Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 100 - 19 septembre 2011


Groupe interparlementaire d'amitié

France - Asie centrale

Kirghizistan et Tadjikistan ,

les voies d'un développement au fil de l'eau ...

Compte rendu

du déplacement effectué par une délégation du groupe

au Kirghizistan et au Tadjikistan

du 18 au 24 avril 2011

La délégation était composée de :

M. André Dulait, Président du groupe d'amitié,

Mme Monique Papon, Vice-présidente du groupe d'amitié

M. Jean-Marc Pastor, Président délégué pour le Kirghizistan

M. Aymeri de Montesquiou, Président délégué pour le Kazakhstan

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N° GA 100 - septembre 2011

La délégation du groupe interparlementaire d'amitié France-Asie centrale s'étant rendue au Kirghizistan et au Tadjikistan du 18 au 24 avril 2011 était composée de la manière suivante :

- M. André Dulait , sénateur des Deux-Sèvres, Président du groupe d'amitié, Chef de délégation ;

- Mme Monique Papon , sénateur de Loire-Atlantique, Vice-présidente du Sénat, vice-présidente du groupe d'amitié ;

- M. Jean-Marc Pastor , sénateur du Tarn, Questeur du Sénat, Président délégué pour le Kirghizistan ;

- M. Aymeri de Montesquiou , sénateur du Gers, Président délégué pour le Kazakhstan.

Elle adresse ses plus vifs remerciements à tous celles et ceux qui, à un titre ou à un autre, lui ont apporté leur précieux concours pour la préparation, l'organisation et le bon déroulement sur place de cette mission. Sans qu'il soit possible de citer nommément chacune de ces personnalités, la délégation veut exprimer en particulier sa gratitude :

- à la Présidente de la République du Kirghizistan, Mme Rosa Otounbaeva, ainsi qu'à tous les responsables kirghizes qui, comme elle, ont réservé aux sénateurs français un accueil particulièrement chaleureux ;

- au Président de la République du Tadjikistan, M. Emomali Rakhmon, ainsi qu'à toutes les autorités tadjikes, en qui les sénateurs ont trouvé des interlocuteurs amicaux et empressés ;

- à Son Altesse l'Agha Khan, qui a mis ses moyens humains et logistiques à la disposition de la délégation pour lui permettre de visiter la région du Pamir dans les meilleures conditions possibles,

- ainsi qu'à nos deux ambassadeurs (M. Thibaut Fourrière au Kirghizistan et M. Henry Zipper de Fabiani au Tadjikistan), à leurs sympathiques collaborateurs et aux personnels civils et militaires en poste dans la région, notamment au DETAIR Douchanbé : dans un contexte parfois délicat, ils contribuent tous de manière remarquable au rayonnement de la France en Asie centrale.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs

Cette année, cinq pays d'Asie centrale nés de l'implosion de l'ex-URSS célèbrent le vingtième anniversaire de leur Indépendance : le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan.

Très fermés pendant la période soviétique et pratiquement inaccessibles à la plupart des occidentaux, ces pays ont accédé du jour au lendemain à une indépendance qu'ils n'avaient pas réellement demandée ni préparée, et ont connu, depuis lors, des évolutions assez différentes.

Si le Kazakhstan -notamment par les fantastiques ressources de son sous-sol- et l'Ouzbékistan -doté de sites culturels et touristiques mondialement connus- se sont ouverts à l'international et sont désormais relativement bien identifiés en Europe, force est de reconnaître, en revanche, que le Kirghizistan et le Tadjikistan restent encore assez méconnus de la plupart de nos compatriotes , dont beaucoup auraient peine à les situer sur une carte ou simplement à citer leur capitale...

Souffrant d'un réel déficit d'image sur la scène internationale, ces deux pays sont en outre dans une situation économique précaire, qui les relègue respectivement à la 120 ème position (pour le Kirghizistan) et à la 127 ème position (pour le Tadjikistan) sur l'échelle de développement humain établie par le PNUD, largement derrière tous les autres États de l'ancienne Union soviétique.

Reste que le Kirghizistan et le Tadjikistan sont des pays amis de la France, de surcroît très confiants dans leur relation avec l'Union européenne. C'est pourquoi notre groupe sénatorial d'amitié France-Asie centrale a souhaité leur envoyer un message de sympathie en allant célébrer avec eux leurs 20 ans d'Indépendance, et en les assurant par la voix de sa délégation du soutien du Sénat dans leur marche vers une démocratie affirmée et vers un meilleur développement économique .

Deux autres raisons géostratégiques commandent de s'intéresser plus spécifiquement à ces pays .

Tout d'abord, leur géographie physique et leur territoire montagneux placent le Kirghizistan et le Tadjikistan au coeur d'un enjeu majeur : l'approvisionnement de l'Asie centrale en eau et en électricité . En effet, s'ils ne possèdent ni pétrole ni gaz -à la différence de leurs trois voisins centrasiatiques- ces pays, dits « de l'amont », contrôlent à eux deux plus des trois quarts des ressources en eau douce et du potentiel hydroélectrique de la région.

Or, comme au temps de l'Union soviétique où ces deux pays étaient maintenus dans une forte dépendance énergétique, le Kirghizistan et le Tadjikistan continuent vingt ans plus tard d'en subir les séquelles, au point de devoir importer l'essentiel de leur énergie.

Le groupe d'amitié souhaitait mieux comprendre ce paradoxe, et recueillir le point de vue des parlementaires et des responsables kirghizes et tadjikes, comme il a déjà eu l'occasion de le faire par ailleurs avec les représentants d'autres pays, dits « de l'aval ».

En second lieu, le Kirghizistan et le Tadjikistan sont proches de l'Afghanistan -avec lequel le Tadjikistan partage sur plusieurs centaines de kilomètres une frontière apparemment assez poreuse- et représentent donc des interlocuteurs de premier plan pour la communauté internationale dans ses efforts pour aider les Afghans à la remise en marche de leur État.

La délégation, conduite par le Président du groupe d'amitié, M. André Dulait, comprenait trois autres sénateurs (Mme Monique Papon, vice-présidente du groupe d'amitié, M. Jean-Marc Pastor, président délégué pour le Kirghizistan et M. Aymeri de Montesquiou, président délégué pour le Kazakhstan) 1 ( * ) . Elle a séjourné en République kirghize pendant deux jours (les 18 et 19 avril), puis s'est rendue au Tadjikistan, où elle a séjourné du 20 au 24 avril.

Dans les deux pays, la délégation sénatoriale a reçu un accueil d'autant plus chaleureux que les visites de parlementaires français y sont encore assez rares.

Cette mission a permis, en particulier, de rencontrer pour la première fois les membres des groupes homologues (Kirghizistan-France et Tadjikistan-France), récemment créés dans les Parlements de ces deux pays.

Au Kirghizistan, les entretiens avec les autorités parlementaires ont permis en outre d'envisager les modalités d'une coopération technique entre le Sénat français et le Jogorkou Kenech (l'assemblée kirghize), ainsi que l'avait souhaité le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, lors de la visite au Sénat en mars 2011 de la Présidente de la République Kirghize, Mme Rosa Otounbaeva.

Dans les deux pays, le séjour a mis en évidence un point resté plus en arrière-plan lors des précédents déplacements du groupe d'amitié : bien que partageant nombre de points communs -dont des histoires propres plus ou moins imbriquées et une même appartenance à l'ancienne Union soviétique- les pays d'Asie centrale présentent aussi des particularismes marqués, tant sur les plans démographique et sociologique que politique et culturel.

Ainsi, depuis leur Indépendance, le Kirghizistan et le Tadjikistan se sont dotés d'institutions et d'une pratique du pouvoir très différentes, les Tadjiks conservant certains réflexes hérités du centralisme autoritaire d'avant 1991, alors que les Kirghizes ont au contraire opté pour un parlementarisme sans équivalent dans la région.

La délégation a également pu découvrir et mesurer sur place le rôle relativement insoupçonné mais pourtant considérable de la communauté et des institutions ismaéliennes , sous l'égide de leur emblématique chef spirituel, l'Aga Khan. Disposant de ressources financières importantes et s'appuyant sur un réseau d'influence performant ( Aga Khan Development Network, ou AKDN ), les Ismaéliens prennent en effet une part active au développement économique, sanitaire, éducatif et social durable du Kirghizistan et du Tadjikistan.

Enfin, la délégation a été fière d'aller saluer les militaires affectés au DETAIR , détachement aérien français installé depuis 2002 au bord des pistes de l'aéroport de Douchanbé sur une aire mise gracieusement à sa disposition par les autorités tadjikes. Le DETAIR est un des rouages logistiques essentiels de la force internationale déployée en Afghanistan , assurant notamment le transit lors des relèves du contingent français et d'autres contingents. Les femmes et les hommes du détachement apportent également leur concours à des actions civilo-militaires visant à améliorer les structures sanitaires et sociales dans la région de Douchanbé (en direction de la petite enfance, notamment).

Au terme de sa mission, le groupe d'amitié espère surtout avoir marqué de la manière la plus visible l'attention qu'il porte à la présence de la France -et de la francophonie- dans une zone fort éloignée de l'Europe, certes, mais dont la sécurité internationale, la stabilité politique intérieure et le développement économique constituent aussi des enjeux géostratégiques importants pour l'Union européenne .

Programme de la mission

Première étape : KIRGHIZISTAN (18-19 avril 2011)

Lundi 18 avril

02h10

Arrivée de la délégation à l'aéroport international « Manas » - Accueil de la délégation par M.B. Kadyrov, adjoint au Président de la commission des Affaires internationales et de la Coopération interparlementaire, Mme Karamouchkina, Président du groupe d'amitié Kirghizistan-France du Jogorkou Kenech et M. Djamankoulov, chef du département de la coopération internationale.

Installation de la délégation à son hôtel

11h00

Entretien avec Mme Karamouchkina, présidente, et plusieurs autres membres du groupe d'amitié Kirghizistan - France

12h15

Réunion de travail avec les représentants des groupes parlementaires du Jogorkou Kenech

13h30

Déjeuner avec le Président de l'Institut national d'Études stratégiques, M. Chinguiz Shamshiev et plusieurs responsables et chercheurs de son équipe

15h00

Audience avec M. Keldibekov, Président du Jogorkou Kenech

15h00

Audience avec Mme Rosa Otounbaeva, Présidente de la République kirghize

18h00

Réception offerte par le Jogorkou Kenech

Mardi 19 avril

10h00

Entretien à la Fondation Aga Khan avec M. Bohdan Kravchenko, recteur de l'Université d'Asie centrale, et plusieurs responsables de l'Aga Khan Development Network (AKDN)

11h00

Visite de l'Alliance française et du Centre de ressources

12h00

Rencontre avec des membres de la communauté française au café « Chez le Français »

13h00

Déjeuner offert par M. l'Ambassadeur

15h00

Départ en cortège automobile pour Almaty (Kazakhstan)

Nuit à Almaty - Le mercredi matin, vol pour Douchanbé (Tadjikistan)

Durant tout son séjour au Kirghizistan, la délégation sénatoriale a été accompagnée par l'Ambassadeur de France, S. Exc. M. Thibaut Fourrière.

Seconde étape : TADJIKISTAN (20-24 avril 2011)

Mercredi 20 avril 2011

10h00

Arrivée en provenance d'Almaty - Installation de la délégation à son hôtel

14h30

Réunion de cadrage avec l'Ambassadeur, le Premier conseiller et l'Attaché de défense

16H00

Visite du Centre ismaélien avec M. Munir Merali, Représentant de l'Aga Khan, puis « thé de travail » (présentation des actions de l'AKDN ; entretien sur la situation politique et économique du pays)

19h00

Dîner-buffet à la Résidence de France. Rencontre avec la communauté française et les principaux responsables francophones de la communauté internationale

Jeudi 21 avril 2011

09h00

Entretien avec M. Khamrokhon Zarifi, ministre des Affaires étrangères

10h00

Visite du Centre culturel Bactriane

11h00

Entretien avec M. Rakhmat Bobokolonov, ministre des Ressources en eau

14h15

Visite du Musée archéologique

16h00

Audience avec M. Oubaidoulaev, Président du Sénat

19h00

Réception offerte par le Président du Sénat

Vendredi 22 avril 2011

09h00

Audience avec M. Emomali Rakhmon, Président de la République

11h00

Visite du barrage et des installations hydroélectriques de Nurek, principal producteur d'énergie hydroélectrique du Tadjikistan

17h00

Réunion de travail avec l'ambassadeur Eduard Auer, chef de la délégation de l'Union européenne

18h00

Spectacle de danse au Théâtre Padida

19h00

Réception offerte par M. l'Ambassadeur (à la Résidence)

Samedi 23 avril 2011

08h30

Vol vers la ville de Khorog (région du Pamir)

10h15

Visite du marché frontalier de Khorog (sur la frontière avec l'Afghanistan)

11h10

Déplacement vers le village de Tang, puis visite de la station hydroélectrique Pamir 1

13h00

Retour à Khorog, puis déjeuner à l'Hôtel Serena Inn (chaîne hôtelière sous contrôle de l' Aga Khan Development Network )

14h30

Visite de l'Hôpital général de Khorog (AKDN) et rencontre avec les responsables du Programme de santé (Aga Khan Health Services)

15h30

Visite de l'Université d'Asie centrale (programme AKDN) et de son centre de formation professionnelle permanente

16h30

Survol du site de la station hydroélectrique Sanobod

17h45

Retour à Douchanbé

Dimanche 24 avril 2011

10h00

Visite du détachement aérien DETAIR

12h30

Déjeuner offert par le commandant du DETAIR

18h30

Réunion de synthèse avec l'Ambassadeur

Retour en France de la délégation dans la nuit du dimanche au lundi

Durant tout son séjour au Tadjikistan, la délégation sénatoriale a été accompagnée par l'Ambassadeur de France, S. Exc. M. Henry Zipper de Fabiani.

I. KIRGHIZISTAN, DE LA ROUTE DE LA SOIE AUX CHEMINS DE LA DÉMOCRATIE... ..

Le Kirghizistan -ou République Kirghize- est par ordre de taille décroissante le quatrième des cinq pays d'Asie centrale issus de l'effondrement du système soviétique, avec une superficie de moins de 200 000 km² et une population de 5,4 millions d'habitants, répartis sur un territoire presque totalement montagneux, délimité par une frontière assez tortueuse et entièrement enclavé entre la Chine (à l'est et au sud-est), le Kazakhstan (au nord), l'Ouzbékistan (à l'ouest) et le Tadjikistan (au sud-ouest). Jouissant d'une pluviométrie et d'une hygrométrie favorables, les montagnes kirghizes forment jusqu'à une certaine altitude un paysage alpestre qui vaut au pays le surnom de « petite Suisse d'Asie centrale ».

Comme les autres États de cette région, le Kirghizistan a connu une histoire assez mouvementée, marquée par des mouvements complexes de populations diverses -le pays compte encore officiellement 25 ethnies distinctes- et différentes périodes de domination étrangère.

C'était aussi une des étapes importantes de la Route de la soie, circuit commercial entre l'Extrême Orient et la Turquie puis l'Europe, emprunté pendant plus de dix siècles par des caravanes selon des tracés fluctuants. Un de ces axes caravaniers traversait le territoire de l'actuel Kirghizistan : quittant la ville commerciale chinoise de Kashgar (à l'extrémité de l'actuelle province du Xinxiang), les marchands empruntaient le Col de Torugart (3 750 m d'altitude), faisaient étape dans les caravansérails des grandes cités kirghizes (Och, Uzgen, etc...), d'où ils poursuivaient leur cheminement via la vallée de la Fergana, en direction des villes ouzbèkes (comme Samarkand ou Boukhara).

La tribu éponyme des Kirghizes (peuple nomade turcophone originaire du nord-est de la Mongolie) se serait établie au Kirghizistan aux XVème et XVIème siècles, avant de tomber au début du XIXème siècle sous le contrôle du Khanat de Kokand, puis de l'empire russe en 1876, beaucoup d'habitants ayant alors émigré vers l'Afghanistan ou la Chine. En 1918, un soviet fut fondé dans la région. L'oblast autonome de Kara-Kirghiz, créé en 1924, devint en 1926 la « République socialiste soviétique autonome de Kirghizie », partie intégrante de l'URSS.

A l'effondrement de l'URSS, le Kirghizistan proclama le 31 août 1991 une indépendance qu'il n'avait pas réellement souhaitée ni demandée, puis adhéra à la Communauté des États indépendants (CEI) à la fin de la même année.

LE KIRGHIZISTAN EN QUELQUES REPÈRES

- Avril 2011 -

(source : ministère des Affaires étrangères et européennes)

Nom officiel : République Kirghize

(Kirghizistan et Kirghizie sont des appellations usuelles)

Président de la République : Mme Rosa Otounbaeva

Données géographiques

Superficie : 199 900 km 2

Capitale : Bichkek

Villes principales : Och, Djalal-Abad

Langues officielles : kirghize (langue d'État) et russe (langue officielle)

Langue courante : ouzbek (13,6 % de la population)

Monnaie : Som

Fête nationale : 31 août (Jour de l'Indépendance)

Données démographiques

Population : 5,431 millions (estimation 2009)

Densité : 25,6 habitants/km²

Croissance démographique : 1,4 % (estimation 2009)

Espérance de vie : 69,4 ans

Taux d'alphabétisation (1999) : 98,7 %

Religions : Islam sunnite (75 %), orthodoxie (20 %), protestantisme

Indice de développement humain :120 ème sur 182 (classement ONU 2009)

Données économiques

PIB (2010) : 3,3 milliards d'euros

PIB par habitant (2009) : 860 dollars

Taux de croissance (2009) : 2,3 %

Taux d'inflation (2010) : 19,2 %

Solde budgétaire (2009) : 1,5 % PIB

Balance commerciale (2009) : - 1,6 milliards de dollars

Principaux clients (2009) : Suisse (23,1 %), France (15 ,1 %), Russie (14,8 %)

Principaux fournisseurs (2009) : Russie (36,7 %), Chine (16,5 %), Kazakhstan (9,3 %)

Part des principaux secteurs d'activité dans le PIB (est. 2008) :

- agriculture : 30 %

- industrie : 20 %

- services : 50 %

Exportations de la France vers le Kirghizistan (2009): 12,6 millions d'euros

Importations françaises depuis le Kirghizistan (2009) : 16,8 millions d'euros

Communauté française en République Kirghize : 30 personnes

Communauté kirghize en France : 111 personnes

A. UN CHOIX ATYPIQUE EN ASIE CENTRALE : LE SYSTÈME PARLEMENTAIRE

A la différence des autres pays d'Asie centrale , manifestement plus portés vers des systèmes à présidence forte (voire autoritaire), le Kirghizistan, à peine cinq ans après son accès à l'indépendance, a fait le choix atypique d'un système de type parlementaire , qui lui vaut du reste aujourd'hui des épisodes d'instabilité assez comparables à ceux qu'ont connus (ou que connaissent encore) d'autres régimes parlementaires occidentaux. Dès son arrivée à Bichkek, la délégation sénatoriale a pu en prendre la mesure de manière anecdotique, en apprenant qu'au même moment, de vives tensions menaçaient la cohésion de la majorité gouvernementale et conduisaient à devoir ajourner certains entretiens.

1. Une vie politique assez mouvementée depuis 20 ans

Quoi qu'il en soit, après avoir été porté au pouvoir en octobre 1991, l'ex-Président du Soviet suprême kirghize, M. Askar Akaev, Président de la nouvelle république indépendante, a délibérément opté pour une orientation libérale, tant du point de vue économique que politique. En dépit d'un certain durcissement de la pratique présidentielle à la fin des années 1990, le Kirghizistan s'est alors forgé la réputation flatteuse d'être le « meilleur élève d'Asie centrale » en matière de démocratisation et des droits de l'Homme.

Cette émergence d'une société civile vivace, la tenue régulière d'élections et -sans doute- une relative inexpérience des procédures de la démocratie représentative ont d'ailleurs amplifié les mouvements d'alternance, avec successivement le déclenchement en mars 2005 d'une « Révolution des Tulipes » en réaction à l'attitude du Président Akaev, la mise en place d'un gouvernement intérimaire comprenant des personnalités de l'opposition et dirigé par un ancien Premier ministre, M. Kourmanbek Bakiev, l'élection de ce dernier comme Président en novembre 2005, le lancement d'un processus de révision constitutionnelle s'échelonnant entre novembre 2006 et 2007 (courte période qui verra se succéder trois Constitutions différentes et cinq Premiers ministres...) et l'organisation d'élections législatives anticipées en décembre 2007, où 12 partis se sont disputé les 90 sièges du Parlement (nombre porté à 120 sièges en 2010).

Malgré une réelle pluralité de choix, ces élections semblent avoir fait l'objet de manipulations massives, dénoncées par l'OSCE. A l'issue du scrutin, le Parti du Président Bakiev « Ak-jol » a ainsi affiché une très large avance (71 sièges sur 90), prenant de court une opposition divisée et incapable de proposer une véritable alternative.

Réélu à la tête de l'État en juillet 2009, le Président Bakiev a, comme son prédécesseur, adopté une attitude plus autoritaire, doublée de pratiques népotistes très mal perçues par l'opinion publique kirghize (notamment la nomination du fils du Président, M. Maxim Bakiev, à la tête de l'Agence centrale pour le Développement, les Investissements et l'Innovation).

La dégradation progressive du climat socio-économique, le mécontentement de la population face aux dérives du régime et l'arrestation des principaux responsables de l'opposition ont provoqué de brutales émeutes les 6 et 7 avril 2010, ayant fait 84 morts et 1 600 blessés et entraîné la chute du Gouvernement, la démission du Président Bakiev et sa fuite à l'étranger. L'opposition a formé un Gouvernement provisoire, sous la direction de l'ex-ministre des Affaires étrangères, Mme Rosa Otounbaeva, que les électeurs confirmeront deux mois plus tard comme nouvelle Présidente par intérim (jusqu'en décembre 2011, mais sans possibilité de se présenter à la prochaine présidentielle).

Une feuille de route électorale a été annoncée : la tenue d'un référendum constitutionnel le 27 juin 2010, de nouvelles élections législatives le 10 octobre, enfin une élection présidentielle en octobre 2011.

Les grandes lignes de la nouvelles Constitution kirghize (*)

Selon la nouvelle Constitution, le Président de la république fixe les orientations de la politique du pays et conserve une autorité directe sur les différentes forces armées (Défense, Sécurité nationale, Intérieur) et le ministère des Affaires étrangères. Il a le pouvoir de renvoyer le Gouvernement mais ne joue plus aucun rôle dans la désignation du Premier ministre, choisi par le parti ou par la coalition majoritaire au sein du Parlement monocaméral. Le Président peut être destitué par les députés pour haute trahison mais désormais, cette procédure requiert l'accord du Procureur général et de la Cour constitutionnelle.

Le Parlement est élu intégralement au scrutin de liste (la constitution antérieure limitait la proportionnelle à seulement la moitié des sièges), les députés devant obligatoirement être affiliés à un parti politique et perdant leur siège en cas de désaccord ou de rupture avec leur formation d'origine. Le Parlement ne peut plus modifier seul la Constitution, un référendum étant désormais indispensable pour amender la loi fondamentale ; il n'a plus le pouvoir d'interprétation de la Constitution, transféré à la Cour constitutionnelle. La représentation nationale exerce également quelques attributions nouvelles, comme l'élection du gouverneur de la Banque centrale et des auditeurs de la Cour des Comptes.

Enfin, la nouvelle Constitution prévoit une réorganisation des collectivités locales dans le sens d'une plus grande autonomie budgétaire et décisionnelle.

* Etablies d'après une traduction non officielle, ces données doivent être prises avec les précautions d'usage

Un forum d'expression politique original :

le KOUROULTAÏ, ou Assemblée des Peuples du Kirghizistan

Le Parlement du Kirghizistan est actuellement monocaméral, mais il a comporté deux chambres jusqu'en 2005 (la seconde chambre, ou Assemblée des représentants du Peuple du Kirghizistan , a été supprimée par la révision constitutionnelle de 2003). Les institutions kirghizes comportent cependant un organe de représentation original -le Kouroultaï , ou Assemblée des Peuples du Kirghizistan - qui, s'il ne constitue pas une assemblée parlementaire proprement dite, en rappelle certains traits et offre un espace d'expression politique aux différentes composantes de la société kirghize.

L'ex seconde chambre du Parlement, supprimée en 2005 (pour mémoire)

Ses 45 membres élus pouvaient présenter des propositions de loi en matière budgétaire et d'organisation territoriale et administrative, mais ne disposaient pas du droit d'amendement. La seconde chambre participait à l'exercice du pouvoir législatif, les lois devant être adoptées par les deux assemblées ; toutefois, en cas de rejet par la seconde chambre, l'Assemblée législative pouvait surmonter son opposition en seconde lecture, à une majorité qualifiée (variable selon le sujet). Dans le domaine constitutionnel, elle disposait d'un droit d'initiative, soumis à l'accord de l'Assemblée législative à la majorité des deux tiers.

La seconde chambre disposait en outre de pouvoirs de contrôle (elle pouvait adopter une motion de censure à l'encontre du Premier ministre) et participait à la nomination d'un certain nombre de membres d'autres hautes institutions (Cour des Comptes, Procureur général, etc...).

Parmi ses autres attributions, la seconde chambre était compétente pour interpréter officiellement la Constitution et les lois adoptées, pour modifier les frontières de la République Kirghize et pour régler l'organisation territoriale et administrative du pays.

L'Assemblée des Peuples du Kirghizistan ( Kouroultaï )

Le Kouroultaï n'est pas une assemblée permanente. Il permet de réunir en grand nombre (plusieurs centaines) des délégués de la société kirghize dans toute sa diversité -notamment ethnique- issus des régions, des organes de l'autonomie locale et des minorités nationales (Russes, Ouzbeks, Ukrainiens...).

Dans une totale liberté d'expression, les délégués peuvent évoquer les sujets les plus divers et faire remonter les doléances de la société civile vers les organes de l'État, qui suivent leurs travaux avec attention. Les délégués au Kouroultaï tiennent des séances de travail préparatoires avec les députés du Jogorkou Kenech.

La 7ème réunion du Kouroultaï s'est tenue à Bichkek les 17 et 18 juin 2011, rassemblant plus de 800 délégués, en présence de la Chef de l'État, du Premier ministre, du Président du Parlement et de nombreuses personnalités politiques.

Lors de cette réunion, le Président du Parlement a regretté que le Kouroultaï n'ait pas été convoqué en 2010 au moment des troubles interethniques ; de manière assez symptomatique, il a même estimé souhaitable de réfléchir aux moyens de transformer le Kouroultaï en organe consultatif proprement dit.

En dépit des incertitudes qui pesaient sur le déroulement du référendum constitutionnel du 27 juin, le Gouvernement provisoire a réussi à assurer l'ouverture de tous les bureaux de vote et à organiser le vote des personnes déplacées. Il en ressort un régime semi-parlementaire dont il est encore trop tôt pour juger les résultats.

Quant aux élections législatives du 10 octobre 2010, bien que saluées par la communauté internationale et l'OSCE pour leur pluralisme et leur respect des standards démocratiques, elles ont souffert de l'émiettement de l'électorat, accentué par le mode de scrutin.

Ainsi, sur les 32 partis enregistrés au Kirghizistan, seulement cinq formations ont franchi le double seuil d'obtention de siège (5 % des suffrages exprimés sur l'ensemble du territoire et 0,5 % dans chacune des neuf circonscriptions que compte le pays), soit :

COALITION MAJORITAIRE

OPPOSITION

ATA JURT (M. Tachiev), parti nationaliste proche de l'ancien Président Bakiev, 28 sièges (mais seulement 8,5 % des votes)

SDPK (Parti social démocrate de M. Atambaiev), 26 sièges

RESPUBLICA (M. Babanov), 23 sièges

AR NAMYS (M. Koulov), 25 sièges

ATA MEKEN (M. Tekebaiev), 18 sièges

Soit au total120 députés, dont 23 % de femmes

Dans un tel contexte, il faudra attendre le scrutin présidentiel de décembre 2011 pour voir dans quel sens peuvent encore évoluer les institutions kirghizes ; mais au-delà des incertitudes et des interrogations de beaucoup d'observateurs occidentaux, une évidence s'impose dès à présent : en ayant opté résolument pour un système de type parlementaire -avec les avantages mais aussi, le cas échéant, les inconvénients qu'il comporte- le Kirghizistan a fait un choix difficile, certes, mais qui force l'admiration 2 ( * ) .

En tout état de cause, ce choix justifie que des pays comme la France -expérimentés de longue date dans les procédures démocratiques- et que l'Union européenne 3 ( * ) ou des organisations internationales comme le Conseil de l'Europe soutiennent sa démarche, notamment à travers des actions de coopération dans le domaine des droits de l'Homme et du renforcement des institutions démocratiques 4 ( * ) .

2. Un projet de coopération interparlementaire avec l'assemblée kirghize

Les relations bilatérales franco-kirghizes sont excellentes. Notre pays a ainsi a établi des relations diplomatiques avec le Kirghizistan dès février 1992 et a ouvert à Bichkek en 2004 une antenne diplomatique, transformée en ambassade de plein exercice en décembre 2009 5 ( * ) . A ce jour, la France et l'Allemagne sont les deux seuls États de l'Union européenne à disposer d'une ambassade à Bichkek.

Réciproquement, le Kirghizistan n'a pas encore d'ambassadeur résident en France, sa représentation étant assurée par l'ambassadeur en poste à Bruxelles, S. Exc. M. Jyrgalbek Azylov, également délégué auprès de l'UNESCO 6 ( * ) .

Mais rien n'interdit d'envisager, dans un avenir proche, que le Kirghizistan puisse lui-aussi installer un représentant à Paris, selon une formule restant à déterminer ; cette question a d'ailleurs été abordée à plusieurs reprises, lors des entretiens entre la délégation sénatoriale et les autorités kirghizes ( cf. infra le compte rendu de l'audience de la Présidente de la République, Mme Rosa Otounbaeva) 7 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, ce climat de bonne coopération au niveau des gouvernements pourrait trouver son corollaire, au plan parlementaire, dans un programme de coopération interparlementaire entre le Sénat et l'assemblée kirghize (désignée « Jogorkou Kenech » selon la terminologie officielle kirghize). Ainsi qu'il a été indiqué dans l'introduction du présent rapport, ce projet a été évoqué le 2 mars dernier au cours de l'entretien entre la Présidente Kirghize, Mme Rosa Otounbaeva, et le Président Gérard Larcher, qui a demandé au groupe d'amitié d'en envisager les modalités en coordination avec les services du Sénat.

Dans cette perspective, le groupe d'amitié a élaboré un avant-projet -au demeurant assez classique- d'accord de coopération technique interparlementaire entre le Sénat et le Jogorkou Kenech ; ce projet prévoit différentes actions telles que des échanges mutuels destinées à enrichir, à approfondir et à perfectionner l'exercice du mandat des parlementaires et l'accomplissement des fonctions de leurs différents collaborateurs, autour de thèmes et de domaines d'intérêt commun pouvant porter, notamment, sur l'activité et la procédure législative, le contrôle parlementaire, l'action protocolaire, la documentation parlementaire et toutes les disciplines de la science administrative intéressant le fonctionnement des assemblées parlementaires.

B. LES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT DU KIRGHIZISTAN DANS SON CONTEXTE RÉGIONAL

Petit pays enclavé et montagneux, tributaire de ses échanges avec ses voisins et avec la Russie, le Kirghizistan ne dispose pas de ressources propres lui permettant de se hisser seul à un niveau de développement comparable, par exemple, à celui du Kazakhstan ou de l'Ouzbékistan. De ce fait, les perspectives de développement du Kirghizistan se trouvent très liées à son environnement, régional et international.

1. La République Kirghize au coeur d'enjeux sécuritaires régionaux

Historiquement, l'Asie centrale a été -et reste encore aujourd'hui- une zone de passage et de contact entre des civilisations et des peuples très différents , avec les potentialités commerciales et culturelles mais aussi les risques qu'induit cette confrontation. Comme ses voisins, le Kirghizistan est ainsi confronté à des défis sécuritaires dont la maîtrise conditionnera probablement en large part son développement économique et social dans les années à venir.

• Les tensions interethniques

A cet égard, un première priorité semble être l'apaisement des rivalités interethniques qui affectent ce pays . En effet, l'actuel tracé de ses frontières et les déplacements plus ou moins forcés de populations pendant plus d'un siècle -passif hérité des époques de domination tsariste puis soviétique- y entretiennent des tensions qui ont malheureusement pris une tournure dramatique lors d'une flambée de violences meurtrières ayant éclaté du 10 au 14 juin 2010 dans les régions de Och et de Djalal-Abad. Un bilan officiel récent ferait état de plus de 300 morts (mais des ONG ont avancé des chiffres plus de 10 fois supérieurs) et presque 400 000 personnes déplacées.

Dans les jours qui ont suivi, sur la proposition de l'ambassadeur d'Ouzbékistan en France, S. Exc. M. Aloev, le groupe d'amitié du Sénat a tenté de mieux s'informer sur ces évènements, dont il était difficile de comprendre les causes et le déroulement à partir des seules informations parcellaires publiées par la presse occidentale. A cet effet, le 30 juin 2010, le groupe a organisé un petit déjeuner d'information et la projection d'un reportage vidéo tourné sur place, qui met en évidence les atteintes très graves subies dans ces circonstances par la population, notamment par la communauté ouzbèke établie au Kirghizistan (même si des Kirghizes ont également souffert d'exactions).

Lors de sa mission en avril 2011, la délégation sénatoriale n'a pas cru diplomatiquement possible de revenir sur ce sujet avec ses interlocuteurs, d'autant que le calme semble maintenant rétabli 8 ( * ) ; pour autant, elle n'ignore pas que la question des minorités demeure posée, ainsi que celle des « enclaves territoriales », sources potentielles de tensions locales et régionales (Barak, village sous administration kirghize en Ouzbékistan ; Sokh et Chakhimardan, enclaves ouzbèkes au Kirghizistan ; Voroukh, enclave tadjike au Kirghizistan...).

Dans le même temps, certaines informations font état de la montée d'un courant nationaliste radical kirghize ces derniers mois, peu propice à l'apaisement des tensions.

Aussi, le groupe sénatorial d'amitié, dans le total respect de la souveraineté des autorités kirghizes pour gérer cette question -et compte tenu de l'image extrêmement négative que de tels épisodes renvoient à l'opinion publique internationale- les appelle-t-il à indemniser si possible les victimes et à tout mettre en oeuvre pour éviter que des événements de ce type se reproduisent 9 ( * ) .

• Le trafic de stupéfiants et les menaces de l'islamisme radical

Comme ses autres voisins centre-asiatiques, le Kirghizistan est confronté à deux autres risques sécuritaires sérieux : des menaces islamistes au sud , notamment sous l'influence d'éléments du Hizb-ut-Tahrir (mouvement international prônant le rétablissement d'un califat mondial, interdit dans les cinq pays d'Asie centrale) et le trafic de stupéfiants en provenance, notamment, de d'Afghanistan 10 ( * ) .

La situation économique assez difficile du pays avive ces risques, et des observateurs autorisés ont dénoncé certaines collusions entre les narcotrafiquants et le monde politique 11 ( * ) .

Bien évidemment, par leur ampleur et leur complexité, ces phénomènes débordent largement les frontières kirghizes, imposant à tous les États de les traiter dans un cadre de coopération régionale et internationale.

Ainsi, lors de sa visite à Bichkek, la délégation sénatoriale a constaté que ses interlocuteurs y accordaient tous une grande attention, le Kirghizistan étant déjà activement engagé dans plusieurs programmes internationaux de lutte contre la drogue, dont certains en partenariat avec la France.

Le Kirghizistan est membre du CARICC ( Central Asia Regional Information and Coordination Center ), une plate-forme de renseignements assez comparable a EUROPOL, et où la France siège comme observateur. Le CARICC est chargé principalement de lutter contre le trafic de stupéfiants dans la région, et regroupe les cinq pays d'Asie centrale, plus l'Azerbaïdjan et la Russie.

Les autorités kirghizes participent également à plusieurs programmes bilatéraux, avec différents pays dont les États-Unis et, principalement, la Russie ; selon des informations publiées récemment, Moscou aurait même engagé des discussions en vue d'implanter une seconde base militaire au Kirghizistan 12 ( * ) , spécialement destinée à endiguer le passage de l'héroïne venant d'Afghanistan.

2. Une situation économique encore assez précaire

Le Kirghizistan ne dispose en quantité significative que de deux produits d'exportation : de l'or et de l'eau.

Les métaux précieux et les produits minéraux connexes constituent 60 % de ses exportations, l'activité économique du pays étant ainsi en grande part dépendante de la production de la plus importante mine d'or, KUMTOR. Le secteur agricole contribue quant à lui à 30 % du PIB, mais il emploie plus de 50% de la population active. Une grande part des ressources extérieures vient des transferts monétaires des travailleurs kirghizes expatriés (en Russie et au Kazakhstan, notamment), à hauteur de près de 30 % du revenu national.

Faisant preuve, sur le plan économique, de la même ouverture que sur le plan politique, le Kirghizistan a joué la carte de l'économie de marché et de la libéralisation des structures de production. Il a été le premier État de la CEI -et le seul d'Asie centrale- à accéder à l'OMC en 1998 grâce à son engagement dans le processus des réformes, qui ont abouti à des succès indéniables, notamment les privatisations (75 %  du PIB est désormais d'origine privée) et la réforme du système bancaire.

Malgré cela -et en dépit d'un taux de croissance positif depuis plusieurs années (+ 2,3 % en 2010)- le Kirghizistan demeure en 2011 un pays pauvre , et même pratiquement le plus pauvre dans l'espace CEI, immédiatement devant son voisin tadjik ; à ce titre, il a été reconnu en avril 2006 éligible à l'initiative « Pays pauvres très endettés » mais les autorités kirghizes, divisées sur la question, ont finalement décliné cette offre pour des raisons de prestige extérieur, prétextant des conditionnalités trop contraignantes et inacceptables pour leur opinion publique.

Là encore, l'ouverture vers l'extérieur représente pour le Kirghizistan une voie incontournable de développement , notamment dans le cadre de sa coopération avec son partenaire historique privilégié, la Russie et, de plus en plus, avec son voisin immédiat, la Chine (dans le cadre de l'Organisation de Coopération de Shanghai et à travers les investissements chinois dans l'économie kirghize, la Chine étant après la Russie le deuxième fournisseur du pays).

En revanche, la coopération centre-asiatique ne semble pas générer au Kirghizistan des retombées économiques très considérables et continue de se heurter à des obstacles régionaux comme la question des minorités ou la persistance de contentieux frontaliers. Surtout, l'Asie centrale pâtit de l'absence de réelle complémentarité entre les économies des pays concernés (la division internationale de la production, imposée par le système soviétique, continue de produire ses effets préjudiciables), comme en témoigne l'absence de gestion concertée des ressources en eau.

C'est ainsi que le Kirghizistan reste très tributaire de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan pour son approvisionnement énergétique en gaz et en pétrole, tandis que ces deux pays « de l'aval » dépendent des ressources en eau des pays amonts (le Tadjikistan et le Kirghizistan), sans pour autant que cette interdépendance logique ait pu déboucher sur des accords régionaux apportant à chaque État les assurances et les garanties mutuelles adéquates.

Compte tenu de la complexité du problème de l'eau en Asie centrale, le groupe d'amitié du Sénat estime qu'il gagnerait à être traité, non pas de manière unilatérale ou bilatérale, mais dans un cadre de coopération régionale ; dans d'autres parties du monde, cette formule a démontré son efficacité 13 ( * ) ( cf. infra les développements consacrés à cette question à propos de la politique de l'eau au Tadjikistan).

C. L'AUDIENCE ACCORDÉE PAR LA PRÉSIDENTE OTOUNBAEVA

Comme toujours en pareil cas, l'audience accordée à la délégation sénatoriale par le Chef de l'État a représenté le temps fort de cette visite du groupe d'amitié au Kirghizistan, prolongeant les premiers contacts que le Président André Dulait et M. Aymeri de Montesquiou avaient déjà eu l'occasion de prendre avec Mme Otounbaeva quelques semaines auparavant, lors de sa visite au Sénat en mars 2011.

Lors de l'audience, la Présidente kirghize est revenue sur cette visite, et a remercié le groupe d'amitié d'avoir concrétisé aussi rapidement son projet de mission à Bichkek, dont elle-même et le Président Gérard Larcher avaient arrêté le principe ; elle a également noté avec intérêt que le groupe d'amitié du Sénat était disposé à animer un programme de coopération interparlementaire avec le Jogorkou Kenech, ainsi que les députés qui l'accompagnaient en France en avaient exprimé la demande.

Désignée Chef de l'État ad interim en avril 2010, et confirmée dans cette fonction lors du référendum constitutionnel du mois de juin 2010 (sans toutefois pouvoir se porter candidate au prochain scrutin présidentiel de décembre 2011), Mme Rosa Otounbaeva est une personnalité remarquable, seule femme à la tête d'un État en Asie centrale et seule dirigeante politique de la région à marquer une volonté réelle d'instaurer un système en totale rupture avec la pratique autoritaire et personnelle du pouvoir. Elle a su rétablir la stabilité de l'ordre constitutionnel durant les moments très difficiles qu'a traversés le Kirghizistan en 2010, organiser des élections et, depuis lors, faire fonctionner les institutions dans le respect des nouvelles règles constitutionnelles.

L'audience de Mme Rosa Otounbaeva,
Présidente de la République du Kirghizistan (au centre) ;
à gauche, l'ambassadeur de France M. Thibaut Fourrière.

Mme Otounbaeva a engagé son propos en rappelant que son pays avait fait le choix de la démocratie, la « Révolution du 7 avril » étant à ses yeux un acte fondateur un peu comparable au 14 juillet 1789 en France. Elle a reconnu que ce choix se révélait difficile à mettre en oeuvre, d'autant que les mentalités restaient empreintes d'anciens réflexes. Elle a constaté que l'actuelle coalition gouvernementale était traversée par des tendances centrifuges 14 ( * ) , assez classiques si on compare à d'autres systèmes parlementaires (l'Italie, le Japon, ...) mais qui, l'espérait-elle, ne tueraient pas dans l'oeuf le processus de démocratisation au Kirghizistan.

Elle a souhaité qu'à tout le moins les équilibres parlementaires actuels soient préservés pour éviter de devoir recourir à des législatives anticipées et que dans leur sagesse, les partis politiques et les électeurs acceptent de ne pas les remettre en cause, le cas échéant, avant le prochain scrutin présidentiel.

En réponse à une question du Président André Dulait sur la situation des frontières kirghizes, Mme Otounbaeva est convenue qu'il s'agissait d'une source de préoccupation permanente. La situation lui a paru parfaitement stabilisée avec la Chine et le Kazakhstan, beaucoup plus tendue avec l'Ouzbékistan (avec une frontière fermée et quasi-fortifiée du côté ouzbek) et malheureusement problématique avec le Tadjikistan, dont les frontières poreuses et difficiles à contrôler facilitent les trafics de toute sorte (drogues, êtres humains, etc...), pour partie en provenance d'Afghanistan.

La Présidente a jugé que les frontières avec le Tadjikistan étaient moins bien gardées aujourd'hui qu'à l'époque où leur surveillance était assurée par les Russes, problème aggravé par la corruption générée par les difficultés économiques actuelles ; elle a souhaité que la coopération internationale aide son pays à mieux gérer cette question.

A M. Aymeri de Montesquiou , qui faisait observer que le choix de la démocratie aurait de meilleures chances de s'ancrer durablement si le pays -qui disposait d'atouts non négligeable, notamment l'or et l'eau- pouvait atteindre un développement économique suffisant, Mme Otounbaeva a confirmé que le Kirghizistan disposait de ressources extractives -des mines d'or, notamment- et d'un potentiel hydroélectrique important qui, en théorie, devraient lui permettre d'accéder à un niveau de développement plus confortable. Mais elle a constaté que beaucoup d'installations de production électrique étaient aujourd'hui vétustes, provoquant des déperditions techniques de l'ordre de 15 % de l'énergie produite, sans compter un haut niveau de corruption dans le secteur énergétique, qui portait en réalité les détournements et les pertes à plus de 40 %.

La Présidente a rappelé qu'au temps de l'URSS, la répartition internationale de la production était fondée sur un principe d'interdépendance empêchant chaque République de disposer à elle seule des moyens de son indépendance économique ; après 1991, le Kirghizistan avait continué sur cette lancée à exporter de l'électricité vers l'Ouzbékistan et à importer du gaz ouzbek, alors-même qu'il n'était pas en mesure d'assurer la régularité de son propre approvisionnement énergétique, au point d'avoir subi cet hiver des coupures de courant entraînant la fermeture de nombreuses écoles, situation sans précédent depuis 70 ans. Mme Otounbaeva a souhaité dans cette perspective que des investisseurs étrangers se mobilisent pour valoriser le potentiel hydroélectrique kirghize, tout en déplorant que pour le moment, les aides étrangères demeuraient faibles.

En réponse à une question de M. Jean-Marc Pastor , Président délégué pour le Kirghizistan, sur les rapports entre le Kirghizistan et ses proches voisins d'Asie centrale, Mme Otounbaeva a estimé qu'en fait, il n'existait pas de véritable solidarité centre-asiatique permettant de déboucher sur une sorte de « marché commun » ou d'espace politique intégré ; elle a ainsi remarqué que les relations entre le Kirghizistan et la Chine ou la Russie étaient somme toute plus denses qu'avec les autres pays d'Asie centrale.

Répondant ensuite à plusieurs autres questions des sénateurs sur les perspectives de la coopération économique avec la France, Mme Otounbaeva a remercié notre pays d'avoir apporté son soutien au processus de démocratisation et d'avoir fourni une aide humanitaire très appréciée au lendemain des violences interethniques survenues l'année dernière dans le sud. Dans l'immédiat, la Présidente a souhaité que la France puisse contribuer à la rénovation des équipements hydroélectriques du Kirghizistan, notamment en l'aidant à se doter d'une ligne neuve (65 km d'un câble spécial produit par une compagnie française) nécessaire pour remédier aux déperditions d'énergie lors du transport. En revanche, pour la gestion de certains domaines comme l'assainissement ou le traitement des déchets ménagers, il ne lui a pas paru possible de faire appel à des entreprises françaises, l'idée d'imposer aux consommateurs le paiement d'une redevance pour rémunérer le concessionnaire et financer les équipements adéquats lui semblant trop éloignée, pour le moment, de la mentalité de ses compatriotes.

A l'issue de cette audience, le Président André Dulait a assuré la Présidente Otounbaeva du plein soutien du groupe sénatorial d'amitié pour essayer de faciliter l'avancement de certains dossiers bilatéraux, notamment l'ouverture d'une représentation diplomatique kirghize à Paris, sous une forme à déterminer le moment venu.

*

* *

II. TADJIKISTAN, DE L'OR BLANC À L'OR BLEU...

Avec 143 000 km², le Tadjikistan est en superficie le plus petit des cinq États d'Asie centrale, mais sa population d'environ 7,4 millions d'habitants dépasse celle de son voisin kirghize (seulement 5,4 millions d'habitants). En revanche, comme le Kirghizistan, il forme un pays enclavé, sans accès à la mer, dont le territoire est principalement constitué de montagnes ; plus de la moitié du Tadjikistan est située à une altitude supérieure à 3 000 m avec un point culminant à 7 495 m (l'actuel Pic Ismail Samani, ancien Pic Staline rebaptisé par la suite Pic du Communisme) ; l'est du pays, dans la région du Haut-Badakhchan, est constitué de hauts plateaux de type tibétain -le Pamir- à la lisière nord desquels s'élèvent les plus hauts pics.

A son enclavement vis-à-vis de l'extérieur, s'ajoute une sorte d'enclavement intérieur puisque le Tadjikistan est coupé en son centre par des chaînes de montagnes orientées est-ouest (notamment les Monts Alaï), qui interdisent en hiver les communications terrestres entre la capitale, Douchanbé, et le nord du pays.

Dans un certain sens, cette configuration montagneuse représente aussi pour le Tadjikistan un potentiel de développement régional considérable, car les glaciers du Pamir sont la principale source d'eau de l'Asie centrale, transportée en aval notamment par deux vastes fleuves, le Syr-Daria et de l'Amou-Daria.

Le climat du Tadjikistan, de type continental, dépend surtout de l'altitude, avec des écarts pouvant variant entre - 20° l'hiver sur les hauts plateaux du Pamir et + 30° l'été dans les vallées.

Ainsi qu'on le constate sur la carte reproduite dans le présent rapport, le Tadjikistan est divisé administrativement en quatre provinces : deux provinces ordinaires ( viloyat ), la province autonome du Haut-Badakhchan -qui englobe le Pamir- et une région dite « de subordination républicaine », directement administrée par le pouvoir central ; la capitale Douchanbé constitue une unité administrative ad hoc ne relevant d'aucune province.

Sur bien des points, l'histoire du Tadjikistan ressemble et se mêle à celle des autres peuples de l'Asie centrale, avec des invasions et des occupations successives, en particulier par les tribus turco-mongoles puis par les Arabes, les armées tsaristes et, au XXème siècle, par les troupes bolchéviques qui en firent d'abord une République autonome rattachée à l'Ouzbékistan, puis une République socialiste soviétique à part entière en 1929.

LE TADJIKISTAN EN QUELQUES REPÈRES

- Avril 2011 -

(source : ministère des Affaires étrangères et européennes)

Nom officiel : République du Tadjikistan

Président de la République : Emomali Rakhmon

Données géographiques

Superficie : 143 100 km2

Capitale : Douchanbé

Villes principales : Khodjent, Kouliab, Kourgan-Tioubé

Langue officielle : tadjik

Langue courante : russe (langue de communication interethnique)

Monnaie : Somoni

Fête nationale : 9 septembre (Fête de l'Indépendance)

Données démographiques

Population : 7,349 millions (estimation, juillet 2009)

Densité : 50 habitants/km²

Croissance démographique : 1,9 % (estimation 2009)

Espérance de vie : 65 ans (50 % de la population a moins de 17 ans)

Taux d'alphabétisation : 99,5 %

Religion(s) : Islam sunnite (90 %), minorité de chiites ismaéliens (dans le Pamir, 5%), orthodoxie (200 000)

Indice de développement humain : 127ème sur 182 (classement ONU 2009)

Données économiques

PIB (2008) : 5,2 milliards de dollars

PIB par habitant (2008, PPA) : 1 800 dollars

Taux de croissance (2008) : 7,9 % (-3 % est. 2009)

Taux d'inflation (2008) : 20,5 % (6,7 % est. 2009)

Solde budgétaire (2008) : 1,9 % PIB

Balance commerciale (2008) : - 1,9 Mds de dollars

Principaux clients (2008) : Pays-Bas (36,7%), Turquie (26,5%), Russie (8,6%)

Principaux fournisseurs (2008) : Russie (32 %), Chine (11,9 %), Kazakhstan (8,8 %)

Part des principaux secteurs d'activités dans le PIB (2008) :

- agriculture : 23 %

- industrie : 27 %

- services : 50 %

Exportations de la France vers le Tadjikistan : 5,4 millions d'euros

Importations françaises du Tadjikistan : 7,3 millions d'euros

Communauté française au Tadjikistan : une vingtaine de personnes (ONG et organisations internationales), hors contingent militaire (200 personnes)

Comme ses voisins, le Tadjikistan a longtemps été parcouru par des caravanes de la Route de la soie, puis a été contraint, pendant l'ère soviétique, à une monoculture outrancière du coton, ce prétendu « or blanc » qui, avec le recul, a profondément perturbé les équilibres traditionnels du pays et provoqué, au Tadjikistan comme dans les pays aval, des dégâts écologiques considérables, le plus catastrophique étant évidemment l'assèchement quasi irrémédiable d'une grande partie de la Mer d'Aral.

Pour autant, le Tadjikistan présente par rapport à ses voisins plusieurs spécificités historiques, culturelles et démographiques qui l'en démarquent assez notablement.

Tout d'abord, le Tadjikistan est le seul État persanophone de la région (la langue tadjike appartient à la famille indo-européenne et est apparentée à l'iranien, alors que les langues majoritaires pratiquées les autres républiques d'Asie centrale se rattachent à la famille des langues turques). Il tient ce particularisme de l'héritage des Samanides dont le vaste empire, à partir du IX ème siècle, s'étendait du Khorasan, en Iran, aux limites orientales du Tadjikistan et de l'Afghanistan (avec pour capitale Boukhara, aujourd'hui sur le territoire de l'Ouzbékistan).

Par ailleurs , si la majorité de la population se réclame de l'Islam sunnite, on note au Tadjikistan la présence d'une forte communauté ismaélienne , notamment à l'est dans le Pamir (en fait, la province du Gordo-Badakchan , qui représente près de la moitié de la surface totale du pays), où cette forme particulière de l'Islam est fortement implantée. C'est la raison pour laquelle les institutions ismaéliennes, à travers l'Aga Khan Development Network (ADDN), occupent une position importante au Tadjikistan, retracée plus en détail dans la dernière partie du présent rapport.

Enfin, à la différence des autres pays d'Asie centrale, l'accession du Tadjikistan à indépendance s'est déroulée selon un processus chaotique et violent , ayant débuté par des émeutes dès 1990, une succession de prises de pouvoir et d'affrontements meurtriers entre les prétendants, dégénérant en une guerre civile généralisée entre les forces post-communistes et une opposition hétéroclite allant des démocrates libéraux aux mouvements islamistes, en passant par une série de groupes ethniques et de clans locaux. Cette guerre civile s'est prolongée jusqu'en 1997, causant au total plus de 50 000 morts, des déplacements massifs de population et la fuite en Afghanistan d'environ 70 000 combattants islamistes.

Aucun camp n'étant parvenu à se démarquer par la force, c'est finalement sous l'égide des Nations Unies, de la Russie et de l'Iran qu'un « Accord général sur la Paix et la Réconciliation nationale » sera conclu en juin 1997, confirmant à la tête de l'État M. Emomali Rakhmon, l'ancien Président du Parlement qui avait lui-même remplacé le Président Nabiyev, capturé entretemps par l'opposition.

Depuis lors, le Président Rakhmon a été réélu en 1999, puis en 2006. Les milices islamistes ont quant à elles été pour la plupart désarmées, certains de leurs membres étant ensuite intégrés dans les forces de l'ordre (comme l'a rappelé le Président Rakhmon durant l'audience accordée à la délégation sénatoriale - cf. infra ).

A. UN CHÂTEAU D'EAU AU RÉGIME SEC...

Sur le plan économique, le Tadjikistan est aujourd'hui le pays le plus pauvre de toute la CEI , et beaucoup de gens y vivent nettement moins bien qu'à l'époque soviétique.

Plus de 40 % de la population subsiste avec moins de 2 dollars par jour et selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM), près de 1,5 million d'habitants souffriraient de malnutrition chronique. Le revenu national du pays serait tributaire pour près de 50 % des transferts privés des quelque un million de travailleurs tadjiks émigrés (environ 2 milliards de dollars US en 2010, selon les statistiques de la Banque centrale russe), pour la plupart en Russie où ils sont régulièrement victimes de vexations et de brimades xénophobes.

Le pays produit, certes, de l'aluminium (entreprise Talco) -un peu plus de 420 000 tonnes en 2007- mais pas son alumine, qu'il doit donc importer. Pour le reste, il est pareillement dépendant de ses importations (en provenance, notamment, du Kazakhstan, d'Ouzbékistan et du Turkménistan), aussi bien pour les produits alimentaires que pour son énergie.

Cette pauvreté pourrait s'expliquer si le pays était dépourvu de toute ressource, mais tel n'est pas le cas ; en effet, le Tadjikistan dispose en abondance d'une ressource particulièrement recherchée : l'eau, véritable « or bleu » qui pourrait y être une « source de vie [...] dans cette Mésopotamie entre Amou Daria et Syr Daria », pour reprendre une expression imagée de l'ambassadeur de France dans un article récent 15 ( * ) .

1. Une économie à l'étiage

Une des freins au développement économique du Tadjikistan tient sans doute à la défiance qu'il a longtemps suscitée auprès des investisseurs étrangers et des institutions financières internationales, d'abord en raison de la guerre civile puis, une fois le calme revenu, du fait d'une forte corruption dans beaucoup de secteurs d'activité et de centres de décision économique, y compris au niveau de la Banque nationale.

Sur ce plan, la situation se redresse un peu, car pour restaurer la confiance des bailleurs, les autorités tadjikes ont accepté en 2008 un audit international de la Banque nationale et des deux grandes entreprises publiques Barki-Tojik (production d'électricité) et Talco (production d'aluminium).

Un autre facteur de stagnation économique réside dans les fragilités structurelles de la monoculture intensive du coton qui, comme à l'époque soviétique, demeure aujourd'hui une composante majeure de la production intérieure, tout en ayant diminué en volume (la récolte n'atteint que les 2/3 de son niveau antérieur) et en étant plus exposée qu'auparavant à la volatilité des cours internationaux.

Dans ce contexte, le développement économique futur du Tadjikistan semble passer par une valorisation plus effective de son potentiel hydraulique et hydroélectrique , sachant que les montagnes tadjikes produisent à elles seules plus de 60 % du total de l'eau potable de la région -ce qui vaut au pays l'appellation de « château d'eau de l'Asie centrale »- et recèlent un potentiel de 500 millions de kW/h 16 ( * ) , suffisant pour satisfaire les besoins en électricité du Tadjikistan et, pour partie, de plusieurs de ses voisins centrasiatiques.

Or, selon les indications fournies par le ministre tadjik des Ressources en eau, M. Rakhmat Bobokolonov, lors du très intéressant entretien qu'il a accordé à la délégation sénatoriale le 21 avril, le Tadjikistan n'aurait la libre disposition que de moins de 10 % de l'eau qu'il produit.

Plus singulier encore, le Tadjikistan subit périodiquement des pénuries d'énergie -y compris électrique- entraînant souvent des coupures de chauffage pendant la saison hivernale. Faute d'équipements adaptés, la production hydroélectrique annuelle n'atteindrait qu'environ 17 millions de kW/h, le pays en étant réduit à importer non seulement des hydrocarbures, mais également de l'électricité.

En définitive, même en prenant en compte les handicaps objectifs susceptibles de freiner le développement économique du Tadjikistan (l'enclavement et l'altitude d'une grande partie de son territoire, la vétusté des équipements et des structures hérités de la période soviétique, les coûts éducatifs et sociaux pour faire face à un taux élevé de natalité, etc...), il apparaît un hiatus frappant -pour ne pas dire choquant- entre d'un côté le potentiel productif considérable du Tadjikistan et, de l'autre, sa situation économique réelle , particulièrement dégradée.

2. Une nécessaire « diplomatie régionale de l'eau »

Pour un pays, produire beaucoup d'eau n'a guère d'intérêt s'il ne peut en tirer parti pour assurer son propre développement économique : autant que la délégation sénatoriale puisse en juger, c'est à un blocage de ce type que le Tadjikistan semble aujourd'hui confronté.

En effet, une des difficultés majeures qu'il rencontre pour valoriser plus efficacement son potentiel hydroélectrique réside moins dans des problèmes techniques ou de financement que dans le caractère hautement sensible de la question de l'eau en Asie centrale , pouvant déboucher sur des rapports quasi-conflictuels entre les deux pays de l'amont (le Kirghizistan et le Tadjikistan) et les trois pays de l'aval (le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan). Ayant eux-aussi d'énormes besoins d'eau douce -notamment pour assurer l'irrigation de leurs propres champs de coton- et donc très soucieux de leur propre approvisionnement, les pays de l'aval ne sont de fait guère enclins à la remise en cause des équilibres actuels .

Dans le système soviétique, la question de l'eau était gérée depuis Moscou. Mais après l'indépendance, elle devint rapidement une revendication nationale plutôt qu'une problématique appréhendée dans sa dimension régionale , en dépit d'un Accord de coopération signé le 18 février 1992 par les cinq ministres compétents ( Accord de coopération pour une gestion concertée des ressources en eau et pour la préservation des sources interétatiques , connu sous le nom d' Accord d'Almaty ).

Selon cet accord, la région centrasiatique constitue une communauté et dispose d'une unité des ressources en eau, chaque État-membre étant tenu d'empêcher sur son territoire toute action pouvant porter atteinte aux intérêts des autres Parties, leur causer des dommages et entraîner un écart par rapport aux valeurs admises pour l'évacuation d'eau et la pollution des sources d'eau ; en outre, les cinq États signataires sont convenus de conserver les quotas d'allocation hérités de l'époque soviétique.

L'Accord de 1992 avait surtout pour objet de figer la situation au sortir de l'ère soviétique, mais il ne déterminait pas un véritable cadre de gouvernance multilatérale ; c'est une des raisons pour lesquelles, après deux décennies, les tensions sur l'eau deviennent plus perceptibles entre les pays de l'Asie centrale, et que les équilibres anciens sont de plus en plus contestés par les Parties en présence.

A cet égard, les autorités Ouzbèkes semblent particulièrement préoccupées par les projets tadjiks , invoquant différents arguments scientifiques, techniques et environnementaux pour tenter de démontrer que la construction au Tadjikistan de nouveaux équipements hydroélectriques ou l'implantation de nouveaux systèmes d'irrigation entraîneraient nécessairement des dommages considérables à leurs propres structures et à l'équilibre écologique de toute la région.

En l'état, les critiques ouzbèkes les plus catégoriques vont au projet de construction de l'immense barrage de Rogun .

D'après les renseignements obtenus sur place, cette retenue hydroélectrique devrait atteindre une hauteur de 335 mètres (elle serait ainsi la plus haute du monde) ; comme le barrage de Nurek -que la délégation sénatoriale a pu visiter le 22 avril- celui de Rogun est conçu selon la technique dite de « l'enrochement » (muraille composite de terre et de roches), censée mieux résister que les murs de béton aux tremblements de terre, assez fréquents dans cette région. A terme, la centrale hydroélectrique alimentée par la retenue de Rogun devrait permettre au Tadjikistan d'être totalement autosuffisant en électricité , et d'exporter du courant vers d'autres pays voisins dont, notamment, l'Afghanistan.

Ses détracteurs font valoir différents arguments dont il est évidemment difficile d'évaluer la pertinence.

Trois vues du barrage de Nurek,
deuxième plus haute retenue hydroélectrique au monde (300 m),
construit selon la technique de l'enrochement utilisée pour le barrage de Rogun

Le lac artificiel

La centrale, vue d'en haut

La salle de contrôle

Peu de temps avant son départ, la délégation sénatoriale a par exemple eu communication d'informations alarmistes selon lesquelles le directeur honoraire de l'Institut de sismologie de l'Académie des Sciences du Tadjikistan, Sabit Negmatullaev, prévoirait de puissants tremblements de terre dans les montagnes du Pamir au Tadjikistan au cours des dix prochaines années, le gouvernement du Tadjikistan « feignant d'ignorer les préoccupations des scientifiques et des spécialistes de nombreux pays [qui] tentent d'avertir l'opinion publique internationale des risques potentiels énormes que représente le projet de Rogun. Dans le cas d'un tremblement de terre semblable à celui survenu au Japon, là où se trouvera le barrage de la future station hydroélectrique haut de plus de 335 mètres, il y a aura une forte augmentation de pression de l'eau, provoquée par des distorsions des fondations, elles mêmes dues à des pressions énormes de la colonne d'eau (plus de 300 mètres). Il est clair que le barrage ne pourra pas résister à une telle combinaison de pressions et, en s'effondrant, provoquera un tsunami [...] c'est une vague de plus de 100 mètres de haut qui se précipiterait vers l'aval de Vakhsh. Son potentiel de destruction dépasserait de loin celui du tsunami qui s'est produit au Japon. La destruction du barrage pourrait entraîner alors une catastrophe sans précédent pour l'ensemble de l'Asie centrale, mais surtout pour le Tadjikistan lui-même. Les experts prédisent que dans pareil cas, une énorme masse d'eau se précipiterait en aval du barrage à la vitesse de 130 mètres par seconde, soit 468 km/h en direction de la station hydroélectrique de Nurek. Le barrage de Nurek serait alors complètement détruit, et la ville de Nurek serait submergée par une vague de 280 mètres de hauteur qui déferlerait à une vitesse de 86 mètres par seconde. Toutes les stations hydroélectriques et les complexes hydro énergétiques de la cascade Vakhsh et des villes de Sarban, de Kurgantyube et pratiquement toute la ville de Rumy seraient inondées. Ces villes seraient les premières à subir l'impact de la masse liquide, mais cette dernière poursuivrait ses destructions en inondant également de nombreuses agglomérations humaines au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Turkménistan » 17 ( * ) .

Face aux réticences ouzbèkes, le Président tadjik a appelé les représentants des organisations internationales, des institutions financières régionales et mondiales à coopérer largement afin de définir et réaliser de nouveaux projets d'investissements, prioritairement dans le domaine de l'énergie hydroélectrique. Il a également « invité » ses compatriotes à contribuer financièrement au projet-phare de Rogun, selon une formule de souscription quasi-obligatoire.

Pour l'heure, les positions respectives du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan semblent difficilement conciliables , d'autant qu'elles se fondent des deux côtés sur des intérêts qui, pour être contradictoires, n'en paraissent pas moins légitimes. Il en résulte des tensions et des raidissements que les autorités tadjikes ont dénoncés à plusieurs reprises au cours de cette mission 18 ( * ) .

Pour ce qui le concerne, le groupe d'amitié France-Asie centrale du Sénat considère que cette question complexe gagnerait à être traitée dans le cadre d'une véritable diplomatie régionale de l'eau , permettant de définir les mécanismes d'une coopération régionale rénovée et, le cas échéant, élargie . A cet égard, il ne peut que soutenir des initiatives comme celles prises ces dernières années par les autorités tadjikes en vue de promouvoir un dialogue régional sur l'eau (tenue d'un Forum de l'eau pure à Douchanbé en 2003 ; proposition d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies ouvrant à partir de 2006 une Décennie internationale de l'eau ; Conférence internationale sur le thème de la coopération dans les bassins transfrontaliers organisée à Douchanbé en mai 2005 ; tenue à Douchanbé en juin 2010 d'une Conférence internationale sur l'eau organisée dans le cadre du programme onusien sur la Décennie internationale, ...). Dans la même perspective, le groupe d'amitié considère que la France, forte d'une expertise reconnue sur la problématique de l'eau, serait sans doute bien placée pour aider les Parties intéressées à rapprocher leurs points de vue , selon un processus diplomatique dont il resterait à définir le schéma.

Par ailleurs, une coopération internationale plus effective et complétée, le cas échéant, par le recours à des formules innovantes -par exemple, un partenariat avec des fonds souverains étrangers, comme M. Aymeri de Montesquiou en a avancé l'idée au cours de l'audience du ministre tadjik en charge de l'eau- permettrait sans doute de mieux gérer certains problèmes techniques complexes (les déperditions incontrôlées sur les réseaux d'irrigation, par exemple) tout en facilitant le financement des équipements structurants appropriés 19 ( * ) .

B. LE PARTENARIAT AVEC L'UNION EUROPÉENNE

Le Tadjikistan accorde la plus grande importance à ses relations avec l'Union européenne et a conclu en juin 2004 un accord de partenariat et de coopération avec les Communautés européennes et leurs États membres. Ce texte ayant été soumis à l'approbation des Parlements nationaux, le Sénat français a examiné et adopté le projet de loi de ratification en décembre 2008, sur le rapport du Président du groupe d'amitié, M. André Dulait, présenté au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armée. L'accord est entré en vigueur le 1er janvier 2010, un premier comité de coopération Union européenne-Tadjikistan s'étant réuni en décembre 2010.

Ce partenariat s'inscrit lui-même dans le cadre plus global de la Stratégie de l'Union européenne pour l'Asie centrale, adoptée en juin 2007 et axée sur un certain nombre de thématiques fondatrices (État de droit, Eau et environnement, Éducation, Droits de l'Homme, Sécurité,...) déclinées en priorités nationales. Ce document insiste sur l'importance stratégique de cette région et plaide pour un renforcement de l'influence européenne, tout en rappelant le nécessaire respect par les pays signataires de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit.

La Stratégie s'appuie sur l'Instrument de Coopération au Développement (ICD), au titre duquel, sur la période 2007-2013, plus de 700 millions d'euros devraient être alloués à l'Asie centrale (soit environ trois fois plus que le volume versé entre 2002 et 2006 dans le cadre du programme TACIS), les domaines d'intervention prioritaires étant :

- la réduction de la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie ;

- le développement régional et local ;

- la réforme sectorielle au profit du développement rural et des secteurs sociaux ;

- la réforme économique et la bonne gouvernance ;

- la démocratisation et la bonne gouvernance (défense de la société civile, du dialogue social et de la démocratisation, de la réforme judiciaire et de l'État de droit, amélioration de l'administration publique et de la gestion des finances publiques) ;

- les réformes réglementaires dans les domaines du commerce et des marchés ;

- le renforcement des capacités administratives.

Pour la période restant à courir (2011-2013), la Stratégie a prévu le versement par l'Union européenne d'une subvention d'un montant d'environ 321 millions d'euros en faveur de l'Asie centrale dans le cadre de l'ICD, dont 33 % (environ 105 millions d'euros) pour la promotion de la coopération régionale et des relations de bon voisinage et 66 % (216 millions d'euros) pour des programmes nationaux d'assistance, le Tadjikistan étant le principal bénéficiaire de l'aide bilatérale, avec 62 millions d'euros.

Dans le cas du Tadjikistan, les questions de sécurité et de coopération en matière de contrôle des frontières revêtent une grande importance , ce pays étant situé à toute proximité de l'Afghanistan et du Pakistan, deux États eux-mêmes fortement exposés aux problèmes du terrorisme, de l'islamisme radical et d'un intense trafic de stupéfiants, atteignant près de 30 % du trafic mondial d'héroïne ; eu égard aux répercussions que ces phénomènes peuvent avoir sur la sécurité des pays européens, le partenariat conclu avec l'Union européenne doit donc permettre au Tadjikistan de « devenir un poste avancé de l'Union européenne », pour reprendre l'expression d'un des députés européens ayant participé au débat au Parlement européen.

Au cours de son séjour à Douchanbé, la délégation sénatoriale a rencontré le représentant de l'Union européenne , S. Exc. M. Eduard Auer, et a visité les locaux entièrement rénovés où vient de s'installer la Représentation européenne. Outre les objectifs généraux définis par l'Accord de partenariat, M. Edouard Auer a fourni quelques précisions supplémentaires sur les objectifs à court et moyen termes de l'aide apportée par Union européenne, notamment dans trois domaines : le soutien au secteur sanitaire, le développement du secteur privé (en particulier dans l'agriculture) et le secteur social (spécialement en ce qui concerne le versement des pensions de retraite). Il a en outre rappelé que l'Union européenne s'efforçait d'apporter son concours au Tadjikistan pour préparer son adhésion à l'OMC.

M. Auer a précisé que l'Union européenne n'intervenait pas directement dans le montage, la réalisation et le suivi des programmes qu'elle finance, mais qu'elle verse au Gouvernement tadjik des subventions pour lui permettre de les mettre en oeuvre lui-même, l'accent étant porté sur des structures durables (unités de production ou filière agricole, par exemple) plutôt que sur des organisations consommatrices de crédits mais dont l'existence risquait toujours d'être remise en cause.

Au final, le Représentant de l'Union européenne a considéré qu'avec environ 20 à 30 millions d'euros par an, les aides de l'Union européenne représentaient en moyenne 1 % du PIB total, proportion considérable pour un pays aussi pauvre que le Tadjikistan.

C. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE QUI MÉRITERAIT D'ÊTRE ACCENTUÉE

Indépendamment de l'action de l'Union européenne -dont il faut se féliciter, même si elle ne concourt pas directement à l'influence propre de chacun des États qui la composent- et hormis l'active coopération civilo-militaire liant nos deux pays ( cf. le chapitre suivant du présent rapport), force est de constater que la présence française au Tadjikistan est assez limitée ; elle mériterait sans doute d'être renforcée, notamment dans le domaine économique (où nos entreprises sont quasiment absentes) et dans le domaine culturel.

Cette lacune peut sembler regrettable dans un pays avec lequel, par ailleurs, notre dialogue politique est suivi, notamment du fait du soutien que le Tadjikistan a apporté dès 2001 à notre engagement en Afghanistan aux côtés des autres États de la Coalition 20 ( * ) .

Notre coopération dans le domaine de la sécurité intérieure connaît elle aussi un certain dynamisme, le Tadjikistan étant le premier pays de la région avec lequel la France a signé un accord de coopération en cette matière (décembre 2002) ; nous relayons d'ailleurs cette coopération au niveau de l'Union Européenne et de l'OSCE avec le renforcement de la sécurité aux frontières (programme BOMCA -- Border Management in Central Asia ) et la lutte contre le trafic de drogues (programme européen CADAP - Central Asia Drug Action Program ).

Sur le plan de la sécurité des affaires, les opérateurs économiques disposent d'un cadre juridico-fiscal approprié, puisque lors de la visite officielle du Président Rakhmon à Paris en décembre 2002, un accord de protection réciproque des investissements a été signé entre la France et le Tadjikistan, complété l'année suivante par un protocole de coopération en matière financière et monétaire.

Mais les échanges franco-tadjiks demeurent d'un montant très modeste , nos exportations s'étant élevées à 5,4 millions d'euros et nos importations à 7,3 millions (montants 2008, derniers connus). A ce jour, l'ambassade de France ne recense qu'un très petit nombre d'entreprises françaises implantées au Tadjikistan, avec la présence de seulement quatre bureaux de représentation : EDF, INEO, AREVA, SOFEMA.

En outre, au risque de ternir un peu plus ce panorama assez morne, force est de constater que la construction d'un nouveau terminal de l'Aéroport de Douch anbé -seul véritable projet d'envergure impliquant des entreprises françaises (SOFEMA et Alpha Airport)- s'exécute dans des conditions pour le moins laborieuses , comme l'a noté le Président Rakhmon lors de l'audience accordée à la délégation sénatoriale (message relayé par plusieurs autres personnalités rencontrées durant cette mission)...

Financé sur fonds publics français, ce projet devait atteindre un montant total de 24 millions d'euros, couverts en majeure partie (17 millions d'euros) par un prêt concessionnel du Gouvernement français accordé en contrepartie de la présence du DETAIR depuis 2001 (à propos du DETAIR, cf. infra ). Or le coût estimatif initial s'est trouvé majoré du fait, notamment, de la mise en vigueur entretemps de nouvelles normes applicables à l'aviation civile tadjike, contraignant à modifier les plans, à solliciter des autorisations administratives supplémentaires et, fin 2009, à suspendre les travaux qui n'ont toujours pas repris depuis lors.

Selon un premier tour de consultations avec les sous-traitants en 2010, il est apparu qu'en dépit d'un apport complémentaire français de 3 millions d'euros, la fourniture « clé en main » de la nouvelle aérogare ne pourrait pas tenir dans l'enveloppe de 27 millions d'euros, conduisant la partie tadjike à accepter un report d'achèvement (à fin 2012) et à remettre en discussion les modalités de financement du projet. Lors de la visite de la délégation sénatoriale, la situation semblait dans une impasse temporaire même si, selon l'ambassade de France, plusieurs solutions restaient envisageables.

Le groupe d'amitié espère que cet épisode trouvera rapidement une issue favorable ; il invite d'une manière plus générale les entreprises françaises à porter plus d'attention qu'aujourd'hui aux opportunités du marché tadjik , en particulier dans des secteurs où leur expertise est mondialement reconnue (la gestion de l'eau, par exemple) : c'est d'ailleurs le message qu'ont fait passer les intervenants au colloque économique sur l'Asie centrale (« Les dividendes de la persévérance, les promesses de la confiance »), organisé au Palais du Luxembourg le 12 mai 2011 par le Sénat et Ubifrance 21 ( * ) .

D. L'AUDIENCE ACCORDÉE PAR LE PRÉSIDENT RAKHMON

L'audience accordée à la délégation sénatoriale par le Président Rakhmon -qui a duré beaucoup plus longtemps que prévu- a représenté un moment exceptionnel de la visite de la délégation sénatoriale au Tadjikistan , d'autant qu'elle se situait chronologiquement le surlendemain d'un important discours du Président devant le Parlement, durant lequel le Chef de l'État avait, trois heures durant, développé les quatre axes stratégiques de sa politique : indépendance énergétique, consolidation des mesures étatiques de réforme et de bonne gouvernance, modernisation sociale et politique de coopération régionale et globale.

Le Président Rakhmon a débuté son propos en soulignant que son pays était très désireux de maintenir des liens de coopération privilégiés avec la France, notamment dans des secteurs comme l'eau, où les entreprises françaises jouissaient d'une expertise internationalement reconnue.

Alors que son pays s'apprêtait à célébrer le 20 ème anniversaire de son indépendance, le Président a admis que le chemin parcouru jusqu'à présent avait été difficile mais estimé qu'aujourd'hui, le Tadjikistan était sur la voie d'un développement fondé sur les principes de la démocratie et de la laïcité, et qu'il était désormais prêt à s'intégrer pleinement dans la communauté internationale, ses relations avec l'Union européenne représentant dans cette perspective une priorité stratégique dans le cadre d'un partenariat fondé sur la compréhension mutuelle.

Le Président s'est aussi félicité que la France et le Tadjikistan adoptent souvent des positions communes dans les organisations internationales et mènent une coopération appréciée dans le domaine militaire. Il a souhaité qu'elle se développe dans d'autres secteurs comme l'indépendance énergétique du Tadjikistan ou son autosuffisance alimentaire. Seule ombre au tableau des relations bilatérales, le Président Rakhmon a déploré les retards dans la construction du nouvel aéroport de Douchanbé, beaucoup trop lente par rapport aux engagements pris.

Le Chef de l'État a ensuite assuré que son pays avait pris toutes les mesures adéquates pour lutter contre l'extrémisme, le terrorisme et le trafic de stupéfiants et indiqué que la question afghane était au coeur des préoccupations tadjikes, d'autant que le Tadjikistan pouvait utilement contribuer au redressement de l'Afghanistan en lui fournissant de l'électricité et en construisant des routes permettant de le désenclaver.

Concernant le potentiel hydroélectrique de son pays, le Président Rakhmon a précisé que le Tadjikistan disposait de plus de 60 % des ressources hydrauliques de l'Asie centrale -alors qu'il ne possédait ni pétrole, ni charbon- et qu'il pouvait potentiellement produire près de 530 milliards de kW/h. Aussi a-t-il a vivement déploré que seulement 12 % de cette ressource soient effectivement exploités (7 % pour l'irrigation et 5 % pour la production d'électricité), si bien que son pays subissait chaque années des pénuries d'énergie.

Il a rappelé qu'au temps de l'URSS, la production de coton en Asie centrale avait été posée comme une priorité absolue, et que le Kirghizistan et le Tadjikistan devaient à cet effet mobiliser toutes leurs ressources pour permettre d'irriguer intensivement toute la région ; en contrepartie, les pays de l'aval devaient leur fournir des hydrocarbures. Pour le Président, ce système n'est plus viable aujourd'hui : le Tadjikistan n'a plus les moyens d'acheter l'énergie à ses voisins, alors que ceux-ci continuent d'exiger qu'il leur fournisse les mêmes quantités d'eau.

Le Président a jugé leur position inacceptable, ajoutant que le Turkménistan et l'Ouzbékistan auraient déjà aménagé d'immenses réservoirs qui, en surface cumulée, représenteraient 1,5 fois la superficie de la Mer d'Aral. Il en a déduit que les critiques lancées par les États voisins étaient avant tout politiques et semblaient dépourvues de justifications objectives, alors même que selon les experts internationaux, le Tadjikistan utiliserait pour son propre compte moins d'eau que les autres pays d'Asie centrale, avec seulement 500 000 hectares irrigués contre 10 fois plus en Ouzbékistan.

Le Président Rakhmon s'est inscrit en faux contre les arguments de l'Ouzbékistan, soulignant que les montagnes de son pays produisaient autant d'eau que par le passé, dont 70 % des volumes utilisés par l'Ouzbékistan et même 100 % des volumes utilisés par le Turkménistan ; dans ces conditions, il a estimé incompréhensible que le Ouzbeks coupent périodiquement les approvisionnements du Tadjikistan en gaz -notamment en hiver- et qu'ils imposent aux Tadjiks différentes mesures vexatoires, comme l'obligation de visa ou l'obligation faite à ses compatriotes établis en Ouzbékistan de s'identifier comme Ouzbeks sur leurs passeports, à peine de ne pas pouvoir s'inscrire à l'Université.

Toutefois, le Président s'est déclaré convaincu que tous ces comportements n'étaient pas imputables au peuple ouzbek, mais au seul ostracisme de ses dirigeants.

Passant ensuite à la question afghane, le Chef de l'État a rappelé que son pays soutenait les efforts de la Coalition et qu'il avait également soutenu la Ligue du Nord et les troupes du Commandant Massoud, car c'étaient à l'époque les seules forces à même de s'opposer à la progression des Talibans. Il a regretté qu'après la mort du Commandant Massoud, l'ONU et les États-Unis n'aient pas accepté d'établir un cordon de sécurité autour de l'Afghanistan, et que les Américains aient finalement attendu le drame du 11 septembre pour intervenir dans la zone.

Depuis, il a constaté que la drogue était devenu le problème majeur de la région, en dépit des efforts de son pays pour endiguer les trafics. Aussi lui a-t-il semblé que la solution à ce problème passait par une bonne coopération économique avec l'Afghanistan, pour lui permettre d'accéder à un niveau de développement suffisant.

Le Président Rakhmon a enfin indiqué que sur le plan économique, les relations entre son pays et l'Iran étaient très soutenues, même si les Tadjiks ne pouvaient accepter le mode de gouvernement de ce pays qui avait eu, du reste, une lourde responsabilité dans la guerre civile au moment de l'Indépendance.

Le Président André Dulait a salué l'exhaustivité de cette présentation et a assuré que la délégation sénatoriale ferait tout son possible pour favoriser l'avancement de certains dossiers bilatéraux en instance, notamment la construction du nouvel aéroport de Douchanbé, le développement de la coopération agricole et agroalimentaire franco-tadjike ou l'assistance aux frontières et aux opérations de déminage.

M. Aymeri de Montesquiou a relevé que le Tadjikistan et la France partageaient une valeur essentielle : la laïcité, partout menacée par la montée de l'islamisme, comme l'évolution récente de la Turquie -naguère État laïc- en fournissait l'illustration.

Le Président Emomali Rakhmon en est convenu, attribuant cette dérive, notamment, à l'écart croissant qui se creuse entre les pays riches et les pays pauvres. Il a regretté que beaucoup de pays en voie de développement, déjà touchés par des handicaps économiques graves, ne soient même pas représentés dans différentes organisations internationales. Pour ce qui concernait le Tadjikistan, il a rappelé que 60 000 Moudjahidines avaient été amnistiés et que 7 000 d'entre eux avaient été intégrés dans les forces régulières, pari risqué, certes, mais indispensable à ses yeux pour la réconciliation. Le Président a noté que la plupart étaient incultes et analphabètes et qu'en réalité, beaucoup de Talibans n'avaient pas suivi d'instruction religieuse mais étaient formés au combat et encadrés par des gens qui, eux, étaient instruits et qui suivaient un plan concerté ayant pour principal foyer le Pakistan.

Le Président a estimé que l'islamisme radical avait engagé une véritable guerre, d'abord en Yougoslavie puis en Iran, en Irak, en Afghanistan, etc... Il a craint que cette contagion s'étende de proche en proche aux pays riches, obligés d'importer des travailleurs étrangers bien souvent musulmans, pauvres et pouvant se laisser séduire par les thèses islamistes.

Pour endiguer ce phénomène et prévenir le terrorisme, Le Président Rakhmon a appelé les pays riches à renoncer aux solutions militaires, à contribuer financièrement au développement économique et social des pays pauvres -à commencer par l'Afghanistan- et à leur ouvrir les marchés internationaux. Il a souligné que le problème majeur auquel les États étaient actuellement confrontés n'était pas l'Islam mais l'islamisme radical, encouragé par trois pays, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan ; il en a conclu qu'en soutenant l'Afghanistan pour l'aider à faire face à l'islamisme radical et au terrorisme, le Tadjikistan ne cherchait pas simplement à se protéger lui-même ou à protéger l'Asie centrale, mais protégeait les intérêts de toute la communauté internationale.

L'audience de M. Emomali Rakhmon, Président de la République du Tadjikistan
(en 2 ème position à partir de la gauche, l'ambassadeur de France M. Henry Zipper de Fabiani).

III. LE DÉTACHEMENT « DETAIR DOUCHANBÉ » ET LA COOPÉRATION CIVILO-MILITAIRE FRANCO-TADJIKE

Quelques heures avant son retour en France le dimanche 24 avril, la délégation sénatoriale s'est rendue au détachement « DETAIR Douchanbé », rouage important de la participation française à la coalition internationale en Afghanistan. Elle y a rencontré les femmes et les hommes du détachement, et a pu visiter les installations et équipements permettant à ces personnels de remplir leur double mission, à la fois militaire et de coopération civile au service de la population locale.

A. UN RELAIS IMPORTANT AVEC LES FORCES EN AFGHANISTAN

Stationné à titre temporaire depuis janvier 2002 sur le territoire de l'aéroport international de Douchanbé, le Groupe de Transport Opérationnel installé par la France s'est rapidement doté de l'environnement administratif et logistique nécessaire à un fonctionnement opérationnel durable, pour devenir en quelques mois le DETAIR Douchanbé, à la fois programme de Coopération Civilo-Militaire (CCM) avec le Tadjikistan et relais logistique important avec les forces de la Coalition en Afghanistan.

Ce dispositif a été initié et confirmé par plusieurs accords franco-tadjiks, notamment un premier échange de notes diplomatiques entre les deux Gouvernements en date du 7 décembre 2001, puis l'échange de lettres entre les deux Gouvernements, relatif aux conditions de déploiement temporaire des forces armées françaises et de leur matériel sur l'aéroport international de Douchanbé ( cf. document reproduit infra ).

Survol des installations du DETAIR Douchanbé,
à l'extrémité de la zone aéroportuaire

Avec ses avions de transport C-160 Transall, le DETAIR Douchanbé est une sorte de base aérienne de format réduit . Il met notamment en oeuvre des avions de transport tactique au profit des opérations conduites en Afghanistan sur la base des Résolutions ONU. Doté d'effectifs permanents d'environ 170 militaires (plus du personnel civil contractuel local), il est en mesure de remplir les missions suivantes :

- soutien sous différentes formes aux éléments militaires français déployés sur le théâtre d'opérations (en Afghanistan, en République kirghize et au Tadjikistan) dans le cadre des différentes opérations (Pamir, Epidote, OMLT, Serpentaire et Héraclès) ;

- soutien sous différentes formes à la force internationale en effectuant des missions de transport de personnel et de fret à l'intérieur du théâtre ;

- transit lors des relèves du contingent français ;

- soutien au transit lors des relèves d'autres contingents (contingent fourni par la Belgique, par exemple).

Un des C130 du DETAIR,
en attente de chargement
sur sa zone de stationnement

Le container-morgue du DETAIR,
servant notamment au transit des corps
des militaires tués en Afghanistan

Aux termes des accords conclus avec le Tadjikistan, les aéronefs français sont autorisés de survol, d'atterrissage et de stationnement sur le territoire de cet État, en franchise de droits et taxes ; en outre, les forces armées françaises sont autorisées à installer des postes de commandement sur le territoire tadjik et les personnels français bénéficient d'un statut protecteur comparable à celui des personnels administratifs et techniques des missions diplomatiques régis par la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.

Sur le plan politique et diplomatique, le message est clair : en accordant au DETAIR des conditions aussi favorables, le Gouvernement tadjik marque sa volonté de stabiliser son environnement régional et d'assurer une visibilité forte à son engagement international contre le terrorisme.

B. LA COOPÉRATION CIVILO-MILITAIRE FRANCO-TADJIKE

Du fait de la position stratégique du Tadjikistan et de l'appui qu'il apporte à la Coalition internationale, il est logique que la France entende poursuivre, approfondir et diversifier sa coopération bilatérale avec ce pays, et qu'elle accorde une attention soutenue aux besoins qu'il exprime en matière de développement et de sécurité. Tel est le sens prioritaire de la coopération civilo-militaire franco tadjike.

Ainsi, en plus de ses missions opérationnelles, le DETAIR Douchanbé intervient-il dans un certain nombre de programmes au service de la population locale , notamment en vue d'améliorer l'état des structures sanitaires, sociales et éducatives d'accueil de la petite enfance : travaux d'infrastructure dans des écoles maternelles et les orphelinats, dans un hôpital pour enfants, etc... Cette action est complétée par des dons de vêtements et de jouets envoyés à l'initiative aussi bien de bases aériennes en France que de militaires isolés ou groupés.

Pour ce qui concerne plus particulièrement le domaine militaire, dans le prolongement du stationnement du détachement aérien français à Douchanbé, la coopération militaire franco-tadjike s'appuie sur l'enseignement du français dans les écoles militaires tadjikes (le lycée militaire de Douchanbé et l'Institut militaire du ministère de la Défense), ouvrant du même coup l'accès aux formations dispensées dans le système français d'enseignement militaire. L'accent est ainsi mis sur les actions suivantes :

- la formation en écoles militaires françaises des jeunes cadres tadjiks, en particulier des lieutenants chefs de section d'infanterie et du génie (stages de 11 mois), puis leur perfectionnement au grade de capitaine (stages de 5 mois) ;

- la formation des spécialistes dans les domaines « montagne », « déminage » et « techniques commando » (à travers des stages en France de 2 ou 3 semaines dans les centres d'entraînement spécialisés) ;

- la formation de cadres militaires de haut niveau, grâce à des stages d'enseignement militaire supérieur du premier et du second degrés (École d'état-major et Collège interarmées de défense) ;

- l'assistance dans le domaine « maîtrise des armements », notamment la formation des artificiers à la destruction des stocks d'armes et munitions dans le cadre des programmes SALW ( Small Arms and Light Weapons ) et CA ( Conventional Ammunition ) de l'OSCE.

En outre, des cessions d'équipements légers à titre gratuit (essentiellement de l'habillement) sont effectuées régulièrement au profit des forces armées du ministère de la Défense et des unités de gardes frontières.

IV. LA CONTRIBUTION DES INSTITUTIONS ISMAÉLIENNES AU DÉVELOPPEMENT DE L'ASIE CENTRALE

Au Kirghizistan comme au Tadjikistan, cette mission a permis de mieux prendre la mesure de la contribution de l'Aga Khan et des Ismaéliens au développement des structures économiques, sociales, sanitaires et éducatives de l'Asie centrale . Au coeur du dispositif, l' Aga Khan Development Network (ou AKDN), véritable « force de frappe séculière » de la communauté ismaélienne internationale, fédère un ensemble d'institutions spécialisées disposant de moyens humains, financiers, matériels et logistiques importants, et qui déploient leur action dans nombre de secteurs comme l'enseignement supérieur et la formation professionnelle, l'architecture, la santé et les établissements de soins, l'agriculture, le tourisme, l'industrie, etc...

A. L'AKDN, LEVIER D'ACTION DE LA COMMUNAUTÉ ISMAÉLIENNE INTERNATIONALE

L'Aga Khan a créé l'AKDN en 2005 et y a rattaché plusieurs agences constituées antérieurement, dont certaines avaient été mises en place par ses prédécesseurs dès le début du XX ème siècle.

Si le grand public français a en général entendu parler de l'existence d'un Prince Aga Khan et de son épouse la Bégum, c'est le plus souvent à la lecture du roman de Jules Verne, Les 500 millions de la Bégum , voire au travers de certains clichés fort éloignés de la problématique du développement (les fastes princiers, les écuries de course, la perception d'une sorte de dîme en or et en pierreries)... La délégation sénatoriale a donc été particulièrement intéressée de découvrir sur place une réalité beaucoup plus valorisante , à laquelle elle a jugé indispensable de consacrer quelques paragraphes spécifiques dans le présent rapport.

Sur le plan historique et religieux, le terme Aga Khan est le titre héréditaire porté par les Imams de la communauté ismaélienne, qui constitue elle-même une des formes minoritaires de l'Islam. Apparu aux alentours du VIIIème siècle de notre ère, l'ismaélisme s'est développé en marge du courant chiite, intégrant une pratique de l'Islam influencée par la philosophie gnostique, par la pensée néo-platonicienne et par différentes traditions empruntées à d'autres religions révélées. Selon les spécialistes, les Ismaéliens compteraient aujourd'hui entre 15 et 20 millions de fidèles, vivant pour leur grande majorité en Inde, au Pakistan, dans le Pamir (qui serait leur berceau historique), en Syrie et au Yémen, ainsi que dans différentes petites communautés réparties dans différents pays d'Orient 22 ( * ) , d'Amérique du Nord et d'Europe.

Selon sa biographie officielle, l'actuel Aga Khan, Son Altesse Prince Karim Aga Khan IV , est né en 1936 à Genève. Fils du prince Ali Khan , il a succédé en 1957 à son grand-père, Aga Khan III , devenant ainsi le 49 ème Imam de la communauté ismaélienne (en 2007, les ismaéliens du monde entier ont célébré les 50 années d'imamat -ou Golden Jubilee - du Prince Karim Aga Khan). Outre son activité hippique mondialement réputée, l'Aga Khan s'implique dans différentes actions diplomatiques et culturelles internationales (le Prince préside l'Académie Diplomatique Internationale ; il est par ailleurs membre associé étranger de l'Académie des Beaux-Arts et a été en 2005 à l'initiative de la Fondation pour la Sauvegarde et le Développement du Domaine de Chantilly).

B. UN RÉSEAU PRIVÉ ORIGINAL AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Dans ses documents de présentation publique, AKDN se définit officiellement comme « un groupe d'agences de développement privées, internationales et non confessionnelles qui oeuvrent à la création d'opportunités et à l'amélioration des conditions de vie dans des pays qui comptent parmi les plus pauvres du monde en voie de développement. L'AKDN et les agences qui le composent cherchent activement à collaborer avec des institutions de même vocation dans la conception, la mise en oeuvre et le financement de projets novateurs. Ces partenariats visent à démontrer que des organisations privées, souples dans leur fonctionnement et dotées d'objectifs précis peuvent contribuer de manière significative au bien être du plus grand nombre ».

Selon les critères du droit international public, l'AKDN entre donc dans la catégorie des ONG .

En pratique, AKDN est un des plus importants réseaux privés de développement au monde , dont la mission est d'améliorer les conditions de vie et contribuer au développement économique des pays les plus pauvres, conformément aux orientations tracées par l'Aga Khan et résumées dans une déclaration qu'il a effectuée à Amsterdam en septembre 2002 en clôture d'une importante conférence internationale sur le développement : « Le développement ne peut être durable que si ses bénéficiaires parviennent progressivement à en maîtriser le processus. Les initiatives ne peuvent donc pas être envisagées uniquement en termes économiques, elles doivent l'être aussi dans le cadre d'un programme intégré où les dimensions sociales et culturelles entrent en ligne de compte. Éducation, formation, santé, services publics, sauvegarde du patrimoine culturel, développement des infrastructures, planification et réhabilitation des villes, développement rural, gestion de l'eau, gestion de l'énergie, contrôle de l'environnement, voire formulation de politiques et de législations appropriées... tous ces éléments sont à prendre en considération ».

Les institutions du réseau AKDN sont actuellement présentes directement ou indirectement dans plus de 20 pays -dont trois en Asie centrale- (l'Afghanistan, le Bangladesh, le Canada, la France, l'Allemagne, l'Inde, la Côte-d'Ivoire, le Kazakhstan, le Kenya, le Kirghizistan, le Mali, le Mozambique, la Norvège, le Pakistan, le Portugal, la Russie, la Syrie, le Tadjikistan, la Tanzanie, l'Ouganda, le Royaume-Uni, le Rwanda, ...) et sont également représentées auprès de différentes Institutions internationales (dont la Commission européenne et les Nations Unies).

Votre délégation a souhaité préciser les fondements juridiques de la présence et de l'influence aussi considérable d'AKDN dans les deux pays où elle a séjourné (et, sans doute, dans d'autres États où le réseau intervient). En fait, bien qu'il ne constitue pas une organisation internationale publique ni une entité para-étatique au sens du droit international public, le Réseau Aga Khan de développement, en tant qu'expression d'une collectivité religieuse forte au plan international, dispose d'une envergure statutaire particulière ; il a ainsi a négocié et conclu avec plusieurs pays des protocoles d'entente pouvant dans une certaine mesure rappeler un « accord de siège », lui permettant de développer une action multidimensionnelle dans le cadre d'un partenariat original.

Comme le signale le site Internet de l'Ambassade de France au Tadjikistan, Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, et le Prince Aga Khan ont conclu dans ce cadre le 9 décembre 2008 une convention de partenariat, leur permettant d'oeuvrer de concert dans une vingtaine de pays -dont le Tadjikistan- et en direction de nombreux secteurs de développement durable : la santé, l'environnement, l'éducation, la micro-finance, l'agriculture et la sécurité alimentaire, la protection des biens publics mondiaux, etc... L'ambition de ce partenariat est de promouvoir, sur le terrain, des actions communes en matière de développement et d'inscrire ces réalisations futures dans un cadre de référence commun.

En pratique, le Réseau AKDN opère dans trois grandes directions, dont l'animation est confiée à différentes agences et services spécialisés, encadrés pour la plupart par des responsables ismaéliens bénévoles :

- le développement économique, auquel sont principalement affectés le Fonds Aga Khan pour le développement économique (qui gère plus de 90 sociétés de projets distinctes, emploie à lui seul plus de 18 000 personnes et contrôle des actifs évalués à plus de 1,5 milliard de $ US), les Services financiers et de micro-finance, les Services Médias, les Services d'aviation, les Services de promotion industrielle et l'Agence Tourism Promotion Services , dont dépend la chaîne hôtelière internationale Serena Hotels ;

Un dispositif multidimensionnel de développement durable :
l'Accord de partenariat conclu en 2008 entre la France et AKDN

Le ministre français des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, et le Prince Aga Khan ont conclu le 9 décembre 2008 une Convention de partenariat associant sur plusieurs projets concrets et dans plusieurs pays le dispositif français de coopération et l'AKDN. Plusieurs réalisations ont déjà montré le potentiel de cette collaboration :

don de la coopération française à l'Institut médical français pour l'enfant de Kaboul (IMFE)

prêts octroyés par PROPARCO - filiale secteur privé de l'Agence française de Développement - au réseau de téléphonie mobile Roshan en Afghanistan ou pour la construction de la centrale hydroélectrique de Bujagali en Ouganda notamment.

Les autorités françaises partagent avec la Fondation « Réseau Aga Khan pour le développement » une vision commune du développement : l'importance de s'engager sur le long terme, en associant étroitement les populations locales, sur des secteurs non seulement sociaux mais aussi d'appui au développement économique.

L'implantation ancienne du Réseau Aga Khan pour le développement dans des pays fragiles (Afghanistan) et dans des zones dans lesquelles la France souhaiterait renforcer sa présence (Inde, Pakistan, Afrique de l'Est), comme son développement plus récent en Afrique de l'Ouest et à Madagascar, témoignent également de la complémentarité de nos implantations géographiques et de la convergence de nos priorités politiques.

Pour le dispositif français de coopération, c'est un moyen de renforcer son action dans une logique partenariale afin de maximiser l'efficacité de l'aide et d'élargir le champ de ses interventions, en agissant de façon complémentaire avec le réseau de l'AKDN tant sur les géographies que sur les instruments utilisés (dons, prêts, garanties, prises de participation en capital).

Les objectifs du partenariat :

Agir dans une vingtaine de pays d'Asie centrale et méridionale (Afghanistan et ses voisins immédiats, dont le Tadjikistan ; Inde, Bangladesh, Kazakhstan), du Proche-Orient (Syrie, Égypte, Liban) et d'Afrique orientale et occidentale (Burkina, Mali, Côte d'Ivoire, Sénégal).

Intervenir sur une gamme large de secteurs : santé, éducation, services financiers, microfinance, agriculture et sécurité alimentaire, biens publics mondiaux, infrastructures et appui au développement du secteur privé.

Le ministère des Affaires étrangères et européennes et l'AKDN entendent, notamment en matière d'enseignement, mutualiser, en fonction des opportunités, leurs moyens et leurs implantations afin de promouvoir l'utilisation et l'enseignement de la langue française dans les pays où ils interviennent en commun et la mobilité des enseignants et des étudiants.

- le développement social, dont s'occupent en particulier la Fondation Aga Khan, les Services d'éducation Aga Khan, les Services de santé Aga Khan, les Services Aga Khan pour l'aménagement et la construction, l'Université Aga Khan et l'Université d'Asie centrale (dont la délégation sénatoriale a pu visiter plusieurs établissements) ;

- le développement culturel, auquel concourent notamment le Trust Aga Khan pour la culture, le Prix Aga Khan d'architecture, le Programme de soutien aux villes historiques et le Programme éducation et culture.

D'après les informations diffusées par le Réseau, AKDN consacrerait tous les ans, en moyenne, 230 millions de $ US à ses activités à but non lucratif. Ces fonds, ainsi que les dépenses supplémentaires occasionnées par le soutien aux agences du Réseau, proviendraient de différentes sources, notamment de fonds de dotation, de contributions et de subventions. Le financement est assuré par l'imamat, la communauté ismaélienne et divers organismes donateurs internationaux et locaux. Dans le secteur du développement économique, des participations au capital sont également financées par l'imamat ainsi que par des partenaires des secteurs public et privé.

A ce financement direct s'ajoute la contre-valeur du bénévolat des responsables de tous niveaux, impossible à chiffrer mais qui, de toute évidence, représente une part considérable des moyens dont le réseau dispose à travers le monde (c'est un point sur lequel ont insisté les responsables ismaéliens rencontrés par la délégation).

C. QUELQUES RÉALISATIONS D'AKDN AU KIRGHIZISTAN ET AU TADJIKISTAN

1. L'Université d'Asie centrale

Durant son séjour à Bichkek, la délégation sénatoriale a eu la possibilité de s'entretenir à la Fondation Aga Khan avec M. Bohdan Kravchenko, recteur de l'Université d'Asie centrale (UAC), et plusieurs responsables locaux de l'Aga Khan Development Network (AKDN) ; au Tadjikistan, elle a pu approfondir ses informations sur cette Université, d'abord en visitant le magnifique Centre ismaélien de Douchanbé -où elle s'est entretenu avec M. Munir Merali, Représentant de l'Aga Khan- puis en se rendant dans le Pamir au Centre de formation professionnelle permanente de Khorog, où elle a discuté avec différents enseignants et responsables administratifs de l'UAC.

L'Université d'Asie centrale a été créée par un accord conclu en 2000 entre l'Aga Khan et les Présidents du Tadjikistan, du Kirghizistan et du Kazakhstan.

Premier établissement d'enseignement supérieur privé du monde doté d'une charte internationale, l'UAC a pour mission de stimuler le développement économique et social dans l'ensemble des vastes zones pauvres de haute montagne d'Asie centrale, où vivent quelque 30 millions d'habitants. Statutairement, l'UAC est une institution laïque et privée, gérée par un conseil d'administration indépendant. Elle est mixte et recrute des hommes et des femmes de toutes origines souhaitant oeuvrer à l'amélioration de la vie des populations de montagne.

Autant que la délégation a pu en juger sur place, le pôle « Enseignement supérieur » proprement dit de l'UAC n'est pas encore entré en phase de fonctionnement. Sur le plan matériel, trois campus sont actuellement en construction (à Tekeli au Kazakhstan, à Naryn au Kirghizistan et à Khorog au Tadjikistan) ; une fois terminés, ces équipements comprendront des salles de cours et une résidence universitaire pour étudiants en premier cycle, ainsi que les divers instituts supérieurs composant l'École du développement. Ces centres pourraient ouvrir leurs portes au cours des prochaines années.

L'Université comprendra six facultés : Développement des ressources et protection de l'environnement, Sciences de l'éducation, Industrie du tourisme et des loisirs, Commerce et développement économique, Administration publique et Développement rural. Des cycles conduisant à des diplômes mixtes seront également mis en place. La recherche à tous les niveaux sera centrée sur les solutions aux problèmes pratiques du développement des zones montagneuses. Un cursus de deux ans sera sanctionné par une maîtrise ( master's degree ). Le premier cycle, bien qu'axé sur le développement des zones montagneuses, s'appuiera sur une formation générale et scientifique et sera sanctionné par une licence ( bachelor's degree ).

L'admission à l'UCA s'effectuera uniquement au mérite et sera ouverte à des candidats originaires de toutes les régions d'Asie centrale. Les étudiants ayant besoin d'une aide financière partielle ou complète bénéficieront de prêts, de bourses ou d'une combinaison des deux. A tous les niveaux, l'enseignement sera centré sur les étudiants et fera un usage intensif de l'informatique. Les cours d'enseignement supérieur seront tous dispensés en anglais, les étudiants ayant besoin d'une formation linguistique complémentaire pouvant en bénéficier avant leur inscription.

En revanche, le pôle « Education et formation continues » fonctionne déjà sur chacun des trois sites. Une formation en cours de carrière est proposée à des professionnels dans de plusieurs domaines, d'autres stages étant conçus pour améliorer la production agricole et stimuler la création d'emplois. Comme le reste de l'université, ce pôle sert l'ensemble de la région montagneuse de chaque pays, et non pas seulement le proche arrière-pays. D'où le recours à des technologies de pointe en matière de télécommunications et de télé-enseignement dans tous les programmes de l'UCA. A la différence des enseignements universitaires en anglais, les cours et programmes de ce pôle sont proposés dans les langues vernaculaires les plus accessibles.

L'UCA recrute et forme un corps professoral composé d'hommes et de femmes originaires de la région, en fonction de critères internationaux de haut niveau dans leurs domaines respectifs. Elle établit actuellement des liens avec des universités d'Asie, d'Amérique du Nord et d'Europe ayant les compétences nécessaires.

D'après les informations recueillies sur place, l'UCA est financée par des donations de particuliers, de fondations privées, d'entreprises internationales, d'agences internationales de développement et des gouvernements du monde industrialisé. Les États fondateurs fournissent le terrain des campus, une enveloppe de dégrèvements fiscaux et diverses autres formes d'aide. Lors de la signature du traité de création de l'UCA entre le Président de chacun des trois États et l'Aga Khan, celui-ci a lancé le programme par des dons totalisant quelque 15 millions de $ US.

2. L'Hôpital général de Khorog

Le 23 avril, lors de la journée qu'elle a passée dans le Pamir, la délégation sénatoriale a pu effectuer une rapide visite de l'Hôpital général de Khorog, qui relève des Services de Santé Aga Khan, sous la conduite d'une équipe médicale sympathique et motivée.

Cet établissement hospitalier est l'ancien hôpital de l'Oblast de Khorog, construit à l'époque soviétique et qui avait cessé son activité au moment de l'indépendance du pays. Réhabilité par les équipes ismaéliennes, et quoique loin de disposer des caractéristiques et des équipements d'un hôpital occidental moderne, l'Hôpital général est redevenu une des pièces majeures du dispositif sanitaire régional, beaucoup plus performant, semble-t-il, que les dispensaires et autres centres de soins des villes secondaires du Tadjikistan, souvent dans un grand état de vétusté.

En dépit de certains aspects assez rustiques, cet hôpital est installé dans des locaux assez vastes et fonctionnels (10 pavillons au total), et apparaît bien tenu ; il dispose d'une bonne équipe de médecins et d'infirmières, qui travaillent en concertation avec leurs confrères des autres établissement du Réseau de Santé.

D'après les indications données sur place à la délégation sénatoriale, l'hôpital emploie plus de 80 médecins et plus de 350 infirmières dans toutes les spécialités usuelles. Il est en mesure de faire face dans conditions sanitaires et d'accueil acceptables à la majorité des pathologies courantes (médecine, chirurgie et obstétrique) et attire de ce fait des patients de toute la région, y compris de l'Afghanistan tout proche. Selon un rapport d'évaluation établi en 2008, cet hôpital effectuerait environ 5 000 interventions chirurgicales par an en enregistrerait une moyenne annuelle de 25 000 admissions.

Outre les activités thérapeutiques in situ et les soins dispensés par des équipes ambulatoires, les personnels participent à des enquêtes épidémiologiques, à des campagnes de vaccinations et assurent une mission socio-sanitaire éducative et préventive (lutte contre la tuberculose, contre le SIDA, contre le tabagisme, contre les parasitoses, etc...), en coordination avec d'autres programmes internationaux opérant au Tadjikistan.

3. La chaîne hôtelière Serena

La délégation sénatoriale a déjeuner le 23 avril à Khorog à l'Hôtel Serena qui, comme les autres établissement de cette marque, relève du département Tourism Promotion Services (TPS) du Réseau AKDN.

Là encore, la mission de cette agence s'inscrit résolument dans une perspective de développement durable, puisque TPS se propose de valoriser le potentiel touristique de certaines régions du monde en développement en sensibilisant les habitants et les visiteurs à l'environnements du pays concerné, en les incitant à mieux appréhender ses traditions culturelles et en contribuant à leur sauvegarde. Dans la même optique, TPS privilégie systématiquement l'emploi de personnel et de sous-traitants locaux et investit activement dans la formation à l'échelle locale.

La chaîne Serena est désormais reconnue comme un des leaders de ce segment de marché, pour la qualité de ses services, pour l'architecture de ses établissements et leur respect de l'écologie, chaque projet étant conçu pour minimiser son impact sur l'environnement et optimiser les avantages socio-économiques de son implantation dans la région.

Le Serena Inn de Khorog, dont l'architecture horizontale a été conçue
pour se fondre le plus harmonieusement possible dans le paysage local

4. La station hydroélectrique de Pamir 1

En visitant l'importante centrale hydro-électrique de Pamir 1, à quelques kilomètres de la capitale régionale de Khorog, la délégation a découvert la dimension industrielle de certaines activités d'AKDN. En effet, cette centrale, qui produit du courant électrique et assure la régulation de l'écoulement des eaux provenant des sommets avoisinants, a été financée à hauteur de 26 millions de $ US par une des agences du Réseau ( Industrial Promotion Services , ou IPS), chargée d'encourager et de développer l'entreprise privée dans les pays où elle est implantée. Dans ce cadre, l'Agence intervient activement dans différents projets industriels, notamment dans les domaines des télécommunications, de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement et de la production d'électricité.

Pour le cas, la Centrale de Pamir 1 revêt une importance stratégique dans une région au climat rude, dépourvue d'autres sources d'approvisionnement énergétique et régulièrement victime de pénuries d'électricité et de chauffage. Cet équipement a été conçu pour fournir une énergie propre et renouvelable, en rupture avec les pratiques polluantes de l'époque soviétique, où la production électrique était dépendante d'une noria incessante de livraisons par camions-citernes de fioul subventionné.

La salle des turbines de la station hydroélectrique Pamir 1

CONCLUSION

De cette instructive mission, la délégation sénatoriale retient une évidence d'ensemble : la présence française est trop faible au Kirghizistan et au Tadjikistan , bien en deçà des légitimes attentes qu'expriment ces deux pays amis et des opportunités politiques et économiques qu'ils recèlent. Ce constat, hélas, vaut aussi pour les trois autres pays d'Asie centrale.

Comme l'observait à juste titre en 2005 notre collègue Aymeri de Montesquiou dans son rapport au Premier ministre sur l'Asie centrale, « la France jouit encore d'une bonne image auprès des dirigeants de ces pays. Or, peu de régions offrent à la France la chance de défendre ses idées, de concrétiser son concept de politique internationale et d'assurer la prospérité de ses entreprises [...] Elle est également en mesure d'amener ces pays à suivre les règles démocratiques internationales et de participer, aux côtés de ses partenaires, à stabiliser cette zone ».

Cette analyse conserve toute sa pertinence et son actualité, y compris pour le Kirghizistan et le Tadjikistan qui, chacun à sa manière, rejoignent des positions françaises dans certains domaines politiques internes ou internationaux : le choix sans état d'âme qu'a fait le Kirghizistan en faveur de la démocratie parlementaire, par exemple ; ou le soutien appuyé qu'apporte le Tadjikistan à la Coalition internationale présente en Afghanistan ; ou encore le refus clair qu'affichent les autorités de ces deux pays face aux menaces de l'islamisme radical, du terrorisme, du trafic des stupéfiants ou de la criminalité internationale.

Sur le plan économique, la France gagnerait à être plus attentive aux potentialités du Kirghizistan et du Tadjikistan , notamment dans des secteurs où notre pays pourrait les faire profiter de son expertise reconnue et appréciée internationalement (l'eau et la production d'hydroélectricité, les réseaux de distribution, l'assainissement et la gestion des déchets, etc...). C'est un message que le groupe d'amitié s'efforce de faire passer auprès des responsables politiques et économiques français 23 ( * ) , mais qui n'est sans doute pas encore assez entendu.

A cet égard, la difficulté de concrétiser le projet de fourniture par une entreprise française d'un câble haute-tension au Kirghizistan, ou les retards pris dans la réalisation du nouvel aéroport de Douchanbé ont peut-être d'autres explications que simplement techniques ou financières : ne refléteraient-elles pas plutôt une prise en compte insuffisante du potentiel qu'offrent ces deux pays et, plus profondément, une vision sans doute trop étriquée des enjeux de cette région au carrefour de plusieurs grandes civilisations ?

Il ne faut pas perdre de vue que l'Asie centrale est confrontée à des défis géostratégiques immenses (environnementaux, économiques, religieux, etc...) dont l'importance ira croissante dans les prochaines décennies : la sécurité mondiale des approvisionnements en hydrocarbures, le partage de l'eau et le risque d'assèchement et de désertification d'immenses territoires, l'endiguement de l'islamisme radical, la lutte contre le trafic international des stupéfiants, etc...

Là encore, il serait logique que les États occidentaux -notamment ceux du continent européen , dont les limites géographiques extrêmes s'étendent pratiquement jusqu'au Kazakhstan 24 ( * ) - accordent aux pays d'Asie centrale l'attention et la considération qu'ils méritent, notamment pour les accompagner dans leur développement économique et social et dans leur marche vers la démocratie.

Sur le plan économique, plusieurs grandes puissances ont déjà clairement joué la carte de l'Asie centrale : la Russie, l'Iran ou la Turquie -très présents dans cette région- la Chine, hautement intéressée par les matières premières et les ressources énergétiques centrasiatiques, ou encore l'Inde.

Les pays de l'Union européenne -à commencer par la France- auraient tout intérêt à être eux-aussi plus à l'écoute des pays d'Asie centrale , d'autant que sur le plan politique et institutionnel, ils peuvent partager avec eux un savoir-faire démocratique dont d'autres puissances régionales ne se soucient guère...

C'est bien la démarche à laquelle l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a invité tous ses États-membres, en leur demandant de « renforcer le dialogue avec les autorités des pays d'Asie centrale, afin de promouvoir et d'appuyer les réformes en faveur de la bonne gouvernance, de la libéralisation politique, de la modernisation et de la transparence des institutions ... ».

Le groupe d'amitié du Sénat -avec l'appui de nos ambassadeurs- est fier d'apporter sa contribution concrète à la promotion des liens entre la France et les pays d'Asie centrale , points de tangence privilégiés entre des pays occidentaux à la recherche d'un second souffle et des pays d'Orient dont beaucoup accéderont à un fort niveau de développement dans les prochaines décennies.

ANNEXES

• L'activité du groupe d'amitié France-Asie centrale depuis 2007

• La réunion constitutive au Sénat des Amitiés franco-tadjikes
(29 avril 2010)

Annexe 1

L'activité du groupe d'amitié depuis 2007

Ainsi que le prévoit l'Instruction générale du Bureau du Sénat, le groupe interparlementaire d'amitié France-Asie centrale s'efforce d'animer des relations aussi soutenues et concrètes que possibles avec les cinq pays dont il est en charge (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan), avec pour objectif, en particulier, la promotion de la coopération parlementaire et la coopération décentralisée, la diffusion du modèle bicaméral et des bonnes pratiques électorales et parlementaires, le soutien à la coopération économique et commerciale, l'encouragement à un niveau élevé de présence française, ainsi que la défense et la promotion de la langue et de la culture françaises.

Dans ce cadre, le groupe d'amitié accueille régulièrement au Sénat de nombreuses personnalités concernées par ces sujets et participe à différentes rencontres et manifestations ayant pour thématique l'Asie centrale ; périodiquement, le groupe d'amitié organise de brèves missions dans un ou plusieurs des pays du ressort du groupe et, selon le principe de réciprocité, accueille pendant quelques jours au Sénat des délégations des Parlements homologues.

EXERCICE 2007

• Le 28 mars , le président du groupe interparlementaire, M. André Dulait, a reçu en audience au palais du Luxembourg l'ambassadeur du Kazakhstan, S. Exc. M. Amanzhol Zhankuliev.

• Le 4 juillet , le groupe organisé au Sénat un déjeuner de travail à l'occasion de la visite en France d'une délégation de la commission du Développement régional et sectoriel du Sénat du Kazakhstan.

• Du 25 juin au 1er juillet , une délégation de quatre sénateurs du groupe, conduite par M. André Dulait, président et M. Aymeri de Montesquiou, président délégué pour le Kazakhstan, a effectué une mission au Kazakhstan. La délégation, accompagnée par l'ambassadeur de France, S. Exc. M. Alain Couanon, s'est successivement rendue dans la métropole nouvelle d'Astana, capitale administrative du pays située au nord du Kazakhstan, à Atyrau (province occidentale où se concentrent les activités d'exploration et de mise en exploitation des hydrocarbures du nord de la Mer caspienne), dans le bassin minier de Karaganda au centre du pays, puis à Almaty, l'ancienne capitale située au sud du Kazakhstan, et qui demeure un pôle économique et culturel très important.

• Le 12 octobre , à l'invitation de l'Ambassadeur de la République d'Ouzbékistan, S. Exc. M. Ravshanbek Alimov, et à l'initiative conjointe de M. Aymeri de Montesquiou et de Mme Monique Papon, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, le groupe a participé à un briefing organisé par l'ambassade pour préciser la position officielle ouzbèke face aux déclarations de représentants de l'Union européenne sur la situation des droits de l'homme en Ouzbékistan et les perspective de développement des relations entre ce pays et l'Union.

• Le 22 novembre , le groupe a organisé un petit déjeuner de travail avec l'ambassadeur d'Ouzbékistan, S. Exc. M. Ravshanbek Alimov, et le conseiller politique de l'ambassade, M. Serguei Kouznetsov.

• Le 12 décembre , à l'occasion d'un stage au Sénat de quatre hauts fonctionnaires de la seconde chambre du Parlement d'Ouzbékistan, le groupe a offert un déjeuner de travail auquel ont participé, outre plusieurs sénateurs du groupe, S. Exc. M. Ravshanbek Alimov, ambassadeur d'Ouzbékistan, un représentant du Quai d'Orsay et différentes personnalités extérieures.

EXERCICE 2008

• Le 28 mai , une délégation ouzbèke conduite par M. Ilhom Nematov, Premier vice-ministre des Affaires étrangères d'Ouzbékistan, a été reçue au Sénat par M. André Dulait, président du groupe et par Mme Monique Papon, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, avec la participation de S. Exc. M. Ravshanbek Alimov, ambassadeur d'Ouzbékistan en France.

• Le 5 juin 2008 , le Président du groupe, M. André Dulait et la Présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, Mme Monique Papon, ont accueilli au Sénat une cinquantaine de personnalités proches de l'Asie centrale pour leur présenter une exposition de photographies sur la Mer d'Aral organisée du 27 mai au 5 juin, dans la Galerie Sud, en partenariat avec l'Ambassade d'Ouzbékistan.

• Le 10 juin , le groupe d'amitié a reçu au Sénat une délégation kirghize conduite par M. Ednan Karabaev, ministre des Affaires étrangères du Kirghizistan, accompagné par S. Exc. M. Jyrgalbek Azylov, ambassadeur du Kirghizistan à Bruxelles (assurant la représentation diplomatique de ce pays en France).

• Du 10 au 16 septembre , une délégation du groupe conduite par Mme Monique Papon, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, a effectué à l'invitation des autorités ouzbèkes une visite de travail et d'amitié en Ouzbékistan. Dans la capitale, la délégation a été reçue en audience par de nombreuses personnalités (des membres du gouvernement, le maire de Tachkent et des responsables du Conseil des députés de l'assemblée municipale) et a participé à plusieurs réunions de travail avec les autorités du Sénat d'Ouzbékistan. Elle a également eu des entretiens avec deux représentants du culte musulman et de deux cultes minoritaires (catholique et israélite). Les sénateurs ont participé à un déjeuner de travail avec le représentant du Comité international de la Croix-Rouge en Ouzbékistan, des responsables d'organisations internationales (OSCE, BERD, ...) et plusieurs diplomates étrangers en poste à Tachkent. La délégation a, par ailleurs, rendu visite aux équipes des grands établissements de présence culturelle française en Ouzbékistan : l'École française de Tachkent, le Centre culturel Victor Hugo et l'Institut français d'études sur l'Asie centrale. Afin de mesurer plus concrètement l'incidence du bicamérisme en Ouzbékistan -institution récente et inspirée dans une certaine mesure par le modèle français de représentation des collectivités territoriales par la seconde chambre- et les avancées de la décentralisation dans un pays longtemps marqué par un centralisme rigoureux, la délégation s'est également rendue dans trois villes de province (Ourgentch, Boukhara et Samarcande) où elle a eu des entretiens approfondis avec les hokims des différents échelons concernés (gouverneurs de province, maires de grandes villes et responsables des districts) et plusieurs sénateurs et députés de ces circonscriptions.

• Le 15 octobre , le Président du groupe, M. André Dulait, et la présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, Mme Monique Papon, ont organisé une réunion de travail au Sénat avec le nouvel ambassadeur en France de la République d'Ouzbékistan, S. Exc. M. Bakhram Aloev.

• Le 16 octobre ; dans le cadre d'une visite au Sénat d'une délégation ouzbèke conduite par Mme Sayyora Rashidova, Ombudsman d'Ouzbékistan (médiateur), le président du groupe, M. André Dulait et la présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, Mme Monique Papon, ont organisé une rencontre à laquelle ont notamment participé, aux côtés de Mme Rashidova et de plusieurs de ses collaborateurs, le président du groupe d'amitié homologue du Sénat ouzbèke, M Mamazair Khujamberdiev, ainsi que le premier conseiller de l'Ambassade d'Ouzbékistan, M. Alisher Kundousov.

• Le 10 décembre, Mme Monique Papon, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, a reçu en audience l'ambassadeur d'Ouzbékistan, S. Exc. M. Banhromjon Aloev, pour faire le point sur les perspectives des échanges interparlementaires entre le Sénat et les assemblées parlementaires ouzbèkes, marquées récemment par la visite en Ouzbékistan d'une délégation du groupe d'amitié (septembre 2008).

• Le même jour (10 décembre) , le groupe a participé à un briefing organisé à l'ambassade par la délégation permanente d'Ouzbékistan auprès de l'UNESCO, à l'occasion du 16 e anniversaire de la Constitution de ce pays, durant lequel l'ambassadeur a exposé plus précisément ses priorités et a insisté sur l'attachement fort des autorités de son pays au développement des relations avec la France, dont il a salué le rôle diplomatique très important en Asie centrale.

EXERCICE 2009

• Le 21 janvier , le groupe a organisé un petit déjeuner de travail avec M. Zipper de Fabiani, nouvel ambassadeur de France au Tadjikistan.

• Le même jour (21 janvier ), le groupe a tenu au Palais du Luxembourg son assemblée générale reconstitutive, durant laquelle il a procédé au renouvellement de son bureau.

• Le 18 février , le Président André Dulait et le secrétaire exécutif ont participé à l'Hôtel Crillon à une Conférence sur les opérations internationales de remise en eau de la mer d'Aral (organisée conjointement par l'ambassade du Kazakhstan et le Cabinet Marston Nicholson).

• Le 18 mars , Mme Brigitte Bout, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, a reçu au Sénat l'ambassadeur d'Ouzbékistan, M. Bakhrom Aloev, pour faire le point sur l'état des relations interparlementaires franco-ouzbèkes dans le contexte du renforcement des échanges entre les deux pays, au plan économique, notamment.

• Le 24 mars , plusieurs membres du groupe ont participé à une réunion d'information organisée par l'ambassadeur d'Ouzbékistan à l'occasion de la fête de Navrouz.

• Le 1 er avril , le Président André Dulait et le secrétaire exécutif ont participé à une réunion de travail suivie d'un dîner à l'ambassade d'Ouzbékistan.

• Le 2 avril , le groupe a participé à un concert et à une exposition artistique organisés à l'UNESCO par l'ambassade d'Ouzbékistan.

• Le 6 avril , le secrétaire exécutif a organisé une réunion de travail sur les perspectives de la coopération éducative avec les États d'Asie centrale avec le directeur d'un établissement d'enseignement supérieur privé spécialisé dans les relations avec les anciens pays du bloc soviétique.

• Le 30 avril , plusieurs membres du groupe, dont le Président André Dulait, et M. Aymeri de Montesquiou, président délégué pour le Kazakhstan, ont participé et sont intervenus au colloque Sénat-Ubifrance sur la région Caspienne-Asie centrale.

• Le 6 mai , le groupe a participé à la présentation publique de l'ouvrage du Président Karimov sur les répercussions de la crise économique en Ouzbékistan et en Asie centrale.

• Le 8 juin , le secrétaire exécutif a représenté le groupe à une soirée organisée à l'UNESCO par les autorités et les membres de la communauté kirghize en France.

• Le 15 juin, le secrétaire exécutif a reçu l'attachée parlementaire de la Fédération françaises des Assurances (Mlle Annabelle Jacquemin), pour lui apporter son concours à la préparation d'un périple d'étude de six mois sur le thème de la place et du rôle des femmes dans le Caucase et en Asie centrale (juillet-décembre 2009), dont l'intéressée devait présenter au groupe d'amitié les temps forts et les principales conclusions en 2010.

• Le 1 er juillet , Mme Brigitte Bout, président délégué pour l'Ouzbékistan, a reçu au Sénat le directeur de l'Institut français des Études sur l'Asie centrale, pour envisager les perspectives de réorganisation de cet établissement.

• Le 20 octobre , plusieurs membres du groupe ont participé à l'UNESCO et à l'ambassade d'Ouzbékistan aux cérémonies organisées à Paris à l'occasion du 18 ème anniversaire de l'indépendance de ce pays.

• Le 16 novembre , le groupe a participé à une réunion d'information organisée par l'ambassadeur d'Ouzbékistan sur les élections parlementaires devant se dérouler dans ce pays en janvier 2010 (un petit déjeuner de travail au Restaurant du Sénat le 3 février 2010 a permis aux observateurs français ayant suivi le scrutin de présenter au groupe leurs conclusions sur ces élections).

• Le 18 décembre , plusieurs membres du groupe ont participé à la réception annuelle organisée au Pavillon Dauphine par l'ambassadeur du Kazakhstan.

EXERCICE 2010

• Le 22 janvier , le groupe a organisé un petit déjeuner de travail avec M. Zipper de Fabiani, nouvel ambassadeur de France au Tadjikistan.

• Le 3 février , le groupe a organisé un petit déjeuner de travail sur les élections parlementaires de décembre 2009-janvier 2010 en Ouzbékistan.

• Le 18 février , le Président André Dulait, sur la proposition du Quai d'Orsay, a accordé à deux journalistes proches de l'opposition kazakhstanaise en visite de travail en France un long entretien sur le fonctionnement de l'institution parlementaire française, sur les relations entre le Parlement et la presse et sur les moyens dont disposent les parlementaires français pour s'informer de l'état de l'opinion publique.

• Le même jour, le Président du groupe, M. André Dulait, a tenu une réunion de travail avec l'ambassadeur du Kazakhstan, S. Exc. M. Nourlan Danenov, et un des conseillers de l'ambassade.

• Le 25 mars 2010, le groupe a participé au colloque organisé par le Sénat et Ubifrance, « Voir plus loin ensemble en Asie centrale et au Caucase », puis au vernissage de l'exposition photographique sur l'Ouzbékistan organisée à cette occasion par l'Ambassade d'Ouzbékistan dans la Galerie Sud en présence de Mme Lola Karimova Tillyaeva, ambassadeur de l'Ouzbékistan auprès de l'UNESCO.

• Du 23 au 30 mars 2010, le groupe a accueilli en France une délégation des deux chambres du Parlement d'Ouzbékistan (deux sénateurs et quatre députés), conduite par Mme Mavjuda Radjabova, vice-présidente du Sénat. A Paris, la délégation a eu de très nombreux entretiens, dont une brève audience avec le Président du Sénat au Bureau de départ. La délégation a également participé, le 25 mars, au colloque organisé par le Sénat et Ubifrance, « Voir plus loin ensemble en Asie centrale et au Caucase » ainsi qu'au vernissage d'une exposition photographique sur l'Ouzbékistan. La délégation a ensuite passé deux jours dans les Deux-Sèvres et dans la Vienne, où elle a rencontré plusieurs responsables d'entreprises agricoles et agroalimentaires de ces départements.

• Le 6 avril , le groupe a participé à une conférence sur l'Ouzbékistan organisée au Sénat par l'Institut France-Europe-Asie (IFEA).

• Le 29 avril 2010, le groupe a accueilli au Sénat la réunion constitutive de l'Association des Amitiés franco-tadjikes, organisée à l'initiative de S. Exc. M. Henry Zipper de Fabiani, ambassadeur de France à Douchanbé, sous la présidence de M. Yves Pozzo di Borgo (UC - Paris), président délégué pour le Tadjikistan, et en présence d'une soixantaine de personnalités.

• Le 30 juin 2010, le groupe a organisé un petit déjeuner d'information et la projection d'un reportage vidéo sur les événements survenus dans le sud du Kirghizistan en juin 2010 et les atteintes très graves subies dans ces circonstances par la communauté ouzbèke établie au sud du pays, dans les environs des villes d'Och et de Djalal Abad, notamment.

• Le 8 septembre 2010, l e président du groupe, M. André Dulait, et le président délégué pour le Tadjikistan, M. Yves Pozzo di Borgo, ont organisé au Sénat une réunion de travail avec l'ambassadeur de France au Tadjikistan.

• Le 7 octobre 2010, l e groupe a accueilli au Sénat une réunion d'information sur le Turkménistan, organisée conjointement avec l'Association France-Turkménistan, avec la participation de nombreuses personnalités.

• Le 26 octobre 2010, e n marge de la visite officielle en France du président du Kazakhstan, M. Noursoultan Nazarbaïev, le président du groupe d'amitié, M. André Dulait, a accordé une interview télévisée à une équipe de journalistes de l'Agence de presse Khabar Agency. Les questions ont porté, pour l'essentiel, sur la perception dans l'opinion publique française de l'action du président Nazarbaïev durant la présidence kazakhstanaise de l'OSCE, sur les relations entre le Kazakhstan et l'Europe et, plus généralement, sur les possibles évolutions du rôle de ce pays sur la scène internationale.

• Le 9 novembre 2010 , le groupe a organisé, conjointement avec la Cour des Comptes et le service des Relations internationales, la visite au Sénat d'une délégation parlementaire kazakhstanaise venue en France étudier la procédure budgétaire française.

• Le 15 décembre 2010, le président du groupe, M. André Dulait, a reçu au Sénat une délégation ouzbèke conduite par M. Rayshanbek Mansurov, secrétaire d'État au ministère de la Culture.

• Le 22 décembre 2010, l e groupe a participé à la deuxième réunion de l'Association des amitiés franco-tadjikes, organisée à l'Assemblée nationale. Cette rencontre a été introduite par M. Aymeri de Montesquiou, qui a souligné la position clé du Tadjikistan comme trait d'union entre le monde musulman et le monde occidental, et entre la Chine et l'Europe. Il en a également souligné les grands potentiels économiques, notamment dans la production d'électricité et dans l'élevage, deux secteurs où l'expertise française avait de réelles cartes à jouer.

EXERCICE 2011 (premier semestre)

• Le 17 janvier , M. André Dulait, président du groupe, a organisé au Sénat, une réunion de travail avec M. Pierre Lebovics, nouvel ambassadeur de France au Turkménistan. L'ambassadeur a fait le point de la situation politique et économique actuelle de ce pays, dopée par la production d'hydrocarbures (gaz naturel, notamment) et qui, selon tous les spécialistes, offre d'intéressantes opportunités d'affaires dont les entreprises françaises gagneraient à tirer meilleur parti.

• Le 26 janvier , M. André Dulait, président, et Mme Brigitte Bout, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, ont organisé au Sénat une réunion de travail avec S. Exc M. Aloev, ambassadeur d'Ouzbékistan en France, qui leur a présenté à cette occasion le nouveau conseiller politique de l'ambassade, M. Khamid Khoshimov. Cette réunion a permis de faire un premier bilan de la visite officielle le 24 janvier 2011 du président Islam Karimov à Bruxelles à l'invitation du président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso.

• Le 27 janvier , Mme Brigitte Bout, présidente déléguée pour l'Ouzbékistan, a assisté à l'ambassade à la projection d'un documentaire sur ce pays réalisé par les équipes de l'émission télévisée « Des racines et des ailes ».

• Le 2 mars , le Président du groupe, M. André Dulait, le Président délégué pour le Kirghizistan, M. Jean-Marc Pastor, et M. Aymeri de Montesquiou ont assisté à l'audience accordée par le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, à la Présidente de la République du Kirghizistan, Mme Rosa Otounbaeva, invitée en visite de travail en France par l'UNESCO à l'occasion d'une Conférence mondiale de l'Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE). Lors de cette audience, le Président du Sénat a demandé au groupe d'amitié d'organiser dès que possible une mission au Kirghizistan afin de préparer un programme de coopération interparlementaire avec l'assemblée de ce pays, fortement engagé dans la voie de la démocratie parlementaire.

• Le même jour (2 mars) , le Président du groupe, M. André Dulait, a tenu une réunion de travail avec l'ambassadeur de France au Kirghizistan (de passage à Paris à l'occasion de la visite en France de la Présidente kirghize) en vue, notamment, d'arrêter les premières grandes lignes de la prochaine mission du groupe d'amitié au Kirghizistan.

• Le 9 mars , le groupe a organisé un petit déjeuner de travail pour faire le point avec l'ambassadeur d'Ouzbékistan, S. Exc. M. Aloev, sur les relations avec ce pays et sur son environnement géopolitique en Asie centrale.

• Du 18 au 24 avril , une délégation du groupe interparlementaire d'amitié France-Asie centrale s'est rendu en avril dernier au Kirghizistan et au Tadjikistan (le compte rendu de cette mission est l'objet du présent rapport d'information).

• Les 6 et 7 mai , le Président du groupe d'amitié, M. André Dulait, a participé à Tachkent comme représentant du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, à un colloque franco-ouzbek de droit constitutionnel organisé sous l'égide conjointe du Sénat d'Ouzbékistan et de l'ambassade d'Ouzbékistan en France. Première du genre, cette rencontre a réuni de nombreux spécialistes internationaux du droit constitutionnel, et a permis de faire un bilan des avancées réalisées dans ce domaine par l'Ouzbékistan depuis son accession à l'indépendance en 1991. A son retour, M. André Dulait a publié dans la revue d'information éditée par l'ambassade d'Ouzbékistan un article (« Quelques réflexions personnelles sur les avancées du parlementarisme en Ouzbékistan ») rendant compte de cette manifestation.

• Le 12 mai , le groupe d'amitié a participé au colloque économique sur la région Asie centrale-Caucase « Les dividendes de la persévérance, les promesses de la confiance » , organisé sous l'égide des groupes interparlementaires d'amitié France-Arménie, France-Asie centrale et France-Caucase, en partenariat avec Ubifrance. En ouverture de la rencontre, le Président du groupe, M. André Dulait a lu un message du président du Sénat, M. Gérard Larcher, soulignant l'ancienneté et l'intensité des liens entre le Sénat et les États de cette région, puis a récapitulé l'action du groupe d'amitié au service de cet objectif. Soulignant la position géostratégique clé de cette région, M. Aymeri de Montesquiou, président délégué pour le Kazakhstan, a regretté que la France n'y soit pas mieux positionnée.

• Le 25 mai, s ur la proposition conjointe du Quai d'Orsay et de l'ambassade d'Ouzbékistan, le groupe interparlementaire d'amitié France-Asie centrale a organisé un après-midi de travail au Sénat d'une délégation de l'Institut d'études de la société civile (IESC), principale ONG d'Ouzbékistan oeuvrant dans le domaine de la promotion d'une société civile susceptible de contribuer au débat public et au développement des libertés. Dans ce cadre, la délégation, conduite par le directeur de l'IESC, M. Golibjon Abdukarimov, a d'abord participé à un long entretien de travail avec le président du groupe d'amitié, M. André Dulait, au cours duquel on été abordés de nombreux points concernant le travail parlementaire, les relations entre le Parlement et la société civile, ainsi que sur le contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement et des administrations publiques. Puis, deux administrateurs du Sénat ont présenté un exposé sur le rôle et le fonctionnement des groupes politiques au Sénat et leur articulation avec l'action des partis politiques.

• Le 27 mai , sous l'égide du groupe d'amitié France-Asie centrale, a été projeté en avant première, salle Clemenceau, un documentaire sur « Les enfants du Goulag », réalisé par Romain Icard et coproduit par l'entreprise « Les Films en vrac » et différents partenaires dont France Télévisions. Consacré aux enfants internés ou nés dans les goulags sous la période stalinienne -notamment ceux implantés sur le territoire de l'actuel Kazakhstan-, ce film a rassemblé un public nombreux, y compris des diplomates de plusieurs États issus de l'ex-URSS. Dans son allocution, l'ambassadeur du Kazakhstan a souligné qu'au démantèlement des camps de travail, de nombreux internés de nationalités très diverses étaient demeurés sur place, y avaient continué leur vie et que ces épisodes douloureux faisaient ainsi partie intégrante de l'histoire de la jeune nation kazakhstanaise.

Annexe 2

La réunion constitutive au Sénat de l'association
« Les Amitiés franco-tadjikes »

(Jeudi 29 avril 2010, Palais du Luxembourg - Salle Monnerville)

Ordre du jour

18h00 : Ouverture des travaux

- M. Aymeri de MONTESQUIOU, sénateur

- Yves POZZO di BORGO, sénateur

- Henry ZIPPER de FABIANI, ambassadeur de France au Tadjikistan

18h10 : Le cadre politique des relations France-Tadjikistan et Union européenne-Tadjikistan

- Roland GALHARAGUE, directeur d'Europe continentale, MAEE

- Pierre MOREL, ambassadeur, Représentant spécial de l'UE pour l'Asie centrale et la
Géorgie, ancien ambassadeur de France au Tadjikistan

18h20 : Le rôle de la société civile

- Marie-Pierre CALEY, co-fondateur d'ACTED

- Gérard LUTIQUE, président des Cercles Kondratieff

18h40 : Projets culturels

- Laurence LEVASSEUR, mission culture France Asie centrale Lulistan

18h50 : Les enjeux économiques au Tadjikistan pour la France

- Guillaume GISCARD d'ESTAING, P-DG de SOFEMA

- Jérôme BARTHE, Vice-président d'AREVA T&D

19h20 : Le rôle des universitaires et de la recherche dans l'approche d'un pays persanophone, au confluent de l'Asie centrale et de l'Asie du sud

- Stéphane DUDOIGNON (EHESS, CNRS)

- Olivier FERRANDO (IEP Paris & Lille, CERI)

- Amir MOGHANI : une place et des projets pour le tadjiko-persan

19h55 : Perspectives et projets

Le compte rendu de la réunion, ci-après, est une transcription en style directe établie sous la seule responsabilité de l'Association

OUVERTURE DES TRAVAUX

• M. Aymeri de MONTESQUIOU, Sénateur du Gers, représentant spécial du Président de la République pour l'Asie centrale, Président délégué du groupe d'amitié (Kazakhstan)

C'est un plaisir de vous accueillir au Sénat. Le président DULAIT, qui cherche à démentir l'adage selon lequel la démarche d'un sénateur est lente, revient d'Indonésie et est donc un peu victime du décalage horaire et j'essaierai de mon mieux de le remplacer en attendant l'arrivée de M. POZZO di BORGO, président délégué du groupe pour le Tadjikistan.

Nous allons parler du Tadjikistan, pays qui est connu de vous tous, pays très intéressant, pays fascinant, pays qui porte encore la marque d'Alexandre. Lorsque vous traversez la frontière, vous voyez des ruines grecques parce qu'en Afghanistan et sur place le nom d'Alexandre est toujours, aussi bizarre que cela puisse paraître 2.300 ans après, présent dans certains esprits.

C'est un pays lointain qui a subi des chocs politiques très importants au début des années 90. Je me rappelle avoir marché un peu plus vite que de coutume dans les rues de Douchanbe lorsque l'on tirait d'une rue à l'autre. C'est un pays qui est maintenant apaisé, sans doute parce qu'il a à sa tête un président qui doit avoir une poigne un peu ferme, le président RAKHMON. C'est un pays qui n'a pas énormément de ressources, mais a un potentiel d'hydroélectricité considérable. Il y a aussi un potentiel agricole ; il y a des français qui réussissent particulièrement, entre autres dans le domaine de l'élevage. Mais c'est un pays lointain par sa culture, par ses paysages ; un pays vraiment attrayant : monter à cheval dans les montagnes tadjikes c'est un vrai plaisir, on est dépaysé lorsque l'on est au Tadjikistan.

La France a choisi ce pays comme relais dans les opérations en Afghanistan. La France fait un effort particulier d'investissement en faveur de l'aéroport de Douchanbe. C'est un projet important parce qu'il montre l'intérêt de la France pour ce pays ; important, parce que son inauguration devrait pouvoir coïncider avec les 20 ans de l'indépendance de ce pays. Le pays n'est pas encore tout à fait paisible, parce qu'il côtoie l'Afghanistan et que la drogue peut passer par ses frontières comme par celles de l'Ouzbékistan et du Turkménistan. C'est un facteur de désordre potentiel qu'il ne faut pas négliger, mais c'est un pays que nous connaissons de mieux en mieux. Grâce à Monsieur l'Ambassadeur, l'autre jour nous avons eu un certain nombre de rencontres, en particulier avec le président RAKHMON. Les gens nous écoutent, ce qu'on leur dit les intéresse. C'est un point important.

J'étais dans ce pays pour la première fois en 1994. J'y suis retourné à quelques reprises ; aujourd'hui j'y retourne parce que Monsieur le Président de la République m'a fait l'honneur de me nommer son représentant spécial pour l'Asie centrale. Ce pays, il ne faut pas le négliger, pour des raisons de sécurité mais aussi pour des raisons économiques. Je suis convaincu que l'hydroélectricité dont je vous ai parlé tout à l'heure est un des domaines où des entreprises comme Alsthom, comme Bouygues, Vinci, EDF, Lafarge peuvent s'exprimer fortement parce que ce sont de grands contrats qui peuvent être financés par la Banque asiatique de Développement ou par la Banque Mondiale. Il y a un vrai manque d'électricité dans toute la région : l'Iran, l'Afghanistan, le Pakistan, la Chine, le Kazakhstan, la Russie ont besoin d'électricité et, au Tadjikistan, il y a une source très importante d'hydroélectricité.

Cette hydroélectricité est aussi un facteur de tensions avec l'Ouzbékistan dans la mesure où, en aval, se trouve ce pays ; et l'Ouzbékistan a peur que des barrages trop importants tarissent ses ressources en eau. Déjà les deux fleuves principaux le Syr-Daria et l'Amou-Daria, sont ponctionnés fortement pour la culture du coton. Donc c'est un facteur de tensions important. Je ne sais pas si la France peut jouer un rôle d'apaisement entre ces deux pays ; peut être qu'il y a un risque de se brûler les doigts, peut-être qu'il y a d'autres formules. Par exemple j'essaye de trouver une médiation avec l'Aga Khan, qui est, je ne dirai pas puissant, mais qui est influent sur place. Il y a des vallées qui sont peuplées essentiellement d'ismaéliens, et les ismaéliens pèsent dans l'économie tadjike.

J'ai sans doute été un peu long, peut-être que Monsieur l'Ambassadeur pourra habilement prendre le relais et dire des choses beaucoup plus précises que ce vaste tableau un peu flou et pointilliste que j'ai pu tracer.

• M. Yves POZZO di BORGO, Sénateur de Paris, président délégué du groupe d'amitié France Asie centrale pour le Tadjikistan

J'arrive de Strasbourg, du Conseil de l'Europe, il a fallu que je courre. Je suis désolé si j'arrive un peu en retard. Simplement, on est tout un groupe de sénateurs, dont mon ami Aymeri de Montesquiou ici présent, qui, depuis que nous sommes sénateurs, lui bien avant moi, se sont préoccupés de tout ce qui concerne cette zone à l'est de l'Europe qui était très mal connue en France. Nous sommes tous les deux également membres du groupe d'amitié France Russie dont nous sommes tous les deux vice-présidents. Aymeri a lui beaucoup plus de connaissances que moi sur les pays de cette région ; il a beaucoup plus circulé et nous sommes quelques-uns uns à vraiment faire en sorte de développer le maximum de relations avec ces pays là.

Moi-même, je m'occupe essentiellement de la Russie ; j'ai déjà écris il y a trois ans un rapport sur les relations Union européenne - Russie que je suis en train de réactualiser, mais également, à la suite de cela, le Président DULAIT qui est le président du groupe d'amitié avec tous les pays d'Asie centrale, m'a demandé de prendre la présidence du groupe pour le Tadjikistan. Je prends ces fonctions de président délégué du groupe d'amitié. C'est ma première réunion. J'ai déjà connu l'Ambassadeur en d'autres temps, dans des situations qui n'étaient pas simples. Je me souviens, on était ensemble en Bosnie-Herzégovine.

On est là nous pour vous accompagner. C'est l'intérêt des groupes d'amitié ; ils ont la valeur que les présidents et les équipes leur fournissent. Notre idée, c'est de vous accompagner, aussi bien les entreprises, les ONG et tous ceux qui souhaitent que l'on connaisse mieux ce pays. Nous sommes plutôt considérés comme des missi dominici, à votre service ; c'est le rôle des parlementaires. Je sais qu'il y a des entreprises ici qui n'ont pas besoin des parlementaires. Nous sommes ici pour vous accompagner et vous aider si vous le souhaitez.

• M. Henry ZIPPER de FABIANI, Ambassadeur de France au Tadjikistan

Merci Messieurs les Sénateurs. Je souhaite remercier le Président DULAIT et tous les membres du groupe amitié France-Asie Centrale d'avoir réuni ici le plus grand nombre possible d'amis du Tadjikistan en France et je suis heureux de vous retrouver ici sous les auspices du Sénat, mais également de prolonger ainsi notre relation avec le groupe d'amitié France-Tadjikistan à l'Assemblée nationale dont Monsieur le député Claude GATIGNOLE, ici présent, est membre.

Je dois souligner que les parlementaires sont d'une grande aide pour contribuer avec nous tous à entretenir des liens avec les pays dont nous avons la charge. Je ne reviendrais pas sur les missions parlementaires qui sont des moments importants pour explorer les domaines dans lesquels nous voulons aller de l'avant.

Avant de donner la parole aux prochains orateurs, j'aimerais aussi vous dire quelques mots.

Je voudrais remercier tous ceux qui travaillent en France ou avec la France pour renforcer les liens entre notre pays et le Tadjikistan et son environnement immédiat en Asie Centrale et en Afghanistan.

J'ai coutume de dire qu'au Tadjikistan, il y a très peu de Français mais qui sont tous de très grande qualité. Aujourd'hui nous avons un rassemblement de personnalités talentueuses et actives et cela doit être souligné. C'est désormais, dans les relations internationales, quelque chose de fondamental : les administrations, les assemblées jouent leur rôle, mais également les entreprises, les ONG. Nous avons ici notamment ACTED qui va faire une intervention en la personne de Marie-Pierre CALEY ; mais également Mme Danielle MANE qui a fondé une association d'aide aux enfants des rues après le drame que nous connaissons tous quand elle a perdu sa fille lors de la guerre civile ; le Cercle Kondratieff. Handicap international n'est pas présent mais commence à s'implanter au Tadjikistan. Il y a donc des ONG qui font partie du tissu des relations internationales et j'en ai sans doute omis.

Je mentionne aussi le mouvement de solidarité de la Fédération internationale de la Croix Rouge et du Croissant rouge dont le représentant à Douchanbé, Éric MICHEL-SELLIER, est présent ici même. La mission de l'OSCE, qui comporte plusieurs compatriotes, est aussi présente parmi nous grâce à Rodolphe OBERLE, spécialiste des frontières.

Il y a des représentants d'entreprises. Je ne vais pas les citer toutes parce que deux d'entre elles sont mises en valeur, étant à la tête de projets très concrets et actuels au Tadjikistan mais il y en a d'autres présentes ici et elles sont bien sûr les bienvenues.

Il y a parmi nous des artistes : musiciens, danseurs, chorégraphes, metteurs en scène, cinéastes. Il y a également des intellectuels, des universitaires, des chercheurs : archéologues, politologues, enseignants en langues, chercheurs en littérature, en cinéma ... Et puis des personnes qui représentent des mouvements associatifs divers comme l'association des Tadjiks et des persanophones, l'association Rudaki dont je salue le président, le docteur Massoud MIRSAHI. Donc il y a beaucoup de talents que je ne peux pas mentionner de façon exhaustive bien sûr.

Une association pour quoi faire?

Nous avons décidé avec quelques amis, quelques collègues, quelques relations, de rassembler, de surmonter les clivages et les cloisonnements - qui sont assez naturels, chacun travaillant dans son domaine d'action -, d'assurer plus de continuité dans le temps, d'assurer un maximum de transparence, de favoriser l'initiative, d'encourager de nouveaux projets et de faire en sorte de se rencontrer : bien que nous communiquions tous par courriels, connexions internet, il faut de temps en temps se voir, se rencontrer, voir nos visages et essayer ensemble de nouer de nouvelles relations et de préparer de nouveaux projets pour mieux faire connaître la France au Tadjikistan, ce qui est ma mission première mais aussi mieux faire connaître le Tadjikistan en France et en Europe car ce pays mérite d'être connu. Il n'est pas assez connu et il fait parti aussi d'un environnement qui n'est pas suffisamment bien compris. Il est donc important que nous contribuions à une meilleure connaissance mutuelle.

Je m'arrête ici pour cette présentation générale car je donne la parole aux orateurs suivants : Roland GALHARAGUE, directeur d'Europe Continentale, qui veille depuis le Quai d'Orsay sur l'ensemble de nos travaux, puis Pierre MOREL, représentant spécial de l'Union européenne pour l'Asie Centrale et la Géorgie.

LE CADRE POLITIQUE DES RELATIONS FRANCE-TADJIKISTAN / UNION EUROPÉENNE-TADJIKISTAN

• M Roland GALHARAGUE, directeur d'Europe continentale au Ministère des Affaires étrangères et européennes

Merci Henry. Deux fois merci : merci pour cette présentation que tu viens de faire ; et merci pour avoir pris cette initiative de fédérer en France tous ceux qui, à un titre ou à un autre, s'intéressent à ce pays qui reste c'est vrai assez méconnu.

Nous sommes effectivement à un moment où nous avons besoin de davantage de transparence, davantage d'échanges entre les différentes composantes de cette relation franco-tadjike qui est souvent perçue sous un angle dominant, le sénateur de Montesquiou l'a évoqué, qui est essentiellement l'angle afghan. Avec le Tadjikistan, on a l'impression d'avoir affaire à une sorte de pays relatif : pourquoi est-ce que le Tadjikistan serait-il important, pourquoi compterait-il ? A cause de l'Afghanistan ou parce que c'est le seul pays persanophone dans un environnement essentiellement turc ?

Or, je crois et votre présentation ici le montre et la diversité des profils qui sont rassemblés le montre, je crois que la relation franco-tadjike a réussi, est en train de réussir à s'émanciper de ce qui a été le moment le point fondateur de son développement c'est-à-dire cette relation essentiellement de défense, relation liée au théâtre afghan, relation liée à l'installation à Douchanbé d'un détachement aérien, laquelle a ensuite conduit à ce qui est encore aujourd'hui le principal projet économique entre la France et le Tadjikistan, c'est à dire la construction ou l'appui à la construction de l'aéroport de Douchanbé. Ça, c'est clairement le moment de définition de cette relation et je crois que votre présence ici, la diversité des talents qui sont rassemblés montre qu'il y a beaucoup plus de choses à faire au Tadjikistan que ce qui nous y faisons pour l'instant.

J'en prendrai quelques exemples. En premier lieu, il est important de dire que cette relation, d'abord opérationnelle, d'abord presque militaire s'est maintenant prolongée sur le plan politique. C'est important de noter par exemple que, puisque nous pensons qu'il n'y a pas de solution militaire au problème afghan, parce que nous pensons qu'il faut une solution politique à ce problème, il faut que les pays voisins soient associés à la définition de cette solution. Il c'est important de noter que le Tadjikistan a participé à deux reprises à des réunions qui ont été organisées sur l'Afghanistan avec l'ensemble des pays concernés, l'ensemble des pays voisins ; et c'était une chose qui n'allait pas naturellement de soi. Le Tadjikistan n'est pas un pays qui a occupé sur la scène internationale une place prééminente.

Henry a évoqué aussi le rôle de l'Aga Khan. La fondation de l'Aga Khan, AKDN, est effectivement très présente au Tadjikistan et, là aussi, c'est intéressant de voir que c'est un point d'application pour une stratégie plus vaste parce que, et certains d'entre vous le savent, le gouvernement français a conclu, et c'est je crois une première, une convention générale de coopération avec le réseau de l'Aga Khan. Donc là aussi existe une relation qui s'est diversifiée.

Je laisserai à Pierre Morel le soin de nous dire dans quelle mesure aussi le Tadjikistan a été pris en compte sous plusieurs aspects, aussi bien le trafic de drogue, le problème de l'eau, le problème des frontières, par la stratégie de l'Union européenne en Asie Centrale. Mais je crois que le point fondamental qui nous réunit et qui justifie cette initiative, que je tiens de nouveau à saluer, est que le Tadjikistan ne se limite pas à sa dimension purement opérationnelle, mais que nous avons tout intérêt, dans la perspective de l'évolution probable du théâtre afghan, mais aussi pour une tout autre série de raisons - c'est intéressant de noter que c'est un pays persanophone alors que la situation internationale sur l'Iran est celle que l'on connaît-, nous avons intérêt à rassembler toutes ces énergies, toutes ces spécialités, qui, d'une certaine manière, concernent toutes le Tadjikistan. Merci beaucoup.

• M. Pierre MOREL, premier ambassadeur de France au Tadjikistan, Représentant Spécial de l'Union européenne pour l'Asie centrale

Merci Henry, Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs.

Pardon pour mon retard, j'arrive droit de Bruxelles. Donc ma tâche est déjà désignée, qui est de donner la dimension européenne qui est encore une dimension française et qui doit être soulignée dans cette rencontre fondatrice de l'association des amitiés franco-tadjikes tout simplement parce qu'en terme de représentation diplomatique en ce moment, et Henry Zipper en est le témoin aujourd'hui, la France est le tiers de l'Union européenne, maintenant le quart si j'ose dire car l'on vient d'ouvrir une délégation de l'Union européenne après tant d'années. Et donc ça veut dire que nos responsabilités restent fortes au-delà des responsabilités actuelles qu'a évoquées Roland GALHARAGUE.

Je voudrais aussi dire quelques mots, avant d'aborder la dimension européenne, non pas pour trop cultiver les souvenirs, mais pour que cet élément du panorama apparaisse aussi dans notre prise de contact collective, à ce moment fondateur que permet cette réunion ici au Sénat qui nous accueille, c'est de prendre la dimension des circonstances dramatiques qui ont marqué la naissance de ce pays.

J'ai été le premier ambassadeur de France au Tadjikistan et j'en suis très fier et je tiens à le rappeler régulièrement. Mais mon premier séjour à Douchanbé avait été celui d'un tout jeune diplomate en poste à Moscou et, donc, ça remonte à très loin. Mais j'ai été heureux ensuite d'avoir cette tâche depuis l'ambassade à Moscou parce que, dans un premier temps, il fallait assumer l'ouverture des relations diplomatiques sans pouvoir ouvrir immédiatement une ambassade dans chacun des pays nouvellement indépendants. Et, là, il faut dire un mot du drame absolu qu'a été la guerre civile dont on n'a pas tellement l'idée parce que tant de choses bougeaient dans ces années 91-92 qu'on en a eu un écho très amorti.

Ça a été une guerre atroce et il ne faut jamais l'oublier, parce que ça compte dans la vie d'aujourd'hui au Tadjikistan. On compte qu'il y a eu à peu près 100 000 morts en six mois, pour un peuple d'à peu près 6 millions d'habitants. Cela donne une idée du choc terrible que cela a été. Je ne vais pas entrer dans les circonstances qui ont provoqué cette situation, mais s'intéresser au Tadjikistan, c'est quand même aussi essayer de comprendre comment cela a été possible. Je crois que des raisons assez complexes ont mêlé l'autodéfense de groupes issus des centres de pouvoir hérités de l'époque soviétique et la montée de nouvelles élites et de nouveaux centres de pouvoir qui n'ont pas émergé d'un seul coup, qui en fait avaient commencé à prendre forme dès l'époque gorbatchévienne.

Nous avons une vision à nous de l'époque gorbatchévienne, de la Glasnost, avec l'ouverture des échanges et les intellectuels qui s'exprimaient. En Asie Centrale, ça a été la remontée d'une effervescence qui n'avait jamais totalement disparu et qui s'est concrétisée dans les différents pays de façons extrêmement diverses, comme si la chape soviétique avait été enlevée d'un coup et que tout se remettait en place. Ça ne s'est pas produit en 91-92, cela s'est produit en 85 :à ce moment-là un certain nombre de mollahs et différentes tendances relevant de la mouvance islamique, au besoin stimulées du dehors - je pense à Peshawar et autres lieux-, ont commencé à entrer en effervescence, à nouer des réseaux et, au fond, en 92, j'ai envie de dire qu'eux étaient prêts, si le Tadjikistan n'était pas prêt pour son indépendance. Et, donc, d'un seul coup, vous avez eu une sorte de clash dans les rapports de force, avec également des rivalités claniques.

Le pays est très compartimenté, et c'est aussi sa richesse, avec des cultures très différentes. Et, là, s'est déclenchée une violence extraordinaire, terrible, en quelques mois, qui a laissé des traces très profondes et qui laisse encore aujourd'hui, au Tadjikistan, un sentiment qui repose sur un « plus jamais ça ! », et de façon très forte même si maintenant déjà certains disent que la nouvelle génération ne mesure pas ce que ça a été. Quand même, il y a une sorte d'élément de pondération et une retenue qui je crois joue un rôle important dans la vie du Tadjikistan aujourd'hui, sur la vie institutionnelle, ses insuffisances etc. N'oublions jamais ce drame. En même temps, il a au moins conduit à quelque chose qui est remarquable dans l'histoire de ce pays, la « réconciliation » de 97, c'est-à-dire un véritable accord de paix civile entre toutes les parties grâce à l'intelligence des différents responsables des mouvances des deux cotés : du coté islamique tadjik, opposants islamiques qui étaient avant entrés en véritable guérilla, et du côté des autorités en place avec le cas unique du seul parti d'inspiration musulmane, qui est le Parti de la Renaissance Islamique, le PRI, conduit par un brillant chef et animateur politique, M. Mohieddine KABIRI, représentant la jeune génération, extrêmement ouvert, cultivé, habile, qui est un peu polyvalent, comme chef de parti dans la région ; c'est un cas unique dans toute l'Asie Centrale. Partout ailleurs, tout ce qui relève de l'intitulé « islamique » est placé sous surveillance pour un certain nombre de raisons - je n'entre pas dans les détails.

C'est un parti qui se veut démocratique mais, en même temps, avec la franchise qui le caractérise, M. KABIRI dit « je suis un vrai démocrate, je veux être un vrai démocrate et apporter une culture politique dans ce pays après les drames qu'il a connus, mais je reconnais que ma base est une base plus dure, plus fondamentaliste et c'est comme ça que j'essaie de travailler ». Toujours est-il que ce parti se présente aux élections, obtient des voix, des sièges au parlement et songe à une candidature à la présidentielle. Mais, en même temps, vous avez un chef de parti qui est accusé par une partie de sa base d'être un peu une opposition de Sa Majesté parce qu'il se retient de pousser trop fort dans l'attitude d'opposition en disant, avec la mémoire que nous avons, « attention ! ». avec une ambition à long terme d'essayer de faire évoluer dans le sens d'une conception démocratique de la vie publique, toute cette mouvance qui est passée par la guérilla dans les montagnes et avec un passé historique important : souvenons-nous que c'est dans les montagnes du Tadjikistan qu'a perduré la dernière résistance au pouvoir soviétique avec les Basmatchi, jusque tard dans les années 30. Donc, il y a une mémoire tadjike complexe et riche.

Voilà ce que je voulais dire très rapidement, même si, après ce drame, et même pendant ce drame, je me souviens de missions où il était difficile de sortir de Douchanbe. J'ai essayé de le faire quelquefois ; ça n'était pas simple, c'était même risqué, mais il fallait quand même aller vers le reste du pays autant que possible, en tout cas hors de la capitale ; il fallait essayer de réveiller ces réseaux remarquables d'enseignement du français, ces universités qui brusquement étaient un peu lâchées dans le vide, perdant le fil de la relation avec Moscou. Il fallait essayer de garder le contact avec cet élément remarquable qui persiste à Douchanbé : une classe intellectuelle de grande qualité. Parce que vous avez au Tadjikistan l'un des meilleurs foyers d'études orientales et des civilisations orientales qui a formé des générations d'experts à l'époque soviétique. Et tout ceci fait partie de l'originalité du Tadjikistan.

Voilà la toile de fond que je voudrais donner sur les années que j'ai connues et en même temps l'élément original qui se présente encore aujourd'hui : en 2007 nous avons célébré les dix ans de cet accord de paix et les anciens combattants et intellectuels de la grande mobilisation islamique du temps de la guerre civile et ensuite de la négociation de l'accord, Turashonzadé, à la fois intellectuel et ancien mufti tadjik, étant l'un des symboles, avec Nouri, qui était l'un des chefs du parti islamique, mort depuis. Tout ceci pour vous donner une idée : Nouri était installé à Téhéran pendant toutes les années qui ont suivi la phase violente de la guerre civile et on était vraiment dans un rapport de négociations régionales extrêmement tendues. Cette époque est terminée, elle n'est pas oubliée. Voilà, je crois ce qu'il faut en dire.

J'en viens à l'Union européenne aujourd'hui, dans le cadre des responsabilités que j'assume depuis trois ans et demi, de Représentant spécial de l'Union européenne pour l'Asie Centrale, ce qui en inclut les cinq républiques, dont le Tadjikistan.

Alors, évidemment, deux considérations sur ce chapitre, sur la relation de l'Union européenne avec le Tadjikistan :

1. Il convient de considérer que cette relation de l'Union européenne avec les cinq états d'Asie centrale qui ont quand même beaucoup en commun et qui ont beaucoup d'intérêt envers l'Europe, parce que l'Asie Centrale s'appelle, veut s'appeler aussi Eurasie, car elle a le sentiment d'être vraiment entre deux mondes : par la colonisation puis par l'expérience soviétique avec le sentiment que le lien avec la culture européenne s'est établi, ils ne l'ont pas choisi, ça fait parti de leur formation, de leur histoire, l'Asie Centrale dès l'entre-deux-guerres, dans le contexte que j'ai rappelé, qui était tendu, en tous cas depuis la deuxième guerre, a produit, stimulé des générations de jeunes cadres soviétiques venus d'Asie Centrale, des femmes ingénieurs ayant le même statut que les autres dans le contexte d'une Asie Centrale qui dans son environnement n'avait pas du tout le même rapport avec la situation politique et sociale du Moyen-Orient, je pense au reste de la région et aux comparaisons qu'on peut faire.

Le Tadjikistan, pauvre, peu doté en hydrocarbures avec des poches de pauvreté considérables et des défis, 7% seulement des terres du Tadjikistan sont cultivables, donnée fondamentale, et en plus une bonne partie à l'époque soviétique de ce 7% de terres était voué à la grande production du coton comme une des grandes richesses stimulées dans l'Asie Centrale soviétique. On voit bien comment les dépendances et l'exploitation, la colonisation de fait a pu se produire.

En même temps, la logique de l'Union européenne a été d'accorder un égal intérêt à ces cinq pays. Il n'y a pas de grand frère dans notre vision de la relation avec l'Asie Centrale, il n'y a pas de pays importants et de pays secondaires. La démarche que nous avons est la même, avec des accords de partenariat et de coopération avec chacun des pays d'Asie Centrale. Et évidemment des volumes des échanges et des relations économiques de nature très différentes, avec un Kazakhstan qui est en voie d'être 3 ème ou 4 ème producteur mondial de pétrole, évidemment les choses se présentent différemment mais ceci est posé en principe: les cinq pays sont les cinq partenaires de l'Union européenne en Asie Centrale.

2. Nous sommes partis du fait que la présence de l'Union européenne a été là dès le début avec des projets précis dans un cadre qui vous rappelle peut être quelque chose que l'on appelait TACIS, l'assistance technique aux pays de la CEI mais c'était du ponctuel, projet par projet, en essayant d'identifier les besoins les plus évidents de ces États en cours d'émergence dans une société internationale dans laquelle ils ne s'attendaient pas entrer.

Pour eux, le grand modèle soviétique, c'était la meilleure des protections, c'était la garantie de partager le destin d'un très vaste pays qui offrait un certain nombre d'opportunités y compris celle de la modernité, sous un angle bien particulier. Et ce que nous avons entendu comme Européens, que ce soit à titre bilatéral ou dans ces premiers projets, c'est : « enfin, vous les Européens on vous rencontre autrement que par le prisme soviétique », et donc un appétit, une attente très forte qui n'a pas été pleinement saisie parce que l'Union européenne n'avait pas encore une gamme de relations avec cette région suffisamment développée : il y avait les premières priorités, il y a eu l'élargissement, je passe. Et donc c'est vrai que, pendant longtemps, l'Asie Centrale a été lointaine. En puis avec l'élargissement de l'Union européenne, la montée de nouveaux enjeux de l'après guerre froide ; alors là j'ai envie de dire que l'Union européenne s'est rapprochée de l'Asie Centrale et vice-versa.

Si bien qu'en 2007 nous avons mis en place une stratégie de l'Union européenne pour l'Asie Centrale qui s'applique aux cinq pays, qui n'est pas un simple plan d'action pour quelques années, qui est une stratégie pour un partenariat à long terme. Certes l'adhésion n'est pas la perspective, mais l'idée est de reconnaître que nous avons des intérêts communs avec ces pays et qu'il faut se mettre à travailler ensemble méthodiquement. Nous avons défini six priorités qui sont simples et claires :

Ø Premièrement : les droits de l'Homme, l'état de droit et les réformes démocratiques, non pas pour imposer quelque modèle que ce soit, mais pour une raison très simple et très claire: dès leur indépendance, les pays d'Asie Centrale ont voulu adhérer à l'OSCE dont faisait partie l'URSS c'est à dire l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, installée à Vienne, formée à partir des fameux accords d'Helsinki de 75, convertie en organisation après la fin de la guerre froide et donc ces pays ont dit « nous voulons faire partie de l'OSCE parce qu'avant l'URSS y était ». Mais, faire partie de l'OSCE, c'est s'engager sur les principes fondamentaux qui ont été consolidés après la fin de la guerre froide : la démocratie est le fondement de la paix en Europe et donc les droits de l'Homme, l'état de droit et la mise en place des réformes. Non pas d'un seul coup comme une espèce de modèle imposé mais un chemin à suivre avec aussi l'équilibre et la pondération et les étapes que cela suppose. C'est comme ça que nous avons choisi cette première priorité.

Ø 2 ème priorité : l'éducation. C'est le pari sur l'avenir et aujourd'hui cela veut dire que le programme Erasmus et le programme Erasmus Mundus d'échanges des étudiants est étendu à l'ensemble de l'espace de l'Asie Centrale. Ça n'est pas simple à mettre en oeuvre mais le principe est posé. Et donc c'est comme ça qu'on finance des bourses, qu'on met en place des relations avec les universités ; je ne détaille pas.

Ø 3 ème priorité, le développement économique et social et des échanges. Cela peut paraître aller de soi, mais ça consiste à identifier, dans un pays comme le Tadjikistan, et aussi le Kirghizstan, les deux pays pauvres, montagneux de l'Asie Centrale, là où se trouvent les poches de pauvreté, pour contribuer à la stabilisation de ces pays, essayer de mettre en place des formules de revenu minimum ce qui amène un travail approfondi avec les institutions de ces pays, à choisir des filières de transfert de revenu et de soutien aux zones les plus pauvres, en veillant à ce que la corruption ne détourne pas les moyens ; cela amène à travailler en profondeur avec les gouvernements et notamment les ministères des finances et des affaires sociales de ces pays.

Ø 4 ème priorité, l'énergie à cause effectivement des hydrocarbures - et c'est ce à quoi on pense, quand on parle du Kazakhstan, mais on pourrait parler du Turkménistan ou de l'Ouzbékistan -, mais l'énergie, c'est aussi une priorité légitime pour le Tadjikistan, avec l'or blanc, la réserve exceptionnelle et le potentiel hydroélectrique du Tadjikistan, sujet hautement sensible actuellement, je ne vais pas le développer ici mais je l'évoque et donc qui fait partie de notre coopération avec les pays d'Asie centrale et donc le Tadjikistan.

Ø 5 ème élément, l'eau et l'environnement : on retrouve là la contrepartie de ce qui précède, sujet majeur également puisque que le Kirghizstan et le Tadjikistan sont les deux pays d'où proviennent le Syr Daria et l'Amu Daria, Pianj, qui fait frontière avec l'Afghanistan et ces deux pays commandent à peu près 97% de la ressource hydraulique de tout le reste de l'Asie Centrale. Vous mesurez l'importance de l'enjeu, sujet extrêmement sensible, je passe. Voilà pour la cinquième priorité.

Ø La 6 ème priorité c'est ce que nous avons appelé les menaces communes. Alors, ça peut paraître extrêmement ambitieux de dire d'emblée, alors qu'on est si loin, que l'on fait face à des menaces communes. C'est ce qu'on appelle ailleurs les nouvelles menaces : terrorisme, extrémisme et trafics en tout genre, notamment trafic de drogue mais aussi de matériaux sensibles, d'êtres humains qui est aussi un fléau de l'Asie Centrale.

Voilà l'ordre du jour sur lequel nous travaillons depuis trois ans avec des projets extrêmement concrets, un dialogue permanent : hier même, un vice-ministre, en fait un envoyé spécial, est venu de Douchanbe pour participer au dialogue que nous avons au niveau ministériel. Nous aurons d'autres rencontres dans l'année. Je m'y rends environ trois à quatre fois par an.

Voilà une relation euro-tadjike qui s'est mise en place et, encore une fois, c'est parce que quelques pays pionniers avaient ouvert la voie, dont la France, que nous avons pu développer ce cadre qui permet maintenant à tous les pays de l'Union européenne et à toutes les institutions de s'impliquer. Je donne un exemple : c'est tout récemment que la Banque européenne d'investissement de Luxembourg peut financer des projets au Tadjikistan. Cela ouvre des possibilités nouvelles et le Tadjikistan a été le premier des pays d'Asie centrale à signer un accord avec la Banque européenne d'Investissement.

Je termine avec cet exemple concret pour dire qu'il ne s'agit pas simplement d'offrir un cadre politique, mais essayer être aussi opérationnel que possible pour consolider ce lien entre l'Asie Centrale et l'Union européenne, notamment par le biais de la relation avec la France. Merci.

• M. Henry ZIPPER de FABIANI

Merci à Pierre MOREL et Roland GALHARAGUE pour ces présentations très exhaustives du cadre politique. Je souhaiterais donner la parole maintenant à des représentants situés à l'autre bout du spectre des acteurs, c'est à dire les ONG, en soulignant qu'ACTED rappelle à juste titre que le drapeau français en quelque sorte a flotté pour la première fois au Tadjikistan grâce à cette ONG qui est venue dans l'urgence ; je rappelle que d'autres ONG étaient là dans l'urgence, mais ACTED est restée, et donc Marie-Pierre CALEY va évoquer aussi brièvement que possible les perspectives d'ACTED et il y aura un bref commentaire également de Gérard LUTIK, président du Cercle Kondratieff.

LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

• Mme Marie-Pierre CALEY, déléguée générale d'« ACTED »

Je vais vous présenter très brièvement, un peu via un témoignage, ce que peut faire la société civile dans un pays comme le Tadjikistan, à travers l'expérience d'ACTED et la création progressive d'un réseau de tout une série d'acteurs dans une variété de domaines, en fonction de l'évolution des besoins du pays, du paysage institutionnel et de la situation.

ACTED, il y a 15 ans, c'est effectivement la création d'une ONG d'urgence après la guerre civile dont on a parlé et c'est une ONG qui est effectivement restée depuis 15 ans et qui représente à peu près 300 salariés nationaux, sur le Tadjikistan, et environ 3 millions de budget annuel soit environ 50 millions de budget sur les 15 ans qui se sont écoulés.

En termes programmatiques, cela veut dire trois ou quatre grands axes d'intervention :

Ø la contribution à l'éradication de la pauvreté : il y des programmes dans les zones les plus pauvres du Tadjikistan, notamment dans le sud du pays à la frontière avec l'Afghanistan ;

Ø le soutien ce que l'on appelle le réseau de la santé, que ce soit des interventions dans le domaine de l'eau, de soutien à des réseaux de santé primaire au niveau local ;

Ø énormément de programmes de gouvernance locale qui sont finalement la base de toutes nos interventions, donc le maillage du territoire et la prévention des risques bien sûr qui est un enjeu également au Tadjikistan ;

Ø enfin, le soutien aux réformes, notamment la réforme foncière dans le cadre de la réforme institutionnelle qui tente de se mettre en place au Tadjikistan depuis quelques années. Ça c'était il y a 15 ans.

Et puis il y a 10 ans, une ONG comme ACTED a aussi créé le Centre Bactria qui est maintenant une institution culturelle et éducative, une initiative à l'origine franco-allemande que nous avons lancée et une plate-forme de soutien à toute sortes d'initiatives locales qui travaillent en réseau à partir de la plate-forme Bactria et notamment l'écotourisme, le commerce équitable, la promotion de l'artisanat etc. C'est une initiative qui perdure depuis 10 ans et qui continue, et qui vit et fait revivre notamment un réseau d'artistes qui était extraordinairement peu soutenu il y a 10 ans au Tadjikistan mais très riche.

Enfin, il y a 5 ans, l'évolution étant ce qu'elle est, le réseau ACTED a créé un autre instrument, OXUS qui est une banque, une banque pour les pauvres sur le type Grameen : actuellement Oxus, au Tadjikistan, qui est une filiale d'ACTED, c'est 10 000 clients, 5 millions d'encours pour les plus pauvres ; c'est la 3 ème institution de micro-finance du pays et une filiale du groupe Oxus au global. Il y a 2 ans, parce que les choses évoluent tout le temps, c'est important de le mentionner, c'est la création de Babyloan, vous en avez peut être entendu parler en France, qui est un système de prêt par internet peer-to-peer et qui a permis notamment de mettre en contact des Français avec des institutions de micro-finance pour faire du prêt en direct, de Français qui prêtent en ligne quelques dizaines ou quelques centaines d'euro à des Tadjiks via des institutions.

Et je crois que ce qui est très intéressant c'est de voir qu'un pays qui est aussi peu connu que le Tadjikistan en France, sur le volume de Babyloan, 500 Français prêtent à 150 Tadjiks aujourd'hui 10% du volume de Babyloan alors que le pays est assez peu connu. C'est intéressant de voir que la visibilité notamment du Tadjikistan peut être favorisée, en tout cas en France via tout un tas de moyens.

Et enfin, pour compléter ce panorama, c'est il y a 6 mois, la reprise par ACTED de Pharmaciens sans Frontières qui a eu quelques petits problèmes et qui va permettre je l'espère de relancer toute la logique d'assistance technique dans le domaine de la santé.

Voilà un petit aperçu d'un acteur de la société civile qui a créé tout un tas d'initiatives, pas seulement au Tadjikistan mais notamment au Tadjikistan, puisque c'est un des premiers pays où on a créé, en 1996-97, qu'on a créé juste après l'Afghanistan qu'on a créé juste avant. Et effectivement, le Tadjikistan, comme l'Afghanistan, comme le Pakistan, comme le Kirghizstan et je dirais comme l'Ouzbékistan font parti des 5 pays coeur d'ACTED qui ont contribué au développement d'ACTED qui s'est étendu par la suite sur une trentaine de pays actuellement.

Voilà, c'est la diversité, le besoin d'être présent dans des domaines divers, en interaction avec la société civile sur divers champs, que ce soit le champ économique, le champ social, le champ culturel, dans une approche très globale, très intégrée, en faisant évoluer nos instruments en fonction des besoins. Je crois que c'est un peu l'approche de l'Aga Khan, on l'a assez copié il faut bien le dire, mais c'est un peu l'idée d'un instrument intégré, multisectoriel, multidimensionnel afin d'avoir une logique de moyen terme, de long terme, mais aussi de court terme quand il le faut, et d'actionner l'instrument le plus pertinent au moment où il le faut. Je vous remercie.

• M. Gérard LUTIK, président du Cercle Kondratieff

Le cercle Kondratieff c'est un think tank qui se préoccupe des enjeux économiques et sociaux de la région.

Nous avons été créés en 1999, surtout dans le cadre de la Russie et nous avons porté notre attention sur le développement agricole de cette région. Nous sommes aujourd'hui une centaine de membres et, parmi nos membres, nous avons un certain nombre d'experts du monde agricole qui sont intervenus et interviennent encore dans un certain nombre de projets.

En termes de projet, nous avons, en particulier sur la Russie, développé des projets qui sont liés au développement agricole. Nous avons par exemple développé la filière viande en Russie. Nous avons, dans le cadre d'un projet TACIS, fait de la formation de bouchers parce que les bouchers ne savent pas couper la viande, du moins pas comme nous le concevons. Parce que l'objectif de ce projet c'était de valoriser la filière viande pour la vente au détail et à la vente dans les restaurants. Nous avons formé une trentaine de bouchers en France et qui sont repartis en Russie pour étendre leur formation.

Nous avons aussi par exemple fait de l'écotourisme dans la région de Kanouga, donc une valorisation de la région par exemple.

Nous avons aussi surtout travaillé sur la génétique. C'est là un très gros problème que je connais personnellement car j'ai été patron des achats du lait pour Danone en Russie pendant 5 ans où il fallait effectivement reconsidérer toutes les filières agricoles dans un concept d'optimisation par rapport à nos standards d'hygiène et de sécurité.

Au Tadjikistan, nous sommes intervenus l'année dernière dans le cadre du développement de la filière colza. Cette mission s'est déroulée en trois phases : une première phase d'audit, une seconde de mise en oeuvre des programmes, de mise en place et de formation avec nos équipes d'experts. Ces deux premières missions ont été financées par la BERD et la FAO et notre 3 ème phase consiste à faire venir en France une quinzaine de Tadjiks pour leur montrer comment, sur le terrain, ici nous concevons l'agriculture, en particulier dans le développement de la filière colza. Et nous venons de signer il y a quelques jours pour cela.

Je précise que pour la 3 ème phase, nous avons le soutien d'ACTED qui a financé des opérations. Je tiens également à préciser que cette mission de l'année dernière a aussi eu le support du président du Conseil Régional de Bourgogne où nous avons quasiment la totalité de nos experts.

Et puis maintenant, comme je vous le disais tout à l'heure, nous venons de signer il y a quelques jours pour le développement de la filière viande qui sera financé aussi par la BERD et la FAO. Ainsi, la BERD et la FAO financent des ONG qui ont les moyens de rémunérer nos experts sur place. Voilà, en quelques mots, résumée notre activité sur place. Et je dois dire que l'assistance que nous avons eue d'ACTED, y compris pour la partie de projet en France, a été pour nous d'un très grand secours. Merci.

PROJETS CULTURELS

• présentation visuelle et sonore de Madame Laurence LEVASSEUR

LES ENJEUX ÉCONOMIQUES POUR LA FRANCE AU TADJIKISTAN

• M. Guillaume GISCARD d'ESTAING, PDG de SOFEMA

Merci beaucoup Henry. Bonsoir Mesdames. Bonsoir Messieurs. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de présenter ce projet qui est un projet extrêmement concret. Monsieur l'Ambassadeur vous l'avez dit tout à l'heure, il y a des artistes, il y a des organisations humanitaires, il y a des intellectuels, il y a des chefs d'entreprise. Je n'appartiens à aucune des premières communautés : je représente l'industrie. L'industrie, c'est concret et je vais essayer avec quelques planches de vous montrer ce qu'est ce projet que nous portons loin de chez nous pour construire une réalisation dont je pense qu'elle a une véritable valeur symbolique, non seulement parce qu'elle est cofinancée entre la France et le Tadjikistan, mais également, dans ce pays continental, c'est un « port » que nous construisons, c'est une aérogare c'est-à-dire que vous toutes et vous tous qui allez visiter ce pays, vous allez passer par cette aérogare : ce sera la première vision que vous aurez de ce pays.

Très rapidement, quelques éléments de contexte sur ce projet. Comme je l'ai dit, c'est la construction d'une aérogare complète, dimensionnée pour un débit de 500 passagers en heure de pointe. Alors, pour ceux qui ont des références, ça peut paraître minime, ça reste quand même, à l'échelle du pays, un trafic assez important : 1.200.000 passagers par an. Le projet est réalisé sur 3 niveaux : vous voyez que ce n'est pas quelque chose d'extrêmement complexe. Mais c'est indispensable à ce pays. Et puis c'est un concept modulaire, c'est-à-dire que, si jamais le trafic venait à se développer, bien sûr il y aurait la possibilité d'augmenter la capacité de cet aéroport.

J'ai inclus dans les planches de présentation quelques éléments calendaires, juste pour que vous réalisiez que, même si c'est un projet de dimensions modestes, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, c'est un projet qui s'est inscrit dans la durée, puisqu'il a commencé en décembre 2005. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, c'est un projet qui a été porté au plus haut niveau des deux Etats puisque c'est un engagement de Mme ALLIOT-MARIE, alors Ministre de la Défense, qui a été à l'origine de ce projet.

Il a fallu faire des visites techniques sur le site. C'est un pays sismique, où il est donc compliqué d'ériger des bâtiments. Il a fallu recueillir les besoins des autorités aéroportuaires, les besoins du client. Les choses se sont beaucoup accélérées environ un an après, en octobre 2006, puisque nous avons reçu la visite de très hauts représentants du gouvernement tadjik, accompagnés de la direction de l'aéroport. Nous avons définis les grandes lignes de l'aérogare et avons reçu l'aval ministériel institutionnel français pour lancer les travaux. En 2007, la direction de l'aéroport a validé les termes de références du contrat. En mars 2007, on a présenté le choix de l'implantation, pour ceux qui connaissent l'aérogare actuelle de Douchanbe, nous sommes entre l'aérogare provisoire et le bâtiment en dur, c'est à dire un petit peu à l'ouest du terminal actuel. En juin 2007, on a commencé à valider les esquisses finales, et l'architecture générale du bâtiment, que je vous présenterai tout à l'heure sous forme de maquette, a été arrêtée. En décembre 2007, nous avons fait venir les autorités de la DGAC française, car il y a quand même, pour une aérogare, un aspect réglementaire et institutionnel relativement important. En 2008, excusez-moi, il y a une petite faute de frappe, on a présenté l'avant-projet sommaire, et en 2009, nous avons signé le contrat global sur un concept clé-en-mains.

Concept clé-en-mains, c'est assez important ; ça veut dire que les autorités tadjikes nous font confiance sur la façon dont le projet va être mené. C'est à nous, industriels, qu'il appartient de faire des propositions pour réaliser cette aérogare. Comme tout industriel, on est obligé de parler un petit peu de finances, surtout dans un pays à faible pouvoir d'achat, un pays pauvre. C'est un projet clé en mains qui représente quand même 27 millions d'euros, à l'échelle de certains d'entre nous qui sommes habitués à des références budgétaires beaucoup plus importantes, ça peut paraître modeste, mais, encore une fois, à l'échelle de ce pays, c'est un projet significatif.

C'est un financement mixte, comme je vous l'ai expliqué, c'est-à-dire que, pour partie, il est financé par un prêt concessionnel français, c'est-à-dire que c'est vous tous, vous toutes, vous et moi, qui finançons ce projet par l'intermédiaire d'un financement dit RPE (« réserve pays émergent »). C'est un prêt concessionnel sur une durée extrêmement longue et à taux d'intérêt tout à fait préférentiel. Il est complété par un apport financier supplémentaire que nous avons formalisé en 2009 et, surtout, ce qui est très important pour consolider le côté international et de coopération de ce projet, il est co-financé par la partie tadjike. Le contrat commercial est rentré en vigueur effective au mois de février de cette année. Cette entrée en vigueur correspond au début des paiements ; c'est très important : cela veut dire que le gouvernement tadjik s'est engagé financièrement sur ce projet.

Alors, quels travaux avons-nous déjà effectués ? On a commencé par délimiter l'emprise du chantier ; on a ce « décaissé » le terrain, c'est-à-dire qu'on l'a mis à plat. On a commencé à terrasser. Nous avons commencé à réaliser les fondations. Je le disais tout à l'heure, c'est un pays sismique, les constructions dans un pays sismique sont un peu plus compliquées. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais l'aérogare repose sur des piles en béton qui sont forées, coulées, dans le sol. Nous avons poursuivi les travaux et sommes en train de les poursuivre au printemps 2010 en effectuant des tests sur ces pieux. Sans entrer dans les détails, il faut savoir que la question des normes réglementaires est une question assez difficile à résoudre, parce que le Tadjikistan a plutôt une base de réglementation proche de celle des Russes, alors que nous sommes sur une base de réglementation européenne. Il faut donc que nous nous comprenions bien, pour des questions qui, encore une fois, sont assez techniques, que tout cela prend du temps. On est en train de finir les tests sur les pieux et les fondations. Nous attendons de façon imminente l'autorisation de l'expertise locale qui est importante pour la poursuite des travaux, et nous commencerons la construction effective du bâtiment vers la rentrée scolaire c'est-à-dire vers octobre 2010, avec un objectif de fins des travaux pour mai 2011 d'un bâtiment « TCE ». « TCE » signifie « tous corps d'Etat », c'est-à-dire un bâtiment livré et terminé pour septembre 2011, comme l'a rappelé tout à l'heure le Sénateur de Montesquiou.

Voici une présentation de la maquette qui est actuellement au Tadjikistan et, si vous m'accordez deux minutes supplémentaires, j'ai même un petit film pour vous montrez ce à quoi va ressembler cet aérogare. Pour ceux qui connaissent Douchanbe, l'aérogare de départ est sur la gauche du bâtiment. Nous avons fait un certain nombre d'efforts sur le style du bâtiment. Certains détails peuvent apparaître intéressants. Vous voyez que c'est un concept dans lequel les parkings restent assez près du bâtiment de l'aérogare, comme c'est le cas aujourd'hui. Là, pour ceux qui connaissent l'aérogare actuelle, nous passons à peu près à l'endroit de l'aérogare actuelle, du bâtiment d'arrivée, le bâtiment provisoire. La direction de l'aéroport a souhaité avoir un espace très ouvert sur le public, avec cette galerie d'accueil. Là, nous passons du côté de la piste de décollage avec des installations assez classiques pour nous qui sommes habitués à des standards modernes, si j'ose dire mais qui constituent une très nette amélioration par rapport à ce qui existe aujourd'hui, comme vous le constatez. Il y a quatre passerelles. On va s'élever un petit peu.

Cette création en 3D a été présentée bien sûr aux autorités tadjikes, afin de leur présenter quelque chose de concret et qui permette de pré-visualiser ce que sera cette aérogare.

Je vous remercie et je serai heureux de répondre à vos questions, si vous en avez après cette présentation.

• M. Jérôme BARTHE, vice-président d'AREVA T&D

Je vais vous parler de la génération d'électricité au Tadjikistan, en m'appuyant moi aussi sur une présentation power point.

Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les ressources au Tadjikistan, dans le domaine de la génération d'électricité, sont essentiellement d'origine hydroélectrique. Elles proviennent de barrages construits sur les rivières tadjikes et qui aujourd'hui produisent pratiquement 93% de l'électricité du Tadjikistan.

Les 7 % restant proviennent de deux centrales assez anciennes à côté de Douchanbe et d'une autre ville pas très éloignée. Aujourd'hui, le déficit électrique est de 3 milliards de KW/h pour le Tadjikistan, ce qui explique un certain nombre de projets extrêmement importants qui vont voir le jour dans les années qui viennent. Vous voyez ici l'ensemble des prévisions à l'horizon 2015 de l'ensemble des barrages qui devraient être installés à l'échelle du Tadjikistan.

Aujourd'hui, seulement 5% du potentiel hydroélectrique du Tadjikistan est utilisé, ce qui veut dire que c'est un pays vraiment d'avenir dans le domaine de l'énergie hydraulique et pour des sociétés comme les nôtres, c'est extrêmement important.

AREVA T&D a démarré au Tadjikistan il y a une dizaine d'années et nous avons obtenu depuis un certain nombre de contrats, dont aucun n'est très important, mais qui commencent, au fil des années et au travers d'actions de nos experts, permettent, d'avoir une base installée extrêmement forte par rapport à certains de nos concurrents qui ne sont pas trop présents au Tadjikistan.

Voici un rappel de la liste des centrales hydroélectriques qui sont aujourd'hui installées et qui sont, comme vous le voyez, assez anciennes au niveau des mises en service mais qui fonctionnent encore à ce jour. Un des gros sites de production est le barrage de Nurek qui représente aujourd'hui près de 3000 Mégawatt et fait l'objet d'une modernisation à laquelle nous prévoyons de participer : nous prévoyons de signer un contrat important la semaine prochaine justement sur ce pays. Je mentionne aussi le projet de Roghun dont la capacité devrait être de 3600 Mégawatt installés et qui aujourd'hui fait l'objet de discussions entre les différents pays voisins du Tadjikistan. C'est tout ce qui est prévu au niveau des projets hydroélectriques.

Comme vous le voyez, il y a beaucoup de choses qui devraient sortir dans les années qui viennent et que l'ont suit et j'espère aujourd'hui, que l'entreprise française ALSTOM, qui n'est pas présente au Tadjikistan, devrait venir avec nous dans le domaine ; c'est l'idée aussi. On voit une croissance de 18% dans notre domaine, c'est le domaine de la transmission et de la distribution qui est extrêmement important depuis 2008 jusqu'à 2012. Donc c'est vraiment un pays en croissance et on invite l'ensemble des sociétés françaises qui travaillent dans ce domaine-là à venir dans ce pays. Là effectivement, le marché des transmissions et de la distribution ceux sont essentiellement des projets clefs en main, des projets qui sont financés par des organismes internationaux.

Là ce sont nos clients principaux, les types de marchés. L'EDF local c'est Barki Tadjik qui représente aujourd'hui plus de 90% de notre portefeuille au Tadjikistan. Alors, les projets à venir dans les années 2008-2012, c'est extrêmement important pour nous. Ce sont essentiellement, comme nous l'avons dit, des projets administrés par la Banque asiatique de Développement (BAsD). Il y a un don qui a été fait ou va être fait par la BAsD, Monsieur l'Ambassadeur, corrigez-moi si je suis loin de la vérité, de 60 millions de dollars qui concerne un certain nombre de projets de réhabilitation, de projets de postes électriques, parce que les postes électriques sont effectivement très anciens et nous allons participer à ces projets-là dans les années qui viennent. Nos concurrents sont aujourd'hui Siemens essentiellement ; Alsthom, malheureusement, n'a pas d'activité dans le pays, Schneider électrique pourrait en avoir bientôt.

Un rappel rapide de l'historique de notre présence. Nous avons ouvert un bureau en 2005 à Douchanbe. Et vous constatez que, depuis que nous sommes réellement présents, chaque année nous avons pu obtenir des contrats récurrents qui nous permettent, d'une part, de vivre et de participer au développement de l'électricité dans ce pays, ce qui permet d'améliorer le bien-être de la population. Quelques réalisations, dans le domaine toujours de la distribution : amélioration de transformateurs, de disjoncteurs, c'est très technique. Ça, c'est une réhabilitation de réseaux de télécommunication qui s'est faite dans les années 2009. Toujours réhabilitation de transformateurs. Ça très important, c'est la réhabilitation d'une centrale hydroélectrique et le fameux projet, qui est le remplacement du poste électrique de 220 kilovolts du barrage, dont la commande devrait être signée la semaine prochaine.

Donc le conseil qu'on peut donner : le Tadjikistan, c'est un pays dans lequel on peut travailler, où les entreprises françaises sont extrêmement bien vues. Il faut aller voir les clients, il faut être présent localement et on ne peut qu'insister sur le fait qu'il faut aller dans ce pays. Merci.

LE RÔLE DES UNIVERSITAIRES ET DE LA RECHERCHE

• Pr Stéphane DUDOIGNON, CNRS

S'il n'occupe qu'assez rarement la « une » de la presse internationale, le Tadjikistan tient une place tout à fait particulière dans l'imaginaire collectif de la recherche française, en particulier de la recherche en sciences humaines et sociales. En effet, depuis le tournant des années 1980, la vaste aire culturelle du monde iranien s'est trouvée confrontée à un certain nombre d'événements politiques de premier plan - révolution iranienne de 1979, occupation soviétique de l'Afghanistan - qui ont incité un certain nombre de chercheurs et de disciplines à profiter des premières ouvertures politiques en URSS pour s'engouffrer en Asie Centrale.

L'histoire de la coopération scientifique directe entre la France et le Tadjikistan, si elle est relativement brève, n'a donc pas attendu la fin de la période soviétique pour démarrer. Elle n'a pas même attendu l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev puisque, dès 1984, l'archéologie française, emmenée par Roland Besenval, établissait ses premiers contacts directs, sans l'intermédiaire de Moscou, avec l'Institut d'histoire, d'archéologie et d'ethnologie Ahmad-Danish de l'Académie des Sciences du Tadjikistan. Ces contacts débouchaient rapidement sur l'ouverture d'une collaboration durable, notamment sur le site protohistorique de Sarazm dans la vallée de Ferghana, dont le dossier de demande de classement sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO a été élaboré conjointement avec la partie française.

Les sciences humaines et sociales ont suivi de peu à partir de 1989, avec l'établissement de premiers contacts directs entre l'équipe Monde iranien dont l'auteur de cette communication avait l'honneur de faire partie à cette époque et l'Institut des études orientales de la même Académie des Sciences du Tadjikistan. Progressivement enrichies par un nombre sans cesse croissant d'acteurs au cours des années qui ont suivi, ces relations ont été concrétisées en avril 2002 par l'ouverture d'une antenne de l'Institut français d'études sur l'Asie Centrale (IFEAC) dans les locaux de l'Institut Danish d'histoire, d'archéologie et d'ethnologie à Douchanbeh - cette antenne devenant la seule représentation permanente d'un organisme de recherche étranger sur le territoire du Tadjikistan.

Outre l'organisation sporadique de tables rondes, limitée par le blocage de la frontière avec l'Ouzbékistan, cette antenne joue depuis cette date un rôle de facilitateur et d'intermédiaire pour les chercheurs français mais aussi européens ou américains.

Depuis 1984 cependant, beaucoup de choses se sont passées en Asie Centrale, qui dépassent très largement le cadre de l'activité scientifique. Après la guerre civile de 1992-97, les instituts de l'Académie des Sciences du Tadjikistan, institutions naguère fourmillantes de cerveaux, ne jouent plus, parfois plus du tout, le rôle qui était le leur jusqu'au début des années 1990. Il y a quelques semaines, en m'envoyant l'avis de décès de Amri Yazdan Alimardan, grande figure de l'Institut des études orientales et du patrimoine manuscrit de l'Académie des sciences, une collègue de Douchanbeh déplorait : « Il était le dernier à pouvoir lire les manuscrits ! » Quelle déshérence, quand on songe à la tradition scientifique en sciences humaines et sociales développée de 1933 à l'indépendance.

Les moyens de l'Académie des sciences du Tadjikistan et de la recherche en général se sont effondrés par suite de la guerre civile, pendant laquelle certains instituts de recherche ont souffert directement (comme l'Institut de géologie, occupé un temps par les troupes « blanches » et dont tous les chercheurs ou presque sont alors retournés en Russie, tandis que la totalité de ses véhicules tout-terrain disparaissaient). En juin 2006, une mission du Bureau de Moscou du CNRS observait que le départ de nombreux chercheurs d'origine russe ou assimilée, au début des années 1990, avait créé des lacunes abyssales dans nombre de disciplines. Ne pouvant conserver la diversité disciplinaire héritée de la période soviétique, l'Académie est aujourd'hui confrontée à la nécessité de choix. Ce que nos amis tadjiks souhaitent, c'est que ces derniers puissent s'accompagner d'une véritable dynamique, en particulier en intensifiant les collaborations internationales jusqu'ici peu soutenues en dehors de celles avec les autres pays de la CEI.

En effet, le financement de l'Académie des Sciences du Tadjikistan provient aujourd'hui d'une dotation basse du gouvernement (pour 7000 employés dont 780 chercheurs, 1,6 M€ soit 0,4% environ du budget national), ce qui se traduit par des salaires extrêmement bas et par des dotations d'équipement insignifiantes. Cette réalité n'est pas propre à l'Académie et se retrouve dans toutes les institutions du pays liées de près ou de loin à la recherche - comme aux Archives centrales d'État, dont tout l'appareillage de reproduction est à l'arrêt, quand il n'a pas été pillé pendant le conflit.

La paix étant revenue en 1997 (de facto au tournant des années 2000), l'espoir a refait son apparition et les avis concordent sur l'amélioration de la situation globale du Tadjikistan au cours de la décennie écoulée. Il faut également souligner qu'un nombre très important de ressources (centres de recherche, bibliothèques, musées, etc.) ont été préservées malgré la guerre, grâce notamment au dévouement parfois héroïque de leurs responsables. Sortant d'une longue période de demi-sommeil, l'Académie des sciences du Tadjikistan elle-même recommence, peu à peu, à attirer des chercheurs confirmés qui s'en étaient éloignés, pendant quinze ans, pour créer de petits centres de recherche privés aux financements aléatoires (exemple du «Fonds de la culture» - Buniyad-i farhang - de Hamza Kamal, spécialiste de l'étude des lieux saints, aujourd'hui retourné à l'Institut d'histoire). Par ailleurs, il convient de souligner qu'en dehors de l'archéologie, des coopérations scientifiques substantielles ont existé ou existent d'ores et déjà entre la France et le Tadjikistan comme entre l'École nationale des travaux publics d'État et l'Institut Nikitine de chimie de l'Académie des sciences.

Je voudrais cependant insister au passage sur ce trait unique du Tadjikistan en Asie Centrale anciennement soviétique qu'est l'importance, jusqu'à nos jours, du secteur privé incarné par de multiples centres de recherche dotés du statut d'ONG dont la législation tadjique permet - à ce jour - l'existence, centres le plus souvent animés par une ou deux personnes seulement, rarement plus, issus souvent de l'Académie. Ces centres privés ont joué un rôle très important, depuis la fin de la guerre civile, dans le renouvellement des thèmes et des méthodes de la recherche, notamment dans des disciplines comme la sociologie quantitative ou la science politique (le Centre «Sharq» d'études sociologiques de Saodat Olimova et Muzaffar Olimov, le Comité pour le développement du Tadjikistan de Parviz Mullajanov, le Centre «Sipehr» de Sayyid Ahmad Qalandar, spécialisé dans l'histoire culturelle de l'Asie Centrale islamique, etc.). À la faveur du passage des générations, un rapprochement s'opère actuellement entre les chercheurs souvent très âgés de l'Académie des sciences et leurs collègues plus jeunes du secteur privé, parfois invités à regagner l'institution académique.

Un problème étant que ni les uns ni les autres ne forment vraiment de jeunes chercheurs, ce qui ne fait qu'accroître l'impression de vide et de génération perdue. C'est donc vers les universités, qui à l'époque soviétique n'avaient pas en charge la recherche, mais qui accueillent depuis dix ans un nombre progressivement accru de doctorants, qu'il convient dans certains domaines d'aller chercher les jeunes pousses, chose parfois malaisée compte tenu de la très faible visibilité internationale de ces établissements, compte tenu aussi de notre absence d'habitude - au CNRS en particulier... - de traiter avec ce type d'institution, généralement oubliées dans les accords cadres de collaboration internationale.

Un mot encore sur les ONG en général, pour souligner en revanche, côté français, le rôle joué, dans ce domaine aussi de la coopération scientifique, par ACTED et par l'association Bactriane, en relation étroite avec la DAFA dirigée de 2002 à 2009 par Roland Besenval, et avec l'UNESCO, dans l'organisation de la coopération dans le domaine de l'archéologie et de la préservation du patrimoine architectural (Le rôle d'ACTED a été instrumental dans le montage, aux côtés des archéologues français du CNRS, du dossier de classement UNESCO du site archéologique de Sarazm, au débouché de la vallée du Zerafchan.)

Parmi les quelques priorités identifiables dans le domaine général de notre coopération scientifique avec le Tadjikistan, relativement ancienne et substantielle, mais encore embryonnaire dans de nombreux domaines, je vois les suivantes :

Ø La poursuite et l'approfondissement du travail entamé avec les ONG et le soutien au rapprochement de ces dernières avec l'institution académique, dans une perspective de long terme ;

Ø l'identification de jeunes chercheurs dans les instituts de l'Académie des sciences et davantage encore dans les universités du pays, à Douchanbeh et en région, pour faire bénéficier ces derniers de séjours de longue durée en France, pouvant s'étendre sur une ou plusieurs années universitaires, notamment dans le cadre des bourses Diderot (avec un intérêt particulier pour le dynamique Institut des sciences humaines du Pamir et l'Université d'État de Khorog, fort instruit des richesses régionales et très ouvert à la collaboration, dans la région autonome du Badakhchan) ;

Ø l'invitation régulière des chercheurs les plus performants pour des séjours de courte durée en France, leur permettant d'avoir accès à nos ressources et d'échanger avec nos auditoires sur les postulats, méthodes et résultats de leurs travaux : c'est le cas à l'EHESS depuis plusieurs années déjà ; en 2011 l'IISMM accueillera comme professeur invitée la sociologue Saodat Olimova, directrice du centre de recherche Sharq de Douchanbeh ;

Ø inversement, l'envoi régulier d'enseignants et de chercheurs français pour des séries d'interventions, cours et conférences devant divers auditoires tadjiks, en particulier pour le Département de philosophie européenne de l'Institut de philosophie et de droit de l'Académie des sciences, mais aussi dans les secteurs de la recherche portant sur le Tadjikistan ou l'Asie Centrale eux-mêmes ;

Ø l'établissement de coopérations permettant à la partie française de tirer partie d'installations parfois de grande qualité (en astrophysique notamment) ou de missions sur des terrains parfois uniques (comme avec l'Institut de géologie, l'Institut de génie des tremblements de terre mais aussi l'Institut de botanique du Pamir, qui tous sont particulièrement demandeurs), sans parler des ressources documentaires uniques de l'Institut des études orientales et du patrimoine manuscrit, en échange de la formation des jeunes chercheurs, de quelques CDD et d'une modernisation des équipements ;

Ø l'association de la recherche tadjique à l'élaboration de projets financés par les grandes fondations publiques et privées nationales et internationales, comportant éventuellement un volet de développement et de mise en valeur du patrimoine (j'ai évoqué la contribution de la DAFA et d'ACTED au dossier de classement UNESCO du site de Sarazm ; un autre modèle pourrait être constitué par le projet Yagnob du Professeur Antonio Panaino à l'Université de Bologne, auquel une partie française est en train de s'agréger pour l'histoire religieuse, l'ethnomusicologie et la sociologie de la santé) ;

Ø la facilitation pour nos partenaires tadjiks de l'acquisition automatique des données et de l'établissement de liens réguliers avec les principaux bouquets d'information scientifique (les bases de données françaises comme Persée mais aussi des bases de données internationales comme celles incluses dans les bouquets du CNRS).

Certes les finances sont exsangues mais, comme la mission du Bureau de Moscou du CNRS le soulignait en 2006, le pays dispose de remarquables élites locales, d'infrastructures de recherche encore importantes, totalement sous-exploitées, d'un système éducatif hérité de la période soviétique et d'une richesse humaine et naturelle exceptionnelle (géologique, écologique, archéologique, ethnologique, linguistique...).

Je voudrais conclure en revenant brièvement sur les liens très importants de la France avec l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences du Tadjikistan et avec le Musée national des antiquités du Tadjikistan, dont nous fêtons cette année rien moins que le vingt-sixième anniversaire. La mission de 2006 concluait : « Notre coopération dans ce domaine est de grande qualité et très fructueuse. Elle devrait rester prioritaire dans l'avenir. »

En même temps, compte tenu de l'histoire récente spécifique du Tadjikistan, nous devons devenir plus attentifs à tout ce qui se passe dans une grande pluralité d'institutions, les universités en particulier, très délaissées jusqu'à ce jour par la coopération bilatérale et internationale. Rien n'indique non plus que le rôle des centres de recherche privés dotés d'un statut d'ONG, totalement absents des documents CNRS, ne doive pas demeurer de première importance pour un certain nombre de domaines dans les années, voire dans les décennies, à venir. J'insiste sur le fait qu'il s'agit aussi d'un domaine où la relative liberté de projet a permis un sensible renouvellement scientifique au cours des dix dernières années dans des disciplines aussi diverses que la sociologie, l'anthropologie ou la science politique.

Dans de nombreux domaines, je voudrais donc inviter mes collègues - les jeunes chercheurs le font déjà - à tenir compte de cette richesse institutionnelle du Tadjikistan et à élargir davantage qu'on ne le fait encore souvent leurs perspectives à cette diversité d'acteurs. Ce rôle pourrait être joué, en partie, par l'antenne dont l'IFEAC dispose depuis 2002 à Douchanbe, sous réserve que cette dernière atteigne la taille critique d'un noyau autosuffisant menant une réflexion autonome. Une antenne qui mériterait - concluait aussi le Bureau du CNRS en 2006 - d'être dirigée par un chercheur confirmé, ayant l'habitude de diriger une équipe scientifique multidisciplinaire. La création d'un tel poste, par le CNRS par exemple, pour deux ou trois années et l'affectation à de poste d'un(e) post-doctorant(e) de qualité, en archéologie, histoire ou sciences sociales, permettrait sans doute un démarrage concerté et substantiel.

• M. Olivier FERRANDO, CERI et IEP Paris et Lille

Je vous remercie Monsieur l'Ambassadeur pour cette invitation. C'est vraiment un honneur que de pouvoir présenter nos travaux nous qui sommes assez méconnus de manière générale du monde économique et politique. Peut-être, pour me présenter, puis-je indiquer que je contribue à ma petite manière à développer l'enseignement sur l'Asie Centrale en France et notamment sur le Tadjikistan puisque ça fait partie de mes enseignements. Il existe à Sciences Po' Paris un séminaire d'une trentaine d'heures sur la sociologie de l'Asie Centrale, que j'anime dans le cadre du master d'Affaires Internationales, donc en 5 ème année. D'autre part, à l'Institut d'Études Politiques de Lille, institut auquel je suis rattaché, j'anime également un séminaire sur la géopolitique du Caucase et de l'Asie Centrale. Ce sont des enseignements assez rares en sciences politiques pour les mentionner.

Je voulais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour développer un axe de recherche qui est intéressant. On a beaucoup parlé du rôle Tadjikistan dans la région par rapport à l'Afghanistan et, finalement, je me suis dit que j'allais cibler autre chose, plutôt la société tadjike. On parle beaucoup du Tadjikistan en termes très globaux et on ne sait pas très bien quelle est cette société, quels sont ses habitants. Je pensais notamment aborder un thème qui fera écho avec les débats que l'on a en France, puisqu'on est dans une relation franco tadjike, sur l'identité nationale, sur les minorités ethniques, sur la lutte contre les discriminations puisque le Tadjikistan doit faire face depuis son indépendance à un héritage de l'époque soviétique qui est la gestion d'une diversité multiethnique. C'est quelque chose qu'on méconnaît beaucoup et je pense qu'on pourrait se servir de l'exemple du Tadjikistan pour pas mal de choses en France.

Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec l'histoire du Tadjikistan, je voulais juste rappeler que la structure territoriale et ethnique de l'Asie Centrale et donc du Tadjikistan contemporain est un héritage du régime soviétique. C'est en effet au cours des premières années de l'URSS que Moscou va procéder à une double institutionnalisation de la diversité ethnoculturelle de la région.

Ø d'une part, en créant des identités ethno-nationales, les Tadjiks donc qui n'existaient pas en tant que groupe national auparavant mais également les Ouzbeks, les Kirghizes, les Kazakhs et les Turkmènes, et en élevant ces groupes au rang de nations constitutives de l'Union Soviétique.

Ø d'autre part, second niveau d'institutionnalisation, en procédant à un découpage ethno-territorial de l'Asie Centrale en cinq républiques socialistes qui portent le nom de leur groupe titulaire. Vous les connaissez donc: le Tadjikistan bien sûr, mais également l'Ouzbékistan pour les Ouzbek, le Kirghizstan, le Kazakhstan et le Turkménistan.

Le problème est que ces deux processus ne pouvaient pas se superposer, si bien que chaque république abritait et abrite désormais certes, la majorité du groupe national dont elle porte le nom, donc la majorité des Tadjiks sont au Tadjikistan, mais aussi d'importantes minorités. Je vous propose un petit tableau, si l'on regarde juste le Tadjikistan vous pouvez voir qu'au Tadjikistan il y a plus de 3 millions de Tadjiks mais on voit qu'il y a également plus d'un million d'Ouzbeks, ce qui représente un quart de la population, on a également 600 000 Kirghizes, c'est moindre mais ils sont très concentrés, donc ils habitent dans des habitats compacts et dans des districts où ils sont majoritaires.

Et, bien sûr, à coté de ces groupes que l'on peut dire autochtones, ceux d'Asie centrale, il y a une pléthore de groupes originaires d'Europe, les Russes, les Slaves, les Ukrainiens, les Biélorusses qui constituaient en 1989, donc avant la guerre civile, un groupe important mais qui sont arrivés ultérieurement lors de la colonisation et pendant la période soviétique. Donc ce tableau illustre bien et vous pouvez comparer aux autres pays, au Kazakhstan notamment ou au Kirghizstan, la grande diversité ethnique qui s'est constituée au court de l'histoire et pendant la période soviétique.

Sous l'URSS, la diversité nationale était le fondement même du régime puisqu'il se définissait politiquement du moins en une fédération multinationale et chaque habitant résidait dans sa république mais jouissait d'une unique citoyenneté qui était soviétique et pouvait bénéficier de nombreux droits culturels, notamment linguistiques dans l'espace public, l'éducation, les médias. Et je tiens à noter, parce que souvent on tire un trait noir sur l'Union Soviétique, que l'Union Soviétique était quand même un des territoires sur lequel les droits culturel étaient les plus avancés. On comparait souvent l'avancée des droits politiques aux États-Unis et l'avancée des droits culturels en Union Soviétique. Voilà je le mentionne parce que c'est vrai que ces groupes jouissaient d'une large reconnaissance de droits culturels et linguistiques.

A son indépendance, le Tadjikistan va donc devoir gérer une population multiethnique à laquelle va s'appliquer désormais une citoyenneté, la citoyenneté tadjike, dont le terme même est défini en terme ethnique à la différence de la citoyenneté soviétique qui était en terme territorial ou idéologique et, parallèlement, elle va devoir appliquer un processus de construction nationale pour légitimer sa souveraineté qui, il faut le rappeler, est le résultat impromptu de la dissolution de l'Union Soviétique en une nuit de mois de décembre 1991 et pas du tout le résultat d'une lutte pour l'indépendance sur laquelle l'identité s'était affirmée.

Je vais juste vous évoquer les principaux enjeux auxquels les autorités du Tadjikistan sont confrontées dans la gestion de leur diversité ethnoculturelle. Le premier point c'est l'identification, la catégorisation et le recensement de la population puisque à l'époque soviétique on avait une catégorisation ethnique et des recensements de la population qui relevait l'identité ethnique de la population, que va faire le Tadjikistan? Et bien le Tadjikistan va poursuivre, c'est un héritage que la plupart des républiques du bloc soviétique vont continuer simplement si on regarde les résultats, ce que l'on peut voir c'est la part des Tadjiks qui croît depuis 79-89 et en 2000 on peut voir que ça s'accentue. En fait c'est dû notamment au fait que les Tadjiks ont une plus forte natalité que les groupes européens qui étaient présents notamment avec les Russes qui diminuent drastiquement et disparaissent quasiment aujourd'hui puisque après 1989 et la guerre civile, la grande majorité des populations qui étaient arrivées pendant la colonisation et le régime soviétique sont parties dans les conditions tragiques que l'on connaît.

Mais ce qui est intéressant de noter c'est que les Ouzbeks, qui étaient la principale minorité, représentaient un quart de la population et finalement perdent entre 1989 et 2000, 600 000 individus. On perd 10%, on passe de 23.5 à 15.3% sans qu'il y ait d'explication dans les autres données. Si on compare les données migratoires, on n'a pas d'Ouzbeks qui partent du pays, donc simplement, du jour au lendemain, on a 600 000 Ouzbeks qui sont devenus Tadjiks, ce qui explique également l'accroissement soudain au Tadjikistan qui passe à 80% de Tadjiks. Cette observation relève une certaine crispation des autorités du Tadjikistan envers la minorité ouzbek qu'ils perçoivent comme une menace. De la part des autorités, c'est très politique en fait, une menace à l'identité nationale parce que les Ouzbeks sont turcophones alors que les Tadjiks sont persanophones, voire même à l'intégrité nationale territoriale parce qu'ils résident essentiellement dans des districts qui sont frontaliers de l'Ouzbékistan. Cependant, et je tiens à relativiser du coup le risque et les problèmes que cela pose, ces allégations sont peu fondées car les Ouzbeks sont une minorité dite tranquille qui ne dispose aujourd'hui d'aucun lobby politique au Tadjikistan et n'affiche aucune revendication collective ni auprès du gouvernement tadjik où elle réside ni auprès du gouvernement ouzbek voisin.

Donc voilà, cela permet de caler les débats et de faire le lien avec quelques discours que l'on a eu en France et je termine juste en présentant les autres éléments. Je ne rentrerai pas dans le détail. L'éducation et la langue d'instruction: c'est un héritage très lourd également que doit gérer le Tadjikistan puisque, juste avant l'indépendance, l'enseignement primaire, secondaire et universitaire se faisait en cinq langues, c'est à dire que, si vous étiez un Ouzbek, vous pouviez aller dans une école ouzbèke, si vous étiez un russe vous pouviez aller dans une école russe, où l'enseignement était prodigué en russe, si vous étiez un Turkmène vous aviez le droit à une école en turkmène.

Eh bien figurez vous que si vous étiez en France, on a déjà des problèmes avec les budgets de l'éducation nationale avec une seule langue d'éducation et bien qu'est ce que ça veut dire avec cinq langues dans lesquelles il faut des manuels scolaires, des professeurs, des instituteurs qu'il faut former en cinq langues, un héritage difficile à gérer. Les pratiques linguistiques dans l'espace public sont aujourd'hui autorisées dans les administrations des districts où les minorités vivent de manière compacte. Vous pouvez aller et discuter dans la langue maternelle qui est la votre, les Kirghizes qui vivent de manière compacte et surtout les Ouzbeks qui sont la principale minorité. La vie culturelle: il y a des théâtres, cela a été mentionné, il y a un théâtre en langue ouzbèke au Tadjikistan qui a peu de revenus, avec des salaires aussi faibles que ceux que vous avez mentionnés mais il a le droit en tout cas d'exister et d'être reconnu.

Pour finir, l'élément plus sensible, la participation aux activités économiques. Et bien il est clair que, s'il y avait un partage à l'époque des républiques soviétiques, aujourd'hui le Tadjikistan devra gérer effectivement cette question avec sa minorité ouzbèke et la participation à la vie politique. Il faut savoir qu'aujourd'hui, et je l'ai dit tout à l'heure, il n'y a pas de lobby politique ouzbek, il n'y a pas de parti politique ouzbek. A titre de comparaison, un pays qui a fait la une de l'actualité récemment, le Kirghizstan, il existe au Kirghizstan des partis politiques ouzbeks, dirigés par des Ouzbeks, avec des revendications nationalistes ouzbèkes et qui sont souvent montrés du doigt. Au Tadjikistan ça n'est pas le cas et on peut s'en féliciter car on a mentionné le sort tragique qui a été celui du Tadjikistan dans les années 90, cela ne doit plus se reproduire. Voilà, je vous remercie.

• M. Amir MORAHNI, INALCO

Mes propos vont être aussi schématiques que brefs. Le problème c'est que je n'ai pas mené de recherches sur le terrain : je ne dispose donc que de cartes, et de vieilles cartes que je laisse sous le contrôle de mes collègues. Je suis enseignant de persan comme cela vient d'être mentionné. Je suis également, en compagnie d'autres collègues enseignants d'autres langues de mon institut, sur un projet de création de master de traduction professionnel, spécialisé, avec une section pour les langues d'Asie Centrale notamment.

Le Tadjikistan a été et continue d'être une extraordinaire mosaïque culturelle et linguistique. Une cohabitation entre le russe bien entendu, la raison en est évidente et les langues turciques de l'autre avec le kirghiz et le turkmène. Alors vous voyez une toute petite partie sur la carte est allouée aux langues turkmènes auxquelles s'ajoutent les langues ouzbeks et kirghizes. Donc ça c'est d'un coté le russe et les langues turciques, de la famille turque et vous avez d'un autre coté les langues de la famille iranienne. Il y a le yaghnobi qui est parlé dans une partie montagneuse du Tadjikistan et présente un intérêt particulier pour le linguiste parce qu'il descend directement du sogdien médiéval. Les langues pamiries sont hélas des langues en voie de disparition, pour certaines langues avec entre 400 et 2000 locuteurs. Et enfin le tadjik ou le tadjiko-persan qui est parlé par les deux tiers de la population et qui a aussi le statut de langue officielle comme en Afghanistan ou en Iran. Donc, ça, c'est la carte générale des langues iraniennes. Bien entendu, ça n'est pas une carte continue, il s'agit d'une carte non continue. Quelques agglomérations urbaines représentent la persanophonie par exemple à Mazar-e-Sharif qui est dans une zone ouzbèke en Afghanistan. La langue persane, vous l'entendez dans le bazar comme dans l'administration et ce qui va suivre est encore une fois extrêmement schématique.

Je prends la population de chaque pays où le tadjik est une langue officielle ; je fais une addition très simple, encore une fois question de langue, question d'identité, question politique, cela devient extrêmement dangereux, moi je ne veux pas du tout créer un poids imaginaire pour la langue persane, mais quand vous le comparez avec la diaspora qu'on peut même ne pas compter parce que les binationaux sont déjà calculés dans la population de chaque pays, on peut arriver autour de 100 millions de locuteurs. Bien entendu, il s'agit toujours d'une langue avec plusieurs variétés, et trois composantes majeures. Quand vous la comparez avec d'autres langues importantes en termes de locuteurs dans le monde, vous voyez qu'on arrive quand même à ce qu'on appelle vulgairement en anglais « the top ten », on arrive donc à représenter autours de 100 millions de personnes.

Qu'est ce que nous pouvons faire, moi enseignant de persan qui est toujours assimilé à l'Iran? Nous pouvons apporter, peut être un accompagnement pour vous qui êtes sur le terrain : le chercheur aurait besoin certainement de compenser par l'apprentissage et la maîtrise du russe qui est la langue bien sure majoritairement comprise par tous les Tadjiks. Mais je pense à un projet pour demain : comment on peut aider un chercheur, un homme d'affaire ou celui qui est dans le domaine de l'humanitaire ou dans un projet artistique ou autre. Vous avez besoin d'accès à la langue. Moi, ce que je peux apporter, encore une fois, c'est un individu et non pas un établissement qui parle, moi j'émets quelques souhaits, c'est de pouvoir porter ces projets, de pouvoir aller à la rencontre de ce peuple en parlant dans sa langue. Ça, c'est une partie de mes souhaits.

L'autre partie c'est de pouvoir apporter une connaissance de la langue française pour que le Tadjik puisse aussi communiquer avec nous. Donc il nous faut des méthodes d'apprentissage du tadjik pour les Français, du français pour les Tadjiks, des ouvrages de conversation, que ce soit pour les touristes ou pour d'autres personnes intéressées, passionnées par la région : lexiques bilingues, je pense notamment aux problèmes de terminologie - Francis Richard parlait tout à l'heure des problèmes de terminologie juridique - ; d'autres terminologie, d'autres sciences, concernant l'énergie par exemple - pourquoi ne pas avoir un lexique sous la main pour pouvoir communiquer ? Monsieur Giscard d'Estaing parlait tout à l'heure de l'absence de dialogue entre le tadjik et le français parce que peut être manque un lexique bilingue de terminologie de votre domaine. On pourrait peut être avoir des passerelles intéressantes. Je pense aux dictionnaires d'expressions, à la grammaire et à des programmes d'enseignement qui bien évidemment doivent border le tout avec un encadrement administratif, des échanges académiques. Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite une bonne soirée.

• Pr Massud MIRSHAHI, président de l'association Rudaki, représentant français de l'Association mondiale des tadjiks et persanophones

Merci Monsieur l'Ambassadeur. Je suis très honoré d'être parmi vous.

Pour être bref, en quelques mots, l'Association Rudaki a été fondée il y a 18 ans et, depuis toutes ces années, chaque année, on a réalisé un programme. Le programme a consisté surtout en des réunions à l'échelle internationale dans les pays européens et quelquefois au Tadjikistan. On a fait cela dans des universités différentes, à l'UNESCO, en Belgique...

On a réuni toutes les élites persanophones avec des Tadjiks d'origines différentes, notamment d'Afghanistan. Ces conférences, qui duraient 4 à 5 jours, étaient destinées créer des liens entre ces intellectuels. L'association Rudaki a été fondée par des exilés qui sont partie de l'Iran et qui sont, en France, francophones, aux États-Unis américains, en Australie australiens ; mais on a toujours gardé contact avec le Tadjikistan.

Parmi les choses très importantes que l'on a fait, c'est de nouer des relations académiques ou universitaires : entre l'Académie des Sciences du Tadjikistan et l'Académie des Sciences en France ; entre l'université Paris VI et l'académie des sciences et la faculté de médecine Avicenne qui est dans le pays.

En tant que médecin, cela m'intéresse, en plus des relations culturelles, de prodiguer des actes dits médicaux. J'ai contribué à orienter « Médecins Sans Frontières », à une époque difficile, vers le Tadjikistan mais aussi, ces derniers temps, j'ai monté un centre de chirurgie cardiaque, pour faire quelque chose de concret et à ce moment là on a envoyé des spécialistes par ci, par là, qui travaillent avec des milieux différents. On a amené des technologies qui sont moins coûteuses dans le domaine de la chirurgie cardiaque. Je suis en cancérologie à l'Hôtel Dieu ; je travaille aussi à l'université Paris VI et je suis chercheur au CNRS. Ça m'a donné un potentiel assez vaste pour faire des choses dans ce domaine. Entre autres, on a installé un centre de cellules souches (préparation de cellules souches et étude de cellules souches) : cela renforce un petit peu le moral des intellectuel tadjiks et, pour la première fois dans leur pays, j'ai amené une technologie très rare, celle du traitement de thérapie cellulaire dans le domaine de la cardiologie et des pathologies des membres périphériques. J'ai pu traiter une quinzaine de malades au mois de mars et, ainsi, j'ai renforcé la fierté des Tadjiks à l'échelle internationale : ils sont parmi la dizaine de pays qui utilise les cellules souches pour les traitements dans différents domaines.

Notre projet de cette année, c'est d'installer un centre d'oncologie parce que là-bas, une des choses que j'ai vues, je suis membre de leur académie, j'ai travaillé longtemps avec eux et aussi professeur en oncologie dans ces pays là, j'ai essayé d'amener tout ce qui a trait aux oncomarqueurs, pour suivre tout ce qui est relatif aux maladies oncologiques. Notre projet, cette année, qui je l'espère, aura votre soutien, est d'installer un centre de cancérologie dans le Badakhchan, dans le Haut Pamir. Je suis en train de travailler avec le Lyons Club et pas mal d'associations françaises parce que, déjà, on a mené ce genre d'expérience. Actuellement, notre projet jusqu'à la fin de l'année, c'est d'installer un centre pour diagnostic et suivi des maladies cancéreuses, parce que, là-bas, le diagnostic et le suivi sont très compliqués : on confond les maladies et les complications des maladies.

Voilà, grosso modo, c'est une association qui s'intéresse à la culture. Moi même j'ai publié une dizaine de livres concernant le Tadjikistan, en langue persane, et aussi on a des travaux en route qui peuvent valoriser la culture tadjike à travers le monde. Merci beaucoup.

CONCLUSION

• M. le Sénateur Yves POZZO di BORGO

Lors de la session de novembre du Parlement, il y a toujours le débat budgétaire. Chaque fois, chaque ministère est passé au crible. Chaque fois qu'arrive le débat sur le ministère des Affaires Étrangères, certains sénateurs demandent si l'on peut encore se payer le 2ème réseau diplomatique du monde. Et quand je vois des réunions comme ça, je considère, Monsieur l'Ambassadeur, qu'il faut continuer à se le payer !

Deuxièmement, vous avez fait allusion tout à l'heure aux vingt ans de l'indépendance de ce pays. Je crois qu'il serait intéressant que nous puissions les accompagner dans cet anniversaire, que nous reprenions éventuellement ce genre de conférence et éventuellement même, que tous les travaux, comptes rendus de voyages soient synthétisés dans un rapport.

Et encore Bravo d'être venus tous et bravo Monsieur l'Ambassadeur !

* * *


* 1 La délégation devait en outre comprendre M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur de Paris, Président délégué pour le Tadjikistan, empêché au dernier moment par un impératif ; elle était accompagnée par le secrétaire exécutif du groupe, M. Michel Laflandre, conseiller à la direction du Secrétariat du Bureau, du Protocole et des Relations internationales du Sénat.

* 2 Au-delà du cas kirghize, ce choix a une véritable valeur exemplaire pour toute l'Asie centrale et, dans une certaine mesure, pour tous les autres pays issus de l'ex-URSS. Ainsi, pour reprendre l'analyse de Mme Dinara Nyazalieva, députée du groupe parlementaire SDPK lors de la rencontre organisée au Parlement avec la délégation sénatoriale le 18 avril, « au Kirghizistan, le parlementarisme est encore une idée neuve -pour ne pas dire révolutionnaire- même au niveau des élites [...] De l'intérieur ou de l'extérieur, certains doivent miser sur un échec de l'expérience politique kirghize pour tenter d'accréditer l'idée que le parlementarisme ne conviendra jamais aux Républiques de l'ex-URSS ».

* 3 Dans sa Résolution du 20 février 2008 sur une stratégie européenne en Asie centrale (2007/2102), le Parlement européen « considère qu'il ne faut négliger aucun effort pour consolider et soutenir les institutions démocratiques fragiles du Kirghizstan ; estime que ce pays est susceptible de devenir un exemple pour tous les autres États d'Asie centrale dans les domaines de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit ; invite le Conseil et la Commission à intensifier l'aide à ce pays afin de contribuer à lui permettre d'entreprendre et de mettre en oeuvre, avec succès, les réformes promises ; soutient vigoureusement les progrès accomplis par le Kirghizstan en matière de liberté de la presse et des médias [...] ».

* 4 De son côté, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dans sa Résolution 1599 (2008) sur la situation dans les républiques d'Asie centrale, « se félicite du fait que le Kirghizistan coopère avec la Commission de Venise et encourage les autres États d'Asie centrale à s'engager dans une telle coopération [...] Elle se déclare prête à contribuer à nouer un dialogue politique avec l'Asie centrale au niveau parlementaire, visant au renforcement des principes et normes démocratiques ».

* 5 L'antenne de Bichkek dépendait de l'ambassade de France au Kazakhstan, alors installée à Almaty, à seulement trois heures de route du Kirghizistan. Cette formule n'était plus pratique depuis le transfert de l'ambassade d'Almaty vers la nouvelle capitale kazakhstanaise, Astana, située 1 000 km plus au nord. M. Thibaut Fourrière, premier ambassadeur de France résident au Kirghizstan, a pris ses fonctions en mai 2010.

* 6 M. Azylov a pris une part active à la préparation de la mission du groupe d'amitié et a accompagné la délégation sénatoriale lors de son séjour à Bichkek.

* 7 Ce dossier semble avoir progressé depuis le retour de la mission sénatoriale ; le ministre des Affaires étrangères kirghize aurait en effet donné en juin 2011 des instructions en vue de l'implantation à Paris d'une « agence consulaire » dotée d'un seul agent sous l'autorité de l'ambassade de Bruxelles. Bien que légère, cette structure aurait l'avantage d'officialiser une présence kirghize permanente en France, répondant bien aux attentes du groupe d'amitié.

* 8 D'après des informations crédibles, il semblerait cependant que sur le terrain, la communauté ouzbèke continue de subir différentes pressions et des intimidations policières.

* 9 A la demande du ministre des Affaires étrangères et européennes, notre ambassadeur en charge des droits de l'Homme, M. François Zimeray, s'est rendu au Kirghizstan le 29 juin 2010 afin d'évoquer avec les autorités kirghizes et l'ensemble des acteurs la situation humanitaire dans le sud du pays. Il a rappelé l'attachement de la France à ce qu'une enquête indépendante permette de faire la lumière sur ces violences et favorise une réconciliation nationale dans le respect des droits de l'Homme. A son tour, le ministre s'est rendu au Kirghizstan le 16 juillet avec son homologue allemand pour renouveler le soutien de la France aux efforts de stabilisation et de retour à l'ordre légal ; à cette occasion, il a plaidé en faveur d'une enquête internationale sur les massacres du mois de juin 2010.

* 10 Dans un récent entretien accordé à la presse, M. Viktor Ivanov, directeur du Service russe de contrôle des stupéfiants (FSKN), aurait déclaré que « la région d'Och représente une sorte d'embouchure par laquelle les stupéfiants se propagent dans toute l'Asie centrale. Cette région est une plaque tournante du trafic de drogu e ».

* 11 Un rapport sur les menaces contre la sécurité en Asie centrale publié en 2007 par l'Institut des Nations unies pour la Recherche sur le Désarmement mentionne ainsi que « les événements qui entourèrent la Révolution des tulipes révélèrent les liens étroits qui existaient entre le milieu des affaires, la criminalité organisée et les structures étatiques [...] Les dix années qui précédèrent la Révolution des tulipes (1995-2005) virent des barons notoires de la drogue occuper des sièges au Parlement ; ils bénéficiaient ainsi d'une immunité. Après la révolution, quand Feliks Kulov était Premier Ministre (de septembre 2005 à décembre 2006), trois députés ayant des liens connus avec la criminalité organisée furent assassinés, ainsi qu'une personne qui cherchait à devenir député ».

* 12 Dans le cadre des relations privilégiées russo-kirghizes, une base militaire russe a été implantée à Kant en octobre 2003 ; il s'agissait du reste de la première base de ce type ouverte hors du territoire de la Russie depuis la fin de l'URSS.

* 13 Cf. dans cet ordre d'idée différents dispositifs inter-étatiques de gestion des eaux partagées, ayant abouti à des accords internationaux comme le Traité sur les eaux limitrophes Canada-États-Unis de 1909, le Statut du fleuve Uruguay de 1975, la Convention sur la protection du Danube de 1994, l'Accord de 1995 sur le Mékong, la Charte des eaux du fleuve Sénégal de 2002, etc...

* 14 Une dizaine de députés envisageaient de quitter la coalition au moment de la visite à Bichkek de la délégation sénatoriale.

* 15 « Le Tadjikistan, un concentré de mondialisation », article publié par Henry Zipper de Fabiani dans le numéro 5 de Mondes - Les cahiers du Quai d'Orsay (automne 2010).

* 16 D'après d'autres estimations étrangères, le potentiel tadjik serait seulement de 300 millions de kW/h, capacité néanmoins considérable pour un petit pays peu industrialisé de 7,4 millions d'habitants.

* 17 Ce communiqué est accessible en français sur le site Internet de l'Ambassade d'Ouzbékistan (http://www.ouzbekistan.fr/activites/press-releases/2011/rogun.html)

* 18 A titre d'exemple, les Tadjiks sont ainsi toujours soumis à une obligation de visa pour se rendre en Ouzbékistan, formule pénalisante si on considère que le sud du pays est plus proche de Samarkand que de Douchanbé.

* 19 De gros opérateurs étrangers privés -des entreprises françaises spécialisées, notamment- pourraient aussi trouver intéressant d'être associés au tour de table, dans la mesure où ces équipements s'amortissent en une douzaine d'années environ, pour une exploitation rentable sur des durées bien plus considérables.

* 20 Une antenne diplomatique a été ouverte au Tadjikistan en 2001 ; elle a été transformée en ambassade de plein exercice à la suite de la visite officielle du Président Rakhmon à Paris en décembre 2002.

* 21 Les actes de cette rencontre sont accessibles sur le site internet du Sénat.

* 22 Sur le plan religieux, les Druzes, implantés pour l'essentiel au Liban, professeraient une doctrine plus ou moins apparentée à l'ismaélisme, mais sans allégeance à l'Aga Khan.

* 23 Notamment lors des traditionnelles « Rencontres annuelles Sénat-Ubifrance sur l'Asie centrale et le Caucase », ou par son soutien à des initiatives privées ou des événements thématiques ponctuels, comme la tenue au Sénat en 2010 de la réunion constitutive des Amitiés franco-tadjikes, en présence de représentants de plusieurs grandes entreprises françaises intervenant au Tadjikistan.

* 24 L'Europe des géographes est conventionnellement délimitée à l'est par le Fleuve Oural, et inclut donc la petite partie du territoire kazakhstanais située au nord-ouest de la Mer caspienne.

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