L’incompétence du conseil de guerre


Laurent GOUVION-SAINT-CYR (1764-1830). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 679 Ko)Le 14 août 1815, la question est tranchée. Le maréchal de Gouvion-Saint-Cyr, ministre de la guerre décide de traduire le maréchal Ney devant un conseil de guerre, qu’il pense moins défavorable au maréchal que la majorité royaliste de la Chambre des pairs. La constitution du conseil est difficile. Le maréchal Moncey refuse de le présider, ce qui lui vaut trois mois de prison. Dans une lettre adressée au roi, il écrit : « Placé dans la cruelle alternative de désobéir à Votre Majesté ou de manquer  à ma conscience je dois m’expliquer. […] Sont-ce les alliés qui exigent que la France immole ses concitoyens les plus illustres ? […] Qui, moi ? j’irais prononcer sur le sort du maréchal Ney ? Mais, sire, permettez-moi de demander à Votre Majesté où étaient les accusateurs tandis que Ney parcourait les champs de bataille ? Ah ! si la Russie, les alliés ne peuvent pardonner au prince de la Moskowa, la Bon-Adrien Jeannot de MONCEY (1754-1842). Portrait extrait de L'iconographie de contemporains et fac-similé d'écritures, par F. S. Delpech (1832). (JPG - 1.12 Mo)France, elle, peut-elle donc oublier le héros de la Bérésina ? […] »

Le conseil est finalement présidé par le maréchal Jourdan et composé de trois autres maréchaux (Masséna, Augereau et Mortier) qui ont servi l’Empereur à son retour de l’île d’Elbe, et de trois généraux plutôt favorables à l’Empire (Claparède, Villate et Gazan). Un commissaire du pouvoir exécutif est également présent, y compris au délibéré.

En ce qui concerne le choix des avocats, M. Gamot, beau-frère du maréchal, demande à Nicolas-François Bellart (PDF - 76 Ko), alors avocat, de défendre Ney, ce qu’il refuse, indigné par la défection de Ney. Il a défendu Moreau sous le Consulat, et est l’auteur de l’adresse du 1er avril 1815, réquisitoire contre Napoléon, ce qui lui vaut ensuite les faveurs du roi Louis XVIII qui le nomme procureur général près la Cour d’appel de Paris. Il aurait cependant conseillé à Ney de paraître devant le conseil de guerre, car composé de militaires qui auraient été mieux à même de comprendre ses agissements et leur contexte, les difficultés réelles rencontrées dans l’exécution de sa mission.

André-Jean-Jacques DUPIN (1783-1865). Portrait extrait du Panthéon des illustrations françaises au XIXème siècle, par Victor Frond (1869). (JPG - 1.38 Mo)Pierre-Antoine BERRYER (1790-1868). Portrait extrait du Panthéon des illustrations françaises au XIXème siècle, par Victor Frond (1869). (JPG - 1.65 Mo)Les avocats finalement retenus sont Pierre-Nicolas Berryer (dit Berryer père) (PDF - 81 Ko), assisté de son fils Pierre-Antoine et André-Jean-Jacques Dupin (PDF - 82 Ko) (dit Dupin aîné). Le premier, choisi pour sa réputation et ses opinions monarchistes, censé plaire au roi Louis XVIII, se charge des plaidoiries et le second effectue les recherches et rédactions. Ils font le choix de suivre le maréchal Ney dans sa volonté de décliner la compétence du conseil de guerre, ce en quoi ils ont peut-être manqué d’objectivité et d’opiniâtreté face à la personnalité du maréchal.

Les séances se déroulent dans la salle d’assises du palais de justice les 9 et 10 novembre 1815, en présence d’un public assez nombreux, dont le prince de Metternich, le prince Auguste de Prusse, des officiers étrangers, des monarchistes… y compris des dames de la cour.

La première séance, hors la présence de l’accusé, est consacrée à la lecture de pièces. Durant la seconde séance, le maréchal lit la déclaration par laquelle il décline la compétence du conseil de guerre. Les mémoires des avocats vont dans le même sens, invoquant son titre de pair de France depuis sa nomination le 4 juin 1814 et demandant le renvoi devant la Chambre des pairs.

Certains s’étonnent qu’il n’ait pas été invoqué  l’article 12 de la convention de Saint-Cloud du 3 juillet 1815, qui garantissait la sécurité des personnes, quels qu’aient été leurs agissements, prises de position passés, une sorte d’amnistie, négociée au moment de la capitulation de Paris. Le départ précipité de Ney début juillet 1815, avec différents sauf-conduits, pourrait prouver qu’il ne se sentait pas protégé par cette convention.

Après délibération, les juges se déclarent incompétents à la majorité de cinq voix contre deux (Villate et Claparède). Le débat reste ouvert sur le fait de savoir si cette stratégie du maréchal et de sa défense  a été une erreur ou pas. Certains tendent à penser que ses anciens frères d’armes étaient plus aptes à  comprendre le contexte de sa défection et de se souvenir de ses exploits, de sa bravoure sur les champs de bataille.

Le général Claparède  aurait dit au comte de Rochechouart : « Je puis vous affirmer que la majorité du conseil est pour l’acquittement ; les avocats du maréchal sont des fous ou des imbéciles d’avoir soulevé cette question d’incompétence à laquelle personne ne songeait. »

Pourtant, trois mois plus tôt, un conseil de guerre condamnait à mort le général de La Bédoyère.

De son côté, le maréchal Ney s’est réjoui de ce jugement : « Ah ! Monsieur Berryer, […], quel service vous m’avez rendu ! […] Ces bougres-là, voyez-vous ! Ils m’auraient tué comme un lapin ! »

La sentence du conseil suscite la colère du côté des ennemis du maréchal. Elle est incomprise et considérée comme une trahison. Le temps est à la vengeance, le climat passionné et déchaîné.

Accès à l'article du Moniteur universel du 10 novembre 1815 (PDF - 1.68 Mo)


Accès à l'article du Moniteur universel du 11 novembre 1815 (PDF - 5.66 Mo)