B. DES INSTITUTIONS MODÈLES POUR L'AFRIQUE ?

1. Une démocratie parlementaire authentique

Les Botswanais sont, à juste titre, très fiers de leurs institutions. Le Botswana est en effet un Etat de droit : la constitution promulguée le 30 septembre 1966, et très peu révisée depuis (ce qui est relativement rare en Afrique), garantit à chaque citoyen les libertés de conscience (article 11), d'expression (article 12), d'association (article 13) et de circulation (article 15). Elle protège le droit de propriété (article 8), ainsi que l'inviolabilité du domicile (article 9). Elle reconnaît à chacun le droit à une vie décente, et elle interdit toute forme de discrimination, notamment raciale (article 15) 6 ( * ) . Là encore, le Botswana a ainsi longtemps fait figure d'exception en Afrique australe. Le respect pratique de ces droits est assuré par une justice et une presse indépendantes . Le Botswana n'a ainsi jamais interdit aucun parti et ne connaît pas de prisonniers politiques.

Le Botswana est également depuis trente-trois ans une véritable démocratie parlementaire multiraciale , dont le fonctionnement s'inspire de celui des institutions britanniques.

Le Parlement est formé de deux chambres : l'Assemblée Nationale et la Chambre des Chefs (« House of Chiefs »). Quarante des quarante-quatre membres de l'Assemblée nationale 7 ( * ) sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Les quatre autres sont nommés par le Président de la République en raison de leurs fonctions au sein de l'État. Ils sont le plus souvent membres du parti au pouvoir. Les 44 députés élisent le Président (« Speaker ») de l'Assemblée. Le parlementarisme botswanais est particulièrement méticuleux : chaque projet de loi est examiné trois fois.

Le Président de la République est choisi par l'Assemblée en son sein. Il contrôle le pouvoir exécutif et nomme les ministres, également issus du Parlement, sauf quatre d'entre eux au plus (article 43 de la Constitution). Le Président nomme le Vice-Président qui est, en quelque sorte, son adjoint, et qui lui succède jusqu'au terme du mandat en cours en cas d'empêchement ou de décès. Le Vice-Président est par ailleurs le chef de la majorité à l'Assemblée, à la place du Chef de l'Etat, qui n'y paraît pas souvent.

Le Président de la République 8 ( * ) peut dissoudre la Chambre basse. Inversement, l'Assemblée nationale peut présenter une motion de défiance dont l'adoption emporte, ou bien démission du Gouvernement, ou bien, si celui-ci refuse, dissolution de l'Assemblée, ce qui entraîne de facto un renouvellement du Gouvernement.

Cette démocratie fonctionne sans heurts : les six élections législatives, organisées avec régularité depuis 1965 (1969, 1974, 1979, 1984, 1989, 1994, 1999) se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes, même si les partis d'opposition ont parfois fait appel à la Haute Cour pour dénoncer certaines irrégularités et ont obtenu, en 1984, l'annulation des élections dans une circonscription. La participation électorale est importante (77 % en 1994). Les partis d'opposition détiennent aujourd'hui 13 sièges sur 44 à l'Assemblée nationale. Des ministres en exercice sont fréquemment défaits dans les urnes. Le Vice-Président et futur Président Quett Masire fut ainsi battu en 1969 avant de retrouver son siège de député en 1974. Par surcroît, depuis la réforme constitutionnelle de 1997, une commission indépendante supervise l'ensemble du processus électoral. Enfin, l'opposition détient plusieurs municipalités 9 ( * ) .

Le Botswana n'a toutefois pas connu l'alternance électorale. Cette stabilité politique est imputée par l'opposition parlementaire au mode de scrutin (uninominal à un tour, ce qui désavantage une opposition divisée), mais aussi à un manque de moyens et à un accès inégal à la radio 10 ( * ) , comme aux financements politiques accordés par les milieux d'affaires. Il est vrai que la presse ne ménage pas ses critiques à l'encontre du Gouvernement, mais elle demeure peu diffusée en dehors des centres urbains. En outre, l'unique quotidien est un journal « gouvernemental » diffusé gratuitement, tandis que la presse privée (plusieurs hebdomadaires) connaît des difficultés financières récurrentes.

Cependant, cette stabilité politique peut aussi s'expliquer par une tradition légitimiste , ainsi que par la fragmentation de l 'opposition (huit partis ont présenté des candidats aux élections de 1994) et par sa désunion. Le Botswana National Front (BNF), d'inspiration marxiste et principal parti d'opposition, s'est ainsi scindé en 1997, 11 de ses 13 députés formant un nouveau parti, le Botswana Congress Party , d'inspiration sociale démocrate, et dirigé par M. Mike Dingake, ancien compagnon de pénitencier de M. Nelson Mandela.

Élections à l'Assemblée nationale

1984

1989

1994

Voix (%)

Sièges

Voix (%)

Sièges

Voix (%)

Sièges

BDP 1

67,99

29

64,78

31

54,43

23

BNF 2

20,43

4

26,95

3

37,07

13 3

BPP 4

6,57

1

4,35

0

4,18

0

Autres

5,99

0

3,91

0

4,22

0

1 Botswana Democratic Party (Libéral), au pouvoir.

2. Botswana National Front (d'inspiration marxiste).

3. Onze des treize députés du BNF ont rejoint le Botswana C ongress Party en 1997.

4. Botswana People's Party .

2. Une tradition de consensus

Si les institutions d'une démocratie parlementaire se sont si bien ancrées au Botswana, cela résulte d'une longue tradition de discussion et de recherche du consensus . Bien avant le protectorat britannique, les pouvoirs des Chefs étaient en effet limités, et la vie des villages était gouvernée par la « Kgotla », c'est-à-dire l'Assemblée régulière des membres du clan, à l'ombre de l'arbre central du village, où les hommes de la communauté pouvaient discuter librement des décisions les concernant 11 ( * ) . Les Chefs n'étaient pas tenus d'y respecter le point de vue majoritaire, mais leurs décisions s'en écartaient d'autant plus rarement que des chefs despotiques pouvaient être révoqués. En outre, le fait que les minoritaires disposaient toujours de la faculté de s'établir ailleurs constituait une incitation puissante à privilégier la persuasion et la concertation au lieu de l'affrontement direct. Cette tradition de concertation s'incarne aujourd'hui dans les larges consultations régulièrement organisées pour traiter des grandes questions qui engagent l'avenir de la Nation. C'est ainsi qu'en janvier 1998, une Commission nommée par le Chef de l'Etat a publié un rapport intitulé « Vision à long terme pour le Botswana - vers la prospérité pour tous », qui constituait l'aboutissement d'un long processus de concertation dans tous les secteurs de la société civile.

Cette tradition se retrouve aussi dans le caractère très policé du jeu démocratique en général et des joutes parlementaires en particulier, comme l'illustre le règlement intérieur de la Chambre des Chefs, qui interdit notamment aux membres de la Chambre « d'évoquer des thèmes sans rapport avec le sujet en débat, d'évoquer les affaires pendantes devant une Cour de justice d'une manière qui pourrait en préjuger, de tenter de modifier des décisions prises depuis moins d'un an, d'imputer aux autres membres des motivations inappropriées, d'utiliser le nom du Président [de la République] pour influencer les Chambres, d'évoquer la conduite des parlementaires ou des magistrats (sauf motion spécifique) » , etc.

3. Une institution originale : la Chambre des Chefs

La Chambre des Chefs (15 membres) est composée des 8 Chefs traditionnels (héréditaires) des principales tribus du Botswana énumérées par la Constitution (Bakgatla, Bakwena, Bamalete, Bamangwato, Bangwaketse, Barolong, Batawana et Batakwa), membres de droit ; ainsi que 7 membres élus et soumis à renouvellement lors de chaque élection législative : 4 d'entre eux sont élus par et parmi les « sous-Chefs » des quatre districts gouvernementaux (Chobe, North East, Ghanzi, Kgalagadi), qui correspondent à des zones où d'autres tribus sont majoritaires ; les trois derniers membres (« specially elected members ») sont élus par les douze précédents, « parmi les personnes qui n `ont pas été activement engagées dans la politique au cours des cinq dernières années » (article 79-2 de la Constitution).

La Chambre des Chefs est obligatoirement consultée en cas de révision de la Constitution, ainsi que pour tous les textes relatifs au droit coutumier, au droit familial ou personnel, au régime de propriété des sols et à certains aspects du droit civil. Les membres de la Chambre des Chefs peuvent également se saisir de tout autre sujet qu'ils estimeraient pertinent. Ils disposent d'un pouvoir de convocation des membres du Gouvernement.

En pratique, il semble que cette Chambre consultative exerce une influence significative. Les députés sont en effet réticents à s'opposer frontalement aux Chefs traditionnels (« Kgosi »), dont ils sont par ailleurs sujets. La légitimité de la Chambre des Chefs est d'autant plus importante que chaque Chef consulte très régulièrement sa tribu lors d'assemblées traditionnelles (« Kgotla »). En effet, comme le souligne la devise qui domine la salle des débats de la Chambre des Chefs, « Kgosi Ke Kgosi Ka Bathe » (« Le chef est le Chef par le peuple »).

En contrepartie, les « Chefs » ne peuvent appartenir à un parti politique et ne doivent en principe intervenir ni dans le processus électoral, ni dans le débat de politique générale. Cette disposition, coutumière pour les membres de droit et les 4 représentants des districts gouvernementaux, mais constitutionnelle pour les 3 membres spécialement élus, vise à prévenir aussi bien des conflits de conscience chez les citoyens, qui demeurent largement fidèles à leurs Chefs, que des conflits politiques entre les autorités traditionnelles et le Gouvernement issu du suffrage universel.

Au total, la Chambre des Chefs constitue à bien des égards une institution originale qui permet au Botswana une transition maîtrisée vers la modernité :

- la Chambre des Chefs préserve les solidarités et les appartenances traditionnelles, tout en évitant que celles-ci ne conduisent à une fragmentation tribale de la Nation ;

- elle assure l'expression des Chefs dont elle canalise l'autorité traditionnelle 12 ( * ) , dans le cadre d'une authentique démocratie parlementaire ;

- elle favorise la prise en compte des intérêts des pasteurs et des agriculteurs, souvent lésés au profit des classes urbaines dans nombre de pays en développement.

* 6 Les deux bandes blanches enserrées d'une bande noire du drapeau botswanais symbolisent d'ailleurs l'harmonie l'égalité raciale.

* 7 L' Attorney General est par ailleurs, ès qualités, membre de l'Assemblée nationale.

* 8 Depuis 1997, les mandats présidentiels sont limités à deux .

* 9 L administration demeure toutefois peu décentralisée

* 10 Le Botswana ne possède pas de télévision.

* 11 Cf. Le Botswana. Marie Lory, Editions Karthala. 1994 .

* 12 Depuis le Chieftainship Act de 1966, le Président de la République dispose également d'un droit de regard sur la désignation des chefs par leurs tribus, ainsi que de la faculté de les suspendre ou de la déposer.

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