2. DES INTERLOCUTEURS SERBES NOMBREUX, SANS REPRÉSENTATIVITÉ OU FRAGILISÉS PAR LES HÉSITATIONS DE BELGRADE

Perçues comme une véritable entreprise d'épuration ethnique, les trois journées d'émeute des 17, 18 et 19 mars 2004 (19 tués dont 8 Serbes, 900 blessés, 4.000 déplacés, 700 maisons serbes détruites, 32 lieux de cultes orthodoxes profanés) ont contribué à une crispation des positions serbes sur l'avenir de la province, tant à Mitrovica qu'à Belgrade. Traduction d'un refus de collaborer avec les Albanais et d'une perte de confiance dans la Communauté internationale, le boycott des élections législatives d'octobre 2004 en est la principale manifestation. En rompant avec l'Assemblée du Kosovo, la communauté serbe prend toutefois le risque de bloquer la mise en place des standards et de retarder les négociations à venir sur le statut de la province, concourrant indirectement à une remontée des tensions. En s'excluant d'elle-même, elle pourrait également inciter la Communauté Internationale à ne pas retarder le processus et passer rapidement à la négociation sur les statuts. Représentée par les 22 députés de la KOALITION POVRATAK (KP) de M. Dragisa KRSTOVIC (DS - centre gauche) avant les élections législatives, les Serbes n'en comptent plus que 10, soit le quota prévu par le cadre constitutionnel. Les élus hésitent par ailleurs sur une participation aux travaux du Parlement, susceptibles de cautionner à terme la démarche indépendantiste.

Répondant au souhait du Président de la Serbie, M. Boris TADIC, seules deux formations ont appelé à la participation au scrutin du 23 octobre 2004. Héritière de la KP et proche du SDP de M. Nebojsa COVIC, animateur du Centre de Coordination pour le Kosovo, le SLKM de M. Oliver IVANOVIC détient la majorité des sièges serbes au Parlement (8).

Présence serbe au Kosovo

Elus avec 0,14 % des voix (soit environ 1.000 suffrages), ses députés restent, selon leur leader, peu représentatifs. Frustré de sa faible audience et confronté aux hésitations et aux contradictions de Belgrade sur la conduite à tenir à l'issue des élections, le SLKM ne siège pas pour l'instant au Parlement. Il n'occupe pas non plus le poste ministériel qui lui est réservé. M. IVANOVIC a néanmoins indiqué au groupe d'amitié que cette absence ne durerait pas. Les deux mandats restant ont été attribués au GIS (Initiative Citoyenne Serbe), groupe inconnu avant le scrutin, dirigée par un inconnu, ancien soldat serbe en Bosnie-Herzégovine, M. Slavisa PETKOVIC. Considéré comme pro-albanais et désavoué par Belgrade, son leader est entré au Gouvernement d'Autonomie Provisoire, au sein duquel il est titulaire du très important portefeuille des retours des déplacés. Cette fonction est toutefois convoitée par le SLKM qui entend détenir les deux ministères réservés.

Le faible nombre de voix (environ 1.300) portées sur ces deux formations souligne en creux le poids pris par d'autres structures politiques au sein de la Communauté serbe. Implanté dans la zone située au Nord de Mitrovica, le Conseil National Serbe Nord Kosovo (SNV-NK) est, avec l'Eglise orthodoxe serbe, le groupe de pression le plus puissant. Proche du Premier ministre de Serbie, M. Vojislav KOSTUNICA, le SNV-NK de MM. Milan IVANOVIC et Marko JAKSIC incarne une ligne dure, favorable à une large autonomie des enclaves serbes et laissant à Belgrade la conduite des négociations sur l'avenir de la province, le cas kosovar relevant à ses yeux de la sécession. Ayant déjà boycotté les premières élections législatives du 17 novembre 2001, le SNV réserve sa participation politique aux seuls scrutins locaux, comme en témoigne sa présence partielle aux municipales du 26 octobre 2002. Le SNV n'a en effet proposé des candidats que dans les municipalités à majorité serbe (essentiellement trois : Leposavic, Zvecan et Zubin Potok). Les scores obtenus témoignent de l'importance de son assise électorale, supérieure à celle de l'ancienne KP, jugée de facto illégitime. L'audience du SNV est toutefois progressivement remise en cause. Conscient de cette faiblesse, ses dirigeants utilisent également l'Association des Déplacés du Kosovo comme canal supplémentaire.

L'opposition entre le SLKM et le SNV est à relier aux divergences belgradoises entre le parti du Président TADIC (DS) et celui de son Premier ministre, le DSS. Les contradictions relevées entre les deux hommes sur l'avenir du Kosovo sont aussi nettes que fluctuantes, ces derniers mois étant marqués par une inversion des points de vue tant sur la scène belgradoise que dans la province. Partisan d'une ligne modérée, réformiste, pro-européen, M. TADIC se fait désormais l'écho d'une conception plus étroite, refusant le dialogue bilatéral, réputé légitimer la marche vers l'indépendance. M. KOSTUNICA milite quant à lui pour une autonomie accrue et avait accepté, avant de se rétracter, le principe de négociations bilatérales. Suivistes, les formations kosovares serbes s'adaptent pour partie à ces changements. Signe d'une certaine lassitude, M. Oliver IVANOVIC a néanmoins indiqué qu'il informerait l'ensemble des responsables de Serbie-Monténégro de son retour au sein du Parlement et considèrerait sa démarche légitime en cas d'absence de réponse.

Cette implication de Belgrade dans la vie politique locale est également matérialisée par la multiplication des structures para-gouvernementales en charge du Kosovo. Créé en août 2001, et présidé par Nebojsa COVIC, le Centre de Coordination pour le Kosovo est une institution gouvernementale, dont la mission principale consiste en un soutien matériel et financier aux Serbes du Kosovo. Non exempte de considérations politiques, elle travaille en liaison avec la MINUK. Fondé en février 2005, le Conseil d'Etat pour le Kosovo est directement associé au gouvernement serbe. Composé de 35 membres, représentant aussi bien Belgrade que les Serbes du Kosovo (SLKM, SNV, Eglise), il est conçu comme une force de proposition destinée à alimenter le gouvernement serbe. Réunion informelle chargée d'élaborer une stratégie commune pour le Kosovo, le Groupe des 5, composé du Président de l'Etat Commun, de son Ministre des Affaires Etrangères, du Président de Serbie, de son Premier ministre et du Président du CCK est la dernière instance créée par Belgrade. Représentative de toutes les parties institutionnelles en présence, sa première prise de position sur le futur statut (« plus que l'autonomie, moins que l'indépendance ») est, en dépit de son caractère relativement imprécis, une tentative adroite de fédérer les différentes voix derrière un interlocuteur unique. Elle manifeste également le souhait de Belgrade d'être présente à la table des négociations sur le statut. Elle reste toutefois tributaire des déclarations et des effets d'annonce individuels des membres la composant.

Le poids de l'Eglise orthodoxe serbe est également à relever, tant l'influence de l'archevêque ARTEMIJE sur la vie politique locale est importante. Visé lors des émeutes de mars 2004 (30 églises et 2 monastères ont été détruits), le clergé a appelé au boycott du scrutin d'octobre suivant, arguant du fait que l'atteinte aux signes religieux n'était qu'une première étape de l'épuration ethnique. En pointe lors du premier anniversaire desdits événements, refusant tout compromis, l'Eglise, après avoir initialement donné son accord, a refusé de participer au Groupe de travail sur la reconstruction des monastères et expulsé les équipes de l'UNESCO qui inspectaient ses lieux de culte. L'influence du CCK a néanmoins permis de faire évoluer le Saint Synode serbe. Le groupe d'amitié a par ailleurs pu observer la construction d'une nouvelle basilique sur les hauteurs de Mitrovica Nord, signe indéniable de la vitalité du culte mais également de la visibilité symbolique qu'elle entend conserver. A ce titre, la bonne tenue des négociations au sein du Groupe de travail apparaît essentielle. Les conditions imposées par l'Eglise comme le CCK, non-participation du ministre de la Culture kosovar ou refus de l'emploi du terme byzantin pour la qualification des lieux, révèlent cependant l'extrême fragilité de la base de négociations et le poids important des considérations spécifiquement culturelles dans le règlement du conflit.

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