C - QUELLE POSITION POUR L'UNION EUROPÉENNE ?

L'essentiel de ses prérogatives rogné, son fonctionnement vicié, soumis à court terme à un risque d'éclatement qu'il était censé repousser voire annihiler, l'Etat Commun, ce compromis diplomatique européen ne répond plus aux attentes de ses concepteurs. Il semble par conséquent nécessaire que la politique européenne ne se focalise pas sur une défense obstinée de l'Union d'Etats mais anticipe une scission plausible dès 2006, malgré la faiblesse de certains arguments monténégrins (notamment sur l'image de la Serbie). L'intervention, pour partie légitime, du commissaire européen en charge de l'élargissement Olli REHN en déplacement à Podgorica le 20 avril 2005, indiquant que l'indépendance monténégrine conduirait au ralentissement du processus d'adhésion, ne peut en aucun cas être une ligne de conduite intangible en cas de scission effective avec la Serbie. Ce choix de la dramatisation est également celui de M. Javier SOLANA, suscitant logiquement l'hostilité du gouvernement monténégrin et des médias, qui ont dénoncé une attitude colonialiste. Il est de surcroît manifestement en décalage avec la position retenue en juillet 2004 et confirmée en avril 2005 prévoyant une approche différenciée en matière économique, position finalement voisine de la proposition d'Union d'Etats Indépendants formulée par Podgorica.

L'absence de dépendance économique vis à vis de l'Union européenne, l'afflux de capitaux russes comme la collusion possible entre pouvoir politique et économie parallèle ne font pas de l'adhésion européenne une priorité absolue pour une partie des Monténégrins, hostiles à l'Etat Commun, rebaptisé ironiquement « Solania ». Une solution de rechange faisant du Monténégro une zone franche ou un paradis fiscal au coeur de l'Union européenne, jugée anti-monténégrine, est de fait plausible. Elle contredirait in fine l'objectif initial de l'Union européenne de rétablir la stabilité régionale, assurer un développement économique sain et sécuriser ses frontières.

La scission a déjà été anticipée par les Etats-Unis, dont le consulat sur place tient plus de l'Ambassade que d'un simple bureau de liaison. Moscou soutient ce séparatisme, considérant notamment les séparatismes balkaniques comme un laboratoire pour une balkanisation des anciennes Républiques soviétiques qui tendent à s'éloigner de l'orbite russe (Géorgie). Au sein de l'Union Européenne, l'Italie semble également devancer le résultat électoral, en préconisant une politique diplomatique et économique visible 13 ( * ) . Il conviendrait donc d'observer avec prudence les prochains développements, sans préjuger d'un quelconque résultat. A ce titre, l'exigence juridique européenne concernant le référendum, mise en avant dans l'accord du 7 avril 2005, ne peut non plus dénier toute valeur aux avis du Conseil de l'Europe et de l'OSCE, qui ont servi de base au compromis institutionnel de mars 2003. Elle risque également de fragiliser le nécessaire consensus politique local sur la tenue de la consultation, gage de stabilité au sein de la petite République. L'Union Européenne est finalement confrontée à la logique d'un texte qu'elle a contribué à mettre en avant. Son souhait plus ou moins affiché de repousser ou de dramatiser son application brouille désormais l'image de médiateur régional, dont elle use depuis le sommet de Zagreb de novembre 2000. Le statu quo n'est pourtant plus une option viable à court terme.

Le référendum d'autodétermination est de fait presque nécessaire, il clarifiera la position des uns et des autres, et permettra en cas de résultat négatif une relance de la dynamique unioniste, sur de nouvelles bases, cette fois-ci populaires. La rédaction d'une véritable Constitution, au sens juridique du terme, serait alors envisageable A l'inverse, une scission devra être analysée comme l'application du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'approche différenciée de la Commission sur le dossier serbo-monténégrin souligne déjà en creux que l'indépendance de la petite République ne préjuge en rien des ses performances économiques et de sa capacité politique à s'intégrer à terme au sein de l'Union Européenne.

(affiche gouvernementale monténégrine

rappelant la vocation européenne du petit Etat)

Une scission en 2006, année de négociations sur le statut futur du Kosovo constituerait néanmoins un échec pour l'Union Européenne, au regard de ses motivations initiales : l'Etat Commun était en effet pour partie destiné à éviter une indépendance simultanée du Monténégro et du Kosovo.

* 13 Il semble à cet égard regrettable que la France ne dispose à Podgorica que d'un simple bureau commun avec l'Allemagne, isolé dans une galerie commerciale, sans même qu'un drapeau ne souligne la présence d'un minuscule corps diplomatique.

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