Communication de M. René Dosière relative au « contrôle budgétaire, avenir du Parlement »

On constate que, de plus en plus, la loi de finances devient une prérogative de l'exécutif. L'utilisation de procédures du « parlementarisme rationalisé » - comme le vote bloqué ou la question de confiance - mais surtout l'existence du fait majoritaire expliquent pourquoi le vote du législateur devient très formel. Songeons qu'en France, le Parlement modifie le projet gouvernemental de loi de finances à hauteur de 3 %. Est-ce à dire que le Parlement est dépossédé de ses prérogatives ? Je ne le crois pas, dans la mesure où la procédure budgétaire s'adapte aux réalités. Cette réalité, c'est que le contrôle budgétaire peut s'exercer tout au long de l'année. Et si le contrôle budgétaire était l'avenir des Parlements ? C'est en tout cas la voie explorée par le Parlement français, notamment en modifiant sensiblement (on peut même dire radicalement) la « constitution budgétaire » que représentait l'ordonnance de 1959, qui avait jusqu'alors résisté à toutes les tentatives de modification.

Dans cet exposé concernant le contrôle budgétaire, je distinguerai deux parties principales.

La première concerne le contrôle comptable, ou encore la vérification de l'exactitude des prévisions.

En effet, le budget étant toujours un document de prévision, il n'est pas inutile de vérifier le degré d'exactitude de ces prévisions. C'est ce que s'efforcent de faire les services du ministère des finances, à travers l'élaboration de plusieurs documents (hebdomadaires, bi-mensuels, mensuels, ou trimestriels selon la nature des renseignements) qui sont toujours communiqués au Président de la commission des Finances ainsi qu'au rapporteur général du budget qui les tiennent à la disposition de leurs collègues (députés et sénateurs).

Mais cet exercice comptable trouve rapidement ses limites, car le Gouvernement peut modifier le budget en cours d'année, et il ne s'en prive pas.

Plusieurs méthodes existent : les décrets d'avances permettent de majorer des crédits insuffisants (mais, en contre partie il faut annuler une masse équivalente de crédits pour ne pas modifier l'équilibre initial du budget) ; les transferts de crédits et les virements de crédit modifient le service utilisateur ou la nature de la dépense. Quant aux reports de crédits, en fin d'année, ils sont habituels en matière d'investissement.

De plus en plus souvent, l'évolution de la situation économique conduit le Gouvernement à pratiquer la régulation budgétaire dont la légitimité ne saurait être mise en cause, sauf à vouloir nier toute action gouvernementale. Cette régulation budgétaire se manifeste par des reports de crédits, des décrets d'avance, le gel et l'annulation de dépenses nouvelles.

On a calculé, en France, que ces diverses méthodes aboutissaient à modifier près de 10 % du budget initial, soit un chiffre trois fois supérieur aux modifications du Parlement.

Mais si la légitimité de la régulation n'est pas en cause, les modalités de sa mise en oeuvre suscitent la colère du Parlement, car il est souvent le dernier (et le plus mal) informé ! Sans doute, toutes ces modifications devront elles, ultérieurement, faire l'objet d'une régularisation dans le cadre d'une loi de finances rectificative. Mais c'est toujours après-coup !

C'est pourquoi, dans le cadre de la nouvelle procédure budgétaire, le Parlement a obtenu deux modifications importantes. D'une part les commissions de finances de chacune des assemblées seront informées au préalable (et, dans le cas des décrets d'avances devront formuler un avis au Gouvernement) et des limites financières sont désormais fixées. (1 % des crédits initiaux pour les décrets d'avances ; 1,5 % des crédits pour les annulations de crédit ; 2 % pour les transferts et virements ; 3 % pour les reports). Il conviendra donc d'être plus précis encore dans les évaluations initiales.

A ce contrôle comptable, s'ajoutent les contrôles, plus politiques, des « rapporteurs spéciaux ».

Sous ce terme, on désigne les rapporteurs de la commission des Finances (dans les autres commissions, les rapporteurs sont nommés « pour avis » et ne disposent pas des mêmes pouvoirs d'investigation).

Ceux-ci ont le droit de se déplacer dans les ministères pour contrôler sur place les pièces comptables qui leur paraissent nécessaires...

Mais, jusqu'alors, il faut reconnaître que les rapporteurs spéciaux ont peu usé de cette prérogative (ce fut le cas, notamment en 1999 lorsque le rapporteur général du budget du Sénat se déplaça au ministère des Finances pour obtenir communication d'instructions ministérielles). Pour mieux garantir cette procédure, la nouvelle loi budgétaire prévoit qu'en cas de non-réponse, la justice pourra être saisie et « faire cesser cette entrave sous astreinte ».

A ces déplacements, il faut ajouter d'autres formes de contrôle, plus fréquemment utilisées : les auditions des ministres, les rapports d'information, qui comportent toujours des recommandations (mais elles ne sont pas toujours suivies d'effet...), voire si le sujet est plus important, la commission d'enquête dont l'impact médiatique est plus fort.

Face aux limites de ce contrôle technico-comptable, y compris dans sa dimension parlementaire, l'Assemblée nationale française, sous l'impulsion de ses présidents successifs (Laurent Fabius, Raymond Forni et aujourd'hui Jean Louis Debré) a mis en place un dispositif propre à échapper au débat rituel de la loi de finances (Litanie, Liturgie, Léthargie selon la formule d'Edgar Faure) et redonner un nouveau pouvoir budgétaire au Parlement. Il s'agit de renforcer l'évaluation des politiques publiques.

Trois étapes seront distinguées.

1. La mission d'évaluation et de contrôle : la M.E.C.

Soucieux de « contrôler réellement, pour dépenser mieux et prélever moins » (un beau programme pour caractériser la dimension financière de la bonne gouvernance), le Président de l'Assemblée a permis la création, au sein de la commission des Finances, d'une « mission » (en fait, un petit groupe) regroupant des élus et des membres de la Cour des comptes. Ces élus sont issus, en nombre égal de la majorité et de l'opposition afin de surmonter les traditionnelles rivalités politiques. Car la mission n'a pas pour objet de mettre en cause la politique du Gouvernement, mais le fonctionnement inadapté de l'administration. C'est pourquoi la M.E.C étudie des thèmes précis, choisis en commun par les membres et les magistrats de la Cour (de sorte que ceux-ci puissent, de leur côté, procéder aux études complémentaires).

La mission travaille selon des méthodes confirmées : auditions, enquêtes, et publication d'un rapport assorti de recommandations précises. (Les rapporteurs pour avis des autres commissions sont associés aux travaux de la M.E.C en fonction du thème retenu).

Le bilan des premières années de fonctionnement de la M.E.C (1999-2001) fait apparaître l'intérêt de la démarche, en particulier la collaboration avec la Cour des Comptes, mais sa traduction encore limitée dans le domaine budgétaire.

Mais le travail mené au sein de la M.E.C a inspiré l'élaboration d'une loi organique relative aux lois de finances (LOLF) adoptée à l'unanimité du Parlement (Assemblée et Sénat).

2. Une révolution budgétaire : la LOLF (loi du 1 er août 2001)

Avec cette loi organique, les pouvoirs du Parlement sont renforcés dans trois directions complémentaires :

- un calendrier favorisant l'exercice de la fonction budgétaire tout au long de l'année ;

- améliorer la lisibilité et la sincérité des documents budgétaires pour permettre un véritable contrôle ;

- restaurer toute la portée de l'autorisation budgétaire.

Il s'agit, en quelque sorte - et c'est en cela que la LOLF constitue une « révolution » - de passer d'une logique de moyens à une logique d'objectifs et de résultats.

L'autorisation et l'exécution budgétaires seront organisées autour de missions et de programmes, rompant avec la spécialisation des crédits par chapitre. A un budget de moyens, présentant les crédits par nature de dépenses, sera substituée une logique d'objectifs et de résultats, susceptibles d'une véritable évaluation.

La mission constitue une politique publique, menée par un ou plusieurs ministères. Il devrait y avoir une cinquantaine de missions.

Pour illustrer mon propos, je cite comme exemple (mais cela n'engage que moi) la Sécurité routière.

Le programme est un ensemble d'actions relevant d'un même ministère (pour des motifs opérationnels) et qui doit aboutir à atteindre les objectifs de la mission.

Pour reprendre l'exemple plus haut, on peut avoir :

- un programme « police de la circulation » (ministère de l'intérieur) ;

- et un programme « amélioration des infrastructures » (ministère de l'équipement).

Une mission devrait comporter 2 à 3 programmes.

Au niveau des programmes, les crédits (personnel, fonctionnement, investissement...) seront « fongibles », c'est-à-dire que l'utilisateur pourra transformer des crédits de fonctionnement en crédits d'investissement (et inversement) s'il l'estime nécessaire pour atteindre ses objectifs. La seule limite à cette « fongibilité » des crédits concerne les dépenses de personnel : on pourra les diminuer mais jamais les augmenter.

Les coûts, les objectifs poursuivis, les résultats obtenus et attendus devront faire l'objet d'indicateurs précis dont le choix sera justifié.

Je souligne que l'article 40 (qui interdit tout amendement aggravant les charges publiques ou la diminution des recettes) s'appliquera au niveau de la mission. Les parlementaires pourront donc redéployer les crédits, à l'intérieur de chaque mission, entre les programmes.

Cette nouvelle présentation s'appliquera totalement avec le budget 2006. Dès 2005, la loi de finances sera présentée selon les deux formules (actuelle et future). Enfin, à partir du 1 er janvier 2002, et progressivement en 2003 et 2004, s'appliquent certaines dispositions de la loi organique.

3. Les partenaires du contrôle

Quelle que soit la volonté des parlementaires, le contrôle budgétaire nécessite le concours (plus ou moins volontaire) de partenaires qui sont :

- les ministères (il va de soi évidemment, ce n'est donc qu'un rappel) ;

- la Cour des comptes ;

- les médias.

La Cour des comptes, composée de magistrats indépendants, intègres et compétents, assiste traditionnellement le Parlement. Mais sa coopération active sera fortement renforcée dans le cadre de la LOLF. Les fonctionnaires de la Cour mènent des enquêtes approfondies, à la demande même de la commission des Finances.

Le rôle de la Cour des comptes est, dès à présent, fondamental pour étudier la loi de règlement. En effet, la Cour procède à un rapport sur « l'exécution de la loi de finances » qui comporte une analyse fouillée des réalisations (et des écarts avec les prévisions). Ce rapport de la Cour est disponible dès le mois de juillet (sur le budget de l'année précédente) et il est discuté au mois d'octobre, avant la loi de finances de l'année à venir.

De leur côté, les média donnent un écho salutaire aux travaux du Parlement et de la Cour, ils contribuent à mobiliser l'opinion publique, enfin ils mènent leurs propres investigations (voir la multiplication des émissions TV sur l'usage des fonds publics).

A travers cette analyse du contrôle budgétaire, présent et à venir, je me suis efforcé de démontrer l'importance de ce contrôle pour renouveler et amplifier le pouvoir budgétaire du Parlement. Il impose une modification de notre « culture politique » : il faut cesser de croire que le contrôle -et ses diverses procédures- met en cause la politique gouvernementale et donc qu'il est réservé à l'opposition. En réalité, le contrôle a pour objet d'améliorer l'usage des fonds publics -et sous cet aspect c'est un fondement de la « bonne gouvernance »- Il doit donc être au coeur des préoccupations de la majorité politique. C'est d'ailleurs en ce sens que l'actuel président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, agit pour redonner tout son pouvoir à l'Assemblée. C'est à son initiative qu'une mission d'information sur les signes religieux à l'école s'est mise en place, c'est avec ses encouragements qu'une commission d'enquête sur la canicule de l'été 2003 a été créée. Dans chaque cas, il a eu le souci que la majorité n'écrase pas la minorité. C'est aussi cela la « bonne gouvernance ».

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