TABLE RONDE 2

LA SLOVÉNIE, UN PAYS DE TRADITION INDUSTRIELLE AUX POSSIBILITÉS MÉCONNUES

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :
S.E. M. Pierre-François MOURIER, Ambassadeur de France en Slovénie
S.E. Mme Veronika STABEJ, Ambassadeur de Slovénie en France
Mme Aude ROBIN-MITREVSKI, Conseillère économique près l'Ambassade de France en Slovénie
M. Bruno LANTERNIER, Directeur de Business France Autriche-Slovénie
M. Pierre BOISSEL, ancien Directeur du Grand Hôtel Rogaska, Slovénie
M. Jure KONIC, Directeur administratif et financier du groupe E. Leclerc en Slovénie
M. Christophe LAUBRY, Directeur technique de l'usine Renault de Novo mesto
M. Mathias PROUVOST, Fondateur de Zvezdar

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M. Arnaud FLEURY. - Monsieur l'Ambassadeur, quel est l'état des relations bilatérales entre la France et la Slovénie ?

S.E. M. Pierre-François MOURIER - Je dirai tout d'abord que la Slovénie est un pays slave quand on y arrive, et de plus en plus germanique lorsqu'on y vit. Il est très différent des autres ex-républiques yougoslaves, et même de la Croatie. La Slovénie constitue, avec ses 20 000 kilomètres carrés et ses deux millions d'habitants, un tout petit marché ; mais celui-ci permet d'accéder à tout le marché des Balkans occidentaux : la Croatie, la Serbie, la Bosnie, le Kosovo, l'Albanie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine.

Les relations entre la France et la Slovénie ont connu une éclipse ; mais elles s'intensifient considérablement depuis trois ans.

En 2013 a eu lieu la première visite d'un Président de la République française dans l'Histoire ; en 2015 pour la première fois depuis dix ans, le Ministre des Affaires étrangères se rendra à Ljubljana, puis ce sera le Ministre des Affaires européennes. L'objet de ces visites est politique, mais aussi commercial.

M. Arnaud FLEURY. - Quel est l'état de la présence économique française en Slovénie ?

S.E. M. Pierre-François MOURIER - Les échanges économiques entre la France et la Slovénie représentent environ deux milliards d'euros. 61 filiales françaises sont présentes dans le pays, dont la plus importante est celle de Renault à Novo mesto. Ces entreprises se sont implantées en 2004, lors de l'entrée de la Slovénie dans l'Union européenne, avec l'objectif de se positionner sur les marchés des autres ex-républiques yougoslaves. En effet, la culture des affaires en Bosnie ou en Serbie relève véritablement de l'exotisme pour un Français ; ce n'est pas le cas en Slovénie, car l'écart culturel entre les deux pays est relativement faible.

M. Arnaud FLEURY. - Existe-t-il des sujets de tension ?

S.E. M. Pierre-François MOURIER - Les entreprises françaises connaissent de très beaux succès en Slovénie. Concernant l'exception de Lafarge, qui a finalement mis un terme à ses activités dans le pays fin 2014, la faute est partagée entre la Commission européenne, l'État slovène et l'entreprise. Il ne faut pas essayer d'adapter les Slovènes à nos usages, mais les traiter avec respect, car ils sont fiers et ne donnent leur confiance que progressivement.

M. Arnaud FLEURY. - Madame l'Ambassadeur, comment qualifieriez-vous les relations économiques entre nos deux pays ? Un plan d'action a été signé lors de la venue de M. Laurent Fabius en Slovénie en avril dernier : cet accord donnera-t-il un coup d'accélérateur à nos relations économiques ?

S.E. Mme Veronika STABEJ - Absolument. Je confirme que la Slovénie n'a rien d'exotique pour la France. Elle entretient également des relations économiques très fortes avec l'Autriche. Ainsi, le port de Koper constitue une porte maritime pour l'Autriche, premier investisseur en Slovénie, et toute l'Europe centrale.

Les relations bilatérales entre nos deux pays sont au beau fixe. Toutefois, la France n'est actuellement que le cinquième partenaire économique de la Slovénie : cette situation peut être largement améliorée en diversifiant les secteurs dans lesquels les entreprises françaises investissent.

M. Arnaud FLEURY. - Après une crise économique très forte, la Slovénie connaît une vague de privatisations et un renouveau politique.

S.E. Mme Veronika STABEJ - La vie politique n'est simple dans aucun pays, mais la Slovénie est un pays stable, qui a engagé des réformes importantes sur l'assainissement du système bancaire, le code du travail, le régime de retraite notamment. Le gouvernement poursuit une stratégie de spécialisation intelligente. Les prévisions de croissance se situent selon l'OCDE à 2,5 % et le chômage est en baisse. Le marché slovène est très compétitif.

La question linguistique n'est pas un problème, dans la mesure où la pratique des langues étrangères est d'un excellent niveau en Slovénie - il est néanmoins nécessaire de maîtriser l'anglais. Il existe par ailleurs des réseaux français et, historiquement, rappelons que l'on trouve à Ljubljana un monument consacré à Napoléon, et que l'on a fêté récemment le bicentenaire des provinces illyriennes.

M. Arnaud FLEURY. - Merci. Madame Aude Robin-Mitrevski, pouvez-vous nous présenter les opportunités économiques en Slovénie, en particulier des privatisations ?

Mme Aude ROBIN-MITREVSKI - L'économie slovène affiche des taux de croissance qui font rêver en France : 2,6 % en 2014, et une estimation à 2,4 % pour 2015. La production industrielle représente 28 % du PIB, et le PIB par habitant est supérieur à 18 000 euros. Le taux de chômage se situe à 9,7 %.

La France est le 5 ème client de la Slovénie et son 6 ème fournisseur ; elle possède 61 filiales dans le pays, dont de nombreuses PME. Les IDE (Investissements Directs Étrangers) slovènes font de la France la 22 ème destination du pays pour les investissements. Dans le cadre de la surveillance communautaire européenne, la Slovénie est passée en 2015 de 8 à 4 recommandations. La corruption, en particulier, n'est plus considérée comme un sujet de vigilance par la Commission européenne, grâce à l'action volontariste des autorités slovènes sur le problème.

Concernant les opportunités d'affaires, rappelons qu'une vague de privatisations a été engagée l'an dernier, et que 90 entreprises sont désormais proposées à la vente, dont 24 constituent des actifs stratégiques, 21, des actifs importants, et 46, des actifs de portefeuille.

M. Arnaud FLEURY. - Des entreprises françaises se sont-elles déjà positionnées ?

Mme Aude ROBIN-MITREVSKI - Non, car la stratégie est encore en cours de définition, et il est difficile de se positionner pour le moment, mais le marché slovène est bien identifié par les entreprises françaises.

En dehors des privatisations, d'autres opportunités se présentent, comme la vente d'une chaîne hôtelière.

Par ailleurs, de grands projets dans le domaine des infrastructures, en partie liés au plan Juncker, constituent des opportunités d'affaires intéressantes.

Enfin, des projets régionaux de plusieurs millions d'euros, centralisés par l'Agence régionale de développement, offrent des possibilités d'investissement souvent méconnues.

Je terminerai en vous indiquant qu'un Guide d'affaires en Slovénie sera disponible sur le site de l'Ambassade en novembre 2015.

S.E. M. Pierre-François MOURIER - L'économie slovène était encore récemment administrée à 50 % : c'est pourquoi l'Etat engage cette vague de privatisations. Or il encourage les investisseurs français à venir en Slovénie, car il ne souhaite pas vendre tous ses actifs à un seul pays. Il existe en Slovénie un « désir de France ».

M. Arnaud FLEURY. - Ces entreprises sont-elles correctement gérées, ou encore tributaires d'un modèle ancien ?

S.E. M. Pierre-François MOURIER - Certaines sont parfaitement gérées, comme Elan, le port de Koper, des entreprises de sous-traitance automobile ou encore des entreprises de production d'énergie hydrique.

M. Arnaud FLEURY. - Monsieur Bruno Lanternier, que faut-il savoir des opportunités commerciales en Slovénie sur les différents secteurs, et de votre action en particulier ?

M. Bruno LANTERNIER. - Business France traite la Slovénie dans son antenne de Ljubljana, dirigée par Mme Maja Razpotnik. Le « désir de France » mentionné par M. l'Ambassadeur est une réalité dans ce pays, dont j'évoquerai les secteurs les plus porteurs. Certes, la Slovénie offre un petit marché, mais tout est affaire de positionnement. Ainsi, l'Autriche traite un plus gros volume d'affaires avec la Slovénie qu'avec la Chine. En outre, ce pays est le berceau industriel de l'ex-Yougoslavie, et rayonne sur toute l'Europe du Sud-Est.

La France est déjà présente en Slovénie, et de nouveaux investisseurs ne s'y trouveraient pas seuls. Avec 70 % d'exportations et 19 000 sociétés, la Slovénie est un pays industriel compétitif dans plusieurs secteurs : agroalimentaire, électronique, pharmacie, mécanique, machines-outils... L'industrie slovène alimente en sous-traitance les entreprises autrichiennes, allemandes et d'Europe centrale.

Dans le domaine industriel, le secteur ferroviaire constitue une opportunité pour les entreprises françaises. En effet, la Slovénie, qui a beaucoup investi dans son réseau routier, n'en a pas fait autant dans son réseau ferroviaire. Un plan stratégique de développement de ce réseau a donc été mis en place sur la période 2014-2020. Les enjeux sont importants, dans la mesure où la Slovénie se situe au coeur d'un noeud ferroviaire notamment entre les corridors paneuropéens V et X. Le doublement de la voie Koper-Divaèa est notamment prévu. Des investissements importants, nationaux et européens, seront consentis dans les infrastructures, mais aussi dans le matériel roulant et le développement des services. Ce plan offre donc des perspectives très intéressantes aux entreprises françaises du secteur.

M. Arnaud FLEURY. - Je crois que vous organisez prochainement une rencontre sur le sujet.

M. Bruno LANTERNIER. - En effet, nous organisons en octobre 2015 une rencontre avec les opérateurs ferroviaires slovènes, et nous attendons beaucoup de la mobilisation des entreprises françaises dans ce domaine.

Nous mènerons également une action de sensibilisation, en lien avec AXEMA, le syndicat français du machinisme agricole, à l'occasion du salon AGRA qui se tiendra près de Ljubljana en août 2015.

Le secteur agroalimentaire est également défini comme prioritaire dans notre plan d'action. La distribution est portée par trois acteurs importants, qui détiennent 68 % du marché. La présence du groupe E. Leclerc constitue dans ce domaine un « cheval de Troie » extraordinaire pour promouvoir les produits français. Il est très bien positionné sur le secteur, ce qui prouve que la taille d'un marché n'est pas forcément en relation directe avec le chiffre d'affaires que l'on peut y réaliser.

Des possibilités d'implantation existent également dans le domaine des fruits et légumes, puisque la Slovénie est un importateur net de ces denrées, mais aussi dans celui des produits gourmets. Nous organisons au premier semestre un rendez-vous « Vins et spiritueux », qui connaît toujours un franc succès et permet de développer la présence des vins français sur le marché slovène.

Le secteur cosmétique, santé et bien-être est pour sa part en progression, avec une augmentation de 9,2 % entre 2008 et 2014. Le besoin suit l'évolution du pouvoir d'achat des Slovènes et la production locale est relativement limitée. Les produits français jouissent par ailleurs d'une excellente réputation. Les nombreux centres thermaux du pays constituent également des opportunités pour les investisseurs. Nous organisons sur ce sujet, en janvier 2016, une opération « Cosmétiques-santé ».

Les points forts de la Slovénie sont principalement : une force économique relativement hétérogène ; une main-d'oeuvre bien formée ; un excellent réseau routier et l'appartenance du pays à l'Union européenne.

Peuvent à l'inverse constituer des faiblesses : un marché intérieur relativement restreint ; un réseau ferroviaire peu développé - ce point constituant cependant une opportunité pour les entreprises françaises.

Pour être complet, il faut ajouter du côté des menaces : une forte concentration du commerce de détail, d'une part ; une attention croissante aux intérêts nationaux, notamment dans le secteur agroalimentaire - ce qui n'empêche pas les étrangers de proposer des produits complémentaires, d'autre part.

Mais dans l'ensemble, il faut surtout retenir les opportunités suivantes : un pouvoir d'achat relativement élevé ; une bonne connaissance des marchés de l'Europe de l'Est ; un noeud logistique important.

Je pense que l'antenne de Business France à Ljubljana travaille en lien étroit avec les services de l'Ambassade de France en Slovénie, et avec ceux de l'Ambassade de Slovénie à Paris.

M. Arnaud FLEURY. - Monsieur Christophe Laubry, Renault est installé depuis dix ans à Novo mesto et représente 3 % du PIB de la Slovénie. Sur quel aspect de votre expérience souhaitez-vous insister ?

M. Christophe LAUBRY. - L'usine de Novo mesto est l'une des 32 implantations de Renault dans le monde. Elle emploie 2 000 personnes et produit environ 200 000 véhicules par an. La quasi-totalité de la production est exportée vers l'Europe.

L'alliance Renault-Nissan a établi un classement des sites industriels en fonction de leurs performances. Depuis 2009, l'usine de Novo mesto se positionne systématiquement dans les trois premières places du classement. Elle a même remporté le challenge en 2012.

M. Arnaud FLEURY. - Comment expliquez-vous cet excellent niveau de performances ?

M. Christophe LAUBRY. - Il s'explique en partie par le niveau de qualification élevé des Slovènes. Plus de 60 % des employés du site possèdent en effet un niveau égal ou supérieur au Bac, et la formation technique est de très haut niveau. Certains employés partent d'ailleurs au Technocentre de Guyancourt ou vers d'autres sites, partout dans le monde. Le personnel slovène se signale également par une grande conscience professionnelle. Quand la voie a été tracée et les étapes définies, les employés travaillent de façon sérieuse et performante.

M. Arnaud FLEURY. - Comment se situe l'usine en termes de salaires ?

M. Christophe LAUBRY. - Un opérateur gagne à peu près la moitié de la somme qu'il toucherait en France. Les coûts de production sont en revanche trois fois plus chers que dans nos usines de Roumanie - mais les salaires évoluent rapidement dans ce pays.

M. Arnaud FLEURY. - La présence d'une base industrielle si importante en Slovénie demeure-t-elle un avantage pour Renault ?

M. Christophe LAUBRY. - Les performances de l'usine constituent un atout indéniable.

M. Arnaud FLEURY. - La situation du pays au coeur de l'Europe centrale représente un autre avantage.

M. Christophe LAUBRY. - Sur ce point, l'usine de Slovénie se trouve au contraire quelque peu excentrée par rapport aux axes France-Espagne et Roumanie-Turquie. Nos coûts logistiques sont donc supérieurs et nous devons nous battre sur notre efficience. Toutefois, les infrastructures slovènes s'améliorent.

M. Arnaud FLEURY. - Que faut-il savoir des fournisseurs locaux ?

M. Christophe LAUBRY. - Nous travaillons avec un réseau d'entreprises slovènes, mais aussi slovaques ou croates. Les entreprises slovènes fournissent des pièces de très bonne qualité et sont toujours soucieuses de rester à la pointe de la technologie.

M. Arnaud FLEURY. - Les PME françaises ont-elles conscience des opportunités de sous-traitance que représente votre implantation en Slovénie ?

M. Christophe LAUBRY. - Certaines sont déjà installées dans le pays, comme le groupe Trèves, et exploitent très bien les qualités du terrain.

M. Arnaud FLEURY. - Que représente le fait que le pays se situe dans la zone euro ?

M. Christophe LAUBRY. - Cela constitue un avantage, dans la mesure où l'usine de Novo mesto destine ses produits à l'Europe.

Enfin, je signale que l'usine fabrique également des Smart, et que le groupe Daimler est très satisfait de la qualité de nos productions.

M. Arnaud FLEURY. - Monsieur Jure Konic, Leclerc est-il le seul grand distributeur français présent en Slovénie ?

M. Jure KONIC. - Tout à fait. Nous ne possédons que deux hypermarchés, de 10 000 et de 5 000 mètres carrés, ainsi qu'un point retrait « drive » . Il s'agit d'établissements de petite taille, mais ils représentent 2,5 % des parts de marchés en Slovénie.

Les trois gros opérateurs du secteur totalisent pour leur part 68 % du marché. Mercator, qui possédait sous des formats variés près de 50 % de parts de marché il y a quinze ans, n'en représente plus que 34 % aujourd'hui. Il a été repris par Agrocor, un groupe croate, ce qui l'a rendu très concurrentiel. Le second acteur est Spar, un groupe autrichien, qui possède 92 magasins en Slovénie. Le troisième est le groupe slovène Tu, mais son avenir est compromis. Enfin, le hard discount a fait son entrée avec l'allemand Lidl et avec Hofer, une filiale d'Aldi Autriche qui déploie des petites surfaces.

M. Arnaud FLEURY. - Êtes-vous satisfait de votre installation en Slovénie, et pourquoi avez-vous fait le choix de ce pays ? Apportez-vous une offre très différenciante ?

M. Jure KONIC. - Nous sommes satisfaits de notre investissement, même si les résultats des deux magasins diffèrent, ce qui est lié à leur implantation. Le panier moyen se monte en effet à 34 euros à Ljubljana, mais il n'est que de 24 euros à Maribor. En France, il se situe, dans un magasin de taille équivalente, autour de 50 euros.

M. Arnaud FLEURY. - Avez-vous référencé de nombreux produits français ?

M. Jure KONIC. - Nous ne proposons pas exclusivement des produits français. Si nous avions fait ce choix en ouvrant nos magasins il y a quinze ans, nous aurions probablement connu un échec. Les produits français sont proposés en complément des produits slovènes. Toutefois, nous avons fortement enrichi l'assortiment lors de l'entrée de la Slovénie dans l'Union européenne. La difficulté des contraintes douanières et contrôles sanitaires étant levée, nous avons en effet pu monter en gamme. Actuellement, les achats de produits étrangers représentent 18 % de notre chiffre d'affaires. Pour le secteur alimentaire, ils se limitent à 10 %, mais nous offrons des produits que les magasins slovènes ne peuvent proposer. En effet, le principe de fonctionnement de notre centrale d'achat nous permet des approvisionnements très ciblés.

M. Arnaud FLEURY. - Comment sont perçus les produits alimentaires français ?

M. Jure KONIC. - Nous sommes appréciés pour la différence que nous apportons. Historiquement, la Slovénie a toujours été ouverte à une relation avec le monde germanique, notamment sur le plan industriel. Puis les Slovènes ont souhaité élargir leurs horizons : c'est pourquoi nous avons été bien accueillis et continuons de croître. Un grand nombre de fournisseurs français ignorent que leurs produits sont vendus en Slovénie, puisque les commandes passent par la centrale d'achats.

Le seul frein possible au développement est celui de la logistique. Leclerc contourne la difficulté en passant par sa centrale d'achat et prend en charge la traduction des documents et de l'étiquetage. Si l'on suit scrupuleusement la réglementation établie, on ne rencontre pas de difficulté particulière.

M. Arnaud FLEURY. - Les franchises françaises sont-elles présentes sur ce marché ?

M. Jure KONIC. - Elles sont très rares et se limitent à des initiatives de particuliers. On relève ainsi la présence de L'Occitane, Melvita ou encore Oliviers & Co, mais il ne s'agit que de cas isolés. Il semblerait en revanche que Décathlon, qui possède un grand centre à Trieste, envisage de s'implanter en Slovénie. Nous avons pour notre part tenté de faire venir Maisons du monde : le projet est à l'étude, mais il ne semble pas porté par une réelle volonté d'implantation.

M. Arnaud FLEURY. - Pourtant, le pouvoir d'achat des Slovènes représente un véritable potentiel.

M. Jure KONIC. - C'est exact, malgré deux années plus difficiles avec un changement d'habitudes des consommateurs.

M. Arnaud FLEURY. - L'apprentissage de la langue slovène est-il ardu ?

M. Jure KONIC. - C'est une langue difficile, mais l'anglais est très utilisé. Le plus important est de montrer sa volonté d'apprendre la langue, de s'y intéresser, quelle que soit sa compétence linguistique. Les Slovènes sont fiers de leur culture et de leur histoire et apprécient cette démarche.

M. Arnaud FLEURY. - Merci.

Monsieur Pierre Boissel, vous avez passé deux ans et demi en Slovénie, avec pour mission de renflouer le Grand Hôtel Rogaska. Il a ensuite été vendu à un investisseur russe, qui a décidé de le transformer en centre médical. Quel témoignage souhaitez-vous nous apporter à travers votre expérience dans l'hôtellerie ?

M. Pierre BOISSEL - Lorsque nous sommes arrivés, nous avons constaté que la clientèle se composait à 60 % de touristes russes, ce qui nous a paru constituer un risque. Nous nous sommes donc tournés vers les agences touristiques françaises, en mettant en avant les atouts des sources thermales de Rogaska, très riches en magnésium. Nous avons également fait valoir l'attractivité du tourisme slovène, le sport, ainsi que notre capacité à accueillir des colloques ou séminaires.

M. Arnaud FLEURY. - Quel est le potentiel touristique de la Slovénie, et dans quel secteur engageriez-vous un Français à investir ?

M. Pierre BOISSEL - De nombreux hôtels sont à vendre, dont un établissement cinq étoiles du début du siècle, avec vue sur l'Adriatique. D'une manière générale, la Slovénie souffre de l'absence de chaînes internationales. Accor devrait s'implanter sans difficulté, comme nous avons pu le faire. Le seul problème qui puisse se poser est celui de la formation. Les employés de l'hôtellerie manquent de diversité dans leur expérience. Un investisseur devra donc mettre en place un programme de formation pour les jeunes employés.

M. Arnaud FLEURY. - Existe-t-il également des vignobles à racheter ?

M. Pierre BOISSEL - Les vignobles ne produisent que 80 000 hectolitres de vin, qui sont consommés localement. Ce marché peut donc constituer une niche intéressante pour des Français, du fait de leur savoir-faire, en particulier pour le vin rouge.

M. Arnaud FLEURY. - La restauration offre-t-elle également des perspectives ?

M. Pierre BOISSEL - Des gîtes ruraux, des fermes vinicoles sont à vendre et la combinaison restauration-hôtellerie peut s'avérer intéressante. Des possibilités existent également autour des produits dérivés de la vigne, comme les jus de fruits ou les produits de beauté. La Slovénie, pays très écologique, peut offrir des perspectives intéressantes dans le domaine des produits biologiques. Il existe en effet très peu d'entreprises spécialisées dans ce créneau, qui intéressera les hôtels de cure notamment - il existe une quinzaine de centres de thermalisme et de bains d'eau chaude en Slovénie.

M. Arnaud FLEURY. - Est-il facile de faire des affaires en Slovénie ?

M. Pierre BOISSEL - La situation du pays offre de nombreuses perspectives dans le domaine de l'hôtellerie, du tourisme, mais aussi de l'industrie pharmaceutique ou encore de la musique, deux secteurs dans lesquels la Slovénie excelle.

M. Arnaud FLEURY. - Merci. Monsieur Mathias Prouvost, vous avez créé votre société en Slovénie après une expérience de VIE (Volontariat International en Entreprise) dans ce pays.

M. Mathias PROUVOST. - En effet, comme beaucoup de Français qui ont découvert la Slovénie, j'ai souhaité y rester. Comme il est difficile de trouver un emploi dans le pays à des conditions intéressantes, j'ai choisi de créer ma propre entreprise. Nous vendons des coffrets cadeaux thématiques utilisables dans tout le pays. Nous avons démarré notre activité en 2009, juste avant la crise, ce qui nous a d'abord pénalisés. Désormais, nous travaillons en collaboration avec 250 partenaires dans les domaines de l'hôtellerie, de la restauration, du sport, du bien-être, de l'oenologie, et nous distribuons nos coffrets dans plus de 185 magasins en Slovénie.

M. Arnaud FLEURY. - Est-il facile d'être référencé par les distributeurs slovènes ?

M. Mathias PROUVOST. - Ce fut assez compliqué dans notre cas, le produit que nous proposions étant nouveau et conceptuel, dans un marché encore traditionnel. Nous avons dû faire oeuvre de pédagogie pour entrer chez les distributeurs. Il faut préciser que la Slovénie possède de très nombreux magasins, de l'hypermarché à la supérette de village. Il existe notamment des enseignes Mercator partout dans le pays.

M. Arnaud FLEURY. - Sur le plan administratif, est-il simple de créer une société en Slovénie et de travailler avec les différents partenaires ?

M. Mathias PROUVOST. - L'effectif de notre société est entièrement local et nous travaillons avec des comptables, des logisticiens et des prestataires slovènes. La création d'une entreprise en Slovénie n'est pas particulièrement compliquée.

M. Arnaud FLEURY. - Que pouvez-vous nous dire de vos relations avec les prestataires ?

M. Mathias PROUVOST. - Elles dépendent de la taille de ces derniers. Avec de petites entreprises, un contrat peut être signé dans la journée ; à l'inverse, un contrat passé avec un grand groupe hôtelier nécessitera plusieurs étapes de travail, en particulier avec le service juridique. Il est surtout essentiel de motiver les collaborateurs, d'insuffler de l'énergie dans le projet. Les Slovènes aiment collaborer, mais il faut les convaincre.

M. Arnaud FLEURY. - Vous m'avez indiqué que les entreprises slovènes négligeaient quelque peu leur service client.

M. Mathias PROUVOST. - En effet. La Slovénie me paraît à la croisée des chemins entre les habitudes commerciales de l'Europe occidentale et celles des Balkans, dans lesquelles le client n'est pas forcément roi.

M. Arnaud FLEURY. - Avez-vous cependant observé une progression dans la gestion de la relation client ?

M. Mathias PROUVOST. - Contre toute attente, et malgré la crise, non.

M. Arnaud FLEURY. - Que peut-on dire des relations de travail en Slovénie ?

M. Mathias PROUVOST. - Les acheteurs slovènes sont chaleureux ; quant au maniement de la langue nationale, il constitue indéniablement un atout. Il est parfaitement possible de développer une activité en ne pratiquant que l'anglais, mais le slovène est quasi-indispensable lorsque l'on exerce sur le terrain. D'une manière générale, il faut prendre en compte les habitudes de ce pays très agréable à vivre. Comme en Autriche, le travail est une valeur mais pas nécessairement une priorité, et les journées s'arrêtent à 16 heures. Il existe toutefois deux types d'entreprises : les sociétés historiques, avec lesquelles il est indispensable de prendre son temps, et des entreprises de plus petite taille, souvent conduites par de nouvelles générations, et beaucoup plus réactives.

DÉBAT AVEC LA SALLE

De la salle. - Vous avez évoqué pour l'Autriche un pouvoir d'achat important et un goût pour les produits innovants ; qu'en est-il de la Slovénie ?

S.E. M. Pierre-François MOURIER. - J'ai eu tort de ne pas parler de l'innovation en Slovénie, qui possède de très nombreuses startups . À titre d'exemple, l'application Talking Tom , téléchargée 7 milliards de fois, a été créée en Slovénie. Le pays abrite également, dans le domaine de la très haute technologie, le meilleur fabriquant au monde de pots d'échappements, l'un des rares en Europe à pouvoir souder le titane. Le fabricant d'avions Pipistrel travaille quant à lui avec Google sur des projets de livraison de colis en porte à porte par drone. La Slovénie est une terre industrielle historique, qui ne cesse d'améliorer ses process et se tourne constamment vers l'innovation. La main-d'oeuvre y est par ailleurs très bien formée, et les Slovènes travaillent avec beaucoup de sérieux. La fidélité à la parole donnée et à l'engagement est très importante dans la culture du pays. Ainsi, le taux de remboursement de prêts y est particulièrement élevé.

M. Robert DEL PICCHIA, Sénateur des Français de l'étranger. - Je rappellerai une anecdote : il y a plusieurs années, le champion de ski suédois Ingemar Stenmark gagnait toutes les courses, grâce à ses qualités athlétiques bien sûr, mais aussi grâce au nouveau ski Elan, inventé et fabriqué en Slovénie.

S.E. M. Pierre-François MOURIER. - Je signale à ce propos que la société Elan est à vendre.

M. Jean-Michel BESANCENOT, Président de la Confrérie des Chevaliers du Brie de Melun. - Je rappelle que Lactalis produit la majorité des fromages sous appellation d'origine protégée. Je m'étonne que la Slovénie et l'Autriche, qui produisent des fromages de montagne appréciés, recourent très peu à l'appellation d'origine protégée, et souhaiterais en connaître la raison.

Je voudrais demander à M. Konic ce qu'il achète chez Lactalis en Slovénie, et quels sont les fromages français qu'il vend le plus dans ses magasins.

Enfin, Mme Garaudy a rappelé la tenue d'une exposition sur le Congrès de Vienne ; au risque de paraître arrogant, je rappellerai que le Brie y avait été présenté comme « le roi des fromages ».

M. Jure KONIC. - Nous proposons du Brie, parmi d'autres fromages français, mais en quantité modeste. Les Slovènes ne sont pas habitués aux fromages à pâte molle. Quelques produits slovènes ont reçu l'appellation d'origine protégée, comme la saucisse de Kranjska, le vin de Teran ou le fromage de Tolmin, mais ils sont assez rares. Ces produits ne sont pas fabriqués par des sociétés comme Lactalis.

M. Arnaud FLEURY. - Pourrait-on vendre plus de fromages français en Slovénie ?

M. Jure KONIC. - Cette progression passera nécessairement par l'amélioration de la logistique, le référencement de ces produits par des groupes et un appui marketing au niveau national français.

M. Bruno LANTERNIER. - Pouvez-vous confirmer que le droit du travail n'est pas plus contraignant en Slovénie qu'ailleurs ?

M. Mathias PROUVOST. - Je peux témoigner du fait que le climat social est bon et que les charges et impôts sont relativement élevés. Aucune difficulté particulière n'est à signaler en la matière.

M. Christophe LAUBRY. - Je confirme ce propos. Je n'ai pas souvenir d'une grève dans l'usine de Novo mesto.

M. Jure KONIC. - La Slovénie ne propose pas l'équivalent du modèle autrichien, mais elle n'en est pas très éloignée.

M. Arnaud FLEURY. - Le code du travail slovène est-il aussi fouillé que le nôtre ?

M. Jure KONIC. - Il est assez rigide, et je regrette un manque de flexibilité au niveau du licenciement et de l'embauche.

M. Pierre BOISSEL. - Je souhaite ajouter une précision à mon intervention : de nombreux hôtels slovènes pourraient être reconvertis en maisons de retraite, pour accueillir notamment des Français, car la Slovénie est à 1 heure 30 d'avion de la France.

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