Résolution

L'Assemblée parlementaire de la Francophonie, réunie à Berne du 7 au 9 juillet 2002, sur proposition de la commission des affaires parlementaires,

CONSTATANT que le phénomène de l'abstention électorale touche la majorité des pays francophones et prend des proportions inquiétantes pour la démocratie,

CONSIDERANT que les causes de ce phénomène sont multiples et varient selon les pays : crise de légitimité des partis politiques et des institutions, comportements individualistes ou collectifs, lassitude des électeurs ou obstacles matériels, etc.,

CONSIDERANT toutefois que l'abstention électorale ne revêt pas la même signification dans les démocraties représentatives pluralistes et dans les pays en voie de démocratisation, puisqu'elle est le symptôme d'une perte d'intérêt et de confiance pour le politique dans le premier cas, et reflète souvent un comportement collectif de boycott, ou une manifestation d'impuissance dans le second cas,

RAPPELANT que les droits du citoyen, et en particulier le droit de vote, sont assortis de devoirs civiques,

SUGGÈRE aux pays francophones d'envisager les différents types de mesures suivants pour remédier à ce phénomène :

- éducation des jeunes à la citoyenneté, campagnes de sensibilisation au vote adressées à tous les citoyens,

- facilitation du vote (vote par correspondance, vote par anticipation, vote par procuration, voire vote électronique, bureaux de vote itinérants, et par exemple fixation du scrutin un jour ouvré et décharge horaire pour voter),

- modernisation de la vie politique (par exemple limitation du nombre de mandats dans le temps et du cumul des mandats).

Rapport préparé par M. Jean Dufour et présenté par Mme Annie David, relatif aux industries pharmaceutiques face à la problématique de l'accès des pays en voie de développement aux médicaments essentiels
pour le traitement des maladies endémiques

Le procès intenté en mars 2001 par une quarantaine de compagnies pharmaceutiques contre le Gouvernement d'Afrique du Sud, qui cherchait à favoriser la production de médicaments génériques contre le sida, a provoqué une brutale prise de conscience sur les difficultés d'accès des pays en développement aux traitements contre les grandes pandémies dont ils sont les premières victimes.

Cette prise de conscience apparaît bien tardive. Avec plus de 28 millions de personnes contaminées, l'Afrique est en effet de très loin le continent le plus touché par le sida. Le traumatisme dépasse la simple crise sanitaire : il affecte toute l'organisation de la société et entrave les perspectives de développement. Le paludisme continue à faire des ravages dans la zone tropicale, tandis que diverses maladies infectieuses y sont en recrudescence.

Le sursaut moral provoqué par le procès de Pretoria a eu des conséquences significatives, et plusieurs initiatives ont été prises par la communauté internationale, avec la participation de l'industrie pharmaceutique désormais convaincue de la nécessité de fournir aux pays pauvres des médicaments à des prix abordables.

Il reste toutefois beaucoup de questions à résoudre et d'obstacles à lever pour que cette mobilisation débouche sur des résultats concrets.

D'autant que dans le cadre d'une mondialisation construite sur le libre marché, il convient de souligner que si l'Amérique du Nord, l'Europe occidentale et le Japon représentent 15 % de la population, ils constituent 74 % du marché mondial, le marché américain étant le plus vaste avec 40 %.

I - Les grandes pandémies et leurs conséquences dans les pays en développement

1/ L e sida

L'Afrique, avec 70 % des malades dans le monde, est de loin le continent qui paie le plus lourd tribut au sida. En Afrique subsaharienne, 28 millions de personnes vivent avec le virus. La seule année 2001 a enregistré 3,4 millions de nouvelles contaminations et 2,3 millions de victimes. La prévalence moyenne y est estimée à 10 % de la population, les records étant enregistrés en Afrique australe où quatre pays (Botswana, Malawi, Mozambique et Swaziland) ont vu leur espérance de vie tomber sous la barre des 40 ans, contre 47 à l'échelle du continent.

Les fragiles systèmes de santé africains se révèlent incapables de faire face à un tel désastre. Sans trithérapie, le traitement du sida représente 30 dollars par personne et par an uniquement en soins des maladies opportunistes. En moyenne, 30 % des lits d'hôpitaux sont occupés par des malades du sida en Afrique. Cette situation a pour conséquence une réduction considérable de la qualité des soins pour les autres pathologies, et elle exerce une pression insupportable sur un personnel de santé débordé, et lui-même très touché par le virus.

L'impact social de l'épidémie est considérable : explosion du nombre d'enfants orphelins, augmentation de la pauvreté, menaces sur la sécurité alimentaire et sur la cohésion sociale, etc. En raison du nombre d'enseignants touchés par la maladie, le taux de scolarisation baisse (il a chuté de 25 % en 10 ans en République centrafricaine, faute de personnel), ce qui hypothèque l'avenir de toute une génération.

Sur le plan économique, les experts estiment que l'épidémie coûtera entre 1 et 2 % de croissance par an sur le continent dans les prochaines années, la catégorie de population la plus affectée étant celle des jeunes actifs.

Or pour des raisons liées à leur coût, et aussi parce que les programmes mis en place par la communauté internationale ont longtemps privilégié la prévention par rapport aux traitements de la maladie, les médicaments antirétroviraux (ARV), qui permettent de réduire fortement la mortalité, demeurent largement inaccessibles aux victimes du sida dans les pays en développement.

2/ Le paludisme

Le paludisme est de loin la plus importante des maladies parasitaires tropicales dans le monde et il fait plus de victimes que toutes les autres maladies transmissibles, à l'exception du sida. Dans de nombreux pays en développement, notamment en Afrique, le paludisme coûte très cher en vies humaines, en frais médicaux et en journées de travail perdues.

Ainsi, la mortalité due au paludisme est évaluée à un million de morts par an, une grande majorité de ces décès survenant chez les jeunes enfants en Afrique. Dans ce continent, le coût économique de la maladie varie selon les pays entre un et cinq pour cent de leur PIB.

Dans le même temps la lutte contre le paludisme devient de plus en plus difficile et les acquis s'érodent peu à peu.

D'une part, en terme de prévalence, la maladie ne cesse de se propager sous l'effet de plusieurs facteurs : projets agricoles et d'irrigation, déplacements de population, changements climatiques. Du fait du développement du tourisme international, des cas importés sont désormais fréquemment enregistrés dans les pays développés. Le paludisme réapparaît dans des zones où il avait été éradiqué, telles que les républiques d'Asie centrale ou la Corée. Il est aujourd'hui endémique dans 90 pays (dont 45 en Afrique, 21 en Amérique centrale et du Sud, 8 en Asie), et son incidence clinique est estimée à 500 millions de cas chaque année.

Par ailleurs, faute d'un vaccin dans un avenir prévisible et outre les mesures préventives (pulvérisation d'insecticides et utilisation de moustiquaires), les médicaments demeurent le principal moyen de lutte contre le paludisme. Toutefois, à mesure que le parasite développe des systèmes de pharmacorésistance, ces médicaments destinés à soigner l'infection et à en atténuer les symptômes perdent de leur efficacité.

Il est donc nécessaire, afin d'endiguer la maladie, que soient mis au point de nouvelles formules médicamenteuses à des prix accessibles aux communautés qui vivent dans les zones de forte transmission. Mais la mobilisation de la communauté internationale dans la lutte contre le paludisme, qui avait connu une accélération dans les années 90 sous l'égide de l'OMS, semble marquer le pas. Selon certains observateurs, l'urgence suscitée par la flambée de l'épidémie de sida aurait même eu pour effet indirect de reléguer le paludisme au second plan.

3/ Une forte recrudescence des maladies infectieuses

On assiste depuis plusieurs années à une forte recrudescence des maladies infectieuses, liée principalement à l'extension des zones de conflit et à la dégradation des systèmes de santé dans certaines parties du monde.

Les agents infectieux accompagnent en effet les mouvements de populations fuyant les zones de conflit. Des personnes infectées peuvent ainsi transporter avec elles des maladies dans des régions jusqu'alors épargnées ; à l'inverse, des personnes non immunisées peuvent être amenées à se réfugier dans une zone où une maladie est en forte expansion. La promiscuité et le manque d'hygiène dans les camps de réfugiés favorisent également la propagation d'infections.

Par ailleurs la dégradation des systèmes de santé due à l'effondrement de l'économie dans certains pays, ou à des situations de conflit, constitue un autre facteur qui facilite la résurgence où l'expansion de maladies infectieuses. Ce phénomène ne s'observe pas uniquement en Afrique sub-saharienne : dans les pays de l'ex-Union soviétique, et notamment la Russie, les restrictions budgétaires dans le domaine de la santé et la détérioration des services de santé primaire sont entre autres responsables de la réapparition de la diphtérie et, surtout, de la tuberculose.

La recrudescence de cette maladie dans le monde est un grave sujet de préoccupation. Selon l'OMS, chaque année apparaissent 8 millions de nouveaux cas tandis que 2 millions de décès sont imputables à cette affection, soit davantage qu'il y a un siècle.

La gravité de l'épidémie est majorée par l'émergence de souches de bacilles multirésistants et par l'association avec le VIH. La tuberculose est en effet la première maladie opportuniste et la première cause de décès parmi les personnes atteintes du sida.

L'inquiétude que suscite l'ampleur grandissante de l'épidémie de tuberculose a amené l'OMS à la qualifier de véritable « urgence mondiale » en 1993 et à instaurer, en 1995, un programme mondial de lutte, intitulé « Halte à la Tuberculose ».

Il - Les obstacles à l'accès des malades du tiers-monde aux médicaments

1/ Des marchés non lucratifs pour l'industrie pharmaceutique

Depuis trente ans la révolution de la biologie moléculaire a bouleversé le monde de la pharmacie, conduisant à des progrès considérables de la médecine. Dans cet environnement favorable, les maladies dites « tropicales » constituent toutefois une exception de taille. Spécifiques aux pays pauvres, elles ne bénéficient en effet que de très faibles progrès thérapeutiques, car les laboratoires, pour lesquelles elles ne représentent pas un marché lucratif, n'y consacrent que de très faibles investissements de recherche et de développement. En conséquence, les traitements contre ces affections datent souvent de plusieurs décennies.

Cette situation est aggravée par deux facteurs : celui d'une part des orientations de la recherche à partir du « solvable » privilégiant notamment les pathologies du système nerveux central, l'oncologie et les médicaments dits de confort, et d'autre part celui de la réorganisation du secteur pharmaceutique au travers de la concentration laissant des niches à des acteurs plus petits, et de la spécialisation dans les étapes successives, depuis la mise au point des molécules jusqu'à la production, en passant par le développement des médicaments et la dimension clinique. Deux facteurs étroitement articulés sur la rentabilité et le retour rapide sur investissement.

Ainsi, selon une étude réalisée en 2001 par Médecins sans frontières et l'École de Santé publique de Harvard, seuls 13 des nouveaux médicaments lancés dans le monde au cours des 25 dernières années concernaient des maladies « tropicales », sur un total de 1393. Plus grave encore pour l'avenir : il n'existe actuellement qu'une dizaine de programmes de recherche en cours au sein des grands laboratoires mondiaux pour l'ensemble de ces maladies « négligées ». En conséquence, aucun nouveau médicament ne devrait être mis sur le marché dans les cinq à dix ans à venir dans ce secteur.

Pourtant, compte tenu des moyens actuels de la recherche pharmaceutique, il serait tout à fait possible de trouver dans des délais raisonnables des molécules efficaces pour le traitement de ces maladies. Des découvertes théoriques ont même été faites récemment, par exemple pour la maladie du sommeil, mais elles ne sont pas exploitées parce que les laboratoires ne s'y intéressent pas. Le même sort risque d'être réservé au G 25, découvert en février dernier à l'université de Montpellier, qui pourrait se révéler efficace contre le paludisme.

Ce constat est d'autant plus dramatique que, globalement, les investissements en matière de recherche et de développement pharmaceutiques sont en explosion depuis quinze ans. Leur budget a été de 70 milliards de dollars en 2001, dont 30 milliards pour le secteur privé. L'industrie pharmaceutique est l'une des plus rentables, avec des retours sur investissements de l'ordre de 40 % pour les actionnaires des plus grosses compagnies américaines selon l'étude du magazine Fortune pour l'année 2000. C'est pourquoi depuis le début des années 90, la part du privé dans la recherche et le développement lié à la santé a dépassé celle du public aux États-Unis, passant de 5 à 30 milliards de dollars entre 1985 et 2000 (les investissements du public n'ont quant à eux progressé que de 5 à 15 milliards durant la même période).

En outre, et c'est là un facteur aggravant pour les maladies « tropicales », la tendance des dernières années est plutôt à une recherche publique de plus en plus centrée sur les maladies des pays riches - à l'instar du privé. Or l'engagement croissant des fondations caritatives (telles la fondation Bill Gates, qui a fait des dons importants pour la recherche contre la malaria, la maladie du sommeil et la leishmaniose), ne saurait compenser la responsabilité des pouvoirs publics. Plus que jamais, une mobilisation internationale associant tous les acteurs du secteur s'avère indispensable et urgente.

2/ Le maintien de prix élevés pour les médicaments par le système des brevets

Il ne faut pas perdre de vue l'intérêt des brevets qui bénéficient, en dernière analyse, à la collectivité toute entière. En effet, l'acquisition de la licence d'un brevet constitue un élément stratégique essentiel dans la décision que peut prendre une entreprise de développer et commercialiser un produit utile à la société. Propriétaire de la licence, l'entreprise peut engager les investissements nécessaires au développement du produit, car elle a un espoir raisonnable d'obtenir un juste retour sur ces investissements. Dans le cas contraire, il est probable qu'elle s'abstiendra.

Si le système des brevets apparaît donc comme globalement positif, car de nature à faciliter l'accès du plus grand nombre aux résultats de la recherche, il est certains domaines pour lesquels il constitue au contraire un obstacle à l'intérêt général des populations. Le cas du médicament en est l'un des exemples les plus frappants, puisqu'il permet le maintien par les grands laboratoires des pays du Nord de prix qui sont certes rémunérateurs pour eux, mais qui en raison des disparités de pouvoir d'achat s'avèrent totalement prohibitifs pour les malades des pays en développement.

3/ L'insuffisance des programmes sanitaires nationaux

En ce qui concerne l'exemple du sida, un programme baptisé « Access » a été initié conjointement, en juin 2000, par cinq agences des Nations unies (Onusida, Banque mondiale, Unicef, PNUD et OMS) en liaison avec cinq des principaux laboratoires pharmaceutiques mondiaux. En partenariat, ces institutions mettent des connaissances, des fonds et des médicaments à faible coût à la disposition des État s, il revient toutefois à ces derniers d'assurer les circuits de distribution, via des programmes nationaux de lutte contre le sida et des initiatives gouvernementales d'accès aux ARV.

Or, dans la plupart des pays francophones du Sud, ces programmes sont encore embryonnaires.

En Afrique de l'Ouest par exemple, plusieurs pays montrent désormais la voie. Le Sénégal est l'un des pays africains qui connaissent un taux de prévalence parmi les plus faibles du continent : 1,4 %. Dès 1986 ont été mises en oeuvre des politiques de sécurisation du sang et de prévention, en liaison avec les associations et les chefs religieux. Le programme national d'accès aux traitements antisida, créé en 1998, permet aujourd'hui à 400 personnes de bénéficier des ARV à prix réduit (5000 francs CFA par mois, à rapporter à un salaire mensuel moyen d'environ 37500 francs). Par ailleurs, deux campagnes particulièrement intéressantes sont actuellement menées à Dakar avec l'aide de l'Agence française de recherche sur le sida. Elles portent sur l'expérimentation de traitements simplifiés, avec une seule prise par jour. Cette nouvelle trithérapie, plus discrète, procure un avantage psychologique très important dans les pays en développement. Elle préserve en effet la confidentialité du traitement et limite les risques de stigmatisation et de discrimination particulièrement fréquents envers les femmes atteintes.

La Côte d'Ivoire, où la prévalence est beaucoup plus importante (plus de 1 million de malades pour une population de 15 millions), tente une expérience similaire et 1500 personnes y bénéficient aujourd'hui des ARV. De même le Burkina Faso s'est lancé dans la course aux trithérapies depuis un an. Un organisme officiel, la Cameg, se charge de l'importation des ARV achetés à bas prix aux laboratoires occidentaux dans le cadre du programme Access. Toutefois, les trithérapies sont proposées à des coût variant entre 50000 et 90000 francs CFA, ce qui reste largement au-dessus des capacités d'une population qui vit à 40 % sous le seuil de pauvreté. Actuellement, seules 450 personnes en bénéficient.

Ainsi ces expériences, qui ouvrent des pistes intéressantes, demeurent marginales. Le « changement d'échelle » réclamé par les participants à la Conférence internationale sur le Sida et les Maladies sexuellement transmissibles de Ouagadougou en décembre 2001, apparaît encore lointain, d'autant que la disponibilité et le prix des trithérapies ne constituent que l'un des aspects du problème.

En effet, dans la plupart des pays africains, les infrastructures sanitaires de base sont rudimentaires, voire inexistantes en dehors des grandes villes. De gros efforts doivent aussi être faits en matière de formation des personnels soignants, ainsi que pour la mise en place de réseaux de distribution des médicaments.

Enfin, et c'est un point également essentiel, ces pays disposent rarement des moyens matériels pour réaliser des analyses sur les médicaments importés, notamment dans le cadre des appels d'offres internationaux. Cette absence de contrôles ne leur permet pas de garantir un approvisionnement en médicaments de qualité.

III - De réelles avancées dans la période récente, mais qui laissent subsister des interrogations

1/ L'action tardive de la communauté internationale

S'agissant du sida, l'on ne peut que constater le peu de poids qu'ont pu avoir sur la progression de la pandémie l'OMS ainsi que les autres agences onusiennes chargées, plus ou moins directement, de la lutte contre un mal qui a provoqué, en une quinzaine d'années, tant de dégâts démographiques et économiques en Afrique subsaharienne. Même la création, en 1995, de l'Onusida, visant à contourner les pesanteurs bureaucratiques de l'OMS, n'aura pas permis de fournir de réponses adaptées ni, surtout, de mettre en oeuvre une stratégie globale et efficace.

Dans ce contexte, la session extraordinaire que l'ONU a consacrée au sida en juillet 2001, initiative dans laquelle le secrétaire général Kofi Annan s'est personnellement engagé, apparaît comme une étape d'importance majeure, dans la mesure où elle marque l'émergence de la question du sida sur l'agenda politique international.

Au delà des multiples controverses qu'elle a suscitées, l'aspect marquant de cette session - la création d'un « Fonds mondial sida et santé » -constitue un indéniable succès. Cette initiative consiste à recueillir d'importantes ressources financières (entre 7 et 10 milliards de dollars par an) pour organiser et soutenir la lutte contre le sida mais aussi contre la tuberculose et le paludisme, les trois maladies les plus meurtrières à l'échelon planétaire.

Toutefois, le Fonds n'est actuellement abondé qu'à hauteur de 1,3 milliards de dollars. Les États-Unis, dont la contribution est particulièrement attendue, ont indiqué que leur future participation serait liée à l'efficacité de l'initiative. Or celle-ci suscite de multiples interrogations.

Les promesses de financement seront-elles finalement affectées en totalité au Fonds ? De quelle façon sera organisée l'interface entre les agences de l'ONU, les autorités gouvernementales et les ONG ? Comment seront hiérarchisées les actions entre les trois pathologies concernées ? Faut-il, dans les pays du tiers-monde les plus touchés par la pandémie de sida, privilégier la prévention ou le traitement (à l'inverse de la France, les pays anglo-saxons sont très réservés sur le deuxième aspect) ?

Toutes ces questions, non résolues à ce jour, laissent encore planer un doute sur la crédibilité du programme.

2/ Des dérogations au dispositif de protection de la propriété intellectuelle

Avant d'être désormais autorisée, la production de médicaments génériques par des pays du tiers monde a fait l'objet de tentatives qui se sont heurtées à une forte opposition des laboratoires pharmaceutiques des pays du Nord.

Le procès de Pretoria en est l'exemple le plus connu. Son impact sur l'opinion publique internationale, par le biais des médias, a finalement contraint en avril 2001 les laboratoires à retirer leur action en justice contre le Gouvernement sud-africain.

Une deuxième étape symbolique a été franchie en juin 2001, lorsque les États-Unis ont retiré leur plainte devant l'Organisation mondiale du Commerce contre le Brésil. Ce pays avait en effet voté une loi en 1997, autorisant les laboratoires pharmaceutiques brésiliens à fabriquer des médicaments génériques si les brevets de médicaments étrangers n'étaient pas exploités sur le territoire national dans les trois ans. Aujourd'hui, le Brésil produit sept des douze médicaments existants contre le sida.

Ainsi le Brésil, en développant son programme public de génériques, de même que l'Inde et la Thaïlande, avec leurs industries privées, ont pesé de manière décisive dans la baisse spectaculaire des prix des médicaments anti-sida, qui a atteint 90 % en moyenne au cours des deux dernières années.

L'utilisation de dispositions (comme l'obtention de licences obligatoires) permettant de contourner les brevets existants est désormais entérinée par l'Accord sur le Commerce international relatif à la propriété intellectuelle (ADPIC), tel qu'il a été renforcé dans la déclaration sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique adoptée lors de la Conférence ministérielle de l'OMC, le 14 novembre 2001 à Doha. Il y est stipulé que le dit accord « n'empêche pas et ne devrait pas empêcher les membres de prendre des dispositions qui s'imposent pour préserver la santé publique » Il est également précisé que « chaque membre a le droit d'octroyer des licences obligatoires » dans « une situation d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence, étant entendu que les crises dans le domaine de la santé publique, y compris celles qui sont liées au VIH/Sida, à la tuberculose, au paludisme et à d'autres épidémies, peuvent représenter une situation d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence ».

Cette déclaration constitue une avancée déterminante. Elle donne une interprétation équilibrée de l'accord, sans le remettre en cause sur le fond. Il est donc maintenant possible pour les pays en développement de passer des marchés avec les fournisseurs les moins disants, qu'il s'agisse des firmes propriétaires de brevets ou des fabricants de médicaments génériques.

Il est toutefois une catégorie de pays qui risquent de ne pas pouvoir profiter de l'avancée obtenue à Doha : il s'agit de ceux, situés en majorité en

Afrique francophone, qui appartiennent à l'Organisation africaine de la Propriété intellectuelle (OAPI), et qui ont signé à ce titre l'Accord de Bangui de 1977.

En effet cet accord, tel qu'il a été révisé en 1999, engage les seize membres de l'OAPI très au-delà des strictes obligations découlant de l'Accord ADPIC de l'OMC, en les excluant pratiquement des deux principales marges de manoeuvre autorisées par la déclaration de Doha qui permettent de faire jouer la concurrence et donc de bénéficier de prix plus bas pour les médicaments :

- l'Accord de Bangui prévoit que les licences obligatoires ne peuvent être attribuées qu'à des opérateurs de la région OAPI, ce qui en rend l'usage improbable compte tenu du faible potentiel industriel de la zone concernée ;

- les importations parallèles sont également limitées à la région OAPI, ce qui en réduit aussi considérablement la portée.

Or l'Accord de Bangui révisé a d'ores et déjà obtenu un nombre suffisant de ratifications pour entrer en vigueur dès que le conseil d'administration de l'OAPI en aura pris la décision.

Les conséquences pourraient en être dommageables pour le secteur de la santé, tant il apparaît que le fait d'adopter l'ensemble des mesures de sauvegarde prévues par la déclaration de Doha constituerait le moyen pour les État s africains d'importer des génériques à bas coût, tels les antirétroviraux produits au Brésil ou en Inde.

Recommandations

ENCOURAGER LA RECHERCHE SUR LES MALADIES « NÉGLIGÉES »

Le « marché » des maladies négligées (c'est-à-dire essentiellement les maladies tropicales) ne permettant pas aux opérateurs d'espérer des retours sur investissement suffisants, il convient de mettre en place un dispositif visant à encourager la recherche dans ce domaine.

Sur le plan juridique, ce dispositif pourrait largement s'inspirer du règlement européen de 1999 sur les médicaments orphelins (il s'agit des médicaments qui traitent les maladies dites rares -c'est le cas de plusieurs maladies génétiques, telles par exemple la maladie de Crohn), pour lesquels l'étroitesse du marché constitue également un frein aux efforts de recherche.

En effet ce règlement européen vise à inciter les firmes pharmaceutiques à investir dans la recherche, le développement et la mise sur le marché de médicaments pour le traitement des pathologies concernées.

Ces incitations portent notamment sur un accès simplifié à la procédure centralisée avec exemption partielle ou totale des redevances, une assistance à l'élaboration des protocoles, une exclusivité commerciale de dix ans ainsi que d'autres incitations au niveau national.

L'accès à ce dispositif passe par une procédure de désignation qui permet l'attribution du statut de médicament orphelin basé sur la vérification d'un critère épidémiologique (prévalence inférieure à 5 pour 10 000 personnes dans l'Union européenne) ou économique (absence de rentabilité).

Afin d'éviter les délais d'adoption de nouvelles réglementations par la commission européenne, une solution simple et rapide serait de proposer un amendement à ce règlement afin d'en étendre la portée aux maladies négligées qui concernent en premier lieu les pays en développement.

RÉEXAMINER L'ACCORD DE BANGUI

Il pourrait être utile, pour les seize pays concernés, de réexaminer l'Accord de Bangui tel qu'il a été révisé en 1999, et notamment son Annexe I, à la lumière des conséquences que sa mise en application pourrait avoir sur l'accès aux médicaments génériques dans la zone OAPI.

Les parlementaires de l'APF pourraient attirer l'attention des Gouvernements sur cette question qui soulève des inquiétudes, notamment de la part des ministres de la santé des pays de la zone, ainsi que de la société civile : en février dernier, une centaine d'organisations non gouvernementales burkinabé se sont mobilisées pour « obtenir un report de la mise en application des accords révisés de Bangui ».

RENFORCER LES SYSTÈMES DE SANTÉ ET PROMOUVOIR DES PROGRAMMES DE LUTTE MULTISECTORIELS

Pour essentielle qu'elle soit, l'offre de médicaments à des prix abordables ne constitue pas une fin en soi. Pour être en mesure d'offrir soins et traitements aux victimes des grandes pandémies, les pays francophones du Sud ont besoin de systèmes de santé publique beaucoup plus performants que ceux dont ils disposent actuellement, notamment en Afrique.

Lors du Sommet de l'OUA sur le sida, la tuberculose et les maladies infectieuses qui s'est tenu à Abuja en avril 2001, les participants s'étaient engagés à consacrer au moins 15 % au moins de leur budget annuel à l'amélioration du secteur de la santé. Il apparaît de plus en plus nécessaire que cet objectif puisse être respecté, avec l'aide des bailleurs de fonds internationaux, et il est de la responsabilité des parlementaires de s'y montrer vigilants.

Le renforcement des programmes nationaux de lutte contre les pandémies devrait par ailleurs constituer une priorité absolue. Il est souhaitable que ces programmes deviennent véritablement multisectoriels, en intégrant la prévention, les traitements et l'accès aux médicaments, les soins, mais aussi des stratégies d'atténuation des effets de ces pandémies dans la planification du développement, sur les plans économiques et sociaux, notamment dans la lutte contre la pauvreté.

EXERCER UN CONTRÔLE SUR LA QUALITÉ DES MÉDICAMENTS

La mise à disposition de médicaments de qualité passe en particulier par la possibilité matérielle, pour les autorités de santé concernées, de faire procéder à une analyse des produits pharmaceutiques délivrés dans le cadre d'appels d'offres. Malheureusement, beaucoup de pays en développement, pour des raisons d'absence d'infrastructures ou de limitations financières, ne disposent pas des moyens de réaliser ce type d'analyse. Les autorités les limitent souvent aux échantillons fournis à l'occasion de l'appel d'offres.

Les pays du Nord pourraient proposer une action de coopération qui consisterait à faire pratiquer les contrôles nécessaires tant au moment de l'appel d'offres que lors de la réception des lots de médicaments.

Concernant la France en particulier, compte tenu des liaisons aériennes régulières entre la plupart des pays francophones et Paris, il serait envisageable que des conventions puissent être passées entre l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et les institutions des pays intéressés dans le domaine de la santé.

Cette proposition permettrait d'assurer la mise à disposition de médicaments de qualité dans le cadre des appels d'offres du circuit public de l'approvisionnement de ces pays.

Les dispositions de l'Annexe I de l'Accord de Bangui révisé, relative aux « brevets d'invention », qui sont susceptibles de limiter l'accès des pays de la zone OAPI aux médicaments à bas coût sont les suivantes :

- l'article 2.2 prévoyant la protection par brevet des utilisations d'un produit ou d'un procédé, non imposée par l'Accord ADPIC de l'OMC ;

- l'article 9 qui étend la durée de protection des brevets à 20 ans, alors que onze des pays membres de l'OAPI font partie de la catégorie des « pays les moins avancés » et ne sont donc pas liés par cette obligation avant 2016 ;

- l'article 8(a) n'autorisant les importations parallèles qu'entre les pays membres de l'OAPI tandis que la Déclaration de Doha a affirmé le droit de chaque pays à autoriser ces importations parallèles d'une manière générale ;

- l'article 48.3(b) prévoyant que les licences obligatoires (rebaptisées « licences non volontaires ») doivent être exploitées localement ;

- l'article 56.3 qui aligne les licences d'office sur le régime des licences obligatoires, rendant ainsi impossibles les importations.

Résolution

L'Assemblée parlementaire de la Francophonie, réunie à Berne du 7 au 9 juillet 2002, sur proposition de la commission de la coopération et du développement :

Gravement PREOCCUPÉE par l'extension de l'épidémie de sida dans les pays en développement, et par la persistance ou la recrudescence de maladies infectieuses et parasitaires,

CONSCIENTE des conséquences sociales dramatiques de ces pandémies, ainsi que de l'entrave aux perspectives de développement qu'elles constituent dans les pays les plus affectés,

DEPLORANT que les laboratoires pharmaceutiques, tant privés que publics, investissent généralement très peu dans la recherche et la mise au point de nouveaux médicaments contre les maladies tropicales,

CONVAINCUE de l'absolue nécessité d'une mobilisation de la communauté internationale en vue de permettre l'approvisionnement des pays en développement en produits pharmaceutiques de qualité, et à des coûts abordables, ainsi que le maintien et le développement des services de santé accessibles à l'ensemble des populations,

APPELLE les organisations internationales, et notamment l'Union européenne, à instituer un dispositif juridique visant à encourager la recherche dans le domaine des médicaments contre les maladies tropicales, sur le modèle du règlement européen de 1999 relatif aux « médicaments orphelins »,

ENCOURAGE les pays francophones en développement à explorer les avancées obtenues lors de la Conférence ministérielle de l'OMC du 14 novembre 2001 à Doha, qui sont susceptibles de leur permettre de se procurer et de produire des médicaments génériques à bas prix, notamment les trithérapies contre le sida,

INVITE les autorités des pays membres de l'Organisation africaine de la Propriété intellectuelle (OAPI) à procéder, avant son entrée en vigueur, à un examen approfondi des dispositions de l'Accord de Bangui révisé en 1999 qui pourraient empêcher ces pays de profiter des opportunités obtenues à Doha et les encouragent à les réviser en conséquence,

RAPPELLE aux pays membres de l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A.) la nécessité de tenir l'engagement qu'ils ont pris lors du Sommet d'Abuja en avril 2001, de consacrer au moins 15 % de leur budget annuel à l'amélioration du secteur de la santé, ainsi que de renforcer leurs programmes nationaux de lutte contre les grandes pandémies dans une perspective multisectorielle qui intègre la prévention, les traitements et l'accès aux médicaments, les soins, mais aussi des stratégies d'atténuation des effets de ces pandémies dans la planification du développement, sur les plans économique et social, notamment dans le cadre de la lutte contre la pauvreté,

INVITE les Gouvernements des pays du Nord à mettre en place des actions de coopération spécifiques afin d'assurer la mise à disposition de médicaments de qualité dans les pays en développement, en proposant leur expertise pour que soient pratiqués les contrôles nécessaires tant à l'occasion des appels d'offres que de la réception des lots de médicaments. Chaque pays devra aussi s'assurer que l'accès à ces médicaments soit possible à l'ensemble des malades sans discrimination.

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