I - DE L'EMPIRE MANDCHOU À LA CHINE MODERNE OU DU MULTICULTURALISME À L'ASSIMILATION

par Mme Marie-Dominique EVEN,
Chargée de recherche au CNRS (Centre national de la Recherche scientifique)

Les noms de « Chine », « chinois », « empire chinois », « monde chinois » sont souvent utilisés de manière floue, oscillant entre références géographique, politique, linguistique et culturelle. Ils renvoient l'image d'une Chine se perpétuant sur plusieurs millénaires, dans un immense espace, et dont la Chine moderne, sous ses deux avatars républicains - la République chinoise qui remplace en 1912 la dynastie mandchoue (chin. Qing), puis la République populaire de Chine (RPC) établie par Mao en 1949 - ne serait que le prolongement logique, naturel.

A. HISTOIRE D'UN VOCABLE

Derrière l'unité apparente que projette le vocable « Chine » , derrière ces « dynasties chinoises » successives , nous trouvons des États d'origine, de composition et de gouvernement fort différents . Leur point commun est qu'ils avaient partie liée avec la Chine au sens strict, c'est-à-dire avec des populations Han et leur territoire : soit parce qu'ils en étaient une expression politique, totale ou partielle ; soit parce que, venus de l'extérieur ou de ses marges, ils l'avaient conquise, parfois dans sa totalité, et englobée sous leur contrôle. Doit-on pour autant les dénommer indifféremment « chinois », comme on le fait couramment pour parler du dernier empire de Chine, l'empire mandchou ?

Si certains de ces États étaient bien chinois, instaurés et gouvernés par des Han , un nombre non négligeable d'entre eux furent fondés par des peuples non-chinois qui se distinguaient de l'ensemble Han par leurs mode de vie, langue, religion et coutumes, et qui, loin de s'identifier aux Han, continuaient à se réclamer d'autres appartenances. Dans l'imaginaire des Chinois, ces populations voisines qui ne participaient pas de leur civilisation étaient généralement considérées comme non-civilisées, « barbares », destinées à se soumettre à l'autorité naturelle et légitime des souverains de la Chine sur ce qui est « sous le ciel », c'est-à-dire le monde. Cette conception fortement enracinée a perduré à travers les siècles, contre la réalité des soumissions répétées des Chinois à des conquérants non-chinois, et a biaisé jusqu'à nos jours le regard des auteurs et des historiens sur ces peuples.

Figure n° 1 : Carte de l'empire mandchou (Qing) tirée de l'Atlas de John Tallis (1851) qui délimite les territoires historiques de la Chine proprement dite et des autres peuples de l'empire

Source :  http://commons.wikimedia.org/wiki/File:John-Tallis-1851-Tibet-Mongolia-and-Manchuria-33621.jpg

1. Qui désigne qui ?
a) Des questions d'appellations complexes

La confusion sur ce que nous entendons par « Chine » tient aussi à la différence des termes qui la désignent ou désignent ses habitants, selon que les locuteurs sont les Chinois ou les autres peuples. D'après l'hypothèse la plus probable, « Chine » dérive de Qin (prononcé « tchine » en chinois moderne), nom de la brève mais marquante dynastie (221 à 207 av. notre ère) qui réunifia et étendit le territoire initial des Zhou (1045-256), éclaté en principautés rivales. On trouve, en effet, aux siècles suivants, rapportée dans des textes ou inscriptions chinoises, l'expression « gens de Qin » (qinren) désignant les Chinois chez leurs voisins septentrionaux, l'empire des nomades Xiongnu (Hunnu, Huns), et chez les Indo-Européens d'Asie centrale.

En revanche l'expression « gens de Qin » n'était pas utilisée comme auto-appellation par les Chinois eux-mêmes, tant était mauvaise la réputation du souverain Qin, Shi Huangdi 3 ( * ) , qui persécuta les lettrés et fit brûler les ouvrages anciens divergeant de la tradition légiste.

Les Chinois se désignaient eux-mêmes comme « gens de Han » ( han, hanren ), par référence au nom de la glorieuse dynastie Han (206 av. notre ère à 220 de notre ère) qui étendit le territoire, remit à l'honneur le confucianisme et développa, sur le modèle des anciens Zhou, le culte du ciel au niveau étatique et le concept d'un empereur « fils du ciel » ( tianzi ). L'appellation « han » se serait substituée à la désignation antérieure de Hua (Huaxia) qui désignait les ancêtres des Chinois. L'élément « hua » a été repris par les nationalistes chinois modernes : il figure dans les noms des deux républiques de la Chine modernes, zhong hua minguo (République chinoise) fondée par Sun Yat-sen, et zhong hua renmin gongheguo (République populaire de Chine - RPC).

L'usage de peuples étrangers d'appeler le pays des Han « Chine » s'est étendu à des langues européennes. Chez certains voisins de la Chine, ce nom a été remplacé par la suite par le nom d'États non-han qui avaient régné sur une partie de la Chine. Ainsi, les Türk (chin. tuque ) de l'Orkhon, fondateurs au VI ème siècle d'un vaste empire des steppes centré sur la Mongolie (552-743), désignaient la Chine voisine, sous le nom de Tabghatch : c'était le nom d'un autre peuple turc qui, deux siècles plus tôt, avait englobé et réunifié dans son nouvel État le nord de la Chine, alors divisée en multiples petits États. Plus connus sous leur nom chinois de Wei du Nord (386-534), ces Tabghatch favorisèrent la diffusion du bouddhisme indien et on leur doit de célèbres grottes bouddhiques sculptées dans des falaises à Datong, Dunhuang et Luoyang (site de Longmen). Un peu plus tard, les Mongols, et à leur suite, les Russes, désignèrent les Chinois sous le nom de Kitad, dérivé du nom des Kitan, un peuple protomongol qui avait fondé du côté de la Mandchourie un État englobant le nord de la Chine, connu en chinois sous le nom de « dynastie Liao » (947-1125).

Parmi les appellations de la Chine, mentionnons dès à présent l'appellation zhongguo , « Pays du milieu, du centre », qui désignait dans la Chine ancienne (pré-Qin) les principautés du centre, les plus anciennes. Au XX ème siècle, zhongguo est couramment utilisé comme nom abrégé des républiques chinoises fondées au XX ème siècle et il fait référence à présent à la RPC 4 ( * ) , dans ses nouvelles frontières, ce qui n'est pas dénué d'une dimension nationaliste.

b) Une historiographie chinoise des régimes étrangers

Un autre obstacle qui rend difficile l'appréhension de l'identité non chinoise d'une partie de ces États tient aux noms chinois sous lesquels ils sont généralement connus, et au qualificatif de « dynastie » (zhao) qui leur est accolé et qui rend moins perceptible la dimension d'État ou d'empire véhiculée par leur désignation autochtone. Ainsi, les dynasties  Wei, Liao, Xia de l'Ouest, Jin, Yuan et Qing, pour ne citer que les plus fameuses, donnent l'impression d'être des dynasties chinoises. Pourtant, ce sont là les noms d'États qu'on a qualifiés de « dynasties de conquête » (W. Eberhard) ou de « régimes étrangers et États frontaliers » (H. Franke et D. Twitchett) : ceux des Turcs Tabghatch (Wei du Nord), des Kitan (Liao), des Tangoutes (Xia de l'Ouest), des Mongols (Yuan), des Toungouses Jurched (Jin) ou leurs successeurs mandchous (Qing). Ces États, par l'incorporation de populations chinoises nombreuses, sédentaires, dotées d'une riche tradition littéraire et historiographique, ont été surtout connus par cette tradition et sous leurs noms chinois, et à travers le regard souvent négatif des historiens chinois.

c) Régimes étrangers : une politique impériale de séparation des nations

En outre, les conquérants se sont, de leur côté, approprié de nombreux éléments de la culture chinoise, en ont appris la langue, produisant en leur sein d'éminents représentants de cette culture5 ( * ). Néanmoins, il s'agissait pour ces peuples non chinois d'une acculturation choisie et concomitante d'une volonté de conserver leur identité, leurs coutumes, de donner à leur État un caractère propre, avec par exemple l'élaboration quasi systématique d'une écriture officielle. S'ils ont imposé à leurs sujets certains de leurs usages (pensons à la natte mandchoue imposée aux Chinois, ou au lévirat de cadet - remariage des veuves avec le cadet du défunt - imposé par les Mongols au début de leur empire), leurs politiques visaient surtout à maintenir séparés les divers peuples de leur empire, chacun sur son territoire, avec sa culture et ses usages, d'autant que certains d'entre eux bénéficiaient d'un statut de protectorats et étaient donc autogouvernés. Ces États étaient de type impérial, multiculturel : il ne s'agissait pas pour les conquérants de fusionner au sein d'une nouvelle nation les divers peuples qu'ils avaient englobés, ni de les assimiler à leur propre culture, ce que la différence numérique n'aurait d'ailleurs pas permis.

d) Chine moderne : un projet national

En République populaire de Chine (RPC), les divisions territoriales dites « autonomes » ( zizhi ) et les « nations minoritaires », «  minorités » ( shaoshu minzu ) semblent situer la Chine dans la tradition multiethnique des empires non chinois qui l'ont précédée, en particulier le dernier, l'empire mandchou dont la Chine moderne a saisi l'héritage à son profit, contre la volonté des peuples de l'empire (Mongols, Tibétains) qui avaient à cette époque proclamé aussi leur indépendance vis à vis de leur ancien suzerain.

Le concept de « minorités » est pourtant une création chinoise moderne, sur le modèle des nationalités en Union soviétique. Il faut souligner que, dans les années 1950, Mongols, Tibétains et Ouïgours des anciens protectorats autogouvernés ont été noyés dans un ensemble d'une cinquantaine de « minorités » qui n'avaient pas le même statut et les mêmes traditions de gouvernement. Cette mesure permettait d'oblitérer la spécificité politique et le statut de nation constitutive de l'ancien empire qui avait été les leurs sous le régime impérial mandchou. Ces dernières années, le qualificatif de « groupe ethnique » (zuqun ) est recommandé en lieu et place de « nation minoritaire » 6 ( * ) , ce qui parachève la négation de l'idée de nation (minzu) , trop présente dans la désignation « nation minoritaire » et qu'il ne convient pas d'encourager parmi ces peuples. Il s'agit pour la Chine de construire son projet d'unité nationale « multiethnique » dont les Han constituent le moteur, mais aussi l'élément ultra-majoritaire (91,51% de la population) 7 ( * ) .

e) Sinisation des toponymes

On constate aussi, dans les régions historiquement non chinoises, une sinisation croissante des toponymes autochtones, en raison des politiques de colonisation et d'assimilation qu'y mène l'État central. En même temps que ces régions « autonomes » se sont peuplées de Han et se transforment jusqu'à devenir des provinces chinoises de fait (c'est le cas de la « Région autonome de Mongolie-intérieure »), les noms de lieu changent et s'adaptent aux nouveaux occupants : la « Région autonome ouïgoure du Xinjiang » est désormais le Xinjiang, « Nouvelles frontières », au détriment de l'élément « ouïgour »; Kashgar est déformé en Kashi ; la région appelée en tibétain Amdo disparaît dans l'appellation Qinghai ; Dongbei, « Nord-est », a définitivement remplacé Manchourie ; les ligues de Mongolie-intérieure Jirim et Zuu Uda sont devenues respectivement les « municipalités » de Tongliao et Chifeng, etc.

2. La Chine et ses voisins : des mondes distincts

Il y a une discontinuité géographique évidente entre les plaines à riche civilisation agricole de la Chine des Han, et les régions non-chinoises situées au-delà des hauts plateaux qui les bordent, où dominait un pastoralisme extensif, nomade, aux fortes traditions guerrières, et d'où émergeait à intervalles réguliers tel ou tel peuple conquérant. À ces ruptures naturelles du relief, il faut ajouter les limites artificielles créées par l'homme pour séparer ces espaces. Elles pouvaient être très visibles, comme les anciennes fortifications que l'État chinois Ming, une fois les conquérants gengiskhanides expulsés de Chine (1368) compléta pour construire la fameuse Grande Muraille ; ou comme la « palissade de saules », remblai planté d'arbres sous les Qing qui délimitait cette fois-ci la Mandchourie de l'espace chinois.

a) Des voisins présentés comme « une » Chine diverse

Pourtant, la vision dominante en Chine aujourd'hui, diffusée à l'extérieur, est celle « d'une » Chine qui aurait été homogène à travers les siècles, où les dynasties successives auraient partagé des traits culturels similaires en raison de l'action « civilisatrice » han/hua (les deux termes véhiculant l'idée d'éclat et de civilisation) sur leurs conquérants « barbares » hu ou yi (en opposition à hua/han ). Même lorsque la part non chinoise est reconnue, c'est au titre d'une « diversité culturelle » chinoise assimilée, par certains Chinois, à « la source dans laquelle viennent puiser le génie créateur et la vitalité de la Chine », comme on a pu le lire en avril 2008 dans le magazine Courrier international 8 ( * ) qui relayait les interrogations d'un journaliste chinois, Xu Zhiyuan, sur la question des nationalités :

...[J]e dois reconnaître que je sais très peu de choses sur ces [...] régions [Tibet, Xinjiang]. Depuis que je vais à l'école, les deux principes les plus importants que l'on m'a enseignés et que j'ai acceptés, ont été la cohésion du pays et la dignité nationale. [...] Enfin, on nous a aussi inculqué une autre vérité, celle qui dit que le territoire de la Chine a toujours été immense, et que c'est depuis l'époque moderne qu'il s'est progressivement réduit [sous l'effet des attaques étrangères]. Nous avons souvent tendance à oublier que le territoire actuel de la Chine est le produit des multiples campagnes guerrières menées par les générations précédentes [sic] pour conquérir, négocier, assimiler, unir par le mariage... En réalité, considérant l'intérêt de mon pays ou mon sentiment nationaliste, je ne crois pas au bien-fondé du séparatisme. Les positions défendues par ses partisans sont souvent aussi futiles et brutales que notre propagande idéologique. Ce que je veux dire, c'est que, si nous refusons d'examiner de près nos traditions historiques, si nous refusons de nous intéresser de façon sincère aux spécificités de l'histoire et de la culture de ces régions aujourd'hui en ébullition et de les comprendre en profondeur, nous aurons bien du mal à entretenir un sentiment réel d'unité nationale [...].

Malgré ses efforts pour aborder avec un regard critique l'éducation reçue en Chine communiste, l'auteur de ces phrases reste prisonnier de l'idée que des générations précédentes [chinoises] ont dessiné le territoire actuel de la RPC. Si l'on considère l'étendue des États chinois qui ont précédé la République de Chine (1912) et la RPC (1949), c'est-à-dire la dynastie Ming, et plus encore celle antérieure des Song, repliée au sud sous la pression des Kitan, puis des Jurched, puis des Mongols, on observe qu'ils occupaient l'espace historique de la Chine agricole, territoire plus réduit et de fait plus homogène au-delà de la diversité de l'ensemble han lui-même. L'extension de la Chine moderne au XX ème siècle, telle que nous la connaissons aujourd'hui, correspond à celle de l'empire mandchou bâti par la conquête militaire ou le ralliement à leur cause, non à l'espace historique chinois.

b) Les Mandchous englobent la Chine dans leur empire

Les Mandchous occupaient et administraient directement une partie de leur empire : leur territoire historique et les provinces chinoises de la dynastie Ming. Mais c'est à la manière de suzerains qu'ils contrôlaient les pays vassaux ou les protectorats de leur empire, laissant les chefs locaux les administrer dans le cadre fixé par la cour. Parmi eux :

- les principautés mongoles du sud et du nord, qui leur avaient fait allégeance et dont les troupes participaient directement aux conquêtes ;

- le Tibet et son chef politique et religieux, le dalaï-lama, avec qui les empereurs mandchous entretenaient une relation particulière de maître spirituel à disciple laïc (chöyön ; Tib.mchod yon) ;

- les cités musulmanes du Turkestan oriental que continuaient à administrer les beys ou émirs locaux reconnaissant la suprématie mandchoue.

Cinq peuples étaient reconnus comme constituants de l'empire mandchou des Qing (1644-1912) : Mandchous, Mongols, Tibétains, musulmans Turki (Ouïgours actuels) et Hui (musulmans chinois), et Chinois (Han), avec leurs différentes langues et écritures dont témoignent aujourd'hui encore les inscriptions en cinq langues sur des monuments ou temples, ou le dictionnaire pentaglotte élaboré à cette période. Chacun de ces peuples gardait ses spécificités propres en matière de langue, écriture, religions, droits, et restait entre soi (hormis les Mandchous qui s'étaient aussi installés dans des garnisons à travers les provinces chinoises). Les populations formaient des ensembles distincts et n'étaient pas censées se mêler. Si déplacements de populations il y avait, c'était par décision des Mandchous eux-mêmes, comme dans le cas de ces subdivisions mongoles de l'est envoyées garder à l'ouest les territoires gagnés sur les Mongols occidentaux (les Djoungars ou Eleuthes) finalement vaincus et décimés au bout d'un siècle (1755-1758). Le séjour de commerçants chinois dans les territoires des Mongols était réglementé - ils ne pouvaient emmener épouse ou famille - et limité dans le temps.

Cette situation dura jusqu'aux dernières années de l'empire mandchou qui vit une inflexion importante de cette politique de séparation et de différenciation des populations suivies par les Mandchous et d'autres dynasties de conquêtes avant eux.

c) Un État chinois multiethnique et plurimillénaire ?

Dans le discours officiel, la référence à la Chine des Qin de Shi Huangdi ou à celle des Han est régulièrement utilisée pour illustrer une longue tradition plurimillénaire d'une Chine multi-ethnique unifiée , et l'assimilation est faite entre les politiques des dynasties chinoises et non chinoises (les peuples voisins ayant fondé ces dernières se voyant qualifiées, par un anachronisme qui en dit long, de « groupes ethniques minoritaires »). Le White paper on the Regional Autonomy for Ethnic minorities in China, publié en 2005 par les autorités de Pékin, explique :

La Chine est un État multiethnique avec une longue histoire. Dès 221 avant notre ère, la dynastie Qin (221-206 av. JC) [...] permit pour la première fois l'unification du pays. La dynastie Han qui lui succéda (206 av. JC - 220 ap. JC) consolida cette unification en établissant à travers le pays des préfectures jun et des districts/comtés xian , et en uniformisant les lois, la langue, le calendrier, la monnaie et le système de poids et mesures. Cela favorisa les échanges entre les différentes zones et groupes ethniques [ sic ], et jeta les bases du développement politique, économique et culturel de la Chine comme État multiethnique pour les 2000 années à venir. Les dynasties qui suivirent, qu'elles aient été fondées par des Han, telles que les dynasties Sui (581-618), Tang (618-907), Song (960-1279) et Ming (1368-1644), ou par des groupes ethniques minoritaires [ sic ], telles que les dynasties Yuan (1271-1368) et Qing (1644-1911), [...] considéraient l'établissement d'un État uni multi-ethnique comme leur but suprême.

Toutes les autorités de ces dynasties féodales adoptèrent envers les minorités ethniques une administration fondée sur la coutume, permettant aux minorités de conserver leur système et leur culture 9 ( * ) .

d) Les États chinois: une tradition défensive, entre murailles et « tribut »

Pour les Qin et les Han, il s'agissait d'unifier la Chine, mais ces États chinois n'ont pas englobé dans le giron chinois leurs voisins des steppes, Xiongnu, puis Xianbei (protomongols) : ils constituaient une menace permanente qui conduisit les Chinois à édifier les premiers remparts.

Le fondateur de la grande dynastie Tang était lui-même issu, par son ascendance maternelle, de ces peuples des steppes qui avaient pris le pouvoir sur les marges, et il garda une fascination pour cette civilisation guerrière. Le puissant État Tang parvint à rétablir son contrôle sur les routes commerciales passant par le corridor du Gansu et à maintenir quelques garnisons dans le Turkestan oriental. Il avait lui aussi face à lui dans les steppes des empires importants : au nord les Türk de l'Orkhon, suivis de l'empire ouïgour de Mongolie, auquel les Tang durent même faire appel pour réprimer des rebellions internes ; et à l'ouest les Tibétains qui rivalisaient avec les Tang en Asie centrale et occupèrent en 763 la capitale chinoise (actuelle Xi'an).

De leur côté, lorsque les Han incorporaient les peuples non chinois, c'était le plus souvent dans le cadre d'éléments sécessionnistes qui gardaient les frontières pour le compte des souverains chinois, à la manière des fédérés de l'empire romain, contre l'octroi de titulatures et de cadeaux, dans le cadre de ce que l'historiographie chinoise appelle « tribut ». Mais ces groupes fédérés qui servaient de tampon entre les Han et les plus guerriers des peuples des steppes furent aussi à l'origine de nombreux petits États non chinois établis sur les marges nord de la Chine.

La pratique du « tribut », fort coûteuse pour les dynasties régnant sur les sédentaires, concernait également des peuples étrangers plus éloignés qu'il convenait de se concilier : elle consistait à recevoir, entretenir et renvoyer avec des cadeaux importants, en particulier des soieries à forte valeur marchande, des délégations des royaumes voisins qui apportaient pour leur part des produits de leurs territoires. Elle était donc d'un grand intérêt pour les peuples des steppes qui se procuraient ainsi des marchandises qu'ils appréciaient mais ne produisaient pas, et qui en échange apportaient des chevaux et des fourrures, produits de leurs activités d'élevage et de chasse.

Étant donné le coût de ces ambassades pour les sédentaires, leur composition et leur durée étaient précisément réglementées. Une demande régulière des États nomades portait sur l'ouverture de marchés frontaliers leur permettant d'écouler leurs chevaux contre les précieuses fournitures chinoises. Le refus d'ouvrir de tels marchés , comme ce fut le cas sous la dernière dynastie han, celle des Ming (1368-1644), qui suivait une politique isolationniste derrière la Grande Muraille, entraîna des incursions nombreuses des Mongols, dont celle du puissant prince gengiskhanide Altan Khan, celui qui donna au fameux abbé du monastère gelugpa de Drepung (près de Lhassa) le titre de dalaï-lama (maître/ guru « océanique », c'est-à-dire universel) et qui retint prisonnier l'empereur Ming pendant plusieurs années.


* 3 Rendu célèbre par la découverte, dans son immense mausolée de Xi'an, d'une armée de soldats de terre cuite. Il fut le premier à faire usage du titre d'« empereur » (huangdi ) au lieu de roi ( wang ).

* 4 Les Mongols utilisent dund ulus, un calque de zhongguo, pour désigner l'État chinois moderne, mais l'ancien terme kitad ~ khiatad reste plus courant pour désigner la Chine actuelle et les Chinois.

* 5 Pensons par exemple aux écrivains mandchous de langue chinoise : Cao Xueqin, l'auteur du Rêve dans le pavillon rouge , écrit au milieu du XVIII ème siècle, et Lao She, pour les années 1920-1960 .

* 6 MA Rong 2007.

* 7 http://french.peopledaily.com.cn/VieSociale/7364933.html

* 8 Courrier International n° 909, en date du 3 avril 2008 . http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=8429

* 9 White paper on the Regional Autonomy for Ethnic minorities in China, Information Office of the State Council of the People's Republic of China, February, 2005

http://www.china.org.cn/e-white/20050301/index.htm

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