I. LE BOTSWANA : UN PAYS STABLE ET DÉMOCRATIQUE

A. UNE NATION PAISIBLE

I. Un peuplement ancien

Les premiers habitants du Botswana furent les San , appelés Bosjesmannen (hommes de la brousse) par les Hollandais, d'où leur surnom anglais de « Bushmen » et français de « Bochimans ». Souvent caricaturés comme des bons sauvages, comme l'illustre le film de Jamie Uys « Les Dieux sont tombés sur la tête » 1 ( * ) ; les San sont aujourd'hui très peu nombreux (30.000 à 40.000 environ, soit moins de 2 % de la population).

Les San furent en effet rejoints entre le Ier et le IIème siècle de notre ère par des agriculteurs et des pasteurs Bantous , originaires du Cameroun et du bassin du Tchad, qui contournèrent le Kalahari, mais occupèrent progressivement une large part de l'Afrique du Sud ainsi que les rives des fleuves (Molopo, Limpopo, Chobe), qui constituent les frontières méridionales et septentrionales du Botswana actuel. Ces différents peuples semblent avoir entretenu des relations amicales, commerçant et se mariant librement entre eux. De même, les différends politiques entre tribus Bantous se réglaient souvent à l'amiable, ceux qui n'obtenaient pas satisfaction partant simplement s'établir ailleurs, accompagnés de leurs partisans.

Cette relative harmonie fut rompue au début du XIXème siècle. La croissance des différentes populations avait en effet conduit à l'occupation de tous les bons pâturages en bordure du Kalahari, rendant la fragmentation pacifique impraticable. En outre, la région fut soumise à deux pressions belliqueuses venues de l'est - les Zoulous -, puis du sud - les Boers -.

LES PEUPLEMENTS D'AFRIQUE AUSTRALE EN 1800

Source : Marie LORIE, Le Botswana, Editions Karthala, 1994.

Dispersées, et sans armée organisée, les tribus Batswana (un sous-groupe Bantou) durent alors fuir le nord de l'Afrique du Sud pour s'établir dans l'ensemble du Botswana actuel, en raison des guerres de conquêtes (« difaquane ») 2 ( * ) , déclenchées en 1818 par le roi Zoulou Shaka Ier.

Pour se protéger, les Batswana se regroupèrent progressivement (la population de Shoshong, capitale du clan Ngwato aurait atteint 30.000 habitants en 1860), et fondèrent une société hautement structurée , dont l'organisation devait impressionner les missionnaires britanniques, et dont les principes (goût pour l'ordre, résolution pacifique des conflits, forte solidarité entre les membres des différents clans) imprègnent encore la société botswanaise contemporaine.

Les Batswana se heurtèrent ensuite aux Boers , venus du sud pour échapper à la tutelle britannique, qui les écrasèrent en 1852 à la bataille de Dimawe, et attaquèrent ensuite tous les villages qui ne voulaient pas se soumettre.

2. Un protectorat britannique distant

Conseillés depuis 1807 par des missionnaires britanniques (parmi lesquels le futur explorateur David Livingstone), les chefs Tswana demandent alors l'aide des britanniques . Ces derniers refusent, ne pensant pas pouvoir tirer profit du territoire. Ils n'interviendront que trente ans plus tard, en proclamant en 1885 le protectorat du « Bechuanaland », pour enrayer l'expansionnisme boer, barrer la route à l'Allemagne (qui occupait la Namibie) et sécuriser « la route des missionnaires » vers les mines d'or de l'actuel Zimbabwe.

Toutefois, le Royaume-Uni se désintéressa de l'administration du Bechuanaland au point d'accepter, en 1894, de transférer leur protectorat à la British South Africa Company de Cecil B. Rhodes, homme d'affaires du Cap, en dépit des pétitions adressées à la Reine Victoria par les Chefs Tswana. Fait exceptionnel, trois d'entre eux (Khama, ancêtre du Vice-Président actuel, Bathoen et Sebele) partent alors pour Londres pour plaider directement leur cause. N'obtenant pas de succès auprès du Gouvernement, ils parcourent le pays, rallient l'opinion publique et obtiennent finalement le maintien du protectorat britannique.

Par la suite, les chefs Tswana s'unirent périodiquement face au risque d'un rattachement forcé à l 'Union sud-africaine , née en 1910 de la fusion des colonies britanniques du Cap et du Natal, d'une part, des anciens États boers d'Orange et du Transvaal, d'autre part. Cette menace récurrente devait persister jusque dans les années 1950, où le régime d'Apartheid continuait d'avoir des visées sur le Bechuanaland pour agrandir ses bantoustans 3 ( * ) . Cette épée de Damoclès ne sera levée qu'en 1969, lorsque l'Union Sud-Africaine devint la République Sud-Africaine et quitta le Commonwealth.

Très réduite et basée au départ à Mafikeng, en Afrique du Sud, l'administration britannique s'appuya sur les chefs tribaux, tout en s'efforçant de réduire progressivement leurs prérogatives. Mais c'est surtout le financement de l'administration (que la Grande-Bretagne refusait d'assurer) qui devait modifier les structures sociales : le haut-commissaire britannique introduisit en 1899 une taxe sur les huttes (modifiée par la suite en taxe per capita), puis en 1919 une taxe sur la naissance, fusionnées en 1938 en une taxe unique, « l'African Tax », avec pour corollaires l'enrichissement des chefs locaux (intéressés à la perception des impôts) et l 'émigration d'un quart de la population mâle vers les mines et les fermes sud-africaines.

3. Une accession sans heurts à l'indépendance

L'insuffisance du développement économique, le retour des 10.000 Batswana incorporés dans l' African Auxiliary Pioneer Corps lors de la seconde guerre mondiale, puis partis se battre jusqu'en Europe, la formation d'une élite noire, et enfin le poids des impôts ont entraîné une aspiration croissante à l' autonomie , catalysée par l'accession du Ghana à l'indépendance en 1957. En 1960 est ainsi constitué le Législative Council , assemblée « représentative » composée d'un nombre égal d'Africains (10), d'Européens (10) et de représentants de l'administration coloniale (10).

Mais un courant nationaliste radical , sans racines profondes au Botswana, où des clans très décentralisés vivaient sous l'autorité des chefs locaux, se développa au Bechuanaland après le durcissement de l'Apartheid en Afrique du Sud 4 ( * ) et l'exil au Bechuanaland de près de 1.400 personnes, dont quelques Batswana appartenant à l'ANC 5 ( * ) . Confrontées à une agitation croissante, les autorités coloniales accueillirent alors favorablement la fondation, par Seretse Khama et Quett Masire, du Bechuanaland Democratic Party (BDP), parti indépendantiste modéré bénéficiant du soutien des chef locaux et des partis traditionalistes, et dont le co-fondateur, Seretse Khama , était très populaire en raison de ses démêlés avec les autorités britanniques.

SERETSE KHAMA, PÈRE DE L'INDÉPENDANCE

Le 29 septembre 1948, Seretse Khama, prince héritier des Bangwato, l'un des principaux clans Tswana, alors âgé de 27 ans et étudiant à Oxford, épouse Mlle Ruth Williams, une jeune anglaise blanche. Cette union déplaît à certains traditionalistes Bangwato, au premier rang desquels le régent Tshekedi Khama, mais surtout à l'Afrique du Sud, où l'Apartheid vient d'être officialisé et où les mariages interraciaux sont interdits. Les Britanniques, qui ne souhaitaient pas se mettre à dos la Rhodésie et l'Afrique du Sud, retinrent alors le jeune ménage en Grande-Bretagne jusqu'en 1956.

Seretse Khama gagna néanmoins à sa cause de nombreux appuis en Grande-Bretagne et conserva le soutien constant des Bangwato, qui engagèrent des mouvements de résistance civiques. Il put ainsi rentrer au Bechuanaland en 1956, grâce à l'obstination des Bangwato qui refusaient de signer un important contrat minier sans son accord.

Très populaire, il contribua à la transition pacifique vers une démocratie multiraciale et fut le premier Président du Botswana. Son fils aîné, Ian Khama, est aujourd'hui Vice-Président de la République du Botswana.

Le BDP obtint ainsi la rédaction d'une constitution non raciale , puis la mise en oeuvre d'un plan pacifique de transmission du pouvoir. Lors des élections générales de 1965, Seretse Khama devint Premier ministre, puis le Botswana fut proclamé officiellement indépendant le 30 septembre 1966 et Seretse Khama en devint Président.

Cette transition pacifique porte encore ses fruits aujourd'hui. Le Botswana fait en effet largement figure d' exception dans une Afrique australe marquée par des accessions douloureuses à l'indépendance ou par des conflits raciaux : on n'y sent ni défiance, ni complexe à l'égard des Blancs, et les relations extérieures du pays ne sont empreintes d'aucun sentiment d'animosité ou de revanche à l'encontre des pays européens.

* 1 « Cette comédie a pour point de départ une bouteille de coca cola, symbole de la civilisation des Blancs, tombée malencontreusement d'un avion. Venue du ciel, elle sème rapidement la zizanie dans la tribu. Les Bochimans ne connaissent pas cet objet étrange : ils en trouvent mille utilisations et finissent par se disputer pour se l'approprier. Le héros décide alors de l'emmener pour mettre fin aux querelles, et de la jeter loin d'où elle vient, c'est-à-dire tout au bout de la terre... ». Cf. Le Botswana, Marie Lory, Editions Karthala, 1994, pp. 72-75.

* 2 C'est-à dire « le grand écrasement ».

* 3 Cf. Le Botswana. Marie Lory, Editions. Karthala, 1994.

* 4 Notamment le massacre de Sharpeville en 1960 et l `interdiction de l'ANC

* 5 Cf. Le Botswana, Marie Lory, Editions. Karthala, 1994.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page