent. Dans d'autres, les exportations ont été interdites pour empêcher les pénuries d'apparaître. Et nous sommes clairement devant une tendance durable.

La population mondiale augmente et ce mouvement va se poursuivre dans les prochaines décennies. Certes, le nombre d'enfants par femme diminue dans la plupart des zones, mais, partout ailleurs qu'en Occident, la base démographique est très large puisque la population est jeune. Même en supposant une fécondité très modérée, le nombre des naissances va rester important, tandis que l'espérance de vie continuera d'augmenter dans les pays émergents. L'humanité passera donc vraisemblablement par un « pic » d'environ 9 milliards d'habitants vers 2050 avant de commencer à décroître. Or, une partie importante de cette population mondiale en expansion se trouve dans des pays émergents, où l'on tend à consommer une nourriture plus abondante et plus variée, en particulier davantage de viande. Cette évolution tire la demande de céréales vers le haut.

Il faut ajouter le développement des agro-carburants. J'ai toujours exprimé, pour ma part, pas mal de scepticisme sur cette source d'énergie (alors que l'agrochimie, en revanche, me paraît être une voie prometteuse). Je n'en suis que plus à l'aise pour dire qu'il est exagéré d'imputer principalement au développement des biocarburants les hausses de prix actuelles. C'est un facteur adjuvant, ce n'est pas la cause principale, qui se trouve dans les tendances durables que je viens d'évoquer.

De plus, il faut aborder cette question avec réalisme. Il est vrai que le bilan énergétique des agro-carburants demeure médiocre, en attendant les agro-carburants de la « deuxième génération » qui restent d'ailleurs entourés d'incertitudes. Il est vrai, également, que la dépense fiscale pour le soutien aux biocarburants n'est pas négligeable. Cependant, compte tenu du niveau atteint par le prix du pétrole, et compte tenu des risques géopolitiques qui pèsent sur l'approvisionnement en énergie fossile, on ne pourra pas empêcher les États de vouloir faire une place aux agro-carburants dans le cadre d'une politique de diversification. Je n'étais pas un supporter enthousiaste des agro-carburants, je me réjouis de voir qu'on revient à une plus juste mesure de leur utilité, mais je crois qu'il ne faut pas non plus leur attribuer tous les maux de la planète comme certains le font aujourd'hui. Les agro-carburants n'occupent que 1 % des surfaces cultivées dans le monde.

Si l'on considère tous ces éléments, on ne peut manquer de conclure que l'agriculture est une activité d'avenir, qu'elle aura une importance stratégique, et que nous aurons besoin, en Europe et dans le monde, d'agricultures productives - ce qui ne veut pas dire productivistes - capables de faire face à des besoins en expansion.

Dans le cas de l'Europe, voilà qui devrait discréditer une fois pour toutes le discours selon lequel nous pourrions nous contenter d'une politique rurale en guise de politique agricole, en faisant confiance au commerce international pour assurer notre approvisionnement.

Il devrait être admis par tous, désormais, qu'avec une telle attitude, la sécurité alimentaire de l'Europe ne serait pas valablement assurée. Elle serait compromise, tout d'abord, parce que, en matière d'approvisionnement, c'est l'« égoïsme sacré » qui est la règle. On l'avait vu dans le passé pour le soja dans le cas des États-Unis, on vient de le voir de nouveau dans le cas du riz avec le Vietnam et les Philippines : les gouvernements préfèrent interdire les exportations plutôt que d'affronter une hausse brutale des prix.

Mais la sécurité alimentaire de l'Europe serait compromise, également, en raison du renforcement de certains aléas. Se reposer sur le commerce international, c'est se reposer sur des transports de longue distance dont le coût va croissant, en raison de la hausse du prix de l'énergie. C'est également faire l'impasse sur les risques climatiques accrus qui, vraisemblablement, vont accompagner le réchauffement de la planète. Si les différentes productions se spécialisent de plus en plus dans certaines zones géographiques, les aléas climatiques seront beaucoup plus dangereux.

Se reposer sur les importations, c'est aussi s'exposer à des phénomènes spéculatifs et donc à une plus grande volatilité des prix. Nous voyons bien, aujourd'hui, que ces phénomènes spéculatifs sont un problème. Et c'est enfin accepter une régression en termes de sécurité sanitaire et de bien-être animal, parce que c'est la production européenne qui applique aujourd'hui les standards les plus élevés dans ces domaines. J'ajouterai au passage que, dans une optique de développement durable, il est difficile de présenter comme rationnel un approvisionnement faisant transiter des denrées périssables sur des milliers de kilomètres. Il devrait être désormais clair, également, que - contrairement à ce qu'on a beaucoup dit - une trop forte spécialisation agricole n'est pas non plus dans l'intérêt des pays les moins avancés.

En réalité - pardon de répéter une remarque que j'ai faite bien des fois - on a eu tendance, dans les enceintes internationales, à appliquer à l'agriculture des schémas que la Banque mondiale avait élaborés pour l'industrie. Le développement des échanges agricoles et la spécialisation des productions devaient amorcer une dynamique de prospérité dans les pays les moins avancés. On voit aujourd'hui que c'était une idée non pas fausse, mais dangereusement simpliste. Les pays les moins avancés ont effectivement développé leurs exportations agricoles - et l'Europe a contribué à cette évolution, puisqu'elle est le premier importateur mondial de produits agricoles - mais le désintérêt pour les cultures vivrières fait que ces mêmes pays peinent actuellement à nourrir leurs populations, parce que le prix des céréales qu'ils ont été amenés à importer a fortement augmenté.

Voilà comment se présente, aujourd'hui, le contexte général du « bilan de santé » de la PAC et du débat sur l'avenir de cette politique. Nous ne manquons décidemment pas d'arguments, me semble-t-il, pour plaider en faveur du maintien d'une PAC active et ambitieuse.

Un deuxième élément à prendre en compte - je n'en dirai que quelques mots - est l'état des négociations du cycle de Doha. Il est clair qu'il y a, en ce moment, un fort mouvement pour tenter d'obtenir un accord au mois de mai, et que la Commission pousse en ce sens. Or, pour l'instant, nous restons sur un schéma déséquilibré, où l'essentiel de la libéralisation concerne l'agriculture, sans qu'il y ait de réelles contreparties concernant l'industrie et les services.

Par ailleurs, sur le volet agricole proprement dit, l'Union est allée très loin dans les concessions sans, pour l'instant, avoir obtenu de progrès sensibles sur les objectifs qu'elle s'était fixés pour ce volet, comme la réduction réelle des soutiens internes américains, la protection des indications géographiques et la priorité aux intérêts des pays les plus pauvres. Dans l'état actuel, les pays émergents seraient les grands gagnants, et l'Union pourrait difficilement faire état d'un gain vraiment significatif dans quelque domaine, tandis que le prix à payer serait vraisemblablement très lourd dans des secteurs comme le sucre ou l'élevage.

Alors que la crise alimentaire actuelle montre les limites d'une approche de l'agriculture trop exclusivement centrée sur le commerce international, il est paradoxal que les négociations restent conduites comme si l'agriculture était le problème central pour le développement du commerce mondial et devait être traitée en priorité, en cherchant un accord presque à n'importe quel prix.

Cette orientation est d'autant plus préoccupante que le risque est grand, en cas d'accord, qu'il n'y ait plus guère de marge pour choisir ce que devra être la politique agricole commune après 2013. La politique agricole commune d'après 2013 risque d'être préfigurée dans un éventuel accord. Alors que chacun reconnaît aujourd'hui la nécessité de débattre en profondeur sur l'avenir de la politique agricole commune, car c'est un choix politique important, nous pourrions ainsi nous retrouver dans une situation où ce choix serait largement prédéterminé en dehors de tout débat démocratique.

Certes, le pire n'est jamais sûr, mais pour l'instant la tournure de ces négociations ne me paraît pas très encourageante. Et je suis frappé par le fait que l'Europe ne parvient pas à bien inscrire son action dans le calendrier international. Nous nous trouvons régulièrement en porte-à-faux par rapport aux décisions américaines. Aujourd'hui, l'administration Bush pousse à un accord parce que chacun sait que, dans quelques mois, le contexte politique américain sera vraisemblablement moins favorable pour cela ; et l'Europe subit cette pression.

La part de l'agriculture dans les échanges mondiaux est pourtant relativement limitée ; on ne peut y voir le coeur des négociations. En même temps, il s'agit d'un domaine d'une importance stratégique qui réclame une approche spécifique. C'est pourquoi je comprends le mouvement en faveur d'une Organisation mondiale de l'agriculture (OMA) qui aurait pour effet de doter l'agriculture d'un cadre spécifique pour les négociations commerciales internationales. Je suis partisan du multilatéralisme, mais cela ne m'empêche pas de penser qu'un cadre propre à l'agriculture serait plus approprié.

II - LE « BILAN DE SANTÉ »

J'en viens au « bilan de santé » proprement dit. Je rappelle que ce terme a été retenu pour souligner qu'il ne pourrait s'agir d'une nouvelle réforme en profondeur. On s'en souvient, la « révision à mi-parcours » de 2002 était devenue, en 2003, une réforme fondamentale. Une répétition de ce processus a été exclue au moment de l'accord sur les perspectives financières ; le choix du terme « bilan de santé » signifie qu'on doit s'en tenir à une évaluation en commun et à des adaptations, sans nouveau bouleversement des règles.

Il faut reconnaître que la Commission n'est pas critiquable quant à la méthode. Elle a joué le jeu du débat, avec les États membres comme avec le Parlement européen. Au moins dans le cas de la France, le débat n'est pas resté confiné à l'échelon européen ; les assises de l'agriculture ont permis d'appuyer la position française sur une large consultation, qui s'est déroulée dans chaque département. Nous avons d'ailleurs pris notre place dans le débat, puisque après notre réunion de l'année dernière, qui se situait tout au début du processus, nous avons eu, au début de cette année, l'audition de Michel Barnier qui a principalement porté sur ce sujet.

Le moment est venu de faire le point, puisque la Commission va normalement présenter ses propositions législatives dans trois semaines, avec pour objectif d'aboutir à un accord en novembre, donc sous présidence française. Les grandes lignes de ces propositions sont déjà connues. Elles concernent, d'une part, le régime de paiement unique, et d'autre part, l'organisation des marchés.

a) Le régime de paiement unique

En ce qui concerne le régime de paiement unique, les propositions de la Commission comprennent quatre points principaux :

premier point : la simplification. La conditionnalité des aides directes serait allégée. Les éléments de couplage à la production qui subsistent encore seraient supprimés, mais les États membres garderaient la possibilité de maintenir la prime à la vache allaitante et les primes ovine et équine. Enfin, le régime des transferts des droits à prime serait assoupli.

deuxième point : l'évolution possible des soutiens vers des montants plus uniformes. À l'heure actuelle, schématiquement, les soutiens découplés sont calculés soit à partir de références historiques par exploitation (c'est le choix qu'a fait la France), soit à partir de références historiques régionales. La Commission propose de donner la possibilité d'évoluer progressivement, sur la période 2009-2013, vers des taux plus uniformes au sein de chaque État.

troisième point : le renforcement et la progressivité de la « modulation » obligatoire des aides directes. La « modulation » obligatoire des aides directes consiste à prélever une fraction de ces aides pour financer des mesures de développement rural. Le taux de cette modulation obligatoire, actuellement de 5 % des montants supérieurs à 5 000 euros, augmenterait progressivement pour atteindre 13 % en 2012. En outre, une progressivité serait introduite. Une « modulation » supplémentaire s'appliquerait aux grandes exploitations, avec un taux de 3 % pour les exploitations percevant entre 100 et 200 000 euros ; 6 % pour les exploitations percevant entre 200 et 300 000 euros, et 9 % au-delà. Les aides directes deviendraient donc dégressives en fonction de la taille des exploitations, même si l'idée d'un plafonnement des aides est abandonnée.

quatrième point : l'extension du champ d'application de l'article 69. L'article 69 du règlement qui a réalisé la réforme de 2003 prévoit la possibilité d'utiliser, pour certaines mesures, jusqu'à 10 % de l'enveloppe nationale accordée pour les aides directes. À l'heure actuelle, le champ de ces mesures est relativement limité : elles doivent concerner la protection de l'environnement, la qualité des produits ou leur commercialisation. Ce champ serait sensiblement élargi : par exemple, l'article 69 pourrait désormais être utilisé pour des mesures au bénéfice de certaines zones, notamment les régions spécialisées dans l'élevage et la production laitière ; de même, il pourrait être utilisé pour contribuer au financement de dispositifs d'assurance-récolte.

b) L'organisation des marchés

En ce qui concerne maintenant l'organisation des marchés, quatre points principaux sont également à souligner :

Premier point : la suppression du gel des terres obligatoire.

Deuxième point : l'augmentation progressive des quotas laitiers en vue de leur suppression. Après l'augmentation de 2 % déjà adoptée pour la campagne 2008/2009, les quotas augmenteraient de 1 % par an jusqu'en 2014. (Je voudrais rappeler à cet égard que, dans notre pays, nous sommes en sous-réalisation de quelque 600 000 tonnes par rapport aux quotas alloués). Parallèlement, l'aide au stockage privé disparaîtrait pour le fromage, de même que les aides pour la commercialisation du beurre. L'aide au stockage privé subsisterait, mais sur décision de la Commission, pour le beurre et la poudre de lait.

Troisième point : les aides liées aux organisations communes de marchés spécifiques qui subsistent encore seraient découplées et intégrées dans le régime de paiement unique (les productions concernées sont le chanvre, les fourrages séchés, les cultures protéiniques, les fruits à coque, le riz, la fécule de pomme de terre, le lin). Par ailleurs, le régime des cultures énergétiques serait supprimé.

Enfin, quatrième point : les mécanismes d'intervention seraient maintenus dans leur principe pour conserver des « filets de sécurité », mais leur portée et leur utilisation seraient sensiblement limitées. C'est un point pour lequel il faudra attendre les textes pour connaître les dispositifs précis pour les différents secteurs.

III - L'ÉTAT DU DÉBAT

Comment les différents protagonistes ont-ils réagi aux orientations proposées par la Commission ?

? L'attitude du Conseil vis-à-vis des orientations retenues par la Commission est d'ores et déjà connue, puis le Conseil a adopté des conclusions, le mois dernier, au sujet du bilan de santé. Ces conclusions ont été adoptées à l'unanimité, mais deux États membres (République tchèque et Lettonie) se sont abstenus.

Pour ce qui concerne le régime de paiement unique, le Conseil a approuvé l'idée de le simplifier et de permettre une évolution vers des soutiens plus uniformes. En revanche, il a émis des réserves à l'égard d'une modulation plus forte des aides dans le cas des grandes exploitations. L'élargissement du champ de l'article 69, en revanche, est bien accueilli.

Pour ce qui concerne l'organisation des marchés, le Conseil est favorable à la suppression de l'obligation de gel des terres. Au sujet de la suppression des quotas laitiers, le Conseil préconise un « atterrissage en douceur », qui passerait par une augmentation progressive des quotas et par des mesures d'accompagnement, notamment des mesures en faveur des « zones particulièrement vulnérables » où l'expiration du régime des quotas compromettrait la poursuite de la production laitière. Par ailleurs, le Conseil ne rejette pas l'idée d'aller plus loin dans le découplage des aides en supprimant la plupart des exceptions, mais il demande un examen au cas par cas. Enfin, sur l'évolution des mécanismes d'intervention, le Conseil demande des précisions sur les intentions exactes de la Commission et réclame que les adaptations qui seront proposées soient accompagnées d'une étude d'impact détaillée.

Pour ce qui est des priorités de la France, Michel Barnier a insisté devant nous sur quelques points : meilleure couverture des risques, défense des mécanismes d'intervention, grande vigilance en ce qui concerne les quotas laitiers dont la suppression n'est envisageable qu'à la double condition d'une « contractualisation durable de la production » et d'un « soutien à la production dans les zones difficiles ». Le Gouvernement insiste aussi sur la nécessité d'encourager une meilleure organisation des filières afin de stabiliser les marchés ; il met également l'accent sur la nécessité de consolider les productions les plus fragilisées par les évolutions de la politique agricole commune ; enfin, il souhaite limiter les transferts du « premier pilier » vers le « second pilier » de la politique agricole commune, c'est-à-dire le développement rural. Je dois dire que, globalement, je suis en phase avec ces orientations.

J'en viens à l'avis du Parlement européen. Certes, le Parlement européen ne dispose pas encore du pouvoir de codécision en matière agricole, mais le traité de Lisbonne qui lui donne ce pouvoir va normalement entrer en vigueur, si tout va bien, à la fin de l'année, et la tendance est d'ores et déjà à tenir le plus grand compte de ses positions.

En l'occurrence, la position adoptée par le Parlement européen apparaît globalement très proche de cette retenue par le Conseil, si ce n'est que le Parlement européen se montre encore plus réservé sur la modulation accrue des aides dans le cas des grandes exploitations.

IV - CONCLUSION

Voilà où nous en sommes, aujourd'hui, du « bilan de santé » de la politique agricole commune. La configuration des discussions apparaît somme toute assez classique : la Commission dispose d'un large soutien pour ses orientations générales ; dans ses propositions, elle va un peu forcer le trait, et l'examen des propositions par le Conseil et le Parlement devrait plutôt limiter l'ampleur des changements proposés. Le risque serait que l'on s'en tienne là et que le nécessaire débat sur la politique agricole commune d'après 2013 ne commence pas en temps utile, c'est-à-dire le plus tôt possible.

Car si ce débat n'a pas lieu en temps utile, le risque existe, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'il soit tranché par avance par le résultat des négociations de l'OMC. Même si ce n'est pas le cas, le temps sera de toute manière compté : l'année 2009 sera largement occupée par le renouvellement du Parlement et de la Commission, et, à partir de 2010, le débat agricole sera phagocyté par le débat sur les perspectives financières : une fois de plus, on ne parlera que du coût de la politique agricole commune et des moyens de le réduire.

Il faut donc poser, tant qu'il est temps, la question de l'avenir à long terme de cette politique, et pas seulement sous l'angle budgétaire. C'est pourquoi, pour ma part, je me réjouis que le président de la République et le ministre de l'Agriculture aient annoncé que la présidence française donnerait lieu à un débat d'orientation sur l'après 2013, dont le temps fort sera le Conseil « Agriculture » informel du mois de septembre prochain.

Et j'espère que, le moment venu, le Sénat apportera sa contribution à ce grand débat, sous une forme ou sous une autre. Car il est clair, aujourd'hui, que l'agriculture n'est pas une activité du passé, qu'elle est au contraire au coeur de toutes les modernités, et que la France a une réelle légitimité pour défendre une vision tournée vers l'avenir.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Je suis assez ancien pour me souvenir que, en 1977, l'agriculture était présentée comme le « pétrole vert » de la France. On voit aujourd'hui que cette image était juste : les produits agricoles deviennent plus rares et plus chers. À l'époque, je me préoccupais avec Denis Badré de taxer les terres laissées incultes ; plus tard, l'Europe a au contraire rendu le gel de terres obligatoire. On revient aujourd'hui, heureusement, sur cette mesure, ce qui prouve que la politique agricole commune sait tout de même s'adapter.

Deux objectifs me paraissent essentiels : la qualité de la production, notamment sur le plan sanitaire, et l'approvisionnement de tous. Sans politique agricole commune, on ne pourra les atteindre. Cessons de dire que cette politique coûte cher : elle en donne l'apparence, car c'est la seule politique intégrée. Renationaliser la PAC serait une grave erreur, un dévoiement de la notion de subsidiarité.

Je crois qu'il faut aborder avec prudence la répartition des dépenses entre deux piliers de la PAC. Il faut certes protéger le premier pilier, mais toutes les dépenses n'ont pas à y figurer. Il faut un bon équilibre. Le seul reproche que je ferais à l'exposé de Jean Bizet est d'ailleurs de ne pas avoir insisté davantage sur le lien entre la PAC et l'objectif de cohésion territoriale prévu par le traité de Lisbonne.

Je rejoins l'idée que l'article 69 n'a pas été suffisamment utilisé, et je me réjouis que la Commission souhaite élargir son champ.

En ce qui concerne le degré de modulation des aides, j'irais pour ma part, dans ce cas, assez loin dans la subsidiarité : faut-il les mêmes règles dans toutes les régions d'Europe ?

Les régions de montagne appellent une politique globale, intégrant une compensation des handicaps naturels. Disons-le : la PAC a sauvé l'agriculture de montagne, et s'est inscrite ainsi dans une logique de développement durable, alors qu'on n'en parlait pas encore. L'agriculture de montagne, ce sont des produits de qualité, une traçabilité complète, et donc un facteur de sécurité alimentaire, en même temps qu'un élément nécessaire à un aménagement harmonieux du territoire. C'est aussi un type d'exploitation et une civilisation particulière qu'il faut défendre.

Je rejoins totalement Jean Bizet pour refuser que l'agriculture serve de variable d'ajustement dans les négociations commerciales.

M. Jean Bizet :

Tout à fait d'accord sur l'importance de l'exigence d'aménagement équilibré du territoire ! Je ne crois pas qu'il y ait d'antinomie avec les autres dimensions de la politique agricole : il faut des soutiens adaptés pour les zones de montagnes. Vous avez beaucoup insisté sur la sécurité alimentaire : je crois que c'est le vrai sens qu'il faut donner à la notion de « préférence communautaire renouvelée », prônée par le président de la République, qui doit se concevoir à partir des exigences de respect des normes européennes et de sécurité d'approvisionnement. Je suis également très opposé à une renationalisation de la PAC : à budget européen constant, où trouverait-on dans le budget national le moyen de financer la politique agricole ? Par ailleurs, la PAC a contribué, et contribue encore aujourd'hui, à cimenter l'Europe.

M. Charles Josselin :

Je crois que c'est à juste titre qu'on parle de « retour sur terre » aujourd'hui. Des erreurs de prévision ont été commises à l'échelon des États, comme sur le plan multilatéral. Et on n'a pas été assez réactifs. Par exemple, dans le cas du lait, on voyait venir le problème et on percevait les tensions, mais on est restés longtemps sans réagir. Il faudrait imaginer des mécanismes plus réactifs.

Sur le plan international, à Cancún, en 2003, on ne parlait que de réduire les surproductions ; à Hong Kong, en 2005, il n'a été pratiquement question que du coton ; et en 2008, nous nous trouvons face à plusieurs crises simultanées qui n'ont pas été anticipées.

On met en cause la spéculation, mais cela reste vague et anonyme. Or, il y a nécessairement, en fin de compte, des personnes de chair et d'os pour prendre les décisions. De qui s'agit-il ? Pour être crédible, il faudrait pouvoir répondre à ce type de question.

Je voudrais souligner que l'augmentation démographique ne concerne pas seulement les pays émergents ; elle concerne aussi des pays pauvres qui ne pourront pas faire face à la hausse des prix alimentaires. La baisse de l'aide publique au développement intervient au pire moment. Nous avons besoin d'articuler de manière plus cohérente plusieurs aspects de l'action européenne : la politique agricole, la politique commerciale - qui ne doit pas être uniquement déterminée par la relation avec les États-Unis -, la politique de développement, la politique de concurrence ; et, dans la période actuelle, la priorité devrait être d'assurer plus de cohérence entre politique commerciale et politique de développement.

Je constate que la crise actuelle réhabilite la PAC. L'indépendance alimentaire de l'Europe est une exigence qui reprend toute son importance. Et la solution doit rester européenne.

Que l'agriculture soit le « pétrole vert », très bien ! Mais pas au sens de la fourniture d'énergie. Et j'approuve la suppression de l'aide aux cultures énergétiques.

Je me reconnais dans l'idée que l'Europe a besoin d'une agriculture de production. Elle doit aussi aider les agricultures des pays du Sud pour que ceux-ci puissent se nourrir ; et, dans l'intervalle, elle doit les aider à se nourrir. On voit bien, dans le cas du Sénégal, les dangers d'une agriculture trop tournée vers la demande des industries agro-alimentaires internationales.

M. Denis Badré :

Un aspect de la PAC ne doit pas être perdu de vue et doit au contraire être mis en avant pour sa défense, c'est que c'est une politique à l'avantage des consommateurs, auxquels elle a permis de fournir à des prix abordables des produits sûrs, répondant à leurs besoins.

Mais elle n'apparaît pas ainsi. Pourquoi ? D'abord, le virage de 1992 a été mal négocié. Ensuite, nous avons été trop défensifs, laissant s'accréditer l'idée que la PAC ne bénéficiait qu'à la France, alors que c'est une politique d'intérêt européen. Sur la notion de « préférence communautaire », nous avons effectivement besoin d'une réflexion approfondie.

M. Hubert Haenel :

Quelques remarques d'un non-spécialiste.

Je m'étonne du manque d'anticipation des experts. On va maintenant dans le sens contraire des préconisations d'il y a peu. Cela ne peut être sans conséquence sur la crédibilité des politiques menées et sur la confiance des consommateurs.

Je soutiens l'idée de favoriser la contractualisation, notamment dans les zones fragiles. Nous l'avons encouragée en Alsace pour les houblonniers, avec des contrats de cinq à dix ans ; je l'ai mise en oeuvre pour ma part sur le plan local pour des plantes médicinales. Les appellations contrôlées sont également un outil très utile pour les zones de montagne ; je pense notamment à certains fromages.

Enfin, même si je crains de paraître archaïque, je voudrais défendre les marchés locaux où les agriculteurs viennent chercher un appoint de revenu et où les consommateurs connaissent l'origine des produits. On évite ainsi bien des coûts de transport ! Ne peut-on penser que ces marchés ont un avenir ?

M. Jean Bizet :

J'approuve le souhait de Charles Josselin d'une plus grande cohérence entre les différents volets de l'action européenne. J'ajoute qu'on peut regretter que, dans les négociations commerciales, la dimension de la bonne gouvernance ne soit pas prise en compte comme elle devrait l'être.

Je reconnais que la politique agricole a manqué de réactivité. Par exemple, en France, on a continué à pénaliser les dépassements individuels de quotas laitiers alors même que la production nationale était insuffisante.

Sur les perspectives, je voudrais rappeler que le professeur Philippe Chalmin a montré l'existence d'un fort parallélisme entre l'évolution des prix des matières premières de l'industrie et celle des prix agricoles. Nous allons connaître dans les prochaines années des fluctuations passagères dans un sens ou dans l'autre, mais la tendance est claire.

Je me retrouve également dans les remarques de Denis Badré.

Au président Haenel, je dirais que je suis favorable à la contractualisation, à la condition toutefois qu'elle passe par le filtre des organisations de producteurs pour maintenir un équilibre ; il ne faut pas arriver à une pure et simple intégration.

Quant aux marchés locaux, ils sont souvent orientés vers la production « bio ». J'ai certaines réserves à l'égard de ce type de production sur le plan sanitaire ; mais je suis très conscient de l'intérêt des marchés locaux, qui ont le double avantage d'être un circuit court et de constituer un lien social.

Subsidiarité

Subsidiarité et proportionnalité :
examen des textes et des réponses adressés
par la Commission européenne

M. Hubert Haenel :

Nous n'avons pas inscrit la subsidiarité à notre ordre du jour depuis le mois de décembre. S'il en est ainsi, ce n'est pas parce que j'ai voulu mettre ce sujet sous le boisseau, mais bien parce que les textes susceptibles de mériter un examen faisaient défaut. Il y a deux raisons à cela.

Tout d'abord, la Commission semble aujourd'hui « en roue libre ». Certes, la fin officielle de son mandat est à l'automne 2009 ; mais, en réalité, l'année 2009 sera par la force des choses une année très peu active sur le plan législatif, avec le renouvellement du Parlement européen et la désignation des membres de la future Commission. La Commission cherche donc moins, aujourd'hui, à lancer de nouvelles initiatives qu'à mener à bien celles qui sont déjà en discussion puisque le temps utile qui lui reste est relativement compté. Cela joue d'autant plus que, selon toute vraisemblance, le président Barroso souhaite se succéder à lui-même, ce qui ne peut que le conduire à une certaine prudence.

Mais il y a une seconde raison, c'est que la Commission se montre d'elle-même beaucoup plus attentive aux questions de subsidiarité. Je ne sais pas si cela provient du dialogue informel déjà en place, ou de la perspective de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, mais il est clair que la Commission est bien plus sensible qu'auparavant à la problématique de la subsidiarité, ce qui nous donne d'autant moins l'occasion de lui adresser des observations, et c'est d'ailleurs tant mieux.

Aujourd'hui, j'ai tout de même deux textes à vous soumettre.

* *

*

Le premier texte est une proposition de décision concernant l'année européenne de la créativité et de l'innovation, qui vise à proclamer l'année 2009 « Année européenne de la créativité et de l'innovation ».

Voici comment la Commission définit les buts de cette initiative :

« Comme pour d'autres années européennes antérieures, les mesures comprendront des campagnes d'information et de promotion, ainsi que des manifestations et des initiatives à l'échelle européenne, nationale, régionale et locale destinées à véhiculer des messages clés et diffuser des informations sur des pratiques exemplaires. (...) [Les] priorités comportent des objectifs à visée sectorielle tels que : susciter et développer la créativité et l'innovation ou élaborer des approches pédagogiques innovantes utilisant les arts créatifs et les sciences à l'école ; promouvoir le « triangle de la connaissance » en créant des régions d'apprentissage centrées sur des universités pour stimuler le développement régional ; favoriser le développement et le transfert d'innovations grâce à la formation professionnelle ; favoriser l'épanouissement personnel des adultes en développant leur sensibilité culturelle, ainsi que leur capacité d'expression créative et d'innovation, dans le cadre de la formation continue ; et réaliser, pour tous les maillons de la chaîne de l'éducation et la formation tout au long de la vie, des activités de communication et des manifestations pour en diffuser et en appliquer les résultats. »

Comme on peut le voir, les ambitions sont vastes, mais le budget envisagé - 15 millions d'euros, c'est-à-dire trois centimes par habitant de l'Union - laisse penser que les résultats seront difficilement perceptibles. Il est clair que la proclamation d'une « année européenne » de la créativité et de l'innovation n'est pas contraire au principe de subsidiarité. Mais on peut s'interroger sérieusement sur la valeur ajoutée que peut apporter cette initiative et sur la proportionnalité entre les fonds qui seront dépensés et les objectifs recherchés.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter les observations ci-après :

- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil concernant l'Année européenne de la créativité et de l'innovation (2009) (COM (2008) 159 final) ;

*

La délégation pour l'Union européenne du Sénat :

reconnaît et approuve le rôle conféré à l'Union européenne, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, pour contribuer à créer un environnement propice à la créativité et à l'innovation ;

considère que la proclamation d'une année européenne de la créativité et de l'innovation, en elle-même, n'est pas contraire au principe de subsidiarité ;

estime que l'absence de précisions sur les actions envisagées ne permet pas de s'assurer que cette proposition respecte le principe de proportionnalité. Même si aucun crédit supplémentaire n'est demandé pour sa mise en oeuvre, cette année européenne entraînera certaines dépenses ; or, il apparaît impossible, en l'état, de garantir une proportionnalité entre les fonds dépensés et l'objectif recherché ;

demande, en outre, à la Commission, de démontrer quelle valeur ajoutée pourra être apportée par cette initiative.

Le projet d'observations est adopté.

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J'en viens au deuxième texte, qui concerne les émissions de CO2 des voitures particulières.

Ce texte fixe un objectif moyen d'émission de CO2 par voiture particulière, qui serait de 130 g par km à l'horizon 2012. Une réduction supplémentaire de 10 g par km serait obtenue par des mesures d'accompagnement concernant notamment les pneumatiques et la climatisation.

La norme de 130 g par km est ensuite déclinée par constructeur. Chaque constructeur se voit désigner une cible propre en fonction des caractéristiques liées au type de véhicule qu'il fabrique.

En effet, la quantité de rejets de CO2 est très variable selon la puissance et le poids de la voiture. Le principe est que plus un véhicule est lourd et rapide, et plus il consomme en carburant ; plus il consomme en carburant et plus ses rejets de CO2 sont importants. Une norme unique par véhicule avantagerait les petites voitures au détriment des grosses voitures qui seraient toutes au-delà du seuil. Pour éviter cela, les constructeurs de grosses voitures se voient appliquer une norme d'émission distincte des constructeurs dits « généralistes » ayant une large gamme de petites voitures. Ainsi, ces derniers ont une cible inférieure à 130 g, tandis que les constructeurs de grosses voitures ont une cible supérieure à 130 g. Les constructeurs peuvent cependant se regrouper par pool et former des alliances qui permettent de calculer le seuil autorisé au niveau du pool et non entreprise par entreprise. L'objectif est que les rejets moyens globaux européens soient de 130 g par km.

Les constructeurs dépassant ce seuil subiraient des pénalités financières. Ces pénalités, qui s'appliqueraient à compter de 2012, seraient calculées à partir de trois critères :

1) le dépassement par rapport à la cible ;

2) le nombre de voitures vendues en Europe ;

3) un prix du gramme de CO2 excédentaire.

Ce prix augmenterait avec le temps et passerait de 20 euros le gramme en trop en 2012, 35 euros en 2013, 60 euros en 2014 et 95 euros à partir de 2015.

À l'évidence, cette proposition ne soulève pas de difficulté sur le plan de la subsidiarité. Il suffit de considérer la définition du principe telle qu'elle figure dans les traités pour le constater : on est typiquement dans un cas où « les objectifs de l'action envisagée » - c'est-à-dire la réduction des émissions de CO2 - « peuvent, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».

Ce qui est plus préoccupant, c'est l'argument qu'ajoute la Commission, de vouloir éviter une « fragmentation » du marché intérieur. Cet argument supplémentaire est inutile puisque, en l'occurrence, le respect de la subsidiarité est indiscutable. Des esprits soupçonneux pourraient donc penser qu'il s'agit d'une critique implicite du système de bonus/malus mis en place en France à la suite du « Grenelle de l'environnement ».

On sait que certains constructeurs étrangers estiment que ce système favorise en réalité les constructeurs français. Il n'est donc pas inutile de souligner que le bonus/malus mis en place en France ne doit pas être considéré comme une « fragmentation » du marché intérieur. Étant donné que l'objectif poursuivi est d'intérêt général, et que la mesure s'applique sans discrimination aux produits nationaux comme aux produits importés, il me semble clair qu'on n'est pas en présence d'une mesure qui « fragmenterait » le marché intérieur d'une manière contraire aux traités.

Il paraît donc préférable que la Commission s'en tienne, pour ce qui concerne la subsidiarité, à l'argument parfaitement suffisant suivant lequel la réduction de CO2 sera plus efficace si elle s'applique à toute l'Union.

Sur le plan de la proportionnalité, la proposition de la Commission me paraît en revanche critiquable.

En effet, le principe de proportionnalité implique que les moyens soient bien adaptés au but poursuivi, qu'ils ne soient pas inutilement lourds et complexes, et qu'ils ne portent pas atteinte à des principes fondamentaux d'une manière disproportionnée par rapport à l'intérêt général poursuivi. Or, la proposition de la Commission ne paraît pas satisfaisante au regard de ces critères.

Je ne vais pas entrer dans les détails, mais les moyens retenus ne paraissent pas bien adaptés au but poursuivi puisque, dans l'état actuel, la proposition fixe des normes moins sévères pour les véhicules plus lourds et donc plus polluants, ce qui n'est pas en harmonie avec le but recherché.

Ensuite, le dispositif est inutilement lourd et complexe. Chaque constructeur fera l'objet d'un savant calcul pour la distribution des pénalités en fonction du poids de chaque véhicule vendu, de l'ampleur du dépassement de la norme d'émission, et de la pente de la droite qui relie le poids de la voiture et le niveau d'émission de CO2 autorisé. Il est évident qu'un système de bonus/malus tel qu'il existe dans notre pays est nettement plus simple tout en étant mieux adapté au but poursuivi.

Enfin, la proposition porte atteinte au principe d'égalité d'une manière exagérée par rapport aux avantages attendus en termes d'intérêt général. Là encore, je n'entrerai pas dans les détails, mais il paraît notamment contraire au principe d'égalité que des constructeurs de voitures très polluantes puissent s'allier pour l'occasion avec des constructeurs spécialisés dans les voitures peu polluantes et se soustraire de cette manière à toute pénalité. Certes, on peut admettre une atteinte limitée à un principe fondamental pour avoir en contrepartie un avantage important en termes d'intérêt général. Mais tel n'est pas le cas ici, puisqu'il y a une atteinte au principe d'égalité sans véritable bénéfice en termes d'intérêt général.

Il me semble donc que la proposition est critiquable du point de vue du principe de proportionnalité, l'argument essentiel étant que l'objectif poursuivi pourrait être atteint d'une manière plus efficace, plus simple, et moins dérogatoire au principe d'égalité en adoptant un mécanisme de bonus/malus.

Avant de vous proposer une observation, je voudrais faire deux remarques. Tout d'abord, ce texte est important et mérite un examen sur le fond. Notre collègue Fabienne Keller, qui s'intéresse particulièrement aux problèmes d'environnement, m'a dit qu'elle acceptait de se charger de cet examen. Nous reviendrons donc sur le sujet. Ensuite, c'est un texte très sensible. Lorsque l'on a connu l'avant-projet, qui était moins favorable aux constructeurs de grosses voitures, le ministre allemand de l'économie a accusé la Commission d'entreprendre une « guerre d'extermination » contre les constructeurs allemands ! En Allemagne, l'automobile représente non seulement un intérêt économique majeur, mais aussi un symbole national. Et il faut reconnaître que l'industrie automobile allemande de haut de gamme est un atout pour l'Europe puisqu'elle s'exporte dans le monde entier. Il faut donc aborder cette question avec réalisme, malgré son importance en termes d'environnement. En revanche, même en admettant la nécessité d'avancer avec prudence, on ne peut accepter que la législation européenne finisse par être contre-productive, en aboutissant paradoxalement à gêner proportionnellement plus les constructeurs de voitures moins polluantes que les constructeurs spécialisés dans le haut de gamme. Il faut inciter la Commission à chercher un équilibre raisonnable.

En attendant un examen plus au fond, je vous propose donc d'adopter le projet d'observations ci-après :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des normes de performance en matière d'émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l'approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO2 des véhicules légers (COM (2007) 856 final) ;

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La délégation pour l'Union européenne du Sénat :

considère que ce texte respecte le principe de subsidiarité ;

souligne que le mécanisme de bonus/malus instauré en France à la suite du « Grenelle de l'Environnement » ne constitue pas une « fragmentation » du marché intérieur ;

estime que, en l'état, la proposition ne respecte pas le principe de proportionnalité dans la mesure où l'objectif poursuivi pourrait être atteint d'une manière plus efficace, plus simple, moins lourde à gérer et moins dérogatoire au principe d'égalité en adoptant un mécanisme de type « bonus/malus ».

Le projet d'observations est adopté.

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Nous en avons à présent terminé avec l'examen des textes que la Commission européenne nous a transmis. Mais nous devons maintenant prendre connaissance des réponses que la Commission nous a fait parvenir à la suite de nos observations antérieures.

En ce qui concerne le Livre vert sur le futur régime européen d'asile, la Commission nous donne l'assurance que, dans ses propositions définitives, elle fera droit à nos remarques sur les trois points que nous avions soulevés :

- les programmes de formation ;

- le rôle du bureau d'appui européen ;

- le rôle des équipes d'experts.

Nous aurons à vérifier, le moment venu, si cette annonce est bien suivie d'effet.

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En ce qui concerne maintenant le Livre vert sur la mobilité urbaine, la Commission souligne qu'il ne s'agit que d'un document de consultation qui a pour objet de lancer un débat public. Elle retient également l'idée de mettre l'accent sur l'échange de bonnes pratiques.

On pourra observer que le Parlement suédois a adopté une position très voisine de celle du Sénat, considérant que la Commission devrait se limiter dans ce domaine à favoriser les coopérations et les échanges de bons procédés entre collectivités locales.

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En ce qui concerne maintenant la proposition de directive sur les infrastructures routières, le dialogue est ancien puisque nous sommes au quatrième échange de lettres. La Commission assure que le texte a été « substantiellement revu et clarifié » et que « la plupart des exigences bureaucratiques ont disparu » depuis la proposition initiale.

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Enfin, en ce qui concerne le texte sur la protection des piétons, nous avions proposé une modification d'intitulé, car le texte portait moins sur la protection des piétons - sujet sur lequel on pouvait émettre des observations quant à la compétence de l'Union - que sur les aménagements des véhicules (pare-chocs), sujet qui ne posait pas de problèmes de compétence. Dans sa réponse, la Commission indique que, au cours de la procédure de codécision, il pourrait être tenu compte de la proposition du Sénat « si elle recevait un soutien suffisant ».

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Dans l'ensemble, ces différentes réponses sont plutôt encourageantes et je vous propose donc de ne pas aller plus loin dans le dialogue sur ces textes.

Il est pris acte des réponses de la Commission.

L'ensemble des éléments d'analyse envoyés à la Commission européenne et des réponses que celle-ci nous a adressées est disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/subsidiarite.html