TABLE RONDE 1 -
PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES AU GABON

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Hilaire MACHIMA Ministre délégué auprès du Ministre de l'Economie, de la Prospective et de la Programmation du Développement de la République gabonaise

M. Didier LESPINAS, Président du Comité Gabon des Conseillers du Commerce extérieur de la France, et Directeur de DBLAFRICA

M. Alain BA OUMAR, Président de la Confédération patronale gabonaise (CPG) et PDG d'IG TELECOM

M. Jean-Pierre BOZEC Associé-gérant, PROJECT LAWYERS

M. Erik WATREMEZ Directeur général, E&Y Gabon

M. Arnaud FLEURY - Notre première table ronde porte sur le climat des affaires (i), c'est-à-dire la pratique des affaires dont chacun sent qu'elle peut être largement améliorée.

Monsieur Machima, le pays retrouve enfin une croissance solide après des années difficiles avec la chute des hydrocarbures. Etes-vous confiant sur les perspectives 2019 de 3 % de croissance ?

M. Hilaire MACHIMA - Je voudrais saluer l'assistance et réitérer nos remerciements aux organisateurs de ce colloque. Suis-je serein pour la suite de l'évolution de cette croissance ? Je réponds tout de suite oui, parce que nous avons lancé notre nouveau plan de relance économique en 2018 et fin décembre, nous avons constaté une hausse de notre croissance de 0,9 %, contre 0,5 % en 2017. Puisque nous avons choisi, pour la suite de notre programme, des secteurs porteurs et encore vierges, qui restent à explorer, nous sommes sûrs qu'en les mettant en valeur nous atteindrons l'objectif de 3,7 % annuels en moyenne.

M. Arnaud FLEURY - Nous parlerons évidemment de ce plan stratégique « Gabon émergent », lancé en 2012. Est-ce le bon moment pour accélérer la diversification ?

M. Hilaire MACHIMA - Le plan stratégique « Gabon émergent » a été initié par S.E. Ali Bongo Ondimba à l'entame de son magistère. La mise en oeuvre de ce plan à partir de 2010 et 2014 a porté ses fruits, qui se sont heurtés à la crise des principaux produits d'exportation. Nous avions mis ce plan en veilleuse pour pouvoir initier un programme de relance économique, qui s'articule sur trois objectifs fondamentaux : le rééquilibrage de nos finances publiques, la relance de notre économie et la réduction de la pauvreté. C'est en le mettant en oeuvre que nous avons connu une relance de notre croissance. Nous poursuivons pour l'instant avec ce programme, puisque nous avons ciblé des secteurs porteurs.

M. Arnaud FLEURY - Nous les passerons en revue tout au long de la matinée. Le Ministre des Transports a parlé de « mutation charnière » et de « tournant décisif » pour le pays. Quels sont les domaines où vous souhaitez particulièrement attirer de nouveaux investisseurs ? Quelles sont les principales mesures phares prises par le gouvernement pour faciliter leur arrivée, notamment celle des investisseurs français, qui ont eu tendance, ces dernières années, à réduire leurs participations ?

M. Hilaire MACHIMA - En marge des secteurs traditionnels comme le pétrole, les mines et le bois, nous avons de nouveaux secteurs, comme le tourisme et la pêche, qui bénéficient d'un département ministériel spécifique. Nous pensons qu'il reste beaucoup à explorer à ce niveau pour qu'il profite à notre économie. Nous avons également le numérique, l'eau et l'énergie, l'agriculture -- Olam poursuit son programme au niveau de la palmeraie -- et bien d'autres.

M. Arnaud FLEURY - Les investissements français ont été divisés par deux en dix ans, ce qui peut s'expliquer par le retrait de Total. Garantissez-vous la possibilité de rapatriement des bénéfices des investisseurs et l'accès aux devises ?

M. Hilaire MACHIMA - Bien sûr, pourvu que la législation en vigueur dans notre pays soit respectée. Les investisseurs étrangers actuellement au Gabon peuvent témoigner de la facilité de ce rapatriement.

M. Arnaud FLEURY - L'indice de développement humain du Gabon n'est pas à la hauteur des richesses du pays. La montée en puissance de ce « Gabon émergent » permettra-t-elle des progrès en termes d'éducation et de santé ? Toute la population en récoltera-t-elle les fruits ?

M. Hilaire MACHIMA - Je préfère parler au présent qu'au futur, car le peuple gabonais a déjà commencé à bénéficier de ces retombées. Nous avons commencé à réhabiliter tout notre système sanitaire. Les populations les moins démunies bénéficient d'une couverture maladie assez large. Mon collègue des infrastructures a commencé à réhabiliter les voies d'accès dans les quartiers de Libreville. Notre programme sur la desserte hydraulique des villages est assez avancé.

Le directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations travaille sur un programme de logement consistant. Nous n'attendons pas demain.

M. Arnaud FLEURY - Il y a aujourd'hui une forte reprise des exportations, surtout dans le secteur primaire, un peu dans le secteur secondaire. Le message du FMI est de poursuivre la réforme et de l'accélérer.

M. Hilaire MACHIMA - Nous la poursuivons. L'objectif est de l'accélérer mais nous ne pouvons pas réussir seuls. Nous invitons nos partenaires historiques à nous accompagner. Hier, ils étaient présents dans l'économie de rente ; qu'ils interviennent aujourd'hui dans le cadre de cette économie diversifiée.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Didier Lespinas, vous connaissez bien le pays. Les exportations françaises, qui sont remontées pour la première fois depuis 2011, représentent aujourd'hui près de 460 millions d'euros, pour 5 000 entreprises. Avez-vous l'impression que la reprise est bien présente au Gabon ?

M. Didier LESPINAS - Absolument. Nous devons saluer ce renforcement de la relation économique entre la France et le Gabon. Ce pays représente 30 % de part de marché pour la France. Cela concerne principalement les matériels et équipements, notamment électriques, orientés vers le secteur primaire, et les investissements en cours, tant au niveau minier, notamment avec le programme 2020 d'Eramet, qui représente 450 millions d'euros, mais aussi avec le futur aéroport de Libreville pour 350 millions d'euros.

Les entreprises françaises installées au Gabon ne peuvent que se féliciter de ce changement d'orientation dans la relation économique et promouvoir cette tendance.

M. Arnaud FLEURY - La stabilité politique est-elle un élément sine qua non , pour vous, de cette décision d'investir davantage au Gabon ?

M. Didier LESPINAS - Effectivement. D'un point de vue politique, la situation est mieux cadrée. Nos entreprises peuvent venir en toute sérénité. Nous n'avons pas de problèmes majeurs au Gabon. La sécurité dans les villes ne pose aucun problème. Nous avons connu récemment une tentative de coup d'État : elle a duré un quart d'heure. J'engage vraiment les investisseurs à regarder le Gabon d'un oeil apaisé et à se renseigner auprès de nous, les conseillers du commerce extérieur, afin d'appréhender la situation.

M. Arnaud FLEURY - Certaines entreprises françaises sont parties, notamment Vinci. Nous pouvons donc nous interroger, en espérant que tout cela redevienne normal.

Comment faire venir davantage de PME ? Nous avons l'impression que les entreprises françaises n'ont pas assez mis le Gabon sur la carte de leurs prospections commerciales.

M. Didier LESPINAS - Nos PME ne sont pas suffisamment impliquées dans les potentialités d'échanges avec le Gabon, ce qui est peut-être dû à un manque du côté de la chambre de commerce. En effet, nous n'avons pas de chambre de commerce franco-gabonaise. Le CCEF reçoit parfois des demandes. Nous sommes disponibles pour apporter des réponses. Le président Ba Oumar donnera peut-être quelques précisions sur le devenir de la chambre de commerce.

Effectivement, un effort reste à faire pour attirer les PME françaises au Gabon, même si 5 000 entreprises françaises exportent vers le Gabon, contre 38 000 sur l'ensemble de l'Afrique. 100 filiales d'entreprises françaises sont installées au Gabon, contre 2000 sur l'Afrique.

M. Arnaud FLEURY - L'idée est donc de « marcher sur deux jambes », avec les exportateurs en biens courants et les investisseurs, qui doivent selon vous toujours s'intéresser aux grands projets, notamment avec le Fonds gabonais d'investissement.

M. Didier LESPINAS - Le fonds gabonais d'investissements stratégiques (FGIS), dirigé par Serge Mickoto, est effectivement un partenaire de choix qui travaille depuis longtemps avec des investisseurs français, notamment Eranove et Meridiam, sur des projets hydroélectriques qui permettront au Gabon de devenir un pays producteur, voire exportateur d'électricité.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Ba Oumar, quel est l'avis de votre groupement sur ce climat de réforme au Gabon ?

M. Alain BA OUMAR - Je vous remercie d'avoir bien voulu associer notre institution à cette rencontre. Nous regroupons environ 300 entreprises, dont beaucoup ont des intérêts français, sur les 55 000 entreprises existant au Gabon. Elles contribuent toutefois à hauteur de 80 % au PIB du pays. Cela signifie aussi que notre pays a un petit problème avec le secteur informel, qui nécessite que des PME structurées se mettent en place.

M. Arnaud FLEURY - Manque-t-il au Gabon des PME pouvant répondre et tirer les fruits de ce virage du pays ?

M. Alain BA OUMAR - PME gabonaise ne signifie pas nécessairement « gabonisation ». Cela peut recouvrir un partenariat avec des PME françaises ou gabonaises de plus grande taille. Aujourd'hui, le ministre français des Finances est à Dakar pour lancer le projet Choose Africa , par lequel la France se propose d'investir 2,5 milliards d'euros dans les start-ups africaines. Nous considérons cela comme une très bonne chose. Le futur développement des affaires françaises au Gabon passe par l'implication des PME françaises dans le cadre de coentreprises (joint-ventures).

La confédération patronale du Gabon (CPG) projette l'image du patronat des grandes entreprises, mais 70 % de ses membres sont des PME, qui ont besoin de financements adaptés. En Afrique, 20 % seulement des PME et 10 % des start-ups obtiennent le financement dont elles ont besoin.

M. Arnaud FLEURY - Le financement des PME se fait souvent à cinq ans maximum, avec des taux d'intérêt de 10 à 15 %. Nous pouvons évidemment penser que la croissance sera tirée par ces PME, car l'Etat ne peut pas tout faire, surtout lorsqu'il dépend des cours du pétrole. Que peuvent apporter les Français en termes d'ingénierie entrepreneuriale au Gabon ? Qu'est-ce qui manque aux entreprises ?

M. Alain BA OUMAR - Il faut prendre en compte un changement de paradigme. Compte tenu des difficultés financières du Gabon et des autres pays de la sous-région, la période où une société française vient au Gabon dans l'unique objectif de capter les marchés publics est révolue. Il faut penser enracinement dans l'économie réelle du pays, comme beaucoup d'entreprises françaises le font déjà, mais aussi partenariat public-privé (PPP), car l'argent à gagner au Gabon ne viendra pas de l'Etat, mais de taxes affectées ou de péréquations dans le cadre de PPP.

Le Gabon a besoin d'investissements, mais également de créer des emplois. Plus de 60 % de la population a moins de trente ans ; son taux de chômage est de 30 %, contre 20 % pour le reste de la population. Nos jeunes, bien formés et cherchant du travail, sont de plus en plus frustrés. Notre devoir est de leur trouver ce travail.

M. Arnaud FLEURY - Nous savons que la fonction publique ne pourra pas y remédier massivement. Vous avez évoqué des problèmes d'impayés. L'État a-t-il fourni des efforts sur ce plan ? Il est nécessaire de renforcer la transparence sur les appels d'offres. Croyez-vous que le pays en a pris conscience ?

M. Alain BA OUMAR - Les difficultés de trésorerie commencent à se résorber. Nous avons atteint la fin de la crise en 2017 et commençons à remonter. L'initiative du Chef de l'État en créant le «  Club de Libreville » 1 ( * ) a apporté un début de solution, mais cela ne suffira pas et nous travaillons avec le gouvernement sur des solutions complémentaires. Des réformes très importantes sont nécessaires, qui visent à créer des marges de trésorerie permettant au gouvernement de relancer son investissement et d'accélérer le paiement de la dette intérieure.

Maintenant que le cycle politique des élections présidentielles, locales et législatives est achevé, nous attendons dans les mois à venir des mesures fortes. Nous espérons qu'elles permettront de recréer des marges pour soulager les entreprises.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Bozec, comment trouver des partenaires gabonais fiables sur le long terme ?

M. Jean-Pierre BOZEC - Le Gabon a une relation privilégiée avec la France. Au-delà de la langue, son terrain juridique est largement inspiré du droit français. Le droit local est basé sur ces concepts. Le rapatriement des dividendes est toujours assuré, moyennant des justifications. La réglementation d'échanges évolue de manière importante avec un renforcement du rapatriement des recettes d'exportation. Cela ne va pas beaucoup toucher le courant des affaires. Les transactions courantes internationales sont toujours autorisées. L'impact sera plus important sur l'organisation de financements. Les récents arbitrages fonctionnent et sont garantis par la chartre des investissements du Gabon, qui a également servi à la mise en oeuvre de la charte d'investissements de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC).

L'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA) regroupe 17 pays africains ayant mis en commun leur droit des affaires. Ce dernier a été largement inspiré du droit français. On y retrouve les mêmes formes de sociétés qu'en France (SAS, SA, SARL, etc.). Il demeure des sociétés civiles hors droit OHADA, pour lesquelles le code civil français tel qu'en 1960 s'applique. Les autres droits uniformes de l'OHADA sont inspirés des règlements internationaux ou des principes français (droit comptable, droit des arbitrages, etc.) avec une possibilité de recours auprès de la Cour commune de justice et d'arbitrage d'Abidjan.

Le régime fiscal est aussi inspiré du modèle français. De nombreux inspecteurs des impôts sont formés à l'école de Clermont-Ferrand. L'impôt sur les sociétés est limité à 30 % en droit commun, avec une augmentation de 5 points pour les secteurs minier et pétrolier. La TVA est un impôt d'inspiration française, largement partagé dans le monde. Son taux standard est de 18 %. Le principe de la neutralité des affaires permet de récupérer la TVA payée aux fournisseurs locaux ou étrangers.

M. Arnaud FLEURY - Que peut-on dire de l'administration fiscale ?

M. Jean-Pierre BOZEC - Il existe un livre de procédures fiscales normées depuis 2009. Les relations avec l'administration fiscale sont désormais facilitées, la plupart des opérateurs ayant l'expérience d'autres pays le confirment. Nous espérons le développement d'une jurisprudence fiscale.

En dehors de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, il existe au Gabon un impôt de distribution, de 20 % en droit commun. Des taux préférentiels sont possibles.

Par ailleurs, l'impôt sur le revenu des personnes physiques (RPP) est dû. La retenue à la source s'applique sur les revenus des salariés. Les tranches s'étalent de 0 à 35 %, avec des quotients familiaux.

Le régime douanier, de droit régional, repose sur des taux d'importation allant de 0 à 30 %, hors TVA. Il est vrai que cela représente un coût pour les opérateurs économiques, mais les recettes sont importantes pour l'État. Il existe également de nombreux régimes privilégiés incitatifs en matière de pétrole, mines, etc.

Le droit du travail est d'inspiration française, avec des procédures tâtillonnes. Une autorisation d'emploi doit être sollicitée pour tout travailleur étranger. La particularité des Français est que leur autorisation d'emploi leur octroie une carte de séjour de cinq ans.

M. Arnaud FLEURY - Que peut-on dire de la « gabonisation » des emplois ? Est-ce un carcan à aménager ?

M. Jean-Pierre BOZEC - Mon homologue, lorsque je suis arrivé au Gabon en 1994, n'était autre que Mme Madeleine Berre, aujourd'hui Ministre du Travail. Voilà un exemple de gabonisation.

M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il des conventions Gabon-France ?

M. Jean-Pierre BOZEC - Le régime particulier des entreprises françaises s'y reflète. La convention de Brazzaville réglemente les échanges en zone Franc, instaurant la parité fixe entre l'euro et le FCFA. Il existe aussi la convention fiscale franco-gabonaise, qui comprend une procédure d'arbitrage et de mise en relation entre les parties. La convention sociale franco-gabonaise intéresse les expatriés. Elle évite parfois de cotiser aux organismes de Sécurité sociale gabonais. Les contributions sociales gabonaises ont en effet des plafonds relativement élevés. La convention d'entraide judiciaire permet aux avocats de venir défendre leurs clients au Gabon sans problème. La convention en matière d'immigration distingue les ressortissants français des autres. Enfin, il existe des conventions bilatérales de financements de projets, par exemple celui de réhabilitation de la Setrag en partenariat avec l'AFD et Proparco.

M. Arnaud FLEURY - Le Gabon est si mal classé pour ce qui est de son climat des affaires «( Doing business) . Certains évoquent des pratiques de corruption, le manque d'esprit entrepreneurial, les douanes.

Eric Watremez, quand on traite commercialement avec un partenaire, les chiffres sont-ils fiables ?

M. Erik WATREMEZ - Oui, ils sont fiables et audités, du moins dans le secteur formel. Concernant le Doing business , je tiens à dire qu'en quinze ans, j'ai vu le Gabon évoluer à pas de géant. Je vois la jeunesse évoluer et l'esprit d'entreprise poindre. Beaucoup de start-ups se développent, ainsi que des incubateurs. Des entreprises comme Total les aident.

Nous devons parler de la place du Gabon dans l'Afrique et dans le monde : il a la possibilité de devenir une plaque tournante. Une zone économique spéciale (ZES) fonctionne déjà, une autre est en préparation pour la pétrochimie. Des pôles émergent dans le pays : la métallurgie à Moanda, la transformation de l'huile de palme à Mouila avec Olam. N'oublions pas l'agriculture : actuellement, le Gabon importe au moins 80 % de sa nourriture. Il est également important de développer la logistique : le coût doit être correct entre le lieu de production et le port. Le Gabon devient de plus en plus attractif. Les codes s'améliorent, notamment le code pétrolier et minier, même si de grands progrès restent à faire. Il faut transmettre le message suivant : pour récolter à long terme, il faut parfois donner à court terme.

M. Hilaire MACHIMA - Ce que nous devons regarder, ce n'est pas la note mais les réformes menées par le gouvernement dans le climat des affaires, qui sont importantes. Hier, le parcours de création d'une société était long, impliquant trois structures. Aujourd'hui, seule l'Agence nationale de promotion des investissements en est chargée, avec un guichet unique. Un référent suit l'entrepreneur durant tout son parcours, depuis son arrivée au Gabon. N'occultons pas ces importantes avancées.

M. Arnaud FLEURY - J'ai noté les problèmes suivants : infrastructures, corruption, difficultés entrepreneuriales. Quel message voulez-vous faire passer sur ces aspects ?

M. Hilaire MACHIMA - En tant que Ministre de l'Économie, je ne vis pas la corruption. Elle n'existe pas à ce niveau. Concernant les infrastructures, nous avons un programme d'amélioration du réseau routier et le Transgabonais est en réhabilitation. Le Ministre des Transports parlera du réseau fluvial. Nous avançons sereinement et sûrement.

M. Arnaud FLEURY - La ZES de Nkok a été montée avec Olam, entreprise singapourienne. Quel intérêt aurait un entrepreneur français de s'y installer ? Que préconisez-vous ?

M. Erik WATREMEZ - L'intérêt est la possibilité d'exporter ses produits : vous avez beaucoup d'avantages pour peu que vous exportiez (franchises d'impôts, etc.). Vous pouvez également utiliser les matières premières du Gabon, les transformer, former la main-d'oeuvre gabonaise, etc. Chacun y trouve son compte.

La ZES est comme une pompe de démarrage, permettant d'exporter et d'avoir une main-d'oeuvre formée qui elle-même créera ses PME-PMI et sortira de la ZES. Nous avons besoin des PME-PMI françaises, du moment que leur projet est correctement monté.

M. Arnaud FLEURY - Sentez-vous aujourd'hui un intérêt des Français pour cette zone ?

M. Erik WATREMEZ - Pour être franc, l'intérêt n'est aujourd'hui pas français.

M. Alain BA OUMAR - Ce manque d'appétence me semble dommage, car l'intérêt de cette ZES est aussi d'ouvrir sur l'Afrique centrale. L'une des demandes insistantes des opérateurs de cette zone est de réexporter leurs produits au Cameroun et d'autres pays de la sous-région. Les textes le prévoient, mais ne sont pas appliqués. Les autorités gabonaises font actuellement le nécessaire pour y parvenir. Le marché gabonais ne sera plus un marché de 1,5 million d'habitants, mais un marché d'Afrique centrale.

M. Erik WATREMEZ - C'est cette plaque tournante que nous devons créer. Le groupe Rougier fournit du bois à la ZES. Colas aide à la construction des voieries ; son travail est d'excellente qualité. En revanche, aucun manufacturier ne s'installe pour pratiquer la transformation pour l'instant. La France est très forte pour la conception. Ces PME-PMI pourraient intervenir en sous-traitance d'autres entreprises installées dans la ZES.

M. Arnaud FLEURY - Que vous inspire le cas du Rwanda, passé du 140 e rang au 30 e rang du classement du climat des affaires, et premier pays africain derrière Maurice. Existe-t-il des similitudes entre les deux pays ? Pouvez-vous vous en inspirer ?

M. Hilaire MACHIMA - Nous avons déjà envoyé plusieurs missions au Rwanda. Les collaborateurs qui sont allés dans ce pays finalisent leurs rapports. Le gouvernement s'en imprégnera et appliquera modestement le modèle rwandais.

M. Arnaud FLEURY - Serait-il envisageable sur le long terme de se tourner vers l'économie du savoir, de la santé, etc. sur laquelle le Rwanda parie avec de forts investissements étrangers ?

M. Hilaire MACHIMA - Cela va de soi. On ne peut évoluer seul ; on s'inspire toujours des bonnes idées des autres pour avancer.

M. Arnaud FLEURY - L'offre française en matière d'éducation et de santé pourrait-elle être davantage développée au Gabon ?

M. Didier LESPINAS - Effectivement. Des centres de formation ont été mis en place, notamment avec l'Institut du pétrole à Port-Gentil et l'Ecole des Mines à Moanda, qui forme des ingénieurs et techniciens supérieurs ouverts vers d'autres spécialités. Nous promouvons la formation des Gabonais aux métiers dont la CPG a cruellement besoin. Il faut également souligner le centre Jean Violas de la Société d'énergie d'eau du Gabon (SEEG) et l'impact de l'aide française sur ce sujet, notamment le financement de 150 millions d'euros de l'AFD dans un programme de rénovation et construction de salles de classe. L'AFD porte aussi un projet de financement d'environ 120 millions d'euros pour créer des dispensaires dans le pays. La France s'engage donc sur ces thématiques.

M. Arnaud FLEURY - Et sur le numérique, voyez-vous des incubateurs s'installer, et de la création de richesse en la matière ?

M. Erik WATREMEZ - Il existe un partenariat avec la filiale Bouygues pour la fibre. Un forum sur le numérique s'est tenu il y a un an avec des entreprises françaises. Plusieurs acteurs se positionnent. Pour la qualité du réseau, Canal + a mis en place sa fibre optique par câble pour la première fois dans un pays africain, en partenariat avec la SEEG. Au niveau numérique, le Gabon est donc une porte d'entrée, non seulement pour ses localités, mais aussi pour tous les pays de la sous-région, car le câble qui fait le tour de l'Afrique arrive au Gabon et est desservi à partir de ses infrastructures numériques. L'internet y fonctionne très bien.

M. Arnaud FLEURY - Peut-on améliorer l'informatisation des administrations ? L'expertise française pourrait se positionner sur le Gabon dans ce domaine.

M. Erik WATREMEZ - La ZES développera bientôt de l'informatique en nuage ( cloud) utilisable au niveau africain. La e-déclaration existe déjà depuis plusieurs années pour l'impôt sur les sociétés. A partir d'un certain chiffre d'affaires, les entreprises ont l'obligation de tout déclarer sur internet, via le portail e-t@x. Il fonctionne pour les déclarations comme pour les paiements réguliers de TVA.

M. Arnaud FLEURY - L'expertise française serait-elle utile sur l'informatisation des douanes ?

M. Erik WATREMEZ - Oui. Informatiser toute la douane apportera au gouvernement une meilleure traçabilité de la marchandise, de son entrée à sa vente, et permettra de lutter contre l'informel. Toutefois, j'appelle surtout à faire entrer les personnes de l'informel dans le formel par des mesures simples.

M. Arnaud FLEURY - Reste-t-il des sujets que vous souhaiteriez aborder ?

M. Alain BA OUMAR - La CPG, et à travers elle plusieurs PME structurées, ont soif de partenariats avec les PME françaises. Les start-ups sont aujourd'hui choyées au Gabon. Une fois créées, elles doivent évoluer vers une PME. J'ai le plaisir de vous informer que le gouvernement a donné son accord de principe pour dynamiser la Chambre de commerce, afin que ces PME trouvent l'accompagnement dont elles ont besoin. C'est là que des candidats au partenariat pourront être identifiés.

Nous agirons également sur la formation. Nous travaillons avec HEC pour délocaliser un master à cette chambre de commerce, comme ils l'ont fait à Abidjan.

Lorsque les PME possèdent trois bilans audités, elles sont éligibles pour entrer à la CPG, qui leur offre d'autres services, y compris la mise en relation avec les PME françaises pour des coentreprises.

M. Arnaud FLEURY - Le Ministre des Transports a parlé de « mutation charnière » et de « tournant décisif », donnant l'impression que le moment est venu d'en finir avec l'image d'un pays adossé à une rente pétrolière et des pratiques commerciales fluctuantes. Souhaitez-vous transmettre le message d'une sophistication d'une économie diversifiée ?

M. Hilaire MACHIMA - Je voudrais rassurer les investisseurs français : la diversification de l'économie gabonaise ne signifie pas qu'elle se détourne de ses anciens partenaires. Accompagnez-nous dans ce défi pour nous permettre d'avancer, comme par le passé. Votre place est toujours là. Nous ne pouvons pas rendre compétitif notre secteur économique sans votre expérience et votre appui. Je vous remercie.


* 1 Groupement d'intérêt économique (GIE) créé en février 2018 par l'État gabonais.

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