3. UNE DÉMOCRATIE SANS LÉGITIMITÉ

A ces divergences internes au gouvernement s'ajoute un problème de légitimité démocratique du pouvoir en place. Le choix de M. TADIC au poste de Président de la République s'est effectué au terme du quatrième scrutin en deux ans. Les trois précédentes élections ont dû êtres invalidées faute d'une participation suffisante (moins de 50 % des électeurs). Le dernier scrutin a eu lieu après l'abrogation législative de la nécessité d'un quorum pour valider les résultats. La participation à ce scrutin s'est de fait élevée à 48,7 %. Les élections législatives de décembre ont, quant à elles, réuni 58,75 % des inscrits. Plus d'un électeur sur trois ne se reconnaît pas par conséquent dans les institutions serbes.

L'incertitude sur ses futures frontières, les difficultés économiques classiques d'un pays sortant d'une guerre et d'un régime économique collectiviste, la division manifeste du camp réformateur laissant les partis agiter le boycott de tel ou tel scrutin comme une arme politique (les élections présidentielles du 16 novembre 2003 ont été boycottées par le DSS et le G 17 +) expliquent à la fois un désengagement d'une fraction importante de l'électorat ainsi que la poussée radicale enregistrée lors des derniers scrutins. La présence de M. NIKOLIC au deuxième tour des deux derniers scrutins présidentiels, sa victoire fin 2003 suivie de son invalidation, comme la poussée de son parti aux élections municipales sont assez révélatrices. La victoire à Novi Sad, capitale d'une Voïvodine multi-ethnique, en octobre 2004 est à ce titre toute symbolique de la crispation d'une partie de la population sur son passé, la victimisation de la Serbie, frappée par l'OTAN, contestée par le Monténégro et harcelée au Kosovo, étant perçue par les électeurs comme une réalité à laquelle les partis modérés ne savent pas répondre.

Trace des bombardements de l'OTAN dans les rues de Belgrade

4. UNE COHÉSION NATIONALE TOUTE RELATIVE : LE CAS DE LA VOÏVODINE

La crispation des Serbes sur leur passé et le réflexe identitaire qu'il suppose ne sauraient mésestimer l'importance des différentes communautés ethniques au sein du pays. De leur représentativité dépend pour partie le bon fonctionnement de la démocratie serbe.

La loi sur les collectivités locales en République de Serbie prévoit différents niveaux de collectivités locales déclinés autour de la municipalité, de la ville (composée de plusieurs municipalités urbaines ou arrondissements) et de la ville de Belgrade. Possibilité est laisser aux citoyens de former des sous-ensembles : quartiers, secteurs et autres. Le mandat des représentants municipaux est prévu pour quatre ans. Chaque minorité ethnique dépassant 5 % de la population est représentée au sein d'un conseil des relations multiethniques, visant à promouvoir en conformité avec la Constitution les intérêts desdits groupes. La loi détaille le fonctionnement des institutions municipales (un manager assiste notamment les maires sur les questions économiques, un médiateur élu pour quatre ans contrôle la conformité des missions municipales avec les droits individuels essentiels, la municipalité dispose d'une forte autonomie en matière de création de services publics et peut être habilitée par l'Etat à expérimenter un projet, chacun de ses actes pouvant être contrôlé par le juge constitutionnel saisi par le Gouvernement, à l'inverse une assemblée municipale peut demander au Parlement serbe l'abrogation d'un texte). Mais elle ne précise pas l'autonomie accordée aux régions ou aux districts, un texte étant encore en phase d'élaboration. La Voïvodine comme le Sandjak (forte concentration de Bosniaques) disposent cependant déjà d'assemblées représentatives.

Toutefois, l'absence de représentation des minorités au sein du Parlement élu en 2003, conjuguée à une décentralisation non achevée, risquent d'accentuer un problème de cohésion nationale, notamment en Voïvodine et au Sandjak. Le Parlement élu en 2000 comptait une demi-douzaine de députés d'origine hongroise élus en Voïvodine, qui n'ont pu être élus en 2003, n'ayant pas dépassé le seuil de 5 % des voix. L'adoption d'une nouvelle loi électorale abaissant le seuil de 5 à 3 %, appliquée depuis le 1 er janvier 2004, contribuera sans doute à calmer les esprits. Le cas de la Voïvodine est néanmoins assez symbolique des difficultés de représentativité des minorités, de l'exagération médiatique de toute manifestation de tensions entre membres de communautés différentes, ainsi que de la radicalisation du paysage politique serbe et des divisions du camp modéré.

Possession de l'Empire Romain, envahie au Vème siècle par les Lombards puis les Avars, la Voïvodine est colonisée par les Hongrois au IXème siècle. Des Serbes s'y installent à partir de 1690, fuyant les Ottomans. Annexée par l'Autriche, elle est ouverte aux populations d'Europe centrale. Elle n'est rattachée à la Serbie qu'en 1918. TITO lui accorde un statut d'autonomie en 1946, réévalué en 1974 avant d'être aboli en mars 1989. L'autonomie est finalement restaurée en 1996 avec la création d'un Parlement local, composé de 120 membres.

Constituée de vastes étendues plates occupées par de petites cités issues de l'ancien empire austro-hongrois, la Voïvodine rassemble 2 millions d'habitants dont 57 % de Serbes, 26 groupes ethniques différents y cohabitent, l'administration provinciale utilisant six langues (serbe, hongrois, croate, ruthène, roumain et slovaque). La loi dite Omnibus délègue depuis février 2002 des compétences définies à la province autonome.

Touchée par les conflits des années 1990 (10.000 Croates fuient cependant durant l'été 1992, des purges sont organisées, les réfugiés serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine sont accueillis dans les villages), la Voïvodine est sujette à des tensions depuis près d'un an entre serbes et population d'origine hongroise et croate. Plus médiatisée que les atteintes aux symboles croates (cimetière catholique profané à Novi Sad, violences à Tavankut), la demande d'asile politique effectuée par une famille d'un faubourg de Subotica a suscité une réaction internationale. Cet appel, mis en exergue par M. Josef KASZA, responsable de l'Alliance des Hongrois de Voïvodine (SVM), a suscité l'intervention du Conseil de l'Europe à la demande de Budapest, la venue d'une commission de l'Union Européenne dans six communes de Voïvodine et la visite à Subotica et à Belgrade du Président de la République Hongroise.

Aussi médiatique que soit cette affaire, elle témoigne néanmoins des difficultés rencontrées notamment par la population hongroise en quête de confiance et de représentativité à Belgrade. Alors qu'à la chute de Slobodan MILOSEVIC, M. KASZA était promu Vice-Premier ministre de Serbie, le mode de scrutin (seuil électoral de 5 % des voix) a écarté tous les représentants hongrois de Voïvodine aux élections législatives serbes du 28 décembre 2003. La coalition Ensemble pour la Tolérance regroupait MM. Nenad CAMAK, Josef KASZA et Rasim LAJIC, chefs de file de seize partis régionaux (la ligue des sociaux démocrates de Voïvodine - LSV de M. CAMAK, coalition Sumadija de M. Branko KOVACEVIC) et des minorités de Voïvodine (Roms, Hongrois et Croates) et du Sandjak. Concurrencée par le Parti démocratique rom allié aux Réformistes de Voïvodine (RV) de M. Miodrag ISAKOV, elle a obtenu 4,5 % des voix. Seul un bosniaque, M. Bajram OMERAGIC, a été élu sur une liste nationale du DS. Depuis les premières élections multipartites de 1990, les partis hongrois de Voïvodine avaient toujours obtenu 5 à 9 sièges de députés au Parlement de Serbie.

Les élections de 2003 apparaissent à la fois comme un coup d'arrêt à la représentation des minorités mais également comme le signe manifeste de divisions politiques à l'intérieur de celles-ci. Ecartelée entre la LSV, les RV et le SVM, réunis autrefois au sein du Conseil de Voïvodine (réunion informelle formée le 20 août 1999 en pleine crise kosovare, contestant les projets serbes de remise en cause de l'autonomie provinciale). Cette désunion a fragilisé les revendications visant à inscrire l'autonomie provinciale au sein de la Charte constitutionnelle serbo-monténégrine. L'opposition de style et de stratégie entre la LSV qui détient la présidence de l'Assemblée de la Voïvodine et le SVM qui préconise un regroupement des communes à forte densité hongroise est nette, M. CANAK (LSV) fustigeant tout séparatisme sur le modèle kosovar et préfère un retour au statut prévu par la Constitution yougoslave de 1974. M. CANAK s'oppose à ce titre aux deux partis majeurs de Serbie : le DS et le DSS.

L'absence de représentativité politique nationale des Hongrois est à confronter au départ de quelques 110.000 personnes vers Budapest depuis 1991, encore plus attractive depuis son adhésion à l'Union Européenne. L'internationalisation du problème des Hongrois agit paradoxalement contre les intérêts du SVM, désormais contesté par une frange plus radicale remettant en cause le tracé actuel des frontières héritées du Traité de Trianon à l'issue de la Première Guerre Mondiale. Elle suscite également une polarisation du paysage politique local entre Hongrois et Serbes, de plus en plus sensibles à la rhétorique du Parti Radical (35 municipalités sur les 45 plus importantes de Voïvodine ont accordé leurs suffrages au Parti Radical lors des dernières législatives). Les élections municipales du 3 octobre 2004 ont d'ailleurs confirmé cette tendance : la mairie de Novi Sad, principale ville de Voïvodine, a été conquise par Mme Mala GOJKOVIC, candidate radicale.

L'opposition serbe aux manifestations autonomistes se cristallise également au sein du Mouvement National Serbe Svetozar Miletic, lié pour partie à la frange extrémiste du clergé serbe. Un des animateurs du mouvement, M. Kosta CAVOSKI est un ancien conseil de M. MILOSEVIC au Tribunal Pénal International pour l'ex Yougoslavie de La Haye.

Ces difficultés politiques s'inscrivent parallèlement dans le cadre d'une crise économique importante visant expressément les grandes structures industrielles (SEVER, 29 NOVEMBAR, AZOTORA et ZORKA) en attente de privatisation. Seuls les secteurs de services organisés autour de petites entreprises privées et l'agroalimentaire de qualité (laiterie MLEKARA, Caves à vin PODRUM PALIC, Chocolats PIONIR et Farines et Pâtes FIDELINKA) résistent à peu près. L'économie a également été affectée par les bombardements de 1999 (destruction du Pont de Novi Sad). Toujours considérée comme un grenier à blé, la Voïvodine a fourni jusqu'à 40 % des ressources du budget serbe.

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