B - L'AIDE À L'AFRIQUE DANS LA PERSPECTIVE DE L'UNION EUROPÉENNE

M. Jean FAURE. - M. Delorme, qui est Directeur pour l'Afrique occidentale et centrale à la commission des Communautés Européennes, et qui a une formation de juriste, a fait pratiquement toute sa carrière au sein de la commission. Aujourd'hui il dirige un secteur qui nous concerne tous.

Intervention de M. Jean DELORME, Directeur à la Direction générale du Développement, à la commission européenne

M. Jean DELORME - Merci Monsieur le Président, et merci au Sénat d'avoir invité la commission européenne à participer à ces débats avec nos partenaires africains. J'ai été particulièrement intéressé par les déclarations de nos collègues ce matin et je dois dire que je partage assez largement la plupart de leurs appréciations.

Toutefois, je ne voudrais pas que l'on pense qu'il existe au sein des organisations internationales d'aide une espèce de pensée unique qui éviterait tout débat. C'est pourquoi j'essaierai donc, non pas de me démarquer, mais de dire franchement ce que je pense dans le cadre de mon propos.

Les relations entre l'Afrique et l'Europe s'inscrivent dans un long compagnonnage établi à la fois par l'histoire et par la géographie. Au fil des temps les formes en ont varié, mais la liaison est restée constante, ce qui est important.

Lorsque la Communauté économique a été créée, une partie de l'Afrique, celle qui vous concerne ici et qui comprend le champ de la coopération française, s'est trouvée associée à cette aventure à travers les dispositions du Traité de Rome relatives à l'association des pays et territoires d'Outre-Mer.

C'est sur cette base qu'une fois survenues les indépendances africaines ont été établies d'abord les Conventions de Yaoundé qui liaient 18 États associés d'Afrique et de Madagascar, puis ensuite Maurice à partir de 1963, puis à partir de 1975, après l'élargissement de la Communauté, les 4 Conventions ACP-CEE successives, dont la dernière, Lomé IV, concerne maintenant 70 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

La Convention de Lomé, considérée comme le modèle le plus achevé du système de coopération Nord-Sud, repose sur quelques principes simples :

- la Convention est un contrat collectif entre partenaires égaux ;

- ce contrat assure la prévisibilité de la coopération par sa durée (5 ans jusqu'à Lomé 3, 10 ans depuis Lomé IV) ;

- la coopération est basée sur un dialogue, un dialogue collectif à travers les institutions que le Président Chambrier connaît bien, notamment l'assemblée paritaire, mais dialogue aussi individuel avec chaque pays ACP pour la programmation et la mise en oeuvre des programmes ;

- la Convention est globale, en ce sens qu'elle regroupe tous les instruments de coopération, de façon à pouvoir mieux organiser leur synergie en vue d'un meilleur développement des pays partenaires.

De fait, organisée selon un triptyque devenu classique - volet commercial assurant un large accès au marché européen des produits ACP, volet institutionnel et aide financière - la convention s'est enrichie au fil des temps de nouveaux instruments et de mode d'action : le STABEX, le SYSMIN, le Centre pour le développement industriel, le Centre technique agricole, la coopération avec les ONG, la coopération décentralisée qui prend chaque jour de plus en plus d'importance et enfin l'appui à l'ajustement structurel.

Parmi les évolutions les plus significatives de la coopération communautaire en Afrique dans la période récente, il faut sans doute mettre un accent particulier, d'une part sur la montée régulière en puissance des exigences relatives aux droits de l'homme et à la démocratie et d'autre part sur cet appui à l'ajustement structurel qui a constitué une des innovations les plus marquantes de la 4ème Convention.

A première vue, les deux évolutions semblent relever de préoccupations un peu différentes ou d'ordre différent. Pourtant sans transparence budgétaire, sans ordre économique bien établi, sans clarté des choix économiques, il n'est pas de démocratie.

A l'inverse qui ne sait que les réformes économiques imposées, décidées, sans participation de la représentation nationale sont rarement acceptées, internalisées, et ne peuvent finalement s'inscrire dans la durée ? Il n'est peut-être pas superflu - et je pense même que c'est symbolique - de rappeler ici en ce lieu du Sénat que dans les grandes démocraties européennes comme la France ou le Royaume Uni c'est justement par la volonté de contrôler la levée de l'impôt et son utilisation que la démocratie représentative s'est peu à peu instaurée.

Ces considérations éclairent à n'en pas douter le soutien actif qu'a voulu apporter l'Union Européenne aux pays membres de la zone franc, afin de les aider à faire face aux conséquences de la dévaluation du franc CFA en janvier

1994. Les paiements effectués au titre de l'ajustement structurel dans ces pays ont ainsi atteint 230 millions d'écus en 1994 et vont atteindre 195 millions d'écus en

1995, soit au total 425 millions d'écus pour ces deux années, intégralement sous forme de subvention. Ils ont essentiellement servi à sécuriser et à renforcer les budgets des secteurs sociaux (santé, enseignement) qui étaient alors en complète déshérence dans la plupart des pays.

Ces concours ont pu être mobilisés très rapidement avec le plein assentiment des États membres, non seulement de la France qui a poussé à cette affaire avec le soutien de la commission, mais grâce à la compréhension de l'ensemble des États membres de l'Union européenne qui ont accepté des simplifications de procédure et des arrangements visant à utiliser l'ensemble des ressources disponibles, y compris celle du STABEX pour aller dans le bon sens.

Cet effort particulier qu'il faut fournir en termes d'ajustements, qui participe selon nous de l'exercice technique de la démocratie, ne doit pas nous faire oublier également l'exigence de faire un effort d'intégration régionale, indispensable en Afrique. Nous savons que c'est difficile, particulièrement pour des jeunes Nations, à la fois de construire l'habitat individuel de la Nation et en même temps de construire quelque chose qui dépasse la Nation et dans laquelle celle-ci doit se fondre.

Or, depuis le début, les pays africains ont voulu faire cette démarche et nous avons essayé de les soutenir. Mais c'est un exercice difficile et il faut que de l'extérieur nous comprenions à la fois la nécessité d'intégration et ces difficultés, non pas pour renoncer, mais pour que nous ayons une vision claire, logique, du fait qu'il faut construire l'État, mais qu'il faut également construire cet ensemble régional qui doit permettre de donner aux pays africains les grands marchés et l'assise économique suffisante.

Voilà des éléments qui esquissent de façon prometteuse des pistes pour la coopération en général et la coopération européenne en particulier. Donnons quand même quelques chiffres. Compte tenu des déboursements du FED et des apports du budget de l'Union dans les domaines de l'aide alimentaire, de la coopération des ONG et des interventions militaires - hélas trop nombreuses parce que nous y sommes tous contraints - cette aide européenne a atteint en 1994 un montant de 2526 millions de dollars, soit 52 % de l'aide totale de l'Union.

Plus spécifiquement, l'aide à l'Afrique au sud du Sahara a atteint quant à elle 2070 millions de dollars, soit 43 % de l'aide totale.

Le Comité d'Aide au Développement (CAD) a récemment procédé à l'examen, au mois de septembre, de l'aide communautaire, comme le signalait pour l'aide française le ministre Jacques Godfrain. Au terme de cet examen, le CAD a souligné que la Communauté avait en matière de coopération des objectifs précis et ambitieux. Il a noté que son aide affichait une croissance supérieure à celle des États membres et qu'elle se classait au 2ème rang des donneurs multilatéraux, seuls 4 bailleurs bilatéraux ayant par ailleurs un programme plus volumineux que le sien.

Le CAD considère que la Communauté est particulièrement bien placée pour maximiser la contribution européenne au développement, notamment en matière d'échange et en vue de son objectif d'intégrer les pays en développement dans l'économie mondiale.

Il s'est par ailleurs félicité des progrès substantiels accomplis par la commission européenne dans la gestion de son programme depuis l'examen de 1991. Il estime que ces efforts doivent être poursuivis, notamment dans le domaine de l'évaluation, de la gestion des ressources humaines et de la définition des stratégies par pays.

Ce travail, nous l'avons entrepris depuis un certain temps déjà en liaison avec nos États membres et nous pensons le conduire à bonne fin, à le perfectionner.

Passons maintenant du plan technique au plan politique, en abordant les résultats de la révision à mi parcours de la 4ème Convention de Lomé, qui constitue en fait une espèce d'évaluation politique de notre coopération. Ces négociations se sont conclues le 30 juin dernier. Bien que cette Convention ait été conclue pour 10 ans, son texte prévoit en effet que, suivant une procédure convenue certaines de ses dispositions pouvaient être réexaminées au moment de la négociation du protocole financier prévu, lui, pour une période de 5 ans.

Les discussions sur le montant du nouveau protocole financier ont été difficiles, notamment entre les États membres. Ils ont quelque peu retardé la conclusion des négociations. Grâce à la ténacité et à la pugnacité de la Présidence française, le second protocole se trouve finalement doté d'un montant de 14.625 millions d'écus au titre du FED et 1658 millions sous forme de prêts de la BEI sur ses ressources propres.

Je note à cet égard que l'ensemble des ressources mis à disposition de la Coopération européenne au titre du FED sont entièrement sous forme d'aides non remboursables. Seules les ressources de la BEI sont données sous forme de prêts, mais en général elles vont aux entreprises privées.

Le volume des ressources ainsi mis à la disposition de la coopération européenne apparaît en accroissement de près de 22 % par rapport aux chiffres précédents (12 000 millions d'écus). Ce résultat doit être apprécié en fonction du contexte particulièrement difficile dans lequel il a été obtenu et qui est caractérisé par les fortes contraintes qui pèsent sur les budgets nationaux et les efforts bilatéraux de coopération, comme le montrent les données statistiques de l'OCDE.

A ce titre, il apparaît aujourd'hui honorable, et il reste encore significatif de l'engagement de l'Europe vis-à-vis de l'Afrique.

Pourtant, l'incertitude qui a longtemps plané sur le niveau de la contribution communautaire en termes financiers a sans doute occulté une mutation plus subtile, plus profonde, des relations entre l'Europe et les pays ACP par la mise en perspective de celle-ci en fonction du traité de Maastricht instituant l'Union européenne.

Le Traité de Maastricht assigne en effet à la politique communautaire de coopération un certain nombre d'objectifs clairs qui sont de favoriser le développement économique et social durable des pays en développement et plus particulièrement des plus défavorisés d'entre eux, l'insertion harmonieuse et progressive de ces pays dans l'économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, le développement et la consolidation de la démocratie et de l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Ces objectifs font l'objet d'une déclaration commune de la Communauté, figurant en annexe à la Convention, et il est précisé que désormais les objectifs et les priorités de la Communauté sont à prendre en considération au même titre que les priorités et les objectifs des États ACP partenaires.

C'est à la lumière de ces objectifs d'insertion dans l'économie mondiale, qui sont particulièrement importants, qu'il faut décrypter sans doute les nouvelles dispositions commerciales de la Convention. Celles-ci améliorent les conditions d'accès au marché, notamment pour les produits agricoles pour lesquels, comme tous les produits soumis à organisation commune de marché, il y avait des limitations des négociations.

Des améliorations sont obtenues dans ce domaine d'une façon rationnelle. Elles sont classifiées et permettent une lecture plus aisée des investisseurs et des négociants pour pouvoir interpréter la Convention. C'est une amélioration technique considérable.

On note également un assouplissement des règles d'origine, mais surtout l'accent est mis dans la convention sur la nécessité d'accorder la priorité au développement du commerce et d'assurer une gestion durable des ressources forestières, notamment par un protocole sur les ressources forestières et les bois tropicaux.

D'une façon plus générale, la Convention souligne l'importance de la promotion dans les États ACP d'un environnement favorable au développement de l'économie de marché et du secteur privé.

Au plan institutionnel et politique, le mouvement de démocratisation qui s'est développé en Afrique a largement facilité l'intégration des objectifs du traité de Maastricht dans la Convention. A la référence aux droits fondamentaux de l'homme figurant déjà à l'article 5 de Lomé IV s'ajoute maintenant la reconnaissance d'un principe démocratique, la nécessité de la consolidation de l'État de droit et de la bonne gestion des affaires publiques. Le respect des droits de l'homme, de la démocratie et de l'État de droit constituent désormais un élément essentiel de la Convention, dont la violation peut entraîner la suspension de la coopération à l'égard du partenaire concerné.

Enfin les deux parties sont convenues d'étendre leur dialogue aux questions de politique extérieure et de sécurité, ainsi qu'à des questions d'intérêt général ou d'intérêt commun à un groupe de pays et de renforcer le caractère parlementaire de la représentation des ACP au sein de l'Assemblée paritaire.

Tel est le cadre dans lequel va se dérouler la coopération entre l'Afrique et l'Union européenne au cours des 5 prochaines années. Au-delà, c'est l'an 2000 et il convient dès maintenant de réfléchir à ce que seront la forme et la nature du partenariat euro-africain à l'aube du 3ème millénaire.

A cette occasion sans doute, face aux attractions particulières qu'exercent les économies asiatiques sur les pays du Pacifique et à celles qu'exerce l'ALENA sur les Caraïbes, devra-t-on s'interroger sur la pertinence de l'ensemble ACP ? On peut s'interroger, mais ne pas en tirer des conclusions dramatiques.

Si l'ensemble ACP ne constitue pas un espace économique, il constitue néanmoins un espace de solidarité politique et économique qui peut justifier une construction où des modulations tiendraient compte des particularités de chaque sous-groupe.

Les relations à venir entre l'Europe et l'Afrique vont dépendre en grande partie de l'évolution politique et économique des deux continents. L'Union européenne pour sa part entre dans un double processus de réformes institutionnelles, conférences inter-gouvernementales de 1996, Union économique et monétaire à l'échéance de 1999, et d'élargissement aussi qui vont inévitablement la transformer et qui vont lui permettre d'offrir aux économies africaines l'accès à un plus grand marché encore, ceci toutefois dans un contexte où la mondialisation de l'économie aura continué d'éroder les préférences commerciales et où ce qui comptera alors sera davantage la dimension du marché, sa proximité, son unité, par la disparition des entraves douanières et techniques internes.

C'est dire que les pays africains doivent consentir de gros efforts pour améliorer la compétitivité de leurs économies afin de pouvoir tirer profit de ce marché européen élargi et des mouvements de délocalisation industrielle qui vont certainement s'amplifier dans notre espace Nord-Sud.

Dans beaucoup de pays, ces efforts sont déjà en cours avec l'amélioration de la gestion des finances publiques, la mise en oeuvre des réformes visant à replacer l'État dans ses missions régaliennes, dans son rôle d'organisateur et de régulateur de la vie économique et sociale, de la vie civile, et à créer les conditions favorables au développement de l'initiative privée.

Des chantiers d'intégration économique et régionale ont été ouverts comme ceux de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale) et surtout de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) qui va plus vite, que la Communauté soutient de concert avec la France et les institutions de Bretton Woods. Ils sont importants pour l'avenir.

J'ai été indirectement interrogé ce matin par le Gouverneur de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest à propos de la liaison entre le franc CFA et la future monnaie unique. Il a dit qu'il se posait la question. On peut se la poser, mais elle ne se pose pas de soi-même, car le franc CFA est lié au franc français par un mécanisme garanti par le Trésor français, (garantie de convertibilité et de parité).

La Banque de France n'intervient pas dans ce domaine. Il en sera de même dans l'état actuel des choses avec la Banque Centrale Européenne. Ceci dit, rien n'empêche les évolutions, mais il est difficile de prévoir ce que ce sera demain puisque nous ne savons pas combien de pays participeront en 1999 à la monnaie unique.

Cela pèse peu mais cela devrait être vu en fonction des pays qui seront engagés dans la monnaie unique et des conditions dans lesquelles cela se fera. Au demeurant, je note que des efforts considérables sont déjà faits dans certains pays, notamment dans les pays de l'UEMOA où l'on met en place, avec le soutien du FMI et de la Communauté, un système de surveillance multilatérale qui doit permettre également d'améliorer la tenue de la monnaie et la gestion financière de ces pays.

En réalité, en dépit des crises et des drames qui viennent l'affecter et qui brouillent son image, l'Afrique bouge. Les comportements économiques, sociaux et même démographiques, qui sont pourtant des comportements de long terme, bougent dans le bon sens.

L'avènement d'une Afrique du Sud démocratique, libérée de l'Apartheid et sa prochaine association à la Convention de Lomé, contribuent fortement à ce mouvement et donnent de nouvelles chances économiques au continent. L'aide européenne pour sa part continuera à apporter son concours à cette redynamisation de l'Afrique en favorisant les efforts d'intégration régionale et la définition de la politique sectorielle cohérente qui permet à l'Union et à ses États membres de se coordonner en vue d'assurer une meilleure efficacité de leurs interventions et d'assurer une complémentarité de celle-ci.

Compte tenu du fort degré de libéralité et de son aide, l'Union accordera une attention particulière à la coopération dans les secteurs où se situe le front de la lutte contre la pauvreté (santé, enseignement notamment). Enfin, en se fondant sur les nouvelles dispositions de la Convention, elle renforcera son appui au mouvement de démocratisation et de consolidation de l'État de droit en Afrique car elle sait que sans poursuite et approfondissement de ce mouvement, l'aide perdrait irrémédiablement le soutien des opinions publiques et des gouvernements européens.

(Applaudissements)

M. Jean FAURE. - Merci M. Delorme. Le sujet que vous traitez était particulièrement important parce qu'une bonne coopération ne peut passer que par une bonne coordination avec tous les États membres de la Communauté européenne.

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