Groupe interparlementaire d'amitié

France - Arménie

Fédérer les initiatives,
promouvoir la coopération décentralisée
en Arménie

Conclusions de l'étude conduite

par le groupe interparlementaire d'amitié France-Arménie

(septembre 2011)

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N° GA 101 - septembre 2011

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AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Par l'implication des collectivités territoriales, la coopération décentralisée est devenue « une réalité institutionnelle et politique, un volet essentiel de l'action extérieure de la France », selon les mots mêmes du ministère chargé des affaires étrangères 1 ( * ) .

Elle confirme l'analyse de l'ancien premier ministre, notre collègue Pierre Mauroy, qui soulignait, en 1983, l'intérêt attaché aux relations des collectivités nouvellement décentralisées avec leurs homologues étrangères : « avantageux non seulement pour les collectivités locales mais encore pour le pays tout entier. Les régions, les départements et les communes peuvent en effet contribuer à démultiplier et à diversifier l'action de la France dans le monde » 2 ( * ) .

Amorcée avec la mise en place de jumelages pour établir des relations d'amitié entre les peuples après la seconde guerre mondiale, les relations extérieures des collectivités territoriales se sont approfondies et structurées au fil du temps, soutenues par les nouvelles responsabilités locales nées de la décentralisation.

La désintégration de l'URSS et l'apparition, en conséquence, de nouveaux Etats souverains issus de l'ancienne sphère soviétique, ont permis d'établir des relations d'amitié avec les peuples de ces jeunes pays. Un nouveau champ s'est ouvert à la coopération décentralisée dans des régions défavorisées où les infrastructures et les services publics sont encore peu développés.

Parallèlement, le législateur est intervenu en 1992 pour accompagner la montée en puissance des actions internationales des collectivités, en tenant compte de leur diversité, de leur utilité et de leur importance dans le quotidien des populations bénéficiaires. Pour les conforter et les sécuriser, il a tout d'abord tracé un cadre général qui, au cours des années suivantes, a été élargi : d'une part, il a été adapté, aux évolutions constatées dans la conduite des projets ; d'autre part, il a sécurisé l'aptitude des collectivités à réagir rapidement pour apporter un secours immédiat aux sinistrés lors des catastrophes qui surviennent malheureusement si souvent.

Le Sénat, investi d'une responsabilité particulière par la Constitution pour représenter les collectivités territoriales de la République, a initié diverses avancées dans cet ordonnancement juridique : compétence nouvelle des collectivités pour conduire des projets de coopération et d'aide au développement ; intervention humanitaire d'urgence ; action spécifique en matière d'eau et d'assainissement, de gaz et d'électricité.

Ce faisant, notre assemblée a permis le déploiement de la capacité d'innovation des collectivités décentralisées, nouvelle expression de l'« intelligence territoriale » !

La coopération décentralisée ne saurait cependant fonder une diplomatie concurrente de celle menée par l'Etat. Elle est en revanche un atout supplémentaire au service de la présence française à l'étranger : son succès, ses réussites sont assises sur le savoir-faire des collectivités, sur l'implication des élus locaux qui, par leur connaissance quotidienne du terrain et des attentes des administrés, la gestion des cellules de base de la démocratie, peuvent déceler rapidement les voies et moyens nécessaires pour répondre aux besoins de leurs partenaires étrangers. Parallèlement, elle bénéficie de l'expérience du modèle français d'administration locale que, dans le même temps, elle promeut.

C'est une coopération personnalisée, concrète, au plus près du terrain, qui s'inscrit dans la durée. L'ancienneté de nombreux projets constitue la preuve que cette action, le plus souvent, traverse et résiste aux soubresauts et aux alternances politiques. Elle entend contribuer à améliorer le quotidien des habitants. Elle permet aussi de multiplier et de diversifier les liens avec les responsables étrangers ainsi que d'entretenir des contacts réguliers avec les pays partenaires. Elle s'avère enfin complémentaire des projets conduits au niveau national par la mise en oeuvre des compétences des entités décentralisées au bénéfice de leurs homologues étrangères.

L'Etat en a bien compris les finalités tout comme il a perçu l'enrichissement conséquent des relations étrangères de la France : source d'émulation, d'imagination et d'innovation, la coopération décentralisée constitue un volet de notre action internationale, au même titre que la coopération bilatérale ou multilatérale dans les relations entre Etats, avec lesquelles d'ailleurs elle interagit 3 ( * ) . C'est un hommage à l'implication de ces hommes et de ces femmes au service de tous ces projets internationaux concrets qui profitent directement à des populations trop souvent en souffrance. L'exécutif promeut et encourage même financièrement l'action internationale des collectivités locales. Dès 1983, le Gouvernement a décidé de nommer un délégué pour l'action extérieure des collectivités locales.

Une commission nationale de la coopération décentralisée a été créée par la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République : présidée par le Premier ministre, elle est composée de trente membres dont les représentants des associations nationales des collectivités locales ; elle peut formuler toute proposition pour améliorer et renforcer les modalités d'exercice de la coopération décentralisée.

Il n'est pas inutile de préciser, au regard des répercussions des projets conduits par les collectivités territoriales, que leurs engagements financiers demeurent très modestes : en 2009, « leurs contributions comptabilisées au titre de l'aide publique au développement (APD) (...) ne s'élèvent qu'à 0,04 pour cent de l'ensemble des dépenses des communes, départements, régions et intercommunalités » 4 ( * ) .

Pour ce qui concerne l'Arménie, la coopération y est ancienne, diverse et vivante. Favorisée par la présence, en France, d'une communauté arménienne importante et dynamique, la coopération avec ce jeune Etat bénéficie également de la volonté des autorités arméniennes de développer la francophonie dans leur pays qui est, rappelons-le, membre permanent de l'organisation internationale de la francophonie (OIF) et membre associé de l'assemblée parlementaire de la francophonie (APF). Une autre des richesses de la coopération décentralisée, devenue vecteur de la diffusion du français !

A tous les niveaux de notre organisation locale -régions, départements, communes et intercommunalités-, des projets importants sont conduits avec des collectivités arméniennes dans des secteurs très divers : développement rural et urbain, santé, tourisme, ...

Si l'exécutif s'est intéressé à la coopération décentralisée, le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, en a fait également une des voies de son activité internationale : favoriser le développement de la coopération décentralisée figure au nombre des missions fixées aux groupes d'amitié par l'instruction générale du Bureau de la Haute assemblée.

Aussi, à l'occasion du vingtième anniversaire de l'indépendance retrouvée de la République d'Arménie, il a paru opportun au groupe interparlementaire France-Arménie, à l'initiative de son président, le sénateur Serge Lagauche, d'établir un panorama de la coopération conduite par les collectivités locales françaises dans ce pays.

Il lui a semblé particulièrement utile de recenser les différentes initiatives pour permettre la mise en lumière des complémentarités, illustrer les échanges d'expériences et de bonnes pratiques nécessairement profitables aux uns et aux autres, mesurer le bénéfice qu'en retire directement la population d'un Etat en proie à de grandes difficultés économiques et sociales.

Les projets conduits en Arménie sont très divers : il s'agit de la rénovation ou de la création d'infrastructures ou d'équipements médicaux ainsi que de la formation des équipes soignantes ; c'est aussi la réhabilitation d'un réseau d'irrigation, la mise en place d'un centre de collecte de lait ou d'un système d'adduction d'eau ; citons encore la création d'itinéraires de randonnée pédestre, équestre et cycliste favorable au développement d'un tourisme vert et donc à la création d'emplois dans des régions défavorisées ...

La vitalité de ces échanges a conduit à l'organisation, les 7 et 8 octobre 2010 à Erevan, des premières assises de la coopération décentralisée franco-arménienne. Quatre thématiques avaient alors été retenues comme axes de travail prioritaires pour « mobiliser tous les acteurs des territoires (entreprises, universités, associations...) et » permettre de mieux intégrer la dimension francophone -à laquelle les autorités arméniennes sont attachées- dans les activités futures de coopération :

- apprentissage du français ;

- gouvernance locale et formation des cadres ;

- développement économique, tourisme, développement rural ;

- mutualisation des coopérations.

Que les collectivités qui ont accepté de contribuer à l'établissement de ce panorama de leur coopération en Arménie soient ici chaleureusement remerciées.

Aujourd'hui, les autorités arméniennes ont sollicité de nouvelles actions -c'est le cas de la ville d'Erevan- ; de nouveaux chantiers sont en projet.

Formons le voeu que ce document puisse être utile pour contribuer à améliorer l'environnement quotidien d'un peuple confronté à l'insuffisante présence des services d'intérêt général.

I. LE CADRE JURIDIQUE DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE : UNE CONSTRUCTION PROGRESSIVEMENT ADAPTÉE

Respectant la compétence exclusive de l'Etat pour conduire les relations internationales de la France, la coopération décentralisée s'inscrit dans le cadre des attributions locales.

Elle s'est développée avec les lois de décentralisation de 1982, chacun des niveaux de collectivités y contribuant largement : le ministère des affaires étrangères a recensé à ce jour 8.000 projets impliquant près de 3.800 collectivités. L'ensemble des « 26 régions, plus des ¾ des départements, la quasi-totalité des grandes villes et des communautés urbaines, de très nombreuses communes moyennes ou petites et un nombre croissant de structures intercommunales » 5 ( * ) .

Le législateur est intervenu en 1992 pour l'encadrer. Jusqu'alors, il avait simplement régi la coopération transfrontalière des régions françaises ( cf . article 65 de la loi du 2 mars 1982 portant droits et libertés des communes, des départements et des régions).

Le Sénat a largement contribué à l'édification de ce cadre juridique en l'enrichissant à diverses reprises pour permettre aux collectivités d'intervenir à l'étranger dans un environnement sécurisé et pertinent.

Il peut être utile de rappeler ce dispositif en s'en tenant à l'objet du présent rapport -les relations avec les entités locales arméniennes- et donc en excluant de ce propos la coopération transfrontalière et intra-européenne ainsi que la coopération régionale des collectivités d'outre-mer.

A. UN PRINCIPE FONDATEUR : LE RESPECT DE L'INDIVISIBILITÉ ET DE LA SOUVERAINETÉ DE L'ÉTAT

La loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République comporte un titre IV consacré à la « coopération décentralisée » : il élargit le champ des actions internationales des collectivités locales jusque là limitées aux zones frontalières tout en les encadrant pour respecter les prérogatives étatiques :

- en premier lieu, les différents niveaux de collectivités -et non plus seulement les régions- pourront désormais intervenir à l'étranger ;

- par ailleurs, ces coopérations sont doublement limitées : d'une part, elles doivent respecter les engagements internationaux de la France ; d'autre part, elles ne peuvent intervenir que dans les domaines de compétence propres aux collectivités décentralisées.

L'Etat, en droit international, est investi d'une compétence exclusive pour conduire les relations de la République avec les États étrangers. Les structures locales ne peuvent donc entretenir de relations qu'avec les entités infra-étatiques étrangères 6 ( * ) .

Ainsi, la coopération décentralisée ne saurait se comprendre comme une diplomatie concurrente ni contrevenir aux principes qui fondent les relations de la République avec les puissances étrangères non plus qu'aux traités et accords internationaux qui la lient. En revanche, l'action internationale des collectivités locales s'avère complémentaire des relations entre États en s'exerçant au sein des communautés de base des partenaires étrangers.

Il convient de préciser que la notion de « collectivité territoriale étrangère » englobe « les collectivités, autorités ou organismes exerçant des fonctions territoriales ou régionales et considérées comme telles dans le droit interne de chaque Etat » 7 ( * ) .

Par ailleurs, les entités françaises peuvent mener leurs actions auprès d'une collectivité étrangère d'un rang différent du leur dans leur ordre juridique interne, le législateur n'ayant pas exigé le respect de relations à un niveau équivalent.


* 1 Cf. « Orientation pour la coopération décentralisée » à la rubrique « coopération décentralisée » du site internet du ministère des affaires étrangères et européennes : www.diplomatie.gouv.fr.

* 2 Cf. circulaire du 26 mai 1983.

* 3 Cf circulaire du ministre des affaires étrangères du 25 mars 1993.

* 4 Cf réponse du ministère des affaires étrangères et européennes à la question écrite n° 17362 du sénateur Jean-Louis Masson (journal officiel Sénat du 5 mai 2011).

* 5 Cf. la rubrique « coopération décentralisée » sur le site du ministère des affaires étrangères. http://cncd.diplomatie.gouv.fr

* 6 Sous une réserve : cf infra.

* 7 Cf circulaire des ministres de l'intérieur et des affaires étrangères du 20 avril 2001.

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