XVème Assemblée régionale Europe Bruxelles, 18 - 19 novembre 2002

Rapport présenté par M. Jérôme Bignon relatif à l'élargissement de l'Union européenne dans sa relation avec la Francophonie : l'avenir de la langue française dans les institutions européennes

A la différence de ce que l'on observe dans de nombreuses organisations internationales, notamment aux Nations Unies, où l'anglais est massivement employé, le français tient une place privilégiée dans les institutions communautaires européennes. Cette situation s'explique par plusieurs facteurs. A la création de la Communauté, l'implantation des institutions en terre francophone, le fait que le français était la seule des quatre langues officielles ayant un rayonnement international, l'implication très forte de la France comme pays fondateur, ont contribué à l'emploi du français comme langue principale, voire exclusive dans certaines instances (Cour de justice, salle de presse).

Si le français constitue toujours une langue de travail et de communication courante au sein de la commission et du Conseil, sa situation appelle une grande vigilance, car son usage connaît un lent déclin depuis l'arrivée de l'anglais comme langue officielle avec l'adhésion du Royaume-Uni et de l'Irlande. Ce retrait progressif s'est accéléré à l'occasion des derniers élargissements, et il s'avère particulièrement marqué dans certains secteurs.

Dans ce contexte, la perspective, désormais très proche, de l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale ne comporte pas seulement un risque quant à l'usage du français : c'est également un défi majeur pour le principe même du plurilinguisme européen.

Pourtant, la prise de conscience imposée par l'enjeu demeure insuffisante, et le règlement de la question du régime linguistique apparaît encore trop secondaire aux Gouvernements confrontés aux efforts, certes considérables, qu'ils ont à mener afin d'assurer l'intégration des futurs membres dans l'ensemble européen.

1/ Le plurilinguisme dans l'Union européenne

a) Le principe

Le plurilinguisme constitue un principe fondamental de l'Union européenne, qu'il s'agisse des langues officielles et de travail, de la promotion de l'apprentissage des langues dans les systèmes éducatifs des État s membres, ou de la prise en compte de la protection des consommateurs.

La nécessité pour l'Union européenne de maintenir, de défendre et même de valoriser la diversité linguistique est liée au fait qu'une volonté affirmée d'unité politique ne peut, à elle seule, maintenir ensemble des populations hétérogènes. C'est donc le respect de la diversité, et non la recherche d'une improbable uniformisation, qui peut favoriser le rapprochement et l'entente entre les peuples.

Plus qu'un simple impératif juridique, le respect du plurilinguisme dans l'Union apparaît ainsi comme le reflet, dans le domaine linguistique et donc culturel, d'une certaine conception politique de l'Europe.

Par ailleurs, le respect de la diversité linguistique s'avère d'autant plus crucial que les institutions européennes font face depuis quelques années à une montée de critiques sur son caractère trop bureaucratique, les contraignant à se réformer dans le sens d'une meilleure transparence et d'une plus grande proximité des citoyens.

b) Les textes

Le régime linguistique de l'Union européenne fait l'objet d'un texte, le règlement n°1 du 15 avril 1958, dont l'article premier, complété à l'occasion de chaque élargissement, pose le principe d'égalité des langues officielles et de travail. Il stipule que « les langues officielles et les langues de travail des institutions de l'Union sont l'allemand, l'anglais, le danois, l'espagnol, le finnois, le français, le grec, l'italien, le néerlandais, le portugais et le suédois ». Selon le même règlement, les textes adressés aux institutions par un État membre sont rédigés dans l'une des onze langues officielles au choix, et la réponse est rédigée dans la même langue. De même, les règlements et autres textes de portée générale, ainsi que le Journal officiel des Communautés européennes, sont rédigés dans l'ensemble des onze langues.

L'article 8D du traité d'Amsterdam a élargi ce principe, en prévoyant que tout citoyen de l'Union peut correspondre avec les institutions dans l'une des douze langues du traité (les onze langues officielles ainsi que le gaélique).

Les règlements intérieurs des différentes institutions communautaires reprennent le principe du multilinguisme, soit de manière intégrale (c'est le cas du Parlement), soit en y apportant des adaptations. C'est ainsi que le français tient, de fait, une place privilégiée dans certaines instances de l'Union.

Il est, notamment, l'une des trois langues de travail effectives de la commission, puisque le manuel des procédures opérationnelles de cette institution prévoit que « les documents soumis à l'approbation de la commission en séance (...) doivent être disponibles au moins dans les langues nécessaires aux besoins des membres de la commission (français, anglais, allemand) ». Le français est également, selon une pratique établie historiquement, l'une des trois langues de travail du Comité des Représentants Permanents (COREPER).

La Cour de justice des Communautés européennes applique quant à elle un régime linguistique particulier, qui confère une place privilégiée à la langue française. Celle-ci y est en effet l'unique langue de délibération. Pour la procédure en revanche, il est possible de choisir l'une des langues officielles ou le gaélique. La jurisprudence est publiée dans toutes les langues officielles.

2/ Un état des lieux du français dans les institutions européennes

Si la situation du français demeure satisfaisante au Parlement et à la Cour de justice, en raison du régime linguistique spécifique de ces deux institutions, elle s'avère de plus en plus préoccupante à la commission ainsi qu'au Conseil.

L'un des indicateurs des usages linguistiques dans la pratique des institutions communautaires, significatif et quantifiable, est celui de la langue utilisée pour la première rédaction des textes produits, avant toute traduction éventuelle. Or à la commission comme au Conseil, le recul du français comme langue de rédaction primaire, amorcé depuis 1993, se poursuit depuis lors malgré les deux exceptions observées en 1995 et 2000 sous les présidences françaises.

A la commission, la part de l'anglais en tant que langue d'origine des documents est passée de 44,7 % en 1997 à 57 % en 2001, et celle du français de 38,5 % à 30 % (la part de l'allemand demeure marginale autour de 5 %).

Au Conseil, l'évolution est encore plus défavorable puisque sur la même période, la part de l'anglais a progressé de 41 % à 57 %, et celle du français s'est effondrée de 42 % à 28 %.

L'élargissement aux pays d'Europe du Nord, mal préparé sur le plan linguistique, a eu un effet important sur ce recul, les Scandinaves marquant une nette préférence pour l'anglais. Il s'y ajoute que la maîtrise de cette langue se répand au détriment du français chez les jeunes générations de diplomates et fonctionnaires internationaux issues des pays latins.

Cette tendance de fond est parfois difficile à appréhender car dans la pratique l'utilisation des langues est très variable au sein d'une même institution et s'opère sous des facteurs multiples : nature du secteur, origine et connaissances linguistiques de l'encadrement, etc. Par exemple, à la commission, certaines directions sont majoritairement francophones (agriculture, pêche, politique régionale et de cohésion), d'autres plutôt anglophones (technologie, énergie, industrie, environnement et transports, développement et élargissement).

Durant les réunions officielles toutefois, les règles sont toujours respectées au niveau du Conseil (interprétation de et vers toutes les langues) et du COREPER (français, allemand, anglais).

3/ La question linguistique dans la préparation à l'élargissement

a) L'état de la francophonie dans les pays candidats

A l'exception de la Roumanie, qui ne fera toutefois pas partie de la première « vague » d'adhésions à l'Union européenne prévue en 2004, les pays candidats s'avèrent globalement peu francophones.

Dans la plupart d'entre eux, le français ne constitue en effet que la troisième langue étrangère enseignée, voire la quatrième en Pologne, pays candidat le plus peuplé, où, selon les dernières données disponibles (1998), seulement 5 % des élèves apprennent notre langue, très loin derrière l'anglais (35 %), l'allemand (23 %) et le russe (22 %). Même si la situation est un peu plus favorable en Hongrie (8 % des élèves), en Slovaquie (11 %) et en République tchèque (13 %), la domination de l'anglais, suivi de peu par l'allemand, est écrasante.

En l'absence d'une mobilisation efficace des francophones, l'entrée de ces pays dans l'Union européenne aurait ainsi comme effet naturel d'y accélérer la tendance, déjà observée, vers une suprématie absolue de l'anglais. Elle renforcerait également, dans une moindre mesure, la position de l'allemand comme langue de travail.

Dans ce contexte les pays candidats, soucieux de voir leur propre langue et leur culture trouver leur juste place dans l'Union, cherchent à diversifier leurs partenaires et marquent notamment un intérêt croissant pour la Francophonie. Cette attitude s'explique en premier lieu par le statut de langue de travail que détient notre langue au sein des institutions européennes et du rôle moteur joué par la France dans la construction de l'Europe. Mais il reflète aussi un soutien aux principes de diversité culturelle et de multilinguisme promus par la Francophonie, et qui apparaissent à des nations petites ou moyennes comme un moyen de sauvegarder leur identité face au processus de mondialisation en cours.

Ce sont ces motifs qui ont incité la majorité des pays candidats, y compris les moins traditionnellement francophones, à solliciter un statut de membre ou d'observateur au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie. Ils ont également, pour la plupart, mené dans la période récente des réformes de leurs systèmes éducatifs visant à diversifier leur offre en matière d'apprentissage de langues étrangères, qui ont largement profité au français. Ainsi, en République tchèque par exemple, le nombre de lycéens qui apprennent le français a triplé depuis 1990.

Ces dispositions favorables à la position de notre langue dans ces pays appellent à l'évidence un encouragement fort et un appui concret de la part des partenaires de la Francophonie.

b) Un monolinguisme de fait dans le cadre des négociations d'adhésion

Dans les faits, c'est l'ensemble des relations extérieures de l'Union qui sont marquées par un monolinguisme anglophone, qu'il s'agisse des relations bilatérales avec des pays ou groupes de pays tiers, ou avec d'autres organisations internationales.

S'agissant des négociations d'adhésion en cours, domaine clé pour l'avenir du plurilinguisme en Europe, on observe également un recours massif à l'anglais :

- les conférences intergouvernementales d'adhésion se déroulent exclusivement en anglais, y compris avec les représentants des pays membres ou observateurs de l'Organisation internationale de la Francophonie ;

- les pays candidats traduisent l'acquis communautaire à partir de l'anglais, qui est la seule version linguistique qui leur est transmise ;

- les documents relatifs au travail de rédaction des traités sont exclusivement disponibles en anglais ;

- au sein du groupe « élargissement », qui fonctionne selon le régime COREPER, la langue dominante est l'anglais, seules les représentants allemand et autrichien s'exprimant en allemand, et le représentant français en français.

En conséquence, la Roumanie et la Bulgarie, qui avaient initialement prévu de conduire les négociations en français, ont été contraintes de le faire en anglais.

De même le programme de coopération PHARE est presque intégralement mené en anglais et, à travers lui, les pays candidats perçoivent l'Union européenne comme une entité anglophone. Par ailleurs le recours exclusif à la langue anglaise pour la soumission et le suivi des appels d'offres dans le cadre de ces programmes n'est pas sans léser gravement les intérêts des entreprises et des organismes des pays membres non anglophones.

Enfin, dans le cadre de sa stratégie de pré-adhésion, la commission a lancé en 1997 un programme d'assistance multilingue, dénommé TAIEX, qui vise à doter chacun des pays candidats de ressources en interprètes et traducteurs en nombre suffisant, et spécifiquement formés pour faire face aux nouveaux besoins. Or, de façon surprenante, les documents présentant TAIEX sont rédigés uniquement dans les langues des pays candidats et en anglais, ce qui est d'autant plus paradoxal que ce programme est normalement ouvert pour former des spécialistes à l'ensemble des langues officielles de l'Union.

c) Le Parlement européen s'oriente vers un « multilinguisme maîtrisé »

Contrairement aux règlements internes du Conseil et de la commission permettant de déroger au multilinguisme intégral, celui du Parlement est incontournable quant à l'application du principe de la pleine égalité des langues, qui est considéré comme nécessaire au respect de la légitimité démocratique de l'institution. En effet, cette légitimité du Parlement européen découle de sa représentativité : il est élu par l'ensemble des citoyens de l'Union européenne et adopte la législation applicable dans tous les État s membres. D'autre part, il ne serait évidemment pas concevable que l'accès au statut de député européen, de même que l'exercice de cette fonction, puissent être liés à la possession d'aptitudes linguistiques particulières. Par conséquent, ce statut unique du Parlement européen ne lui permet pas, à l'instar d'autres assemblées internationales (telles celle du Conseil de l'Europe ou l'Assemblée de l'Atlantique Nord) de se contenter d'un régime linguistique restreint. Il apparaît de fait comme l'institution communautaire la plus concernée par l'utilisation des langues dans la perspective de l'élargissement.

Toutefois, il est très vite apparu que l'institution serait confrontée au difficile défi de concilier d'évidentes exigences budgétaires avec l'intouchable principe de l'égalité des langues. En effet le coût du multilinguisme au Parlement, avec 11 langues officielles, est estimé à 275 millions d'euros en 2002, tous frais confondus (interprétation, traduction, cours de langues, frais matériels et de fonctionnement), ce qui représente environ 30 % du budget global. Si, en 2004, l'institution fonctionne en 21 langues, sans correctif de gestion, le budget annuel de ce multilinguisme intégral devrait dépasser le milliard d'euros.

C'est pourquoi dès 1997, un groupe de travail sur « le multilinguisme dans la perspective de l'élargissement » avait été institué par le Bureau du Parlement. Son rapport final (ou « rapport Cot ») fut adopté en 1999. Il faisait des propositions pour une application rationnelle du multilinguisme et a fortement inspiré le rapport sur « la préparation du Parlement à l'Union européenne élargie » (« rapport Podesta »), adopté par le Bureau le 3 septembre 2001.

Ce rapport suggère une nouvelle forme d'organisation intitulée « multilinguisme maîtrisé » dont la principale disposition prévoit l'utilisation d'une ou deux langues pivot, ce qui signifie que la traduction et l'interprétation des 21 langues « sources » se ferait d'abord vers cette (ou ces) langue(s) puis, de là, vers les 19 autres langues.

S'agissant de l'interprétation, chaque allocution dans une langue source ne devrait donc plus être interprétée simultanément dans toutes les autres, ce qui nécessiterait un moins grand nombre d'interprètes. Il en irait de même pour la traduction. En outre, chaque traducteur ou interprète à la source devrait maîtriser une seconde langue active relativement courante : il serait en effet probablement difficile de recruter des effectifs suffisants capables d'interpréter ou de traduire du tchèque en grec, ou du polonais en portugais, par exemple.

Si ce schéma, par son pragmatisme, peut apparaître comme un bon compromis, la plus grande vigilance s'impose toutefois. Il serait en effet inacceptable de ne retenir qu'une seule langue pivot, pour laquelle le choix de l'anglais s'imposerait inévitablement, entraînant à terme l'instauration progressive d'un monolinguisme de fait.

La solution la plus souhaitable serait probablement que ces futures langues pivot correspondent aux trois langues de travail à la commission (allemand, anglais, français), qui sont aussi et par voie de conséquence les langues dans lesquelles sont déposés la plupart des documents de base au Parlement.

d) Le débat à la commission et au Conseil

Contrairement au Parlement, ni la commission ni le Conseil n'ont pris position sur les conséquences de l'élargissement dans le domaine linguistique.

Un débat, bien que non officiel, a lieu à Bruxelles autour de la maîtrise de la question linguistique, de nombreuses voix soulignant la difficulté pratique d'assumer les 420 combinaisons possibles entre les 21 idiomes de la future Europe élargie (contre 110 combinaisons pour 11 langues officielles aujourd'hui).

Afin que la question globale du plurilinguisme dans l'Union élargie puisse être tranchée sur le plan politique, il conviendrait sans doute qu'elle soit examinée et débattue avec plus de transparence, et dans un cadre approprié qui pourrait éventuellement être la Convention sur l'avenir de l'Europe.

Le Conseil européen de Séville, qui s'est tenu les 21 et 22 juin 2002, s'est quant à lui proposé d'» étudier la question de l'utilisation des langues dans la perspective d'une Union élargie et les moyens pratiques d'améliorer la situation actuelle sans remettre en cause les principes de base ». Un premier rapport devrait être présenté au Conseil de Copenhague en décembre 2002, mais il semble que la réflexion soit encore peu avancée. Il semblerait souhaitable qu'à l'occasion de cette réunion à haut niveau, qui entérinera la première phase de l'élargissement aux pays d'Europe de l'Est, les pays francophones prennent une initiative forte visant à formaliser un régime de trois ou quatre langues de travail, qui seraient également des langues pivot pour la traduction et l'interprétation.

4/ Les actions menées pour défendre la place du français, notamment dans la perspective de l'élargissement

a) Une vigilance constante des autorités concernées

Les autorités françaises concernées par la situation du français dans les institutions européennes (notamment la Représentation permanente française à Bruxelles et la Délégation générale à la langue française) exercent une vigilance constante quant au respect du régime linguistique. Des interventions officielles sont parfois nécessaires et permettent de remédier à certaines situations, comme en témoigne l'amélioration récente de la place du français sur les serveurs Internet de la commission.

b) Le plan d'action pluriannuel pour le français

Il est satisfaisant de constater que les tentatives d'inverser la tendance défavorable au français dans les institutions européennes, longtemps limitées à des actions ponctuelles bilatérales, s'inscrivent désormais aussi dans un cadre francophone multilatéral, ce qui en améliore considérablement la cohérence et en accroît les moyens.

Ainsi, le 11 janvier 2002 a été adopté un plan d'action pluriannuel pour le français, dans la perspective de l'élargissement. Associant la France, la Communauté française de Wallonie-Bruxelles, le Luxembourg et l'Agence intergouvernementale de la Francophonie, il s'agit d'un programme de formation en français de nombreux fonctionnaires, diplomates, interprètes et traducteurs des pays candidats à l'adhésion.

Parmi les actions les plus représentatives conduites en 2002 figurent notamment :

- deux stages régionaux, l'un à Vilnius, l'autre à Istanbul, pour les traducteurs francophones des pays candidats ;

- plusieurs stages organisés par le Centre européen de langue française (CELF), à Bruxelles, en particulier pour les fonctionnaires et pour les formateurs des filières d'interprétation des pays candidats ;

- la mise en place de bourses permettant d'assurer le perfectionnement des traducteurs francophones de la commission dans les langues des pays candidats ;

- des formations destinées à des personnels spécifiques, notamment des fonctionnaires des pays candidats chargés des questions agricoles ou des journalistes francophones desdits pays ;

- l'accueil de fonctionnaires de ces pays chez des personnels français travaillant à la commission ou à la représentation permanente.

L'intérêt de ces actions est de créer en Europe, et particulièrement dans les pays candidats à l'adhésion, un vivier de personnes qualifiées qui, lorsqu'elles rejoindront les institutions européennes ou travailleront en liaison avec elles, seront en mesure de s'exprimer dans notre langue d'une manière opérationnelle.

c) Un début de rapprochement avec le partenaire allemand

Il apparaît que la survie en Europe d'une deuxième langue vivante à côté de l'anglais ne peut être assurée par une concurrence entre le français et l'allemand, l'autre grande langue européenne, au détriment de l'un ou de l'autre . Cette survie passe au contraire par leur alliance, toute autre stratégie serait suicidaire.

Dans ce contexte, l'idée d'associer l'Allemagne à la Francophonie, paradoxale en apparence, peut s'avérer intéressante pour les deux parties. En effet l'attachement à la langue n'est pas moins grand chez les germanophones que chez les francophones (le grand hebdomadaire « Stern » a récemment lancé l'idée d'une loi de type « loi Toubon » contre l'hégémonie de l'anglo-américain et pour la défense de l'allemand), mais surtout la revendication politique du Gouvernement allemand de voir accorder sa vraie place à la langue allemande au sein de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe ouvre une fenêtre d'opportunité pour une alliance en faveur de la diversité linguistique.

Un début de solidarité s'est manifesté lorsque, au printemps 2001, la commission, dans le cadre d'un processus de réforme de ses méthodes de fonctionnement interne, a proposé de simplifier le dispositif linguistique en vigueur dans les procédures décisionnelles. Ce projet prévoyait que l'ouverture et la clôture du protocole d'approbation des textes par le collège des Commissaires se fasse dans une seule langue, qui aurait été dans les faits essentiellement l'anglais. Cette initiative a donné lieu, le 2 juillet 2001, à une lettre de protestation conjointe des ministres des Affaires étrangères français et allemand, qui a abouti au retrait du projet.

Autre initiative commune, la France soutient avec l'Allemagne un projet susceptible de maintenir un multilinguisme de fait dans les institutions, en exigeant que les fonctionnaires européens recrutés à l'avenir maîtrisent deux langues étrangères (au lieu d'une actuellement) en plus de leur langue maternelle.

Le maintien du plurilinguisme dans les institutions communautaires dépasse de beaucoup les seuls intérêts de la France et des pays francophones d'Europe : il est la garantie de la qualité de rédaction des textes, il assure un débat et des négociations plus démocratiques et il contribue à éviter de promouvoir un seul modèle de pensée et d'organisation.

Dans le contexte de l'élargissement, le français peut par ailleurs jouer un rôle considérable de « langue d'équilibre », largement souhaité par les pays candidats à l'adhésion où l'on redoute certes l'hégémonie de l'anglo-américain, mais aussi le cumul par l'Allemagne de la supériorité démographique, économique et culturelle.

Il est du devoir des parlementaires francophones d'Europe d'appeler nos Gouvernements respectifs à prendre rapidement toute la mesure de l'enjeu, qui est considérable : l'Europe constitue en effet le coeur historique de la communauté francophone, et les efforts pour promouvoir la langue française doivent s'y porter en priorité. Or le précédent élargissement a conduit à une érosion sensible de la position du français dans les institutions européennes. En l'absence d'une mobilisation forte et résolue de l'ensemble des partenaires de la Francophonie, le prochain risquerait de lui être fatal.

Le projet de résolution annexé au présent rapport se veut le reflet d'une volonté politique de maintien du principe du multilinguisme dans les institutions de la future Europe élargie.

Résolution

L'Assemblée régionale Europe de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), réunie les 18 et 19 novembre 2002 à Bruxelles ;

Considérant que le prochain élargissement constitue une chance historique qui renforce l'Union européenne dans la diversité et la richesse de son patrimoine commun ;

Consciente, dès lors, de l'enjeu que représente cet élargissement dans le domaine linguistique ;

Rappelant que le plurilinguisme constitue un principe fondamental de l'Union européenne, établi par les traités ;

Préoccupée par l'érosion progressive de la position du français dans la quasi-totalité des institutions de l'Union, notamment en tant que langue de travail à la commission ;

Dénonçant les pratiques qui favorisent insidieusement le monolinguisme de fait ;

Estimant à cet égard inacceptable que l'ensemble des négociations d'adhésion avec les pays candidats se déroulent exclusivement en anglais ;

Souhaite que le maintien du plurilinguisme dans la future Europe élargie fasse l'objet d'une réflexion institutionnelle au sein de l'Union, et spécialement dans le cadre des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe ;

Demande avec insistance que les négociations relatives à l'adhésion des pays candidats à l'Union européenne soient menées dans les trois langues de travail de la commission ;

Encourage les partenaires francophones initiateurs du plan d'action pluriannuel pour le français à poursuivre et renforcer les actions de formation au profit des fonctionnaires, des diplomates, des interprètes et des traducteurs des pays candidats appelés à travailler dans les institutions européennes ;

Soutient le principe visant à exiger des candidats aux concours organisés par les institutions européennes la maîtrise de deux langues officielles de l'Union, en plus de leur langue maternelle ;

Recommande d'une manière générale aux Gouvernements des pays européens membres de l'OIF ainsi qu'à cette organisation de développer des synergies et d'envisager des actions communes avec d'autres partenaires linguistiques ;

Recommande à cet égard que le partenariat déjà entamé avec succès avec l'Allemagne soit complété par une action commune avec les pays de langue latine ;

Demande aux représentations permanentes des pays francophones à Bruxelles d'exercer une vigilance constante quant à l'utilisation du français par les fonctionnaires européens ressortissants de leurs pays respectifs dans le cadre de leurs fonctions ;

Demande aux Gouvernements membres de l'Union européenne de doter les services de traduction et d'interprétation des institutions européennes des ressources nécessaires pour leur permettre de faire face aux besoins liés à l'accroissement des langues officielles dans l'Europe élargie ;

Encourage les parlementaires francophones du Parlement européen de se constituer en intergroupe reconnu par ledit Parlement et dans ce cadre, de mener une réflexion tendant à la mise en place d'une structure de veille multilatérale sur l'application du régime linguistique de l'Union, s'inspirant des méthodes de contrôle utilisées dans les pays européens pratiquant le plurilinguisme ;

Demande enfin au Bureau du Parlement européen de porter le nombre des futures langues pivot prévues dans son projet de « multilinguisme maîtrisé » à trois ou quatre, incluant le français.

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